Dans l’ordre interne, certaines limitations aux droits et libertés individuelles sont légitimes lorsqu’elles visent à protéger l’intérêt collectif. Cet intérêt se manifeste sous deux formes principales : l’ordre public et le service public. Tandis que l’ordre public assure le maintien de certaines valeurs essentielles à la société, le service public répond à des besoins collectifs pouvant justifier des restrictions aux droits individuels.
L’ordre public désigne un ensemble de valeurs essentielles nécessaires au fonctionnement harmonieux de la société. Ces valeurs, échappant à la libre disposition des individus, relèvent de la responsabilité de l’État. Cette notion est inscrite à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC), qui précise que la liberté d’opinion et son expression ne doivent pas troubler l’ordre public établi par la loi.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 27 juillet 1982, a élevé l’ordre public au rang d’objectif à valeur constitutionnelle (OVC). Sur cette base, le législateur peut justifier des limitations aux libertés individuelles.
Les composantes traditionnelles de l’ordre public : Historiquement, la notion d’ordre public est définie comme étant de nature matérielle et extérieure, selon l’analyse classique de Maurice Hauriou. Le Code général des collectivités territoriales (CGCT), à l’article L. 2212-2, fixe trois composantes traditionnelles :
Une composante plus récente : la dignité humaine : Une quatrième composante de l’ordre public, la dignité humaine, a été consacrée par le Conseil d’État dans l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge du 27 octobre 1995. Dans cette affaire, le maire avait interdit une activité de « lancer de nains » dans des boîtes de nuit. Bien que l’activité fût volontairement exercée par les participants, le juge a validé l’interdiction, estimant qu’elle portait atteinte à la dignité humaine, composante incontournable de l’ordre public.
La sécurité publique constitue un objectif central pour toute société. Selon l’idée du contrat social, l’être humain est prêt à renoncer à une part de ses libertés en échange d’une sécurité renforcée, notamment physique. L’État a pour mission fondamentale de garantir cette sécurité, condition préalable à l’exercice de tous les autres droits. Aujourd’hui, cette recherche de sécurité s’étend à divers domaines (terrorisme, criminalité, catastrophes naturelles) et s’accompagne d’outils comme la vidéosurveillance, ou « vidéoprotection », qui soulève des enjeux cruciaux pour les libertés individuelles.
Un cadre juridique évolutif et encadré
En France, la loi d’orientation sur la sécurité de 1995 a instauré un premier cadre juridique à la vidéosurveillance, limitée à des zones spécifiques comme les stades ou les magasins. Après les attentats du 11 septembre 2001, son usage s’est intensifié, notamment à des fins antiterroristes. Les lois de 2006 sur la lutte contre le terrorisme et la loi LOPPSI II de 2011 ont étendu son champ d’application, couvrant désormais tous les lieux publics ou privés ouverts au public.
Depuis 2011, la vidéosurveillance est également utilisée pour :
Le préfet peut désormais inciter les communes à s’équiper de tels dispositifs. Bien que cette décision soit laissée à l’appréciation des municipalités, elles doivent mener une réflexion préalable.
Une surveillance différenciée selon le type de lieu
Les conditions d’installation varient selon les lieux :
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), créée en 1978, joue un rôle clé dans la régulation de ces installations.
Le cadre européen
Les jurisprudences européennes encadrent la vidéosurveillance :
Les garanties nationales
Le Conseil constitutionnel, saisi en 1995, avait validé le cadre juridique de la vidéosurveillance, tout en censurant une disposition selon laquelle l’absence de réponse de l’administration dans un délai de quatre mois équivalait à une acceptation tacite.
La loi LOPPSI II de 2011 a renforcé les garanties en confiant à la CNIL le contrôle des dispositifs installés, qu’ils soient dans des lieux publics ou privés. La CNIL veille à ce que :
Cependant, les moyens d’action de la CNIL restent limités en raison de son statut d’autorité administrative indépendante.
Depuis les années 2010, la vidéosurveillance s’est étendue aux établissements scolaires pour prévenir les violences. En 2011, la CNIL a sanctionné des pratiques excessives dans plusieurs écoles où les élèves étaient filmés à l’intérieur des bâtiments de façon continue. Plus récemment, des dispositifs de reconnaissance faciale ont été testés en France, notamment à Nice, suscitant des controverses sur le respect des libertés fondamentales.
L’utilisation croissante de caméras intelligentes capables de détecter des comportements suspects ou d’analyser les flux de personnes pose également de nouvelles questions éthiques et juridiques. La loi Sécurité globale de 2021, bien que partiellement censurée par le Conseil constitutionnel, a cherché à encadrer l’usage de ces technologies.
En résumé : La vidéosurveillance, outil central de la sécurité publique, nécessite un équilibre subtil entre efficacité et respect des libertés individuelles, garanti par un encadrement juridique strict et le contrôle de la CNIL.
La dignité humaine, consacrée comme la quatrième composante de l’ordre public, joue un rôle essentiel dans la protection des droits fondamentaux. Elle justifie parfois des restrictions aux libertés individuelles, même contre la volonté des individus concernés. Cependant, son interprétation diffère selon les juridictions nationales et européennes, soulevant des débats sur sa portée et ses implications.
La reconnaissance de la dignité humaine comme composante de l’ordre public découle de l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge (1995). Dans cette affaire, un maire avait interdit une activité de « lancer de nains » dans des boîtes de nuit, considérée comme dégradante. Le Conseil d’État a validé cette interdiction en se fondant sur la protection de la dignité humaine, même si les participants avaient donné leur consentement. Le juge a affirmé que la dignité humaine pouvait justifier des restrictions aux libertés individuelles dans l’intérêt collectif, notamment pour prévenir des pratiques jugées humiliantes.
a) L’affaire Benetton (années 1990)
Dans cette affaire, l’entreprise Benetton avait diffusé une campagne publicitaire utilisant un corps atteint du VIH comme support visuel. Les juges du fond ont estimé que cette publicité véhiculait une « symbolique de stigmatisation dégradante » à l’égard des personnes malades. Cette décision a permis de restreindre deux libertés fondamentales :
b) L’affaire des cadavres exposés (2009)
Une exposition intitulée « Our Body » présentait des cadavres humains plastinés à des fins commerciales et artistiques. La Cour de cassation a jugé cette pratique contraire à l’article 16-1-2 du Code civil, qui stipule que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ». Elle a rappelé que :
Cette jurisprudence met en lumière la tension entre la recherche d’objectifs artistiques et le respect des principes fondamentaux liés à la dignité.
Certaines restrictions fondées sur la dignité humaine visent à protéger les individus contre leurs propres choix. L’affaire du lancer de nains en est une illustration. Bien que les participants aient volontairement accepté cette activité, le juge a considéré que la préservation de leur dignité devait primer sur leur consentement. Cette vision paternaliste repose sur l’idée que certains comportements, même consensuels, sont contraires aux valeurs essentielles d’une société.
Cette conception implique une protection à double volet :
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) adopte une vision différente de la dignité humaine. Elle la lie principalement à la notion d’autonomie personnelle, mettant en avant le droit de chaque individu à s’autodéterminer. Selon cette approche :
Cette divergence est significative :
Les divergences entre la conception française et européenne soulèvent des questions fondamentales sur la portée de la dignité humaine :
Des affaires récentes, comme celles liées à la fin de vie ou aux pratiques artistiques controversées, continuent d’alimenter ces débats. En France, la tension entre protection collective et liberté personnelle reste au cœur des arbitrages juridiques.
Le service public, défini par René Chapus comme une activité d’intérêt général, assurée ou assumée par une personne publique, est soumis à un régime particulier qui repose notamment sur les lois de Rolland :
Ces principes, en particulier ceux de continuité et d’égalité, peuvent entrer en conflit avec certaines libertés fondamentales comme le droit de grève ou la liberté religieuse.
Le principe de continuité a longtemps primé sur le droit de grève, au point que le Conseil d’État, dans l’arrêt Winkell (7 août 1909), a estimé que ce principe s’opposait à la reconnaissance du droit de grève pour les agents publics.
Cependant, avec la Constitution de 1946, le droit de grève a été consacré dans son Préambule comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR). Ce changement a conduit à une évolution jurisprudentielle notable avec l’arrêt Dehaene (CE, 7 juillet 1950). Dans cette affaire :
Le droit de grève n’est pas uniforme dans le secteur public. Il varie en fonction de la mission confiée au service public :
La loi du 21 août 2007 sur les transports publics
Cette loi concerne les transports réguliers de voyageurs. Elle ne crée pas de service minimum obligatoire mais vise à réduire l’impact des grèves sur les usagers :
Ce dispositif améliore la prévisibilité pour les usagers, tout en respectant le droit de grève.
La loi du 20 août 2008 sur l’accueil dans les écoles primaires
Cette loi instaure un service d’accueil pour les enfants en période de grève dans les écoles maternelles et élémentaires.
Ces dispositifs montrent la volonté du législateur d’équilibrer l’exercice du droit de grève et l’exigence de continuité des services essentiels. Voici quelques exemples :
Outre le droit de grève, d’autres libertés fondamentales, comme la liberté religieuse, peuvent être restreintes pour assurer les exigences du service public :
En résumé : Le service public, par nature, repose sur des principes fondamentaux : mutabilité, continuité et égalité. Le principe de continuité peut entrer en conflit avec le droit de grève, reconnu constitutionnellement mais encadré pour éviter des perturbations excessives. Deux lois majeures (2007 pour les transports et 2008 pour les écoles) illustrent cette recherche d’équilibre entre libertés individuelles et intérêt général. Par ailleurs, le principe de neutralité garantit l’égalité de traitement des usagers, au prix de restrictions à certaines libertés comme la liberté religieuse des agents publics.
Le principe de neutralité dans le cadre du service public, étroitement lié au principe d’égalité, interdit tout traitement différencié des usagers en fonction de leurs croyances religieuses ou convictions politiques. Ce principe est directement rattaché à la laïcité, inscrite à l’article 1er de la Constitution française, qui garantit l’égalité de tous devant la loi et le respect de toutes les croyances. La neutralité s’applique principalement aux agents du service public, mais elle s’étend dans certains cas spécifiques aux usagers.
L’application stricte aux agents du service public
Le Conseil d’État, dans son avis Demoiselle Marteaux du 3 mai 2000, a précisé les contours de l’obligation de neutralité :
Loi confortant les principes républicains (2021)
Cette loi, dite « loi contre le séparatisme », renforce les exigences de neutralité dans certains domaines, notamment pour les associations subventionnées. Elle vise à prévenir les atteintes à la laïcité tout en suscitant des inquiétudes sur la liberté d’association et d’expression.
Une extension partielle aux usagers
En principe, le principe de laïcité ne s’impose pas aux usagers du service public. Cependant, une exception notable existe dans le domaine de l’enseignement public. La loi du 15 mars 2004 interdit le port de signes religieux ostensibles dans les établissements publics d’enseignement primaire et secondaire, une restriction validée par la CEDH dans l’arrêt Dogru c. France (2008). Cette interdiction vise à préserver un espace neutre propice à la coexistence pacifique des élèves de différentes confessions.
En droit français
Contrairement au service public, dans le secteur privé, la liberté religieuse bénéficie d’une protection renforcée. Les restrictions au port de signes religieux doivent être justifiées et proportionnées. Le Code du travail autorise de telles limitations uniquement si elles sont nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise ou à la sécurité, et inscrites dans le règlement intérieur. Deux arrêts de la Cour de cassation (19 mars 2013) illustrent ces principes :
Comparaison avec le Canada : les accommodements raisonnables
Au Canada, une approche différente s’est développée avec la théorie des accommodements raisonnables. Ce principe consiste à ajuster les règles générales pour éviter toute discrimination indirecte. Par exemple, dans une affaire jugée par la Cour suprême du Canada, une vendeuse a obtenu un aménagement de ses horaires pour respecter ses obligations religieuses. Cependant, les accommodements doivent rester raisonnables et ne pas compromettre les intérêts de l’entreprise. Cette méthode, plus souple, vise à concilier diversité culturelle et efficacité professionnelle.
La portée du principe de laïcité au-delà du service public reste un sujet de débat en France. Alors que certaines entreprises privées optent pour une neutralité totale dans leurs règlements internes, d’autres privilégient une gestion plus flexible, inspirée des modèles étrangers. Ces approches sont souvent influencées par des sensibilités culturelles et par le cadre juridique applicable.
En résumé :La neutralité et la liberté de conscience sont des principes fondamentaux du service public en France, étroitement liés au principe de laïcité. Si la neutralité s’impose strictement aux agents et parfois aux usagers (dans le cadre scolaire), elle est appliquée avec plus de souplesse dans le secteur privé, sous réserve de justifications proportionnées. Les comparaisons internationales, notamment avec le Canada, montrent des approches différentes pour concilier neutralité et diversité culturelle.
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