Categories: 7) Fiches Grand Oral

Comment concilier droits individuels et intérêt collectif ?

Les limites au droits individuels face à l’intérêt collectif

Dans l’ordre interne, certaines limitations aux droits et libertés individuelles sont légitimes lorsqu’elles visent à protéger l’intérêt collectif. Cet intérêt se manifeste sous deux formes principales : l’ordre public et le service public. Tandis que l’ordre public assure le maintien de certaines valeurs essentielles à la société, le service public répond à des besoins collectifs pouvant justifier des restrictions aux droits individuels.

 

I) L’ordre public

L’ordre public désigne un ensemble de valeurs essentielles nécessaires au fonctionnement harmonieux de la société. Ces valeurs, échappant à la libre disposition des individus, relèvent de la responsabilité de l’État. Cette notion est inscrite à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC), qui précise que la liberté d’opinion et son expression ne doivent pas troubler l’ordre public établi par la loi.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 27 juillet 1982, a élevé l’ordre public au rang d’objectif à valeur constitutionnelle (OVC). Sur cette base, le législateur peut justifier des limitations aux libertés individuelles.

Les composantes traditionnelles de l’ordre public : Historiquement, la notion d’ordre public est définie comme étant de nature matérielle et extérieure, selon l’analyse classique de Maurice Hauriou. Le Code général des collectivités territoriales (CGCT), à l’article L. 2212-2, fixe trois composantes traditionnelles :

  • La sécurité publique : prévention des accidents (circulation routière, protection des biens et des personnes) ;
  • La salubrité publique : prévention des maladies transmissibles (ex. vaccinations obligatoires) ;
  • La tranquillité publique : lutte contre les nuisances sonores et encadrement des manifestations.

Une composante plus récente : la dignité humaine : Une quatrième composante de l’ordre public, la dignité humaine, a été consacrée par le Conseil d’État dans l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge du 27 octobre 1995. Dans cette affaire, le maire avait interdit une activité de « lancer de nains » dans des boîtes de nuit. Bien que l’activité fût volontairement exercée par les participants, le juge a validé l’interdiction, estimant qu’elle portait atteinte à la dignité humaine, composante incontournable de l’ordre public.

A) La sécurité publique comme limite aux libertés : le cas de la vidéosurveillance

La sécurité publique constitue un objectif central pour toute société. Selon l’idée du contrat social, l’être humain est prêt à renoncer à une part de ses libertés en échange d’une sécurité renforcée, notamment physique. L’État a pour mission fondamentale de garantir cette sécurité, condition préalable à l’exercice de tous les autres droits. Aujourd’hui, cette recherche de sécurité s’étend à divers domaines (terrorisme, criminalité, catastrophes naturelles) et s’accompagne d’outils comme la vidéosurveillance, ou « vidéoprotection », qui soulève des enjeux cruciaux pour les libertés individuelles.

1) La vidéosurveillance : un outil légitime mais controversé

Un cadre juridique évolutif et encadré

En France, la loi d’orientation sur la sécurité de 1995 a instauré un premier cadre juridique à la vidéosurveillance, limitée à des zones spécifiques comme les stades ou les magasins. Après les attentats du 11 septembre 2001, son usage s’est intensifié, notamment à des fins antiterroristes. Les lois de 2006 sur la lutte contre le terrorisme et la loi LOPPSI II de 2011 ont étendu son champ d’application, couvrant désormais tous les lieux publics ou privés ouverts au public.

Depuis 2011, la vidéosurveillance est également utilisée pour :

  • La lutte contre le trafic de stupéfiants ;
  • La prévention des risques naturels et des incendies ;
  • Le secours aux personnes.

Le préfet peut désormais inciter les communes à s’équiper de tels dispositifs. Bien que cette décision soit laissée à l’appréciation des municipalités, elles doivent mener une réflexion préalable.

Une surveillance différenciée selon le type de lieu

Les conditions d’installation varient selon les lieux :

  • Lieux publics ou privés ouverts au public (rues, mairies, grands magasins) : une autorisation préalable du préfet, après avis de la commission départementale, est nécessaire.
  • Lieux privés non ouverts au public (bureaux, entrepôts, logements) : une déclaration préalable auprès de la CNIL est obligatoire.

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), créée en 1978, joue un rôle clé dans la régulation de ces installations.

  • Reconnaissance faciale et caméras intelligentes (Nice, 2019-2021). La ville de Nice a été au cœur d’expérimentations sur la reconnaissance faciale à l’entrée des établissements scolaires ou lors d’événements publics comme le Carnaval. Ces expérimentations ont suscité des débats importants sur le respect des libertés individuelles, notamment face au risque d’un glissement vers une surveillance de masse.
  • La loi Sécurité globale (2021) Cette loi, partiellement censurée par le Conseil constitutionnel, a élargi les usages des drones et des caméras embarquées pour la sécurité publique. Elle a été critiquée pour le flou juridique entourant la protection des données personnelles, notamment par la CNIL.

2) La vidéosurveillance en droit européen et français

Le cadre européen

Les jurisprudences européennes encadrent la vidéosurveillance :

  • En 1998, la Commission européenne des droits de l’homme a jugé que filmer sans enregistrer les données dans un lieu public ne constituait pas une atteinte à la vie privée (LDH c. Belgique).
  • En revanche, la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’arrêt PECK c. Royaume-Uni (2003), a considéré que l’enregistrement et la diffusion des images portaient atteinte à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit le respect de la vie privée.
  • Reconnaissance faciale en Europe (2020-2023) L’Union européenne a travaillé sur un cadre juridique pour limiter les usages de la reconnaissance faciale à des cas très encadrés. Le règlement sur l’intelligence artificielle (AI Act), adopté en 2023, interdit l’utilisation de cette technologie à des fins de surveillance de masse.

Les garanties nationales

Le Conseil constitutionnel, saisi en 1995, avait validé le cadre juridique de la vidéosurveillance, tout en censurant une disposition selon laquelle l’absence de réponse de l’administration dans un délai de quatre mois équivalait à une acceptation tacite.

La loi LOPPSI II de 2011 a renforcé les garanties en confiant à la CNIL le contrôle des dispositifs installés, qu’ils soient dans des lieux publics ou privés. La CNIL veille à ce que :

  • Le public soit informé de la présence des caméras ;
  • Les espaces privés sensibles (toilettes, vestiaires) soient préservés ;
  • La durée de conservation des données soit limitée (généralement à un mois) ;
  • Les enregistrements soient accessibles uniquement aux personnes autorisées.

Cependant, les moyens d’action de la CNIL restent limités en raison de son statut d’autorité administrative indépendante.

3) Enjeux contemporains

Depuis les années 2010, la vidéosurveillance s’est étendue aux établissements scolaires pour prévenir les violences. En 2011, la CNIL a sanctionné des pratiques excessives dans plusieurs écoles où les élèves étaient filmés à l’intérieur des bâtiments de façon continue. Plus récemment, des dispositifs de reconnaissance faciale ont été testés en France, notamment à Nice, suscitant des controverses sur le respect des libertés fondamentales.

L’utilisation croissante de caméras intelligentes capables de détecter des comportements suspects ou d’analyser les flux de personnes pose également de nouvelles questions éthiques et juridiques. La loi Sécurité globale de 2021, bien que partiellement censurée par le Conseil constitutionnel, a cherché à encadrer l’usage de ces technologies.

En résumé : La vidéosurveillance, outil central de la sécurité publique, nécessite un équilibre subtil entre efficacité et respect des libertés individuelles, garanti par un encadrement juridique strict et le contrôle de la CNIL.

B) Dignité humaine

La dignité humaine, consacrée comme la quatrième composante de l’ordre public, joue un rôle essentiel dans la protection des droits fondamentaux. Elle justifie parfois des restrictions aux libertés individuelles, même contre la volonté des individus concernés. Cependant, son interprétation diffère selon les juridictions nationales et européennes, soulevant des débats sur sa portée et ses implications.

1) Une composante de l’ordre public affirmée par le juge français

La reconnaissance de la dignité humaine comme composante de l’ordre public découle de l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge (1995). Dans cette affaire, un maire avait interdit une activité de « lancer de nains » dans des boîtes de nuit, considérée comme dégradante. Le Conseil d’État a validé cette interdiction en se fondant sur la protection de la dignité humaine, même si les participants avaient donné leur consentement. Le juge a affirmé que la dignité humaine pouvait justifier des restrictions aux libertés individuelles dans l’intérêt collectif, notamment pour prévenir des pratiques jugées humiliantes.

  • Affaire du burkini (2016-2022) Des maires ont interdit le port du burkini sur les plages, invoquant l’ordre public et la dignité humaine. Ces interdictions ont été annulées par le Conseil d’État, qui a estimé qu’elles portaient une atteinte disproportionnée aux libertés individuelles, sauf en cas de risques avérés pour l’ordre public.
  • Affaire Mila (2020-2021) Une adolescente, Mila, a été harcelée après avoir critiqué l’islam en ligne. La protection de sa liberté d’expression a été reconnue, mais l’État a dû mobiliser des ressources importantes pour garantir sa sécurité, illustrant la tension entre la défense des libertés et la sécurité publique.

2) Les restrictions basées sur la dignité humaine en jurisprudence judiciaire

a) L’affaire Benetton (années 1990)

Dans cette affaire, l’entreprise Benetton avait diffusé une campagne publicitaire utilisant un corps atteint du VIH comme support visuel. Les juges du fond ont estimé que cette publicité véhiculait une « symbolique de stigmatisation dégradante » à l’égard des personnes malades. Cette décision a permis de restreindre deux libertés fondamentales :

  • La liberté d’entreprendre (droit à mener des activités commerciales) ;
  • La liberté d’expression (droit de communiquer des idées).

b) L’affaire des cadavres exposés (2009)

Une exposition intitulée « Our Body » présentait des cadavres humains plastinés à des fins commerciales et artistiques. La Cour de cassation a jugé cette pratique contraire à l’article 16-1-2 du Code civil, qui stipule que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ». Elle a rappelé que :

  • Les restes humains doivent être traités avec respect, décence, et dignité.
  • Toute utilisation contraire à ces principes est interdite, même avec une finalité artistique ou pédagogique.

Cette jurisprudence met en lumière la tension entre la recherche d’objectifs artistiques et le respect des principes fondamentaux liés à la dignité.

3) Protéger l’individu contre lui-même : une approche paternaliste

Certaines restrictions fondées sur la dignité humaine visent à protéger les individus contre leurs propres choix. L’affaire du lancer de nains en est une illustration. Bien que les participants aient volontairement accepté cette activité, le juge a considéré que la préservation de leur dignité devait primer sur leur consentement. Cette vision paternaliste repose sur l’idée que certains comportements, même consensuels, sont contraires aux valeurs essentielles d’une société.

Cette conception implique une protection à double volet :

  • Pour l’individu lui-même, contre des actes jugés dégradants ;
  • Pour la collectivité, afin de maintenir des standards éthiques fondamentaux.

4) La conception européenne de la dignité humaine : l’autonomie personnelle au cœur du droit

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) adopte une vision différente de la dignité humaine. Elle la lie principalement à la notion d’autonomie personnelle, mettant en avant le droit de chaque individu à s’autodéterminer. Selon cette approche :

  • La dignité humaine ne doit pas être un outil pour limiter les libertés, mais un fondement pour les garantir.
  • L’individu doit avoir la possibilité de faire ses propres choix, même si ceux-ci peuvent être considérés comme contestables ou dangereux par la collectivité.

Cette divergence est significative :

  • En France, la dignité humaine est souvent utilisée pour limiter la liberté individuelle au nom de valeurs collectives.
  • Au niveau européen, elle est interprétée comme un levier pour renforcer la liberté individuelle.

5)Les divergences entre la conception française et européenne

Les divergences entre la conception française et européenne soulèvent des questions fondamentales sur la portée de la dignité humaine :

  • Jusqu’où protéger l’individu contre lui-même sans restreindre abusivement ses libertés ?
  • Faut-il privilégier la dimension collective ou individuelle de la dignité humaine dans une société en constante évolution ?

Des affaires récentes, comme celles liées à la fin de vie ou aux pratiques artistiques controversées, continuent d’alimenter ces débats. En France, la tension entre protection collective et liberté personnelle reste au cœur des arbitrages juridiques.

 

II) Les exigences du service public et l’interaction avec les libertés individuelles

Le service public, défini par René Chapus comme une activité d’intérêt général, assurée ou assumée par une personne publique, est soumis à un régime particulier qui repose notamment sur les lois de Rolland :

  • Le principe de mutabilité : le service public doit s’adapter aux évolutions de l’intérêt général et des besoins de la société.
  • Le principe de continuité : l’activité d’intérêt général doit être assurée sans interruption.
  • Le principe d’égalité : les usagers et agents du service public doivent être traités de manière égale, sans discrimination (CE, Société des concerts du Conservatoire, 1951).

Ces principes, en particulier ceux de continuité et d’égalité, peuvent entrer en conflit avec certaines libertés fondamentales comme le droit de grève ou la liberté religieuse.

A)  Principe de continuité et droit de grève

Le principe de continuité a longtemps primé sur le droit de grève, au point que le Conseil d’État, dans l’arrêt Winkell (7 août 1909), a estimé que ce principe s’opposait à la reconnaissance du droit de grève pour les agents publics.

Cependant, avec la Constitution de 1946, le droit de grève a été consacré dans son Préambule comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR). Ce changement a conduit à une évolution jurisprudentielle notable avec l’arrêt Dehaene (CE, 7 juillet 1950). Dans cette affaire :

  • Le Conseil d’État a affirmé la nécessité de concilier le principe de continuité avec le droit de grève.
  • La solution repose sur un équilibre : le droit de grève est reconnu, mais il doit être encadré pour ne pas entraver la continuité du service public.

1) Les restrictions au droit de grève pour certaines professions

Le droit de grève n’est pas uniforme dans le secteur public. Il varie en fonction de la mission confiée au service public :

  • Professions exclues du droit de grève : Les agents exerçant des missions régaliennes, essentielles à la souveraineté de l’État, sont privés de ce droit. Cela concerne :
    • Les magistrats ;
    • Les policiers ;
    • Les militaires.
  • Professions soumises à un service minimum : Pour certaines professions, la grève peut causer des perturbations graves pour les usagers. C’est notamment le cas des :
    • Agents hospitaliers : ils conservent le droit de grève, mais des réquisitions peuvent être ordonnées pour assurer un service minimum.

2) Les dispositifs législatifs pour concilier continuité et droit de grève

La loi du 21 août 2007 sur les transports publics

Cette loi concerne les transports réguliers de voyageurs. Elle ne crée pas de service minimum obligatoire mais vise à réduire l’impact des grèves sur les usagers :

  • Les agents grévistes doivent informer leur employeur (ex. RATP ou SNCF) de leur intention de participer à la grève, 48 heures à l’avance.
  • Lorsque les effectifs de non-grévistes le permettent, un plan de transport doit être mis en place avec des desserte prioritaires pour assurer une continuité minimale du service.

Ce dispositif améliore la prévisibilité pour les usagers, tout en respectant le droit de grève.

La loi du 20 août 2008 sur l’accueil dans les écoles primaires

Cette loi instaure un service d’accueil pour les enfants en période de grève dans les écoles maternelles et élémentaires.

  • Les communes sont chargées de mettre en place un service d’accueil lorsque les enseignants cessent leur activité.
  • Cette mesure vise à limiter les désagréments subis par les familles et à assurer la continuité de l’accueil des enfants.

Ces dispositifs montrent la volonté du législateur d’équilibrer l’exercice du droit de grève et l’exigence de continuité des services essentiels. Voici quelques exemples :

  • Grèves dans les transports publics (2023)
    Les mobilisations contre la réforme des retraites ont illustré les tensions entre le droit de grève et le principe de continuité. Malgré des perturbations majeures à la SNCF et à la RATP, un service minimum a été maintenu grâce à la loi de 2007.
  • Réquisitions pendant les grèves dans le secteur pétrolier (2022)
    Lors des grèves dans les raffineries TotalEnergies, des réquisitions ont été ordonnées par le gouvernement pour assurer la continuité de l’approvisionnement en carburant, suscitant un débat sur l’équilibre entre droit de grève et intérêt collectif.

3) Les libertés individuelles et le service public

Outre le droit de grève, d’autres libertés fondamentales, comme la liberté religieuse, peuvent être restreintes pour assurer les exigences du service public :

  • Principe de neutralité : les agents publics doivent respecter la neutralité religieuse afin de garantir l’égalité de traitement des usagers. Cette exigence découle du principe de laïcité inscrit à l’article 1er de la Constitution.
  • CE, Demoiselle Marteaux (3 mai 2000) : le Conseil d’État rappelle que la neutralité s’impose à tous les agents publics, quelle que soit leur fonction, et qu’aucun signe religieux ostensible ne peut être toléré.

En résumé : Le service public, par nature, repose sur des principes fondamentaux : mutabilité, continuité et égalité. Le principe de continuité peut entrer en conflit avec le droit de grève, reconnu constitutionnellement mais encadré pour éviter des perturbations excessives. Deux lois majeures (2007 pour les transports et 2008 pour les écoles) illustrent cette recherche d’équilibre entre libertés individuelles et intérêt général. Par ailleurs, le principe de neutralité garantit l’égalité de traitement des usagers, au prix de restrictions à certaines libertés comme la liberté religieuse des agents publics.

 

B) La neutralité et la liberté de conscience

Le principe de neutralité dans le cadre du service public, étroitement lié au principe d’égalité, interdit tout traitement différencié des usagers en fonction de leurs croyances religieuses ou convictions politiques. Ce principe est directement rattaché à la laïcité, inscrite à l’article 1er de la Constitution française, qui garantit l’égalité de tous devant la loi et le respect de toutes les croyances. La neutralité s’applique principalement aux agents du service public, mais elle s’étend dans certains cas spécifiques aux usagers.

1) Neutralité et laïcité dans le service public

L’application stricte aux agents du service public

Le Conseil d’État, dans son avis Demoiselle Marteaux du 3 mai 2000, a précisé les contours de l’obligation de neutralité :

  1. Tous les services publics sont soumis aux principes de neutralité et de laïcité, qu’ils soient de nature administrative, éducative ou sociale.
  2. Aucune distinction n’est faite selon les fonctions exercées par les agents. Le principe s’applique uniformément, qu’il s’agisse d’un enseignant ou d’un personnel administratif.
  3. Les sanctions disciplinaires doivent tenir compte du caractère ostensible des signes religieux portés. Plus un signe religieux est ostentatoire, plus il est susceptible de justifier une sanction.

Loi confortant les principes républicains (2021)
Cette loi, dite « loi contre le séparatisme », renforce les exigences de neutralité dans certains domaines, notamment pour les associations subventionnées. Elle vise à prévenir les atteintes à la laïcité tout en suscitant des inquiétudes sur la liberté d’association et d’expression.

Une extension partielle aux usagers

En principe, le principe de laïcité ne s’impose pas aux usagers du service public. Cependant, une exception notable existe dans le domaine de l’enseignement public. La loi du 15 mars 2004 interdit le port de signes religieux ostensibles dans les établissements publics d’enseignement primaire et secondaire, une restriction validée par la CEDH dans l’arrêt Dogru c. France (2008). Cette interdiction vise à préserver un espace neutre propice à la coexistence pacifique des élèves de différentes confessions.

  • Affaire des abayas (2023) Le ministère de l’Éducation nationale a interdit le port des abayas et qamis dans les écoles publiques, considérant ces vêtements comme des signes religieux ostensibles. Cette décision a été validée par le Conseil d’État, soulignant l’importance du principe de laïcité dans l’espace scolaire.
  • Affaire des mères voilées accompagnatrices scolaires (2019-2023)
    La question de la neutralité des accompagnatrices scolaires portant un voile a été débattue dans plusieurs régions. Bien que ces femmes ne soient pas des agents publics, certaines collectivités ont tenté d’interdire leur participation aux sorties scolaires, provoquant des tensions entre neutralité et liberté religieuse.

 

2) La neutralité religieuse en entreprise : un cadre plus souple

En droit français

Contrairement au service public, dans le secteur privé, la liberté religieuse bénéficie d’une protection renforcée. Les restrictions au port de signes religieux doivent être justifiées et proportionnées. Le Code du travail autorise de telles limitations uniquement si elles sont nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise ou à la sécurité, et inscrites dans le règlement intérieur. Deux arrêts de la Cour de cassation (19 mars 2013) illustrent ces principes :

  1. Affaire de la crèche Baby Loup :
    • Une employée revient voilée après un congé parental. Son licenciement est jugé illégal par la Cour, car la crèche ne relève pas directement du service public, malgré son rôle d’intérêt général.
    • L’application du Code du travail nécessite une justification spécifique (exigence professionnelle ou sécurité) et une proportionnalité des restrictions. Ces critères n’étant pas remplis, le licenciement a été annulé.
  2. Affaire de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) :
    • Dans ce cas, le principe de laïcité s’applique car la CPAM est un organisme relevant du service public. Le licenciement de l’employée portant un voile a été validé, même si celle-ci n’était pas en contact avec le public. L’exigence de neutralité était jugée légitime en raison de la nature même de l’organisme.

Comparaison avec le Canada : les accommodements raisonnables

Au Canada, une approche différente s’est développée avec la théorie des accommodements raisonnables. Ce principe consiste à ajuster les règles générales pour éviter toute discrimination indirecte. Par exemple, dans une affaire jugée par la Cour suprême du Canada, une vendeuse a obtenu un aménagement de ses horaires pour respecter ses obligations religieuses. Cependant, les accommodements doivent rester raisonnables et ne pas compromettre les intérêts de l’entreprise. Cette méthode, plus souple, vise à concilier diversité culturelle et efficacité professionnelle.

3) La question de la laïcité au-delà du service public

La portée du principe de laïcité au-delà du service public reste un sujet de débat en France. Alors que certaines entreprises privées optent pour une neutralité totale dans leurs règlements internes, d’autres privilégient une gestion plus flexible, inspirée des modèles étrangers. Ces approches sont souvent influencées par des sensibilités culturelles et par le cadre juridique applicable.

En résumé :La neutralité et la liberté de conscience sont des principes fondamentaux du service public en France, étroitement liés au principe de laïcité. Si la neutralité s’impose strictement aux agents et parfois aux usagers (dans le cadre scolaire), elle est appliquée avec plus de souplesse dans le secteur privé, sous réserve de justifications proportionnées. Les comparaisons internationales, notamment avec le Canada, montrent des approches différentes pour concilier neutralité et diversité culturelle.

 

Isa Germain

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