L’élément moral dans les infractions non intentionnelles

L’élément moral dans les infractions non intentionnelles

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cet élément moral n’est pas absent dans ce type d’infractions. Il va s’exprimer différemment, qu’il s’agisse d’un délit ou d’une contravention, et va emporter des conséquences moins graves au niveau de la sanction que dans le cas d’infractions volontaires.

  • 1) Y a t’il des crimes non intentionnels?

Il convient de souligner qu’il n’existe pas de crimes non intentionnels. Cela est très important : tous les crimes, et ce, depuis le Code Pénal, sont désormais intentionnels.

Seuls les délits – quand la loi le prévoit expressément – peuvent être commis sans intention (l’homicide, ou les blessures involontaires, mais aussi l’incendie volontaire, la pollution involontaire également), ainsi que la grande majorité des contraventions (= des actes qui sont commis sans volonté délibérée d’atteindre un résultat nuisible).

  • 2) Les délits non intentionnels

Le législateur a été amené à plusieurs reprises à préciser certains éléments de cette faute non intentionnelle. Il l’a fait en 1992 avec le Code Pénal, mais aussi avec les lois du 13 mai 1996 relatives à la responsabilité pénale pour des faits d’imprudence ou de négligence, et une autre loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. Ceci dans le souci d’éviter une pénalisation excessive, mais sans pour autant déresponsabiliser les acteurs de cette société.

On distingue donc désormais la faute d’imprudence de la faute de mise en danger délibérée d’autrui. On retrouve le plus souvent ces fautes en matière de sécurité routière (homicide involontaire, blessures involontaires), en matière de droit du travail, en matière d’environnement, en matière d’éducation, mais aussi en matière de responsabilité médicale.

  • a) La faute d’imprudence

Il y a faute d’imprudence lorsque la personne n’a pas conscience qu’elle commet une infraction. Sa conduite est ici contraire à celle qu’adopterait une personne normalement prudente ou disciplinée.

Elle se caractérise par une maladresse, une négligence, une imprévoyance, une inattention, voire l’inobservation d’une prescription.

En outre, cette faute d’imprudence doit avoir causé un dommage physique (= un homicide, c’est-à-dire la mort de quelqu’un ou des blessures). C’est ce dommage qui va être le révélateur de la faute. A défaut, il n’y aura pas de poursuites pénales, simplement une réparation au titre du droit civil.

Il est donc fondamental que la faute pénale ait causé un dommage physique.

L’appréciation de cette faute est faite in concretoo par les tribunaux. Ceci a été clairement affirmé, précisément par la loi de 1996 dont il était question précédemment.

En d’autres termes, il doit être établi que les diligences normales (ce sont les termes de la loi) n’ont pas été accomplies par l’auteur du comportement, et ce, au regard de sa mission, de ses fonctions, de sa compétence (entendue ici dans un sens juridique, non pas sa capacité), de ses pouvoirs, ou des moyens dont il dispose.

Ainsi donc, appréciation « in concreto », l’ancienne appréciation in abstracto (= basée sur une sorte de comportement idéal) est donc à écarter. L’appréciation objective, pourrait-on dire également, n’est plus de mise.

Cette faute simple d’imprudence doit être établie par le ministère public, c’est-à-dire par l’accusation. Ce n’est pas à l’auteur de prouver qu’il a accompli toutes les diligences requises.

Et par conséquent, la sanction va dépendre de la gravité du dommage dans les limites prévues par le texte de l’incrimination.

Cette faute simple d’imprudence a tout de même évolué. En effet, sous la pression des décideurs publics et privés (pour reprendre l’expression de l’époque), la loi du 10 juillet 2000 est venue limiter la pénalisation de ceux-ci. Il est désormais prévu pour les personnes physiques seulement (et seulement les personnes physiques, les personnes morales restant en dehors de ce système), qu’en cas de causalité indirecte entre la faute et le dommage, celles-ci ne seront tenues que s’il est établi à leur encontre : non pas une simple faute d’imprudence, mais une faute caractérisée. C’est ce que nous dit l’article 121-3, alinéa 4.

Ainsi, lorsqu’une personne mise en cause a seulement créé, ou contribué à créer la situation qui a conduit à la réalisation du dommage, il faudra établir une faute présentant un caractère bien marqué, une faute exposant autrui à un risque d’une particulière gravité, qui ne pouvait être ignorée de l’auteur de l’acte.

Ainsi, un maire qui ne fermerait pas la salle des fêtes considérée comme dangereuse, et dans laquelle un incendie va se déclarer par la faute directe d’un des participants à la réunion publique (parce qu’il n’a pas éteint son mégot de cigarette, par exemple) : on est là dans la situation de l’auteur qui n’a fait que contribuer à la situation dommageable.

L’appréciation se fait là aussi « in concreto ». Le juge devra établir que le maire avait été averti, qu’il savait que la salle était dangereuse, qu’il y avait un risque à l’utiliser, et la faute devra être caractérisée par le juge. Donc il faudra qu’il s’agisse d’une faute inadmissible, inexcusable, tout à fait évidente d’imprudence. Ainsi, la non prise en compte d’un rapport qui lui aura été soumis, d’un simple avis qui aura pu lui être donné, ou d’une simple circulaire, suffira à caractériser cette faute. Mais il faudra une faute caractérisée et non pas une simple faute d’imprudence.

  • b) La faute délibérée

Ici, le législateur prévoit également de retenir la responsabilité de l’auteur en cas de causalité indirecte (= quand on a créé ou contribué à la réalisation de la situation dommageable), lorsqu’il y aura eu violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

On entre ici dans le domaine de la faute de mise en danger délibérée d’autrui, créée par le Code Pénal.

Cette faute, prévue à l’article 121-3, alinéa 2, a été créée par le législateur dans le souci de renforcer la sanction de certaines fautes non intentionnelles, très proche finalement de la faute dolosive, et que l’on retrouve notamment en matière de sécurité routière. Donc cette faute de mise en danger délibérée d’autrui créée par le Code Pénal est très importante. Elle se présente en quelque sorte comme une circonstance aggravante de la faute d’imprudence.

Ainsi, l’automobiliste qui brûle délibérément un feu rouge et tue un piéton ne commet ni une maladresse ni une négligence ; il commet une faute de mise en danger délibérée d’autrui qui va, bien entendu, justifier un renforcement de la sanction. De la sorte, en cas d’homicide involontaire, la peine est de 3 ans, alors que lorsqu’il y aura une faute de mise en danger délibérée d’autrui la peine d’emprisonnement passera à 5 ans, et l’amende de 45 000 euros, à 375 000 euros.

C’est donc une circonstance aggravante d’une faute d’imprudence. Cette faute d’imprudence aggravée, cette faute délibérée, suppose donc une volonté manifeste de violer une obligation de sécurité ou de prudence (imposée par la loi ou le règlement), et cela de façon délibérée, ce qui ne sera pas toujours aisé à prouver. Et ici, il peut s’agir d’une loi, d’un décret ou d’un arrêté. Mais attention : pas une circulaire ou un simple avis. Il faudra un texte légal ou un texte réglementaire.

La Cour de cassation semble exiger des tribunaux qu’ils précisent la source du texte en question qui doit être lui-même précis et non pas général. Donc un texte qui renverrait à des consignes vagues de sécurité ne suffirait pas.

Et là encore, que la faute d’imprudence soit caractérisée ou qu’elle soit une faute délibérée, elle devra être établie par l’accusation, c’est-à-dire par le ministère public.

De la simple faute d’imprudence qui existait avant le Code Pénal, on a maintenant une évolution tout à fait marquante entre la faute simple, la faute caractérisée, et la faute délibérée.

Une petite précision : il faut distinguer cette faute de mise en danger délibérée d’autrui avec le délit de mise en danger délibéré d’autrui qui est prévu dans le 2e livre du code pénal à l’article 223-1, qui constitue une infraction autonome présentant la particularité dans notre droit positif français (s’agissant d’une infraction non intentionnelle) de pouvoir être poursuivi et sanctionné en l’absence même de tout dommage.

Il y a donc une différence entre faute de mise en danger délibéré d’autrui et délit de mise en danger délibéré d’autrui.

  • 3) Élément moral dans les contraventions

Tout ceci est prévu dans l’article 121-3, alinéa 5 du code pénal.

Ces contraventions, elles, résultent du simple fait de violer une prescription pénale, que cela ait été fait de façon volontaire, par négligence, voire en toute bonne foi.

La faute contraventionnelle est punie, qu’il y ait ou non un résultat dommageable.

En outre, à la différence des délits, elle n’a pas à être prouvée par l’accusation. Ceci est important : la faute contraventionnelle est donc une faute présumée.

Il suffit donc de constater la violation de la disposition pour sanctionner, et cette présomption ne peut être combattue par la preuve de la bonne foi.

Toutefois, cette présomption n’est pas irréfragable, comme l’indique l’article 121-3, alinéa 5, puisqu’il y est précisé qu’il n’y a point de contravention en cas de force majeure.

De la même façon, la démence de l’auteur au moment des faits supprimerait également la responsabilité et il n’y aurait pas contravention et poursuites pour cette contravention.

Ainsi donc, cela fait dire à de nombreux auteurs que bien que faible, cet élément moral existe quand même bien dans le domaine contraventionnel.

A noter qu’il existe quand même (et il convient de le préciser) quelques contraventions supposant une faute intentionnelle, et cette faute intentionnelle devra elle aussi être établie par l’accusation : il s’agit notamment des violences volontaires (= coups et blessures volontaires mais de faible importance), qui sont prévues à l’article R 625-1 du code pénal).

Une dernière précision enfin s’agissant toujours des contraventions : il faut citer le décret du 20 septembre 2001 qui étend aux contraventions, les modalités introduites par la loi du 10 juillet 2000 relative à la faute non intentionnelle. Ainsi, l’article 610-2 du code pénal, dans sa nouvelle rédaction, rend applicable aux contraventions, les alinéas 3 et 4 de l’article 121-3. C’est-à-dire que comme pour les délits, une faute caractérisée devra donc être établie en cas de causalité indirecte, pour que la responsabilité pénale (contraventionnelle) puisse être retenue.

L’élément moral est donc fondamental ici dans la constitution d’une infraction. Mais il n’est pas le seul. Il existe un 3e élément : l’élément matériel de l’infraction.