En période de crise : état de siège, état d’urgence, défense nationale, ordre public
En période de crise, plusieurs régimes d’exceptions existent : l’état d’urgence renforce les pouvoirs civils pour gérer des crises menaçant l’ordre public, tandis que l’état de siège transfère ces pouvoirs aux militaires face à des périls graves. L’état de guerre mobilise toute la Nation pour répondre à des menaces extérieures. Encadrés juridiquement, ces régimes équilibrent sécurité et libertés fondamentales. La mise en garde anticipe les tensions pour assurer la sécurité. Leur usage reste rare et contrôlé.Autrement dit, on distingue :
- L’état d’urgence est une mesure d’exception qui prévoit un renforcement des pouvoirs des forces de l’ordre; il confère ainsi aux autorités civiles (et non militaires, contrairement à l’état de siège) des pouvoirs exceptionnels.
- L’état de siège correspond à un degré supérieur à l’état d’urgence. Il correspond à l’article 36 de la Constitution et instaure un transfert de pouvoir des autorités civiles aux autorités militaires. Cela signifie que l’armée assure la sécurité des citoyens en lieu et place des forces de police.
- L’état de guerre, quant à lui, correspond à une déclaration officielle de guerre d’un État à un autre. Le Parlement peut alors décider de déclarer l’État en guerre afin notamment de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard dans les trois jours après le début de l’intervention.
A) L’état de siège
L’état de siège est un mécanisme juridique destiné à faire face à des menaces graves pour l’État, telles que la guerre, une insurrection armée ou une crise majeure. Il est prévu par la loi du 9 août 1849, modifiée à plusieurs reprises, notamment en 1916, et repris à l’article 36 de la Constitution de 1958. Bien qu’il n’ait jamais été utilisé sous la Ve République, il reste un régime de circonstances exceptionnelles, conférant des pouvoirs étendus aux autorités militaires.
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1. Mise en œuvre et conditions de déclenchement
A. Procédure de déclenchement
L’état de siège est décrété par le Conseil des ministres, mais sa prorogation au-delà de 12 jours nécessite une autorisation du Parlement. Cette exigence vise à garantir un contrôle démocratique sur une mesure qui restreint fortement les libertés publiques.
B. Conditions nécessaires
Pour déclarer l’état de siège, il faut qu’un péril imminent menace gravement la nation, notamment :
- Une guerre : Une situation de conflit armé mettant en danger la sécurité nationale.
- Une insurrection armée : Une rébellion interne menaçant l’ordre public et les institutions politiques.
- Une crise majeure : Une situation exceptionnelle que les moyens habituels du gouvernement ne peuvent pas surmonter.
2. Effets juridiques et pouvoirs conférés
A. Transfert de pouvoirs aux autorités militaires
L’état de siège entraîne un transfert partiel des pouvoirs de police des autorités civiles vers les autorités militaires. Ces dernières disposent de prérogatives élargies pour assurer la sécurité et le maintien de l’ordre public.
B. Mesures exceptionnelles autorisées
Les autorités militaires peuvent :
-
Perquisitionner à toute heure :
- Les perquisitions de jour et de nuit sont autorisées pour prévenir les menaces ou enquêter sur des activités subversives.
-
Interdire des réunions ou manifestations :
- Toute forme de rassemblement pouvant nuire à l’ordre public peut être interdite.
-
Confisquer des armes :
- Les autorités peuvent ordonner la remise des armes et munitions, limitant ainsi les capacités des groupes armés.
-
Éloigner des personnes jugées dangereuses :
- Les individus considérés comme une menace pour la sécurité peuvent être éloignés ou placés en détention préventive.
C. Restriction des libertés
L’état de siège, en raison des pouvoirs qu’il confère, implique une restriction des libertés fondamentales, notamment :
- La liberté de circulation.
- La liberté d’expression et de réunion.
- Les garanties procédurales pour les personnes arrêtées.
3. Encadrement juridique et contrôle démocratique
A. Rôle du Parlement
La prorogation de l’état de siège au-delà de 12 jours nécessite une loi adoptée par le Parlement. Ce mécanisme vise à éviter un usage abusif de cette mesure et à maintenir un contrôle démocratique sur une situation exceptionnelle.
B. Contrôle juridictionnel
Bien que l’état de siège confère des pouvoirs étendus, il reste soumis au cadre juridique. Les décisions prises dans ce cadre peuvent faire l’objet d’un contrôle par les juridictions administratives ou constitutionnelles, bien que la marge de manœuvre des autorités soit large en période de crise.
4. Non utilisé sous la Ve République
Depuis l’instauration de la Ve République en 1958, l’état de siège n’a jamais été déclenché. Cette absence s’explique par plusieurs facteurs :
- Préfère l’état d’urgence : Les gouvernements ont eu recours à des mécanismes moins drastiques, comme l’état d’urgence, pour gérer des crises (troubles urbains, terrorisme).
- Poids historique : L’état de siège a été associé à des périodes de grande instabilité (guerre de 1870, Commune de Paris) et est perçu comme un outil radical.
- Capacités renforcées des institutions : La Ve République dispose de moyens législatifs et exécutifs plus adaptés pour répondre à des crises sans nécessiter un transfert de pouvoirs aux autorités militaires.
Résumé : L’état de siège est un régime exceptionnel conçu pour répondre aux situations les plus graves menaçant la nation. Bien qu’il confère des pouvoirs considérables aux autorités militaires, il est encadré juridiquement et nécessite l’intervention du Parlement pour sa prolongation. En résumé, cet outil reste une mesure de dernier recours, jamais utilisée sous la Ve République, préférant des dispositifs plus souples comme l’état d’urgence.
B) L’état d’urgence
L’état d’urgence est un régime juridique spécial, institué par une loi du 3 avril 1955, qui s’inspire de l’état de siège. Son objectif est de permettre aux autorités civiles d’agir rapidement face à des situations graves menaçant l’ordre public ou la sécurité nationale. Cependant, son application soulève des questions sur l’équilibre entre le respect des droits fondamentaux et la nécessité de maintenir l’ordre public.
1. Mise en œuvre et cadre légal
A. Conditions de déclenchement
L’état d’urgence est décidé par décret en Conseil des ministres et doit être justifié par :
- Un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public.
- Des événements exceptionnels ayant le caractère de calamités publiques (catastrophes naturelles, crises graves).
B. Prolongation et contrôle législatif
- La prolongation au-delà de 12 jours nécessite une loi votée par le Parlement.
- Le législateur dispose alors du pouvoir de concilier ordre public et respect des libertés fondamentales.
C. Renforcement des pouvoirs administratifs
Les pouvoirs du ministre de l’Intérieur, des préfets et des autorités civiles sont élargis, incluant :
- La réglementation de la circulation des personnes et des véhicules.
- La restriction ou réglementation du séjour des individus dans certaines zones.
- Le droit général de réquisitionner des biens et des services.
- La fermeture de lieux publics pour préserver la sécurité.
- La réalisation de perquisitions administratives sans autorisation judiciaire.
- Le contrôle ou la restriction des moyens d’information
2. Applications historiques de l’état d’urgence
A. Algérie (1955)
L’état d’urgence a été utilisé pour la première fois en Algérie en réponse aux troubles liés à la guerre d’indépendance. Cette période a marqué l’élaboration du régime juridique qui s’inspire de l’état de siège militaire.
B. Nouvelle-Calédonie (1985)
L’état d’urgence a été déclenché en raison des troubles politiques dans l’archipel.
- Décision du Conseil constitutionnel (1985) :
- Le Conseil constitutionnel a refusé de contrôler la constitutionnalité de la loi sur l’état d’urgence au regard des droits fondamentaux, considérant qu’il ne pouvait intervenir que a priori et non sur des lois déjà promulguées.
- Le Conseil a précisé que : « Il appartient au législateur d’opérer une conciliation entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public. »
C. Banlieues françaises (2005)
L’état d’urgence a été déclaré pour faire face aux troubles urbains. Cependant, cette application a suscité un débat sur sa pertinence, car la situation ne relevait pas d’une crise grave ou d’un conflit hors métropole.
3. La jurisprudence administrative sur l’état d’urgence
A. Contrôle limité du Conseil d’État
Le Conseil d’État a été saisi à plusieurs reprises pour évaluer la légalité des décisions liées à l’état d’urgence. Cependant, son contrôle s’est avéré limité, souvent en faveur d’une large marge d’appréciation des autorités publiques.
-
Ordonnance du Conseil d’État, 14 novembre 2005 (« Robin ») :
- Le requérant contestait la mise en œuvre de l’état d’urgence.
- Le Conseil d’État s’est reconnu compétent, mais son contrôle a été restreint.
- Le juge a validé la décision présidentielle, reconnaissant un pouvoir d’appréciation étendu sur la déclaration et le champ d’application territorial.
-
Conseil d’État, 9 décembre 2005 (« Allouache ») :
- Le référé portait sur la durée de l’état d’urgence.
- Le Conseil d’État a confirmé la compétence des autorités pour déterminer la fin de l’état d’urgence, mais il a envoyé un message implicite demandant de ne pas prolonger indûment la mesure.
-
Conseil d’État, 24 mars 2006 (« Boisvert et Rolin ») :
- Les requérants demandaient l’annulation de décrets appliquant la loi de 1955.
- Le Conseil a refusé d’apprécier la constitutionnalité d’un décret prorogé par une loi, déclarant qu’il n’était pas compétent pour juger une loi validée par le Parlement.
4. Critiques et enjeux liés à l’état d’urgence
A. Contrôle judiciaire restreint
Le contrôle exercé par le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel reste limité, laissant aux autorités publiques une grande liberté dans l’application de l’état d’urgence.
- Cette situation pose la question de la protection des droits fondamentaux, notamment face à des restrictions sévères de la liberté de circulation ou du droit de grève.
B. Usage controversé
- Contexte inapproprié : L’application en 2005 a été critiquée, car les troubles urbains ne présentaient pas une gravité justifiant une telle mesure exceptionnelle.
- Effet sur les libertés publiques : Le renforcement des pouvoirs administratifs a conduit à des mesures perçues comme excessives par une partie de la société civile.
C. Risques pour l’État de droit
- L’état d’urgence peut devenir un instrument politique, utilisé pour contourner les procédures normales et limiter les contestations.
- Il peut également instaurer un précédent dangereux, normalisant des restrictions importantes des libertés.
En résumé, l’état d’urgence est un outil juridique puissant pour faire face à des situations exceptionnelles, mais il soulève d’importantes questions sur l’équilibre entre ordre public et respect des droits fondamentaux. Si des mécanismes de contrôle existent, ils demeurent souvent insuffisants pour garantir une protection efficace contre les abus.
C) L’état de guerre : la défense nationale et la mise en garde
L’état de guerre implique une réorganisation complète de la Nation afin de faire face à des menaces graves et imminentes. Ce cadre juridique repose sur des mécanismes spécifiques, fixés principalement par la loi de 1938 et l’ordonnance de 1959, et vise à protéger les intérêts vitaux de la France en temps de conflit ou de crise.
1. La défense nationale
La défense nationale est décidée par un décret pris en Conseil des ministres, lorsqu’une aggravation manifeste de la situation nécessite de préparer le pays à sa défense. Ce décret peut être justifié par :
- Des tensions extérieures manifestes, telles que des conflits internationaux ou des menaces militaires directes.
- Une situation intérieure nécessitant une mobilisation accrue pour préserver l’ordre public ou la sécurité nationale.
A. Les pouvoirs exceptionnels liés à la défense nationale
En cas de mise en œuvre de la défense nationale, des mesures exceptionnelles peuvent être prises pour mobiliser les ressources humaines, matérielles et économiques. Ces mesures incluent :
-
Réquisition des personnes :
- Les citoyens français âgés de plus de 18 ans peuvent être requis pour effectuer un service civil au profit de l’effort national.
-
Réquisition des entreprises et du personnel :
- Les entreprises peuvent être contraintes de mobiliser leurs installations, ressources et employés pour des besoins définis par l’État.
-
Suspension de certains droits :
- Droit de grève : Les mouvements sociaux peuvent être suspendus afin de garantir la continuité des services essentiels.
- Liberté de circulation : La circulation des personnes et des biens peut être restreinte pour des raisons de sécurité ou de logistique militaire.
- Commerce extérieur : Les importations et exportations peuvent être limitées ou suspendues afin de préserver les ressources stratégiques.
-
Contrôle économique :
- Mise en vente de certains produits : L’État peut suspendre ou limiter la commercialisation de produits jugés stratégiques.
B. Encadrement juridique des décisions
Bien que ces mesures relèvent d’un pouvoir exécutif élargi, elles restent des actes administratifs et peuvent faire l’objet d’un recours contentieux devant les juridictions compétentes, notamment si elles excèdent le cadre légal ou portent atteinte à des libertés fondamentales.
2. La mise en garde
La mise en garde, instituée par l’ordonnance de 1959, constitue une phase préalable à l’état de guerre. Elle a pour but d’anticiper les tensions et de préparer la mobilisation du pays tout en maintenant un cadre de vigilance renforcée.
A. Objectifs de la mise en garde
La mise en garde vise à :
-
Permettre la liberté d’action du gouvernement :
Garantir que l’exécutif dispose des moyens nécessaires pour réagir rapidement à une menace. -
Réduire la vulnérabilité des populations civiles :
Mettre en place des mesures préventives pour protéger les citoyens face à des risques potentiels (attaques, pénuries, etc.). -
Garantir la sécurité des opérations de mobilisation :
Assurer que les forces armées et les ressources logistiques soient prêtes à intervenir efficacement.
B. Mesures permises par la mise en garde
Dans ce cadre, le gouvernement peut :
-
Réquisitionner personnes, biens et services :
Cette prérogative est similaire à celle de l’état de guerre, mais dans un cadre préventif. -
Contrôler les ressources stratégiques :
- Ressources énergétiques : Régulation des approvisionnements en énergie pour garantir une autonomie stratégique.
- Matières premières et produits industrialisés : Réparation et gestion des ressources nécessaires au ravitaillement et à la production.
C. Relation avec d’autres mécanismes comme l’état d’urgence et le plan Vigipirate
La mise en garde se distingue de l’état d’urgence par son caractère anticipatif. Elle vise à :
- Prévenir les menaces avant qu’elles ne se matérialisent.
- Garantir une transition efficace vers des mesures plus strictes si la situation se détériore.
Le plan Vigipirate, par exemple, constitue une application pratique de l’état de vigilance pour prévenir les actes terroristes.
3. Articulation entre la défense nationale et la mise en garde
Ces deux dispositifs sont complémentaires :
- La mise en garde agit comme une phase préventive destinée à réduire les vulnérabilités et à organiser les ressources stratégiques.
- La défense nationale, en revanche, intervient dans un contexte où la menace est avérée et nécessite une mobilisation totale des capacités de l’État.
En résumé, la défense nationale et la mise en garde constituent des mécanismes essentiels pour anticiper, gérer et répondre aux situations de crise en temps de guerre ou de tension accrue. Bien qu’elles confèrent des pouvoirs élargis à l’exécutif, ces mesures restent encadrées juridiquement et sont susceptibles de recours, garantissant ainsi un équilibre entre sécurité et respect des droits fondamentaux.