Qu’est-ce que l’État ?

La notion d’État : éléments constitutifs, attributs…

L’État repose sur territoire, population, et pouvoir de contrainte. Il exerce une personnalité morale et une souveraineté interne et externe. Face à la mondialisation, son monopole décisionnel est limité par des organisations internationales et l’UE, qui partage des caractéristiques étatiques. La souveraineté nationale reste cependant essentielle, même si des compétences sont transférées. L’UE, bien qu’influente, reste distincte d’un État souverain.

Quels sont les éléments et attributs de l’État ?

Aspect Description Exemples/Implications
Territoire Espace géographique où l’État exerce son autorité, délimité par des frontières. Crise Ukraine-Russie (Crimée), mer de Chine méridionale.
Population Individus soumis à l’autorité de l’État, distincts d’une nation, parfois multiethniques ou plurinationales. Inde (diversité), Belgique (plurinationalité).
Pouvoir de contrainte Monopole sur la contrainte légitime, permettant d’imposer des règles et de garantir l’ordre. Usage de la force par la police, l’armée.
Personnalité morale L’État agit en tant qu’entité juridique autonome, avec des droits, des obligations, et une continuité indépendamment des régimes. Conservation des lois malgré un changement de dirigeants.
Souveraineté Autorité suprême, interne (légiférer, gouverner) et externe (indépendance). UE : transfert limité de compétences.
Mondialisation Frontières plus perméables ; interdépendance économique et montée des organisations internationales. FMI, OMC, crise financière de 2008.
     
 

 

I. Les éléments constitutifs de l’État

 

L’État repose sur trois éléments essentiels : le territoire, la population, et le pouvoir de contrainte. Ces éléments sont indissociables et définissent son existence en tant qu’entité politique et juridique souveraine.

A. Le territoire

Le territoire est l’espace géographique où l’État exerce son autorité. Il est délimité par des frontières qui définissent son intégrité territoriale, un principe souvent inscrit dans les constitutions des États.

  • Perte ou modification du territoire :

    • Un État qui perd l’intégralité de son territoire cesse d’être un État, car il ne dispose plus d’espace pour exercer son pouvoir.
    • Toutefois, la perte partielle d’un territoire (comme l’amputation d’une région) ne remet pas en cause son existence.
  • Caractéristiques :

    • Le territoire peut être étendu ou discontinu (comme les archipels ou les enclaves).
    • Les conflits frontaliers restent une source majeure de tensions entre États. Exemples récents : la crise entre la Russie et l’Ukraine autour de la Crimée (2014) ou les revendications maritimes en mer de Chine méridionale.

B. La population

La population désigne l’ensemble des individus résidant sur le territoire de l’État et soumis à son autorité. Bien qu’un État nécessite une population pour exister, celle-ci ne se confond pas nécessairement avec une nation.

1. Distinction entre population et nation

  • Population :

    • La population regroupe les personnes soumises au même ordre juridique, indépendamment de leur diversité linguistique, religieuse ou culturelle.
    • L’hétérogénéité est fréquente dans de nombreux États contemporains, comme l’Inde ou le Brésil.
  • Nation :

    • Une nation se caractérise par des liens communs entre ses membres (langue, culture, histoire). Deux conceptions majeures coexistent :
      • Conception objective (allemande) : développée par Fichte, elle repose sur des éléments « objectifs » comme la langue, la culture, ou la religion. Cependant, cette approche a été détournée, notamment par le nazisme, pour justifier des exclusions et des persécutions.
      • Conception subjective (française) : proposée par Renan, cette approche met l’accent sur la volonté des individus de vivre ensemble. La nation repose sur un choix commun, au-delà des différences culturelles ou ethniques.

2. Relation entre État et nation

  • Bien qu’on associe souvent l’État à une nation pour former un État-nation, cette correspondance n’est pas systématique :
    • États plurinationales : certains États regroupent plusieurs nations distinctes, comme la Belgique (Flandre et Wallonie).
    • Nations sans État : certaines nations sont dispersées sur plusieurs États, comme les Kurdes, répartis entre la Turquie, l’Irak, l’Iran et la Syrie.

C. Le pouvoir de contrainte

Le pouvoir de contrainte est l’élément qui garantit la capacité de l’État à imposer son autorité.

  1. Pouvoir normatif

    • L’État élabore des règles juridiques qui s’imposent à tous, y compris aux institutions publiques. Ces règles doivent être conformes au cadre juridique établi par l’État lui-même.
    • Bien que d’autres entités (comme les collectivités locales) puissent créer des normes, celles-ci doivent respecter le cadre fixé par l’État central.
  2. Monopole de la contrainte physique légitime

    • Selon Max Weber, seul l’État peut exercer une violence légitime, comme l’usage de la force publique ou la mise en œuvre de sanctions pénales.
    • Les individus ne peuvent se faire justice eux-mêmes, et tout recours à la force passe par les institutions de l’État (police, justice, armée).

En résumé, l’État se compose de trois éléments fondamentaux : un territoire délimité, une population résidant sous son autorité, et un pouvoir de contrainte qui garantit son fonctionnement. Ces éléments forment la base de son existence et de sa souveraineté.

 

II. Les attributs de l’État

 

 

L’État se caractérise par deux attributs fondamentaux : la personnalité morale, partagée avec d’autres entités, et la souveraineté, qui lui est propre. Ces deux caractéristiques permettent à l’État de fonctionner en tant qu’entité distincte et de s’affirmer sur la scène nationale et internationale.

A. La personnalité morale

L’État est une personne morale, c’est-à-dire une entité juridique distincte des individus qui le dirigent ou le composent.

  • Caractéristiques :

    • En tant que personne morale, l’État possède des droits et est soumis à des obligations, au même titre qu’un individu.
    • Il peut agir en justice, posséder des biens et constituer un patrimoine.
  • Effets principaux :

    • La personnalité morale garantit la permanence de l’État, quelles que soient les modifications de son gouvernement. Par exemple, un changement de régime ou de dirigeants ne supprime pas les lois, obligations ou droits acquis sous les gouvernements précédents.
    • Elle confère à l’État une capacité d’action autonome dans les domaines juridique, économique et politique.

B. La souveraineté

La souveraineté est l’attribut exclusif de l’État. Elle est complexe et donne lieu à plusieurs interprétations, selon les théoriciens et juristes.

1. La puissance suprême de l’État

La conception classique de la souveraineté a été développée au XVIᵉ siècle par Jean Bodin, qui la définit comme une puissance absolue et perpétuelle appartenant à l’État.

  • Deux dimensions de la souveraineté :

    • Souveraineté interne : l’État exerce une autorité suprême sur son territoire et sur sa population. Il détient le pouvoir de légiférer, de rendre justice et d’imposer des règles contraignantes.
    • Souveraineté externe : sur la scène internationale, l’État est indépendant et n’est soumis à aucune autre entité ou organisation.
  • Limites :

    • La souveraineté externe est relative, car elle doit coexister avec celle des autres États. De plus, l’existence du droit international, auquel les États adhèrent volontairement, limite leur indépendance totale.
    • Exemple : les États membres de l’Union européenne transfèrent certaines de leurs compétences à des institutions supranationales tout en conservant leur souveraineté nationale.

2. Un faisceau de compétences

Certains auteurs proposent une définition concrète de la souveraineté fondée sur un ensemble de compétences que possède l’État, telles que :

  • Faire la loi,
  • Rendre la justice,
  • Émettre une monnaie,
  • Contrôler les forces armées.
  • Critiques de cette approche :
    • Elle peut sembler arbitraire : pourquoi privilégier ces compétences pour définir la souveraineté et pas d’autres ?
    • Si toute entité disposant de ces compétences est souveraine, cela pourrait inclure d’autres organisations comme des collectivités locales, ce qui brouille la distinction entre État souverain et autres entités.

3. La « compétence de la compétence »

Une autre théorie définit la souveraineté comme la capacité pour un État de décider librement de ses propres compétences. Cela signifie que :

  • L’État choisit la répartition des pouvoirs sur son territoire. Par exemple, il décide si les collectivités locales peuvent légiférer ou si ce pouvoir est réservé à l’État central.
  • L’État peut transférer une partie de ses compétences à des organisations internationales tout en conservant sa souveraineté.
  • Paradoxe :
    • Un État peut, en théorie, transférer toutes ses compétences à d’autres entités tout en restant souverain selon cette définition. Cependant, s’il ne conserve aucun rôle actif, sa pertinence en tant qu’entité souveraine devient discutable.

4. Un attribut difficile à définir

La souveraineté, bien qu’essentielle à la définition de l’État, reste un concept difficile à appréhender de manière univoque. Les juristes ne s’accordent pas sur une définition universelle, oscillant entre des approches abstraites et concrètes. Elle demeure cependant un pilier fondamental de la théorie de l’État.

En résumé, l’État se distingue par sa personnalité morale, qui garantit sa permanence et ses capacités juridiques, et par sa souveraineté, caractérisée par son indépendance et son autorité suprême. Cependant, la souveraineté reste un concept complexe, soumis à des interprétations variées selon les contextes juridiques et historiques.

 

§3. Le dépassement de l’État

 

Au cours des cinquante dernières années, le rôle et les frontières traditionnelles de l’État ont été remis en question par des dynamiques politiques, économiques et sociales. Malgré une augmentation significative du nombre d’États (multiplié par quatre en raison de la décolonisation et de l’effondrement du bloc soviétique), l’État fait face à des limites importantes, exacerbées par la mondialisation et l’émergence de nouveaux modes de régulation.

 

I. Les limites du cadre étatique face au processus de mondialisation

 

L’État moderne, historiquement défini par ses frontières territoriales, voit ces dernières devenir de plus en plus perméables sous l’effet des échanges internationaux, des mobilités transnationales, et de la globalisation économique. Cette évolution limite son monopole décisionnel.

A. Les contraintes exercées sur l’État

  1. L’accroissement des échanges internationaux :

    • Le développement du commerce mondial et l’interconnexion croissante des marchés rendent les États interdépendants.
    • Les décisions économiques d’un État sont souvent influencées, voire déterminées, par des dynamiques externes (par exemple, la fluctuation des marchés mondiaux ou la demande internationale).
  2. La globalisation financière :

    • Les flux de capitaux transnationaux se sont intensifiés, limitant la capacité des États à réguler leur propre économie. La mobilité des investissements et des capitaux pousse les États à adopter des politiques économiques favorables aux acteurs internationaux pour éviter des délocalisations ou des désinvestissements.
    • Exemple : Les crises économiques, comme celle de 2008, ont montré que des phénomènes financiers globaux pouvaient gravement affecter les économies nationales, même dans les pays les plus puissants.
  3. Remise en cause du pouvoir économique de l’État :

    • L’ouverture des économies entraîne une perte d’autonomie des États dans la gestion économique, notamment en matière de fiscalité, de régulation des entreprises multinationales, ou de contrôle des devises.
    • Par exemple, les paradis fiscaux ou la concurrence fiscale entre États affaiblissent les outils traditionnels de régulation économique.

B. L’émergence de nouveaux modes de régulation

La montée en puissance des organisations internationales et des régulations transnationales reflète l’inadéquation de l’État comme cadre unique d’exercice des pouvoirs dans un monde globalisé.

  1. Organisations internationales et gouvernance globale :

    • Des institutions comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou le Fonds monétaire international (FMI) jouent un rôle central dans la régulation des échanges économiques mondiaux.
    • Ces organisations imposent parfois des politiques économiques aux États, réduisant leur marge de manœuvre. Par exemple, les conditions imposées par le FMI pour l’octroi de prêts contraignent souvent les politiques budgétaires et monétaires nationales.
  2. Régulations collectives et coopération interétatique :

    • Les défis communs, tels que le changement climatique, la gestion des pandémies ou la lutte contre le terrorisme, obligent les États à agir collectivement.
    • Exemple : Les Accords de Paris sur le climat (2015) illustrent la nécessité d’une coopération internationale pour répondre aux problématiques environnementales, dépassant les capacités d’un État isolé.
  3. Particularité des États membres de l’Union européenne :

    • Les États membres de l’UE délèguent une partie de leur souveraineté à des institutions supranationales (Commission européenne, Parlement européen, CJUE). Ces institutions prennent des décisions contraignantes qui influencent directement les politiques nationales.
    • Par exemple, la politique commerciale commune de l’UE centralise les décisions concernant les accords de libre-échange, limitant la liberté des États membres dans ce domaine.

 

II. L’exercice du pouvoir dans une entité supra-étatique : L’Union Européenne

 

 

L’Union européenne (UE) est une organisation internationale qui, bien qu’elle ne soit pas un État, exerce des fonctions et possède des caractéristiques qui s’en rapprochent. Sa construction progressive influence de plus en plus le droit constitutionnel des États membres et intègre des notions issues du droit constitutionnel, comme celles de constitution et d’acte législatif.

A. Les manifestations du processus d’intégration européenne

Depuis les années 1950, l’UE s’est structurée autour d’institutions, de compétences, et d’un système juridique propre. Ces développements lui confèrent une certaine autonomie fonctionnelle et rapprochent son organisation de celle d’un État, sans pour autant en être un.

1. La mise en place d’institutions européennes

L’UE dispose d’institutions spécifiques qui exercent des fonctions variées et reflètent des logiques démocratiques et supranationales. Ces institutions sont les suivantes :

  • Le Parlement européen :

    • Institution démocratique représentant directement les citoyens de l’UE.
    • Son rôle a évolué de simple pouvoir consultatif à un pouvoir de codécision, notamment dans le cadre de la procédure législative ordinaire.
    • Cette évolution rapproche le Parlement européen des parlements nationaux.
  • Le Conseil :

    • Composé des ministres des États membres, il représente la dimension intergouvernementale de l’UE.
    • Il exerce, conjointement avec le Parlement européen, le pouvoir législatif.
  • La Commission européenne :

    • Organe supranational indépendant des États membres, elle représente l’intérêt général de l’UE.
    • Chargée de proposer des lois, d’exécuter les politiques de l’Union, et de veiller à l’application du droit européen.
  • La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) :

    • Organe juridictionnel, elle veille au respect du droit européen par les États membres et les institutions de l’UE.
    • Elle peut sanctionner les violations du droit de l’Union.

2. L’attribution de compétences aux institutions européennes

Les institutions européennes n’exercent que des compétences attribuées par les traités. Ce sont les États membres qui définissent les domaines dans lesquels l’UE peut agir, comme l’émission de monnaie (zone euro) ou l’adoption d’actes législatifs.

  • Limite à la souveraineté de l’UE :
    • Si l’on considère que la souveraineté est la compétence de la compétence (c’est-à-dire la capacité de décider librement de ses propres compétences), alors l’UE n’est pas souveraine.
    • Les États membres restent souverains, car ils conservent le pouvoir de modifier ou de retirer les compétences transférées.

3. L’élaboration d’un droit propre à l’Union Européenne

L’UE dispose de son propre système juridique, distinct de celui des États membres, qui s’impose à ces derniers. Ce droit inclut des normes contraignantes (règlements, directives) et des mécanismes de sanction pour les violations.

  • Rapprochement avec un État :
    • Le droit européen confère à l’UE un pouvoir normatif et coercitif.
    • Cependant, l’UE n’est pas un État, car elle ne possède pas la souveraineté totale sur ses compétences.

B. Les implications du processus : la « constitutionnalisation » de l’UE

L’UE influence fortement les États membres et le droit constitutionnel tout en empruntant des notions du droit constitutionnel pour structurer son fonctionnement.

1. L’influence de l’UE sur le droit constitutionnel des États membres

L’UE modifie les concepts fondamentaux du droit constitutionnel des États dans trois dimensions principales :

  • Impact sur l’État :

    • Le principe de libre circulation (biens, personnes, services, capitaux) efface progressivement les frontières entre les États membres.
    • La notion de population évolue : l’UE impose par exemple le droit de vote aux ressortissants d’autres États membres pour les élections municipales et européennes.
    • Le pouvoir normatif des États est limité dans les domaines où l’UE exerce ses compétences. Par exemple, un État membre ne peut plus légiférer seul en matière de politique commerciale commune.
  • Impact sur la souveraineté :

    • Les États restent souverains au sens de la compétence de la compétence, mais ils n’exercent plus toutes leurs compétences de manière autonome.
    • En France, le Conseil constitutionnel a reconnu que certaines dispositions européennes pouvaient affecter les conditions d’exercice de la souveraineté nationale.
  • Impact sur la Constitution :

    • Depuis 1992, la Constitution française a été modifiée à plusieurs reprises pour intégrer des dispositions issues du droit européen. Par exemple, l’adoption du Traité de Maastricht a nécessité une révision constitutionnelle pour autoriser le droit de vote des ressortissants européens non français aux élections locales.

2. L’emprunt des notions de droit constitutionnel pour l’analyse de l’UE

La CJUE a été la première à utiliser des notions de droit constitutionnel pour décrire l’Union européenne. Elle qualifie les traités fondateurs de l’Union de « charte constitutionnelle ».

  • Tentative de constitutionnalisation : En 2004, un traité établissant une constitution pour l’Europe a été proposé, mais rejeté par référendum en France et aux Pays-Bas en 2005. Cet échec a mis en pause les discussions sur l’adoption formelle d’une « Constitution européenne ».

  • Évolution conceptuelle :Bien que l’UE ne soit pas un État, la frontière entre droit constitutionnel et droit de l’Union européenne devient de plus en plus floue. Cependant, le droit constitutionnel reste fortement ancré dans la notion d’État.

En résumé, bien que l’UE ne soit pas un État, elle emprunte des caractéristiques qui la rapprochent des entités étatiques, notamment par ses institutions, son système juridique propre et son impact sur les États membres. Cependant, elle reste subordonnée aux souverainetés nationales, ce qui limite sa nature supra-étatique.

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