Existe-t-il une responsabilité générale du fait d’autrui ?

La responsabilité générale du fait d’autrui

C’est lorsqu’une personne commet une faute ou cause un dommage à autrui, mais que c’est une autre personne qui doit en répondre. Ceci peut surprendre car celui qui doit réparer le dommage n’est pas celle qui l’a causé. De plus, l’idée de responsabilité du fait d’autrui heurte en soi l’idée d’égalité entre les individus. en effet, être responsable pour autrui signifie à priori que ce « autrui » n’est pas entièrement responsable de ses actes, et, dès lors, n’est pas entièrement libre.

Plusieurs explications.

  • · La solidarité : il existe un lien particulier entre le responsable du fait d’autrui et autrui dont il est responsable.
  • · La présomption de faute du « civilement responsable ». Responsabilité du fait personnel présumé, exemples, les parents n’ont pas correctement éduqué ou surveiller leurs enfants. Désormais, les parents ne peuvent s’exonérer par cette voie.
  • · Le risque : il faut assumer les conséquences.

Le code civil ne prévoyait initialement que 3 régimes de responsabilité. Ce n’est qu’en 1991 que la jurisprudence (assemblée plénière de la cour de cassation, arrêt Blieck du 29/03/1991) a découvert dans l’alinéa 1 de L’article 1384 un principe général du fait d’autrui. mais ce principe général  demeure marginal par rapport à l’utilisation de cas ou régimes spéciaux qui existaient dès 1804. La liste de ces cas spéciaux n’a pas été modifiée, mais leur régime a beaucoup évolué surtout depuis 1991 et l’admission du principe général de la responsabilité du fait d’autrui, qui est une responsabilité objective.

 

Section 1. La découverte du principe général de la responsabilité du fait d’autrui.

Sur la base de l’article 1384 alinéa 1er, principe général de responsabilité du fait d’autrui. Tout ce qui suit dans ce chapitre est invoqué sur ce principe. Ici, c’est une responsabilité alternative et non pas cumulative, ainsi on ne pas invoquer ce principe général et même temps un cas spécial comme par exemple la responsabilité des pères et mères.

Initialement, au 19ème la doctrine rejetait toute idée de principe général de responsabilité du fait d’autrui. La jurisprudence refusait aussi de s’engager dans cette voie. Le code civil ne contenait que des cas spéciaux de responsabilité du fait d’autrui, limitativement énumérés aux alinéas 4 à 8, et annoncés par l’alinéa 1er de l’article 1384.

Peu à peu l’idée se fera jour, c’est le doyen René Savatier qui en est le précurseur. Suite à la consécration de la responsabilité du fait des choses, il publie en 1933 un article au titre prophétique « la responsabilité générale du fait des choses que l’on a sous sa garde a-t-elle pour pendant une responsabilité générale du fait des personnes dont on doit répondre ? ».

Après la seconde guerre mondiale, des situations, où des mineurs se trouvent sous la garde d’une personne physique ou morale, apparaitront (établissement qui accueille des handicapés, des maisons de retraite, des colonies de vacances, des clubs sportifs).

L’article 1384 ne visait pas ce type de nouvelles relations. Les victimes étaient alors obligées d’invoquer une faute de surveillance de ces associations ou établissements, sur le fondement des articles 1382 et 1383 (responsabilité du fait personnel pour défaut de surveillance), et s’exposaient de ce fait à une exonération possible du responsable du fait d’autrui par la démonstration de l’absence da faute ou par la preuve d’une cause étrangère (cas de force majeure ou faute de la victime).

C’est la jurisprudence administrative qui a été le précurseur de la responsabilité du fait d’autrui en admettant dans les années 1950 que la responsabilité de l’état était engagée sans fautes pour les mineurs délinquants placés dans une institution de détention, ce sur le fondement du risque.

Ainsi, la Cour de Cassation opérera un revirement de jurisprudence spectaculaire, par l’arrêt Blieck de 1991 (handicapé met le feu à une forêt) – motif : « l’association avait accepté la charge d’organiser et contrôler à titre permanent le mode vie de cet handicapé ». Le projet Terré, article 13 à 18, consacre ce principe de responsabilité du fait d’autrui, le critère fondateur étant l’autorité et le contrôle sur la vie d’autrui. 

Section 2. Les conditions.

Elle suppose qu’il existe un lien entre le responsable et celui qui a matériellement causé le dommage, ce lien réside dans la garde d’autrui.

Le gardé doit avoir commis un fait dommageable pour engager la responsabilité du gardant (la responsabilité des parents est engagée même si l’enfant n’a pas commis de faute).

  • 1. La notion de garde d’autrui.

Difficile à définir. Il existe aujourd’hui 2 sortes de garde d’autrui.

Elle peut être permanente ou occasionnelle. Il faut un lien, qui consiste dans la garde d’autrui.

A) La garde permanente.

Ou responsabilité de ceux qui acceptent la charge d’organiser et de contrôler la vie d’autrui. 

Sont responsables du fait d’autrui ceux qui ont la charge d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d’autrui. Ceci se retrouve aussi dans le fait d’une personne vulnérable (personnes handicapée), ainsi les associations ou foyers qui les accueillent sont responsables. Cette notion est similaire à la notion de garde de la chose, définie comme le pouvoir d’usage, de direction et de contrôle sur la chose.

Ceci appliqué, à des associations qui prennent en charge des mineurs délinquants ou des structures qui accueillent des mineurs au titre de mesures d’assistance éducative et aux établissements qui accueillent des handicapés.

Arrêt 22/05/2003 un mineur est confié à titre de mesures éducatives, le mineur est confié à un agriculteur, le mineur conduit un tracteur et l’agriculteur passe dessous, il se retourne contre l’association à juste titre.

C’est la décision administrative ou de justice par laquelle l’association se voit officiellement confier la garde d’un mineur ou d’un majeur incapable qui fonde la garde d’autrui.

La responsabilité peut être engagée sur un fondement délictuel. Mais si la personne a été placée par un simple contrat conclut par les responsables de la personne placée et l’association, c’est au contraire alors la responsabilité contractuelle qui sera applicable (arrêt 1ère Civ. du 15/12/2011 pensionnaire d’une maison de retraite atteint d’Alzheimer qui est frappé dans la nuit par autre pensionnaire frappé de la même maladie, il décède et les ayants droit poursuivent la maison de retraite sur le fondement de L’article 1384 alinéa 1, alors qu’ils auraient dû se fonder sur le contrat. La cassation a rejeté le pourvoi au motif que les ayants droit auraient dû se fonder sur la responsabilité contractuelle).

On s’est demandé si le principe général de la responsabilité du fait d’autrui pouvait s’étendre au tuteur. Cette question est très ancienne ; dès le 18ème Pottier s’interrogeait sur cela et il considérait que le tuteur devait être responsable.

Après 1991 quand est apparu le fait d’autrui, la responsabilité générale du fait d’autrui a été appliqué au tuteur d’un mineur(Criminelle. 28/03/2000, enfant qui jouent avec carabine en blesse un autre, le beau-père tuteur a été déclaré responsable, il avait accepté en tant que tuteur, la garde du mineur et la charge d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d’autrui). Pour les majeurs, la Cassation s’est refusée d’admettre la responsabilité du tuteur (25/02/1998), on explique cela par le fait qu’il serait inopportun de décourager les bonnes volontés de ceux qui acceptent la lourde charge d’un majeur incapable.

On s’est aussi demandé si cela pouvait être étendu aux membres de la famille. La jurisprudence refuse d’étendre ce principe aux membres de la famille. La question s’est posée fréquemment pour les grands-parents, on n’a pas besoin de recourir à la faute du fait d’autrui (arrêt de 2004, pas possible de se référer L’article 1384 alinéa 1), seule une faute personnelle peut être recherchée sur les articles 1382 et 1383 (ils ne gèrent pas quotidiennement leur éducation).

On cherche à tout prix quelqu’un qui puisse payer et on cherche aussi le plus solvable, ainsi on peut poursuivre les enfants (1382 et 1383), les parents (art.1384 alinéa 4) et les grands-parents.

B) La garde occasionnelle.

Ou responsabilité de ceux qui acceptent pour mission d’organiser et de contrôler l’activité d’autrui. 

La jurisprudence a admis la responsabilité générale du fait d’autrui lorsque le contrôle et l’organisation porte non pas sur le mode de vie mais sur l’activité d’autrui. C’est aujourd’hui le domaine privilégié d’application.

C’est surtout à propos d’associations sportives qu’on a étendu cela à la garde temporaire, par 2 arrêts Civ. 2ème du 22/05/1995 (2 joueurs blessé, 1 gravement l’autre mortellement, ils attaquent le club sur le fondement des articles 1382 et 1383, mais aussi sur le fondement du principe de la responsabilité du fait d’autrui 1384 alinéa 1er ; la cour de cassation a décidé que l’association sportive était responsable du fait de ses membres).

Le domaine d’application concerne les associations sportives au cours de championnats ou même au cours de simples entrainements, puis la solution a été étendue aux associations de loisirs (même les associations de supporters sont donc responsables des dégradations commises par leurs membres).

La cour de cassation a refusé d’admettre ce principe de garde occasionnelle pour les associations de chasse (11/09/2008 2ème Civ.), les syndicats (qui n’ont pas pour mission de diriger ou de contrôler les actions de leurs membres, arrêt du 26/10/2006, 2ème Civ.)

Aujourd’hui sur ce fondement on ne sait pas jusqu’où on va pouvoir aller et s’il faut par exemple l’étendre aux personnes qui gardent des enfants (crèches, nounous, etc…).

  • 2. Le fait dommageable d’autrui.

Pour engager la responsabilité du gardien, est-ce que le fait dommageable commis par autrui doit nécessairement être fautif ?

La question se pose, car, par exemple, la responsabilité des pères et mères est engagée par le seul fait causal de leur enfant, il n’est pas nécessaire que l’enfant commette un faute civile (art.1382 ou 1383).

Dans un premier temps la cassation est demeurée silencieuse. C’est par un arrêt du 20/11/2003 qu’elle a clarifié la question ; elle exige désormais une faute civile de l’auteur du préjudice. Ainsi le fait dommageable d’autrui pour engager la responsabilité du gardien d’autrui, doit être une faute ou un fait générateur de responsabilité civile (faute ou garde de la chose). L’association ne verra sa responsabilité engagée que si le sportif a commis une faute ou était gardien de la chose. Cette solution a été confortée par un arrêt de la cassation en assemblée plénière du 29/06/2007. La solution est depuis constante.

  • 3. Les effets du régime général de la responsabilité d’autrui.

A) L’action de la victime.

Lorsque les conditions de la responsabilité du fait d’autrui sont réunies la victime peut agir à l’encontre du gardien d’autrui qui devra réparer l’entier préjudice (arrêt Blieck).

On peut penser que, dans la logique de réparation intégrale, la victime aura le choix d’agir contre le gardien d’autrui seul, comme par exemple les parents (1384 alinéa 4), d’agir contre le seul auteur du dommage (1382, 1383 et 1384 alinéa 1) ou agir contre les deux.

B) L’exonération du responsable du fait d’autrui.

Le gardien d’autrui peut-il s’exonérer en prouvant qu’il n’a pas commis de faute ? 

La responsabilité générale du fait d’autrui n’est pas subordonnée à la preuve d’une faute du responsable pour autrui (la victime n’a pas à apporter la preuve d’une telle faute).

Une question s’est posée, ce régime crée-t-il une présomption simple de faute ? 

Si c’est le cas le responsable du fait d’autrui pourrait s’exonérer en apportant la preuve qu’il n’a pas commis de faute ; c’est ce qui a prévalu pendant un temps pour les parents (je l’ai surveillé, je l’ai bien élevé…).

Au contraire y a-t-il une présomption de responsabilité de plein droit ? 

Dans ce cas c’est une responsabilité indépendante d’une question de faute, et le responsable ne pourrait s’exonérer qu’en apportant la preuve d’une force majeure ou de la faute de la victime.

La jurisprudence s’est prononcée en faveur d’une responsabilité de plein droit, les personnes tenues de répondre du fait d’autrui ne peuvent pas ainsi s’exonérer de leur responsabilité en démontrant qu’ils n’ont pas commis de faute.

Seule la preuve d’une cause étrangère – force majeure ou faute de la victime – peut exonérer le responsable pour autrui (arrêt Bertrand du 19/02//1997 de la chambre criminelle de la Cour de Cassation).

L’alignement s’est ainsi fait sur le régime le plus sévère, et ce sont les régimes spéciaux qui se sont alors ajustés et à leur tour durcis : c’est ainsi que la responsabilité  des pères et mères du fait de leur enfant mineur est devenue, avec l’arrêt Bertrand de 1997, également une responsabilité de plein droit.

Isa Germain

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