Comment l’usufruit prend fin ?

L’extinction de l’usufruit : causes, conséquences

Le démembrement de la propriété, tel qu’établi par le droit positif français, se caractérise notamment par l’existence d’un droit réel temporel, l’usufruit, dont l’extinction intervient selon des modalités strictement encadrées par le Code civil et la jurisprudence. Ce droit, par essence viager lorsqu’il est constitué au profit d’une personne physique, ne se transmet pas par succession. Il existe néanmoins des dispositions particulières pour les personnes morales et des règles spécifiques lorsque l’usufruit est détenu par plusieurs usufruitiers. L’analyse suivante se fonde exclusivement sur le droit positif, en se référant aux textes législatifs et à une jurisprudence constante, sans aborder d’éléments prospectifs ou conceptuels relatifs aux défis à venir.

Les mécanismes d’extinction de l’usufruit, tels que définis par le droit positif français, visent à assurer le retour rapide à la pleine propriété et à préserver l’équilibre entre les droits de l’usufruitier et ceux du nu-propriétaire. Les principales causes d’extinction sont les suivantes :

  • Extinction naturelle : Pour les personnes physiques, l’extinction survient au décès de l’usufruitier ou à l’échéance d’un terme déterminé. Pour les personnes morales, l’usufruit est limité à 30 ans, sans possibilité de prolongation par convention.
  • Extinction par non-usage : Le non-exercice du droit pendant 30 ans entraîne la disparition de l’usufruit, permettant ainsi de rétablir la pleine propriété.
  • Extinction par déchéance : En cas d’abus de jouissance ou de négligence caractérisée, l’usufruit peut être déchu par décision judiciaire afin de protéger la substance du bien.
  • Extinction par consolidation : La réunion des droits d’usufruit et de nue-propriété sur une même tête, que ce soit par héritage ou par achat, entraîne l’acquisition de la pleine propriété.
  • Extinction en cas de pluralité : Dans le cas de pluralité d’usufruitiers, l’extinction se fait individuellement, sans affecter le droit des survivants, conformément aux principes établis par le droit positif.

I. Caractéristiques générales de l’usufruit et de son extinction

L’usufruit est un droit réel temporaire qui confère à son titulaire le droit d’utiliser et de percevoir les fruits d’un bien dont il n’est pas propriétaire, tout en ayant l’obligation de conserver la substance de ce bien. Par principe, il s’agit d’un droit limité dans le temps et, pour une personne physique, viager. La nature même de ce droit implique que, dès lors que l’usufruitier décède ou que son droit expire pour une autre cause, le démembrement cesse et la pleine propriété revient intégralement au nu-propriétaire.

A. Principe de temporalité et caractère viager

  1. Temporalité de l’usufruit
    • L’usufruit est, par principe, un droit réel limité dans le temps. Chez les personnes physiques, il est généralement viager, c’est-à-dire qu’il cesse au décès de l’usufruitier, sans transmission successorale de ce droit (cf. article 617 du Code civil).
    • La nature non transmissible par succession de l’usufruit des personnes physiques est une originalité qui garantit que la pleine propriété reviendra au nu-propriétaire dès la disparition de l’usufruit.
  2. Cas particulier des personnes morales
    • Lorsqu’un usufruit est constitué au profit d’une personne morale, la règle de temporalité doit être adaptée, car l’existence d’une personne morale n’étant pas déterminée dans le temps, le droit doit trouver une limite objective.
    • L’article 619 du Code civil prévoit que l’usufruit confié à une personne morale ne peut excéder 30 années, règle impérative confirmée par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 7 mars 2007.
    • Application stricte : Qu’une convention soit conclue en une ou plusieurs fois, la durée totale de l’usufruit au profit d’une personne morale ne saurait dépasser 30 ans, ce qui assure une limite temporelle imposée par le droit positif.

B. Extinction de l’usufruit en cas de pluralité d’usufruitiers

Le cas de pluralité d’usufruitiers soulève des questions quant à l’extinction simultanée ou partielle du droit d’usufruit.

  1. Pluralité des usufruitiers sur un même bien
    • Lorsqu’un usufruit est constitué pour plusieurs personnes, chacune est censée détenir un droit individuel et distinct, bien que l’usufruit ne soit qu’un droit réel unique sur la chose.
    • La jurisprudence et le droit positif reconnaissent que, dans une situation de pluralité, l’extinction de l’usufruit se produit pour le ou les usufruitiers décédés, tandis que le droit se poursuit pour ceux qui survivent.
    • Questions soulevées :
      • Si l’on se demande si l’usufruit cesse au premier décès, la réponse est négative : il demeure pour les usufruitiers survivants.
      • Chaque usufruitier exerce son droit en rapport individuel, et la pluralité n’entraîne pas une extinction totale de l’usufruit tant qu’un ou plusieurs titulaires sont en vie.
  2. Cas où certains usufruitiers sont des personnes physiques et d’autres des personnes morales
    • Lorsque l’usufruit est partagé entre une ou plusieurs personnes physiques et une personne morale, des règles spécifiques s’appliquent.
    • Si toutes les personnes physiques usufruitières décèdent avant le terme fixé pour la personne morale, l’usufruit de cette dernière se maintient pour la durée maximale de 30 ans, conformément à l’article 619 du Code civil.
    • À l’inverse, si certains usufruitiers physiques survivent au-delà de 30 ans alors que l’usufruit de la personne morale doit prendre fin, l’usufruit des personnes physiques continue jusqu’à leur décès, tandis que celui de la personne morale se termine à l’expiration de la période légale maximale.

C. Usufruits conventionnels et limites temporelles

  • Usufruits conventionnels
    L’usufruit peut également être constitué par convention, avec un terme fixé contractuellement. Dans ce cas, il peut expirer avant la mort de l’usufruitier, ce qui permet aux parties de mettre fin au démembrement selon des modalités prévues dans la convention.
  • Plafond légal pour les personnes morales
    Le droit positif impose une limite temporelle stricte pour les usufruits constitués au profit de personnes morales, de sorte qu’aucune convention ne peut contourner la règle des 30 ans.
  • Conclusion sur la temporalité
    En résumé, l’extinction de l’usufruit intervient soit par le décès de l’usufruitier (ou des usufruitiers), soit par l’expiration du terme convenu, soit par l’atteinte de la limite légale pour les personnes morales.

II. Autres causes d’extinction prévues par le droit positif

Au-delà de l’extinction liée à la temporalité, le droit positif français prévoit d’autres causes d’extinction qui favorisent le retour rapide à la pleine propriété.

A. Extinction par non-usage prolongé

  • Principe de non-usage trentenaire
    • Le droit positif prévoit que l’usufruit peut s’éteindre par le seul fait du non-usage prolongé, c’est-à-dire si l’usufruitier ne se sert pas de son droit pendant une période de 30 ans.
    • Ce mécanisme, distinct de la prescription extinctive classique, repose sur l’idée que le droit d’usufruit doit être activement exercé pour conserver sa validité.
  • Conséquences de la non-exploitation
    • L’extinction par non-usage permet de rétablir la situation de pleine propriété en l’absence d’un exercice effectif du droit, garantissant ainsi que le démembrement ne perdure pas indéfiniment sans utilisation.
    • Ce cas est appliqué strictement, et la preuve d’un non-usage de 30 ans est suffisante pour que l’usufruit soit considéré comme éteint.

B. Extinction par déchéance pour abus de jouissance

  • Concept de déchéance
    • La déchéance de l’usufruit, différente de la prescription extinctive, se produit lorsque l’usufruitier, par son comportement, porte atteinte à la substance du bien.
    • Ce mécanisme est prévu par l’article 618 du Code civil et vise à sanctionner un abus de jouissance qui entraîne une dévalorisation progressive du bien.
  • Critères de déchéance
    • L’usufruitier peut être déchu de son droit s’il omet de réaliser les dépenses d’entretien courantes, entraînant ainsi une dégradation du patrimoine.
    • La déchéance constitue une mesure de protection du nu-propriétaire, qui peut soit contraindre l’usufruitier par la loi à exécuter ses obligations, soit invoquer la déchéance pour mettre un terme à l’usufruit.
  • Procédure et effets
    • La déchéance est prononcée par le juge, sur le fondement des faits constatant l’abus ou la négligence de l’usufruitier.
    • Une fois la déchéance prononcée, l’usufruit s’éteint rétroactivement, et la pleine propriété est rétablie pour le nu-propriétaire, ce qui permet une réparation du préjudice subi.

C. Extinction par consolidation et acquisition de la pleine propriété

  • Consolidation
    • La consolidation se produit lorsque l’usufruit et la nue-propriété se retrouvent réunis sur une même tête.
    • Un exemple typique est celui où un usufruitier hérite également de la nue-propriété, rétablissant ainsi la pleine propriété et mettant fin au démembrement.
  • Acquisition par achat
    • L’usufruit peut également s’éteindre lorsque l’usufruitier acquiert la nue-propriété par voie de vente.
    • Dans ce cas, l’achat entraîne la réunion des deux droits, et l’usufruit prend fin, conduisant à l’acquisition de la pleine propriété par l’acheteur.

III. Particularités de l’extinction en cas de pluralité et de personnes morales

La pluralité des usufruitiers et la présence de personnes morales dans le partage de l’usufruit posent des problématiques spécifiques quant aux modalités d’extinction.

A. Pluralité d’usufruitiers

  1. Extinction partielle en cas de décès individuel
    • Lorsque plusieurs usufruitiers sont constitués, l’extinction s’opère individuellement :
      • Le décès de l’un d’eux entraîne l’extinction de son droit d’usufruit, tandis que les usufruitiers survivants conservent leurs droits.
      • Chaque usufruitier jouit d’un droit individuel et son extinction n’affecte pas nécessairement l’exercice du droit par les autres titulaires.
  2. Cas mixte – personnes physiques et morales
    • Dans une configuration mixte, où l’un des usufruitiers est une personne morale et les autres des personnes physiques, les règles s’appliquent de manière spécifique :
      • L’usufruit de la personne morale est plafonné à 30 ans, indépendamment de la survie des usufruitiers physiques.
      • Si, avant la fin des 30 ans, toutes les personnes physiques décèdent, l’usufruit de la personne morale continue jusqu’à atteindre la limite légale.
      • Inversement, si des usufruitiers physiques survivent au-delà des 30 ans, leur droit se poursuit jusqu’à leur décès, tandis que l’usufruit de la personne morale s’éteint à l’expiration des 30 ans.

B. Dissolution ou disparition d’un usufruitier parmi plusieurs

  • Dissolution d’une personne morale
    • Si, parmi plusieurs usufruitiers, une personne morale venait à être dissoute, le droit d’usufruit subsiste tant qu’un ou plusieurs usufruitiers continuent d’exister.
    • La dissolution d’un usufruitier n’entraîne pas l’extinction totale de l’usufruit sur le bien ; il faut considérer chaque droit de manière individualisée.
  • Impact sur le démembrement global
    • La persistance de l’usufruit dépend de la continuité d’au moins un usufruitier, qu’il soit physique ou moral, dans le respect des règles de temporalité et des limites légales imposées.

IV. Le droit d’usage et d’habitation : une forme restreinte d’usufruit

Le droit d’usage et d’habitation est un droit réel, proche de l’usufruit, mais dont l’étendue est limitée à une ou quelques utilités spécifiques du bien concerné.

A. Définition et étendue du droit d’usage et d’habitation

  1. Nature et contenu du droit
    • Selon les dispositions des articles 625 et suivants du Code civil, le droit d’usage et d’habitation découle du démembrement de la propriété et autorise son titulaire à utiliser le bien pour certaines utilités, sans pour autant en percevoir tous les fruits.
    • À la différence de l’usufruit, qui comprend à la fois l’usus et le fructus, le droit d’usage se limite à l’utilisation personnelle et ne permet pas la perception des fruits liés à l’exploitation économique du bien.
  2. Caractéristiques spécifiques
    • L’usager ne peut tirer profit que de l’utilité spécifique pour laquelle le droit lui a été attribué. Par exemple, dans le cas d’un droit d’usage portant sur une parcelle comportant un bâtiment d’habitation, seuls l’usager, son épouse et ses enfants sont autorisés à occuper le logement.
    • L’usager n’est pas habilité à prêter ou à autoriser des tiers à utiliser le bien. Cette limitation reflète la nature personnelle et non transmissible du droit d’usage.

B. Différence entre droit d’usage et usufruit

  • Étendue des prérogatives
    • L’usufruit confère une jouissance complète du bien, incluant le droit d’usage ainsi que le droit de percevoir les fruits produits par le bien.
    • En revanche, le droit d’usage se limite strictement à l’utilisation du bien pour les besoins personnels de l’usager, sans possibilité de tirer des revenus ou des fruits (sauf ceux directement liés à l’utilité).
  • Implications juridiques
    • Le droit d’usage ne permet pas à son titulaire de conclure des contrats de location ou de mettre en place des opérations de gestion économique visant à percevoir des revenus, contrairement à l’usufruitier.
    • Par conséquent, l’exercice du droit d’usage se restreint à une utilisation strictement personnelle et ne peut être confondu avec l’étendue complète du droit d’usufruit.

 

Résumé :
En droit positif français, l’extinction de l’usufruit intervient principalement par le décès de l’usufruitier, par l’expiration d’un terme convenu, ou par l’application de mécanismes spécifiques tels que le non-usage sur 30 ans, la déchéance pour abus de jouissance, ou la consolidation des droits. Pour les personnes morales, l’usufruit est limité à 30 ans, et en cas de pluralité d’usufruitiers, l’extinction se fait individuellement. Le droit d’usage et d’habitation, une forme restreinte d’usufruit, se distingue par son champ d’application limité à l’utilisation personnelle sans perception de fruits. Ces règles, établies par le Code civil et confirmées par la jurisprudence, garantissent le retour à la pleine propriété dans le respect des obligations de chaque partie.

Sources et références

  • Code civil
    • Article 617 : Causes d’extinction de l’usufruit.
    • Article 619 : Limitation de la durée de l’usufruit pour les personnes morales à 30 ans.
    • Articles 625 et suivants : Dispositions relatives au droit d’usage et d’habitation.
    • Articles 618 et 621 : Dispositions sur la déchéance et la consolidation de l’usufruit.
    • Articles 605, 606, 607 : Répartition des charges et réparations dans le cadre du démembrement.
  • Jurisprudence
    • Arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 7 mars 2007 confirmant l’impossibilité pour une personne morale de bénéficier d’un usufruit excédant 30 ans.

Laisser un commentaire