Fait des choses : conditions et causes d’exonération

Le mécanisme général de la responsabilité du fait des choses.

Depuis la réforme du droit des obligations, le régime de la responsabilité du fait des choses est codifié à l’article 1243 et s’applique aux faits des animaux (actuel art. 1385). Il n’est plus fait mention de manière spécifique de la responsabilité du fait des bâtiments menaçant ruine (art. 1386).

Quelques arrêts importants du droit de la responsabilité du fait des choses :

Cass. 2 Décembre 1941, Franck : Définition de la garde. Pour être gardien d’une chose il faut en avoir l’usage, la direction et le contrôle.
– Cass. 5 Janvier 1956, Oxygène liquide : La jurisprudence a fait une distinction, pour les choses dangereuses ayant un dynamisme propre, entre la garde de la structure de la chose et la garde du comportement de la chose.
– Cass. 13 Février 1930, Jand’heur : Dans cet arrêt la cour de cassation abandonne toute référence à des éléments subjectifs pour considérer que la responsabilité du fait des choses est fondée sur une présomption de responsabilité.

Paragraphe 1 => Les condition de mise en jeu de la présomption de responsabilité du gardien

1384 al. 1er => «on est responsable … du dommage … qui est causé par le fait … des choses que l’on a sous sa garde» <= jurisprudence dégage 3 condition

=> la nécessité d’une chose

=> le fait de la chose est la cause du dommage

=> le gardien de la chose

A/ La chose

  1. Le principe

– toutes les choses (corporelle) sont a priori concernées => biens mobiliers/immobiliers, solides/liquides/gazeux, ondes électriques, …

  1. Les exclusions

– biens visés par des textes spéciaux écartant le régime général

– régime spécial de responsabilité => animaux (1385) ; bâtiment victime d’un incendie (1384 al. 2) ; bâtiment tombant ruine (1386) ; téléphériques ; énergie nucléaire ; véhicules terrestres à moteur (loi 1985) ; produits défectueux (loi de 1998 bien qu’une application de l’article 1384 al. 1er ne soit pas interdite) ; éléments du corps humain ; choses sans maîtres

– les choses concernées ne présentent pas de caractéristiques particulières

B/ Le fait de la chose

– régime de la Responsabilité du Fait des Choses repose sur une relation de causalité Fait Générateur /Dommage => le fait de la chose est le Fait Générateur de Responsabilité

– «fait de la chose» sous-entend également une condition de causalité <= chose cause du dommage

– exigence d’un Lien de Causalité traduit par une présomption de causalité au profit de la victime

  1. Principe de présomption de causalité

– jurisprudence a considéré dès l’origine que la victime n’avait pas à prouver que la chose était la cause du dommage au sens de condition sine qua non du dommage => il suffit qu’elle établisse le fait de la chose (simple intervention dans la réalisation du dommage)

– intervention de la chose permet de déduire l’intervention causale <= déduction = présomption <= le gardien pourra démontrer que, si la chose est intervenue, elle n’est pas pour autant la cause du dommage

  1. La mise en œuvre de cette présomption

– jurisprudence a distingué plusieurs hypothèses pour faire jouer cette présomption :

La chose en mouvement entrée en contact avec la victime

– hypothèse la plus favorable à la victime <= il suffit d’établir que la chose était en mouvement et qu’il y a eu contact => présomption de causalité.

La chose inerte

– malgré l’existence d’un contact chose/siège du dommage, présomption de causalité nécessite un élément supplémentaire apporté par la victime => anormalité de la chose (position, …) <= exigence posée par 18 fév. 1941, Epoux Cadet (avant présomption de causalité si chose inerte entrée en contact)

– dès 1998, doctrine envisage un abandon de la jurisprudence Cadet car jusqu’en 2005, plusieurs décision (notamment une concernant des baies vitrées brisées car heurtées par la victime) n’exigent plus la preuve de l’anormalité mais se contente du contact

– solution étendue à d’autres hypothèses (boîte aux lettres, plot en béton …)

– décision 24 fév. 2005 revient sur la tendance et réaffirme clairement l’exigence d’anormalité, mais facilite sa preuve (rapportée par la victime) <= «la porte vitrée brisée était fragile, ce dont il résultait que la chose en raison de son anormalité [sa fragilité], avait été l’instrument du dommage»

=> on déduit l’anormalité du fait que la porte se soit brisée

– condition d’anormalité réaffirmée à propos d’autres choses que des baies vitrées

En l’absence de contact

– jurisprudence exige que la victime démontre le rôle actif de la chose ou prouve que la chose a été l’instrument du dommage

– assouplissements du régime => victime aidée par des présomption pesant sur le propriétaire => présomption d’imputabilité de la responsabilité du dommage au gardien

projets de réforme => principe maintenu ; mais pour Catala => la victime doit prouver soit le vice de la chose, soit l’anormalité de sa position ou de son état.

C/ La détermination du gardien responsable

  1. La définition du gardien

– fixée par 2 déc. 1941, Franck => conception matérielle de la garde + 2 principes complémentaires

  1. a) Le choix de la conception matérielle de la garde

– avant, hésitation conception juridique/matérielle de la garde <= dans la 1re, le gardien est celui ayant sur la chose des pouvoirs d’ordre juridique => gardien assimilé au propriétaire

– conception matérielle => gardien = pouvoir matériel => celui qui utilise la chose au moment du dommage

– Arrêt Franck (dom. causé par une voiture volée) => «le gardien est celui qui, au moment du dommage a les pouvoirs d’usage, de contrôle et de direction de la chose» => usage/contrôle => pouvoirs matériels ; direction => pouvoir intellectuel

=> enjeu important en l’espèce => voleur introuvable <= responsabilité du gardien <= conception matérielle de la garde

– définition du gardien jamais remise en cause

  1. b) Les deux principes complémentaires déduits de l’arrêt Franck

– présomption de garde sur le propriétaire => propriétaire peut au moment du dommage, ne pas réunir les 3 pouvoirs caractérisant la garde => présomption simple ne visant qu’à faciliter la preuve pour la victime

– la garde est alternative, et non cumulative => il ne peut y avoir deux gardiens en même temps

  1. Les applications particulières de la garde
  2. a) La question du transfert de garde

– le propriétaire peut combattre la présomption de garde en prouvant son transfert à un tiers (qui peut lui même transférer son pouvoir de garde à une autre personne.)

chose enlevée à l’insu ou vs le gré du propriétaire => transfert de garde admis

chose confiée à un tiers <= le propriétaire a t’il transférer en même temps que le pouvoir d’utiliser la chose, le pouvoir de direction, voire de contrôle ? En principe les 3 pouvoirs sont cumulatifs pour identifier le gardien <= en cas de dissociation entre ces 3 pouvoirs, jurisprudence considère que le propriétaire reste gardien

=> commettant/préposé => préposé, subordonné, ne peut pas être gardien

prêt d’une chose => absence du propriétaire = déchéance des 3 pouvoirs ; mais si présence du propriétaire au moment du dommage, difficultés d’espèce :

=> propriétaire prête une échelle à un ami voulant lui montrer comment peindre => transfert

=> propriétaire propose à un tiers de monter pour cueillir les fruits => pas de transfert

=> Critère => initiative ou non du propriétaire

  1. b) Les hypothèses de garde commune ou collective

– ces hypothèses vont à l’encontre du principe de garde alternative déduit de l’arrêt Franck de 1941

– parfois, jurisprudence utilise la «garde coll.» dans le cas d’activités de groupe/de loisirs. «lorsqu’une utilisation privative de la chose dissimule un pv de décision partagé«

– actuellement, recul de l’application de la notion de garde coll. (jeux coll., jeux d’enfants entraînant un incendie…) depuis les mesures énoncées en 2005 <= dernières décision excluent la notion

=> Civ. 2e, 13 janv. 2005pour les matchs de football

=> 2 oct. 2006, Lexis Nexis pour les jeux d’enfants

  1. c) La distinction de la garde de la structure et de la garde du comportement

– distinction subtile proposée par la doctrine pour déplacer à la responsabilité du fait des choses des pers. l’utilisant avec les 3 pouvoirs vers le fabricant de la chose

=> celui qui a les pouvoirs => gardien <= gardien du comportement

=> gardien tenu responsable => gardien de la structure <= le fabricant

=> seul le gardien de la structure sera tenu responsable <= pas de cumul

– distinction doctrinale reprise par un arrêt du 30 juin 1953, Oxygène liquide <= dommage causé par l’explosion d’une bouteille d’oxygène comprimé pendant son transport => victimes recherchaient la responsabilité du conducteur ayant les 3 pouvoirs <= Cassation écarte sa responsabilité pour retenir celle du fabricant en tant que gardien de la structure de la chose <= notion admise dans la mesure où il s’agissait d’une chose doté d’un dynamisme propre et dangereux <= le gardien de la structure ayant doté cette chose d’un dynamisme propre et dangereux devient le gardien responsable

– mais, même pour une chose dotée d’un dynamisme propre/dangereux, le gardien du comportement peut être désigné comme le gardien à la place du gardien de la structure => attitude du gardien du comportement cause du dommage causé par la chose

– distinction utilisée également pour des produits gazeux (dynamisme propre/dangereux) ou pour des implosions de postes de télé ; ou encore plus récemment à propos des vaccins soupçonnés d’accélérer certaines maladies

  1. d) La garde sans discernement

– gardien => pouvoirs d’usage/contrôle/direction <= incapacité mentale compatible avec la notion de gardien ?

Assemblée plénière arrêt du 9 mai 1984, Epoux Gabillet admet la garde sans discernement d’un enfant de 3 ans ayant éborgné un camarade un bâton <= garde du bâton => inconscience du gardien au moment du dommage n’empêche pas la qualité de gardien

=> 18 déc. 1694, Trichard : la conscience passagère du gardien au moment du dommage n’empêchait pas de retenir sa qualité de gardien (conducteur pris d’une crise d’épilepsie)

Paragraphe 2 => les causes d’exonération de la responsabilité du gardien

A/ Les causes d’exonération classique

Cause d’exonération totale

– force majeure => extérieure, imprévisible, irrésistible

– fait du tiers/de la victime présentant les caractères de force majeure

Cause d’exonération partielle

– permet d’opposer le partage de Responsabilité à la victime en raison de son comportement fautif

12 juillet 1982, Desmarres, Cassation supprime la possibilité d’exonération partielle en matière de Responsabilité du fait des choses => impose la «loi du tout ou rien» pour la victime : ou bien la victime obtient la réparation totale ou elle n’obtient rien

=> provoc° pour inciter une intervention législateur dans un domaine particulier (accident de la circulation) afin de protéger les victimes dans la mesure où les dommages sont particulièrement lourds donc onéreux en terme de réparation <= pour la Cassation, il était injuste d’opposer aux victimes des partages de la responsabilité

=> loi de 1985 sur l’amélioration de la situation des victimes d’accident de la circulation et l’accélération des procédures d’indemnisation

=> interdit aux victimes de se placer sur un autre fondement que cette loi

=> les victimes ne peuvent plus utiliser les fondements de la Responsabilité civile

=> régime spécial extrêmement favorable aux victimes

=> système de l’arrêt Desmares maintenu : on parle de «clause d’exclusion«

– en 1986, Cassation revient à la solution tradition de l’exonération partielle sur le fondement de l’article 1384 al. 1er

B/ Les causes d’exénoration spécifiques empêchant l’établissement par la victime de présomption de la responsabilité

– la victime ne pourra pas établir qu’une chose est intervenue dans la réalisation du dommage

  1. Le rôle passif de la chose

– c’est l’inverse du rôle actif et de l’idée d’intervention simple de la chose dans la réalisation du dommage

– le gardien peut prouver que la chose n’avait qu’un rôle passif

=> s’il y a eu contact avec une chose en mouvement il ne pourra pas démontrer le rôle passif de la chose

=> mais si la chose était inerte et qu’il y a eu absence de contact, le gardien pourra tenter de démontrer le rôle passif

  1. L’acceptation du risque par la victime

– n’existe plus depuis 2010

– avant, il était admis que lorsque l’on se trouvait dans certains domaines particuliers, l’acceptation des risques par la victime excluait purement et simplement la possibilité d’engager la Responsabilité du Fait des Choses.

=> Domaines pour lesquels la faute est appréciée plus strictement : activés sportives…

=> Les risques acceptées par la victime sont les risques normaux, prévisibles

4 nov. 2010: Cassation abandonne l’acceptation du risque par la victime

Paragraphe 3 => Les cumuls de la responsabilité

– il est possible d’agir contre le gardien sur plusieurs fondements en même temps (fait d’autrui, gardien de la chose, commettant du préposé) ou vs plusieurs gardiens de plusieurs choses