La faute d’imprudence et de mise en danger délibérée

Les fautes délictuelles non-intentionnelles en droit pénal

On a toujours enseigné que la faute était une notion unitaire, mais la loi du 13 mai 1996 sur la responsabilité pénale des faits d’imprudence ou de négligence a fait éclater cette unité en opérant une distinction très nette entre faute d’imprudence et faute de mise en danger.

La faute non-intentionnelle ne procède pas toujours de la même démarche psychologique : la faute de mise en danger présente un caractère délibéré lui conférant une plus grande gravité. C’est une faute volontaire, commise en parfaite connaissance de cause, alors qu’en ce qui concerne la faute d’imprudence, sa réalisation échappe le plus souvent à son auteur.

A/ La faute de mise en danger délibérée

Cette faute, introduite dans le Code pénal de 1994 à l’article 121-3, va caractériser un certain nombre d’infractions, notamment le délit prévu et réprimé à l’article 221-3 du Code pénal : le délit de risque causé à autrui. Ce dernier se définit comme le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.

Cette faute de mise en danger suppose que l’auteur ait pris délibérément un risque, tout en voulant qu’aucun dommage n’en résulte. Cette prise de risque procède à la fois de la faute d’imprudence et de la faute intentionnelle, raison pour laquelle elle est hiérarchiquement entre les deux.

La faute de mise en danger se rapproche de la volonté, en ce sens que contrairement à l’intention qui suppose la volonté du résultat, la volonté au sens stricte s’apparente seulement à l’action. On dit que la faute de mise en danger caractérise une infraction formelle dans la mesure où la mise en danger n’intègre pas la volonté du résultat.

Elle consiste dans le fait de mettre autrui en danger, sans qu’un résultat dommageable n’ait été provoqué. Pour le professeur Mayaud, la faute de mise en danger n’est pas une méconnaissance intentionnelle, mais une méconnaissance volontaire. Le professeur Robert précise que la mise en danger est l’état d’esprit d’une personne qui, sachant que son comportement pourrait porter atteinte à un intérêt protégé ou réaliser une situation infractionnelle sans en avoir la certitude, persiste néanmoins à l’adopter.

La circulaire du 24 juin 1993 a apporté quelques précisions en estimant qu’il s’agissait d’un manquement délibéré à une obligation de sécurité. Cette faute réside donc dans la volonté de violer une obligation particulière de prudence ou de sécurité, et rapporter la preuve d’un tel manquement est alors très difficile. Il faut bien évidemment démontrer la violation, mais également le risque immédiat de mort ou de blessures, ainsi que l’intention délibérée.

Une partie de la doctrine s’est demandé s’il fallait démontrer la connaissance du risque auquel il a exposé autrui. D’autres auteurs ont au contraire considéré que cette connaissance du risque ne devait pas être rapportée. On peut également rajouter que la conscience du risque ne signifie pas que celui qui méconnaît l’obligation a souhaité qu’il se réalise. En revanche, le délinquant prend le risque, tout en croyant qu’aucun dommage n’en découlera.

La Cour de cassation, dans l’arrêt du 11 février 1998 (commandant de bord et canots de sauvetages), a adopté une position très stricte envers le prévenu : peu importe que le danger soit hypothétique, selon la Chambre criminelle, le prévenu «percevait nécessairement les risques d’un chargement excédant largement les capacités de son navire ; il a délibérément violé les règles de sécurité qui s’imposaient à lui».

Depuis, la doctrine et la jurisprudence ont considéré que la faute de mise en danger est une faute délibérée, une attitude persistante dans une conduite négligente, la conscience du péril ou des risques que l’on fait courir par un comportement doublé de la volonté de s’y engager malgré tout. Pour la jurisprudence, le caractère délibéré de la faute va ressortir de la réitération de la violation : c’est par exemple le cas d’une personne ivre qui se déporte à trois reprise sur le coté gauche de la route.

Dans un arrêt rendu par la Chambre criminelle le 22 juin 2005, deux personnes sont dans un véhicule (conducteur et passager), et le passager va inopinément tirer sur le frein à main alors même que le véhicule est en train de doubler un camion. Dans cette affaire, le passager a été poursuivi pour mise en danger de la vie d’autrui, alors même que le conducteur est seul responsable des infractions au Code de la route. La Cour a relevé que le passager s’est comporté momentanément comme le conducteur de fait du véhicule, et que le délit de mise en danger était caractérisé.

B/ La faute d’imprudence

Pendant très longtemps, on a considéré que seule une personne qui avait agi intentionnellement pouvait être pénalement poursuivie, dès lors que son comportement avait perturbé l’ordre social. Progressivement, on a admis que lorsqu’une personne porte atteinte à une valeur extrêmement importante telle que la vie ou l’intégrité d’une personne, elle peut être pénalement sanctionnée pour faute non-intentionnelle : on reproche alors au prévenu ce qu’on appelle une faute d’imprudence.

On a ensuite admis la faute d’imprudence pour les infractions contre les biens, et progressivement, on a élargi la liste des infractions dont la faute morale pouvait donner lieu à une faute d’imprudence. On assimile très souvent faute involontaire et faute d’imprudence : ce raccourci peut parfois être trompeur, en ce qu’un acte peut être volontairement accompli, sans pour autant avoir recherché le résultat.

En 1994, on distinguait deux types d’imprudence : la faute d’imprudence inconsciente, et la faute d’imprudence consciente. Cette dernière est l’état d’esprit de l’auteur qui consiste à vouloir un acte et à envisager son résultat en pensant qu’il pourra l’éviter : c’est par exemple le cas d’un automobiliste qui grille volontairement un stop. Quant à a faute inconsciente, c’est l’état d’esprit de la personne qui consiste à vouloir un acte sans avoir envisagé les conséquences ni les risques qui en résultent.

L’imprudence, consciente ou inconsciente, se caractérise par une non-volonté du résultat, mais également par une non-prévoyance de leur auteur. On a alors considéré que l’imprudence est le fait de ne pas avoir pris les précautions de nature à empêcher le dommage de survenir : il s’agit de la maladresse et de l’imprudence, et du manquement à une obligation de prudence ou de sécurité.

Pendant très longtemps, on a dressé une liste des fautes d’imprudence : tout d’abord, la maladresse et l’imprudence, qui sont considérées comme des fautes de commission qui vont être réalisées à l’occasion d’une action dommageable. Il existe également des fautes d’inattention ou de négligence, qui sont a priori considérées comme des fautes d’abstention. Enfin, nous avons le manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement : c’est ici l’inobservation d’une disposition pénale ou règlementaire qui sera pénalement sanctionnée.

Dans tous les cas, cette faute suppose un décalage entre ce que l’auteur a fait et ce qu’il aurait dû faire. Il faut alors déterminer le système e référence auquel le juge devra avoir recours lorsqu’il va apprécier la réalité de la faute. La doctrine oppose deux types d’appréciation :

o L’appréciation in concreto: les juges vont devoir se référer au comportement du prévenu et à ses aptitudes psychologiques et professionnelles, ses compétences

o L’appréciation in abstracto: le juge va analyser ce qu’aurai fait un homme prudent avisé dans la même situation

La jurisprudence a estimé pendant très longtemps qu’il fallait privilégier l’appréciation in abstracto. Néanmoins, cette jurisprudence a été très vivement critiquée, car ce n’était pas la faute qui était sanctionnée, mais le dommage occasionné à la victime.

Face à ces critiques, le législateur est intervenu et a inséré par la loi du 13 mai 1996 un troisième alinéa à l’article 121-3 du Code pénal. Cette loi a posé le principe que l’on va considérer comme fautif le comportement d’une personne qui n’aurait pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences. Cette faute concrète suppose que l’on prenne en considération les compétences et les pouvoirs du prévenu. La Cour de cassation a appliqué cette nouvelle exigence dans un arrêt du 19 novembre 1996 : il s’agissait en l’espèce d’un accident du travail pour lequel la Cour d’appel avait condamné le prévenu sur le fondement du « bon chef d’entreprise », ce que la Cour de cassation a censuré, au profit d’une appréciation des diligences accomplies compte tenu des pouvoirs et compétences du prévenu. Cette solution a été confirmée dans de nombreux arrêts.

La loi du 13 mai 1996 a également imposé la preuve d’une faute s’ajoutant à la violation d’une règle de prudence ou de sécurité. Certains auteurs ont dénoncé cette nouvelle exigence, dans la mesure où elle imposait une nouvelle preuve à apporter par le Ministère public.

Le Tribunal correctionnel de Toulouse, dans un jugement du 19 février 1997, a le premier appliqué cette exigence, et dans une formule qui a ensuite été reprise par la Cour de cassation : il a indiqué que «la simple démonstration de la violation d’un règle de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement n’est pas suffisante pour caractériser le délit, la faute résultant de cette violation devant être également analysée au regard des circonstances de l’espèce».

La doctrine craignait une baisse sensible des condamnations pour faute d’imprudence, et depuis 1996, des arrêts ont encore parfois recours à l’appréciation abstraite de la faute : c’est notamment le cas d’un arrêt du 21 janvier 1998, dans lequel la Cour de cassation considère que le professionnel qui a été poursuivi «a commis un manquement aux règles de l’art facilement décelable». Or ces termes semblent privilégier une appréciation abstraite et pas seulement concrète.

La doctrine s’est dans un premier temps demandé qui allait devoir supporter la preuve de ce nouvel élément. La plupart des auteurs, dont le professeur Mayaut, ont considéré que la charge de la preuve devait être assumée par le Ministère public. La jurisprudence a adopté une position intermédiaire : la Cour de cassation a considéré qu’à partir du moment où l’accusation a démontré, à partir des éléments factuels, l’existence d’une faute d’imprudence, il va appartenir au prévenu d’établir que son comportement était normal.

C’est dans ce sens que s’est prononcée la Cour d’appel de Versailles dans un arrêt du 13 septembre 1996 : elle a rappelé les manquements dont s’étaient rendus coupables les auteurs d’un accident de navigation, et a reconnu la culpabilité des prévenus dans la mesure où ils n’ont pas pu justifier de diligences normales compte tenu de leurs fonctions et pouvoirs.

La Cour de cassation a de façon très claire, dans un arrêt du 14 octobre 1997, précisé que la loi du 13 mai 1996 n’avait institué aucun fait justificatif : la preuve de ces diligences n’est doc pas une mise en cause de la responsabilité pénale, mais il appartient à celui qui est poursuivi qu’il a accompli ces diligences normales, même s’il ne s’agit pas d’un fait justificatif.

Dans un arrêt du 2 avril 1998, la Cour de cassation a affirmé que «tout manquement par le conducteur d’un véhicule à ses obligations de prudence et de sécurité est nécessairement incompatible avec les diligences normales imposées par le Code de la route, et caractérise à sa charge la faute définie par la loi». Cette solution a elle aussi été dénoncée par une partie de la doctrine, dans la mesure où on pourrait considérer que cette jurisprudence crée une présomption à l’encontre de la personne poursuivie, en ce qu’elle vient conforter l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles précité.

C’est la raison pour laquelle le législateur est de nouveau intervenu, et a apporté une précision à travers la loi du 10 juillet 2000 sur la faute d’imprudence.

Tribunal correctionnel de Narbonne, 12 avril 1997 : un enfant est décédé par électrocution après avoir touché un lampadaire défectueux. Le maire de la commune a alors vu sa responsabilité engagée pour homicide involontaire. Dans une autre affaire, un enfant qui s’amusait sur une pièce de chantier municipal est mort écrasé, et le maire a une fois de plus était condamné pour homicide involontaire.

La loi de 2000 a opéré une distinction entre deux types d’auteurs : l’alinéa 3 de l’article 121-3 vise l’auteur direct, et l’alinéa 4 l’auteur indirect. Lorsque le prévenu n’est que la cause indirecte du dommage, autrement dit s’il a créé ou participé à la création de la situation qui a permis la réalisation du dommage, ou s’il n’a pas pris les mesures qui auraient permis de l’éviter, sa responsabilité pénale ne pourra être engagée que s’il a commis une faute caractérisée.

Cette notion de faute caractérisée a donc due être définie : certains auteur l’ont définie comme une faute qui, en l’absence d’une prescription légale ou règlementaire édictant une obligation de sécurité, expose autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur de la faute ne pouvait ignorer.

Pour préciser cette définition, la doctrine a opéré un rapprochement entre cette faute et la faute inexcusable que l’on trouve en droit du travail et en droit social : c’est une faute d’une exceptionnelle gravité dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience du danger que devait avoir eu son auteur, de l’absence de toute cause justificative, et se distinguant par l’absence d’élément intentionnel de la faute intentionnelle.

Lors des travaux parlementaires, un certain nombre d’hypothèses ont été envisagées pour délimiter la notion d’auteur indirect : c’est celui qui n’a pas lui-même heurté ou frappé la victime, mais qui a commis une faute qui a créé la situation à l’origine du dommage. C’est par exemple le cas si une personne gare sa voiture sur un passage piéton, ce qui amènerait un piéton à contourner le passage et à se faire percuter par une voiture.

Dans un arrêt du 12 décembre 2000, une sortie scolaire avait été organisée par une institutrice, et plusieurs enfants sont tombés dans un ruisseau et se sont noyés. Sous l’empire de l aloi du 13 mai 1996, l’institutrice a été condamnée pour homicide involontaire. La Cour de cassation a censuré cette décision, et a fait application de la loi du 10 juillet 2000 : l’institutrice ne peut être considérée que comme un auteur indirect.

Dans un arrêt rendu par la Chambre criminelle de 10 janvier 2001, le dirigeant d’une société a concédé à une filiale de la société la licence d’exploitation d’un procédé de nettoyage. Or il a oublié d’avertir le gérant de la filiale du risque de réaction chimique de ce produit, ce qui a entrainé le décès d’un salarié. Le dirigeant a été poursuivi pour homicide involontaire, mais la Cour de cassation a estimé qu’il avait commis une faute caractérisée en omettant de divulguer ces informations.

Dans un arrêt du 2 décembre 2003, il s’agit d’un accident survenu sur une aire de jeu municipale, dans un centre de loisir communal : un enfant qui jouait près d’une buse en béton s’est trouvé écrasé par cette dernière. Les juges du fond ont relevé que le maire savait que la buse n’était plus accrochée au sol, démontré que le maire ne l’avait pas fait enlever, ce qui constituait une faute caractérisée et a donc engagé la responsabilité pénale du maire.