La Constitution : formes, contenus, élaboration et révision.
La constitution est la norme juridique suprême dans l’ordre juridique national. Elle surpasse toutes les autres normes, qu’il s’agisse de lois ordinaires, de règlements ou d’autres actes juridiques. Cette suprématie est garantie par des mécanismes de contrôle de constitutionnalité, assurés :
- soit par les juges ordinaires, comme aux États-Unis,
- soit par un organe spécialisé, comme le Conseil constitutionnel en France.
La constitution est généralement adoptée selon une procédure particulière, souvent impliquant directement le peuple ou ses représentants. Sous la Cinquième République en France, par exemple, une révision constitutionnelle peut être adoptée par le Congrès (réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat) à une majorité des trois cinquièmes.
La constitution remplit une double fonction fondamentale :
-
Régir les institutions et le fonctionnement des pouvoirs publics :
- Elle fixe les règles relatives à l’exercice et à la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire).
- Elle organise les relations entre les gouvernants et les gouvernés.
-
Garantir les droits fondamentaux des individus : Elle peut inclure une déclaration ou une charte des droits, affirmant des libertés et des principes fondamentaux.
- Fiches de droit public (L1) et de droit administratif
- Définition, condition d’existence et forme de l’État
- La forme, le contenu et l’élaboration de la Constitution
- Le contrôle de constitutionnalité
- La séparation des pouvoirs
- Les différents types de régimes politiques
- Définition, caractère et histoire du droit administratif
Section 1. Formes et contenus des Constitutions.
La constitution, en tant que norme fondamentale, définit l’organisation des pouvoirs et protège les droits des individus. Elle peut se présenter sous différentes formes (écrite ou coutumière) et inclure des principes fondamentaux, des droits sociaux et économiques ou des réponses aux enjeux contemporains, comme la protection de l’environnement.
&1. Formes de la Constitution
Les constitutions peuvent être écrites ou coutumières, bien que cette distinction ne soit pas toujours stricte.
A) Les constitutions écrites
La majorité des constitutions sont rédigées sous la forme d’un texte solennel adopté selon une procédure spécifique.
- Exemples :
- La constitution américaine de 1787, l’une des plus anciennes constitutions écrites en vigueur.
- La constitution française de 1958, fondement de la Cinquième République.
B) Les constitutions coutumières
Les constitutions coutumières reposent sur des traditions et des usages consolidés dans le temps, reconnus comme juridiquement contraignants.
- Exemple : Le Royaume-Uni
- La constitution britannique repose sur des textes fondamentaux (comme la Magna Carta de 1215), des conventions non écrites et des pratiques parlementaires établies.
C) Les interactions entre constitution écrite et coutumière
L’opposition entre ces deux formes n’est pas absolue.
- En France, bien que la constitution soit écrite, certaines coutumes constitutionnelles se sont développées, comme la retransmission télévisée des débats parlementaires.
- Au Royaume-Uni, la constitution coutumière est renforcée par des textes écrits adoptés à des moments clés (par exemple, le Bill of Rights de 1689).
&2. Contenu de la Constitution.
Le contenu de la constitution varie selon les pays, mais repose généralement sur deux dimensions principales :
A) Les règles institutionnelles
Ces règles définissent l’organisation et le fonctionnement des institutions publiques.
- Elles précisent les modes de désignation des responsables politiques (élections présidentielles, nominations ministérielles, etc.) et la répartition des pouvoirs.
- Exemple : En France, la constitution de 1958 détermine les relations entre le président, le Premier ministre et le Parlement.
B) Les droits fondamentaux et les principes philosophiques
Les constitutions peuvent intégrer des déclarations ou chartes des droits, exprimant une philosophie politique ou des principes fondamentaux.
- Exemple :
- En France, le préambule de la constitution de 1958 intègre :
- La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, affirmant les principes de liberté et d’égalité.
- Le préambule de la constitution de 1946, qui reconnaît des droits sociaux et économiques, comme le droit au travail ou à la santé.
- La Charte de l’environnement de 2004, introduite par une réforme de 2005, qui garantit des droits liés à la protection du milieu naturel.
- En France, le préambule de la constitution de 1958 intègre :
C) L’évolution de la valeur juridique du préambule
- Pendant longtemps, le préambule de la constitution était perçu comme ayant une valeur symbolique ou philosophique, sans véritable portée juridique.
- En 1971, le Conseil constitutionnel, dans une décision fondatrice, a conféré au préambule une valeur juridique contraignante, intégrant les droits et principes qu’il contient au bloc de constitutionnalité.
- Aujourd’hui, le Conseil constitutionnel examine la conformité des lois non seulement au texte principal de la constitution, mais aussi aux droits et libertés énoncés dans son préambule.
- Exemple :
- Dans une décision de 2008, le Conseil constitutionnel a invalidé une loi relative à la garde à vue au motif qu’elle portait atteinte au droit de défense inscrit dans le préambule.
Section 2. L’élaboration et la révision des Constitutions.
&1. L’élaboration de la Constitution.
I. Les contextes nécessitant l’élaboration d’une constitution
Un État peut être amené à rédiger une constitution lors de moments charnières, marqués par des transformations politiques, sociales ou institutionnelles.
-
Création d’un nouvel État
Lorsqu’un État est nouvellement créé ou recouvre son indépendance, l’élaboration d’une constitution permet de définir ses institutions et son fonctionnement.- Exemples :
- Après la chute de l’URSS, les pays baltes (Lettonie, Estonie, Lituanie) ont adopté de nouvelles constitutions pour affirmer leur souveraineté retrouvée.
- En Afrique, les anciennes colonies françaises et britanniques ont souvent adopté une constitution lors de leur indépendance, comme le Ghana en 1957 ou le Sénégal en 1960.
- Exemples :
-
Crise institutionnelle ou rupture politique
Une guerre, une révolution ou une instabilité institutionnelle profonde peut entraîner l’élaboration d’une nouvelle constitution pour refonder l’État sur des bases solides.- Exemples :
- La France, après la chute de la Quatrième République et la crise algérienne, a adopté la constitution de 1958, donnant naissance à la Cinquième République.
- L’Espagne, après la mort de Franco, a adopté la constitution de 1978, marquant la transition vers un régime démocratique.
- Exemples :
-
Réformes profondes dans un contexte démocratique
Parfois, une nouvelle constitution est rédigée dans un État existant pour adapter les institutions aux évolutions politiques ou sociales, même sans crise majeure.- Exemples :
- La constitution italienne de 1948, adoptée après la Seconde Guerre mondiale, visait à transformer l’Italie en une république démocratique.
- En Islande, à la suite de la crise financière de 2008, un processus de révision constitutionnelle a été initié pour moderniser les institutions et intégrer des principes de transparence économique.
- Exemples :
II. Qui élabore la constitution : le pouvoir constituant originaire
Le pouvoir de rédiger une constitution, appelé pouvoir constituant originaire, peut être exercé de diverses manières, selon les modes choisis pour son élaboration.
-
élaboration démocratique
Dans ce mode, le peuple est au centre du processus, directement ou indirectement, car la souveraineté lui appartient.-
Par une assemblée constituante
Le peuple élit des représentants chargés de rédiger la constitution. Ces représentants forment une assemblée, appelée parfois convention constituante.- Exemple :
La convention nationale des États-Unis en 1787 a réuni des délégués pour rédiger la constitution américaine, adoptée par la suite.
- Exemple :
-
Approbation par référendum
Une fois la constitution rédigée, elle peut être soumise à un référendum pour obtenir l’approbation populaire.- Exemple :
La constitution française de 1946, bien qu’élaborée par une assemblée élue, a été soumise à référendum pour validation par le peuple.
- Exemple :
-
Avantages et inconvénients
- Avantages : légitimité renforcée, participation citoyenne.
- Inconvénients : processus souvent long et exigeant un large consensus.
-
-
élaboration autoritaire
Dans ce mode, la constitution est imposée par un individu ou un groupe restreint, sans consultation populaire. Ce procédé est fréquent dans les régimes autoritaires.-
Rédaction par une figure centrale
Le chef de l’État élabore la constitution pour légitimer son pouvoir.- Exemple :
En 1814, Louis XVIII a octroyé une charte constitutionnelle à ses sujets. Bien qu’inspirée des idées révolutionnaires, elle a été imposée sans consultation populaire.
- Exemple :
-
Avantages et inconvénients
- Avantages : adoption rapide.
- Inconvénients : absence de légitimité démocratique, risque d’autoritarisme.
-
-
élaboration mixte
Ce mode combine des éléments démocratiques et autoritaires.-
Rédaction par une autorité suivie d’un plébiscite
Une autorité restreinte, souvent exécutive, rédige la constitution, qui est ensuite soumise à l’approbation populaire.- Exemple :
Napoléon Bonaparte a rédigé plusieurs constitutions approuvées par plébiscite, dans un contexte où le contrôle de l’opinion publique était important.
- Exemple :
-
Le cas de la constitution française de 1958
- La constitution de la Cinquième République a été élaborée sous l’impulsion du général de Gaulle. Elle n’a pas été rédigée par une assemblée élue, mais par des experts désignés par le gouvernement.
- Le processus a toutefois été validé par le Parlement et soumis à référendum, ce qui a renforcé sa légitimité démocratique.
-
Avantages et inconvénients
- Avantages : rapidité du processus, combinaison d’autorité et de légitimité.
- Inconvénients : risque de contrôle excessif par l’exécutif.
-
III. comparaison des modes d’élaboration
Critères | Élaboration démocratique | Élaboration autoritaire | Élaboration mixte |
---|---|---|---|
Participation populaire | Forte (assemblée élue, référendum) | Absente | Limitée (approbation par plébiscite) |
Rapidité | Relativement lente | Rapide | Moyenne |
Légitimité démocratique | Très forte | Faible | Moyenne |
Exemples historiques | France 1946, États-Unis 1787 | Louis XVIII 1814, Napoléon 1800 | France 1958, Espagne 1978 |
&2. La révision de la Constitution.
A) Les principes de la révision constitutionnelle
Les constitutions sont conçues pour être stables et durables, mais elles ne doivent pas être immuables. Une rigidité excessive risquerait de les rendre obsolètes face aux transformations sociales, économiques ou politiques. À l’inverse, une modification trop facile fragiliserait leur autorité et pourrait entraîner une instabilité juridique et politique.
-
Permanence et adaptabilité :
- Une constitution doit garantir la stabilité des institutions tout en restant suffisamment flexible pour évoluer avec le temps.
- Exemple : La constitution américaine de 1787, rigide par ses procédures d’amendement, a néanmoins été amendée à 27 reprises pour s’adapter aux enjeux contemporains, comme l’abolition de l’esclavage (13e amendement) ou l’instauration du suffrage universel.
-
Le rôle du pouvoir constituant dérivé :
- Le pouvoir de révision appartient au pouvoir constituant dérivé, qui est encadré par les dispositions de la constitution elle-même.
- La composition, les compétences et les limites de cet organe sont définies dans le texte constitutionnel.
- Une révision ne peut pas changer les fondements du régime. Exemple : En France, l’article 89 interdit toute révision portant atteinte à la forme républicaine du gouvernement.
B) La mise en œuvre de la révision
La mise en œuvre d’une révision dépend de la nature de la constitution : rigide ou souple.
-
Constitutions souples :
- Une constitution est dite souple lorsqu’elle peut être modifiée par les mêmes mécanismes qu’une loi ordinaire, sans procédure spéciale.
- Exemple : La constitution britannique
- Principalement basée sur des textes législatifs (comme le Magna Carta ou le Bill of Rights), des conventions non écrites et des coutumes, elle évolue progressivement par l’adoption de nouvelles lois ou pratiques.
- Cette flexibilité reflète l’adaptation pragmatique des institutions britanniques, mais peut engendrer un manque de clarté ou de formalisation.
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Constitutions rigides :
- Une constitution rigide impose des procédures spécifiques, distinctes de celles utilisées pour adopter ou modifier une loi ordinaire.
- Exemple : La constitution française de 1958
- La révision nécessite l’intervention d’un organe spécial (le Congrès ou le peuple par référendum) et une procédure complexe.
- Objectif : Garantir une stabilité institutionnelle en rendant les modifications plus réfléchies et consensuelles.
C) Les étapes de la révision
La révision constitutionnelle suit généralement trois grandes étapes : l’initiative, l’élaboration et l’adoption définitive.
-
L’initiative de la révision
L’initiative désigne l’organe qui propose une révision.-
Dans les régimes autoritaires :
- L’initiative appartient souvent au chef de l’État ou à l’exécutif, sans consultation des autres pouvoirs.
- Exemple : Sous Napoléon Bonaparte, les constitutions de l’Empire étaient rédigées et amendées à son initiative exclusive.
-
Dans les démocraties :
- L’initiative peut être partagée entre le gouvernement et le parlement.
- Exemple : En France, l’article 89 permet au président de la République (sur proposition du gouvernement) ou aux parlementaires (via une proposition de loi) de lancer une procédure de révision.
-
Participation populaire :
- Dans certains pays, comme la Suisse, une révision peut être initiée par une initiative populaire, si un nombre suffisant de citoyens en fait la demande.
-
-
L’élaboration de la révision
C’est l’étape où le texte de la révision est discuté, modifié et finalisé.-
Dans les régimes autoritaires :
- L’élaboration est souvent monopolisée par l’exécutif ou un petit cercle de pouvoir.
- Exemple : Sous Franco en Espagne, les amendements constitutionnels étaient décidés sans réelle consultation des représentants élus.
-
Dans les démocraties :
- Plusieurs procédures sont possibles :
- Une assemblée spéciale :
- Une convention constituante peut être élue pour rédiger ou réviser la constitution.
- Exemple : L’Islande, après la crise de 2008, a engagé un processus de révision impliquant une assemblée composée de citoyens tirés au sort et d’experts.
- Les chambres parlementaires :
- Une ou les deux chambres du parlement peuvent intervenir.
- Exemple : En France, le Parlement réuni en Congrès peut adopter une révision à la majorité des 3/5.
- Une assemblée spéciale :
- Plusieurs procédures sont possibles :
-
-
L’adoption définitive
Cette étape consiste à valider la révision, souvent via un mécanisme distinct de l’élaboration.-
Dans les régimes autoritaires :
- La révision est adoptée directement par le chef de l’État ou l’exécutif.
- Parfois, un plébiscite est organisé pour donner une légitimité apparente à la révision.
- Exemple : Napoléon Bonaparte, qui soumettait les constitutions à un plébiscite sous contrôle strict de l’administration.
-
Dans les démocraties :
- L’adoption peut se faire de deux manières principales :
- Par le Parlement :
- Exemple : En 2008, la révision constitutionnelle en France, qui a renforcé les pouvoirs du Parlement et introduit la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), a été adoptée par le Congrès réuni à Versailles.
- Par référendum :
- Exemple : En 2005, les électeurs espagnols ont validé par référendum une révision constitutionnelle permettant l’intégration européenne.
- Par le Parlement :
- L’adoption peut se faire de deux manières principales :
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D) Les révisions constitutionnelles en pratique
Certaines constitutions sont fréquemment révisées, d’autres restent quasiment inchangées.
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Exemple de révisions fréquentes : La France
- La constitution de 1958 a été révisée plus de 20 fois. Parmi les révisions marquantes :
- 1962 : Introduction de l’élection du président au suffrage universel direct.
- 2000 : Passage du mandat présidentiel de 7 à 5 ans.
- 2008 : Renforcement du rôle du Parlement et introduction de la QPC.
- 8 mars 2024 : La dernière révision constitutionnelle intègre dans la Constitution la liberté pour la femme de recourir à l’IVG.
- La constitution de 1958 a été révisée plus de 20 fois. Parmi les révisions marquantes :
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Exemple de stabilité : Les États-Unis
- Malgré sa souplesse d’interprétation par la Cour suprême, la constitution américaine a été amendée 27 fois seulement en plus de 230 ans, la dernière fois en 1992.