La construction du système de sécurité sociale : La période antérieure à la création du système français de sécurité sociale
Quelle est la date clé dans la construction de la sécurité sociale ?
L’institution a été créée en 1945. Pour autant, la période antérieure à 1945 n’est pas sans intérêt et est même indispensable à connaître pour saisir la portée véritable de la création du système de la sécurité sociale en 1945..
En réalité, avant 1945, et parfois bien avant, se sont manifesté des éléments nouveaux, des techniques nouvelles qui annonçaient le futur système de sécurité sociale à partir du moment où les conditions de cette émergence ont été réunies.
Section 1 : Les conditions de l’émergence de techniques nouvelles
- Droit de la Sécurité Sociale
- Sécurité sociale : qu’est-ce que la sécurité sociale ?
- Quelles sont les branches de la sécurité sociale ?
- La sécurité sociale, assurance ou principe de solidarité?
- Modèle bismarckien ou beveridgien de sécurité sociale
- L’histoire de la sécurité sociale avant sa création
- La création de la sécurité sociale en France
Il faut être clair. On ne peut parler d’annonce de la future sécurité sociale qu’à partir de la révolution industrielle touchant la France dans les années 1830-40. Cette révolution est postérieure à la révolution politique de 1789.
On peut trouver des pistes antérieures comme sous Henri IV qui mit en place des systèmes de retraites pour les soldats.
En réalité il n’y a de protection sociale au sens que nous entendons à partir de la révolution industrielle. Il y avait avant des systèmes de protections collectives mais c’était dans un esprit différent de celui des sociétés industrielles. Il s’agissait d’un droit des pauvres et des indigents plus qu’un devoir moral des riches.
Paragraphe 1 Les conditions socio-économiques
La révolution industrielle qui a commencé à toucher l’Angleterre au 18ème siècle, touche réellement la France sous le règle de Louis Philippe et se caractérise par 2 traits majeurs :
Cette révolution industrielle crée à la fois une société du risque et à la fois une société des risques.
- A) Une société du risques :
La société d’Ancien régime pré industriel connaissait toutes sortes de risques mais, d’un point de vue global, la condition des personnes était fixée d’avance sans risque majeur.
La trajectoire des individus était fixée et ne se caractérisait pas par des aléas sociaux. C’est cela que change la révolution industrielle.
Le mécanisme, l’exploitation scientifique et technique de nouvelles sources d’énergie, la concentration de nouvelles usines auprès de ces sources d’énergie et le besoin d’une main d’œuvre nombreuse venant de la campagne qui quitte la société rurale pour vivre en ville.
Dans un premier temps, cette population perd un cadre de vie traditionnel certes limité et modeste mais qui avait ses protections traditionnelles pour entrer dans un mode de vie nouveau qui est plus prometteur à terme mais qui, dans la première période d’industrialisation, se révèlera impitoyable au niveau de la qualité de vie de la population ouvrière.
Les ouvriers sont attirés par les salaires mais en même temps ce revenu est très faible et subvient à peine aux besoins essentiels de la personne et de sa famille. Les travaux sont très durs et la durée très longue. Même les enfants étaient embauchés.
Le rapport Villermé qui était un médecin militaire a été appelé à enquêter sous Louis Philippe sur un phénomène inquiétant de l’époque. En effet, dans le Nord et l’Est de la France, la conscription était de plus en plus dure car de nombreux jeunes étaient déclarés inaptes au service militaire. Ce médecin devait trouver pourquoi.
Il s’aperçoit de la réalité de l’exploitation des ouvriers dans les industries et de leur insalubrité entrainant maladies et infirmités. Il dénonce cette situation.
Le législateur réagit dès 1841 avec une loi interdisant le travail aux enfants de moins de 8 ans et limite la durée du travail pour les plus de 8 ans.
C’est la question ouvrière et la question sociale qui est dominante dans la France de la seconde moitié 19ème.
Les trajectoires des individus sont devenues aléatoires et notamment pour les classes populaires. Ils peuvent espérer une amélioration de leur condition avec un travail stable et sûr étant correctement rémunéré. La grande majorité des ouvriers ne disposent pas de cette garantie.
On est entré dans une société du risque où on ne peut plus se contenter d’une protection classique.
- B) Une société des risques :
Si par risque on entend l’évènement accidentel ou aléatoire ayant des conséquences néfastes pour celui qui le subit, il y a toujours eu des risques dès les premiers hommes.
En revanche, ce que modifie la société industrielle c’est d’une part qu’elle intensifie les conséquences de certains risques et dans une certaine mesure, elle crée même de nouveaux risques. Dans la créations de ces nouveaux risques, il faut citer les accidents du travail et les maladies professionnelles.
L’accident du travail est un risque apparu antérieurement à la révolution industrielle mais ce que crée la société industrielle est un type nouveau d’accidents dus aux machines.
L’accident du travail mécanique est un risque nouveau à plusieurs causes :
- – introduction de machines dans les usines et ateliers
- – les machines sont dangereuses car on ne sait pas les sécuriser à l’époque
- – les cadences de travail sont telles que la fatigue est une cause d’augmentation du risque
- – l’indiscipline des ouvriers ou formation insuffisante à la sécurité.
On ajoute à ces risques la maladie professionnelle car l’industrialisation entraine le travail sur des substances chimiques dangereuses (=plomb, mercure).
On trouve également l’aggravation des conséquences de risques traditionnels :
- – La vieillesse
- – La maladie
=>La condition des vieillards sous l’Ancien Régime relevait d’un minimum de garanties familiales et d’églises.
Dans la société industrielle coupée de ces racines rurales, la situation de l’ouvrier trop âgé est inquiétante. Il n’a pas de salaire ni retraite. Les membres de sa familles ont eux mêmes des salaires bas. La condition des vieillards est plus grave que sous l’Ancien Régime.
Il faut une protection sociale nouvelle.
=>Pour la maladie, il en est de même. Le salarié malade n’a plus de revenus et avec lui sa famille.
Les conditions socio économiques nouvelles caractérisées par la créations de nouveaux risques et aggravations de ceux existence crée le besoin d’une protection collective absolument nouvelle.
Cette protection supposait des conditions culturelles nouvelles qui n’étaient pas encore réunies.
Paragraphe 2 Les conditions culturelles d’émergence de nouvelles techniques:
Les problèmes nouveaux de la société industrielles caractérisée par des phénomènes de masse vont entrainer une évolution profonde des mentalités. En effet, les limites de l’individualisme révolutionnaire vont apparaître en même temps qu’une nouvelle dynamique de solidarité va s’affirmer.
- A) Les limites de l’individualisme :
La révolution industrielle a été postérieure à la révolution politique de 1789. Elle se caractérise par des phénomènes collectifs de massification alors que la révolution politique de 1789 a été plutôt le triomphe d’un individualisme libéral à l’opposé des phénomènes de massification.
Cet individualisme fonde à l’époque le droit de la responsabilité civile et la confiance faite à l’épargne individuelle. Or, aussi bien la responsabilité civile que la technique de l’épargne vont révéler leurs limites, en présence de problèmes nouveaux nés de la révolution industrielle.
1) Les lacunes du recours à la responsabilité civile :
Ces lacunes concernent la réparation des premiers accidents du travail dus aux machines et à la mécanisation du travail industriel. Lorsqu’un travailleur était victime au 19ème d’un accident mécanique à l’usine, il n’était pas privé sur le papier de moyens juridiques de faire valoir ses droits à réparation contre son employeur. Il disposait du droit de la responsabilité civile consignée aux art 1382 et suivant du code de Napoléon.
Ils pouvaient même espérer recevoir une réparation intégrale de son dommage dès lors qu’il prouvait l’existence d’une faute de l’employeur à l’origine de l’accident. C’était le mécanisme de la responsabilité pour faute.
La preuve de cette faute était quasiment impossible dans les faits. Dans beaucoup d’accidents, aucune faute n’était à proprement parlé susceptible d’être établie car l’insécurité des machines tenait au fait que la technique de l’époque restait rudimentaire.
Lorsqu’il y avait une faute, c’était généralement une faute de la victime notamment à cause du manque de formation ou du rythme de travail.
Dans toutes ces hypothèses l’employeur pouvait faire valoir que le responsable de l’accident était la victime et il était alors exonéré de toute responsabilité.
Il y avait les hypothèses où on trouvait une faute de l’employeur mais cette faute devait être établie en justice notamment par témoignages qui ne pouvaient venir que des collègues de la victime. Or ils étaient rares. Il n’y avait aucune protection sérieuse contre le licenciement et le chômage était grand.
Si un salarié venait à témoigner contre l’employeur au profit d’un camarade victime, il risquait d’être licencié.
Dans ces conditions, le droit formel à réparation intégrale n’avait aucune réalité et il n’y avait pas de réparation du tout.
On s’aperçoit que le droit classique de la responsabilité civile ne pouvait pas fonctionner dans le contexte nouveau de l’industrialisation et de la machinisation.
2) Les limites de la technique de l’épargne :
L’épargne est une économie sur les gains d’aujourd’hui en vue d’assurer les dépenses de demain. Dans une certaine mesure, l’épargne a classiquement été le moyen individuel de s’assurer la sécurité du lendemain.
Ce moyen a longtemps été dominant en France. Dans la mentalité française, l’épargne individuelle a toujours joué un rôle considérable.
On a longtemps opposé ce processus aux idées de protection collective.
Le 19ème a été un siècle d’exaltation de l’épargne. Les élites reprochaient aux ouvriers de ne pas savoir épargner et de dépenser toute leur paye au café.
De toutes façons les ouvriers ne pouvaient pas épargner car leurs salaires répondaient à peine aux besoins des travailleurs et de leur famille. Dans la phase d’industrialisation et d’accumulation du capital, les revenus du travail ne produisaient aucune épargne individuelle.
Il était hors de question de traiter les problèmes de maladies longues et de la vieillesse par la technique de l’épargne.
- B) La dynamique de la solidarité :
Ce qui a caractérisé le 19ème c’est à la fois la nécessité de la solidarité et son expérience pratique.
1) La nécessité de la solidarité :
Le problème majeur posé par la question sociale au 19èmec’est celui d’une couverture adéquate pour une nouvelle population industrielle qui subit des risques importants alors qu’elle a des revenus modestes à très modestes.
Comment faire ?
Alors que la solidarité familiale ou paroissiale n’existe plus ou est très diluée dans les nouveaux faubourgs industriels des villes de l’époque.
Cette population ne peut pas épargner ni s’assurer auprès de compagnies d’assurances parce que le moteur même de l’assurance est de faire payer l’assurance en fonction de l’importance du risque et non pas en fonction de l’importance du revenu.
Si l’assureur garantit l’indemnisation des conséquences d’un risque, c’est à la condition de payer une prime calculée en fonction de la probabilité et de la gravité du risque.
Le problème est celui de savoir comment on peut organiser la couverture de personnes à risques élevés et des revenus faibles ?
On voit un élément de la solution qui serait de faire payer la couverture non pas en fonction du risque mais du revenu.
Cette solution n’est praticable qu’à une condition stricte. Ceux à revenus élevés et des risques faibles doivent être obligé de cotiser en fonction de leurs revenus. Ils ne doivent pas pouvoir s’évader vers l’assurance.
Il n’y a pas de sécurité sociale facultative.
La clé de la protection collective est l’affiliation et la couverture en fonction du revenu et non risque à condition qu’elle soit obligatoire pour tous. Cette idée de solidarité obligatoire va s’imposer d’autant plus nettement qu’elle va rencontrer une pratique effective de la solidarité dans certains milieux professionnels ou certaines régions.
2) L’effectivité de la solidarité :
Il faut rappeler le rôle important au 19ème des sociétés de secours mutuels. C’était des associations constituées spontanément entre ouvriers ou travailleurs de la même profession ou ville soit des ouvriers sous la présidence de l’employeur.
Cette société avait pour objectif en échange de cotisations faibles de verser des secours à leurs membres malades ou accidentés ou trop âgés pour travailler.
Ces sociétés, dans un premier temps ont été illégales car contredisaient les textes révolutionnaires interdisant les groupements entre travailleurs (loi le Chapelier et le décret d’Allarde).
Puis, elles ont été tolérées notamment sous le second empire (entre 1862 et 1870) et, finalement elles ont été consacrées sous la IIIème république avec la loi du 1er avril 1898 sur la mutualité.
Les cotisations étaient ou forfaitaire ou en fonction du revenu et servaient à s’aider mutuellement.
Les pratiques des sociétés de secours mutuel ont habitué une grande partie de la classe ouvrière à des comportements effectifs de solidarité en même temps qu’elles convainquaient les employeurs. En général, les travailleurs s’en occupant était diligents et ne recourraient pas à l’absentéisme.