Histoire et caractéristiques de la IVème et Vème République

La IVe République, bien qu’instable, a posé les bases de la modernisation économique et sociale de la France. En revanche, son incapacité à gérer les crises majeures a précipité son effondrement. La Ve République, bâtie sous l’impulsion du général De Gaulle, incarne une rupture institutionnelle majeure, marquée par la centralité du pouvoir exécutif et la stabilité politique. Ces deux régimes reflètent les leçons tirées des erreurs et des défis de l’histoire constitutionnelle française.

Sous la IVe République, les organes législatifs et exécutifs illustrent les difficultés d’un régime déséquilibré :

  • Une Assemblée nationale omnipotente, éclatée en de multiples factions.
  • Un exécutif divisé entre un Président symbolique et un Président du Conseil affaibli.
  • Une dissolution inefficace et des coalitions instables, rendant la gouvernance chaotique.

Ces faiblesses institutionnelles ont conduit à l’échec du régime et à son remplacement par la Ve République, où l’exécutif retrouve une position dominante et stabilisatrice.

I) La naissance de la IV e République

La IVe République, instaurée après la Seconde Guerre mondiale, échoue à résoudre les défis majeurs de son époque, à savoir la guerre froide et la décolonisation, en raison de l’instabilité politique inhérente à ses institutions. Malgré ses limites, elle a joué un rôle crucial dans la reconstruction économique et l’intégration européenne.

I. Une République en crise : fondation et faiblesses de la IVe République

A) La genèse de la IVe République

  1. Le contexte de l’après-guerre et le double référendum de 1945
    Pendant l’occupation, le général De Gaulle promet un référendum permettant aux Français de choisir leurs institutions. Le 21 octobre 1945, deux questions sont soumises au peuple :
    • Constituante : « L’Assemblée élue ce jour doit-elle rédiger une nouvelle Constitution ? » Le « oui » l’emporte, ouvrant la voie à une rupture institutionnelle.
    • Régime provisoire : « Souhaitez-vous que les pouvoirs publics soient réglés par le gouvernement provisoire ? » Le « non » l’emporte, traduisant une volonté populaire de changement.

    La France, seule parmi les pays vainqueurs de la guerre, modifie sa Constitution. Ce choix illustre une tradition française de discontinuité juridique et de régimes courts.

  2. Le rejet du projet constitutionnel de 1946
    Le premier projet de Constitution, proposé en avril 1946, est rejeté par référendum. Ce projet prévoyait :
    • Un parlement monocaméral disposant de l’intégralité de la souveraineté.
    • Un chef de l’État symbolique et dépourvu de réels pouvoirs.

    Ce modèle, jugé trop déséquilibré, est écarté. Toutefois, la seconde mouture adoptée le 27 octobre 1946 reprend largement les grandes lignes du projet initial, bien que légèrement amendées.

B) Les caractéristiques de la Constitution de 1946

  1. Adoption et structure
    • Adoptée par référendum avec une faible majorité : 35 % des électeurs inscrits votent « oui », tandis que 34 % votent « non » et plus de 30 % s’abstiennent.
    • Elle inclut un préambule inspiré de la Déclaration de 1789 et des principes sociaux de 1946, affirmant des droits fondamentaux tels que l’égalité, le travail et l’accès à l’éducation.
  2. Organisation des pouvoirs
    • Un régime parlementaire avec une séparation inégale des pouvoirs :
      • Un Parlement bicaméral, dominé par l’Assemblée nationale, élue au suffrage universel.
      • Un Conseil de la République, au rôle consultatif.
    • Un exécutif bicéphale :
      • Le Président de la République, élu par le Parlement, doté de pouvoirs essentiellement symboliques.
      • Le Président du Conseil, chef du gouvernement, responsable devant l’Assemblée.
  3. Une instabilité structurelle
    • La primauté de l’Assemblée nationale réduit l’autonomie du gouvernement, lequel est fréquemment renversé par des motions de censure.
    • Les mécanismes de dissolution de l’Assemblée, pourtant prévus, sont inutilisables en pratique.
    • Les coalitions multipartites éclatées rendent impossible la formation de majorités stables.

C) Les réussites et échecs de la IVe République

  1. Les réussites
    • Reconstruction économique : grâce au Plan Marshall et à une politique de modernisation, la France entre dans les Trente Glorieuses.
    • Construction européenne : création de la CECA (1951) et signature du Traité de Rome (1957).
    • Rétablissement de l’autorité républicaine : la IVe République assure la transition entre Vichy et une démocratie parlementaire.
  2. Les échecs
    • Instabilité gouvernementale : 24 gouvernements en 12 ans, avec une durée moyenne de 6 mois.
    • Échec face à la décolonisation : la guerre d’Indochine (1946-1954) et la guerre d’Algérie (1954-1962) épuisent politiquement le régime.
    • Incapacité à gérer la guerre froide : les clivages internes empêchent une gouvernance efficace face aux tensions internationales.

II. La fin de la IVe et la naissance de la Ve République : une rupture nécessaire

  1. La crise du 13 mai 1958
    • Le conflit algérien exacerbe les divisions politiques. La nomination de Pierre Pflimlin comme Président du Conseil provoque une insurrection des militaires favorables à l’Algérie française.
    • Le régime s’effondre, créant un vide institutionnel.
  2. L’appel à De Gaulle

    • De Gaulle est rappelé au pouvoir le 1er juin 1958. Il exige et obtient des pouvoirs spéciaux, y compris la révision constitutionnelle.
    • La loi du 3 juin 1958 confère au gouvernement le mandat d’élaborer une nouvelle Constitution sous certaines conditions :
      • Respect des principes républicains.
      • Maintien du régime parlementaire.
      • Soumission du texte à un référendum.

 

Le Cours complet de droit constitutionnel est divisé en plusieurs fiches (histoire, institutions, constitution, état, démocratie…)

Cours de droit constitutionnel (histoire, institutions…) –  Histoire de la IVème et Vème République   –   L’État : Éléments constitutifs, caractère, origine, forme  –  La Constitution : définition, élaboration, révision    –    Le régime démocratique  –  Les grands systèmes politiques contemporains    –   Président de la République : statut, élection, pouvoirs, rôle       La révision de la Constitution  –    Démocratie, élections, scrutin et référendum    –   Président de la République et gouvernement sous la Vème République    –     Le parlement : organisation et dissolution –   Le Conseil Constitutionnel : composition, organisation, rôle

II) Les organes législatifs et exécutifs sous la IVe République

A) Le Parlement : un bicamérisme inégalitaire

La IVe République maintient un régime bicaméral, avec une prééminence de l’Assemblée nationale sur le Conseil de la République. Ce déséquilibre reflète la volonté des constituants de limiter les blocages institutionnels tout en introduisant une seconde chambre à rôle consultatif.

1. L’Assemblée nationale : cœur du pouvoir législatif

  • Élection et mandat :
    L’Assemblée nationale est élue pour 5 ans au suffrage universel direct. Le scrutin est organisé selon un système de représentation proportionnelle à l’échelle départementale, favorisant une représentation éclatée des partis.
  • Pouvoirs :
    L’Assemblée nationale dispose de la plénitude du pouvoir législatif et contrôle le gouvernement. Conformément à l’article 13 de la Constitution, elle est la seule à voter les lois et ne peut déléguer ce pouvoir.
  • Révision de 1954 :
    Une révision constitutionnelle a introduit des compétences législatives limitées pour le Conseil de la République, tout en confirmant la prédominance de l’Assemblée nationale, qui conserve le dernier mot sur les décisions.

2. Le Conseil de la République : une chambre consultative

  • Élection et composition :
    Élu au suffrage indirect par un collège composé de notables (élus locaux et grands électeurs), le Conseil de la République est renouvelé par moitié tous les 3 ans. Ses membres siègent pour un mandat de 6 ans.
  • Rôle limité :
    Initialement conçu comme une chambre de réflexion, le Conseil de la République se voit attribuer des compétences législatives restreintes :
    • Avant 1954 : rôle consultatif, pouvant émettre des avis sur les projets de loi.
    • Après 1954 : rôle décisionnel limité, avec une prééminence de l’Assemblée nationale qui peut reprendre le dernier mot.
  • Absence de responsabilité politique :
    Contrairement à l’Assemblée nationale, le Conseil ne peut pas engager la responsabilité politique du gouvernement.

B) L’exécutif : un bicéphalisme institutionnalisé

Le régime parlementaire de la IVe République repose sur un exécutif bicéphale composé :

  1. Du Président de la République, aux pouvoirs essentiellement honorifiques.
  2. Du Président du Conseil, véritable chef de l’exécutif et responsable devant l’Assemblée nationale.

1. Le Président de la République : un rôle symbolique

  • Élection et mandat :
    Le Président est élu pour 7 ans par le Parlement réuni en Congrès. Bien que rééligible, son rôle est limité par la Constitution.
  • Pouvoirs et responsabilité :
    Politiquement irresponsable, tous ses actes doivent être contresignés par le Président du Conseil ou les ministres. Ses prérogatives se limitent à des fonctions symboliques :
    • Signature et promulgation des lois.
    • Nomination de hauts fonctionnaires.
    • Messages adressés à l’Assemblée nationale.
    • Pouvoir de grâce.
  • Personnalités influentes malgré tout :
    Les Présidents Vincent Auriol et René Coty ont marqué leur mandat par leur personnalité, mais leurs marges de manœuvre institutionnelles restaient faibles.

2. Le Président du Conseil : le véritable chef de l’exécutif

  • Rôle et pouvoirs :
    Le Président du Conseil cumule les fonctions de chef de l’exécutif et de chef du gouvernement :
    • Il exécute les lois et exerce un pouvoir réglementaire général.
    • Il nomme aux emplois civils et militaires.
    • Il dirige les ministres et assure la solidarité gouvernementale.
    • Il peut poser une question de confiance devant l’Assemblée nationale pour engager la responsabilité du gouvernement.
  • Relation avec le Parlement :
    Responsable devant l’Assemblée nationale, il doit former des coalitions pour maintenir une majorité. Cependant, l’éclatement des partis et les alliances instables affaiblissent considérablement son autorité.

3. Le mécanisme d’investiture du Président du Conseil

  • Avant 1954 :
    Le Président du Conseil, choisi par le Président de la République, se présentait seul devant l’Assemblée nationale pour soumettre son programme. Il devait obtenir une investiture à la majorité absolue des membres de l’Assemblée.
  • Après 1954 :
    La procédure est modifiée pour inclure la présentation de la composition du gouvernement avec le programme. L’investiture est alors accordée à la majorité des suffrages exprimés, facilitant légèrement la formation des gouvernements.

C) La dissolution de l’Assemblée nationale

  • Principe et encadrement :
    L’article 51 de la Constitution réintroduit la possibilité de dissolution, mais dans un cadre extrêmement restrictif. Cette prudence découle de l’expérience de la dissolution de 1877, perçue comme un abus de l’exécutif.
  • Conditions :
    • La dissolution ne peut être prononcée dans les 18 premiers mois de la législature.
    • Elle n’est possible que si deux crises gouvernementales surviennent dans une période de 18 mois. Ces crises doivent résulter soit :
      • D’un vote de censure contre le gouvernement.
      • Du rejet d’une question de confiance posée par le Président du Conseil.
  • Résultats :
    Ces restrictions rendent la dissolution quasiment inutilisable. Seule une dissolution a été prononcée sous la IVe République, en décembre 1955, par Edgar Faure. Elle n’a cependant pas résolu les blocages politiques.

III) La naissance de la V ème République :  Origines et caractères généraux

La naissance de la Ve République marque une rupture avec les pratiques instables de la IIIe et de la IVe République. Inspirée par De Gaulle et soutenue par un large consensus populaire, elle établit un régime parlementaire rationalisé, où l’exécutif, et particulièrement le Président, occupe une place centrale. Ce régime, toujours en vigueur, témoigne de sa capacité à évoluer tout en maintenant la stabilité politique.

1) Préparation et adoption de la Constitution

A) La fin de la IVe République et la loi constitutionnelle du 3 juin 1958

La Constitution de 1946, caractérisée par son instabilité institutionnelle et sa lenteur procédurale, ne permettait pas de répondre efficacement aux crises majeures, notamment celle de l’Algérie. En 1958, face à l’effondrement du régime, une révision constitutionnelle accélérée est initiée pour préparer une nouvelle République.

  1. Adoption de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958
    • Plutôt que de suivre la procédure classique de révision prévue par l’article 90 de la Constitution de 1946, le gouvernement recourt à une résolution simplifiant les étapes de modification constitutionnelle.
    • Cette loi confère au gouvernement De Gaulle, investi le 1er juin 1958, le pouvoir de rédiger une nouvelle Constitution tout en respectant certaines conditions procédurales :
      • Le projet doit être soumis au Conseil d’État pour avis.
      • La ratification du projet doit se faire par référendum populaire.
      • Les travaux doivent respecter des principes fondamentaux, notamment la séparation des pouvoirs et la nécessité d’une responsabilité gouvernementale.
  2. Une délégation exceptionnelle du pouvoir constituant
    • Bien que le Parlement ait délégué au gouvernement une partie de son pouvoir constituant, cette démarche soulève des critiques juridiques :
      • La loi constitutionnelle de 1958 modifie substantiellement la structure des institutions, ce qui dépasse les limites habituelles de la révision.
      • Cette situation est perçue comme une véritable délégation du pouvoir constituant dérivé, une rupture avec les pratiques traditionnelles.

B) L’inspiration de la Constitution

La Constitution de 1958 est pensée pour éviter les écueils des régimes précédents, notamment ceux de la IVe République, tout en intégrant des principes clés hérités de l’histoire constitutionnelle française.

  1. Volonté de restauration de l’État
    • De Gaulle aspire à rétablir l’autorité de l’État, affaiblie par les pratiques du régime précédent.
    • Le régime parlementaire est conservé, mais le pouvoir exécutif est renforcé :
      • Le Président de la République obtient des pouvoirs propres, tels que le droit de dissolution et le recours au référendum.
      • L’autorité gouvernementale est consolidée pour prévenir l’instabilité ministérielle.
  2. Un Président au rôle de garant
    • Contrairement à la tradition constitutionnelle depuis 1877, le Président devient un acteur central :
      • Il est désormais le détenteur initial du pouvoir exécutif, capable d’intervenir directement dans les affaires publiques.
      • Son rôle de garant des institutions lui confère une position d’arbitre au-dessus des partis politiques.
    • Le Président peut dialoguer directement avec les citoyens via le référendum, marquant une rupture avec le parlementarisme classique.
  3. L’héritage de la IVe République
    • Bien qu’elle rompe avec les pratiques de la IVe République, la Constitution de 1958 conserve des éléments fondamentaux de cette dernière :
      • Le préambule réaffirme les droits de l’homme de 1789 et les principes sociaux de 1946.
      • La structure parlementaire est maintenue, mais profondément réformée pour limiter la domination de l’Assemblée nationale.

C) L’adoption de la Constitution

  1. Processus d’élaboration
    • Un avant-projet est adopté en juillet 1958 après des consultations au sein des conseils de cabinet.
    • Ce texte est soumis au Conseil d’État, qui joue un rôle déterminant en formulant des observations essentielles.
    • Après des ajustements, le projet final est arrêté en Conseil des ministres.
  2. La campagne référendaire
    • La campagne précédant le référendum du 28 septembre 1958 est marquée par un consensus politique : seuls le Parti communiste et quelques groupes minoritaires s’opposent au projet.
    • Le référendum se solde par une victoire écrasante du « oui » :
      • 79,25 % des suffrages exprimés approuvent la Constitution.
      • Ce vote est perçu comme une double sanction : une condamnation de la IVe République et une marque de confiance envers le général De Gaulle.

2) Caractères généraux de la Ve République

  1. Un régime parlementaire rééquilibré
    • La Constitution de 1958 établit un régime parlementaire rationalisé, destiné à éviter les abus du régime d’assemblée.
    • Les pouvoirs exécutifs et législatifs sont équilibrés par des mécanismes tels que :
      • La responsabilité limitée du gouvernement devant le Parlement.
      • Le droit de dissolution de l’Assemblée nationale.
  2. Un exécutif renforcé
    • Le Président de la République devient le pivot des institutions :
      • Il dispose de pouvoirs propres : dissolution, référendum, article 16 sur les pouvoirs exceptionnels.
      • Élu initialement par un collège électoral, il sera élu au suffrage universel direct à partir de 1962.
    • Le Premier ministre conserve un rôle central dans la gestion quotidienne du gouvernement.
  3. Un équilibre entre tradition et innovation
    • La Constitution conserve des éléments traditionnels, tels que la déclaration des droits et le parlementarisme.
    • Elle introduit des innovations majeures, comme le contrôle juridictionnel de la loi par le Conseil constitutionnel.
  4. Un régime adaptable

    • La Ve République est conçue pour s’adapter aux crises, grâce à des mécanismes comme l’article 16 ou la possibilité de recourir au référendum.
    • Elle est le produit d’une synthèse entre les aspirations gaullistes et les principes républicains classiques.

 

 

Isa Germain

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