L’Islam et l’Europe : le tournant de Poitiers (732)
L’année 610 est, dans l’Islam, la date des premières rencontres du prophète avec Dieu. C’est aussi le point de départ de la civilisation la plus évoluée du Moyen-Âge. En un siècle, l’Islam va transformer les tribus et les villes d’Arabie en un empire gigantesque qui va conquérir tout le pourtour méditerranéen, apportant avec elle science et culture.
1 – LA VIE EN ARABIE
1.1 – Le désert
Le mode de vie des bédouins arabes s’adapte parfaitement au désert, et la venue de l’Islam ne changea rien (fondé sur une connaissance des routes, des oasis, la maîtrise des ressources disponibles…). Les nomades se jugent meilleurs que les cultivateurs sédentaires. Les conditions de vie difficiles demandent la coopération, et les tribus deviennent des interlocuteurs indispensables, parce que tout le monde peut avoir besoin d’eux à un moment ou à un autre2.
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1.2 – Les paysans
Les civilisations du Moyen-Orient se sont construites autour des fleuves ; il est donc nécessaire de domestiquer les fleuves par des réseaux d’irrigation artificielle. Là encore, la coopération entre tous est indispensable pour maintenir les lieux de cultures, les digues, la survie collective ; de la coopération naît les premiers empires de cette région (Sumer, à partir de – 3000).
Les oasis constituent le dernier maillon de cette chaîne. Elles sont l’occasion d’installer des villes et de conforter les routes des nomades, donc les échanges.
1.3 – Les cités
Les cités sont des lieux de repos pour les voyageurs, des marchés, des palais et des universités. L’eau est un enjeu majeur, et une bonne majorité des transactions commerciales des cités concernent l’eau potable. L’eau est aussi le fondement de nombreuses constructions : aqueducs, canaux… Les villes grandissent autour des oasis, des caravansérails ou des camps militaires, mais le lieu central demeure toutefois la mosquée. Autour d’elle se trouve le marché, divisé en rues pour chaque profession. La mosquée n’est pas seulement le lieu de prière, elle est aussi un lieu public de débat et de discussion. Le marché fait vivre la cité ; tous les jours, les gens convergent vers lui, habitants ou commerçant provenant de l’extérieur.
La maison idéale de la péninsule arabique est à toit plat, avec au moins un étage, et surtout une cour intérieure2. Les dômes sont un élément classique de l’architecture arabe parce qu’ils permettent la circulation de l’air, donc le rafraîchissement des pièces.
1.4 – Échanges et communications
Le commerce a toujours donné une place particulière aux tribus arabes. L’Arabie est en effet un carrefour. Des routes partent vers la Mésopotamie, la Perse, le Maghreb et l’Afrique. L’une des responsabilités des gouvernements régionaux est l’entretien des routes. L’entretien concerne la route proprement dite, mais aussi les caravansérails, lieux de villégiature et de repos ; cela implique aussi une sécurisation de la région contre les pillards et les bandits. Pour accomplir ces missions, un système de taxe simple mais efficace est mis en place.
1.5 – Les classes sociales
Les empires et royaumes d’avant l’arrivée de l’Islam sont des aristocraties de type féodal. L’Islam va remettre en question cette structure en prônant un égalitarisme ; ce dernier ne s’appliquera toutefois que partiellement. Ainsi, les tribus de nomades, les premières converties à l’Islam, vont se poser en dirigeants naturels de l’Arabie, sans que cela souffre la moindre contestation ; parallèlement, la famille du prophète et par conséquent la règle de la lignée, sera admise dans le processus d’organisation politique. De cette nouvelle organisation naquît le calife, sorte de monarchie héréditaire, et les émirs, que l’on peut rapprocher de la chevalerie médiévale. L’égalitarisme se manifesta dans l’ouverture et l’ascension sociale offerte aux classes inférieures. L’esclavage est une pratique très ancienne dans la région mais le droit arabe reconnaît des droits aux esclaves, et instaure plusieurs cas d’émancipation.
2 – SCIENCE ET CULTURE
L’Islam médiéval est la source la plus importante et la plus dynamique de culture et de science durant le Moyen-Âge. Le but ultime du scientifique est de devenir un hakim, un sage. Cette conception de la science est flagrante pour les mathématiques, alors délaissées par l’Europe médiévale : il y a une logique cachée, mystérieuse, dans le monde. La médecine est la plus avancée des sciences arabes, où ils procèdent à une analyse complète et détaillée du corps ; ils utilisent des drogues, de petites interventions ou de la psychologie.
3 – L’EXPANSION DES OMEYYADES
3.1 – De l’Hégire au Califat
Mohammed commence ses prêches en 613, à La Mecque. Il recueille l’hostilité d’une partie de la ville et s’enfuit en 622 à Médine. Il recueille là-bas une adhésion forte, et en 630, à la tête d’une armée, il reconquiert La Mecque. Le prophète décède en 634, mais ses armées et fidèles sont lancés à la conquête de la région. Le succession de Mohammed entraîne la création de deux courants : les chiites, partisans d’Ali le cousin de Mohammed et mari de sa fille, et les sunnites, partisan d’Abou le père par alliance de Mohammed. Les sunnites étant majoritaires, c’est leur organisation qui se posa comme autorité. Abou installa alors le califat et lance une grande politique d’expansion. La Perse tombe en 649, l’Égypte en 641, la Libye en 642.
En 644, Uthman, de la famille des Omeyyades, prend le califat. Il est assassiné et les chiites pensent avoir l’opportunité de prendre le pouvoir face à Muawiya, l’héritier d’Uthman. Ali devient donc calife mais est aussi assassiné et Muawiya devient Calife à califat des Omeyyades2 : le Maroc est pris en 710, l’Espagne en 713.
3.2 – L’Islam en Europe
Les conquêtes du califat sont parmi les plus rapides et les plus profondes de l’histoire. En 711, après avoir conquis l’Égypte et l’Afrique du Nord, les armées musulmanes attaquent le royaume chrétien d’Espagne. En moins de dix ans, ils prennent la péninsules ibérique et traversent les
Pyrénées à partir de 720 ; ils pensent parfois déjà à prendre Constantinople à revers. Les musulmans prennent facilement Narbonne, mais sont défaits à Toulouse en 721 par les armées du duc d’Aquitaine. De plus, le gouverneur As-Sanh ibn Malik est tué. Intervient alors un chef militaire d’importance, Abd Al Rahman, qui ramène les troupes musulmanes pour repartir à l’offensive vers Bordeaux et vers la Bourgogne. En 730, Abd Al Rahman devient gouverneur d’Al Andalous.
À cette époque, Charles Martel pacifie petit à petit les régions et commence à unifier les royaumes francs de Neustrie et d’Austrasie. En Al Andalous, les tensions sont importantes entre les Arabes et les Berbères, un chef Berbère s’allia avec le duc d’Aquitaine, pour renforcer son pouvoir contre les prétentions franques et repousser les musulmans. Abd Al Rahman capture et tue le chef berbère rapidement et défait les armées d’Eudes à Bordeaux. Abd Al Rahman tourne ensuite son armée vers Poitiers avec l’intention de s’en prendre à Saint Martin de Tours, un sanctuaire chrétien. À Moussais, le 19 octobre 732, les armées musulmanes rencontrent les troupes de Charles Martel. La bataille dure sept jours, faites d’affrontements sporadiques ; les forces en présence sont estimées d’égale importance. On ne sait pas vraiment si les musulmans ont chargé et se sont heurtés à la muraille défensive franque ou si c’est les Francs qui ont chargés mettant en déroute les musulmans. En revanche, on sait que Charles Martel tue Abd Al Rahman.
La bataille de Poitiers est une confrontation d’ampleur historique extraordinaire mais aurait-elle pu, en cas de victoire musulmane, changer profondément le visage de l’Europe ? Il semble que l’armée musulmane n’était pas équipée pour occuper les terres conquises, et les décennies suivantes ont montré les difficultés du pouvoir musulman dans cette région. La victoire de Poitiers conforte Charles Martel dans sa politique d’unification du royaume franc, et lui permet d’asseoir son pouvoir, mais les Arabes sont fermement installés en Espagne pour plusieurs siècles. Si les musulmans étaient restés installés dans le sud de la Gaule, le statu quo n’aurait duré que quelques années au plus. Pour les Francs, ne pas occuper le sud, c’est perdre une partie de l’Empire que bâtira dans quelques années Charlemagne. Pour les musulmans, l’attrait de l’Europe est trop fort pour ne pas se lancer dans de nouvelles conquêtes. Comme l’ont montré les campagnes contre Constantinople et les Chinois, tant qu’ils ne sont pas défaits, les musulmans progressent. Sans Charles Martel, le royaume franc n’est plus et Charlemagne n’arrivera jamais.
4 – L’AVANCÉE DE L’ISLAM EN EUROPE
Si les armées musulmanes triomphent à Poitiers, ils s’ouvrent les portent de l’Europe. L’expérience des terres conquises en Asie et en Afrique montre aussi que les conversions ponctueront l’extension militaire et politique. En tout état de cause, cela nous amène au constat suivant : l’enjeu fondamental de l’expansion du califat est religieux. Sous le califat, la colonisation du monde s’offre à eux. Il propose surtout un modèle marchand qui servira de référence par sa richesse et sa variété, parce que l’échange, le voyage est bien plus ancré dans la culture arabe qu’européenne. Une Europe conquise par les musulmans s’élance beaucoup plus tôt sur les routes maritimes d’Afrique et d’Atlantique. Le modèle social qui s’offre à l’Europe est beaucoup plus avancé que ce que connaît l’Europe au même moment.
Ils développent massivement les sciences dans une conception logique, théorique et holiste du monde qui les entoure. En triomphant à Poitiers, les érudits européens gagnent deux siècles sur la découverte du savoir antique et les premières avancées scientifiques qui feront naître les Lumières. L’Europe, orpheline d’un Empire romain disparu, est un collage disparate de tribus où la romanisation s’est diluée dans la barbarie. C’est cependant cette dilution qui va assurer, au final, la victoire de l’Europe sur le monde musulman. La division, les conflits, les querelles pour le pouvoir donneront naissances à des puissances importantes. De la division naîtra la rivalité, la compétition, l’individualisme, le capitalisme, une division que l’Europe cherchera à résoudre en combattant l’Islam.