L’HISTOIRE DES DROITS DE L’HOMME
K .Marx en 1848 dans le livre « la question juive » critique la notion de la liberté des droits de l’homme : Il argue que les droits de l’homme, tels que définis par la Révolution française et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, privilégient l’individu égoïste, séparé de la communauté, plutôt que l’individu comme membre d’une société collective. Il dit « allons donc voir ce que donnent ces prétendus droit de l’homme chez ceux qui les ont inventés » : les américains et les français. Les droits de l’homme ont été formulés pour les première fois en Amérique du nord et en France. Ils ont été inspirés par le modèle britannique (grande charte, Bill of right…).
Les modèles anglais, américains et français des droits de l’homme marquent trois approches distinctes dans la construction des libertés fondamentales, chacun avec ses spécificités historiques et philosophiques. Ils reflètent une évolution de la notion de droits naturels et de libertés individuelles, qui prend véritablement forme au XVIIIᵉ siècle.
Les droits de l’homme apparaissent sous trois formes distinctes au XVIIIᵉ siècle :
- Le modèle anglais est pragmatique, national et concret, fondé sur des compromis historiques.
- Le modèle américain établit des droits procéduraux pour protéger les citoyens des abus de l’État, tout en restant limité à la sphère nationale.
- Le modèle français, incarné par la DDHC, proclame des principes universels, abstraits et transcendants, destinés à tous les hommes et toutes les époques.
Ces différences reflètent des contextes politiques et culturels spécifiques, tout en posant les bases modernes des libertés fondamentales.
- Cours de droit des libertés fondamentales (CRFPA)
- La liberté de la presse
- La liberté de communication
- La liberté de groupement, de manifestation, d’association
- Droit de disposer de son corps et droit à l’intégrité physique
- Le secret des correspondances
- Le droit à l’image et la protection du domicile
I) Le modèle anglais : des droits concrets sans universalité
Le modèle britannique se distingue par son pragmatisme et sa dimension purement nationale. Les droits reconnus dans les grands textes anglais sont des concessions obtenues du pouvoir royal dans un contexte spécifique :
- La Grande Charte (1215) : première limitation de l’arbitraire royal, garantissant notamment le droit à un procès équitable.
- La Pétition des droits (1628) : affirmation des libertés judiciaires et limitation de l’impôt sans consentement parlementaire.
- Le Bill of Rights (1689) : après la Glorieuse Révolution, ce texte renforce les droits du Parlement et des sujets britanniques face au pouvoir royal.
Ces textes présentent plusieurs caractéristiques :
- Concrets et précis : ils posent des règles juridiquement applicables mais limitent leur portée aux sujets britanniques.
- Non universalistes : contrairement à la DDHC française, ils n’ont pas vocation à s’appliquer à tous les hommes.
- Dépendance du Parlement : en Grande-Bretagne, c’est le Parlement qui est le protecteur et le régulateur des libertés, pas une déclaration abstraite ou philosophique.
Critique de Marx (1848) : Dans La question juive, Marx souligne que les libertés britanniques sont avant tout pragmatiques et adaptées aux besoins d’une société donnée, loin d’une conception universaliste des droits.
II) Le modèle américain : une garantie procédurale des droits
Aux États-Unis, l’idée des droits de l’homme prend forme dans le cadre de la révolution américaine contre la Couronne britannique. Le modèle américain repose sur deux étapes essentielles :
-
La Déclaration d’indépendance (4 juillet 1776) :
- Elle proclame des droits naturels inaliénables : la vie, la liberté et la recherche du bonheur.
- Cependant, elle demeure avant tout un texte politique, destiné à justifier la rupture avec le Royaume-Uni, sans valeur juridique directe.
-
Les déclarations des États fédérés :
- Dès 1776, plusieurs États, comme la Virginie, insèrent des déclarations des droits dans le préambule de leur constitution.
- Ces déclarations, juridiquement contraignantes, posent les principes fondamentaux de liberté individuelle et de sécurité judiciaire.
-
La Constitution fédérale (1787) et le Bill of Rights (1791) :
- La Constitution américaine ne contient initialement aucune déclaration des droits.
- Les dix premiers amendements, appelés Bill of Rights, ratifiés en 1791, garantissent des droits procéduraux contre les abus du pouvoir fédéral :
- Liberté d’expression, liberté religieuse, droit à un procès équitable, protection contre les perquisitions abusives, etc.
- Caractère procédural : ces droits visent principalement à protéger les citoyens contre les abus de l’État fédéral, mais n’étaient pas initialement applicables aux États fédérés.
Le modèle américain se caractérise par :
- Une garantie juridique forte : les droits sont directement applicables et protégés par les tribunaux, notamment la Cour suprême.
- Un caractère limité : contrairement à la DDHC, les droits américains ne sont pas universels mais nationaux.
- Un ancrage procédural : la protection des libertés repose sur des procédures précises, essentielles pour éviter les abus de pouvoir.
III) Le modèle français : l’universalité des droits déclarés
Le modèle français, incarné par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) du 26 août 1789, marque une rupture fondamentale par rapport aux modèles anglais et américain. La DDHC présente un caractère philosophique et universaliste inédit à l’époque.
Caractéristiques fondamentales de la DDHC
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La transcendance des droits :
- Les droits proclamés dans la DDHC sont considérés comme naturels et inhérents à la nature humaine.
- Les constituants n’inventent pas ces droits mais se contentent de les déclarer comme préexistants à toute société organisée.
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L’universalisme :
- La DDHC proclame des droits destinés à tous les hommes, de tous les temps et de tous les pays.
- Contrairement aux textes anglais et américains, elle ne se limite pas au peuple français.
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L’individualisme :
- Les droits affirmés concernent avant tout l’individu, conçu comme un citoyen abstrait face à la Nation.
- La DDHC ne mentionne ni les droits des groupes, des corporations ni les droits collectifs (par exemple, la liberté d’association).
-
L’abstraction :
- Les droits sont proclamés de manière générale et abstraite, sans référence aux contextes sociaux, économiques ou culturels.
- L’individu est envisagé dans sa seule humanité, indépendamment de son sexe, de sa classe sociale ou de son milieu.
Comparaison des modèles
Caractéristiques | Modèle anglais | Modèle américain | Modèle français |
---|---|---|---|
Universalité | Non : droits nationaux | Limité : droits nationaux | Oui : droits universels |
Origine | Compromis historique avec le roi | Révolution contre la Couronne | Révolution contre l’Ancien Régime |
Nature des droits | Précis, concrets, pragmatiques | Procéduraux et protecteurs | Principes abstraits et philosophiques |
Portée juridique | Droit coutumier et parlementaire | Constitutionnelle et juridictionnelle | Déclaration politique à vocation juridique |
Individu ou groupe | Droits des sujets britanniques | Droits des citoyens fédéraux | Droits individuels et abstraits |
IV) L’APPARITION DES DROITS DE L’HOMME
L’apparition des droits de l’homme marque une étape décisive dans l’histoire des libertés publiques, avec des origines philosophiques, politiques et juridiques complexes qui se sont développées au XVIIIᵉ siècle en Europe et en Amérique du Nord. Leur évolution témoigne de l’affirmation des principes fondamentaux à travers des contextes nationaux différents, tout en cherchant à revêtir un caractère universel.
Les racines historiques : le modèle britannique
Les droits de l’homme modernes puisent en partie leurs racines dans les grands textes britanniques qui ont progressivement affirmé des libertés fondamentales :
- La Magna Carta de 1215 : première limitation du pouvoir royal par le droit, posant les bases de la protection juridique contre l’arbitraire.
- La Pétition des droits (1628) : affirmation des droits parlementaires et des libertés judiciaires.
- Le Bill of Rights (1689) : consécration de l’équilibre entre monarchie et parlement après la Glorieuse Révolution.
- L’Acte d’établissement (1701) : stabilisation constitutionnelle garantissant des droits civils.
Ces textes, nés dans un contexte de compromis entre le Parlement et la monarchie britannique, protègent avant tout les droits des sujets britanniques face au pouvoir royal. Leur portée est pragmatique et fortement liée à l’histoire nationale, ce qui en limite la prétention universaliste.
Les déclarations américaines : l’extension politique des libertés
Les colons américains, en lutte contre le pouvoir britannique, ont repris ces principes pour les retourner contre la Couronne :
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La Déclaration d’indépendance (4 juillet 1776) :
- Rédigée par Thomas Jefferson, elle proclame l’existence de droits naturels inaliénables (vie, liberté, recherche du bonheur).
- Toutefois, cette déclaration a avant tout une valeur politique pour justifier la rupture avec le Royaume-Uni.
-
Les déclarations des États américains :
- Des États comme la Virginie adoptent des déclarations des droits qui, pour la première fois, figurent en tête des constitutions locales. Ces textes revêtent une valeur juridique et protègent des droits fondamentaux (procès équitable, liberté religieuse, etc.).
-
La Constitution fédérale américaine de 1787 :
- À l’origine, elle ne contient aucune déclaration des droits.
- Le Bill of Rights (10 premiers amendements), proposé en 1789 et ratifié en 1791, remédie à cette lacune en inscrivant des garanties procédurales contre l’arbitraire du pouvoir fédéral.
- Limite initiale : ces droits ne s’imposent pas aux États fédérés, ce qui témoigne d’une fragmentation juridique propre au modèle américain.
La Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen (DDHC)
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 représente une étape majeure dans la formulation des principes universels des droits fondamentaux. Son contexte et sa rédaction reflètent les particularités françaises :
-
Un texte collectif et pragmatique :
- La DDHC n’a pas de « père fondateur » unique. Elle résulte de débats publics au sein de l’Assemblée nationale constituante, où des idées parfois opposées se sont confrontées.
- Rédigée principalement par des députés formés au droit, elle vise à poser des principes juridiques clairs tout en condamnant les abus de l’Ancien Régime.
-
Un caractère universel et abstrait :
- Les droits proclamés sont considérés comme naturels et inaliénables, transcendant le temps et les nations. Les constituants affirment ne pas créer ces droits mais simplement les déclarer.
- Le texte repose sur un individualisme affirmé : le citoyen est envisagé isolément, face à la Nation, sans référence aux droits collectifs (famille, syndicats, associations).
- Abstraction des droits : les droits sont universels, indépendants du milieu social, du sexe ou des particularités individuelles. Cette vision théorique ignore les conditions concrètes dans lesquelles ces droits s’exercent.
-
Influence et débats :
- La DDHC a eu une influence considérable en Europe et au-delà, notamment en inspirant des réformes constitutionnelles dans les jeunes démocraties.
- Une querelle intellectuelle a opposé Jellinek et Boutmy sur les origines de la DDHC :
- Pour Jellinek, la Déclaration française est influencée par les idées américaines issues de la tradition protestante germanique.
- Pour Boutmy, elle est une création française inspirée par l’esprit des Lumières.
Les droits de l’homme de première génération : les libertés fondamentales
La DDHC de 1789 consacre les droits de première génération, centrés sur la liberté individuelle :
- Liberté de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui (article 4) : principe fondamental de l’autonomie individuelle.
- Liberté d’opinion et de religion (article 10) : affirmation d’une liberté essentielle à l’époque.
- Libre communication des idées et des opinions (article 11) : garantie de la liberté d’expression.
Ces droits, dits naturels, constituent un noyau dur des libertés dans les démocraties libérales.
La modernisation et la complexification des sources
Depuis la fin du XVIIIᵉ siècle, les droits de l’homme ont connu une évolution significative pour s’adapter aux défis contemporains :
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Internationalisation des droits :
- Les droits de l’homme ont acquis une dimension supranationale avec la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948 et les traités européens (CEDH en 1950).
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Diversification des générations de droits :
- Première génération : droits civils et politiques (libertés fondamentales).
- Deuxième génération : droits économiques, sociaux et culturels (ex. droit au travail, à l’éducation).
- Troisième génération : droits collectifs, comme le droit à un environnement sain ou le droit à la paix.
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Adaptation aux réalités contemporaines :
- Protection des libertés numériques face aux nouvelles technologies (RGPD, encadrement des plateformes).
- Reconnaissance croissante des droits environnementaux comme fondamentaux (ex. Charte de l’environnement de 2004).
En résumé : L’apparition des droits de l’homme modernes au XVIIIᵉ siècle, d’abord inspirée par les traditions britanniques et américaines, a trouvé son aboutissement avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ce texte, marqué par son universalité et son individualisme abstrait, a eu une influence considérable. Depuis, les droits de l’homme se sont complexifiés avec la multiplication des sources supranationales et l’émergence de nouveaux enjeux, confirmant leur rôle central dans les démocraties modernes.
V) LA THÉORIE CLASSIQUE DES LIBERTÉS PUBLIQUES
L’évolution des libertés publiques en France et dans les démocraties libérales illustre un parcours complexe, marqué par des traditions nationales distinctes et un élargissement progressif des sources de protection des droits fondamentaux.
A) La théorie française des libertés publiques
La France a construit sa conception des libertés publiques autour d’une approche spécifique, distincte des modèles britannique et américain, marquée par plusieurs étapes essentielles :
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Les déclarations fondatrices :
- La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789 constitue le socle des libertés en France. Inscrite en tête de la Constitution de 1791, elle proclame les principes fondamentaux comme la liberté, l’égalité et la sûreté.
- Toutefois, l’instabilité constitutionnelle du XIXᵉ siècle a limité l’effectivité de ces libertés, les déclarations de droits étant souvent proclamées sans garantie concrète.
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Les lacunes des lois constitutionnelles de 1875 :
- Sous la Troisième République, les lois constitutionnelles de 1875 n’intègrent aucune déclaration formelle des droits et libertés. Ce paradoxe est notable puisque cette période s’est appuyée sur la DDHC comme référence symbolique.
- Néanmoins, cette absence est compensée par l’adoption des « grandes lois républicaines » posant les régimes juridiques concrets des libertés :
- 1881 : Loi sur la liberté de la presse, pilier de la liberté d’expression.
- 1884 : Loi sur les syndicats, consacrant la liberté syndicale.
- 1901 : Loi sur la liberté d’association, élargissant les droits collectifs.
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Les garanties juridictionnelles :
- Le juge judiciaire joue un rôle essentiel dans la protection des libertés, mais il reste historiquement perçu comme insuffisamment indépendant du pouvoir politique sous la Troisième République. Cette critique, encore d’actualité sous certains angles, a été progressivement corrigée à partir de la Quatrième République.
- Le juge administratif, en revanche, bénéficie d’une indépendance de fait. Le Conseil d’État a joué un rôle protecteur actif des libertés face à l’administration, devenant un modèle d’équilibre entre libertés individuelles et ordre public.
B) Les modèles étrangers de protection des libertés
1. Le modèle britannique : la protection parlementaire des libertés
Au Royaume-Uni, l’absence d’une déclaration formelle des droits n’a pas empêché la protection des libertés :
- Les libertés reposent sur les principes généraux de la Common Law, reconnus par les tribunaux au fil des siècles.
- Le Parlement joue un rôle central : il est à la fois le protecteur et le régulateur des libertés. Cette vision libérale privilégie la souveraineté parlementaire comme gardienne des droits.
- Toutefois, les juges britanniques, malgré leur forte indépendance, restent historiquement réservés face à l’administration, intervenant avec prudence.
2. Le modèle américain : la suprématie constitutionnelle
Aux États-Unis, la protection des libertés repose sur un cadre constitutionnel robuste :
- La Constitution américaine de 1787, complétée par le Bill of Rights en 1791, établit des libertés fondamentales protégées de manière intangible.
- Les juges, notamment la Cour suprême, jouent un rôle central en tant que gardiens de la Constitution. Par la jurisprudence, ils interprètent et élargissent le champ des libertés.
- Ce modèle renforce la primauté du droit constitutionnel sur les actions du législateur, garantissant une protection des libertés supérieure à la volonté politique.
C) La complexification des sources et des garanties des libertés
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la matière des libertés publiques est devenue plus complexe en raison de :
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La multiplication des sources :
- Sources nationales : En France, la Constitution de 1958 s’appuie sur des textes fondamentaux comme la DDHC de 1789, le Préambule de 1946 et la Charte de l’environnement de 2004.
- Sources supranationales :
- Le Conseil de l’Europe et la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) de 1950. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) garantit le respect des droits fondamentaux des citoyens européens.
- L’Union européenne avec la Charte des droits fondamentaux de 2000, entrée en vigueur en 2009 avec le traité de Lisbonne. Elle est juridiquement contraignante et vient compléter les protections nationales.
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L’adaptation des libertés à des situations nouvelles :
- La mondialisation et les nouvelles technologies ont soulevé des enjeux contemporains pour les libertés :
- Liberté d’expression et numérique : encadrement des contenus haineux ou de la désinformation sur Internet. Ex. : régulation des plateformes numériques par l’Arcom (depuis 2022).
- Protection des données personnelles : adoption du RGPD en 2018 pour garantir la vie privée à l’ère numérique.
- Droits environnementaux : reconnaissance croissante des droits liés à l’environnement comme libertés fondamentales.
- La mondialisation et les nouvelles technologies ont soulevé des enjeux contemporains pour les libertés :
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L’universalité des droits et leur adaptation :
- La question centrale demeure : comment concilier l’universalité des droits de l’homme avec des contextes culturels et sociétaux différents ?
- Les Nations Unies, à travers des instruments comme la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948, visent à établir des standards internationaux.
- Toutefois, l’application pratique de ces droits se heurte parfois à des divergences culturelles et des tensions entre universalisme et relativisme culturel.
En résumé : La théorie française des libertés publiques s’est développée dans un cadre historique et juridique propre, marqué par des avancées législatives sous la Troisième République et un rôle actif du juge administratif. Comparée aux modèles britannique et américain, la France a privilégié une conception pragmatique des libertés, en dotant celles-ci de régimes juridiques concrets. Depuis la seconde moitié du XXᵉ siècle, la protection des libertés s’est complexifiée avec la multiplication des sources supranationales et la nécessité de les adapter aux défis contemporains comme le numérique, l’environnement et la mondialisation.