HISTOIRE DES LIBERTÉS FONDAMENTALES
L’histoire des libertés publiques est façonnée par un contexte économique et politique et par l’influence de la philosophie et de la religion. Les libertés publiques reposent sur des sources philosophiques comme le droit naturel et le contrat social (Locke, Rousseau, Montesquieu). Les sources religieuses, malgré l’antagonisme républicain, apportent des bases éthiques, la liberté de conscience et la laïcité. Historiquement, les libertés ont évolué avec la démocratie et le libéralisme. Les défis modernes incluent la lutte contre les inégalités économiques via l’interventionnisme étatique et la reconnaissance des droits sociaux.
Les origines et contextes des libertés publiques
Thème | Explication principale | Exemples et auteurs |
---|---|---|
Sources philosophiques | Inspirées par le droit naturel et le contrat social, elles définissent les libertés comme des droits inhérents à la nature humaine, antérieurs à l’État. | Platon (droit subjectif), Aristote (objectif), Locke, Rousseau, Montesquieu. |
Sources religieuses | Posent les fondements éthiques de la liberté et de l’égalité, en introduisant la distinction entre le spirituel et le temporel. | Bible (Ancien et Nouveau Testament), Jésus-Christ, Saint Paul. |
Contexte politique | Évolution de la démocratie et tensions avec le libéralisme. Les dangers incluent la tyrannie de la majorité et le conformisme. | Tocqueville, Rousseau (volonté générale). |
Contexte économique | La liberté économique et le droit de propriété émergent avec les droits de l’homme, mais l’industrialisation révèle les limites de cette liberté non régulée. | Benjamin Constant, XIXᵉ siècle industriel |
I ) LES SOURCES INTELLECTUELLES DES LIBERTES PUBLIQUES
Les sources intellectuelles des libertés fondamentales sont de deux sortes :
- Cours de droit des libertés fondamentales (CRFPA)
- La liberté de la presse
- La liberté de communication
- La liberté de groupement, de manifestation, d’association
- Droit de disposer de son corps et droit à l’intégrité physique
- Le secret des correspondances
- Le droit à l’image et la protection du domicile
- Les sources philosophiques : Les sources philosophiques des droits de l’homme sont multiples et parfois contradictoires. Issues des théories du droit naturel et du contrat social, elles reflètent des visions différentes de l’état de nature et de l’organisation politique. Si le modèle américain privilégie les droits procéduraux et la protection juridique, le modèle français, incarné par la DDHC de 1789, proclame des principes universels et abstraits en synthétisant les idées de Locke, Rousseau et Montesquieu. Cette richesse philosophique, bien que hétérogène, a permis de poser les bases modernes des droits fondamentaux.
- Les sources religieuses : Les sources religieuses des droits de l’homme, bien que volontairement ignorées sous la Troisième République, ont eu une influence notable :
- Elles ont posé les bases morales et éthiques de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
- L’idée d’une loi supérieure (d’origine divine) rejoint la notion de droit naturel développée par les philosophes.
- La liberté de conscience découle directement de l’idée que le pouvoir politique ne peut contraindre les individus dans leurs croyances.
- La séparation du temporel et du spirituel a ouvert la voie à la laïcité moderne.
A) Les sources philosophiques des libertés publiques
Les sources philosophiques des droits de l’homme montrent une complexité certaine, marquée par des influences variées et parfois contradictoires. Lorsque les droits de l’homme ont été proclamés à la fin du XVIIIᵉ siècle en France et aux États-Unis, ils se sont inscrits dans une tradition philosophique ancienne, notamment celle du droit naturel, tout en intégrant des concepts modernes liés au contrat social et aux idéaux des Lumières.
1) Le lien entre les droits de l’homme et le droit naturel
La formulation des droits de l’homme repose sur la notion de droits naturels, c’est-à-dire des droits inhérents à la nature humaine qui préexistent à toute organisation politique ou juridique. Toutefois, la notion de droit naturel est complexe et source de débats philosophiques. Elle se décline en deux écoles principales :
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L’école subjective du droit naturel : inspirée par Platon
- Selon cette école, l’idée de droit et de justice est subjective : elle doit être découverte par chaque individu, en particulier par les philosophes qui sont capables d’une réflexion intérieure.
- Le droit est donc une vérité morale, personnelle, qui peut varier selon les individus et les contextes.
- Cette vision a été laïcisée au fil des siècles, notamment par les penseurs des Lumières, qu’ils soient croyants ou non-croyants.
-
L’école objective du droit naturel : développée par Aristote
- Contrairement à Platon, Aristote considère qu’il existe un ordre naturel dans le monde, où chaque chose possède une finalité (ou téléologie).
- Le droit naturel repose sur une observation objective de cet ordre. Les droits sont ainsi universels car ils découlent des lois de la nature et s’appliquent à tous les individus.
Ces deux visions, subjective et objective, influencent différemment la conception des droits de l’homme. Les désaccords fondamentaux entre philosophes proviennent souvent de cette divergence méthodologique.
2) Le contrat social : une référence centrale mais hétérogène
La notion de contrat social est un autre fondement philosophique des droits de l’homme. Elle repose sur l’idée qu’avant l’organisation des sociétés, les hommes vivaient dans un état de nature. L’établissement du contrat social aurait permis de passer d’un état pré-social à un ordre politique organisé. Toutefois, les visions de l’état de nature varient considérablement selon les auteurs :
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Hobbes : une vision pessimiste
- Dans Le Léviathan (1651), Thomas Hobbes décrit l’état de nature comme un état de peur et de violence, où règne la loi du plus fort (« l’homme est un loup pour l’homme »).
- Pour sortir de cet état chaotique, les individus acceptent de céder leurs droits naturels à un souverain absolu, garant de l’ordre et de la sécurité.
-
Rousseau : une vision optimiste
- À l’inverse, Jean-Jacques Rousseau décrit l’état de nature comme un état harmonieux, où l’homme vit en paix et en liberté. Dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité (1755), il oppose cet état à la société corrompue qui a engendré les inégalités.
- Dans Du Contrat social (1762), Rousseau prône un contrat par lequel les individus conservent leur liberté en participant à la volonté générale, garante de l’égalité et de la justice.
-
Locke : une vision modérée et pragmatique
- John Locke, dans son Second Traité du gouvernement civil (1689), propose une synthèse plus modérée. L’état de nature est heureux mais imparfait car dépourvu de lois communes pour protéger les droits naturels.
- Le contrat social permet aux individus de former une société politique tout en conservant leurs droits fondamentaux (droit à la vie, à la liberté et à la propriété).
- Cette vision pragmatique a fortement influencé les déclarations américaines et françaises, qui affirment que les droits naturels préexistent au contrat social.
3) Les influences philosophiques contradictoires dans la DDHC
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789 est le fruit d’une synthèse des principales théories philosophiques de l’époque. Elle mêle des inspirations parfois contradictoires :
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Montesquieu : la séparation des pouvoirs
- Dans L’Esprit des lois (1748), Montesquieu prône la séparation des pouvoirs pour garantir les libertés. Cette idée a influencé l’organisation politique moderne.
-
Rousseau : la souveraineté populaire
- Rousseau inspire l’idée que la loi est l’expression de la volonté générale, fondement de la souveraineté populaire.
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Locke : les droits naturels et la protection juridique
- Locke influence directement la DDHC en affirmant que les droits naturels (liberté, sécurité, propriété) doivent être protégés par la loi.
Ces références multiples font de la DDHC une œuvre hétérogène : elle emprunte à des philosophies variées et parfois opposées. Par exemple, si Montesquieu valorise les institutions, Rousseau critique celles qui corrompent l’homme. Cette contradiction a été dépassée par les constituants en rédigeant une déclaration générale et abstraite, dépourvue de philosophie unique.
4) Caractéristiques des droits de l’homme au XVIIIᵉ siècle
Les droits de l’homme, tels qu’ils sont formulés dans la DDHC, présentent quatre caractères essentiels, hérités des débats philosophiques :
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La transcendance : Les droits naturels sont inhérents à la nature humaine et existent indépendamment des institutions politiques. Les constituants se contentent de les déclarer.
-
L’universalisme : Les droits proclamés concernent tous les hommes, de tous les temps et de tous les pays.
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L’individualisme : Les droits s’appliquent à l’individu en tant que tel. La DDHC ignore les droits collectifs (liberté d’association, droits syndicaux), qui n’apparaîtront que plus tard.
-
L’abstraction : Les droits sont formulés de manière générale, sans référence aux particularités sociales, culturelles ou économiques des individus.
B) Les sources religieuses des libertés publiques
Les sources religieuses des droits de l’homme montrent, tout comme les sources philosophiques, une diversité d’influences souvent contradictoires ou ignorées, en particulier dans le contexte français. Si en France, la laïcité a historiquement minimisé ces sources, elles demeurent pourtant fondatrices, tant dans la pensée religieuse que dans la tradition des droits naturels.
1) Une double ignorance volontaire en France
Sous la Troisième République, une période marquée par un anticléricalisme militant et la promotion de la laïcité, les sources religieuses des droits de l’homme ont été largement écartées :
- Les laïcs évitaient volontairement toute référence à ces origines pour renforcer l’autonomie des droits de l’homme vis-à-vis de la religion.
- De leur côté, certains catholiques préféraient ne pas lier les droits de l’homme à des fondements religieux, perçus comme contradictoires avec une modernité politique.
Tocqueville est l’un des rares auteurs à avoir reconnu que les droits de l’homme tiennent partiellement compte des convictions religieuses, qu’elles soient issues du judaïsme ou du christianisme.
2) Les sources religieuses : Ancien et Nouveau Testament
Les droits de l’homme peuvent trouver des prémices dans les textes religieux, notamment dans la Bible, avec des fondements théologiques autour de la loi divine, de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
1. L’Ancien Testament : la loi divine et la filiation
- L’Ancien Testament souligne l’existence d’une loi supérieure, transcendante, qui ne peut être méconnue par personne, pas même par les autorités politiques. Cette notion fait écho à l’idée de droit naturel.
- La filiation divine entre Dieu et les hommes implique que chaque individu possède une dignité inaliénable.
Illustration symbolique :
- La DDHC de 1789 a souvent été représentée comme inscrite sur deux tables de pierre, rappelant les dix commandements placés dans l’Arche d’Alliance par Moïse. Cette image met en évidence un héritage judéo-chrétien de la primauté d’une loi morale supérieure.
2. Le Nouveau Testament : liberté, égalité et fraternité
a) La liberté
La liberté, telle que pensée dans le christianisme, diffère de la conception politique moderne :
- Pour saint Paul, la liberté du chrétien est avant tout spirituelle : il s’agit de la libération du péché par l’adhésion au Christ.
- Cette liberté spirituelle possède cependant une portée sociale :
- L’individu entretient un lien personnel avec Dieu et reste libre dans sa conscience.
- Dès lors, le pouvoir politique ne peut pas intervenir dans les consciences, ce qui fonde indirectement la liberté religieuse et la liberté de croire ou de ne pas croire.
- Exemple : les théologiens ont rappelé que les sacrements imposés n’ont aucune valeur (baptême ou mariage forcé), même au temps de l’Inquisition.
b) L’égalité
Le Nouveau Testament affirme une égalité fondamentale entre les hommes, indépendamment de leur statut social, culturel ou religieux :
- Pour saint Paul :
« Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus ni homme, ni femme : car tous vous êtes un en Jésus-Christ » (Épître aux Galates).
- Cette déclaration affirme une égalité de valeur entre les êtres humains, fondée sur l’idée qu’ils ont tous été créés à l’image de Dieu.
- Toutefois, cette égalité ne signifie pas une égalité des rôles ou des fonctions dans la société (dimension sociale maintenue).
Cette conception théologique de l’égalité aura des répercussions profondes sur la pensée des Lumières et sur les fondements de la DDHC, qui proclame une égalité juridique et politique des individus.
c) La fraternité
La fraternité est une notion ambiguë qui traverse la religion et la pensée des droits de l’homme :
- Dans la tradition chrétienne, la fraternité repose sur l’idée que tous les hommes sont frères en Dieu. Cette fraternité est à la fois spirituelle et éthique.
- Cependant, la fraternité est également reprise par la franc-maçonnerie, qui lui donne une signification plus séculière.
3) La séparation du spirituel et du temporel : le fondement de la laïcité
L’un des héritages majeurs du Nouveau Testament réside dans la séparation entre le spirituel et le temporel, un principe essentiel qui annonce la laïcité moderne.
- Dans l’Évangile selon Matthieu (22:21), Jésus déclare :« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »
- Cette phrase pose un principe de distinction entre les affaires religieuses (le spirituel) et les affaires politiques (le temporel).
Ce principe a été interprété et débattu par les théologiens pendant des siècles, mais il a contribué à l’idée que :
- Le pouvoir politique doit respecter les consciences individuelles.
- La religion ne peut pas s’imposer par la force.
La laïcité française, institutionnalisée par la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, trouve une partie de ses origines dans cette distinction théologique.
4) Critiques sur l’apport des religions aux libertés publiques
Si la religion a inspiré certains principes fondamentaux des droits de l’homme, comme la liberté et l’égalité, elle n’a pas toujours été garante des libertés publiques. L’histoire montre des contradictions marquées, notamment dans la relation entre les structures religieuses et les droits individuels.
Liberté et contrôle des consciences
La religion, en affirmant une liberté spirituelle, a aussi exercé un contrôle sur les consciences. Par exemple, l’Inquisition a contraint les croyances sous peine de répression. Cette liberté intérieure, proclamée par le christianisme, s’opposait souvent à la réalité d’une autorité religieuse cherchant à imposer des normes collectives, parfois par la force.
Inégalités sociales et rôle des femmes
L’égalité affirmée par les textes religieux reste souvent théorique. Si le christianisme prône une égalité fondamentale devant Dieu, il a maintenu des hiérarchies sociales :
- Les femmes ont été souvent reléguées à des rôles subalternes, justifiés par des interprétations religieuses (soumission aux maris, exclusion des fonctions sacerdotales).
- Ces inégalités religieuses ont longtemps retardé l’émancipation politique et juridique des femmes, en contradiction avec les idéaux modernes d’égalité.
Laïcité : un équilibre nécessaire
La laïcité, formalisée en France par la loi de 1905, permet de protéger les libertés individuelles contre les excès d’une influence religieuse omniprésente. En séparant le spirituel et le politique, elle garantit à chacun la liberté de croire ou non sans pression extérieure, tout en protégeant les droits fondamentaux, notamment ceux des femmes.
II) LE CONTEXTE HISTORIQUE DES LIBERTES PUBLIQUES
L’histoire des libertés publiques repose sur deux piliers :
- Le contexte politique : La relation entre démocratie et libertés s’est construite progressivement. Si la démocratie antique ou révolutionnaire accordait la priorité à la volonté collective, elle négligeait souvent les libertés individuelles. Le libéralisme moderne, incarné par des penseurs comme Tocqueville, a mis en lumière les dangers de la démocratie, notamment la tyrannie de la majorité et le conformisme social.
Aujourd’hui, la démocratie libérale cherche à concilier participation politique et protection des droits fondamentaux. Cependant, comme le rappelle Tocqueville, cet équilibre est fragile et exige une vigilance constante pour éviter les dérives liées à l’uniformisation de la pensée et à l’abus de pouvoir.
- Le contexte historique : Le droit de propriété et les libertés économiques sont apparus en même temps que les droits de l’homme, en réaction aux abus de l’Ancien Régime et dans un contexte philosophique libéral. Toutefois, dès le XIXᵉ siècle, l’industrialisation et la concentration des inégalités ont mis en lumière les limites de cette liberté économique lorsqu’elle est exercée sans régulation.
Pour y répondre, les sociétés libérales ont prôné un interventionnisme étatique ainsi que la reconnaissance de nouveaux droits économiques et sociaux, garantissant une égalité plus effective et une lutte contre les formes modernes d’exclusion. Cette évolution témoigne d’un équilibre recherché entre liberté individuelle et justice sociale.
A) Contexte politique des libertés publiques
Le contexte politique des droits de l’homme et leur lien avec la démocratie montre une évolution complexe où se confrontent deux traditions majeures : la démocratie et le libéralisme. Si, aujourd’hui, ces notions apparaissent indissociables, leur histoire respective révèle des tensions et des divergences fondamentales.
1) L’histoire de la démocratie : des origines antiques aux Révolutions modernes
La démocratie, en tant que régime politique, repose sur l’idée que le pouvoir appartient aux citoyens. Ses origines remontent à la Grèce antique et en particulier à Athènes aux Vᵉ et VIᵉ siècles av. J.-C. :
- Les citoyens participaient directement à l’élaboration des lois et aux décisions politiques.
- Toutefois, cette démocratie antique était excluante : les femmes, les esclaves, les étrangers et les enfants étaient exclus du corps citoyen.
Cette conception a influencé les théories politiques modernes :
- Jean-Jacques Rousseau, au XVIIIᵉ siècle, dans son Contrat social, propose une vision démocratique où la volonté générale exprime l’intérêt commun.
- Pour Rousseau, la démocratie repose sur la souveraineté populaire, mais il rejette l’idée que la minorité puisse s’opposer à la majorité : il n’admet pas de droits individuels contre la volonté générale.
- Les Jacobins, pendant la Révolution française, s’inspirent de Rousseau : ils se considèrent comme les représentants du peuple. Cependant, leur pratique du pouvoir, notamment sous la Terreur, s’éloigne de la garantie des libertés individuelles.
- Comme l’a dit Saint-Just : « Il ne peut y avoir de libertés à opposer à la Liberté. »
Limites de la démocratie antique et révolutionnaire :
- À Athènes comme chez Rousseau et les Jacobins, la démocratie ne garantit pas nécessairement les libertés individuelles telles que la liberté de pensée, d’expression ou de culte.
- L’individu doit se conformer aux lois de la Cité ou à la volonté générale, même si cela restreint sa liberté personnelle.
2) Le libéralisme : une méfiance vis-à-vis de la démocratie
Le libéralisme, qui repose sur la primauté des droits individuels et des libertés fondamentales, a souvent été en tension avec les pratiques démocratiques, notamment lorsqu’elles risquent d’écraser les minorités.
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Voltaire et la monarchie éclairée :
- Voltaire, figure majeure du libéralisme au XVIIIᵉ siècle, n’était pas démocrate.
- Il prônait une monarchie éclairée où le souverain, guidé par la raison, garantissait les libertés individuelles tout en préservant l’ordre social.
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Les constituants de 1789 :
- Les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’étaient pas non plus partisans d’une démocratie moderne.
- La Constitution de 1791 instaure une distinction entre citoyens actifs (qui payent un certain niveau d’impôts) et citoyens passifs, excluant une partie de la population du processus politique.
3) L’évolution vers une démocratie libérale : la rencontre entre libertés et droits de l’homme
Il faudra attendre la Troisième République (1870) puis les Quatrième et Cinquième Républiques pour que la démocratie soit reconnue comme le régime politique garantissant les droits de l’homme. Cette évolution repose sur un constat fondamental :
- Parce que les droits de l’homme existent, la démocratie fonctionne.
- Parce qu’il y a démocratie, les droits de l’homme sont respectés.
Cependant, cette vision, bien qu’idéalisée, ne va pas sans réserves ni critiques.
4) Les critiques des penseurs libéraux : Tocqueville et les dangers de la démocratie
Alexis de Tocqueville, dans son ouvrage La Démocratie en Amérique (1835-1840), analyse la démocratie américaine comme un modèle où s’articulent liberté et égalité, mais il met en garde contre ses dangers :
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La tyrannie de la majorité :
- Pour Tocqueville, la démocratie peut engendrer une omnipotence de la majorité, écrasant les minorités et les libertés individuelles.
- Le danger réside dans la tentation d’une uniformisation de la pensée et du conformisme social.
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Le risque de conformisme :
- La liberté d’opinion est menacée par la pression sociale.
- Tocqueville compare les dirigeants démocratiques à des courtisans de l’Ancien Régime qui flattent le peuple, renforçant le politiquement correct et la peur de défendre des opinions divergentes.
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La perte de la vertu :
- Inspiré par les penseurs de l’Antiquité et par Montesquieu (L’Esprit des lois, 1748), Tocqueville rappelle que la liberté ne peut exister sans vertu.
- Une société démocratique risque de sombrer dans un individualisme excessif où chacun privilégie ses intérêts personnels au détriment du bien commun.
5) L’équilibre délicat entre démocratie et libertés
La construction des démocraties modernes repose sur une synthèse entre les principes démocratiques et les garanties libérales :
- La démocratie garantit la participation politique de tous les citoyens.
- Le libéralisme protège les droits individuels contre les abus du pouvoir majoritaire.
Principes fondamentaux :
- Séparation des pouvoirs : pour éviter toute concentration du pouvoir, comme l’a théorisé Montesquieu.
- État de droit : les droits de l’homme s’imposent au pouvoir politique et protègent les individus.
- Pluralisme : respect des opinions minoritaires et garantie de la liberté d’expression.
B) Le contexte économique des libertés publiques
Le contexte économique des droits de l’homme met en évidence une évolution parallèle entre la liberté individuelle, le droit de propriété et les changements socio-économiques qui marquent la transition entre l’Ancien Régime et les sociétés libérales modernes. La découverte des droits de l’homme coïncide avec celle du droit de propriété, non par hasard, mais pour des raisons circonstancielles et profondes, qui demeurent des sujets de débats jusqu’à aujourd’hui.
1) La concomitance des droits de l’homme et du droit de propriété
a. Les raisons circonstancielles
Les constituants de 1789 sont profondément marqués par leur critique de l’Ancien Régime :
- Sous la monarchie, les professions étaient strictement réglementées et cloisonnées par les corporations. Cette organisation économique, perçue comme un frein aux libertés individuelles et professionnelles, fut fortement dénoncée.
- La liberté économique devient alors une réaction logique contre ces abus. Pour les révolutionnaires, garantir les droits de l’homme impliquait de reconnaître également la liberté économique et le droit de propriété comme des droits naturels.
b. Les raisons profondes
La conception de la liberté chez les révolutionnaires de 1789 ne se limite pas à la liberté de penser ou aux libertés politiques :
- Pour une majorité d’entre eux, la liberté est un tout qui s’applique à tous les domaines :
« La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (article 4 de la DDHC).
- Cela signifie que les libertés économiques, sociales et professionnelles sont une extension naturelle des libertés politiques.
- Cette vision perdure encore aujourd’hui chez certains libéraux, qui prônent un État minimal garantissant avant tout la liberté économique.
Cependant, dès le XVIIIᵉ siècle, des critiques émergent contre une liberté économique sans limites et un droit de propriété trop absolu :
- Un courant égalitaire minoritaire, issu de la philosophie des Lumières, prône une égalité absolue ou relative au nom de considérations morales.
- Les références aux philosophes antiques (Platon, Aristote) et médiévaux montrent que l’idée d’un équilibre entre liberté économique et justice sociale n’est pas nouvelle.
2) L’évolution économique et les nouvelles problématiques sociales
a. Le XIXᵉ siècle : industrialisation et prolétarisation
Le XIXᵉ siècle constitue un tournant majeur avec l’essor de la révolution industrielle :
- La pauvreté diffuse des campagnes se concentre dans les centres urbains, où apparaît une pauvreté pure :
« La pauvreté est plus facile à supporter à la campagne qu’en ville. »
- Cette concentration prolétarienne révèle les limites d’une liberté économique non régulée et entraîne une prise de conscience de la question sociale.
Parallèlement, l’économie est désormais perçue comme une science (les sciences économiques), ce qui conduit à une distinction entre :
- Les libertés civiles et politiques.
- Les libertés économiques et le droit de propriété, qui apparaissent comme des institutions sociales.
b. La position de Benjamin Constant : une distinction fondamentale
Dans ses Principes de politique, Benjamin Constant (libéral majeur du XIXᵉ siècle) propose une réflexion éclairante :
- Il distingue entre les droits naturels, inaliénables et universels, et les institutions sociales, où il place le droit de propriété.
- Constant reconnaît l’importance de la propriété, mais il en appelle à une reconnaissance équilibrée des différents types de propriété (foncière, industrielle, etc.).
Cette approche, novatrice pour l’époque, ne sera pas suivie immédiatement, mais elle rejoint les débats modernes sur la nécessité de réguler les libertés économiques pour éviter les abus et les inégalités extrêmes.
C) La question des inégalités et des nouveaux exclus
Si les sociétés libérales industrialisées contemporaines ont réduit les inégalités par rapport au XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles, celles-ci n’ont pas disparu :
- Les inégalités économiques persistent, mais elles prennent de nouvelles formes :
- Exclusion sociale des individus marginalisés.
- Apparition des « nouveaux pauvres », qui souffrent non seulement d’une précarité économique, mais aussi d’une exclusion politique et sociale.
Cette situation est d’autant plus choquante que les droits et libertés fondamentaux garantis par les démocraties libérales ne peuvent être pleinement exercés par une partie de la population.
D) Les réponses modernes : interventionnisme étatique et nouveaux droits
Pour faire face à ces inégalités et garantir une véritable égalité des chances, les sociétés libérales ont développé deux approches complémentaires :
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L’interventionnisme étatique :
- Depuis la fin du XIXᵉ siècle et tout au long du XXᵉ siècle, l’État a joué un rôle croissant dans la régulation économique pour :
- Lutter contre la pauvreté et les inégalités sociales.
- Protéger les plus vulnérables grâce à des politiques de redistribution et à des services publics (éducation, santé, sécurité sociale).
- Cette intervention varie selon les pays et les courants politiques, de l’État-providence européen aux modèles plus libéraux anglo-saxons.
- Depuis la fin du XIXᵉ siècle et tout au long du XXᵉ siècle, l’État a joué un rôle croissant dans la régulation économique pour :
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La reconnaissance de nouveaux droits économiques et sociaux :
- Depuis le milieu du XXᵉ siècle, les droits économiques et sociaux ont été progressivement reconnus pour compléter les droits civils et politiques.
- Ces droits incluent :
- Le droit au travail et à des conditions de travail décentes.
- Le droit à l’éducation et à la santé.
- Le droit à un niveau de vie suffisant.
Cette évolution reflète une prise de conscience selon laquelle l’exercice des libertés individuelles suppose des conditions matérielles minimales, garantissant la dignité humaine