Histoire des sources du droit français

 HISTOIRE DES SOURCES DU DROIT 

   Le 17 Juin 1789 correspond au début de la réunion des Etats Généraux, sous le règne de Louis XVI. Commence alors la Révolution française. Les députés présents ont été élus pour siéger aux Etats Généraux, selon la formule traditionnelle de convocation des Etats Généraux. D’après cette procédure et le statut coutumier des Etats Généraux, les députés sont censés représenter les trois ordres de la nation. A cette date, les députés des Etats Généraux déclarent représenter la nation entière, et non les trois ordres séparément. Ils deviennent ainsi l’Assemblée nationale, ce qui correspond à la négation de la souveraineté du Roi. La révolution suit un rythme accéléré car le 9 Juillet intervient un profond bouleversement : l’Assemblée se déclare constituante. Son rôle consiste désormais à assurer la fonction législative pour tout le royaume. Il faut réformer le droit public de l’Ancien Régime, la souveraineté du roi cesse, celle de la Nation commence.

Voici le plan du cours d’histoire des sources du droit :

  • Introduction
  • I.        Les ambitions révolutionnaires.
  • II.  L’épreuve de la codification.
  • III. Essence du droit français.
  • PARTIE I- Les origines du droit français du Ier au XIVème siècle.
  • 1.  Les origines romaines du droit français.
  • Chapitre 1: Le legs romain.
  • Section 1: Le droit romain de l’époque classique.
  • A) Le ius civile et le droit prétorien.
  • B) Les sources classiques à l’épreuve du Dominat.
  • C) Les constitutions impériales.
  • Section 2: Le droit romain de la période post classique.
  • A) Premières codifications.
  • B) Les codifications de Justinien (VIème siècle).
  • C) Les survivances du droit romain en Gaule à l’époque franque.
  • Chapitre 2: Le droit romain au Moyen Age.
  • Section 1: La Renaissance du droit romain en Occident.
  • A)    De l’enseignement des leges à l’école de Bologne.
  •  
  • B) Les premiers spécialistes du «Droit civil».
  • 1- Les glossateurs.
  • 2- Les commentateurs.
  • Section 2: La diffusion du droit romain en France capétienne.
  • A) La romanisation des provinces du midi au XIIème siècle.
  • B) L’école d’Orléans.
  • C) L’influence du droit romain dans la pensée savante médiévale.
  • 2.          Les origines canoniques du droit français.
  • Chapitre 1: Le droit de l’Eglise chrétienne avant la réforme grégorienne (IIème-Xème siècle).
  • Section 1: Les sources du droit canonique.
  • A) La règle ou le canon.
  • 1- La discipline des premières communautés chrétiennes.
  • 2- La littérature pseudo apostolique.
  • B) La législation des instances collégiales.
  • 1- La législation conciliaire avant Constantin.
  • 2- La législation conciliaire de l’Empire chrétien.
  • 3- Les conciles et synodes de la Gaule franque.
  • C) Les législations des instances juridictionnelles et les pénitentiels.
  • 1- Décrétales des papes.
  • 2- Les statuts épiscopaux.
  •  
  • Section 2: Les collections canoniques.
  • A) Les collections canoniques : du bréviaire d’Hippone à la «Dionysiana».
  • 1- La primauté romaine et les premières collections canoniques.
  • 2- Les collections postérieures à la «renaissance gélasienne».
  • B) Les collections de l’époque carolingienne.
  • 1- Le ministerium regis et la renovatio imperii.
  • 2- Les collections et les faux.
  • Chapitre 2: Le droit canonique et l’essor du ius commune (XIème-XVème).
  • Section 1: Réforme grégorienne et sources du droit canonique à l’époque classique.
  • A) Grégoire VII.
  • 1- Les difficultés de l’Eglise d’Occident au XIème siècle.
  • 2- Les dictatus papae.
  • B) La théocratie pontificale et ses conséquences normatives.
  • 1- La législation pontificale.
  • 2- Le sort de la législation conciliaire et synodale.
  • Section 2: Le corpus iuris canonici et la naissance du ius commune.
  • A) Le droit canonique de l’universalisme occidental.
  • 1- Les collections préclassiques.
  • 2- Le décret de Gratien.
  • 3- L’achèvement du Corpus iuris canonici.
  • B) Le ius commune, le droit commun de l’Europe.
  • 1- La rencontre des droits savants.
  • 2- La procédure Romano-canonique.
  • PARTIE II- La naissance du droit français (XVème-XVIIIème siècle).
  • 1.  L’empire de la coutume.
  • Chapitre 1: Le pluralisme juridique du Haut Moyen Age.
  • Section 1: L’installation juridique des Germains en Gaule.
  • A) La diversité ethnique du regnum francorum.
  • 1- Naissance du royaume franc.
  • 2- Le statut juridique du regnum francorum.
  • B) La personnalité des lois.
  • 1- Les lois de la période franque.
  • 2- Sous quelle loi vis-tu?
  • Section 2: L’évolution du droit à l’époque carolingienne.
  • A) Les conséquences de la réforme carolingienne.
  • 1- La législation royale.
  • 2- La réforme de la justice.
  • 3- Le rapprochement des peuples.
  • B) Les conséquences de l’échec carolingien.
  • 1- Les étapes du morcellement territorial.
  • 2- La territorialité du droit en l’an 1000.
  • Chapitre 2: Le pluralisme juridique dans le monde féodal.
  • Section 1: Les coutumes territoriales.
  • A) L’affirmation des coutumes territoriales.
  • 1- La seigneurie banale.
  • 2- Le développement juridique de la coutume.
  • B) L’ordre juridique coutumier.
  • 1- La coutume et le roi.
  • 2- L’apparition des coutumiers médiévaux.
  • Section 2: Le privilège.
  • A) La privata lex et les corps au Moyen Age.
  • 1- La société fonctionnelle médiévale.
  • 2- L’émancipation urbaine et les corps.
  • B) Privilèges territoriaux et liberté régionale.
  • 1- Le royaume et la problématique de l’unité juridique.
  • 2- Les statuts juridiques traditionnels.

 

Introduction

 Le 17 Juin 1789 correspond au début de la réunion des Etats Généraux, sous le règne de Louis XVI. Commence alors la Révolution française. Les députés présents ont été élus pour siéger aux Etats Généraux, selon la formule traditionnelle de convocation des Etats Généraux. D’après cette procédure et le statut coutumier des Etats Généraux, les députés sont censés représenter les trois ordres de la nation. A cette date, les députés des Etats Généraux déclarent représenter la nation entière, et non les trois ordres séparément. Ils deviennent ainsi l’Assemblée nationale, ce qui correspond à la négation de la souveraineté du Roi. La révolution suit un rythme accéléré car le 9 Juillet intervient un profond bouleversement : l’Assemblée se déclare constituante. Son rôle consiste désormais à assurer la fonction législative pour tout le royaume. Il faut réformer le droit public de l’Ancien Régime, la souveraineté du roi cesse, celle de la Nation commence.

 

I.     Les ambitions révolutionnaires.

 

Elles sont assez nettes et faciles à comprendre : « C’est par des lois claires, précises et uniformes pour tous les citoyens que les droits doivent être protégés, les devoirs tracés, les actions nuisibles punies » (article 10 du projet de Constitution déposé le 27 Juillet 1789). En plus de l’organisation des pouvoirs publics, les révolutionnaires décident de créer une nouvelle législation civile. Elle doit prendre la forme d’un Code général, simple et pratique. C’est la philosophie des Lumières qui s’expriment dans cette volonté. Au XVIIIème siècle, un homme a écrit sur la nécessité de faire connaitre le droit à l’ensemble des sujets d’une nation donnée, c’est Beccaria (1738-1794, auteur Des délits et des peines publié en 1764). Il condamne l’emploi de la torture en procédure pénale, mais aussi les privilèges. Selon lui, la loi doit être la même pour tous. Il enseigne que la loi doit faire appelle à la raison des hommes, c’est pour cela qu’il est un penseur de la philosophie des Lumières. Selon lui, chacun doit connaitre la loi pour mesurer la portée de ses actes et craindre ainsi une sanction proportionnelle à la nuisance portée au corps social en cas d’infraction. Ainsi, un bon système législatif devient en France un système qui rejette le secret et l’ignorance, qui rejette la nébuleuse juridique connue des seuls initiés. C’est cet objectif que poursuit l’exigence de codification depuis le 27 Juillet 1789. Seulement, elle tarde à se traduire en acte.

 

II.  L’épreuve de la codification.

 

La codification s’engage véritablement sous la Convention nationale (1792-1795). La Convention désigne un comité de législation civile criminelle et de féodalité, le 2 Octobre 1792. Ce comité est présidé par un juriste illustre, Jean-Jacques Régis Cambacérès (1753-1824). Le travail de rédaction confié est long et fastidieux, c’est donc lent et difficile. Le travail abouti à la présentation d’un Code devant la Convention, le Code de la Nature sanctionné par la raison et garanti par la liberté. Ce Code est présenté le 9 Aout 1793, et se compose de 719 articles. Il est d’inspiration révolutionnaire et philosophique. Le projet est discuté pendant plus de deux mois, certains articles sont décrétés, mais finalement la Convention ne retient pas ce Code, et demande une nouvelle rédaction plus simple, qui s’en tiendrait aux principes et à leurs conséquences essentielles. Les travaux de rédaction sont interrompus car intervient l’insurrection de Vendée, la patrie étant en danger, cela ne permet pas la poursuite sereine des travaux de codification. Cambacérès ne se décourage pas et met sur pied d’autres projets.

 

Mais la encore, la Convention Thermidorienne, puis le directoire ne s’attardent guère sur ces nouvelles propositions. Malgré tout, les trois projets de Cambacérès serviront de base de travail à toutes les commissions ultérieures. C’est le coup d’Etat de Napoléon Bonaparte du 9 Novembre 1799 qui relance le travail de Codification. En tant que Premier Consul, Napoléon Bonaparte mesure l’intérêt que peut présenter pour lui une législation uniforme sur le sol de la République, qui assouvirait sa puissance personnelle et sa marche vers l’Empire.

 A la fin de l’année 1799, un avocat de Nancy présente un projet de Code civil, il porte le nom de son auteur, le projet Jacqueminot. C’est un projet de qualité qui servira par la suite, mais les Assemblées du Consulat ne le discute pas. Le pas décisif est franchi le 24 Thermidor An VIII (12 Aout 1800). A cette date, un arrêté consulaire désigne quatre juristes ayant pour but d’achever le travail. Ce sont Jean Etienne Marie Portalis (1746-1807), Jacques de Maleville (1741-1824), Félix Bigot de Préameneu (1747-1825), François Denis Tronchet (1726-1806), doyen de la commission. Cambacérès ne fait pas partie de la commission néanmoins, il sera très actif dans cette œuvre puisqu’il fait parti du Conseil d’Etat. Lors des discussions qui aboutissent à la rédaction définitive du Code civil, il lui arrive fréquemment de présider le Conseil d’Etat.

 

L’élaboration du Code n’en reste pas moins difficile : les discussions sont longues car elles concernent trois institutions (le Conseil d’Etat, la commission et le Tribunat). Le Premier Consul en à même fait modifier la procédure d’élaboration du texte pour surmonter l‘opposition constante des tribuns. Il a imposé une présentation officieuse des projets de codification devant le Tribunat, à charge pour lui de transmettre son avis au Conseil d’Etat pour conciliation. Par cette réforme, Tribunat et Conseil d’Etat ont été forcés de discuter et de s’entendre. Enfin, un projet de Code civil est présenté au Corps législatif. On lui transmet en Mars 1804, 36 projets de loi, l’opposition du Tribunat étant levée, correspondant aux titres composant le Code civil. Ces projets de lois deviennent lois, et sont réunies en Code civil des Français le 21 Mars 1804. Il a donc fallu attendre presque quinze ans pour que les ambitions révolutionnaires se concrétisent (L’impossible Code civil, de Jean Louis Halperin, Paris 1992).

 

III. Essence du droit français.

 Le projet de Constitution déposé le 27 Juillet 1789 voulait des lois claires, précises et uniformes. C’est donc cette nécessité d’uniformité qui est essentielle. Le Code civil était alors impossible car le droit de l’Ancien Régime n’était pas uniforme. La difficulté résidait donc dans la recherche de cette uniformité. Le Code de la Nature suit un plan et réparti les articles en quatre livres : des personnes, des biens, des contrats et des actions. Ce plan est un produit de l’histoire, c’est celui des Institutes de Gaius. On appelle Institutes de Gaius un manuel d’enseignement, rédigé pour les romains de l’An 160 après JC. Ce plan a aussi inspiré les Institutes de Justinien. Ce sont la première partie du Corpus iuris civilis. Cambacérès, pour déterminer l’essence du droit français, est donc remonté jusqu’aux sources du droit romain. C’est une première réalité qui permet d’expliquer l’impossibilité du Code civil. De plus, au sein de la commission, Portalis, était un médiateur de la codification napoléonienne, mais il avait aussi des principes et des points de vue. Il a défendu ses points de vue avec beaucoup d’ardeur, même si tous n’ont pas été retenus. Parmi ses fortes exigences, Portalis mettait en avant une certaine conception du mariage. Il l’envisage comme un contrat purement civil (règlementé par le pouvoir laïc mais considéré comme perpétuel). En clair, il était opposé au divorce. Cette perpétuité a aussi une ascendance historique. La règle d’indissolubilité du mariage s’est affirmé au XIIème siècle dans le Royaume de France. On la trouve dans le décret de Gratien (1140), qui se fait le défenseur de la stabilité du lien matrimonial. Il fait preuve de sévérité puisqu’il interdit le remariage de l’époux après renvoi de son conjoint adultère.

 Le divorce est aussi interdit en cas d’infirmité, en cas de folie et même de stérilité. C’est une ligne reprise par les Papes législateurs, dont Alexandre III et Innocent III. Ces derniers ont donné au décret de Gratien force de loi. Ils ont confirmé ces interdictions en les reprenant dans leurs décrétales. Elles ont été recueillies dans le recueil Les Décrétales de Grégoire IX, en 1234. Or, ces textes sont à l’origine direct du Corpus Iuris Canonici. Avec le corpus iuris civilis, ces deux corps de droit forment le droit savant. Le Corpus iuris Canonici va révolutionner le droit canon jusqu’en 1917. Il faut donc en conclure que pour déterminer l’essence du droit français, les rédacteurs du Code civil, à partir de 1800, se nourrissent de controverses séculaires mentionnées par les sources du droit de l’Eglise. C’est donc une seconde difficulté majeure.

 De plus, les rédacteurs du Code civil sont tous des hommes d’Ancien Régime. Ces hommes ont commencé leur carrière de juriste sous la royauté, avant la révolution. Ils étaient des juristes de premier plan. Tronchet était déjà sous Louis XV avocat au Parlement de Paris. Bigot de Préameneu était depuis 1778 agent général des Etats de Bretagne, il devait représenter les intérêts de sa province auprès du Conseil du Roi. Tout deux étaient des hommes de «Pays de coutume». En effet, la coutume de 1789 était une source du droit français. La plus importante était celle de Paris, elle était la plus suivie et de la meilleure qualité. Le principe restait malgré tout celui de la diversité. A ce sujet, Diderot a écrit «Qu’est ce qu’une loi dont la justice locale et dont l’autorité bornée tantôt par une montagne tantôt par un ruisseau s’évanouit pour les sujets d’un même Etat, pour quiconque passe le ruisseau et la montagne». Le droit privé d’Ancien régime exigeait donc un effort d’uniformisation, afin de parvenir un jour à l’unité. Le Chancelier D’aguesseau a beaucoup œuvré pour cette uniformisation, aidé dans cette tache par les juridictions souveraines du royaume, les Parlements d’Ancien Régime. Avec cette aide, le Chancelier est parvenu à faire adopter par Louis XV des ordonnances d’harmonisation qui ont permis de rapprocher les coutumes. Mais personnes n’a repris le flambeau. En 1789, l’unification des coutumes reste donc encore un projet de la royauté.

 Pour déterminer l’essence du droit français afin de la codifier, les rédacteurs ont du prendre en considération le fait que, pendant des siècles, la France a vécu sous l’empire de ces coutumes, en plus du droit romain et du droit canonique et faire un Code avec tout cela, d’où l’impossibilité du Code civil. Le Code civil de 1804 a donc réussi un compromis séculaire : associer des sources juridiques qui faisaient le droit français depuis des siècles. Pour comprendre le droit français, il faut donc revenir à ses origines antiques pour mieux aborder les conditions de sa naissance moderne.

 

PARTIE I- Les origines du droit français du Ier au XIVème siècle.

 Le droit romain a laissé en France un héritage considérable, mais pas seulement. Il s’est avéré fondamental pour l’Europe occidentale toute entière, à l’exception des îles britanniques. L’esprit romain est particulier, et c’est cet esprit juridique de Rome qui fait encore aujourd’hui le fondement même du droit français. Si Rome a pu dominer le monde pendant des siècles, c’est grâce à une approche subtile de la politique et des institutions. Rome est la première cité antique qui se soit montrée capable d’allier l’utile et le théorique. Le droit de Rome est marqué par ce pragmatisme romain. Pour le théorique, les juristes romains ont forgé les premiers des définitions, en posant des principes et dégageant des concepts. Ainsi, le contemporain de l’Empereur Hadrien (117-138), Celse le Jeune a posé une définition du droit : «Le droit est l’art du bon et de l’équitable». On trouve cette citation dans le Digeste de Justinien, à son début, dans le Livre Ier, Titre Ier, Chapitre Ier, premier paragraphe. Celse est un juriste professionnel, et un doctrinaire profond, et un humaniste. Il est l’un des premiers à envisager une vision particulière du droit. Pour lui, le droit doit être conçu de façon empirique, au cas par cas. Ce n’est pas une suite de principe immuable. A son époque, le droit se confond de plus en plus avec la loi faite par l’Empereur. Mais lui réfléchit sur la loi et la façon de l’appréhender, et selon lui, elle peut faire l’objet de discussion, et critique lorsqu’elle ne correspond plus aux besoins du corps social. Ainsi, le juge ne doit jamais être esclave de la loi, il estime que l’interprétation de la loi est fondamentale. En effet, selon lui, si l’on cherche à interpréter la loi, on cherche l’intention réelle du Législateur. Celse est ainsi un symbole du droit romain, sa pensée résume toute la subtilité du droit puisqu’il est à la fois soucieux de la tradition mais préoccupé par le concret. Aujourd’hui le juriste répond plus que jamais à cette approche théorique du droit vu par Celse.

 Le droit romain doit donc être étudié en tant que source du droit français à part entière. Ce droit romain a lui aussi subit des influences. Notamment, l’influence du christianisme au Bas Empire. A cette époque, les chrétiens étaient d’abord persécutés, jusqu’aux conférences de Milan, menées par l’Empereur Constantin. Après la tolérance, intervient l’obligation du christianisme comme religion d’Etat avec l‘Edit de Thessalonique de 380. Les contacts entre l’Eglise et Rome se multiplient, et les fondements du christianisme produisent un effet sur la législation romaine. Le droit romain s’adapte alors aux exigences du christianisme : charité, égalité et universalité. Les empereurs se montrent prudents et vont seulement adapter le droit romain sans se conformer au christianisme. Tel est l’exemple du divorce, admis par le droit romain mais pas par le christianisme. Les conditions d’exercice du droit de répudiation sont donc soumises à de strictes conditions par Constantin en 331, sans pour autant interdire le divorce. Parallèlement, l’Eglise développe son propre droit, le droit canonique, qui sera marqué par l’influence romaine. Ainsi, il faut s’attarder sur les origines romaines du droit français, mais aussi sur les origines canoniques du droit français.

 

1.  Les origines romaines du droit français.

 Dans la première moitié du IIème siècle, Rome compte une cité alliée, c’est la cité de Massalia, peuplée de descendants grecs de la cité de Phocée. Massalia appelle souvent Rome au secours dans les combats contre ses voisins et ennemis Celto-Ligures. Les romains y viennent souvent pour le commerce, mais également pour des raisons géopolitiques. Au début, les secours sont gratuits. Ainsi, en 154, un Consul romain intervient pour défendre les phocéens et évacuer les cités proches. Les romains ont alors cédé toutes les terres évacués au Phocéen. En 124, intervient une autre expédition romaine, qui à d’autres conséquences. Les ennemis sont facilement battus, mais les romains ne quittent pas les lieux de suite et décident de sécuriser la région. Ils installent une ville fortifiée non loin de Massalia, afin de contribuer à sécuriser la région. Cette ville prend le nom d’Acquae Sextiae. Un autre peuple vient menacer les deux cités, ce sont les Arvernes, peuple celte. Il voudrait s’installer dans la raison de Massalia pour des raisons commerciales. Le roi est vaincu dans la région d’Orange et emmené à Rome en triomphe en 121. Un an plus tard, Rome concrétise sa domination sur la région, et fonde une nouvelle province : Gallia transalpina. C’est une province très importante, qui a pour capitale Narbonne dès 118. En fondant cette province, les romains ont ainsi pu connecter les provinces d’Espagne et d’Italie du Nord, contrôlées depuis le IVème et IIIème avant JC. Les romains sécurisent ainsi l’accès à la Méditerranée occidentale. Ils s’empressent alors de tracer une route pour plus de commodités, c’est la Via domitia. Mais c’est aussi une manière de montrer toute l’importance géostratégique qu’ils accordent à la province. Celle-ci se romanise à une très grande vitesse et devient un modèle de romanisation. Elle est ainsi appelée «la Province», et de ce nom viendra la Provence.

 A partir de la transalpine, les romains peuvent surveiller tout le reste de la Gaule non romanisée, ou Gaule chevelue, et bientôt ils conquièrent. La Gaule cède en 52 avant JC, et en 50 avant JC la Gaule toute entière passe sous la domination romaine. C’est aussi à ce moment que la République de Rome cesse et commence le Principat. Rome rentre dans l’Empire romain, et après cela, les provinces gauloises profitent toute de la Pax romana. Les provinces sont les suivantes : la Narbonnaise, l’Aquitaine, la lyonnaise et la Belgique. Jusqu’en 476, ces terres gauloises vont prospérer, connaitre des réorganisations administratives. Les élites gauloises vont se romaniser et c’est donc l’ensemble des institutions romaines qui vont parvenir ainsi à pénétrer le monde Gallo-romain et à l’inspirer durablement. A compté du IIIème siècle, ce n’est plus le droit romain classique qui s’impose, mais c’est le droit impérial. Le droit est constitué par l’empereur jusqu’à la chute de Rome. A ce moment, avec la disparition de l’empereur, le droit romain tend lui aussi à disparaitre. Il réapparait au XIème siècle en Italie, avec ce que l’on appelle la première renaissance occidentale. Il faut donc envisager la subtilité du legs romain puis envisager les étapes de sa redécouverte.

 

Chapitre 1: Le legs romain.

 La fondation légendaire de Rome remonte en 753 avant JC, par deux frères. En réalité, au VIIIème siècle, sur le site de Rome ne se trouve que ce que l’on appelle une confédération latine. En réalité il n’y a ni cité, ni confédération, ce n’est qu’un rapprochement de villages, perchés sur les hauteurs. Les latins y vivants sont organisés en royauté. Les choses changent vers l’An 600, quand y arrivent les Etrusques, venant de la Toscane actuelle. Ils s’installent sur le site des sept collines, les romains sont donc conquis par les Etrusques. Une autre royauté s’installe, celle des Tarquin, noms des principaux rois étrusques. Cette royauté supplante l’aristocratie romaine, ce qui transforme le site. La cité fait donc son apparition au sens physique et politique du terme. A partir de là, l’aristocratie romaine doit appendre à composer avec la réalité nouvelle du Populus romanus. Le conflit entre les deux se dénoue en 509, quand Rome abandonne la royauté pour se constituer en République. Elle s’achèvera en 27 avant JC. Cette République laisse place au principat, au pouvoir unipersonnel d’Octave Auguste. Commence alors l’Empire romain.

 Entre République et principat, se situe l’apogée de la puissance juridique romaine, la science du droit y est à son maximum. C’est à ce moment que Rome organise ses gigantesques conquêtes, ce qui oblige les romains à dépasser la tradition. Elle ne peut plus s’organiser comme la petite cité qu’elle était au IIIème siècle avant JC. Les institutions tentent d’évoluer, surtout le droit, ce qui provoque l’émergence du droit classique au IIème siècle avant JC. Cet âge d’or est appelé l’époque classique, suivie de l’époque post classique. Pendant cette dernière, les romains ne créent pas de droit, ni n’améliorent le droit classique, mais les empereurs s’efforcent de sauver le droit de l’oubli. Ils s’efforcent d’illustrer le droit romain, de préserver son héritage.

 

Section 1: Le droit romain de l’époque classique.

 Cette époque classique s’étend du IIème siècle avant JC, jusqu’au IIème siècle après JC. Entre 509 et 202 avant JC, les romains se préoccupent de faire la paix et de régler les conflits qui les menacent de l’intérieur et de l’extérieur. Rome passe le plus clair de son temps à négocier ou à guerroyer. Il faut donc attendre le IIème siècle pour que naisse le droit classique. Les romains se débarrassent tour à tour des Samnites, des Gaulois, des Grecs de la Grande Grèce. Reste l’adversaire le plus redoutable : Carthage. En 202, s’en est fini de Carthage. La conquête sécurise à la fois le commerce et les institutions romaines, le droit classique peut donc apparaitre. Le droit existant pendant la conquête était archaïque, et il a laissé des traces. Il a façonné le droit classique triomphant. Entre 509 et 202, les institutions étaient en gestation, tout comme le droit. Sur cette période, est donc apparu le ius civile. Il remplace progressivement le droit archaïque, et le supplante, permettant ainsi l’affirmation du droit romain classique.

 

A) Le ius civile et le droit prétorien.

 Avant l’époque classique, entre la royauté et le début de la République, règne en maitre le droit archaïque. Ce droit archaïque ne va jamais complètement disparaitre. Il sera un jour supplanté par le ius civile, préféré par les romains. Le droit archaïque se maintient au moins jusqu’à la fin de la République et organise notamment certains rapports familiaux. Il est très étroitement lié à la religion. D’ailleurs, son interprétation au VIème et Vème siècle est effectuée par des prêtres de Rome, les pontifes. Ils étaient donc les maitre de la règle de droit. Elle était encore inspirée des Dieux et était appelée le Fas. C’est le droit d’origine divine, ce qui s’oppose directement au ius civile, inspiré de la Cité. Mais les pontifes n’avaient que la garde du droit, la faculté de création du droit était entendue de façon empirique, c’est à dire au gré des circonstances. Le Fas est un droit oral, crée par l’expression de la décision du juge. Ainsi, le droit romain archaïque était crée par le pouvoir de dire le droit, de l’appliquer, ou pouvoir de iuris dictio. Ceux qui créent le Fas étaient les titulaires de la iuris dictio, en l’occurrence les juges. Ils exerçaient donc un contrôle total sur le droit, mais rapidement, pontifes et juges vont perdre ce contrôle. Au gré des cas d’espèces, le Fas évolue et se complète. Au tournant des VIème et Vème siècle, la coutume archaïque fait son apparition. Elle correspond à une laïcisation et une amplification du Fas. Cette coutume prend de l’ampleur et se complexifie. Le populus commence à avoir des revendications par rapport à la coutume archaïque. Le droit va finalement être rédigé, c’est la que tout commence. Le ius civile fait son apparition, supplante le Fas, et l’histoire juridique du droit français commence.

 

1- L’usage des ancêtres

 C’est une institution au sens de corps de règles qui va organiser les usages collectifs, et qui porte un nom latin, le mos majorum. Il fait son apparition dans la vie collective romaine durant la Rome royale, c’est un droit archaïque qui remonte à la Rome d’avant 509 avant JC. Ce droit ne sera jamais complètement remplacé mais supplanté par le ius civile. Il continuera à réglementer jusqu’à la fin de la République certains aspects de la vie privée des romains. L’usage des ancêtres correspond à la coutume et se forme de deux manières. Il se compose des coutumes des groupes familiaux (coutumes particulières).

 

Dans la Rome royale, il existe une structure sociale de base, la grande famille citoyenne élargie, la Gens. C’est une cellule de survie, c’est autant une famille qu’un cadre de production agricole. Elle est articulée autour de la figure du protecteur, le Pater. Il a toute autorité et contrôle tout ceux qui sont de son sang, c’est le dernier vivant d’une lignée, il a sous son autorité et sa puissance tous ses descendants mâles. Ce Pater est responsable du culte domestique, et prend également toutes les décisions juridiques qui engagent la Gens. Toute convention qui engage doit être signée par la Pater. Il exerce cette juridiction sur les membres de la Gens et sur ses clients, c’est à dire ceux qui dépendent de ses terres ou de sa richesse. Ainsi, un rapport juridique de patron à client s’établit, le Pater protège et le client sert. Le Pater, de par sa fonction de juridiction domestique, est amené à prononcer des sentences pour régler les conflits au sein de sa Gens. Chaque fois qu’il rend une sentence, le Pater crée un précédent et il arrive qu’une sentence se reproduise à l’identique dans son résultat pour une autre sentence. La succession des précédents forme peu à peu la coutume de la Gens, propre à chaque famille. L’usage des ancêtres se compose donc de cette succession de précédents. Le mos majorum est aussi composé des coutumes de la cité. Ces coutumes sont gardées par les prêtres, les pontifes. Elles sont aussi composées de précédents mais cette justice publique n’est pas celle des paters.

 

L’usage des ancêtres est confondu parfois avec ce que l’on appelle les lois royales. Pour les auteurs latins de la République, aurait existé des lois royales. Deux rois de Rome auraient légiféré et auraient fait en sorte d’organiser le mos majorum et aurait fait du mos majorum une structure plus organisé qu’une simple coutume. Romulus et Numa seraient ces législateurs à l’origine de ces lois royales. L’existence de ces lois est confronté à la science des lois contemporaines. L’argument décisif tient dans le rôle exact dévolu aux assemblées populaires sous la Rome royale. Ces assemblées sont très effacées, et portent un nom, les comices. A l’époque des rois, il n’y a qu’une seule catégorie de comices, les curiates. Elle réunit les romains selon un critère de sélection : l’appartenance à une Gens. Globalement, ces comices étaient totalement sous le contrôle des paters. Ce n’étaient pas des assemblées de citoyens mais une représentation de la puissance des Gentes. En conséquence, ces assemblées n’étaient surement pas législatives. Si ces comices ne votaient pas de lois ordinaires, ils ne pouvaient pas non plus voter des lois royales. De plus, elles intervenaient rarement dans le domaine juridique, et n’intervenaient que dans deux cas : l’investiture des rois et pour modifier le rapport de force entre les différentes Gentes. Les comices étaient surtout une assemblée politique et non une assemblée législative. Il faut donc conclure que le premier droit romain était coutumier. Tout le droit romain s’est donc bâti au cas par cas de façon pragmatique en fonction des circonstances. La loi a bien été source du droit, mais pas de tout le droit et elle n’a jamais été source du droit avant la République. La loi source du droit est une réalité de la République romaine.

 

2- La loi des XII Tables et l’apparition du ius.

 Le ius, c’est le droit en tant que réalité écrite qui fait son apparition avec la République en 509 avant JC. Les rois étrusques sont chassés de Rome et remplacés par des magistrats qui conduisent les troupes romaines au combat à la place des rois. Ils ont donc hérités du pouvoir de vie et de mort des rois, le pouvoir d’impérium. Puisqu’il permet de mettre à mort ou de faire vivre, il sert aussi à rendre la justice. Les magistrats républicains titulaires de l’impérium sont appelés les consuls. Ils sont deux au départ et le resteront jusqu’à la fin de la République illustrant la pratique de la magistrature collégiale et bicéphale. Le pouvoir d’impérium a une conséquence : les consuls profitent du pouvoir de la juris dictio, ou la faculté de dire le droit. C’est un progrès par rapport à la Rome royale car le partage des tâches semble s’équilibrer entre pontifes et magistrats publics. Par la iuris dictio, les consuls peuvent seuls accorder le droit d’agir en justice. C’est cela qui pose problème et provoquer pour des raisons démocratiques l’apparition du ius.

 

a) La rédaction de la loi des XII Tables.

 Il n’existe aucun droit codifié au Vème siècle. Le droit coutumier est connu seulement des pontifes et n’est sanctionné que par décisions arbitraires des consuls. Or, il se trouve qu’en 451 la situation politique et juridique à Rome est devenue intenable.

Rome connait une crise importante et l’on trouve deux catégories de citoyens qui s’affrontent : les patriciens et les plébéiens. Cette affrontement est la conséquence des affrontements qui existaient entre les sujets de Rome et l’aristocratie sous la Rome royale. Ce n’est plus affrontement social ou économique mais juridique. Glissant sur le terrain juridique, la querelle souligne l’impossibilité des institutions à proposer des arbitrages entre les dominants et les dominés. Les patriciens se définissent en vertu d’un critère technique : il se définit comme un romain qui seul peut accéder au consulat. Un patricien appartient aussi à une famille dont les membres peuvent accéder au consulat et aux charges de pontifes. Les clients de ces patriciens ne sont pas concernés par ce privilège institutionnel. Les plébéiens sont les citoyens romains qui ne peuvent pas devenir pontife ou consul. La difficulté réside sur le fait que cette situation ne changera jamais. Les plébéiens sont en colère car ils ignorent les formules juridiques par lesquelles on peut faire valoir les droits, conservées jalousement par les pontifes et de plus, quand ils s’arrangent pour en découvrir certaines et qu’ils demandent l’ouverture d’un procès, le consul refuse systématiquement en 451. L’arbitraire du magistrat, la méconnaissance du droit sont les raisons du conflit et de l’éventuel éclatement d’une guerre civile. Mais les romains ne peuvent pas se permettre une guerre civile. Les plébéiens font la grève de la guerre, le Sénat est pris au piège et est dans l’obligation de composer. Il décide de céder face aux revendications plébéiennes. Il accorde deux réformes fondamentales : le droit sera écrit, et l’arbitraire du consul sera encadré.

 Rome se dote alors de son premier texte juridique qui reste dans les mémoires : la loi des XII Tables. Cette loi est rédigée par une commission de rédaction composée de dix hommes, c’est une commission décemvirale. Ces hommes sont des magistrats réunis dans le seul but de rédiger la loi, reçoivent tout pouvoir et mène pendant un an une dictature destinée à tourner toutes les forces de la Cité dans un seul but : la rédaction du droit. Cette dictature est appelée la Constituante. Les romains se sont inspirer d’autres lois du pays, notamment le travail de Solon. En 450, dix tables sont rédigées et en 449, les douze tables sont rédigées. En 449, les décemvirs refusent de rendre le pouvoir et décide même d’en abuser. Claudius Apius, l’un d’eux décide d’enlever une jeune fille, Virginie et en fait son esclave. Le père de la fille refuse pour une question d’honneur et il décide de tuer sa fille. L’incident provoque une rébellion et les décemvirs sont chassés du pouvoir, laissant la place aux consuls, qui font ratifier la loi des XII Tables. Il ne s’agit pas malgré tout d’un Code au sens moderne du terme : elle ne comprend pas tout le droit romain, mais que le droit dont la connaissance était exigée par le plébéiens. Par exemple, la loi laisse de coté le droit de la famille, il n’est pas question de la puissance paternelle. De même, le droit des successions qui n’intéressent que les puissantes familles reste en dehors de la loi des XII Tables. Tout ce qui n’est pas traité par la loi est traité par le mos majorum, d’où sa persistance jusqu’à la fin de la République. La loi des XII Tables fonde le droit romain et permet l’apparition du ius civile.

 

b) Le ius civile.

 Avant la loi des XII Tables, il n’y avait que la coutume ou les précédents judiciaires. A partir de la, le droit romain rentre dans le domaine de la loi. La loi s’affirme comme la source exclusive du droit privé romain. Le droit public reste lui l’affaire d’une loi particulière, autre que la loi des XII Tables, la Lex rogata. Elle est différente de la loi des XII Tables car elle n’est pas élaborée de la même manière. Elle est votée par les comices et reste relativement rare. On l’appelle ainsi car elle a fait l’objet d’une proposition provenant des consuls. Ces lois sont la maitrise de l’exécutif romain et des magistrats, ce qui n’est pas le cas du droit privé. Le droit privé romain est l’essence même de la démocratie, alors que le droit public est l’essence de l’oligarchie. Le droit privé se trouve incorporé dans la loi des XII Tables. La loi des XII Tables comprend la majorité du droit romain, mais pas dans son entier. Pourtant, les romains affirment que la loi est source exclusive du droit, et ceci pour une raison politique : le droit est désormais rédigé, publié. Le droit romain est affiché sur un catalogue, placé sur le comitium, ou espace public. Il se trouve sur le forum, là où s’organise la vie politique romaine.

 

Le service de la justice s’améliore sensiblement, le consul connait le droit car il n’a plus besoin de s’adresser aux pontifes et les justiciables peuvent aussi connaitre le droit applicable. Dorénavant, le consul est lié par le catalogue des actions prévues par la loi des XII Tables, et il n’est plus en mesure de refuser l’ouverture d’un procès. A partir de cela, la révolution des XII Tables est une révolution politique et non plus seulement technique. Le citoyen est à l’abri de l’impérium consulaire. De plus, le consul ne peut plus modifier la réparation d’un dommage en matière contractuelle, car elle fixée par la loi. De même, il est dans l’impossibilité de décider arbitrairement d’exercer des moyens d’exécution à un insolvable sur sa personne. La loi des XII Tables apaise donc la situation politique et éloigne pour un temps les risques de la guerre civile. D’un point de vue technique, la loi des XII Tables initie un nouveau corps de règles juridiques et permet inévitablement l’apparition du droit. Elle promet des procédures et des lois.

1) Le droit des XII Tables.

 La loi des XII Tables établit une liste des droits. Elle précise les droits qu’elle accorde à tout justiciable. Elle établit cette liste pour tout justiciable qui serait soucieux d’obtenir la réparation d’un dommage, la réalisation d’une obligation ou encore la satisfaction d’une prétention successorale. Chaque droit garanti accorde une action à celui qui veut faire valoir une disposition légale. Le justiciable va donc demander l’ouverture d’un procès en faisant le choix de l’action qu’il veut mettre en oeuvre. Au commencement de sa cause, le justiciable doit convaincre le consul que l’objet du litige, que l’affaire qui le concerne, correspond exactement mot pour mot à une des catégories prévues par la loi. Il doit invoquer un droit qui correspond précisément à l’objet du litige. Le droit romain archaïque est donc par essence formaliste et en cela, la rédaction de la loi des XII Tables n’est pas une laïcisation du droit. Une action correspond très exactement à la lettre près à une disposition de la loi des XII Tables. Par exemple, dans la Table XVIII, fragment sept : « s’il tombe des glands de ton arbre sur mon terrain et que je les fasse manger par mon troupeau, tu ne peux agir contre moi par l’action de la loi XII Tables prévue contre ceux qui font paitre leur troupeau dans la clan d’autrui ni par l’action en réparation du tort causé par les bestiaux». Il n’existe donc aucune marge dans l’application de la loi des XII Tables.

 Si la victime se trompe et réclame l’action dénonçant l’os fractum, alors qu’il aurait fallu choisir l’action dénonçant le membrum ruptum, le consul prononce la denegatio actionis. Malgré ses intérêts, la loi des XII Tables exige une très grande connaissance des droits et des actions qui permettent de le faire valoir. Le formalisme romain va exister aussi sur un autre point. En dehors des droits qui sont listés, et en dehors des actions qui permettent la mise en oeuvre des droits devant le magistrat, aucun autre droit n’existe. Si l’objet du litige est ignoré par la loi des XII Tables, le justiciable ne pourra jamais obtenir réparation. C’est aussi la raison pour laquelle les romains estiment qu’en 449, le droit rentre dans le domaine de la loi et qu’elle devient l’affaire exclusive du droit privé.

 Dans son contenu, la loi des XII Tables fixe pour un temps l’organisation sociale de la société. Elle n’entre pas dans le détail juridique de la Gens mais la conforte dans son existence et sa puissance. Elle établie de façon durable le rapport entre le patron et son client. Dans la Table XVIII, fragment 21 : «que le patron soit sacer s’il a frustré son client». Il est voué au Dieu et peut être mis à mort par n’importe qui. En dépit de son archaïsme, la loi des XII Tables fait également évoluer le droit romain et pose les bases du droit privé classique. Elle est importante notamment en matière contractuelle, les romains font de notables avancées en matière de droit des contrats. La loi permet de sanctionner des conventions, des accords entre individus par le recours aux rites religieux. Les accords sont dorénavant source d’obligation contractuelle et peuvent être sanctionnés en justice. Un contrat archaïque reçoit grâce à la loi des XII Tables une sanction légale systématique et prend le nom de stipulatio. C’est le contrat le plus simple et le plus usité par les romains. C’est un contrat unilatéral et formaliste, oral formé par le prononcé de paroles strictement imposées par la tradition. La rencontre des volontés ne suffit pas. L’obligation nait lorsqu’un futur créancier, qu’on appelle le stipulant, pose une question au futur débiteur, le promettant, lequel promet en utilisant les mêmes mots prononcés par le stipulant, mais sous une forme affirmative.

 Les mots traditionnels sont «spondesne? spondeo». Aujourd’hui, on garde une trace de ce rite et de ce formalisme. L’article 1162 du Code civil voit toujours le créancier comme un stipulant et reproduit une règle romain d’interprétation des conventions. En cas de litige, selon cet article 1162, on retient l’interprétation de la convention qui est la plus favorable au débiteur, et pour ceci pour une raison romaine : le créancier qui a posé la question doit subir les conséquences d’une question mal posée. Les romains se servaient beaucoup de ce contrat pour la novation.

 Avec le temps, les romains commentent et interprètent la loi des XII Tables, et découvrent d’autres contrats unilatéraux, qui sont justifiés pour les besoins agricoles. Ils découvrent le mutuum (prêt à titre gratuit) contrat qui se forme par la constatation d’un élément rituel qui vient garantir et sécuriser l’obligation. Ce contrat se forme par la remise d’une chose ou tradition de la res. Il porte surtout sur de l’argent mais très souvent aussi sur des denrées alimentaires. On s’oblige par ce contrat à rendre l’équivalent de la chose prêtée, mais rien de plus. Il est possible de faire naitre l’intérêt mais il faut que les parties ajoutent un contrat supplémentaire : une stipulation d’intérêt. Ces contrats fixés par la loi régule la vie quotidienne au sein de la Cité romaine. Ils apparaissent homologués par la loi des XII Tables. Ils ont néanmoins besoin d’être sanctionnés par la loi pour être contraignant. Jusqu’alors le religieux et la puissance de la Gens suffisaient mais avec les XII Tables, inutile de recourir au prêtre et au Pater, la sanction du droit devient l’affaire de la loi.

2) La procédure des Actions de la loi.

 Dans le droit romain archaïque après la rédaction de la loi des XII Tables, les procès sont engagés devant le consul en suivant une procédure caractéristique qui comprend les moyens immédiats de garantir les droits énumérés par la loi des XII Tables. Les romains donnent un nom à ces moyens : les Actions de la loi. Ces procédures sont affectées au service de la loi et non créées par la loi. Elle permettent que les droits soient sanctionnés. Ces actions de la loi sont pour certaines antérieures aux XII Tables, héritées des débuts de l’époque républicaine. La loi a donc à la fois consolidé la tradition et progressé la marche du procès romain en créant d’autres procédures. Les Actions de la loi sont les suivantes : le sacramentum, la iudicis arbitrive postulatio, la condictio, la pignoris capio et la manus injectio. Ce sont les seules procédures qu’on peut utiliser pour obtenir sanction en justice.

 Le sacramentum est une procédure solennelle et formaliste qui repose sur le serment. Elle nécessite la présence du consul et de témoins. Elle permet de sanctionner une grand variété de convention : des obligations contractuelles comme des obligations délictuelles. Les romains s’en servent si jamais on leur doit une somme d’argent, en cas de vol pour obtenir réparation. Il est donc pratique mais lourd, et sa solennité est un obstacle. Il commence par la citation à comparaitre, la force publique n’intervenant pas. Il faut donc que la victime, futur demandeur, aille elle-même chercher l’autre partie. Ensuite, commence la deuxième phase de la procédure devant le magistrat par le choix de l’action spécifique qui correspond à l’objet du litige. Le plaideur doit consulter le catalogue des actions de la loi dans lequel il doit choisir le droit lésé et proposer au magistrat une formule d’action adéquate, susceptible de déclencher l’ouverture du procès. Si les plaideurs se trompent d’action, le consul refuse l’ouverture du procès. La procédure commence alors sa troisième phase : le sacramentum stricto sensu. C’est un défi dans lequel, les parties chacune à leur tour, interviennent et prononcent des paroles imposées par la tradition et la loi des XII Tables, afin de simuler l’objet du litige. Chacun des plaideurs prononcent «puisque tu as fait une opposition injustifiée à mon droit, je te défie par un serment de 500 as» et l’autre partie répond «et moi de même». Les termes du litige sont fixés, intervient alors la litis contestatio. Les parties ne pourront pas revenir un justice et reformuler les termes du litige pour le même objet. S’impose un principe en droit romain «bis de eadem re ne sit actio», qui signifie qu’une action n’est pas accordée en cas de cause répétée. Le magistrat doit condamner dans la quatrième étape. Mais la condamnation est faite sur le sacramentum, le magistrat doit alors déterminer qui s’est parjuré. En faisant cela, le magistrat désigne le perdant du procès et il a alors une obligation, il doit verser l’amende au Trésor de la Cité. Incidemment, l’obligation de payer la somme promise, de restituer l’esclave usurpé ou d’acquitter la peine fixée par la loi, qui faisait réellement l’objet du litige, a été tranchée de manière indirecte.

Le perdant devra alors s’acquitter de sa faute vis à vis de son cocontractant lésé. Cette procédure dure jusqu’à la fin de la République mais subit la concurrence d’autres procédures.

La iudicis arbitrive postulatio est une création des décemvirs. Elle intervient pour sanctionner des stipulations, et la litis contestatio y est aussi une phase centrale. Mais elle intervient beaucoup plus tôt, il n’est pas nécessaire de procéder à un défi, un pari juré. Après les affirmations contradictoires, les parties sollicitent directement de la part du magistrat la désignation d’un juge pour trancher le litige. Le juge n’est qu’un simple particulier, investi par le consul du pouvoir de prononcer un jugement exécutoire d’après les termes de la litis contestatio. Le particulier investit se comporte comme un juge pour juger de l’authenticité du litige et un arbitre, pour déterminer la compensation qui sera due au justiciable lésé.

 La condictio est une procédure dite des actions de la loi, mais elle est née bien après la loi des XII Tables. Elle fonctionne comme les précédentes sur l’absolue nécessité de choisir l’action définissant le litige. Elle a été inventée au IIIème siècle avant JC, par la loi Silia. La condictio sert à sanctionner les créances certaines et abstraites, surtout les conventions qui portent sur des choses, les mutuum. Cette procédure reste abstraite car elles n’indiquent pas la cause juridique sur laquelle s’appuie le demandeur.

 La pignoris capio ou prise de gage est une procédure d’exécution. La loi dans certains cas limitativement énumérés, autorise le créancier à saisir un bien du débiteur. Le créancier compte par ce biais sur le versement de la part du débiteur d’une somme libératoire, qui sera supérieur au montant de la dette initiale.

 La manus injectio est une contrainte par corps. Elle est utilisée pour contraindre le perdant à s’exécuter. Après une période de trente jours suite au jugement, le gagnant peut à nouveau trainer le perdant devant le magistrat. Le créancier peut alors se saisir du débiteur, qui peut alors soit s’exécuter, soit être aidé par un citoyen secourable en soulevant une opposition contre le jugement effectué. Il commence alors avec le créancier un nouveau procès. Si personne ne vient en aide, le consul prononce l’addictio : cela signifie que le débiteur est remis au créancier. Il le garde enchainé pendant soixante jours, période durant laquelle il doit trois fois emmener son débiteur pour susciter sa libération. L’idée est celle d’un rachat de la dette par un citoyen. Si à la fin de cette période, personne n’a souhaité acquitter la dette, le créancier peut alors le vendre en tant qu’esclave ou le mettre à mort. Les romains préfèrent alors à ce moment là imposer au débiteur une exécution sur sa personne, un travail compensatoire jusqu’à ce que ce dernier vienne à l’équivalent de la dette qui était celle du débiteur.

 Le catalogue des droits de la loi XII Tables, les actions affairantes à ces droits ainsi que les cinq Actions de la loi forment le ius civile, le droit des citoyens romains. Il reste celui des citoyens romains jusqu’à l’Edit de Caracalla. C’est un droit rigoureux à tout point de vue dans son expression comme dans sa procédure. Il représente en raison de ce formalisme un droit figé, qui n’évolue que très lentement sur des points accessoires et non sur des points fondamentaux. A partir du IIIème siècle, une nouvelle institution romaine se forme et vient compléter le droit archaïque, et permettre l’apparition du droit classique. Ce nouveau droit introduit une nouvelle forme de souplesse. Le ius civile n’est plus qu’une composante d’un droit romain plus innovant. Cette nouvelle institution c’est le préteur.

 

3- L’Edit du préteur.

 Le peuple romain était un peuple de juriste, mais ce n’était pas un peuple de législateur. Ils ne l’étaient pas puisque finalement, ils ont voté un nombre restreint de lois. Sur l’ensemble de la République, on compte seulement huit cent lois ou leges rogatae. En ce qui concerne les sources du droit, un tout petit nombre concerne le droit privé, seulement vingt six lois. Le droit privé romain ne provient donc pas dans la loi, seulement dans la loi des XII Tables. Il procède d’une source essentielle, qui fait toute sa richesse, spécifique au droit romain, qui explique son adaptabilité. C’est un droit essentiellement prétorien.

 

a) Le préteur, source du droit.

 Le préteur est un magistrat, il est en charge de l’exécutif. Il apparait en 367 avant JC dans les institutions publiques. Il est doté comme tous les magistrats supérieurs du pouvoir de vie et de mort, du pouvoir de l’impérium. Il pourrait donc se servir de ce pouvoir pour diriger les armées, pour agir avec le Sénat ou pour convoquer les comices populaires. Il ne fait rien de tout cela. Le préteur a été crée dans un seul but : assurer le service public de la justice dans la République romaine. Son rôle est de remplacer le consul, qui va s’occuper davantage de politique et d’armées. Dans un premier temps, à compter de 367, le préteur se contente de faire appliquer la procédure des actions de la loi. Les choses changent en 242, quand un deuxième préteur est crée, c’est le préteur pérégrin. Il vient s’associer au premier préteur, devenu le préteur urbain, compétent pour la ville de Rome, il dit le droit entre romain. Le préteur pérégrin est compétent hors de la ville, et dit le droit entre étrangers des pays conquis. Son rôle est de vider les procès entre romains et pérégrins. S’il est devenu indispensable, c’est en raison de la conquête.

 

En 242, Rome a déjà réalisé un nombre important de conquêtes, elle a inscrit dans sa sphère, un certain nombre de peuples étrangers. Interviennent donc des mutations sociales et économiques profondes. Rome découvre une certaine évolution des mentalités, et avec cela, il est nécessaire que le droit romain tienne compte de ces nouveautés apportées par la conquête. Le droit, par l’intermédiaire du préteur, va dépasser le cadre étroit du ius civile établit par la loi des XII Tables et mis en oeuvre par la procédure des actions de la loi. Avant la conquête, Rome était une citée autarcique, rurale, qui pouvait se contenter de mécanismes juridiques élémentaires (prêt à court terme entre amis, vente au comptant). Le formalisme des actions de la loi pouvait suffire et il n’était pas nécessaire de concevoir plus de droits que ceux listés dans la loi des XII Tables. Après la conquête, les romains découvrent les échanges de grandes ampleurs, Rome s’ouvre sur les cités conquises, prend contact avec des étrangers, découvrent le commerce. Avec le commerce, les romains découvrent la richesse et le crédit, bouleversement sociaux économique. Les romains doivent donc s’adapter, d’autant plus que le handicap du ius civile c’est qu’il n’était réservé qu’aux citoyens romains. Il ne pouvait pas servir à organiser les rapports entre les romains et les pérégrins. Le ius civile ignorait les mécanismes du crédit, il était obsolète, et devait être sujet à une évolution. C’est le préteur qui s’en charge, en créant de nouvelles actions qui n’existaient pas dans le ius civile. Ces actions se distinguent car elles sont non formalistes : elles ne reposent pas sur des rituels, elles s’appuient sur la bonne foi seule, vertu essentielle, la bona fides. Le préteur dépasse les rites archaïques, crée des actions qui vont pouvoir sanctionner des transactions passées entre absents et surtout, des obligations nées du seul accord de volonté des contractants. Rome découvre la sanction en justice des conventions entre absents et des conventions génératrices d’obligation nées du seul accord de volonté. Cette évolution est lente, elle s’accomplit sur plusieurs siècles. Il faut du temps, parce que le préteur va créer des actions d’une certaine manière. Le préteur n’a pas de pouvoir législatif, mais un pouvoir de iuris dictio. C’est en organisant les procès que le préteur va faire murir le droit romain et faire éclore que le droit classique. Il crée pour cela la procédure formulaire qui vient remplacer la procédure des actions de la loi et la supplanter.

 

b) La procédure formulaire.

 C’est une procédure construite autour de la formule. C’est par la formule que le préteur va agir pour édifier le droit classique. Dans cette procédure, le préteur tient le rôle central. Deux institutions interviennent : le préteur qui dit le droit et un juge qui prononce la sentence. Elle se déroule de la manière suivante en quatre phases. La première phase correspond toujours à la citation à comparaitre. Il faut trainer l’autre partie en justice, le demandeur disposant dorénavant de certains moyens publics. Il peut obtenir des mesures conservatoires qui vont lui assurer que le défendeur acceptera de se déplacer. Il peut ainsi obtenir du préteur l’envoi en possession des biens du défendeur. Cela signifie que le demandeur pourra disposer de la pleine possession des biens du défendeur et cela jusqu’à ce que ce dernier se déplace. La cité organise aussi une menace de vente aux enchères les biens du défendeur.

Cette menace suffit généralement à décider le défendeur à se déplacer. La seconde phase est la plus importante, c’est la phase in iure. Le demandeur choisit la formule d’action qu’il entend mettre en oeuvre. Le préteur procède avec les parties à un examen sommaire du litige, il confronte la formule choisie et l’objet du litige. Il vérifie que l’action demandée existe et qu’elle est bien listée par la loi des XII Tables, ou qu’elle existe bien dans son propre édit prétorien. Le préteur vérifie aussi que l’action demandée correspond à la virgule près à l’affaire présente. Dans l’affirmative, le préteur rédige la formule qui accorde officiellement l’action et dresse de manière impérative la mission du juge. Elle est appuyée sur l’impérium, elle va dicter au juge la marche à suivre pour le procès.

 

La rédaction de la formule introduit la troisième phase, la litis contestatio. Les termes du litige sont fixés, et le demandeur ne pourra plus revenir en justice pour revendiquer le bénéfice d’un droit sur l’affaire qui est concerné. Intervient ainsi la quatrième phase, la phase apud iudicem. Le prononcé de la sentence est déléguée à un particulier, un citoyen romain connu pour sa sagesse. Le juge reçoit les parties qui viennent chez lui avec la formule rédigée par le préteur. Il suit la formule servilement, sans avoir besoin de réfléchir. Son rôle est d’examiner les preuves que les parties avancent. Après cela, soit il condamne, soit il absout. S’il condamne, la sentence accorde au demandeur un titre exécutoire, qui lui permet de faire exécuter la sentence. S’il refuse, le demandeur peut agir, mais à l’époque prétorienne c’est la procédure de la manus injectio. Cette procédure est en déclin, et à l’époque, le demandeur utilise l’actio iudicati. Elle permet de mettre en oeuvre des procédés d’exécution, qui permettent au demandeur d’exiger un travail compensatoire. C’est au cours de la deuxième phase de cette procédure que le préteur innove. Il crée du droit à partir de l’impérium, il complète les lacunes du ius civile et crée des formules d’actions nouvelles.

 

c) Les formules d’actions et la rédaction de l’Edit du préteur.

Devant le préteur, le demandeur doit choisir l’action correspondant à son litige. Mais de plus en plus, le préteur est confronté à des exceptions, car certaines actions n’existent pas. En théorie, le préteur doit refuser l’ouverture du procès et de prononcer la denegatio actionis. Mais le préteur décide de créer des actions nouvelles pour tenir compte des mutations économiques et sociales. La confiance a progressé, et le préteur décide à partir de la fin du IIIème siècle, que seule la bona fides peut servir à garantir des transactions. A partir de la, il crée des actions, notamment quatre contrats nouveaux. Ce sont des contrats consensuels reposant sur le seul échange des consentements et des contrats bilatéraux, synallagmatiques. Il s’agit de la vente, du louage, de la société et du mandat. Les autres conventions établies sur la bonne foi, mais ignorée par le préteur resteront de simples conventions. Toutes les conventions qui ne seront pas vente, louage, mandat ou société seront donc des conventions non contraignantes. C’est pas exception que le préteur à créer des conventions basées sur la bonne foi. Le principe reste donc le formalisme. En plus de la bonne foi, il crée des actions in factum, appuyée sur le fait. Le fait devient alors droit et peut obtenir sanctions en justice. Pour cela, il faut que ce fait se répète et non un cas isolé, et que le préteur tienne compte de cette répétition et décide d’accorder lorsqu’il observe le fait, une action pour le sanctionner. L’action in factum a permis la sanction en justice du dol, de la violence et par ces actions, le préteur a aussi crée des contrats comme le dépôt ou le gage. Au bout du compte, le préteur peut retenir dans la formule des actions du ius civile, des actions de bonne foi et des actions in factum. Le justiciable doit alors connaitre ces actions, et pour se faire, il fallait autre chose que la loi des XII Tables car elle fournit seulement la liste des actions du ius civile. Le préteur a donc pris l’habitude de rédiger son Edit.

 Le préteur est élu pour un an. A chaque fois qu’il rentre en charge, le préteur prend l’habitude de rédiger un catalogue d’action qui va présenter toutes les actions qu’il acceptera de présenter au plaideur. Par ce programme, chaque préteur s’engage à accorder les actions listées dans son catalogue. On y trouve donc les anciennes actions du ius civile, les actions de bonne foi et les actions in factum. Cet Edit porte le nom d’Edit du préteur. Il est transcrit chaque année sur des tables de bois peintes en blanc (albus). L’édit porte donc le nom d’album. Il est affiché sur le forum à la disposition de tous. L’édit du préteur est une source de droit originale, d’une infinie richesse qui permet d’adapter le droit aux nécessités contemporaines.

 L’action du préteur correspond donc à un processus de création du droit, le droit prétorien. D’autres magistrats que les préteurs donnaient des édits, moins importants, mais qui travaillaient à la création du droit de la même façon. On trouve parmi eux les édiles curules, en charge de la police du marché, et les gouverneurs de province en charge de la justice et rendre des édits pour organiser ce service. Tous se sont trouvés à l’origine du droit classique de la République romaine. Ce droit classique est venu compléter le ius civile, et ces sources classiques sont à l’origine du droit romain d’aujourd’hui. Le droit romain le plus illustre et performant est né sous la République, et est passé à l’épreuve du Dominat.

 B) Les sources classiques à l’épreuve du Dominat.

Ces sources classiques, dans leur essence même, résume le droit romain. Mais le Dominat a permis l’illustration du droit classique. En 27 avant JC, c’est la fin de la République. Celui qui prend le pouvoir, c’est Octave, petit neveu de Jules César. Il devient dans celui qu’on appelle le princeps. Ce titre signifie qu’il l’emporte en dignité sur les autres magistrats, c’est le premier. Contrairement aux autres magistrats, Octave détient l’auctoritas. Il se distingue mais reste dans les institutions un primus inter pares parmi tout ceux qui restent ses égaux. Octave fonde non pas un empire, mais un principat. L’idée, c’est que la République demeure, toutes les institutions républicaines restent en place : le Sénat, les comices populaires et les magistrats, mais sont sous l’autorité du princeps. Les consuls, les préteurs continuent d’exister et sont des institutions actives. Le droit classique continue de se nourrir de la même manière, le préteur reste source de droit. Son édit alimente dorénavant des commentaires des savants, des spécialistes du droit. Le droit romain est arrivé à un tel stade d’évolution que les romains sont capables de dépasser le cas par cas et de nourrir une réflexion théorique sur le droit. Les romains ont inventé le droit, sons sens pratique. Ces savants réalisant les commentaires sont appelés les prudents car ils détiennent la prudentia, la sagesse de la connaissance. Ils font les traités et alimentent le droit classique avec les préteurs ainsi que son renouvellement, sa richesse alors même que les institutions politiques vacillent. Tout change avec la dynastie des Antonins, commençant avec Nerva et s’achevant avec Commode. Le pouvoir du princeps devient plus bureaucratique, administratif. Tout au long de cette dynastie, la fiscalité s’alourdie, et l’empire se caractérise par une puissance du princeps qui va s’incarner de plus en plus dans un Etat. Les romains sont quasiment sur le point de découvrir l’Etat. Il ne leur manquait plus que de définir une règle de succession dynastique fixe, légale pour découvrir la personne morale de droit public que l’Etat suppose. La conséquence de la toute puissante dynastie, c’est l’effacement du principat au profit d’une monarchie absolue. L’empereur devient le maitre, le dominus. Le droit romain dans son essence classique subit les conséquences de cet avènement impérial des Antonins. Toutes les sources classiques s’en trouvent affectées.

1- L’Edit perpétuel.

 L’album prétorien reste une source vivante du droit jusqu’au Ier siècle ap JC. Jusque là, le préteur continue de créer des actions, de retirer des actions de son catalogue, et assure ainsi l’évolution de son catalogue civil et prétorien. Avec le temps, l’activité créatrice des préteurs va se ralentir. Les magistrats en viennent à limiter leur action créatrice de droit. Les préteurs ne modifient plus l’album et à compter du Ier siècle, l’album ne change plus globalement. L’Edit tend à se figer. A partir de l’an 120, l’Edit du préteur n’évolue plus. En 120, l’empereur romain Hadrien laisse une marque dans les institutions romaines. Cet empereur a accompli une oeuvre institutionnelle, a contribué à poser les bases de la monarchie absolue. Hadrien écarte définitivement les sénateurs des services centraux de l’administration impériale, il réforme à ce titre la composition du conseil impérial. Ce dernier devient une institution spécialisée et le lieu d’expression des techniciens (juristes). La justice devient une affaire essentielle, l’empereur y est sensible car il devient le dominus, il a donc des devoirs. C’est la protection, la bienfaisance et la providence. Il impose donc une nouvelle procédure pour dicter la marche des procès. La procédure formulaire reste en place, mais elle est concurrencée par une nouvelle procédure : la cognitio extra ordinem. C’est une procédure qui vient en marge de la procédure existante, elle la complète.

Cette nouvelle procédure abandonne le découpage du procès en deux phases. Le procès se déroule désormais uniquement devant le juge. La nouveauté c’est que le juge ne reçoit plus de formules d’actions, la marche à suivre ne lui est plus dictée. Le juge reçoit les parties, valide l’action choisie et rend la sentence. Il n’est plus nécessaire d’obtenir une formule du préteur, les procès avancent beaucoup plus vite. Pour gagner du temps et alléger les lourdeurs de la procédure formulaire, l’empereur a initié cette procédure. Mais désormais, le juge est un fonctionnaire qui répond de sa sentence devant son supérieur, l’empereur. Le but de cette procédure n’était donc pas seulement d’accélérer la marche du procès mais de placer le service de la justice entre les mains de l’empereur. La justice devient donc un véritable service public dépendant de l’empereur et de son administration. Le préteur en tant qu’institution décline en conséquence, précisément à un moment où son activité créatrice se tarie. Les deux phénomènes sont concomitants mais la conséquence est implacable.

La procédure aboutit à la création d’un nouveau procès : le procès cognitoire, dont la marche se reproduit sans trop de variation jusqu’à la fin de l’empire romain. Le préteur est mis de coté, et par conséquence, l’édit est récupéré par l’administration impériale. Hadrien fait appel à Salvus Julien pour mettre en oeuvre l’édit du préteur, en réunissant dans un seul recueil les édits de tous les préteurs urbains qui se sont succédés. Deux objectifs: imposer un plan définitif et systématique et faciliter la connaissance de toutes les actions attachés aux différents droit listés par les albums du procès. Le plan retenu est celui de la marche du procès cognitoire, il poursuit donc un objectif d’efficacité. Il commence avec les sections relatives à l’organisation du procès, puis avec la litis contestatio et enfin avec les moyens d’exécution de la sanction. Cet édit est terminé en 138, à la fin du règne d’Hadrien. Le travail de Salvus Julien renforce la permanence de l’édit. L’édit ne se complète plus, c’est pour ça qu’on parle à tord d’une «codification julienne». A compter de cela, la source prétorienne du droit classique est définitivement tarie : le préteur ne créera plus jamais de droit. Sous la dynastie des Cévères, l’édit des préteurs est appelé édit perpétuel. Il n’évolue plus mais sert toujours de catalogue d’actions. La maitrise de l’édit passe donc des mains du préteur aux mains de l’empereur. On assiste donc à une captation impériale en matière d’édit, ce qui se constate aussi en matière de sénatus consulte

2- Les sénatus consultes.

 Le Sénat était le principal organe politique de gouvernement de l’ancienne République. Ce pouvoir du Sénat était juridiquement déterminant, c’était l’auctoritas. Ce n’était pas le seul à le détenir, il y avait aussi le Pater familias, ou encore le tuteur. Comme le tuteur et le père de famille, le Sénat avait le pouvoir de relever la valeur d’un acte juridiquement imparfait. Par exemple, un tuteur pouvait rendre licite une convention passée par son pupille de manière illicite, à condition que la convention se révèle finalement profitable au mineur après l’exécution de ladite convention. Dans le même ordre d’idée, l’auctoritas du Sénat conférait valeur de droit à une rogatio votée par les comices. Seule cette ratification par le Sénat pouvait permettre de surmonter l’imperfection du vote et accorder au texte voté force obligatoire à l’écart de tous. Compte tenu de cette prééminence, le peuple de Rome reconnaissait au Sénat un pouvoir normatif s’exprimant par le sénatus consulte. Chaque fois qu’un magistrat réunissait le Sénat, il le faisait pour obtenir son avis. Cet avis sénatorial sur la question soulevée était appelé un sénatus consulte. Techniquement, il n’avait pas de valeur légale. Mais, le magistrat qui avait obtenu le sénatus consulte s’empressait de le transcrire sous la forme d’une rogatio et de la soumettre au vote des comices populaires. Le sénatus consulte était donc systématiquement ou presque transformé en lex rogata votée par les comices. C’était donc une source de droit indirecte.

 

En matière de droit privé, le sénatus consulte passait par l’intermédiaire de l’édit du préteur. A la fin de la République, les comices populaires entrent en léthargie du fait de l’avènement du Principat. Le Sénat en profite alors pour s’émanciper, et à partir du Ier siècle, il devient directement source de droit par l’intermédiaire du sénatus consulte. Il permet l’adoption d’un certain nombre d’interdits intervenant dans l’intérêt des familles ou des femmes.

Ainsi, nous avons trouvé trace d’un célèbre sénatus consulte : le velléien qui s’adresse au femme pour les protéger en leur interdisant de s’engager pour autrui. Un autre, le sénatus consulte macédonien, interdit de prêter de l’argent à un fils de famille. Tant que le préteur est actif, le sénatus consulte doit passer par l’intermédiaire du préteur pour intégrer l’album prétorien, mais ce dernier entre en sommeil définitif. L’auctoritas du Sénat parait avoir conquis l’indépendance. Mais en réalité, le Sénat est placé sous surveillance très étroite. En effet, en 27, quand Octave devient princeps, c’est le Sénat qui a accepté de lui céder son auctoritas. Il passe donc sous tutelle du princeps. Le Sénat ne fait qu’édicter des normes selon l’initiative du princeps. L’ordre édicté par le sénatus consulte est en réalité d’initiative impériale. L’ordre est lu devant le Sénat par le porte parole du princeps, c’est l’oratio principis. C’est l’empereur qui crée le droit par la lecture de son oratio principis devant le Sénat. La consultation du Sénat n’est qu’une formalité, il vote toujours dans le sens de l’empereur. Le sénatus consulte, source du droit classique passe donc très facilement aux mains de l’empereur, et l’auctoritas de l’empereur l’emporte sur celle du Sénat.

 

3- La jurisprudence.

 C’est la science du droit, la iuris prudentia. Certains romains illustres se sont fait connaitre par leur grande connaissance des règles de droit romain ou par leur habileté dans la mise en oeuvre pratique du droit romain. Ces premiers savants sont apparus à la fin du IIIème siècle av JC. C’étaient des jurisconsultes, leur travail consistant à donner des consultations au profit de particuliers qui viennent les trouver pour connaitre le droit avant d’entreprendre une action en justice. La parfaite connaissance du droit civil dont peuvent se prévaloir ces jurisconsultes leur permettent de rédiger des traités pour exposer dans sa généralité la qualité du droit classique romain. Les premiers traités sont des traités de droit civil stricto sensu. Le plus fameux est celui du juriste Quintus Mucius Scaevola, qui rédige un traité de dix huit livres sur le ius civile au Ier siècle av JC. Ces jurisconsultes produisaient d’autres traités, notamment des commentaires qui se penchaient sur la subtilité du droit prétorien. Certains traités exposaient à la fois le ius civile et le droit prétorien, les digesta. A coté des jurisconsultes, existaient d’autres spécialistes plus modestes, des experts praticiens qui avaient pour rôle d’assister les plaideurs en justice. Ces experts, ces prudents ont laissé des oeuvres précieuses dans lesquelles ils exposaient le droit romain dans sa réalité pratique. Ces oeuvres étaient appelées des responsa ou quaestiones. Elles reposent sur des réalités complexes et concrètes. Les juristes de renom formaient aussi les professionnels en organisant des formations privées. Ces dernières étaient organisées autour d’un juriste de renom suivit par des disciples, qui finissaient par former une école de pensée. Pour accéder à ces formations, il fallait que la famille du disciple connaisse le maitre. C’est un recrutement par cooptation. Pour aider leur disciple, les maitres de droit rédigeaient des ouvrages, des institutes. Ces juristes consultes et ces praticiens étaient indispensables à la science du droit, il en faisait la vitalité. Ils interprétaient les règles traditionnelles en essayant de les conformer aux nécessités nouvelles. Leur traité et leur réflexion étaient perçus comme source de droit.

Comme le sénatus consulte, la jurisprudence est une source dérivée du droit classique. C’est une source vive caractéristique du Ier siècle av JC. Par la suite, l’empereur intervient pour capter cette source à son profit. Le premier qui se manifeste c’est Octave Auguste. Il procède en vertu d’une intention de faciliter l’utilisation. Pour cela, il procède par voie d’homologation en proposant au plus éminent un privilège, le ius publice respondendi. Il permet au bénéficiaire de donner des consultations revêtues de l’autorité de l’auctoritas du princeps. Ces consultations acquièrent valeur officielle. Jusqu’ici, elles ne valaient par le prestige personnel de leur auteur. Concrètement, ce privilège a une incidence sur la marche des procès. Quand un plaideur fait à l’appui de sa demande fait valoir une consultation dotée de l’auctoritas, il fait valoir une consultation supérieure à celle de son adversaire. En théorie, le juge reste libre de choisir les arguments des parties, sans tenir compte de ce privilège. Mais le juge tend à devenir un fonctionnaire, subordonné à l’empereur, et dans la pratique, il a tendance à toujours privilégier les consultations brevetées. Il s’agit tout de même d’organiser les conflits de responsa.

L’empereur Hadrien crée alors la règle de l’unanimité pour faciliter le travail du juge : si l’une des parties fait valoir des prétentions qui font l’unanimité des avis des juristes brevetés, alors il doit emporter sa cause au détriment de l’autre partie. Cette réforme permet à l’empereur de mettre la main sur la jurisprudence, et les seuls jurisconsultes consultés vont être ceux qui sont breveté. Ils doivent donc à l’empereur une notoriété exceptionnelle, ils deviennent les créatures de l’empereur. Les descendants de ces juristes vont entrer dans le conseil impérial. Ils travaillent désormais pour le service juridique de l’empereur et plus pour les particuliers. La jurisprudence comme source détournée du droit classique se tarie d’elle-même. Dès le IIème siècle ap JC, les juristes rédigent dans les grands bureaux les constitutions impériales.

 

C) Les constitutions impériales.

 En l’espace de deux siècles, l’empereur romain parvient à tarir les principales sources du droit classique. A partir du règne de Commode, le conseil impérial se précise dans sa composition, un fonctionnaire en prend la tête, le préfet du prétoire. Ce dernier se sert de juristes éminents pour organiser la justice et pour légiférer. L’empereur est devenu à la fin du IIème siècle source de droit. L’empereur est la loi. Les grands juristes de l’époque forment des maximes passées dans le digeste de Justinien. Le plus connu est Ulpien, il explique que ce qui plait au prince à force de loi. C’est une maxime qui fonde la monarchie absolue, dont les grands théoriciens du XVIème siècle se serviront. Au IIIème siècle, la monarchie impériale romaine s’occupe de légiférer, l’empereur crée le droit et prend à son compte l’héritage du droit classique. L’empereur légifère de quatre manières : l’édit, le mandat, le décret, le rescrit.

Les Edits sont des textes à portée générale qui concerne tout un territoire ou toute une population. Il formule un ordre direct et proclame une disposition générale à valeur contraignante. Le mandat sont des instructions administratives qui sont adressées par les services impériaux au magistrat ou au fonctionnaire délégué. Ces deux manières de légiférer correspondent à des ordres pris à l’appui du pouvoir de l’impérium.

Les décrets sont des jugements rendus par l’empereur ou le préfet du prétoire dans le tribunal impérial, qui acquièrent source jurisprudentielle. Cela signifie qu’ils constituent des précédents inspirants les juges qui statueront à l’identique dans toutes les affaires qualifiées juridiquement de la même manière. Les rescrits sont des réponses épistolaires par voie de lettre impériale, à la requête émanant d’un particulier, d’un fonctionnaire, d’un juge, à quelqu’un qui veut connaitre la signification d’une règle de droit. Normalement, la réponse ne vaut que pour la personne qui pose la question. Mais en réalité, les juges et fonctionnaires s’inspirent de cette réponse au cas d’espèce et appliquent la réponse de manière identique dans toutes les hypothèses similaires. Ces constitutions relèvent la valeur d’un jugement afin de lui donner valeur à l’égard de tous. Ils sont appuyés sur l’auctoritas.

Les constitutions impériales représentent un moyen puissant de centralisation. Le droit romain se perpétualise dans ces constitutions impériales qui corrigent le droit romain classique dans le sens de la centralisation et de la bureaucratisation. Le droit romain se transforme et est pris en charge par les empereurs, c’est le droit romain de l’époque post classique.

 

Section 2: Le droit romain de la période post classique.

 Cette période est celle du Bas empire romain qui s’étend de 284 à 476. Aujourd’hui, les spécialistes préfèrent utiliser les termes d’Antiquité tardive, appellation plus juste car elle se définie davantage en terme chronologique, de 284 à 565. Cette période a longtemps été considérée comme une période de déclin, mais il faut plus l’envisager comme une période de mutation. Mieux vaut considérer que cette période correspond à la création d’un monde nouveau, le monde roman pour la Gaule. Durant cette période, triomphe la procédure du procès cognitoire. Les constitutions impériales et la bureaucratie inspirent une centralisation. L’empire essaye de se centraliser de manière systématique. L’administration impériale se pense de manière systématique verticale.

De façon caractéristique, l’absolutisme impérial se manifeste sous la forme d’un dirigisme économique qui n’avait jusqu’alors existé pendant la période classique. Ce dirigisme prend souvent des formes injustes, et se manifeste dès le règne de Dioclétien. C’est un empereur réformateur, un dominus qui intervient régulièrement dans la vie des romains pour modifier les habitudes. Il réforme le gouvernement et de l’empire, et c’est lui qui amorce la césure définitive entre empire d’Orient et d’Occident. Ce partage administratif et politique sera définitif sous Constantin. Le pouvoir impérial est conforté par le christianisme, qui à partir de Constantin devient licite, puis religion officielle. Le christianisme donne au pouvoir impérial une nouvelle légitimité, l’empereur devient monarque de droit divin. L’empereur découvre des ambitions nouvelles, notamment de transmettre à la postérité son héritage, et par là d’illustrer le droit romain. Ainsi, l’Antiquité tardive est aussi le temps des codifications. Elles sont essentielles et permettent à elles seules de prouver que la Bas empire n’est pas une période de décadence. C’est uniquement par ces codifications que la transmission du legs romain a pu s’effectuer.

A) Premières codifications.

Du fait des réformes impériales, le conseil de l’empereur change de nom. On l’appelle le consistoire sacré. Ce nom permet de comprendre la manière dont se déroule le Conseil, car tous se tiennent debout. Personne ne reste assis face à l’empereur et toute l’organisation tourne autour de ce dernier. Le consistoire est composé d’officier, de juristes, et le personnage central c’est le questeur du palais sacré. Le conseil se spécialise davantage plus, chaque membre remplit un rôle précis, toujours dans un but de centralisation. Le questeur est un juriste qui a pour rôle de présider le consistoire. Il rédige les discours de l’empereur en étant assisté par les notaires du consistoire. Avec cette aide, il met en forme les constitutions impériales, que l’on commence à appeler les leges. Ce rôle de production normative est essentiel, la production des leges est l’essence même du consistoire. Cela permet à l’empereur d’affirmer qu’il est le seul qui peut faire les leges. La législation devient alors abondante. On compte pour le règne de Dioclétien 1300 Edits et rescrits. Compte tenu de cette inflation, il devient important d’archiver les leges. La conservation dans les archives ne suffit plus, les leges sont si nombreuses qu’il faut aussi faire en sorte de les réunir. Il faut les placer dans des recueils de façon à ce qu’elles soient utilisables et connaissables des juristes. Les premiers recueils voient le jour, ce sont des recueils d’initiative privée. Ils sont appelés «Codes», qui ne correspondent alors qu’à une compilation de constitutions impériales. Vers 292 est publié le Code grégorien, qui regroupe des rescrits sur le droit privé qui pour les plus anciens remontent au règne d’Hadrien. Peu de temps après, il y a une autre publication officieuse, le Code Hermogénien. C’est encore une compilation privée qui n’a pas de valeur officielle, mais qui est utile aux juristes. Ces codes, par leur coté pratique, finissent par séduire l’administration et l’Empereur décide d’amorcer une codification officielle. Elle commence en 429 et est entreprise par Théodose II. L’empereur veut alors par ce code, de réaffirmer sa volonté de parvenir à unifier l’empire. Ce code s’applique en Orient et en Occident, il est promulgué en 438. Il contient la législation impériale sous forme de constitution, prise depuis le règne de Constantin. Il est divisé en seize livres, eux-mêmes divisés en titre. Cette division sera la division académique de tous les recueils officiels réalisés pour compiler le droit romain. Il inspirera aussi les codifications de Justinien. Ce Code théodosien ne doit pas être seulement conçu comme un travail préparatoire, puisqu’il reste la principale source du droit romain en Occident après la chute de l’empire en 476.

B) Les codifications de Justinien (VIème siècle).

Il s’agit de l’empereur Justinien Ier (527-565). Il règne depuis Constantinople, d’où il s’occupe de gouverner l’empire romain d’Orient. Justinien poursuit un but précis : restaurer l’empire tel qu’il était durant les temps anciens. Il voudrait rétablir l’intégrité, la prospérité de l’empire tel qu’il se trouvait durant la période classique. Rétablir l’empire, cela passe d’abord par des conquêtes. Il faut lutter contre les perses d’un coté du coté oriental et contre les rois barbares du coté occidental qui se sont installés en Afrique et en Italie. Les armées byzantines sont conduites en Occident par un homme de guerre remarquable, le général Bélisaire.

Il conduit ces troupes avec un certain succès. En 533, il débarque en Afrique du Nord, et un an, il parvient à conquérir le royaume des Vandales. Ensuite, commence la conquête de l’Italie, qui sera beaucoup plus longue. Les adversaires italiens sont redoutables, ce sont les Goths. Après la conquête de la Sicile en 535, la conquête s’enchaine rapidement : Naples, Rome, Ravènes. Bélisaire porte ses troupes jusqu’en Dalmatie (Nord), mais les Goths se réorganisent et Bélisaire essuie plusieurs défaites. Il est rappelé par Justinien, et les troupes byzantines continue de se battre, jusqu’à leur victoire en 554. A la fin du règne de Justinien, les byzantins sont établis en Afrique, Italie, Sicile, dans des villes clés en Espagne, l’Occident parait alors en bonne voie de reconquête. En réalité, ces conquêtes militaires sont éphémères, elles ne permettent pas la mise en place d’institutions pérennes. Après 568, l’Italie est rapidement reconquise, non pas les Goths, mais par les Lombards. Les institutions souhaitées sont alors détruites par cette invasion. L’Afrique passe sous domination arabe après 647. L’illustration du droit romain par Justinien, en revanche a fait exception. Il voulait construire l’unité par les armes mais aussi par le droit. Pour assurer la postérité du droit romain classique et pour encourager l’unité de l’empire, il a entrepris des travaux de compilation. Pour accompagner la conquête militaire, Justinien réunit une commission de juristes. Elle est composée à la fois d’avocats et d’enseignants. C’est une commission collégiale, hétérogène. A la tête de cette commission, il y a Tribonien, le plus grand juriste de Constantinople, à qui il impose un cahier des charges. Justinien veut regrouper à la fois de ius et les leges, et donc à la fois le droit classique et les constitutions impériales. De plus, il faut aussi que cette compilation soit utile au praticien, et concordante. En dépit d’une ambition si élevée, l’équipe de Tribonien achève le travail en moins de cinq ans.

Le Code est terminé en 529, et connait une seconde édition en 534. Il est appelé ainsi parce qu’il regroupe des constitutions impériales depuis le règne d’Hadrien. Le plan du Code prévoit douze livres, divisés en titre. Les matières concernées sont les suivantes : droit ecclésiastique, droit privé, droit pénal, droit public. Les leges sont présentées de façon chronologique, pour plus de commodité. Le Digeste est achevé et promulgué en 533. Il comprend les opinions de la doctrine classique. Il est composé des avis des jurisconsultes titulaires au temps d’Auguste du ius publice respondendi. Ces avis sont distribués en cinquante livres, subdivisés en titre. Pour composer le Digeste, la commission de Tribonien s’est inspiré de trois sources principalement : des commentaires sur l’Edit du préteur, des commentaires sur le ius civile, les oeuvres de Papinien.

Le Digeste est dans sa globalité le condensé de 2000 oeuvres de la jurisprudence. C’est une oeuvre synthétique, et de ce fait, le travail de sélection a été drastique. Les rédacteurs ont écarté les règles de droit classique qui apparaissaient comme obsolètes. Ils se sont efforcés de rapprocher les textes retenus de façon à éviter les contradictions. Pour cela, Tribonien a encouragé la pratique des interpolations, des altérations du sens. Pendant longtemps, on a considéré que la commission avait trahi la jurisprudence et avait conçu le droit à la manière de Justinien. On considère aujourd’hui que les simplifications et les changements ont été peu nombreux, car la commission n’en a pas eu matériellement le temps. La vision présentée par le Digeste reste donc fidèle au droit romain classique. Cette même remarque s’indique pour le Code et la sélection des constitutions impériales. Les institutes sont publiées en 533. Il s’agit d’un manuel de droit romain destiné aux étudiants. Pour les composer, les auteurs ont repris le plan des institutes de Gaius. Les noveles viennent compléter le Code de Justinien entre 534 et 565. Ce sont certaines constitutions impériales parmi les plus importantes prises par Justinien après la promulgation du Code. Ce sont les constitutions prises par Justinien surtout entre 535 et 540. Elles ont servi aussi bien aux juristes orientaux qu’italiens qui ont élaboré des collections privées de noveles. La plus célèbre de ces collections s’appelle Epitome de Julien, professeur de droit dans la seconde moitié du VIème siècle.

Cette oeuvre majeure est une compilation officielle, ce qui signifie qu’à compter de la publication des compilations de Justinien, tout le droit romain existant n’est plus source du droit. Dans l’empire byzantin, il n’est plus possible de se référer qu’à ces seules compilations. Les jurisconsultes écartés du digeste, ainsi que les constitutions impériales laissées de coté, n’ont plus aucune valeur juridique.

Cependant, cela signifie que tout ce qui n’a pas été mis dans les compilations a disparu, et la vision du droit romain de l’époque n’est que partielle. La compilation résume néanmoins à elle seule six siècles du droit romain, tout en restant fidèle à l’esprit caractéristique de l’époque classique. Au Moyen Age, cette compilation deviendra le Corpus iuris civilis, qui représentera la dernière expression officielle du droit romain. La renaissance du droit romain n’interviendra cependant qu’au XIIème siècle.

 

C) Les survivances du droit romain en Gaule à l’époque franque.

En 554, les armées byzantines triomphent des Goths. Le pape demande à l’empereur de rétablir la législation romaine en Italie. Justinien offre alors au Pape la pragmatique sanction Pro petitione vigili. Par cet acte normatif, Justinien introduit en Italie sa compilation. C’est parce qu’il donne cette pragmatique sanction et parce qu’il apporte ses compilations, que les juristes italiens vont s’efforcer de rédiger des recueils de noveles. La compilation parait donc s’imposer en Italie : la conquête aboutie, et Justinien veut administrer l’Italie comme on le faisait autrefois. Les éléments semblent réunis pour que le Corpus s’enracine en Italie. En réalité, les réformes de Justinien ne portent pas leur fruit. Les réformes administratives n’ont pas tenu, les compilations offertes à l’Italie ont été ignorées. Les praticiens, les professeurs italiens n’ont prêté qu’une attention mesurée aux compilations de Justinien. Ils ont pratiquement ignoré le Digeste, car trop compliqué pour eux. Le Code et les institutes ont fait l’objet de certaines études, de quelques commentaires de la part de professeurs italiens, mais l’impact s’est arrêté la. En effet, à cette époque commence l’invasion Lombarde qui empêche la propagation des textes de Justinien en Italie, et ils tombent peu à peu dans l’oubli. La Gaule va ignorer la compilation durant tout le haut moyen âge. Néanmoins, entre le Vème et XIème siècle, le droit romain perdure, mais autrement que par l’intermédiaire des compilations. En effet, il anime toujours la pratique des juristes, qui se nourrit du ius vetus. Ce «vieux droit» est né au IVème et Vème siècle, quand le droit de Justinien n’existait pas encore, il a donc eu le temps de s’enraciner dans la pratique. Il nait dans un contexte particulier : à cette période, s’impose l’autorité de l’empereur dans l’empire romain.

Ce sont donc les constitutions impériales qui doivent dicter le droit applicable. Les leges ne suffisent pas cependant à régler tous les problèmes de droit, et les juristes continuent de recourir aux oeuvres doctrinales classiques. Les juristes sollicitent surtout les commentaires à l’Edit du préteur, les responsa des prudents, et des traités du ius civile. Ainsi, dans les universités des métropoles, l’enseignement du «vieux droit» perdure, mais sous une forme moins savante. Le droit classique fait en effet l’objet de simplification drastique. Des résumés de droit classique commencent à circuler, les enseignants destinent ces cours à leurs étudiants par principe, mais bientôt, ce sont les oeuvres des jurisconsultes qui sont abrégées. Cela donne naissance à des compilations qui présentent deux avantages : elles sont sommaires et d’utilisation facile. Les auteurs de ces compilations sont toujours anonymes et renoncent dans leur création à toute théorie juridique. Ils écartent donc l’abstraction et proposent dans leurs ouvrages des maximes et des solutions immédiates. Ce sont des solutions aux problèmes rencontrés par les praticiens et les étudiants. Ces ouvrages rencontrent un succès immédiat, et certaines compilations sont reproduites en de nombreux exemplaires. Parmi ces oeuvres, il faut retenir Les sentences de Paul parues vers l’année 325 environ et Les règles d’Ulpien diffusées entre 320 et 342. Ces abrégés assurent la pérennité du droit romain en Occident jusqu’au XIème siècle. Le ius vetus ne sera pas la seule source romaine du droit caractéristique de l’époque franque. Commencent à circuler à coté des commentaires ou de simples paraphrases d’oeuvres classiques, de recueils de constitutions impériales, à partir du Vème siècle surtout en Gaule. Parmi les recueils les plus importants, il y a l’epitome Gai. Il se distingue des autres ouvrages car c’est une compilation destinée à proposer une paraphrase des oeuvres de Gaius. En plus de ces oeuvres et du ius vetus, les juristes vont prendre pour habitude de recourir au Code théodosien. Ce dernier est plus ancien que celui de Justinien, et de ce fait il est étudié depuis plus longtemps, et donc mieux maitrisé par les juristes.

Les rois barbares vont tirer les conséquences de cette utilisation par les juristes romains. Le roi des Wisigoths, Alaric II, fait rédiger en 506 la loi romaine des Wisigoths. En effet, à cette époque, les sujets gallo romains vivent encore en Gaule, et les bréviaires d’Alaric sont destinées à leur apporter la connaissance de leur droit romain. Pour rédiger ce texte, les juristes d’Alaric s’inspirent de trois sources : le Code théodosien, les sentences de Paul et l’epitome Gai. Un an plus tard, Alaric est battu par Clovis à Vouillé. En 507, Clovis décide d’imposer à tous les sujets gallo romains du Regnum francorum, et assure ainsi la diffusion du bréviaire. Le bréviaire fait l’objet de commentaire et de résumé, et il reste la seule source du droit romain en Gaule, avec ses commentaires, jusqu’au XIème siècle. Le bréviaire d’Alaric est un témoin précieux, qui atteste de la fidélité des barbares à l’héritage de Rome. Le droit romain contenu dans le bréviaire est un droit romain abrégé, qui abrège des abréviations. Ce qui est connu en Gaule comme Code théodosien, sentences de Paul et epitome Gai sont déjà du droit simplifié. Le droit romain qui subsiste est donc très simplifié, moins savant que le droit romain de l’époque classique. A partir du IXème siècle, la présence des noveles dans les travaux des juristes est attestée. Les notaires et les avocats font référence de façon fréquente à l’epitome de Julien, c’est le signe que les noveles sont connues dans la Gaule carolingienne. En plus du bréviaire d’Alaric, on commence à étudier les collections de noveles. Ce retour des noveles illustre un fait incontestable : la permanence du legs romain. Cela signifie que le droit de Justinien n’a jamais été totalement oublié en Occident pendant l’époque franque. Il était simplement mis de coté car il était trop complexe et technique par rapport aux besoins de la société franque. Après l’an 1000, les conditions sont à nouveau réunies pour une utilisation nouvelle du droit romain.

 

Chapitre 2: Le droit romain au Moyen Age.

 Le droit romain a sa part de légende, et il est si important, qu’on a même imaginé un mythe fondateur pour illustrer sa renaissance. En 1137, les byzans sont en guerre contre les gens d’Amalphie. La ville est bientôt prise, une maison brule, et derrière les murs, les byzans découvrent un manuscrit du Digeste. Ce manuscrit deviendra le manuscrit de Pise, connu sous le nom de Littera Pisana. La redécouverte quasi surnaturelle n’appartient plus qu’à la tradition littéraire. La redécouverte du droit romain de Justinien est attestée de manière plus scientifique. Elles s’inscrit dans un contexte si particulier qu’il permet d’expliquer la diffusion incroyablement rapide du droit de Justinien au XIIème siècle. Après l’an 1000, s’amorce un mouvement de renouveau économique en Occident. L’économie fermée de l’époque franque tend à disparaitre, et cède la place à une économie plus ouverte. Elle engendre des besoins techniques et juridiques nouveaux. Le XIème siècle est ainsi le siècle du renouveau des échanges commerciaux. Le commerce profite de la réouverture des routes maritimes en Méditerranée. Les routes s’ouvrent à nouveau, et le commerce provoque un changement de mentalité notamment chez les marchands. Ils découvrent les biens faits de la recherche du profit. Les blocages et les rigueurs carolingiennes s’éloignent, l’entourage princier s’adapte et encourage la recherche du profit systématique. En Flandre et en Normandie, les ducs et princes vont réformer leur principauté pour faciliter le commerce et discipliner leurs vassaux. L’économie monétaire impose des gouvernements plus fermes, plus soucieux de la paix et de l’épanouissement des échanges. A compter du XIème siècle, la féodalité change de principes, et l’aristocratie guerrière doit céder la place aux élites nouvelles, les élites urbaines. Le XIème siècle est aussi le siècle de la renaissance des villes. Les bourgeois ont des exigences, ils sont à l’origine de la richesse. Ils s’organisent et demandent des franchises, des exonérations de coutumes, des statuts urbains. Les bourgeois créent les conditions nouvelles d’expression du droit. Les villes de France et d’Italie deviennent des personnalités juridiques. Le nouveau contexte politique et économique donne un rôle toujours plus important aux juristes. Le vieux droit romain, le bréviaire et l’epitome de Julien ne suffisent plus. Les juristes doivent alors s’adapter et c’est pour cette raison que le droit romain de Justinien renaît, s’impose et se diffuse à une vitesse sidérante pour l’époque. La renaissance politique et économique n’est pas le propre de l’Italie, c’est une renaissance qui concerne l’Occident entier. Les besoins sont donc colossaux en terme de qualité et de quantité de populations concernées.

 

Section 1: La Renaissance du droit romain en Occident.

 Le droit romain renaît non pas au XIIème siècle, mais au XIème siècle en Italie du Nord. C’est tout à fait logique, car c’est précisément dans la péninsule que Justinien s’est efforcé d’imposer ces compilations cinq siècles plus tôt. En 1076 à Martouri, la marquise de Toscane tient un plaid, cession de justice. A l’occasion de cette séance, la marquise rend une sentence, et à l’occasion d’une d’entre elle, elle fait état « de la loi insérée dans les livres du Digeste». C’est la première mention en justice du droit de Justinien. Celui qui a ainsi allégué la loi de Justinien lors du procès, c’est Pepo. En 1076, il porte un titre à Bologne, celui de legis doctor. En terme universitaire, c’est un titre officieux et non officiel, mais Pepo se fait connaitre comme un spécialiste de la loi. Ce titre révèle qu’un enseignement du droit de Justinien se met en place à la fin du XIème siècle. Une fois établi, il fait la gloire de Bologne et plus exactement de l’école juridique de Bologne et de ses spécialistes du «Droit civil».

 A) De l’enseignement des leges à l’école de Bologne.

 Les débuts des romanistes nouveaux ne sont pas glorieux, ils n’existent pas en tant que tel. Ils sont à l’origine des grammairiens. L’enseignement universitaire au temps de Pepo se réduit en effet à l’enseignement de la grammaire. Ceux qui sont chargés de cet enseignement sont des maitres «ès arts», qui instruisent leur disciple dans la connaissance des textes latins.

Ils procèdent à des lectura publiques, ils lisent publiquement des grands textes latins classiques. Au commencement, ce sont des lectura qui portent sur des textes littéraires. Les maitres font aussi en sorte d’expliquer mot à mot le contenu des textes lus. Ils réalisent ainsi un commentaire oral en plus de la lecture qui tien lieu de leçon pour les auditeurs. Pepo parait donc comme le premier docteur de Bologne qui ait choisi de lire des textes juridiques à ses disciples. Il se mit à faire des lectures sur «les lois». Le problème, c’est qu’il n’a fait que des lectura, des commentaires oraux et qu’il n’a laissé aucun écrit. Sa présence en 1076 à Martouri signifie beaucoup, car elle montre que ce Pepo était bien plus qu’un maitre ès arts. Il était plus qu’un simple grammairien et on constate que pour lui, les textes juridiques romains présentent un intérêt pratique, et contiennent des modalités techniques qui permettent de sortir des procès et de répondre aux attentes des populations. Les maitres bolonais vont perpétuer à sa suite l’enseignement du droit romain nouveau. Ces maitres vont fonder une véritable école dont le prestige va rayonner sur l’Occident.

 Le successeur de Pepo est plus attesté historiquement, c’est Irnérius, mentionné dans les textes bolonais pour les années 1112-1125 comme maitre ès arts et juge. Le droit romain renaît donc car ce sont des juges qui vont solliciter ses lumières. Irnérius rédige des consultations juridiques et souscrit des diplômes. Son apport est déterminant en terme de méthode, il est le fondateur d’une école. Il a appliqué au droit les habitudes des grammairiens et des rhéteurs : la méthode de la lecture et de l’explication mot à mot. Irnérius est le premier à déterminer une approche scientifique du droit, et organise des enseignements publics à la demande des autorités bolonaises. Il effectue des commentaires qui viennent s’ajouter au lectura stricto sensu. Ces commentaires viennent alimenter la science des leges (ensemble du corpus de Justinien), la science des «lois romaines». Les premiers romanistes comme Irnérius connaissent le Digeste, ils en disposent d’une version différente de celle de la Littera Pisana, ils utilisent la Littera Bononiensa. C’est une version du Digeste composée progressivement à partir de manuscrits. Du temps de Pepo et d’Irnérius, les bolonais utilisent seulement un morceau du Digeste, qui correspondent aux premiers livres, le Digestum vetus. Après Irnérius, les bolonais vont compléter ce vieux Digeste en découvrant d’autres manuscrits. Les successeurs d’Irnérius vont découvrir la fin du Digeste qu’ils appellent le Digestum novum. Ils font des découvertes de manuscrits, découvrent les Tres partes et l’Infortiatum et par la suite vont réussir à recomposer le Digeste dans son entier.

 

B) Les premiers spécialistes du «Droit civil».

 L’école de Bologne se caractérise par une méthode particulière d’enseignement. Cette méthode c’est celle de la glose. C’est une méthode initiée par Irnérius et améliorée par ses successeurs. Cette méthode distingue les bolonais de tous les autres spécialistes d’Occident. Les glossateurs auront des héritiers : les commentateurs, qui font évoluer la méthode. Ce sont ces derniers qui font franchir à l’étude du droit romain un pas décisif. Ils vont faire du texte de Justinien des outils, ils vont en faire des outils en dépassant la glose, capables de répondre au besoin spécifique du XIIIème siècle. Le droit de Justinien répond au besoin spécifique des marchands, des villes et des princes.

 

1- Les glossateurs.

 Irnérius a fondé une méthode pour un enseignement particulier, celui «des lois». Il a procédé de la façon suivante. Pour enseigner, il lit les fragments du Digeste ou du Code de Justinien et les explique en suivant le cours des textes. Quand il rencontre des termes importants, Irnérius les commente. Sa lecture est linéaire, son explication de mot systématique. C’est précisément l’explication de mot que l’on appelle la glose. C’est un terme d’origine grecque, qui signifie à la fois le mot et la langue. Une fois proposée à l’oral, cette glose est notée en marge sur le manuscrit qui a permis le commentaire, soit par le maitre lui-même, soit par un agent de l’université, le rapporteur. Cette glose est appelée la glose marginale. Cette glose est siglée, le maitre qui l’appose la signe où appose un signe distinctif pour que les étudiants le reconnaisse. Irnérius signe ses commentaires par un W, son initial de son vrai prénom. Les gloses marginales se complètent avec le temps, et autour des manuscrits, une génération de maitres succède à la génération précédente, et ajoute sa propre glose.

Les gloses se multiplient, et les commentaires marginaux finissent par devenir plus épais et plus denses et plus instructifs que les textes romains qu’ils commentent. Au milieu du XIIème siècle, Bologne connait une génération de docteurs réputés : Martinus, Bulgarus, Hugo et Jacobus. Ces savants sont sollicités pour des conseils juridiques de plus en plus prestigieux et surtout de plus en plus lucratif. Ils savent en effet se rendre indispensables dans un monde en pleine expansion, et c’est par la fortune qu’ils parviennent à démontrer de l’importance et l’utilité du droit à cette époque. Ils se rendent en 1154 à la diète de Roncaglia, organisée par l’empereur du Saint empire germanique Barbe Rousse car ce dernier a besoin de conseil. Lors de la diète, les quatre juristes s’appuient sur les noveles de Justinien pour affirmer que l’empereur est pour l’Occident entier, «loi animée». Les docteurs bolonais savent utiliser les lois de Justinien pour alimenter le droit public de leur temps. Ils consolident par l’utilisation du droit de Justinien les prétentions souveraines des princes. La renaissance du droit de Justinien a donc servi à accompagner la naissance de l’Etat, mais aussi à accompagner le renouveau du droit privé, notamment le droit des sociétés et le droit des affaires.

 Cette faveur va se perpétuer après les quatre docteurs, et va continuer à rendre prisée l’école de Bologne jusqu’à la fin du XIIIème siècle. A la suite des quatre docteurs, d’autres glossateurs vont se distinguer : Azon et Accurse. Le premier est mort en 1128, il s’est rendu célèbre pour sa somme au Code. Il a fait un résumé explicatif et savant du Code de Justinien qui était fait pour confirmer sa grande valeur. Accurse, c’est celui a rédigé la Grande Glose vers 1227-1230, ou glose ordinaire, car utilisée de tous. Cette glose ordinaire reprend toutes les gloses antérieures et les organisent pour les présenter de façon cohérente. Accurse organise donc les gloses antérieures pour les rendre plus consultables. Quand le Corpus iuris civilis fera l’objet d’une édition imprimée, il sera accompagné de cette glose ordinaire, disposé en cadre autour du texte de Justinien placé au centre de la page. L’école de Bologne est un école d’excellence et attire des étudiants d’ailleurs, elle devient une université au sens médiéval du terme. Les étudiants de l’école de Bologne constitue une personne juridique collective, une universitas. Elle devient au XIIème siècle une institution. Elle sert à organiser des règles de vie collective destinées à la satisfaction d’intérêts généraux. En tant que personne juridique, l’université reçoit des privilèges. Frédéric Barbe Rousse est le premier à lui en faire. L’école fait des avancées indispensables pour l’époque. Avec la glose d’Accurse, le travail des glossateurs à tendance à s’essouffler. Les glossateurs font s’effacer progressivement et cédé la place à Bologne et en Italie à une nouvelle école, celle des commentateurs.

 

2- Les commentateurs.

Les commentateurs ne pratiquent pas la même approche intellectuelle que celle des glossateurs et ils font moins œuvre d’abstraction et s’attachent au contraire à l’actualité. Ils ne rédigent plus de gloses, ni des sommes mais veulent rédiger des traités ou des commentaires. Ce sont des praticiens du droit et s’enrichissent avec une autre activité : ce sont des consultants juridiques. Leurs consultations leur rapportent une rémunération substantielle et ils bénéficient d’une reconnaissance dans la société médiévale. Ils ne cherchent pas les règles originelles du Digeste ou du Code, ils proposent un commentaire beaucoup plus large. Pour eux, c’est une évidence, le contexte économique et social a changé depuis l’époque de Justinien. Selon eux, il faut utiliser les compilations mais pas de façon servile et linéaire : il faut les interpréter. Ils proposent des interprétations audacieuses, s’éloignent du texte, et essaient ainsi d’utiliser le droit romain d’une manière plus contemporaine. Pour eux, le Digeste n’est qu’un matériau qui est malléable. Malgré tout, ils restent fidèles aux fondamentaux du droit romain et ne renient jamais l’essence du droit romain. Dans leurs commentaires, ils restent fidèles aux deux piliers soutenant le droit romain depuis son origine : l’utilité et la nécessité de la règle de droit. Ils dépassent ces piliers et proposent des solutions créatrices et à force d’interpréter, ils créent du droit. Ils vont au-delà du Digeste et du Code dans un but précis : fournir des réponses, satisfaire les besoins d’une société en pleine expansion. On les appelle aussi « post-glossateurs ». Le plus célèbre est Bartolus Sassoferrato, aussi communément appelé Bartole, qui a rédigé une œuvre conséquente. Il a laissé de nombreux traités dans lesquels il a pris beaucoup de liberté par rapport aux compilations de Justinien.

Pour lui, il faut privilégier l’esprit du droit romain plutôt que sa lettre. Il a ainsi formulé pour le XIVème siècle, un droit nouveau issu de l’interprétation du droit de Justinien. Dans ses commentaires, il confronte souvent le droit romain au droit canonique, il donne naissance au ius commune, ou le droit commun de l’Europe. Lui et son disciple sont à l’origine du droit français contemporain. Son disciple s’appelle Baldus De Ubaldis, appelé communément Balde. Il formera à son tour, de nombreux disciples qui vont se répandre dans toute l’Europe où ils assurent le succès de ce ius commune (le droit Romano-canonique). Le ius commune est une affaire européenne, le droit romain est devenu une véritable norme pour l’Occident entier.

 

Section 2: La diffusion du droit romain en France capétienne.

 Lorsque l’école de Bologne rencontrait ses premiers succès, les élèves affluaient pour venir étudier le droit de l’Europe entière. L’étude des lois romaines sont un succès car l’on y enseigne le droit nouveau mais les élèves viennent les étudier car apprendre le nouveau droit c’est une promesse d’ascension sociale. Les disciples bolonais sont d’ailleurs devenus les conseillers des puissants. Les rois avaient besoin de juristes pour fonder leur prétention souveraine. De même que les tous les dirigeants, les comtes, les ducs aussi car ils voulaient contrer la puissance royale. Tous les pouvoirs médiévaux se disputent les compétences des disciples bolonais. Une fois formé, les juristes formés à Bologne retournent chez eux, et ont donc contribué à la romanisation de leur région d’origine. Pour les français, beaucoup viennent de Provence et ont contribué à romaniser le sud du pays. Des écoles se sont formées et ont fini par nourrir la science du droit romain sur plusieurs siècles. Les juristes formés à Bologne ainsi que les écoles qu’ils ont formé ont contribué à élever la pensée savante médiévale. Ils ont conçu une véritable méthode française d’enseignement : c’est le Mos gallicus, bientôt opposé au Mos itallicus (enseignement italien issu de Bartole et Balde).

 A) La romanisation des provinces du midi au XIIème siècle.

 Les écoliers français rentrent chez eux dès la deuxième partie du XIIème siècle, ils forment les studia : c’est un lieu d’enseignement et pas une école, car elles n’ont pas de statut juridique. Les nouveaux maitres se mettent à « lire le droit », c’est la lectura et l’explication des termes. A leur tour, ils suscitent des vocations. Une première école voit le jour vers 1130. On étudie les lois à Arles, Avignon, jusqu’à Valence. Ces écoles de droit romain ne durent pas et n’obtiennent pas de statut juridique spécifique et dépendent de la notoriété d’un maitre illustre. Ainsi, lorsque celui-ci décède, l’école disparait. Pour le sud du royaume de France, Rogerius enseigne à Montpellier et à Arles où il a ouvert des studia en 1150. Son disciple le plus fameux va poursuivre son œuvre : il fonde un studium prestigieux qui s’épanouit entre 1165 et 1180. Il est d’origine italienne et s’appelle Placentin. Il disparait en 1180 et son studium disparait avec lui. Tous ces centres d’études ont donc une durée de vie modeste et se caractérisent par leur caractère éphémère. Cependant ces studia ont eu un impact technique déterminant dans le sud du royaume de France. Les maitres locaux ont formé des juristes, même s’ils ne continuent pas d’enseigner, ils ont reçu un enseignement de qualité et sont reconnus. Ce sont les iuris periti, les experts en droit. Ils révolutionnent le métier d’écrivain public. On commence à les appeler des notaires car ils commencent à rédiger des actes juridiques pour leur client, en utilisant la science du ius commune. Ils sont reconnus dans leur utilité par les comtes (pouvoir temporel), ils sont même reconnus officiellement par le roi de France. Ils deviennent par conséquent, des notaires publics. A ce titre, ils deviennent titulaires d’un office, c’est à dire d’une fonction publique, et deviennent des agents du roi. Leur fonction est essentielle, car au nom du roi, ils ont pour charge d’authentifier les actes privés les plus importants. Les maitres qui ont formé les notaires publics, ont donc contribué à sécuriser les conventions au Moyen Age.

 Les nouveaux docteurs du sud de la France forment des iuris periti. Au XIIème siècle, les villes gagnent leur autonomie et ont besoin d’institutions. Elles doivent se doter de statut capable d’organiser leur fonctionnement. De fait, ces iuris periti deviennent les conseillers juridiques des bourgeois émancipés. Ils vont puiser dans le ius commune pour trouver des solutions pour structurer le gouvernement urbain.

 Le signe marquant institutionnel des maitres et des studia se révèle lorsqu’on observe dans le sud du royaume, le nombre de « villes de consulat ». Dans ces villes, la direction urbaine est caractérisée par des magistrats, les consuls. Ils sont élus par les notables de la ville chaque année et dans le nord du royaume, on les nomme « échevins ». Les villes de consulat sont fortement romanisée et les juristes n’ont pas seulement utiliser le nom de « consulat » mais ont aussi utilisé le principe de la désignation par l’élection. C’est le droit romain glosé qui se révèle alors complètement. La romanisation concerne donc principalement le sud de la France mais aussi dans le nord, tout le long du Rhône grâce au commerce/échange pour aller jusque dans le domaine capétien où ils seront privilégiés puis institutionnalisés.

 

B) L’école d’Orléans.

 La science des lois à la fin du XIIème siècle rencontre un succès sans précédent. Les écoliers veulent tous étudier les leges, c’est lucratif et promet une ascension sociale. Cela a des conséquences sur la fréquentation des universités. En effet, les papes commencent à se plaindre dans leurs écrits : ils se plaignent d’une baisse de fréquentation des écoles de théologie. La renommée de Bologne, la faveur dont profitent les iuris periti, expliquent pourquoi les écoliers se tournent vers les glossateurs et finissent pas négliger la théologie. Au début du XIIIème siècle, le haut lieu de l’enseignement de la théologie est l’université de Paris : mais les étudiants s’y font rares. Le pape Honorius III décide d’intervenir, avec une décrétale « super speculam » en 1219 : il interdit tout enseignement du droit romain à Paris et dans les lieux circonvoisins. Puisque les juristes ne peuvent plus s’installer à Paris, ils s’installent à Orléans et en 1230, cette école prend son essor.

 En 1250, elle rayonne dans toute l’Europe : les maitres orléanais se sont distingués et ont révolutionné la science juridique dans le royaume de France mais la renommée d’Orléans finit par s’imposer aussi dans l’Europe entière. En effet, ce sont les premiers à prendre leur distance par rapport aux textes de Justinien, avant même les post glossateurs. Ils délaissent la lecture linéaire du texte et l’explication mot à mot. Ils préfèrent composer des synthèses critiques. Leur idée est de regrouper les règles, les matières du Digeste et du Code par thèmes. Ils proposent donc un enseignement thématique. Sur une question donnée, en s’appuyant sur cet enseignement, ils exposent les opinions romaines d’une manière caractéristique : ils distinguent le pour et le contre dans la question donnée. Il s’agit par conséquent, d’exposer pour une question donnée, des opinions contraires. Ils procèdent par confrontation d’opinions. Ensuite, ils proposent une solution satisfaisante pour les praticiens. C’est la méthode scolastique. Cette méthode thématique s’appelle aussi dialectique et est normalement utilisée par les théologiens. La scolastique, est captée par les juristes au cours du XIIIème siècle. Cette méthode procède de la méthode d’Aristote. C’est Thomas d’Aquin qui a conçu la scolastique médiévale : il a su porter cet art à son apogée.

 Les maitres orléanais n’ignorent pas les succès de leur temps et s’inspirent de la scolastique en l’adaptant aux nécessités juridiques. Cette méthode a des effets sur le fond de la science juridique. Les méthodes orléanaises modifient l’approche des leges. Le premier maitre est Jacques de Révigny a rédigé des commentaires et des « Questions », ainsi qu’un dictionnaire de droit qui souligne à lui seul, les vertus nouvelles de l’enseignement orléanais qui est didactique et pratique. Son élève, Pierre de Belleperche, mourra en tant que chancelier de France en 1308, au service du roi Philippe IV le Bel qui a décidé d’utiliser les juristes pour assoir la souveraineté royale, et mettre fin à la suzeraineté. Orléans éclipse Bologne et les italiens viennent en France pour suivre l’enseignement du droit. Parmi ces célèbres écoliers italiens, Cynus de Pistoia a aussi rédigé des commentaires et des Questions. Il a été le maitre de Bartole. Il faut donc comprendre que l’école d’Orléans a préparé l’arrivée des commentateurs. Ainsi de Bologne à Orléans, d’Irnerius à Balde, la science des leges dans sa diffusion/amélioration constante, a laissé une empreinte évidente sur le droit médiéval. C’est le traçage d’une méthode française : la mos gallicus.

 

C) L’influence du droit romain dans la pensée savante médiévale.

Dans le domaine de la science juridique, l’étude du droit romain est essentielle. La glose donne aux apprentis juristes le gout de la définition juste, la nécessité de définir et forme alors la rigueur du juriste. L’art de définir est resté depuis lors, une nécessité impérieuse pour le juriste. L’école d’Orléans et les commentateurs interviennent ensuite pour exposer les bienfaits de la dialectique. Ils vont systématiser la pratique des classifications. Les étudiants français et italiens sont reconnaissables par leurs vêtements et ils marmonnent des distinctions (définition par couple de notions qui s’opposent). Ils se font donc une représentation binaire par matière. Les distinctions peuvent être ternaires. Cela permet de faire des subdivisions dans les matières. En plus de définir, les juristes médiévaux sont dorénavant en mesure de réunir/différencier/distinguer les notions afin de construire des plans clairs/ rigoureux, capables de résoudre des difficultés complexes. L’art des glossateurs et des post glossateurs a donc permis d’acquérir autant l’art de la définition que celui de la classification. Au temps de Bartole et de Balde, c’est l’utilisation du mos itallicus, héritage de la dialectique juridique. Après Balde, ses disciples se répandent dans l’Europe entière mais ils ne sont pas de son niveau et vont pervertir le mos itallicus. Ensuite, les docteurs italiens vont se contenter de gloser les commentaires de leurs maitres. La méthode italienne finit par décliner complètement et au décès de Balde, c’est la méthode française qui s’impose : le mos gallicus. C’est la méthode de l’humanisme français, tous les docteurs de cette méthode sont originaires du royaume de France.

Ces nouveaux maitres vont s’attacher au sens et vont revenir à l’étymologie. Ils reviennent à l’authenticité du Digeste. Ils ne proposent pas d’étude grammaticale mais ils ont un but : comprendre la structure du Digeste, comment étaient organisées les leges. Ils adoptent alors une position nouvelle : l’école française humaniste va critiquer le droit romain, mais en faisant toujours en sorte de respecter la dialectique médiévale. Les compilations de Justinien au XVème siècle et encore au temps de la Renaissance, sont envisagées pour ce qu’elles sont : on les appelle dorénavant le « Corpus iuris civilis ». Ce corps d’une richesse infinie est dépassé, obsolète. Les humanistes français ont conscience que dans ce corps, figure un droit du passé qui répondait aux attentes des romains. Ainsi, le mos gallicus fonctionne de la manière suivante : il critique le contenu, essaie de faire l’historique du Corpus juris civilis et envisage celui-ci uniquement sous l’angle de l’utilité technique. Ils font donc le tri et n’utilisent que ce qui leur est utile.

L’école française à la Renaissance est conduite par Guillaume Bude. Mais le plus important est Hugues Doneau, qui envisage la méthode française comme une synthèse des deux écoles précédentes : la méthode des glossateurs et celle des commentateurs. Il insiste sur le sens et sur la critique en rejetant les commentaires dogmatiques, il se sert du droit romain de manière utile pour envisager l’évolution du droit de son temps. Ainsi donc le droit romain, entre 1076 et 1530, a permis aux juristes d’affiner leur méthode et de maitriser leur approche conceptuelle du droit qui leur a permis de faire évoluer la méthode mais aussi le fond du droit.

Le renouveau du droit c’est la recherche de souveraineté des princes. Dans le domaine du droit public, on découvre une définition : dans les textes romains, le droit public est défini comme le status rei publicae, c’est à dire « l’état de la chose publique ». Le terme « status » renvoie à la stabilité, la durée. Pour les romains, comme pour les civilistes du Moyen Age, le droit public organise ce qui dure, c’est la recherche de l’Etat, de la permanence des institutions. Cette recherche de l’Etat aboutira à la distinction entre la personne physique du roi et la couronne qui est une entité juridique qui survit après la mort du roi. Cela aboutira enfin, à l’apparition de l’Etat moderne au XVIème siècle : c’est la modélisation du pouvoir souverain. Mais cette modélisation découle aussi d’autres apports romains qui concernent le droit privé. En droit privé, le droit romain a donné des notions qui ont fait évoluer le droit public. Parmi elles, l’universitas personarum : c’est l’idée que la couronne pourrait être une personne fictive. En droit romain classique puis post classique (Auguste et Constantin), les collèges, les villes puis les églises chrétiennes étaient considérés comme des entités collectives. Ces entités étaient titulaires de droit et pouvaient se constituer un patrimoine et agir en justice.

Au XIIème siècle, après la redécouverte du Digeste, les civilistes utilisent cette notion pour accompagner l’émancipation urbaine des villes d’Occident. Les juristes appliquent la notion d’universitas personarum aux villes de commune dans le nord du royaume et aux villes de consulat dans le sud du royaume. Au XIIIème siècle, ces universitates sont envisagées comme des personnes par les maitres orléanais.

Après eux, Bartole parle de ces entités en disant qu’il s’agit de personnes fictives. Pour lui, par une fiction juridique, il faut assimiler la collectivité des hommes concernés à une personne unique. Dès lors, à compter de ses écrits, les universitates médiévales disposent de droits et de devoirs. Le droit romain est ainsi directement à l’origine de la personnalité juridique. Cette notion s’est avérée essentielle en droit des sociétés mais aussi pour la construction de l’Etat. Dans bien des domaines, le droit romain permet donc pour créer des règles fondatrices du royaume de France. Dans le droit du mariage, le droit romain nourrit une réflexion : le consentement seul suffirait à concevoir l’union, à faire l’union d’un homme et d’une femme. L’acte charnel ne suffirait pas à faire l’union, mais dans les coutumes barbares, le consentement devait s’accompagner de la consommation du mariage pour que les époux soient définitivement liés.

C’est la position romaine qui l’emporte et est officialisée par l’Eglise mais celle-ci s’éloigne aussi de la position romaine : en droit romain, le consentement suffisait mais il fallait celui des époux et celui des deux pères. L’Eglise affirme au contraire que le consentement suffit dans l’absolu. La rencontre des volontés des époux suffit à faire le mariage. Il faut comprendre en fait que le droit romain ne suffit pas au Moyen Age, il ne fournit pas tout le matériau nécessaire aux besoins juridiques. Il est entré en sommeil dans l’Occident chrétien entre le VIème et le XIème siècle. Un autre droit se développe dans le silence du droit romain, c’est le droit canonique. Il s’est développé comme un droit savant, en s’inspirant de l’héritage romain, au sein de la seule institution pérenne de l’époque franque puis de la féodalité, afin de créer le ius commune.

 

2.        Les origines canoniques du droit français.

Le droit canonique est celui de l’Eglise chrétienne. Le christianisme nait en Orient, dans un royaume juif, contrôlé par les romains et immergés dans un Orient hellénisé. Les chrétiens ne forment pas un groupe mais plusieurs groupes isolés qui font se rapprocher au fur et à mesure. La communauté chrétienne va s’élargir et les communautés vont entretenir des rapports complexes. Les groupes chrétiens vont s’organiser rapidement à l’aide d’une notion grecque : celle de l’ecclesia, déjà mentionnée dans les actes des apôtres. Ce terme signifie « assemblée ». Dès le début, les groupes veulent s’organiser d’une manière politique. Très tôt, ils veulent prendre des décisions dans un but d’efficacité et de bonne gestion. Ils recherchent toujours l’expression collective comme dans l’Athènes antique où l’ecclesia servait à donner les expressions du peuple. Des petites communautés vont s’organiser et se gérer comme des cités autonomes dans les cités romaines qui les voient naitre. Les églises locales qui s’organisent sont d’abord orientales puis se répandent dans la partie occidentale de la Méditerranée. Les communautés s’installent à Rome et le christianisme, à partir de là, va s’étendre dans tout l’Empire d’Occident.

 

Cette nouvelle religion organise son Eglise, elle se développe beaucoup et les communautés chrétiennes inquiètent les romains. Politisées, elles sont perçues comme un danger pour le pouvoir impérial. Les romains commencent alors des persécutions officielles, appuyées par les empereurs mais n’aboutiront à rien. Constantin et Licinius vont tenir les conférences de Milan d’où sort l’édit de Milan qui proclame la licéité du culte chrétien. Le christianisme devient une religion officielle et enfin, en 380, l’édit de Thessalonique en fait la religion officielle de l’Empire romain. Depuis 313, apparaissent des textes juridiques dans les communautés chrétiennes qui s’organisent de plus en plus. Apparait aussi, une hiérarchie ecclésiastique parmi ceux qui sont chargés de diriger le peuple chrétien. L’évêque guide la communauté locale, souvent dans le cadre de la cité romaine. Certains évêques deviennent des patriarches, ils tiennent des sièges épiscopaux illustres, les sièges des métropoles les plus anciennement christianisées. Ils sont à Antioche, Constantinople, Rome. L’un des patriarches sort du lot, c’est le pape et il est au sommet de la hiérarchie. Grâce à lui, le droit de l’Eglise évolue. Jusqu’à la reconnaissance de l’autorité du pape, les sources du droit de l’Eglise étaient d’origines collégiales. Dorénavant, elles émanent davantage du pouvoir de juridiction du pape. Cependant, pendant toute la période franque, il reste difficile de concevoir le droit de l’Eglise dans son ensemble : les sources restent éparses, tant que la papauté elle-même se trouve sous la domination des empereurs. D’abord celle des carolingiens, puis celle des ottoniens.

 

Au XIème siècle, commence la réforme grégorienne : Rome s’affranchit des empereurs germaniques, elle impose sa théocratie pontificale. L’Eglise chrétienne découvre alors la centralisation : elle veut diriger tout l’Occident. Cela aboutit à la formation du droit canonique.

 

Chapitre 1: Le droit de l’Eglise chrétienne avant la réforme grégorienne (IIème-Xème siècle).

Le droit de l’Eglise répond à des besoins quotidiens : des comportements s’imposent pour créer une société organisée. Ils s’imposent par la répétition mais aussi par un désir tacite et collectif de paix, de cohésion : c’est la coutume. Le premier droit canonique est semble-t-il coutumier. Aucune volonté de centralisation, ou d’unification n’existe, chaque communauté développe son système de valeur, son comportement, et ses propres usages. Cela dit, la coutume reste une source du droit, de façon durable, c’est une source créatrice dans l’Eglise des premiers temps.

 

Le père de l’Eglise chrétienne, Tertullien a fixé le dogme de l’Eglise dans les premiers temps. Il faut donc donner une définition de la coutume, établie par deux traités. La coutume cède rapidement la place à des sources plus constantes du droit canonique, issues des instances ecclésiastiques. Aux IVème et Vème siècle, les juristes vont rassembler les sources du droit canonique pour former des compilations.

Section 1: Les sources du droit canonique.

Les tous premiers documents juridiques paraissent tributaires des évangiles mais vont s’effacer rapidement. Quand les communautés chrétiennes auront bien entamé leur développement, d’autres sources vont apparaitre et les supplanter. Très tôt, apparaissent des législateurs qui sont collégiaux. Le premier est le concile, une assemblée d’évêques qui luttent contre les hérésies (les sectes chrétiennes qui contestent des fondements chrétiens). Ensuite, beaucoup s’occupent de la discipliner, lorsqu’intervient la paix en 313, Constantin veut que l’Eglise soit unie. Les conciles sont donc importants pour l’établir et pour contrôler leurs pairs. L’empereur cherche en fait, par le christianisme, à appuyer son propre pouvoir pour faire de l’empire romain, un empire homogène, uni et puissant. Ensuite, apparaissent les « grands conciles » dans les grandes villes de l’empire. Ce sont des conciles orientaux mais qui réunissent des évêques venus de toute la chrétienté. D’autres conciles sont réunis, ils sont plus restreints mais les règles qu’ils imposent passent rapidement d’une portée régionale, à une portée générale. La raison est simple, cette législation conciliaire accompagne à l’identique, en même temps que la législation des titulaires ecclésiastiques, le pouvoir de législation. La législation des papes se caractérise par le même système.

A) La règle ou le canon

Les communautés chrétiennes des origines s’organisent dans la partie orientale de l’Empire qui est hellénisée. La sémantique chrétienne en matière juridique s’appuie sur une conception grecque. Les règles du pape sont alors appelées « les canons ». Saint Isidore de Séville (560-636) dit que « canon » signifie en latin « regula », la règle. Il était déjà utilisé par le juriste romain, dans le sens neutre de règle. L’ensemble des règles de l’Eglise devient donc le droit canonique mais cette appellation est tardive. L’appellation officielle de « droit canonique » n’apparait que dans le décret de Gratien, après la réforme grégorienne. Ainsi le canon, n’est que la prescription disciplinaire des conciles. Il s’accompagne d’autres règles : les règles disciplinaires des premières communautés chrétiennes et les règles issues de la littérature pseudo apostolique.

1- La discipline des premières communautés chrétiennes.

Le christianisme prend ses racines dans le judaïsme, et nécessairement les premiers textes de droit canonique sont par ancienneté les livres de l’ancien testament. Le christ est venu pour faire connaitre une «Loi nouvelle», aussi les premiers chrétiens, dès le Ier siècle considèrent que le Nouveau testament établit les règles des nouvelles communautés. Les premières communautés cherchent à s’organiser en suivant les prescriptions des évangiles, en suivant les règles de épitres ou encore les prescriptions des actes des apôtres. Les chrétiens parlent volontiers de lex Christi (lex fideii), et si l’on en croit les épitres de Paul, on envisage par la aussi le nouveau testament. Cela n’exclue pas pour autant l’Ancien testament, suivit par les chrétiens. Ils désignent l’ancien testament en utilisant le mot de loi seul, lex. D’après les évangiles de Mathieu, le christ a déclaré qu’il n’est pas venu pour défaire la loi mais plutôt pour l’accomplir, c’est ce que l’on constate dans le chapitre 5 verset 17. Les Ecritures sont donc sources de droit. Ancien et Nouveau testament serviront encore bien des années après la naissance du christianisme et continueront d’être utilisés par les Papes.

Aux origines, la discipline chrétienne n’est pas dictée par des prescriptions juridiques, car la sanction de l’autorité publique fait défaut. La discipline est donc uniquement issue de textes sacrés. A la fin du Ier siècle et au début du IIème siècle, les clercs commencent à se distinguer des laïcs, dans leur activité quotidienne de rédaction de lettres. Les clercs sont les garants de l’héritage, ce sont eux qui guident les communautés et sont investis de responsabilité précise. Les premiers guides portent des noms assez variables, mais rapidement, un nom se dégage pour parler de ces guides : les évêques. Ils se distinguent rapidement de la masse des laïcs. L’évêque entretient une correspondance régulière principalement à deux catégories de destinataires : à des communautés autres que celles qu’il est chargé de diriger et à d’autres évêques. Ces correspondances servent à discipliner les communautés et de rapprocher les communautés dans leur habitudes disciplinaires.

Cette littérature épistolaire vient s’ajouter aux textes sacrés comme source des règles ecclésiastiques au bout d’un siècle. Cette période des littératures épistolaires prend le nom de temps apostoliques, pour souligner le rôle déterminant jouer par les messagers du christ (apôtres, et tous les autres qui perpétuent leur mission) en matière de discipline. Ces temps apostoliques sont les temps des messagers, de ceux qui transmettent, caractérisés par une littérature particulière qui renvoie à cette idée de message, la littérature pseudo apostolique.

 

2- La littérature pseudo apostolique.

Cette littérature est abondante, et regroupe un grand nombre de traités, qui la plupart du temps sont anonymes. Ces traités sont rédigés sous nom d’emprunt puisque les auteurs de ces traités invoquent toujours le patronage des apôtres. Ces traités forment la littérature pseudo apostolique en raison de cette protection fictive recherchée par les auteurs. Dans ces écrits il est question de liturgie, et de plus en plus, d’enseignements moraux et de règles disciplinaires qui servent à fixer la part qui revient à chacun dans l’Eglise. Cette littérature pose les premières règles juridiques et nous permet de découvrir les premières institutions ecclésiastiques.

a) La didache et la tradition apostolique d’Hyppolite.

C’est un écrit rédigé en grec, et c’est le plus ancien écrit de la littérature pseudo apostolique. Le terme didache signifie doctrine, et la didache représente donc la doctrine des douze apôtres. Ce traité est composé de douze chapitres et date de la fin du Ier siècle environ. Elle fixe les règles de vie d’une communauté chrétienne, soit celle de Syrie, soit celle de la Palestine. Elle expose une éthique judéo-chrétienne, et c’est en cela que l’on constate qu’à cette époque, le christianisme n’est pas totalement détaché du judaïsme. Au delà des six premiers chapitres, on constate que la didache s’éloigne de la lex et parait plus résolument chrétienne dans son contenu. A la fin du traité, certaines prescriptions concernent finalement l’épiscopat. Un chapitre seulement fait mention de l’évêque, et encore, une partie du chapitre uniquement. Les institutions ecclésiastiques sont encore peu développées et la primauté disciplinaire n’est pas encore celle de l’évêque. Elle est encore celle des apôtres, des docteurs et des prophètes. La tradition apostolique d’Hyppolite est plus complète que la didache, mais elle est aussi plus juridique dans son approche. Cette tradition est rédigée plus tardivement, au début du IIIème siècle. Elle est appelée d’Hyppolite car elle aurait été rédigée par Saint Hyppolite martyrisé en Sardaigne en l’an 235. C’est la encore un traité de langue grecque, utilisé par les clercs cultivés qui dirigent l’Eglise de Rome au début du IIIème siècle. Le titre tradition apostolique est éloquent, l’ouvrage se présente comme une transmission de l’enseignement des apôtres.

Ce traité commence par une introduction, et dans l’introduction, la tradition apostolique insiste sur la nécessité absolue pour l’Eglise et les communautés chrétiennes : garder la tradition, pour éviter de tomber dans l’hérésie. On retrouve ici la dimension nécessaire de l’héritage des clercs, des évêques, qui était avant celle des apôtres. Après l’introduction, la tradition s’ouvre sur deux parties. La seconde partie se préoccupe de liturgie, s’inquiète de l’eucharistie, et au delà de cela, se préoccupe des moments qu’il faut choisir pour réciter les prières quotidiennes. La première partie décrit les rites de l’ordination et de l’institution. Le traité dans son ensemble est donc fondamental puisqu’il pose des règles institutionnelles déterminantes en ce qu’elles fixent dès le IIIème siècle une organisation ecclésiastique. La tradition apostolique d’Hyppolite présente en effet l’organisation type d’une communauté chrétienne. La communauté ainsi décrite est la communauté de l’Eglise romaine. A cette époque, la communauté de l’Eglise romaine est dirigé par l’évêque de Rome qui annonce la Parole et préside les cérémonies du culte. Il est assisté, entouré d’un conseil appelé presbyterium composé de prêtres et diacres. Ces derniers sont des clercs, ils ont reçus le sacrement de l’ordre, que l’on reçoit par l’imposition des mains. Les clercs sont donc ordonnés et à ce titre, ils reçoivent un service liturgique précis. Selon la tradition apostolique, d’autres chrétiens peuvent remplir des fonctions pour la communauté romaine. Seulement, ces fidèles ne sont pas des clercs, mais des lecteurs, des sous diacres, des veuves, des vierges ou encore des guérisseurs.

Ces fidèles ne reçoivent pas l’ordination, on ne procède pour eux qu’à une institution. L’institution se fait par les mots. C’est en cela que la tradition apostolique est juridiquement essentielle car elle pose une distinction institutionnelle entre le clerc et le laïc. Elle impose aussi une idée qui va caractériser la tradition chrétienne jusqu’à aujourd’hui, celle qu’à tout pouvoir correspond une mission, une fonction. Cette idée fondamentale va finir par pénétrer les institutions laïques et se trouve à l’origine de la genèse de l’Etat contemporain. C’est par le sacre de Pépin en 751 que l’évolution du pouvoir temporel en Gaule se constate et que la royauté change de mentalité, pour avoir comme objectif de servir une communauté. C’est une responsabilisation du gouvernant. La tradition apostolique pose donc la séparation nécessaire entre clerc et laïc. A ce titre, la tradition représente le premier grand monument du droit ecclésiastique. Le traité va servir car sa matière va être reprise et adaptée dans d’autres traités pour l’adapter aux nécessités de leur temps respectif.

b) La didascalie et les constitutions apostoliques.

La tradition apostolique d’Hyppolite se diffuse dans le sein de l’empire romain. Elle connait un grand succès dans les communautés chrétiennes en Orient comme en Occident. Elle sert avec le temps de modèle à d’autres écrits notamment rédigés dans les communautés du patriarcat d’Antioche. Vers 230, en langue grecque, est ainsi composée par un évêque syrien ce qu’on appelle à l’époque la didascalie des apôtres. Son autorité est telle qu’elle est traduite ultérieurement pour être conservée en latin, en syriaque et en arabe. La tradition fait également état de version éthiopienne et arménienne. De façon fictive, l’ouvrage prétend rassembler un ensemble d’instructions, que les apôtres eux-mêmes auraient en leur temps transmises aux évêques. Cette notion d’instruction se retrouve dans le nom de l’ouvrage. Le patronage entend souligner un point fondamental de discipline : l’évêque est et doit être l’élément central de toute communauté. Il existe bien d’autres clercs, mais ceux-ci exercent leurs fonctions d’après les prescriptions de l’évêque. C’est en rappelant les règles essentielles de distinction entre clerc et laïc que la didascalie s’appuie sur la tradition apostolique. Elle ébauche en plus une première expression de première hiérarchie ecclésiastique. La didascalie règle la vie des communautés, règle et précise le rôle de chacun, du clerc comme du laïc. Les diaconesses (diacre au féminin) visitent les malades et interviennent dans la liturgie, chargée de faire accoucher les femmes. Ce sont bien plus que de simples usages, elles sont placées sous la responsabilité de l’évêque qui veille à leur observation.

Elles sont sanctionnées par la puissance épiscopale. La didascalie est un recueil de littérature chrétienne qui recense les comportements plus juridiques qu’autrefois au sein des communautés orientales. Autre recueil, les constitutions apostoliques se présentent comme des compilations en huit livres composées en grec. Alors que le droit de l’époque est dicté par les constitutions impériales, et que l’Eglise devient la religion de l’Empire, les constitutions apostoliques poursuivent le même but que le consistoire sacré : elles veulent établir les règles de l‘Eglise d’Orient. Elles représentent un aboutissement car la compilation s’inspire de textes antérieurs : on trouve des écrits de la didascalie, des écrits de la didache et de la tradition apostolique d’Hyppolite, ce qui manifeste une envie de continuité. Les textes repris ne sont pas seulement recopiés, mais sont remaniés et complétés par des emprunts à d’autres sources telles que la Bible, ou à l’histoire ecclésiastique écrite par l’évêque de Cesari. Les constitutions apostoliques s’attardent sur les rapports entre clercs et laïcs, se soucient des schismes et des manières de vivre des communautés chrétiennes. Le dernier livre est consacré aux charismes, aux ordinations et aux canons ecclésiastiques. En conclusion, la règle, les hérésies et les clercs sont au coeur du propos des constitutions apostoliques. Le livre huit profitera d’une grande faveur après sa rédaction, il fait l’objet de nombreux résumés, les épitomé. Ils seront utilisés pendant des siècles car ils fournissent des données précieuses, des versions établies de prières d’ordination. Les constitutions apostoliques précisent donc la règle ecclésiastique, qui s’impose à l’époque sans avoir besoin du patronage des apôtres. Jusqu’alors, les initiatives solitaires des évêques ou des érudits qui étaient nécessaires pour combler le vide juridique ne le sont plus. Ainsi, à la fin du IVème siècle, les instances chrétiennes se sont imposées, et s’occupent de créer du droit. Les réunions conciliaires se font plus nombreuses, et nécessairement la littérature pseudo apostolique cède la place au concile comme source du droit canonique.

Les initiatives isolées disparaissent et dorénavant, la règles est édictée en réunion. Ces règles sont plus conformes à la mission ecclésiale des premières communautés chrétiennes.

 

B) La législation des instances collégiales.

 Les instances collégiales sont les réunions conciliaires. Les premiers conciles se tiennent en Orient et à Rome dès le IIème siècle. L’usage gagne ensuite d’autres provinces de l’empire. C’est au IIIème siècle que cette législation conciliaire prend son essor. L’essor de cette législation s’accomplit à partir de la province d’Afrique proconsulaire organisée autour de la ville de Carthage.

 

1- La législation conciliaire avant Constantin.

 Le premier concile romain serait une assemblée d’évêques tenue sous le pontificat du Pape Victor (189-199). Il avait pour propos de déterminer la date de Pâques, qui restait indéterminée. Ces assemblées se préoccupent surtout de dogmes et de liturgie et se soucient beaucoup des hérésies, mais se soucient peu de l’unité de l’Eglise et encore moins des communautés chrétiennes. Au IIIème siècle, des conciles sont assemblés en Asie mineure, en Arabie, en Egypte et en Afrique. La lutte contre les hérésies restent la préoccupation principale, mais parfois la réunion des évêques aboutit parfois à l’édiction de règles disciplinaires. Dans les années 220-240, ont lieu à Carthage d’importantes réunions conciliaires. L’évêque de Carthage est un prélat illustre, et à cette époque, les évêques de la province romaine d’Afrique sont nombreux. Pour harmoniser les pratiques des nombreuses communautés, le concile est alors une absolue nécessité. En ces temps de persécutions, de querelles dogmatiques, il faut des conciles parce qu’il faut empêcher l’hérésie et proposer une règle unique. Les conciles généraux d’Afrique proconsulaire sont donc déterminants, et regroupent un grand nombre d’évêques, et parfois même des prêtres.

 Ces conciles interviennent en matière théologique, judiciaire pour juger les hérétiques et en matière disciplinaire, ce qui est une nouveauté, pour fixer les règles susceptibles d’organiser la vie des clercs. Le premier concile à lieu vers 220, réunit 70 évêques sur les 100 que comptent la province d’Afrique proconsulaire et la Numidie. Ce premier concile se penche sur la validité des baptêmes conférés par des prêtres hérétiques, qui ne croient pas au message du Christ tel que transcrit par l’Eglise officielle. Le concile se prononce pour l’invalidité du baptême, et les pairs conciliaires en profitent pour édicter les règles disciplinaires qui s’imposent. Les nouveaux convertis baptisés par un hérétique doivent recevoir un nouveau baptême. Au delà des questions qui concernent les hérétiques, ces conciles africains sont obligés de se pencher sur l’organisation des communautés. Ils développent une matière toujours plus importante destinée à imposer une structure, à encadrer les communautés chrétiennes. Ainsi, une autre assemblée interdit de désigner par testament un clerc comme tuteur ou curateur. Cette législation conciliaire insiste donc sur l’orthodoxie et sur la discipline des clercs.

 La législation conciliaire dépend très étroitement de l’évêque de Carthage qui se comporte dans sa Province et au delà comme un primus inter pares, il exerce une autorité naturelle sur les évêques installés dans les provinces ecclésiastiques voisines. Cet évêque s’impose par sa personnalité, et cette primauté de l’évêque de Carthage se poursuit durant tout le siècle après 220. Ainsi, sous l’épiscopat de Saint Cyprien, les conciles d’Afrique proconsulaire finissent par réunir des participants d’autres provinces. Les assemblées d’Afrique sous Saint Cyprien ne sont plus des assemblées générales, mais deviennent des conciles régionaux qui concernent les évêques de toute l’Afrique du Nord. Les règles édictées changent également de nature, elles sont édictées de plus en plus à partir de situations concrètes qui concernent des sujets de plus en plus divers. C’est donc à partir de là que le concile devient source du droit. Cependant la portée de la législation conciliaire reste limitée en droit car les règles édictées ne sont pas reconnues par les instances séculières. Les choses changent en 312-313 car c’est à ce moment que Constante et Licinius imposent la paix religieuse en Orient et en Occident.

 

2- La législation conciliaire de l’Empire chrétien.

La dernière persécution contre les chrétiens prend fin en 305, et avait été ordonnée par Dioclétien. En Orient, cette persécution prend fin en 311, au moment où un édit de l’empereur Galère vient officiellement terminer la persécution pour l’Orient. Après les conférences de Milan, Licinius publie son édit de Nicomédie daté du 13 Juin 313, qui instaure la liberté religieuse en Orient. Constantin fait de même pour l’Occident, et impose pour l’Occident la liberté religieuse. Ce sont tous ces éléments que l’on appelle l’Edit de Milan. Depuis 313, l’attitude impériale change, et favorise la vie de l’Eglise. L’empereur romain se met à favoriser la vie ecclésiale et la diffusion du message de l’Eglise chrétienne. Inévitablement, les communautés chrétiennes se développent et le patrimoine des Eglises s’accroit et devient toujours plus abondant. Bientôt le régime juridique de bienveillance se traduit en régime de religion d’Etat. Il s‘impose en 380 avec l’Edit de Thessalonique. Le IVème et le Vème siècle ne sont pas seulement marqués par cette attitude favorable de l’empereur romain, mais les conflits au sein de l’Eglise elle même sont nombreux à cause de l’hérésie qui menace. La plus connue est l’hérésie Arienne qui conteste le dogme officiel de l’Eglise. Avec cette hérésie, se produit un nouveau schisme, le schisme donatiste. Sur cette période qui suit la paix constantinienne et s’étend jusqu’à l’Edit de Thessalonique, la législation conciliaire ne peut que s’imposer. Ce qui change par rapport au IIIème siècle, c’est que l’Empire romain prête une oreille attentive à ces assemblées conciliaires. La question de l’unité de l’Eglise sous entend en effet la question sous-jacente de l’unité de l’empire romain lui même. Au cours des IVème et Vème siècle, se tiennent quatre conciles majeurs, qui sont par la suite devenus oecuméniques. Cela signifie que ces conciles auraient réunis des évêques venus de tout l’Empire.

Ces quatre conciles sont les conciles de Nicée (325), de Constantinople (381), d’Ephèse (431), et Chalcédoine (451). Ces conciles se distinguent des autres par l’autorité attachée à leur décision et aussi en raison de leurs conditions particulières de réunion. D’autres assemblées conciliaires sont réunies sur la même période, et elles se divisent en deux catégories : les conciles provinciaux (dans la province ecclésiastique, placés sous l’autorité métropolitain qui surveille les évêques des diocèses de la province ecclésiastique) et les conciles régionaux (regroupe des évêques d’origine diverses, qui statue pour un territoire plus vaste que celui d’une simple province ecclésiastique). D’autres conciles ont rassemblé d’autres régions de l’Empire, comme le concile d’Arles de 314, qui accueille des évêques de Gaule, d’Espagne, d’Afrique, de Bretagne et de Dalmatie. La convocation au concile émane en général du métropolitain, qui profite d’une prééminence au delà des frontières de sa province. C’est le cas de l’évêque de Carthage qui profite de cette primauté depuis l’épiscopat de Saint Cyprien. Cette prééminence, ou primatie permet donc de réunir des conciles régionaux. Le concile d’Arles présente une autre particularité : il a été assemblé par Constantin, comme le concile de Nicée. La présidence est assurée par celui qui convoque, et la présidence du concile est donc assurée soit par le métropolitain, soit par le primat, soit par l’empereur. La notoriété de celui qui réside fait de lui le directeur du débat, et les règles édictées font autorité dans les provinces des participants. Parfois, les règles édictées par les conciles s’imposent à plus grande échelle, et les canons des conciles ont ainsi une autorité plus forte quand ceux-ci sont assemblés par l’Empereur. Ce dernier peut décider de généraliser les canons adoptés dans toutes les provinces, et pour être sur que ces canons seront appliqués, les empereurs menacent les contrevenants de sanctions séculières. Ces interventions impériales sont rares, quand les canons sont particulièrement importants, comme ceux du concile de Nicée, qui seront imposés par Constantin à tout l’empire. Théodose Ier, le 30 juillet 381 va donner suite aux canons du concile de Constantinople pour structurer l’Eglise qu’il venait juste de nommer Eglise officielle de l’Empire. Théodose Ier intervient à la demande des pairs et des évêques pour assurer le suivi des canons adoptés par le concile et il intervient en prescrivant de réserver les Eglises chrétiennes au évêques qui se sont ralliés aux canons du concile de Constantinople. Ces conciles sont importants car ils se soucient aussi énormément de la discipline des clercs. Les canons s’occupent aussi des questions sociétales qui concernent les laïcs. Les canons des conciles abordent des matières variées comme le patrimoine de l’Eglise, ou la vie économique et familiale.

C’est le cas du concile d’Elvire qui a adopté 20 canons sur la question du mariage qui devient au IVème et Vème siècle une préoccupation pour l’Eglise chrétienne. Les conciles de l’Empire chrétien se caractérisent donc par une diversité des centres d’intérêts, ce qui caractérisera aussi les conciles et la Gaule franque.

 

3- Les conciles et synodes de la Gaule franque.

Au VIème et VIIème siècle, l’empire d’occident à disparu, les royaumes germaniques ont pris sa place et se sont établis sur le territoire de l’ancien empire d’occident. Les vandales sont en Afrique du Nord, les francs en Gaule et les ostrogoths et les lombards sont en Italie. Dans le cadre de ces royaumes barbares, l’activité conciliaire se poursuit. Cependant, en Afrique du Nord, l’activité conciliaire cesse car à l’origine, les vandales persécutent les évêques de l’ancienne province d’Afrique proconsulaire, étant adeptes de l’hérésie arienne. Les conquêtes de Justinien sont éphémères, et dès lors, l’activité conciliaire en Afrique n’arrivera pas à se relever. L’activité conciliaire se maintient surtout en Espagne et en Gaule franque. On remarque qu’à cette époque, un vie intellectuelle féconde est stimulée par le développement du monachisme. Clovis stimule le christianisme en se convertissant en 496 au christianisme nicéen. Il favorise la clergé gallo-romain et ne s’oppose pas à la tenue de concile d’évêques qui se réunissent souvent pour répondre aux besoin de la population du regnum francorum.

On compte 55 conciles pour l’ensemble de la période mérovingienne, mais ces réunions ne concernent qu’un nombre modeste de participants, du fait de la grande instabilité politique du royaume. Lors des périodes d’unité du regnum francorum, les conciles régionaux sont plus nombreux, sois les règnes de Clotaire II et Dagobert Ier. Ces conciles parviennent à assembler des évêques de tout le royaume, comme dans le concile de Maçon II en 585, qui compte 66 évêques ou le concile de Clichy de 626 qui compte 42 évêques. Ces conciles régionaux du royaume mérovingien ne sont pas nombreux, seulement environ une douzaine, le reste étant composé de concile provinciaux. L’évêque assemble aussi dans son diocèse des synodes diocésains, composés du clergé du diocèse. Ces synodes soulignent l’importance de la mission pastorale et disciplinaire de l’évêque, et la difficulté de concevoir des assemblées de grande dimension. La vie des communautés se règle donc autour de l’évêque et de son synode. En Gaule franque, les conciles sont souvent réunis par les rois, pour les mêmes raisons que sous l’empire romain. Clovis réunit le premier grand concile de l’Eglise mérovingienne à Orléans en 511. En réunissant le concile, Clovis montre bien toute l’importance que revêt pour lui et sa dynastie le clergé de la Gaule franque. Après Clovis, ses fils et ses descendants vont se montrer soucieux de cette législation conciliaire qui est structurante pour le royaume. Dans les conciles mérovingiens, on commence à voir apparaitre un statut juridique pour le clergé, qui à force de se répéter, s’enracine dans les institutions de l’Eglise. Apparaissent aussi des règles de rapport entre les princes et l’Eglise en matière de désignation des évêques pour canaliser cette désignation.

A cette époque, l’Eglise chrétienne est structurée, elle suit une hiérarchie, qui devient une question essentielle. Les conciles mérovingiens insistent sur le fait que l’évêque est le chef de la communauté, même s’il reste placé sous l’autorité du métropolitain. En Gaule mérovingienne, c’est indispensable car le comte est incapable de gérer son pagus. L’évêque devient de façon tacite représentant de l’autorité du roi. On le constate dans les canons, car dans presque tous les conciles, l’évêque est présenté comme un administrateur bien plus que comme un guide spirituel. Il doit s’occuper du patrimoine ecclésiastique, de canaliser l’essor du monachisme, de veiller sur les abbayes, et dialoguer avec les princes. Il est présenté comme l’intermédiaire entre le peuple et le roi. En ces temps délicats, on constate une faiblesse relative du pouvoir royal, et ainsi, le concile est aussi l’occasion de combler les lacunes du pouvoir royal. Le roi mérovingien légifère peu, or les populations ont des besoins. On trouve donc des canons qui s’occupent de régler la vie sociale des populations, comme ceux qui insiste sur le droit d’asile, qui précise les contours de l’institution maritale, ils luttent contre les unions incestueuses. Seulement, le pape est loin et son autorité peine à s’imposer jusqu’en Gaule, ce qui fait que les dispositions conciliaires peinent à s’imposer.

On constate ainsi, que les évêques reprennent les mêmes prescriptions d’un concile à l’autre, ce qui est une conséquence directe d’une mauvaise observation. C’est ce qui explique peut être l’élévation de l’activité conciliaire à l’époque carolingienne. On compte 220 conciles pour l’époque carolingienne. Le fait qu’il soit difficile d’imposer la législation conciliaire n’explique pas tout, si les conciles sont plus nombreux sous l’époque carolingienne, c’est pour une raison institutionnelle. A partir du sacre de Pépin en 751, s’impose la théocratie royale carolingienne qui aboutit à une réforme très intense. En effet, il nécessaire d’adapter la Gaule à la théocratie carolingienne, et de matérialiser l’alliance entre l’Autel et le trône. Charlemagne se distingue car se tiennent très peu de conciles sous son règne. Il préfère d’autres formules caractéristiques de sa manière de gouverner. Il réunit l’assemblée d’Aix la Chapelle en 802. Dans ce plaid, il réunit des évêques, des abbés, des laïcs, des comtes, des chefs de guerre ou des responsables administratifs. Il se soucie peu des conciles et tient des plaides car Charlemagne gouverne selon un principe : le césaropapisme. Ce principe veut que Charlemagne soit le chef de l’Eglise chrétienne. C’est quasiment un roi prêtre, il gouverne une théocratie, qui selon Charlemagne est une théocratie royale et à ce titre, il a autorité sur les clercs et les laïcs. Le nombre important de concile sous l’époque carolingienne s’explique aussi par le fait qu’à cette époque, la papauté est toujours sous influence, et le droit de l’Eglise se complète depuis le Vème siècle, grâce à la législation des instances juridictionnelles, notamment grâce à la législation pontificale.

 

C) Les législations des instances juridictionnelles et les pénitentiels.

L’empereur Constantin est le premier qui accorde aux évêques la faculté de juger, peu après les conférences de Milan. Cette faculté de juger est étendue car Constantin l’accorde aux clercs et aux laïcs. L’évêque est par conséquent capable de dire le droit. Après la paix constantinienne, les instances ne vont pas se contenter d’interpréter le droit, elles vont se servir de ce pouvoir de juridiction pour créer la droit. Ces instances, c’est à dire le pape et les évêques, vont se manifester pour interpréter mais aussi pour compléter la législation conciliaire. Dans le silence des textes, aussi bien conciliaires que ceux issus des instances juridictionnelles, les laïcs pourront trouver des réponses à leurs questions en puisant dans d’autres sources : en consultant les pénitentiels qui sont une source annexe.

 

1- Décrétales des papes.

Parmi les évêques, celui de Rome est particulier, c’est un patriarche et un guide, il occupe donc un rang privilégié et devient rapidement un recours technique en cas de difficultés. Dans l’Eglise qui s’organise au IVème siècle, des questions d’interprétation des canons se posent souvent. L’évêque de Rome est capable de fournir ces réponses et on l’appelle dorénavant « le Pape ». Ces réponses fournies auprès de toute la chrétienté, finissent par obtenir autorité. Les papes utilisent pour cela les mécanismes de droit public romain. Les lettres papales vont s’inspirer alors du rescrit impérial et comme elles, le rescrit en son temps, crée la norme. C’est au Vème siècle que la législation pontificale prend son essor.

 

a) La lettre et le rescrit.

Au temps de Constantin, l’empereur romain donne encore des rescrits mais au Bas empire la production de ces rescrits est plus encadrée. Par ses réponses écrites, l’empereur donne une réponse en droit à une question posée par un fonctionnaire, un juge ou encore par un simple particulier. Le destinataire de la réponse se doit d’appliquer la réponse impériale au cas concret qui a motivé le rescrit. Seulement l’empereur est titulaire de l’auctoritas qui a une vertu qui lui est propre : elle va conférer une valeur générale à la règle posée dans le cadre de la réponse impériale, effectuée dans un cas concret précis. Cette technique législative propre aux empereurs romains, va inspirer la manière de concevoir la règle ecclésiastique, surtout après la paix constantinienne. Le pape devient en effet, peu à peu l’autorité suprême de l’Eglise et répond à des questions posées par des instances locales (évêques). La réponse papale ne résout pas dans le détail, la question soulevée.

Elle se contente de rappeler la règle et c’est à l’instance locale d’en prendre connaissance et de l’appliquer au cas concret. En principe, la règle du pape ne concerne que l’auteur de la demande. Cependant, à l’inspiration du modèle impérial, le pape titulaire aussi de l’auctoritas, va donner valeur générale à la règle qu’il a incluse dans sa lettre de réponse. Les lettres pontificales représentent alors, surtout en Occident, la forme d’exercice du pouvoir normatif du pape. On parle alors «d’epistola decretalis» pour désigner la lettre pontificale envisagée en tant que décision qui fixe le droit dans la lettre de deux manières possibles : soit en confirmant une disposition antérieure, soit en posant une norme nouvelle ecclésiastique. Dans le domaine de la sémantique juridique, on appelle aussi la lettre papale : « constitution », « auctoritas » ou encore « rescriptum ». Au Moyen Age, les canonistes utiliseront un nouveau mot : « la décrétale » qui peut ainsi correspondre à une définition particulière. C’est la réponse donnée par le pape à une question qui lui a été posée par une personne privée ou par une instance ecclésiastique.

 

b) De Damase à Grégoire le grand.

Selon St Jérôme, le premier pape qui a répondu à des questions et rendu des rescrits en faisant valoir son auctoritas serait Damase qui a occupé le siège de Pierre de 366 à 384. Il a profité de l’œuvre du pape antérieur Jules Ier, mort en 357, notamment par les réformes qu’il avait entreprises : il a organisé le service de la chancellerie pontificale qui fonctionne donc encore après sa mort. Grâce à cette chancellerie la papauté peut conserver et archiver les textes. Et à partir de Jules Ier, les papes peuvent se référer aux décisions de leurs prédécesseurs. Jules Ier a aussi été le premier à affirmer l’idée de la primauté de Rome dans les affaires d’Eglise. Il a contribué à conférer un statut nouveau au pape. En fait il prépare le développement du pouvoir législatif pontifical. Damase récupère tout cet héritage mais on n’a pas retrouvé de textes rédigés par lui. La plus ancienne décrétale connue serait donc écrite par le pape Sirice qui occupe le siège de Pierre de 384 à 399. Il a envoyé une lettre en 385 à l’évêque Himère de Tarragone. Damase et Sirice se soucient dans leur réponse des rites du baptême, de la condition d’accès aux ordres majeurs et la continence conjugale des clercs admis aux ordres majeurs (en devenant prêtre, on doit arrêter toute activité conjugale). Les décrétales ne cessent d’augmenter et vont de plus en plus, au-delà de la question posée par un évêque, poser des règles générales auprès des évêques de provinces ecclésiastiques entières. Le pontificat de Gélase crée tellement de décrétales que c’est lui qui va fonder l’affirmation du pouvoir législatif du pape. On a retrouvé pas moins de 80 passages des décrétales de Gélase dans le Décret de Gratien. Ensuite, la personnalité politique moins remarquable des papes va entrainer un déclin de l’activité législative des papes. Rome va se trouver en situation délicate car elle tient des relations tendues avec l’empereur d’Orient qui veut s’imposer en Italie.

 

La papauté va se redresser sous le pontificat illustre de Grégoire le Grand de 590 à 604. Celui-ci a produit au moins 850 actes selon le registre de ses lettres. Les clercs romains sous son pontificat se sont attelés à la tâche et ont recopiés les lettres de Grégoire le Grand pour en faire des recueils annuels. Ces recueils sont aujourd’hui perdus mais ont été reconstitués partiellement aux XIXème et XXème siècle. Grégoire le Grand est intervenu en matière administrative, en matière disciplinaire et ses décrétales ont inspiré les instances canoniques après lui. Il connaissait très bien le droit romain et a su s’en inspirer pour mettre en œuvre ses décrétales. Il a aussi rédigé d’autres ouvrages : des œuvres de morale destinées aux moines, ce sont des commentaires de la Bible, le plus célèbre étant Moralia, un commentaire du livre de Jobbe. Le VIIème siècle est un siècle de déclin pour la législation pontificale. A l’époque carolingienne, l’Eglise va subir les conséquences de la théocratie royale : les clercs sont nombreux dans l’entourage du roi, regroupés dans la Chapelle : une institution de conseils dirigée par l’archichapelain. Ces clercs ont tendance à éclipser l’autorité du pape qui n’est plus que lointaine. Au VIIIème siècle, la législation ecclésiastique s’accomplit plus volontiers à partir du palais carolingien. Il est alors temps d’organiser la législation ecclésiastique. Les temps carolingiens sont les temps des collections canoniques, plutôt que le temps de la décrétale du pape.

La discipline ecclésiastique procède donc surtout de l’empereur qui s’occupe de la législation ecclésiastique. L’époque franque se caractérise aussi par l’activité normative des évêques de l’Occident.

 

2- Les statuts épiscopaux.

Pendant les temps carolingiens en Gaule franque, les institutions publiques sont animées par le principe de la théocratie, c’est à dire résumées par l’institution du sacre, le carolingien est roi par la volonté de Dieu. Son gouvernement doit donc accomplir la mission que Dieu lui assigne. Par le sacre, la cité des hommes doit être gouvernée par Dieu et doit nécessairement faire une place importante aux représentants de Dieu sur terre. Par conséquent, le pouvoir du clerc et le pouvoir royal doivent agir en une union étroite. Le pape est en théorie au moins égal au roi : à ce niveau, le carolingien parvient à s’imposer face au pape, il oriente la théocratie à son avantage. A compter de l’an 800 dans l’Empire chrétien, des instances sacerdotales vont s’imposer : ce sont les églises locales. Elles ne dominent pas l’empereur mais soutiennent la hiérarchie carolingienne. Les églises épiscopales sont les vrais centres politiques et économiques du royaume des Francs. Les carolingiens vont faire de l’évêque, l’équivalent spirituel du comte qui au temporel, est censé diriger le pagus. Sur le plan administratif, l’évêque s’impose car il est souvent plus compétent que le comte. L’évêque toujours plus important, agit dans un cadre déterminé et est en charge du diocèse. Il s’entoure d’un conseil : le Chapitre composés de chanoines qui aident l’évêque à accomplir son pouvoir d’ordre et de juridiction. Aucun souverain carolingien de remet en cause la juridiction épiscopale qui se développe et se transforme : elle devient synodale. L’évêque effectue dorénavant des visites synodales dans les églises locales pour rendre sa juridiction. A Pacques et en octobre, il réunit les principaux prêtres de son diocèse dans un synode diocésain, ils acquièrent alors une certaine solennité. Cette expérience judiciaire des synodes diocésains permet à l’évêque de dire mais surtout de créer le droit. L’évêque édicte seul la norme, et est le seul à pouvoir l’interpréter. Sur cette période, les évêques deviennent donc des législateurs réguliers, contrairement au pape. L’évêque doit tout de même respecter les normes, ne peut pas aller à l’encontre des canons antérieurs et ne peut pas non plus contester le contenu des décrétales antérieures. Ainsi donc les évêques vont mettre sur place, des statuts épiscopaux. Il y a ceux de Théodulfe d’Orléans et ceux d’Hincmar de Reims (IXème siècle).

Sur ces périodes de la royauté franque, la règle est donc dominée par un certain particularisme. Parfois même, ce particularisme va faire que la règle échappe à toute législation, qu’elle soit collégiale, juridictionnelle, elle s’impose au-delà et devient une pénitentielle. Les celtes des îles britanniques ont développé des pratiques particulières pour l’exercice de leur foi chrétienne. Pour contraindre le fidèle du Christ à respecter la religion, ils ont mis en place la pénitence tarifée : tout chrétien qui commet une faute, doit la racheter en effectuant une pénitence qui dépend de la gravité de la faute commise. Cette coutume religieuse correspond à une vision de la faute non perçue dans l’Occident chrétien, elle est caractéristique de certaines mentalités, non propres aux communautés religieuses, elles sont caractéristiques aux mentalités du Haut Moyen Age. Au plan séculier, on retrouve cette perception de la faute dans les coutumes germaniques qui imposent par la compensation pécuniaire, de payer à la victime de l’infraction, le prix du sang, c’est le wiergeld. Les règles canoniques ont fait des emprunts multiples : au droit public romain mais aussi en référence à des pratiques judiciaires provenant de la coutume germanique. Les clercs irlandais entreprennent de la recenser, ils vont rédiger des pénitentielles qui sont donc des écrits qui peuvent se résumer à quelques feuillets : on assortie les péchés à une pénitence qui lui correspond. Un pénitentiel présente donc au sens chrétien et canonique du terme comme des canons. La pénitence peut consister à effectuer un jeûne qui dure plus ou moins longtemps selon la faute commise. Les listes des pénitentiels sont toujours désordonnées mais très précieuses car par leur contenu, elles posent indirectement des règles qui nous renseignent précisément sur les mentalités d’une époque.

Les pénitentiels renseignent aussi des relations sociales, familiales, économiques, pas seulement religieuses. Tous les pénitentiels dénoncent les pratiques magiques et les superstitions, mais aussi des déviations sexuelles. Quelques pénitentiels importants : le Pénitentiel irlandais de Vinnian, le Pénitentiel de Colombin de 572 (voir au Moyen Age, la règle de St Colombin qui va permettre la fondation de nombreuses abbayes). Ce pénitentiel, dans sa version définitive, s’adresse autant aux clercs, qu’aux laïcs. Il y a aussi le Pénitentiel de Cumméan (662) qui se distingue par sa méthode de rédaction et d’élaboration, il est rédigé par un évêque. Il répartit les péchés par matière, ce qui rend le pénitentiel plus facile d’utilisation (la fornication y fait l’objet de 33 canons, c’est un pénitentiel diffusé largement, aussi bien aux clercs qu’aux laïcs), le Pénitentiel de Théodore de la fin du VIIème siècle (auteur inconnu, il semble qu’il était originaire du continent).

 

La période d’apogée du pénitentiel se situe sous l’Empire carolingien. Ensuite, ils seront toujours utilisés jusqu’au cœur du XIème siècle. Il décline à partir du XIIème siècle et ses recueils vont tomber dans l’oubli. En effet, à cette époque, la faute se définit beaucoup moins par rapport à la pénitence qu’elle accompagne, mais beaucoup plus au pardon qui doit nécessairement suivre la faute. Il décline aussi à cause de l’activité des canonistes qui vont par leurs écrits, travailler la règle canonique de façon nouvelle. Dorénavant, la règle canonique est édictée par le Décret de Gratien qui est une œuvre majeure qui s’est inspirée des sources antérieures du droit de l’Eglise. Il s’appuie sur les canons des conciles, sur les décrétales du pape et recourt aux collections canoniques qui ont permis précisément de transmettre au-delà des siècles, canons et décrétales.

 

Section 2: Les collections canoniques.

Les sources du droit de l’Eglise sont diverses, pour la plupart, elles sont de sources régionales. Les textes législatifs sont difficiles à conserver et leur diffusion est aussi délicate, une nécessité s’impose : il faut rédiger les recueils, organiser la collecte des canons des conciles et aussi recenser les décrétales. L’Eglise chrétienne veut donc assurer la conservation des textes normatifs et assurer la publicité des textes normatifs. Dans un premier temps, l’objectif est purement normatif et disciplinaire : l’Eglise veut simplement rechercher l’harmonie et pourquoi pas l’unité de la législation dans l’Eglise. Avec les temps carolingiens, le travail de collection s’établit dans un nouvel esprit : le but est plus politique, afin d’assurer l’indépendance de l’Eglise d’Occident par rapport à l’empereur.

 

A) Les collections canoniques : du bréviaire d’Hippone à la «Dionysiana».

Au IVème et au Vème siècles, des collections sont établies dans un cadre restreint et demeurent des entreprises locales. Cela change avec Gélase qui rénove l’autorité spirituelle et normative du pape, alors les collections canoniques sont plus ambitieuses : elles portent alors un désir particulier, celui de la centralisation de l’évêque de Rome.

 1- La primauté romaine et les premières collections canoniques.

Les premières collections canoniques sont conciliaires. Lorsque la papauté s’affirme, il devient temps pour l’Eglise de faire des collections de décrétales.

 a) Les collections conciliaires.

Nous avons connaissance d’une collection importante aux origines, la collection d’Antioche qui réunit dès le milieu du IVème siècle, les canons des conciles orientaux. Cette collection a par la suite été complétée, et s’est notamment enrichie des canons des conciles œcuméniques. Elle fait autorité jusqu’au VIème siècle en Orient mais connait aussi une diffusion certaine jusqu’en Occident. Le pape Jules Ier est le premier à défendre la primauté de Rome : l’Eglise de Rome veut alors hiérarchiser l’Eglise à partir du pape. Selon le dogme de la primauté, tous les appels des sentences épiscopales doivent être adressés vers Rome. Pour défendre cette vision hiérarchisée, les clercs romains ont besoin de forger leurs arguments : ils élaborent alors une collection canonique, ils se basent sur les conciles de Nicée et ceux de Sardique (343-344). Cette collection est appelée la Vetus Romana, c’est un instrument de guerre autant que de discipline ecclésiastique.

Se dressent face à elles les collections des églises locales plus ou moins destinées à lutter contre le dogme de la primauté. Celle qui manifeste le plus sa résistance est l’Eglise d’Afrique qui est riche, ses évêques sont nombreux et son patriarche installé à Carthage est très influent et prestigieux, tout comme l’évêque de Rome. Les collections africaines vont se caractériser par un farouche désir d’indépendance, en outre elles se caractérisent par un fort et très net esprit juridique. Les collections africaines seront par la suite abondamment reprises et au fil des siècles, ces collections de façon indirecte vont nourrir le Décret de Gratien et le droit canonique médiéval.

La première de ces collections est le Bréviaire d’Hippone du 13 et 28 aout 393. D’autres collections vont suivre, la plus fameuse étant le «Codex apriarii causae» : c’est une collection qui se présente plutôt comme deux dossiers techniques composés en 419. Eclate en effet en 418, l’affaire Apiarus. C’est un clerc africain, excommunié par l’évêque et décide de faire appel de cette décision : il sollicite alors Rome directement. Suite à cette affaire, l’Eglise d’Afrique réagit et réunit deux conciles qui se tiennent à Carthage et condamnent fermement les appels judiciaires adressés à Rome. De son côté, Rome défend sa position et les délégués du pape viennent jusqu’en Afrique avec la Vetus Romana pour se défendre. Le Codex apriarii causae va servir aux Africains pour défendre leur volonté d’indépendance. De ces conflits, l’Eglise a la volonté d’organiser toute une législation ecclésiastique. En Orient, les conflits sont moins nombreux mais des collections canoniques sont tout de même créées, notamment la Statuta ecclesiae antiqua. Cette collection a été rédigée dans la région d’Arles à la fin du Vème siècle. Elle concerne le dogme, la discipline et la liturgie. Son auteur a fait preuve d’innovation, il a réuni des canons conciliaires susceptibles de limiter les pouvoirs de l’évêque. Il veut organiser un double contrôle : le contrôle du synode provincial et le contrôle d’un conseil de prêtres du diocèse. Cette collection dessine déjà les contours de l’organisation de l’épiscopat de l’époque franque. Cette collection assure l’efficacité et la diffusion de la législation conciliaire.

b) Les collections de décrétales.

Le premier travail de recension est celui des archivistes de la chancellerie, ils commencent à travailler au milieu du IVème siècle lorsque le pape Jules Ier a structuré les services de la chancellerie. Ces recueils d’archives posent un inconvénient : ils ne sont pas destinés à être diffusés. Par conséquent, ce ne sont pas des recueils de collection. Les premières collections de décrétales apparaissent au Vème siècle, ne paient pas de mine et il en existe deux : les canones urbanici epistolae et les epistolae décrétales. Les deux collections ne contiennent qu’une demi-douzaine de décrétales chacune. Comme les collections conciliaires, celles-ci sont importantes surtout parce qu’elles ont nourri les collections postérieures plus directement utilisées à l’époque franque et par les artisans de la réforme grégorienne.

 

2- Les collections postérieures à la «renaissance gélasienne».

L’Eglise d’Afrique s’effondre en 439, ce qui met fin à l’invasion vandale. L’Empire romain disparait en 476 et donc les institutions ecclésiastiques subsistantes vont se regroupées autour de la Gaule, de l’Espagne et de l’Italie. Par conséquent, l’Occident rétrécie et les liens avec Bizance se distendent. Un monde clos apparait et l’Eglise est pratiquement la seule institution qui est restée en place et qui peut organiser la vie quotidienne des populations. L’Eglise poursuit son activité législative. Les compilateurs ne manquent donc pas de travail, ils se manifestent fréquemment et sont animés d’une nouvelle ambition : Rome connait une activité canonique intense (canons conciliaires et décrétales des papes) et les compilateurs apparaissent non plus seulement à Rome, mais dans tout le reste de l’Occident : en Gaule et en Espagne.

a) Denys le petit.

Les collections romaines de la «Renaissance gélasienne» recherchent un objectif principal : l’universalité. Ainsi, ces collections réunissent des canons d’origines diverses : des textes orientaux, africains et romains. Les compilateurs montrent aussi deux autres soucis : authenticité et romanité. Ils soulignent toujours la primauté pontificale et ils font aussi une large place aux décrétales dans leur collection.

La plus célèbre de ces collections romaines est la Dionysiana, l’œuvre de Denys le Petit qui est un moine scythe, un fin lettré et venu à Rome probablement à la demande de Gélase pour traduire des canons des conciles orientaux, du grec au latin. L’œuvre de Denys est une collection conciliaire et de décrétales. Dans sa partie conciliaire, elle a été élaborée en deux fois : par les canons de conciles œcuméniques et par les canons du concile de Carthage de 419. Signe de l’esprit pratique, cette première version contient un index des rubriques, des canons répertoriés pour faciliter l’utilisation de la collection. Une seconde version est composée pour améliorer la traduction. Une troisième version corrige les deux premières en supprimant les canons non reçus par l’universalité de l’Eglise (ceux qui voulaient «déchirer» l’Eglise). La collection de décrétales est le Liber decretorum. Cette collection propose un choix précis de documents : la collection ne propose que des règles juridiques, elle écarte les questions de dogme ou strictement historiques. Denys ne regroupe que des actes acceptés par tous, et cela dans un soucis d’universalité et d’harmonie. La Dionysiana a un succès immédiat et est utilisée à Rome dès 536 où elle devient l’œuvre de référence. En raison de son universalisme, elle aura les faveurs de la future réforme carolingienne. Cette collection n’est pas la seule collection héritée de la «Renaissance gélasienne».

b) La Vetus gallica et l’Hispana.

 Le but est de clarifier les textes anciens. La Gaule des VIème et VIIème siècles dispose d’un matériau neuf issu de l’époque franque : des règles nouvelles susceptibles de proposer une évolution des décrétales antérieures. Les collections gauloises portent donc la marque d’enrichissements progressifs. La Vetus gallica a été composée à Lyon, au tout début du VIIème siècle en trois versions successives : la dernière compte plus de 400 canons répartis en 64 titres. C’est la force de cette Vetus qui délaisse la présentation chronologique : les canons sont compilés en titres, avec l’adoption d’un plan systématique par matière. L’idée est de consacrer chaque titre à une question déterminée. Elle précise des règles en matière de sacrement, de liturgie, d’ordre et de juridiction. C’est une collection qui se soucie aussi des moines et des moniales. Elle a été composée dans un seul but : conduire, orienter la réforme de l’Eglise mérovingienne. Cette ambition et la qualité de cette collection lui permet de s’imposer durant tout le Vème siècle dans la Gaule franque. L’Espagne est aussi un foyer d’intense activité canonique, dans laquelle est composée une collection fondamentale, l’Hispana qui cite 67 conciles et 105 décrétales. Son auteur était sans doute l’évêque Isidore de Séville. L’Hispana se soucie principalement de discipline ecclésiastique. L’auteur s’est montré soucieux de finalités pratiques, ce qui fait que l’authenticité/l’exhaustivité n’étaient pas essentielles, il a pris une grande liberté avec les textes recensés. Il n’a pas hésité à transformer le contenu de certains textes, dans le but de répondre à des préoccupations pratiques et immédiates.

 L’Hispana a connu un grand succès au VIIème siècle et au-delà. Elle sera utilisée en abondance par les clercs, les réformateurs et les compilateurs de l’Empire carolingien. Il faut retenir que les collections ont rempli un rôle déterminant dans la construction du droit canonique. Elles ont rapproché les textes, les ont rendus utiles et se sont efforcés surtout de les critiquer. Le droit canonique n’est plus seulement théorique, ou destiné à concevoir une discipline strictement ecclésiale. Il devient un droit qui doit apporter des réponses aux populations, et pas seulement aux clercs. C’est donc l’émergence d’un esprit didactique, pratique qui réapparaitra dans le XIIème siècle. Dans la construction de cet esprit particulier, l’époque carolingienne joue aussi un rôle déterminant car c’est à cette époque que les collections canoniques ont poursuivi leur évolution qui s’orientera vers toujours plus d’efficacité et d’utilité juridique. Ce seront celles de l’universalisme, mais aussi l’utilisation de faux et la falsification des décrétales.

 B) Les collections de l’époque carolingienne.

A l’avènement de Pépin le Bref en 751 commence le règne de la dynastie austrasienne des Pépinides. Le plus illustre de cette dynastie est le fils de Pépin le Bref, qui devient empereur en l’An 800. C’est ce Charles, dit Charlemagne, qui donne son nom à la dynastie pépinides : les carolingiens. Les carolingiens sont une dynastie particulière car ils ont les premiers à être oints du Seigneur.

Par ce sacre, ils sont titulaires d’une mission, et ainsi, ils sont semblables ou presque à des clercs. La théocratie carolingienne s’établie sur le fondement suivant : l’absorption du profane dans le sacré au profit du roi. La royauté carolingienne gouverne donc par la volonté de Dieu et le concourt des clercs. Par conséquent, Charlemagnes, son fils et leurs successeurs entendent diriger les laïcs et les clercs. En ces temps nouveaux, les clercs carolingiens initient une réforme ecclésiastique car il est nécessaire de s’adapter à la théocratie royale qui s’affirme. Pour conduire cette réforme ils suivent des collections canoniques dont la valeur est éprouvée. Ils suivent d’autres collections qui procèdent d’une plus surprenante originalité puisqu’en réalité ce sont des faux.

 1- Le ministerium regis et la renovatio imperii.

 Pépin est sacré en 751 et de nouveau en 754 avec ses fils. Le sacre est l’institution majeure des temps carolingiens. Il est d’origine biblique mais arrive en Gaule dans la royauté par l’intermédiaires des wisigoths. Les rois wisigoths ont en effet été sacrés en Espagne à la fin du VIIème siècle. A la suite de l’invasion arabe en 711, les wisigoths fuient l’Espagne et se réfugient en Gaule. Une fois en Gaule, ils entrent en contact avec les conseillers ecclésiastiques de Pépin. Ces réfugiés wisigoths confortent les conseillers dans leur désir de fonder le pouvoir du roi carolingien sur l’institution du sacre. L’Espagne du VIIème ne fournit pas que des précédents en matière d’institution royale mais apporte aussi des éléments en matière de doctrine théocratique qui influence au VIIème et plus encore au VIIIème siècle le ministerium regis carolingien.

 a) Ministerium regis et universalisme chrétien.

 Isidore de Séville est un exemple parfait de la culture intellectuelle brillante de l’Espagne du VIIème siècle. Il meurt en 636 et est le dernier des pères de l’Eglise latine. Dans ses écrits, il parle de la fonction religieuse du roi. Selon lui, la paix et la discipline ecclésiastique doivent se consolider par l’action des princes fidèles. Cette doctrine sera celle des grands conseillers ecclésiastiques carolingiens. Le premier d’entre eux s’appelle Alcuin, conseiller ecclésiastique de Charlemagne. Il meurt en 804, c’est un maitre anglo saxon, moine à l’origine, grand artisan de la réforme carolingienne. En 799, il écrit que le roi doit être correcteur de ceux qui errent. Il doit donc accomplir sa mission en corrigeant les erreurs.

 

Pour Alcuin, cela signifie que Charlemagne a un rôle précis à jouer, il voit en lui un nouveau Constantin, et comme ce dernier, Charlemagne doit s’occuper du dogme et de la discipline de l’Eglise. Ainsi, pendant son règne Charlemagne a présidé deux conciles autour de l’an 794, suite auxquels sont définis deux positions dogmatiques concernant la trinité (ont fixé durablement le crédo). Les deux propositions sont les suivantes : le Père n’a pas adopté le Fils, lequel est pleinement Dieu et le Saint Esprit procède du Père et du Fils. L’intervention dogmatique n’était pas neutre : Charlemagne a convoqué ces conciles pour mettre fin à l’hérésie de l’adoptianisme hispanique. En cela, le roi carolingien mettant fin aux hérésies, devient pacificateur en mettant fin aux discordances. Il réalise la paix, la concorde et l’unanimité. Quelques temps plus tard, un corps de doctrine va préciser la pensée d’Alcuin. Ces ecclésiastiques vont définir le ministerium regis sous le règne de Louis le Pieux. Deux se font remarqués, Jonas d’Orléans et Agobard de Lyon : ils insistent sur la vocation sacrée des carolingiens et soulignent les conditions de sa domination aussi bien sur le pouvoir temporel que spirituel. La doctrine se résume en trois points.

 D’abord, la royauté est une institution. Selon Jonas d’Orléans, la royauté est établit par la loi de Dieu (c’est la définition même de l’institution). Aussi, la royauté n’existe comme pouvoir institutionnel que grâce aux canons de l’Eglise. La royauté est donc soumise à des lois. Ensuite, la royauté est une fonction. La fonction royale est de gouverner et régir le peuple de Dieu avec équité et justice pour qu’il puisse connaitre la paix et la concorde. La royauté doit respecter une certaine pratique du pouvoir pour suivre une finalité : le roi carolingien doit rendre compte de son gouvernement. C’est une ébauche de la responsabilité politique des gouvernants, mais ici il s’agit d’une responsabilité vis à vis de Dieu. La finalité recherchée par la royauté est la pax plena (la paix absolue).

En cela, Jonas d’Orléans reprend la pensée d’Isidore de Séville car tous les deux pensent que le sacre implique la responsabilité du roi. Le roi carolingien est responsable et doit prouver qu’il recherche toujours cette pax plena. Ainsi responsable et surveillé par les clercs, le roi doit être vertueux et doit privilégier l’institution, rechercher toujours la règle, honorer les canons de l’Eglise pour tous. C’est pour cela que la doctrine affirme qu’enfin, la royauté est universelle. Pour Agobard, les hommes sont un dans le Christ. D’après le épitres de Saint Paul, Agobard poursuit les efforts du monachisme mérovingien et défend la thèse de la fusion des peuples en un seul. Pour lui, il n’y aura bientôt plus qu’un seul peuple, le peuple chrétien. Le roi carolingien doit toujours travailler en ce sens pour rechercher l’universalisme.

Pour cela, il doit légiférer. Il légifère alors en prenant des capitulaires (norme législative carolingienne). Charlemagne, Louis le Pieux et Charles le Chauve font preuve d’une activité intense pendant leur règne et multiplient les capitulaires. Certains capitulaires sont adressés directement aux évêques, ce sont les capitulaires épiscopaux. Il y a aussi des capitulaires à matière économique, et d’autres plus importants, hétérogènes dans leur contenu : les capitula missorum, adressés au missi dominici. Ces capitulaires sont des instructions, hétérogènes dans leur contenu, mais en dépit de cela, ils sont très précieux. Ils contiennent des instructions détaillées dans plusieurs domaines, sont nombreux et concernent des matières aussi bien laïques qu’ecclésiastiques. Les capitulaires étant importants, les clercs en rédigent rapidement des collections, mais à leur initiative privée, elles n’ont donc pas de valeur officielle. Seulement, elles sont précieuses et se répandent. Elles présentent pour les temps carolingiens et au delà, une source du droit canonique alors même que ce ne sont pas des collections canoniques. La première est la collection d’Anségise, abbé installé dans l’abbaye de Saint Wandrille. Elle a été constituée en 827, on y trouve des capitulaires sources de droit autant que des collections canoniques. La théocratie impose donc une évolution des sources du droit par le ministerium, mais aussi par son désir profond de romanité.

b) Renovatio imperii et césaropapisme carolingien.

Le jour de Noël de l’an 800, Charlemagne est couronné empereur, et l’Empire romain est donc restauré à son profit. Les clercs de la chapelle carolingienne se charge de rappeler régulièrement à l’empereur que son gouvernement doit se conformer aux principes de romanité, qui sont l’universalisme et res publica. Concernant l’universalisme, en 817, Louis le Pieux prend un règlement de succession, l’ordinatio imperii. Par cet acte, il veut mettre fin à la règle du partage successoral quand survient la mort de l’empereur. Il désigne son ainé Lothaire comme seul empereur apte à lui succéder après sa mort et expose ainsi une conception du pouvoir particulière qui porte en germe le principe de continuité de l’Etat moderne. La res publica correspond à la recherche d’une norme supérieure s’imposant aux gouvernants. Cette notion d’utilité commune est propre à la philosophie grecque et a été transmise aux carolingiens par l’intermédiaire des pères de l’Eglise. Cette notion de res publica finit par s’imposer inconsciemment dans la législation carolingienne. On la retrouve en 823-825 dans un capitulaire de Louis le Pieux dans lequel il évoque son ministerium en énonçant : «comme le total de cette fonction parait résider en notre personne».

Il apparait donc que le carolingien est responsable de l’unité impériale. Il est garant de l’utilité commune, sa personne physique s’efface et sa responsabilité prime. Dans cette responsabilité, il se soucie aussi bien des laïcs que des clercs. Il devient protecteurs des Eglises, des faibles, et en vient même à couvrir le Pape de sa bienveillance. Cette dernière le conduit même insensiblement mais sans aucun doute à la prise de contrôle. Par conséquent, le carolingien place la papauté sous tutelle (Charlemagne sauve le Pape Léon III en 799, il lui impose un serment public pour que le Pape puisse se purger des accusations de corruption de la noblesse romaine). Depuis, les Papes montrent un besoin impératif de soutien politique, qu’ils cherchent auprès du carolingien. Les papes ont besoin de ce soutien temporel car leur légitimité politique est souvent contestée. Pour se libérer de la noblesse romaine, les pontifes ont recours au carolingien et par conséquent, le carolingien met la main sur le trône apostolique. Preuve est faite par la constitutio romana de 824 prise par Louis le Pieux. Elle impose une réforme de l’élection pontificale, et désormais, deux missi impériaux se rendront à l’élection pour représenter l’empereur et surveiller l’élection pontificale.

Le candidat sera choisit par le clergé et le peuple de Rome, mais le candidat élu devra prêter serment à l’empereur. Après 843, la royauté carolingienne va faiblir et la papauté va se redresser, et profiter pleinement de la tutelle carolingienne. La papauté a profité de la tutelle carolingienne pour faire taire la noblesse romaine. Après 843, la papauté trouve donc l’occasion de se redresser, et les papes se font connaitre comme des grands législateurs. La renovatio imperii permet donc la renaissance de la législation pontificale, notamment sous le pontificat de Nicolas Ier et Jean VIII. Les collections canoniques carolingiennes soulignent par elles mêmes la double nature des interventions césaropapistes au IXème siècle.

 

2- Les collections et les faux.

Charlemagne est en son temps «recteur du peuple chrétien». Son père, avant lui, s’est mêlé de liturgie et ainsi Pépin s’est efforcé de susciter la ferveur des fidèles, en encourageant notamment l’intégration du champs grégorien dans les rites religieux. Pépin le Bref a aussi exigé pour le royaume franc l’adoption de la liturgie romaine pour la célébration du culte. Charlemagne à son tour essaye de stimuler la ferveur du peuple chrétien, par voie de capitulaire. Un capitulaire adressé aux missi en 802 impose à chaque laïc d’apprendre par coeur le crédo et le Pater. En matière de discipline, il se tourne vers Rome pour organiser la réforme carolingienne en terme de discipline.

 a) La Dionysio Hadriana.

Charlemagne reprend les initiatives de son père et il entreprend une oeuvre de rénovation religieuse. Il désire relever les autorités des évêques. Il veut préciser la mesure de leurs devoirs pastoraux. Selon lui, les textes canoniques sont inutilisables. Ce qui le gène, c’est la trop grande diversité de ces textes canoniques. Pour obtenir des textes surs, il s’adresse au Pape Hadrien I. Il va se saisir de la dionysiana, la confie aux clercs romains et enrichir la dionysiana des textes nouveaux. Enrichie de textes nouveaux, la collection de Denys le Petit arrive aux mains de Charlemagne en 774, et devient la Dionysio Hadriana. D’autres collections voient le jour, adaptées de la Vetus gallica. Ces collections canoniques servent à la rénovation de l’Eglise. Elles fournissent des textes indispensables pour restructurer l’Eglise carolingienne. La Dionysio Hadriana est précieuse car elle contient des annexes où se trouvent des renseignements sur les provinces ecclésiastiques. Les collections canoniques se multiplient, elles sont officielles et authentiques. D’autres collections voient le jour sans soucis d’authenticité, parfois même pour tenir à distance le pouvoir impérial.

 b) Recueil pseudo isidorien et la donation de Constantin.

Les clercs carolingiens sont très actifs dans l’activité de compilation, notamment en raison de l’intense effort d’activité intellectuelle suscitée par la réforme carolingienne. Certains recueils ont une philosophie particulière, car leur but est aussi d’épargner l’Eglise. Ils veulent soustraire l’Eglise carolingienne à l’emprise laïque. Pour beaucoup de ces recueils, il s’agit de contenir la théocratie royale, qui a aussi des effets pervers, comme la mise sous tutelle de l’Eglise et de son chef. Il importe donc pour ces recueils de tenir la théocratie royale car elle pourrait conduire à trop d’excès dans son césaropapisme. Des recueils vont ainsi rappeler l’autorité du pontife romain, de limiter la mainmise de l’archevêque sur les provinces ecclésiastiques. En bref, ces recueils vont essayer de clarifier la hiérarchie ecclésiastique et de la découpler de la hiérarchie du gouvernement royal. Les résistances à la théocratie son nombreuses, et elles impliquent tellement d’effort et de zèles, que les compilateurs vont aller jusqu’à fabriquer des textes canoniques. En bref, certains collecteurs de textes sous les carolingiens confectionnent des faux. Au temps carolingien, l’écrit n’a pas la même valeur qu’aujourd’hui. Par exemple, le capitulaire est l’expression du bannum du roi, mais dans ce cas, l’ordre verbal du roi dans la production normative est primordiale. La mise par écrit de l’ordre verbal dans un capitulaire est secondaire car le capitulaire n’a pas valeur de promulgation, ce n’est qu’un simple mode de publication. En matière de faux, il faut avoir cette philosophie de l’écrit carolingien pour comprendre la démarche des faussaires. En matière de faux, l’intention du faussaire prime, tout cela dans le respect des principes. Si l’intention est honorable, peu importe l’authenticité des recueils.

Après 843, les principes sont clairs : il faut empêcher les empiètements laïcs. C’est le but des faux rédigés à l’époque. Le premier est le faux capitulaire de Benoit le Lévite. Il se présente comme la continuation des recueils d’Anségise, composé vers l’an 847 de canons, décrétales et canons de pénitentiels. On trouve aussi des capitulaires épiscopaux, dont certains authentiques, mais dont les trois quarts sont des textes fabriqués. Les juristes carolingiens utilisent aussi un autre recueil de faux qui a connu plus de succès : les fausse décrétales d’Isodorus Mercator. Il est composé entre 847 et 852, il incorpore des canons de conciles interpolés, des décrétales dont la plupart sont fausses. Ces fausses décrétales connaissent un énorme succès, sont abondamment copiées, on a retrouvé pas moins de 100 manuscrits de ces fausses décrétales. Tous ces recueils empruntent volontiers aux collections authentiques des temps carolingiens. En effet, ils empruntent à la Dionysio Hadriana, la Vetus gallica ou à l’Hispana.

 Ces faux ne sont pas subversifs, c’est pour cela qu’ils n’ont pas été interdits, car ils se conforment en réalité à l’idéal théocratique tout en essayant de tempérer l’intervention impériale et laïque dans les affaires de l’Eglise. Ces faux fixent des règles de vie strictement laïques, essayent d’imposer une certaine harmonie dans le procès, pour rythmer la marche du procès. Le droit romain fournit en la matière de nombreuses règles et dans ces faux on retrouve de nombreuses règles de droit romain. Ces textes se soucient aussi de la violence sous toutes ses formes, aussi en matière de droit pénal que de droit des obligations. Les faux sont donc précieux, ils assurent la transmission du droit au même titre que les collections canoniques. Leur but est néanmoins beaucoup plus politique. Parmi les faux isodoriens, un recueil illustre les préoccupations des clercs carolingiens les plus soucieux d’indépendance : la donation de Constantin. Il s’agit d’une pseudo donation, produit d’un atelier de faussaires, datée d’environ 774. Cette donation serait venue dans le royaume carolingien en même temps que la Dionysio Hadriana. Les faussaires se sont inspirés d’une légende romaine pour écrire cette donation, formée autour de l’an 500. Selon elle, Constantin aurait souffert de la lèpre, puis guérit miraculeusement. Après pénitence, il aurait reçu sacrement du baptême, ce qui l’aurait nettoyé de sa peau vérolée. Constantin se serait alors montré reconnaissant vis à vis du Sauveur. Pour cela, il aurait consenti des donations au Pape Silvestre et ses successeurs.

Inspirés par cette légende, les faussaires du VIIIème siècle imaginent une donation qu’il présente comme authentique faite selon le droit romain, qui accorde au Pape les insignes impériaux. Cela signifie que Constantin aurait renoncer à son pouvoir temporel sur le monde et l’aurait placé entre les mains du Pape. La pseudo donation est de temps en temps grandie par la papauté, utilisée par les évêques carolingiens pour faire pression sur le roi carolingien. Elle permet ainsi à la papauté de revendiquer un pouvoir temporel sur Rome et sur des terres italiennes. Le texte, malgré sa fausseté, connait sous Charlemagne et Louis le Pieux un succès considérable. C’est un texte fondamental car il situe les enjeux de la connaissance du droit à l’époque franque, plus importants que les considérations particulières. Ces enjeux caractérisent la théocratie royale puis pontificale avec les mêmes conséquences sur les sources et la diffusion du droit en Occident.

 

Chapitre 2: Le droit canonique et l’essor du ius commune (XIème-XVème).

Après l’an 1000, l’Europe occidentale est en pleine féodalité. Les évêques ont remplacé les princes dépassés en matière institutionnelle, et stimulent les mouvements de paix. Un redressement démographique, accompagné de certaines découvertes technologiques, initient un relèvement économique : le monde change. Une nouvelle renaissance s’annonce et elle intervient des siècles après la renaissance carolingienne. Pour la France, cette renaissance est celle des capétiens. Comme au temps de Charlemagne, l’Eglise va accompagner le mouvement, en adoptant une attitude différente. Le pouvoir temporel est plus fragile qu’aux temps carolingiens et l’Eglise va ainsi imposer une théocratie différente. La papauté s’affirme face au pouvoir temporel, lutte pour s’affranchir de ces pouvoirs temporels. Dans ce combat, la papauté a besoin de moyens juridiques. Les juristes vont ainsi travailler sur des sources nouvelles, notamment sur le droit de Justinien redécouvert. Les juristes de l’entourage des Papes ne se contentent pas de redécouvrir les sources anciennes, et décident aussi d’améliorer les textes canoniques épars, en composant finalement ce qui sera le Corpus iuris canonici. L’étude de se Corpus va rejoindre celle du Corpus iuris civilis, et la rencontre de ces deux études donnera naissance à ce qu’on finira par appelé le ius commune (droit commun de l’Europe), c’est à dire le préalable indispensable à l’émergence d’un droit proprement français.

 

Section 1: Réforme grégorienne et sources du droit canonique à l’époque classique.

Malgré la chute des carolingiens, l’idée d’empire ne disparait pas. L’empire d’Occident, en dépit de cette chute ne disparait pas et renait de ses cendres en Germanie. Les rois de Germanie deviennent empereur à partir de 962 et à partir de la, ils relèvent l’héritage carolingiens. Apparait ainsi une nouvelle dynastie impériale, la dynastie otonienne, du nom du premier empereur germanique et fondateur de cette dynastie, Otton Ier. Cette dynastie s’impose comme une dynastie puissante autour de l’an 1000, mais elle finit par s’effacer. Pour autant, l’empire ne s’efface pas et renait dans une nouvelle famille. Au XIème siècle, la dynastie impériale se transmet dans la dynastie des Saliens. L’empereur germanique continue le césaropapisme carolingien, intervient dans l’élection des papes et comme tous les rois francs, il choisit les évêques de Germanie. La papauté décide alors d’en terminer avec la tutelle impériale, elle s’enhardie car le XIème siècle est une période propice au changement, et en pleine féodalité, les empereurs sont plus vulnérables. Commence alors la réforme grégorienne, qui commence avec le pape Léon IX (1049-1054). Dans l’entourage du pape, les clercs favorables à Léon IX trouvent des textes, qui sont rassemblés, et qui permettent de défendre la primauté de Rome sur toutes les Eglises. Un moine se charge notamment avec l’équipe qu’il constitue de rassembler une collection canonique de combat, Humbert de Moyenmoutier. Il fait une collection en 74 Titres dont le but est d’affirmer la primauté romaine sur toute les Eglises. En s’appuyant sur cette collection, la papauté va assoir sa primauté. La primauté romaine réaffirmée conduit au schisme, l’Eglise romaine se sépare définitivement de l’Eglise d’Orient (qui deviendra l’Eglise Orthodoxe). La défense de la primauté aboutit donc premièrement à un schisme. Rome ensuite va être assez forcée de s’affranchir de la tutelle impériale. Ce n’est pas Léon IX qui va mener ce combat, Léon IX s’est distingué par la collection des textes. Celui qui va s’affranchir de cette tutelle c’est le Pape Nicolas II. En 1059, il réforme la procédure d’élection du Pape. Dorénavant, à compter de cette réforme, le Pape est élu par les cardinaux de l’Eglise romaine. Ce sont les cardinaux de l’Eglise romaine qui préparent l’élection, et ce sont ces mêmes cardinaux qui font l’élection et pour cela ils se constituent en Sacré Collège.

L’empereur germanique est exclu de la procédure d’élection. Il est toujours envisagé dans la procédure mais seulement dans un rôle symbolique. La réforme, dite grégorienne prend une tournure plus conflictuelle encore en 1073. A cette date, le Pape élu, Grégoire VII, va donner à la réforme initiée par la papauté, tout son contenu.

A) Grégoire VII.

Son véritable nom était Hildebrand, moine d’origine germanique. Il devient Pape en 1073 et va rester sur le siège de Pierre jusqu’en 1085. Pendant son pontificat, il va accentuer les effets de la réforme, réforme commencée avant lui mais qui va porter son nom. Grégoire VII est un intransigeant, il a conscience que l’Eglise connait de grande difficulté. L’église d’occident connait une période trouble. Nombre de clercs paraissent corrompus. Il est bien décidé à régler les difficultés de l’Eglise. Pour cela il décide de lutter contre l’influence laïque. Selon lui, les mots sont causés par l’interférence des laïques dans les affaires de l’Eglise. Il est déterminé à rompre l’influence des laïcs sur l’Eglise. Il provoque une querelle qu’on appelle la querelle des investitures. Cette querelle en apparence purement politique va néanmoins modifier considérablement les contours de la théocratie. Elle va également modifier durablement la hiérarchie ecclésiastique. Une querelle qui va placer l’Eglise toute entière sous l’autorité absolue sans partage du Pape.

1- Les difficultés de l’Eglise d’Occident au XIème siècle.

 

En pleine féodalité, Humbert de Moyenmoutier fait le constat que nombres d’évêques et nombres de prêtres dans tout l’occident sont indignes de leurs fonctions. Pour beaucoup, ces clercs corrompus mènent une mauvaise vie. Il est donc vital pour la légitimité de l’Eglise et pour honorer la mission ecclésiastique de restaurer la discipline et pour cela, corriger la mauvaise vie des prêtres et des évêques, il faut affronter directement l’adversaire. C’est celui, qui en théorie devrait montrer l’exemple, surveiller l’Eglise et ses mœurs. L’adversaire c’est celui qui n’honore pas son ministère : l’empereur germanique.

a) Discipline et investiture.

Au XIème siècle, à l’intérieur du Royaume de France et comme partout en Occident, les évêques ne sont plus élus par le clergé ou par le peuple. A partir du Xème siècle, de façon généralisée, les princes territoriaux et les anciens comptes de l’administration carolingienne se sont emparés des biens et des fonctions des institutions ecclésiastiques. Ces princes et ces comptes utilisent les fonctions épiscopales notamment, ils utilisent aussi les charges d’abbé dans le but de récompenser leurs vassaux ou leurs proches parents. Princes et comptes gratifient ainsi leurs vassaux. Cet accaparement au XIème siècle devient intolérable puisqu’on constate que les princes et les comptes confient des fonctions épiscopales à de simples châtelains. De cette investiture laïque, systématique, découlent tous les maux qui accablent l’Eglise d’occident. D’abord, on constate le nicolaïsme. C’est le mode de vie des clercs qui n’est plus respectueux de la religion. Ils commettent trop volontiers les péchés de la chaire, et les conséquences sont dramatiques au niveau institutionnel, beaucoup d’évêques sont mariés ou entretiennent une ou plusieurs concubines. De plus, le fils succède au père dans l’épiscopal. Le Nicolaïsme n’est pas le seul péché grave pour l’époque, on trouve aussi la Simonie. Il s’agit du trafic des biens spirituels, échangés des faveurs spirituelles contre de l’argent. L’empereur, les rois en occident, les évêques, les abbés, les ducs et les comptes, tous, se permettent de vendre des charges d’évêques ou d’abbé pour remplir les caisses de leurs trésors. Ce qui est inadmissible, c’est que les charges épiscopales deviennent vénales. Il importe donc de lutter à tout prix contre ces dérives, contre les dérives du mode de vie des clercs. Il faut empêcher les puissants de placer leurs fidèles, leurs créateurs, leurs proches à la tête des diocèses occidentaux. Le Pape depuis 1051, est devenu indépendant et est en mesure d’entreprendre la lutte contre les usurpations laïques. Il est en mesure de lutter contre les rois, les ducs et les comptes. Il va s’en prendre directement à l’empereur germanique.

b) Le Pape et l’Empereur germanique.

Avant Grégoire VII a eu lieu un concile, le concile du Latran, daté de 1059. Ce concile édite un canon important, qui est le canon 6. Ce dernier est la première pierre dans l’édifice de la réforme grégorienne. Il interdit « qu’aucun clerc ou prêtre ne reçoivent d’aucune façon une Eglise des mains d’un laïc ni gratuitement ni pour de l’argent ». La règle interdit à l’évidence la simonie. Plus largement, l’interdiction vise le principe même de la désignation d’un clerc par un laïc.

En 1073, le souverain germanique se nomme Henri IV et il fait partie de la dynastie des empereurs Saliens. C’est contre cet Henri IV que Grégoire VII tourne tous ses efforts. En 1075, Grégoire VII prend un décret qui énonce que «quiconque recevra d’un laïc, un évêché ou une charge d’abbé ne sera considéré ni comme évêque, ni comme abbé». Il décide d’interdire ici l’investiture laïque, c’est une attaque frontale. Grégoire VII fait part de sa vision de l’Eglise à Henri IV. Dans ces lettres Grégoire VII prétend ne pas innover, mais ce qu’il veut simplement, c’est revenir à la règle première et unique de la discipline de l’Eglise. L’Empereur ne peut accepter ces ambitions grégoriennes pour deux raisons. Première raison, les empereurs germaniques sont les héritiers des carolingiens, or d’après la tradition carolingienne, le sacre fait du roi un quasi-prêtre. Donc, lorsque le Pape condamne l’investiture par un laïc, en réalité, il ne peut rien reprocher à l’empereur germanique puisque celui-ci, devenu empereur par le sacre n’est pas un laïc. Ce que revendique Grégoire VII est donc inapplicable à l’empereur germanique. Seconde raison, les souverains germaniques comme les carolingiens avant eux, se sont appuyés sur les évêques, sur les abbés pour dominer le monde féodal. Depuis le Xème siècle, les ottoniens, les saliens ensuite, se sont appuyer pour discipliner les ducs et les comptes de Germanie. Les saliens comme les ottoniens ont fortifié les Eglises majeures au sein propre (par la pierre) comme au sens figuré (par le droit). Ils ont conféré aux principaux évêques et aux principaux abbés des droits de puissances publiques. Evêques et abbés en Germanie peuvent selon les privilèges accorder : battre monnaie, lever l’impôt, lever une armée. Ils disposent de droit de puissance publique, de compétence régalienne. L’investiture des clercs, pour les empereurs germaniques et donc absolument indispensable. Les clercs sont devenus si puissant qu’ils participent dorénavant de la souveraineté de l’empereur germanique. L’entente est impossible, nécessairement la querelle est inévitable.

2- Les dictatus papae.

Grégoire VII porte la querelle sur le terrain politique. La querelle commence comme une querelle sur la discipline ecclésiastique, quand Grégoire VII décide d’affirmer sa suprématie et va imposer la suprématie du Pape sur l’empereur et sur les rois dans tout l’Occident. A ce moment-là, le rapport spirituel temporel change de nature et à compter de Grégoire VII ce rapport ne peut plus être envisagé comme une alliance. Il considère l’empereur comme un laïc contenu, l’Eglise ne peut plus avoir qu’un seul chef : le pape qui sera titulaire d’un pouvoir central et sans partage.

a) Principes et formulations.

En 1075, Grégoire VII ne se contente pas seulement de son décret d’interdiction. Il décide aussi de mener une offensive juridique de grande envergure. Politiquement, le pape est faible, l’armée impériale pourrait anéantir les prétentions pontificales. Grégoire VII craint qu’Henri IV marche sur Rome. Grégoire VII va alors déployer un arsenal de 27 propositions que l’on appelle dictatus papae.

Elles fixent la position officielle de l’Eglise romaine selon trois axes : le pape prime l’empereur (proposition 1 et 2), le pape peut déposer l’empereur (proposition 12), le pape peut délier les sujets de leurs serments de fidélité aux injustes (proposition 27). Cette dernière proposition est dévastatrice parce qu’elle s’insère dans un contexte féodal. Dans la société féodale, le serment de fidélité est essentiel pour structurer la confiance et l’obéissance. L’empereur germanique a des vassaux et ces vassaux lui obéissent en vertu du serment de fidélité. Grégoire VII affirme qu’il peut délier les vassaux de l’empereur, de leur serment de fidélité si l’empereur se montre injuste, c’est-à-dire si jamais il refuse de plier devant lui. Certains vassaux n’attendaient que ce prétexte pour se retourner contre l’empereur. Les dictatus papae sèment donc le trouble dans l’organisation féodale. Les 27 propositions sont le fruit d’une réflexion juridique et d’une réflexion séculaire. Elles trouvent leur inspiration dans les canons de l’Eglise. Dans les décrétales des papes et les juristes de Grégoire VII sont allés trouver tout cela dans les collections canoniques du passé. Notamment les juristes se sont inspirées de la collection en 74 Titres. Au-delà de cette collection, les juristes ont consulté aussi la donation de Constantin.

Au XIème siècle, les juristes impériaux qui défendent Henri IV n’ont aucun mal à dénoncer cette donation de Constantin comme un faux. Ainsi, malgré la donation de Constantin, les juristes impériaux nient la faculté que revendique le Pape de pouvoir déposer les empereurs. Henri IV décide de résister et malgré les dictatus papae, et en 1075, il décide de nommer des évêques de Germanie, ce sont les évêques de Spire, Liège et Cologne. En janvier 1076, Henri IV réunit un concile d’évêques germaniques dans la ville de Worms. Et il fait déposer le Pape par les évêques de Germanie, «déposition du faux moine Hildebrand». Grégoire VII riposte en février 1076, et excommunie l’empereur, et ensuite se servant de la proposition 27, il délit les vassaux de l’empereur de leur serment de fidélité. Certains vassaux font alors ouvertement défection, ils abandonnent Henri IV. Les évêques de Germanie commencent beaucoup à douter. Henri IV va perdre trop de soutien, il est obligé d’abandonner la lutte et en janvier 1077, il accepte de rencontrer Grégoire VII. On appelle cette rencontre l’entrevue de Canossa. Henri IV se rend auprès de Grégoire VII, il lui demande audience, et le Pape le fait attendre trois jours. Le Pape finalement accueille les excuses de l’empereur mais selon la légende, à genoux et dans la neige. Dans la querelle des investitures, Grégoire VII sort vainqueur. Les dictatus papae l’ont emporté sur la puissance brutale de l’empereur. Trois ans plus tard pourtant, Henri IV prendra sa revanche. Il va envahir Rome et va contraindre Grégoire VII à l’exil. Mais contrairement à l’empereur, malgré la contrainte, Grégoire VII va rester ferme sur ses principes. Quand il rentre à Rome en 1085 pour mourir, Grégoire VII n’a renoncé à aucune de ces 27 propositions et l’empereur n’a obtenu aucun renoncement sur quelque disposition que ce soit sur les dictatus papae. La papauté triomphe et l’empire fléchit. Les conséquences sur l’empire sont à moyen terme considérables. Elles le sont tout autant pour la hiérarchie ecclésiastique et les sources du droit canonique.

b) La centralisation pontificale.

Avec la réforme grégorienne, l’Eglise d’occident resserre ses structures. Le Pape voulait gagner le combat institutionnel contre l’Empereur, et donc la réforme a impliqué une centralisation administrative. Au sein de l’Eglise, la hiérarchie se développe, c’est une hiérarchie ecclésiastique et politique. Au XIème siècle, le pape impose son autorité à ses vassaux. Le pape reçoit l’hommage des princes territoriaux qui entrent dans sa dépendance. Certains vassaux viennent des principautés normandes de l’Italie du Sud. Ce sont des vassaux traditionnels, mais on en trouve d’autres situés en dehors de l’Italie, par exemple dans la vallée du Rhône. Ces princes féodaux se plient à la théocratie nouvelle et signe de leur soumission, ces princes acquittent en cens, une contribution annuelle à ce que l’on appelle la curia romana. Ce terme désigne l’ensemble des services qui contribuent au gouvernement de l’Eglise. Ce gouvernement prend progressivement, à compter de Grégoire VII, les traits d’une monarchie administrative. Le gouvernement de la curie dominé par les services de la curie romaine s’installe dans un palais. Les services de la curie élisent ainsi domicile dans le palais du Latran. La centralisation s’accompagne aussi d’un renforcement de la hiérarchie ecclésiastique. Pour commencer, le pape discipline les archevêques, et à l’initiative de Grégoire VII notamment, un concile de l’an 1080 place l’élection des évêques sous la surveillance du Pape. A compter de ce concile de 1080, chaque fois qu’il faut élire un évêque, le Pape envoie un évêque visiteur. Ce dernier valide l’élection du nouvel évêque et il appartient à l’archevêque de consacrer l’élu. Le contentieux électoral en matière épiscopale relève aussi dorénavant de la compétence de la curie romaine. Le pape veut surveiller convenablement les provinces ecclésiastiques d’occident. Il ne se contente donc pas d’évêques visiteur, mais se sert d’une institution renforcée, les légats pontificaux. Ils sont chargés de la surveillance des archevêques, et les legati sont les instruments de la centralisation pontificale. Ils sont nommés et révoqués par le Pape, ils ne sont que représentants de son autorité. Ils remplissent une mission déterminée, strictement définie, et donc limitée. Dans le cadre de l’exercice de cette mission, les légats peuvent mettre en oeuvre des pouvoirs considérables. Ils détiennent notamment un pouvoir de juridiction. Lorsqu’ils sont envoyés en mission, ils sont chargés de juger en appel les décisions des évêques et des archevêques. Ces légats utilisent à cette fin des preuves rationnelles : l’écrit et le témoignage. La réforme grégorienne n’a donc pas seulement discipliner les institutions séculières, mais les a aussi conforté.

Ainsi, les compétences des évêques en matière de nomination est restaurée, il est davantage respecté par les archevêques. Les droits de l’évêque sont protégés des empiétements laïcs et et des empiétements des clercs subalternes. La réforme s’attache aussi aux droits paroissiaux pour conforter la place des évêques. Globalement, la réforme grégorienne se traduit par une meilleure précision juridique. Le droit est en effet au coeur des préoccupations pontificales.

 

B) La théocratie pontificale et ses conséquences normatives.

Pour lutter contre l’empereur germanique et pour orchestrer la centralisation romaine, les canonistes ont besoin de textes. Ils les accumulent afin d’appuyer toutes les thèses grégoriennes dans la querelle des investitures et dans la conduite de la centralisation romaine. Grace à ces textes, l’Eglise retrouve sa dignité et le goût de la règle canonique. La législation pontificale, nouvelle ou retrouvée, contribue dans son ensemble à la vitalité de l’Eglise. La théocratie pontificale n’exclue pas pour autant d’autres initiatives législatives et d’autres instances continuent de légiférer. Le renouveau de l’Eglise s’effectue aussi par le renouveau de la législation conciliaire en plus de la législation pontificale.

1- La législation pontificale.

Les dictatus papae sont formels : ils confèrent au Pape «la plénitude du pouvoir». Avec la réforme grégorienne, l’Eglise d’occident gagne en cohérence, et ainsi, elle est groupée autour du pape qui devient le centre de l’impulsion de l’activité juridique. L’Eglise devient plus spirituelle, elle s’affranchit des influences féodales, et obtient ainsi sur le plan judiciaire une extension de sa compétence. En conséquence, au XIIème siècle notamment, sur le plan social et pas seulement disciplinaire, la création normative pontificale se multiplie.

a) La iuris dictio pontificale.

L’évêque de Rome détient la toute puissance pontificale, «il a le droit dans sa poitrine», selon un adage de l’époque. Il doit formuler la loi et veiller à son observation. Souverain législateur, le pape est aussi le juge suprême. Dire le droit s’exprime par la législation, par le gouvernement et aussi par la juridiction. Les lettres pontificales, expression du pouvoir législatif, sont aussi des actes administratifs et permettent l’organisation de la justice ecclésiastique. La réforme grégorienne se traduit donc par une omniprésence du pape en raison d’une mission de justice indissociable de sa toute puissance législative. Pour agir, le pape utilise les légats qui lui permettent de réformer la justice d’Eglise. Les légats, par les degré d’appel, lui permettent de contrôler la justice d’Eglise. La justice ecclésiastique sanctionne les empiètements laïcs, mais aussi les désordres moraux des clercs et des simples fidèles. L’Eglise étend sa compétence au XIIème siècle en ce qui concerne les causes matrimoniales, les questions morales connexes du mariages. Dans ces domaines, le pape ne légifère pas souvent directement, l’Eglise en la matière précise ses attributions juridictionnelles par la législation conciliaire.

b) Acte et chancellerie.

La réforme grégorienne se traduit naturellement par une réforme de la chancellerie. On constate alors une augmentation du nombre de bureau, elle expédie un nombre d’actes toujours plus importants. Sur un siècle, avant 1048, le nombre d’actes ayant émané de la chancellerie était de 4,6 actes par an. Sous Grégoire VII, ce nombre d’actes passent à 45 par an. Les décrétales interviennent dans de nombreux domaines, notamment pour l’élection pontificale, le serment des clercs, de la poursuite des hérésies et à l’occasion dans la matière matrimoniale. Avec le temps, la terminologie juridique se précise et les juristes romains réfléchissent plus exactement à la terminologie juridique. Ils engagent une réflexion sur la loi, et en dégagent le caractère majeur de la loi, sa généralité. La loi générale s’impose dans l’Eglise, et elle est désormais qualifiée de «constitutio». Cette loi générale est opposée au rescrit, qui dans la nomenclature de la chancellerie, répond dorénavant simplement à une question posée pour un cas particulier. Cette classification nouvelle en ce qui concerne la production de l’Eglise est tirée du droit romain.

Elle sert à résoudre les conflits de loi et les canonistes romains posent une règle évidente : une constitutio plus récente déroge à une plus ancienne. C’est l’application d’une règle qui devient bientôt un adage : «lex posterior derogat priori». L’adage s’impose au Moyen Age, en droit canonique, mais aussi parmi les laïcs. Cette règle finira par s’imposer en France notamment à la législation royale. C’est donc une règle structurée par les canonistes qui est appelée à structurer le droit public français dans les siècles à venir. Cette règle est la encore tirée du droit romain. La loi générale qui s’impose dorénavant pour le gouvernement de l’Eglise peut être aussi bien une décrétale qu’une décision conciliaire.

 

2- Le sort de la législation conciliaire et synodale.

La réforme grégorienne ne produit pas seulement le redressement de l’Eglise romaine, mais provoque aussi un renouveau de l’activité conciliaire. Les conciles réunit fréquemment de nouveau édictent de nombreux canons. En France, on recense 140 conciles entre 1074 et 1215. Un tel élan s’explique par les liens très étroits qui unissent l’institution conciliaire et le siège pontificale. Ce n’est pas l’unique raison, l’élan conciliaire s’explique aussi par le fait que le concile est l’occasion de légiférer en général et pas seulement pour des questions ecclésiastiques.

a) Autonomie et subordination.

Pendant la réforme grégorienne le concile reste un cadre d’expression privilégié : celui de la collégialité épiscopale. Au XIème et XIIème siècle, les conciles occidentaux accompagnent l’oeuvre réformatrice. Le concile est indispensable, il faut cadrer son action, et pour cela, les canonistes réunissent des textes. Anselme de Lucques réunit des collections canoniques pour essayer de clarifier le statut juridique du concile. Comme les juristes favorables au Pape, il s’appuie sur les fausses décrétales pour essayer de clarifier ce statut juridique.

S’appuyant sur ces textes, ils enseignent la supériorité du Pape sur les conciles et sur les assemblées de prélats en général. Le dictatus pape numéro 16 poursuit la même perspective : il interdit à tout synode de se dire général sans le praeceptum du pontife. En théorie, seul le pape peut réunir un concile universel. Les dispositions législatives doivent aussi être ratifiées par le pape pour obtenir force obligatoire. Au XIIème et XIIIème siècle, six conciles dits oecuméniques sont réunis et obéissent à cette règle de la supériorité du Pape sur le synode. Quatre de ces conciles sont des conciles du Latran (entre 1123 et 1215) et deux sont des conciles lyonnais. Lorsque le Pape ne préside pas le concile, il les fait assembler par ces légats, qui sont aussi chargés de le présider. Une fois le concile terminé, les légats doivent rapporter les conciles votés pour les soumettre à la ratification pontificale. La supériorité du Pape n’est cependant qu’une supériorité théorique. Cette doctrine de la supériorité ne se conçoit que pour les conciles romains et pour les conciles français. Entre 1107 et 1147, le Pape a présidé cinq fois au moins un concile général dans le royaume de France. En dehors de la France et de Rome, dans l’immense majorité des cas, les conciles sont provoqués par des convocations qui ne sont pas pontificales. La présidence est souvent assurée par un archevêque ou par des membres de la hiérarchie locale. La législation conciliaire reste donc une source autonome du droit au delà des principes. Elle est subordonnée à la législation pontificale sur un point : les canons conciliaires ne peuvent pas aller contre les décrétales pontificales. Le rôle du concile est de compléter la législation pontificale, de l’expliciter et surtout de l’adapter aux considérations locales.

b) Le concile, source de droit.

Au Moyen Age, le concile se trouve au coeur des questions de discipline, celle des clercs. Il est toujours question dans les conciles de sanctionner la simonie, toutes les dérives qui menacent l’Eglise d’Occident. Avec le succès de la réforme, ces questions ont tendance à occuper moins de place dans la législation conciliaire. De plus en plus, les canons adaptent la réforme aux réalités locales. Pour adapter la réforme, selon que l’on s’adresse à l’empereur germanique ou au roi de France, il faut passer par les conciles. Les conciles sont donc aussi au coeur de l’activité politique médiévale.

Ainsi, lorsque se réunissent des conciles importants, des laïcs, des princes féodaux, des rois éventuellement se joignent aux évêques. Il s’agit en effet dans le concile de prendre des décisions religieuses et politiques. Par exemple, un concile se tient à Soissons en 1155 présidé par le roi capétien Louis VII dit le Jeune, à l’occasion duquel barons et prélats, comtes et évêques, jurent une paix de dix ans dans le royaume de France. Cette législation royale tentée n’a une chance d’aboutir que dans le cadre du concile. Les canons servent non seulement les clercs mais aussi à la société toute entière. Parfois même, les canons vont au delà des considérations de droit public. Les canons accompagnent ainsi l’extension de la compétence juridictionnelle de l’Eglise. C’est au temps des grégoriens que l’Eglise conquiert dans le royaume de France, la juridiction exclusive en matière de mariage. Le concile de Reims de 1049 présidé par le Pape Léon IX a fait progressé en son temps la compétence ecclésiastique en ce qui concerne les cas de nullité du mariage et les cas de séparation des époux. Le principe de la juridiction exclusive sur ces affaires est posé par le concile de Tours de 1060. Entre 1059 et 1065, des conciles romains interviennent aussi pour réglementer les cas d’empêchements de parenté. Ces conciles romains interdisent les mariages jusqu’au septième degré canonique, ce qui signifie qu’il faut être séparé du futur conjoint de sept personnes. A la fin du XIème siècle, les nécessités féodales sont très présentes et imposent des unions entre proches. Ces unions entre parents sont nuisibles pour des raisons de santé physique et mentale. Seulement, bien que nocives en termes de santé publique, ces unions étaient très utiles pour des raisons patrimoniales et politiques. Les juristes romains et la législation ecclésiastique s’efforcent génération après génération d’empêcher des unions entre proches pour le bien physique des personnes et pour le bien social, afin de favoriser la transmission du patrimoine. Ces règles canoniques plus qu’indispensables, décrétales ou canons, deviennent rapidement pléthoriques et nécessitent une remise en ordre qui intervient dans le courant du XIIème siècle, qui entretient l’effort de la renaissance juridique, initiée par le redécouverte du droit romain et la réforme grégorienne.

 

Section 2: Le corpus iuris canonici et la naissance du ius commune.

Pour une meilleure discipline ecclésiastique, les artisans de la réforme ecclésiastique, ont suscité l’édiction de règles nouvelles qui sont nombreuses. Le droit canonique est donc en pleine extension. Les grégoriens ne peuvent pas se contenter de cette extension car ils sont aussi soucieux de l’unité de l’Eglise. Pour éviter le désordre dans l’Eglise, il faut donc ordonner. Charlemagne se plaignant en son temps de la trop grande diversité des canons ecclésiastiques, et la problématique se renouvelle au XIIème siècle. Des clercs illustres et moins renommés vont s’atteler à la tache. Cela à pour conséquence la réalisation d’une oeuvre indispensable de compilation privée. Stimulée par la réforme, par la reconnaissance du droit romain, les compilateurs donnent au droit canonique un prestige équivalent à celui du droit romain. Ces derniers deviennent alors les deux droits universels de l’Occident. Les juristes des deux bords, romanistes et canonistes, commencent par se mépriser cordialement. Puis, ils vont se rencontrer et donner naissance pour l’Europe à ce qu’on appelle le ius commune.

A) Le droit canonique de l’universalisme occidental.

L’oeuvre majeure du droit canonique médiévale se retrouve dans le Décret de Gratien. C’est une oeuvre italienne réalisée en recourant à des collections antérieures, pour partie des collections françaises. A la suite du décret, d’autres compilations majeures vont venir le compléter, et ainsi permettre l’achèvement de ce qu’on finira par désigner le Corpus iuris canonici. Les commentaires du Décret, des grands recueils de décrétales forgeront l’excellence des canonistes classiques.

1- Les collections préclassiques.

Ces collections antérieures au Décret sont des collections directement consécutives à la réforme grégorienne. Elles datent des Xième et XIIème siècle. Ce sont des vastes collections de grande qualité conceptuelle.

Elles sont l’oeuvre de juristes éminents, et expriment les préoccupations disciplinaires et sociétales de l’Eglise restaurée. La première est celle du décret du Burchard de Worms, composé probablement avant 1040. Ce décret inspire dans la continuité un autre grand juriste préclassique, Yves de Chartres (1040-1115). C’est un clerc d’origine modeste, qui étudie les lettres, la philosophie puis qui se distingue dans les enseignements qu’il suit en théologie et en droit canonique. Il montre un savoir tel qu’il est pressenti en 1090 pour devenir évêque de Chartres. Il est élu par le clergé et le peuple en 1090, mais l’archevêque lui refuse l’investiture. Preuve de sa grande renommée, Yves avec son titre d’évêque élu, est consacré par le Pape évêque de Chartres contre l’avis de l’archevêque. Il compte alors dès 1090 comme le plus grand canoniste de son temps. Yves de Chartres compose trois oeuvres majeures qui marquent durablement toute la pensée juridique médiévale. La première de ces trois collections est le décret d’Yves de Chartres, daté de 1094 et constitué de 17 parties. Le décret est une oeuvre remarquable dans sa conception mais n’aura pas d’incidence réelle sur le droit canonique. Deuxième collection, la Panormie qui est achevée en 1095, c’est un court traité méthodique organisé en rubriques. La Panormie fournit les règles essentielles du gouvernement de l’Eglise. Son coté méthodique et sa volonté d’aller à l’essentiel inspirent directement les travaux de Gratien. La troisième collection est appelée la Tripartita, collection postérieure au décret d’Yves de Chartres, c’est un recueil plus classique de canons et de décrétales. Dans ses trois collections, Yves de Chartres défend la primauté romaine, la réforme de l’Eglise, et lutte contre les mariages illégitimes et contre tous les abus en matière matrimoniale. Il est ainsi connu pour s’être opposé au divorce du roi de France. Philippe Ier, alors roi de France, entend répudier sa femme Berthe pour s’unir à Bertrade de Montfort, épouse du comte d’Anjou. L’intention du roi est donc doublement répréhensible et pour ces raisons, Yves de Chartres ne peut accepter le remariage du roi de France. Yves de Chartres va alors rédiger un certain nombre de correspondances par lesquelles il fait savoir ses opinions. Il parvient à ameuter le monde féodal et ecclésiastique et réussi à faire promettre au roi et à Bertrade de Montfort de se séparer dans le concile de Paris en 1104. Burchard et Yves, théoriciens et compilateurs sont des juristes emblématiques qui manient un droit romain totalement aux faits des aspirations de la société médiévale. Ce sont déjà des juristes modernes et c’est en cela qu’ils vont inspirer les rédacteurs du décret de Gratien.

 

2- Le décret de Gratien.

L’élaboration exacte du décret et son auteur reste encore un sujet délicat pour les chercheurs. Mais le contenu fait l’unanimité, qui se distingue par sa richesse exceptionnelle. Sa méthode fait aussi son succès, qui a aboutit à un apport doctrinal considérable. Cela explique le succès immédiat du décret et son impact colossal sur la science juridique en général.

a) Les origine du décret.

Gratien est peut être un moine bolonais. La tradition fait de lui un moine camaldule, c’est à dire un moine ermite du monastère de Saint Felix et Nabor. De façon plus certaine, Gratien compte parmi les prudents de Bologne aux environs de l’an 1143. Cela signifie qu’on le consulte pour obtenir des conseils juridiques à l’occasion de certains procès. Sa réputation de compilateur est par ailleurs solidement établie même au delà de l’Italie. Les manuscrits du décret sont tous de la fin du XIIème siècle. Les manuscrits du décret diffèrent grandement les uns par rapport aux autres. D’un manuscrit à l’autre, certains textes sont omis et d’autres se répètent. Le plan d’ensemble du décret manque parfois de cohérence alors que les décrets de Burchard ou d’Yves de Chartres fournissaient des modèles commodes. Il semble que le décret ait été composé sur une période relativement longue, située entre 1140 et 1150. Le plan comporte deux parties : 101 distinctiones forment la première partie et 36 causae forment la seconde. Les distinctiones traitent pour commencer du droit, de sa notion et de ses sources. Ces distinctiones réunissent des textes mais dans un but plus pédagogique que les collections antérieures. Les vingt premières distinctiones s’interrogent fondamentalement sur le sens du droit, sur son essence, ce qui présente un caractère nouveau. Les 80 dernières distinctions sont consacrées aux ordres ecclésiastiques et précisent les conditions d’accès aux ordres, s’attardent sur les qualités requises pour la fonction épiscopale.

Les causae sont plus révélatrices de la richesse du Décrets. Elles sont présentées de façon peu ordonnées mais provoquent malgré tout un bouleversement de la science juridique, en raison de la méthode utilisée pour concevoir leur piètre ordonnancement.

b) Méthode et diffusion.

La compilation de Gratien porte en réalité un nom éloquent. Gratien et son équipe ont conçu une oeuvre qu’ils ont baptisé Concordantia discordantium canonum (la concorde des canons discordants). Le titre est évocateur : Gratien et ses assistants ne font pas qu’assembler une masse de textes. D’abord, ils vont aussi chercher des textes des pères de l’Eglise, mais ce n’est pas la raison principale. Chacune des causae débute par un casus, qui est presque toujours un cas d’école. Ce dernier est parfois à la limite de la vraisemblance, mais ce qui importe c’est le raisonnement qui va suivre. Ce casus appelle un certain nombre de questions. Chaque causa est donc divisée en quaestiones suggérées par le casus. Dans chaque question sont énoncés des canons, dont la présentation répond à une méthode reprise des théologiens, la méthode dialectique du «sic et non» utilisée par Pierre Abélard. En vertu de cette présentation, les textes sont répartis en deux masses : celle constituée des textes qui vont dans le sens du sic (le pour) et l’autre constituée des textes qui vont dans le sens du non. Pour chaque question, Gratien sépare donc les textes éventuellement applicables en deux masses. Gratien expose pour chaque texte des contradictions. Pour sortir de la contradiction, Gratien et son équipe propose à la fin de chaque question un dictum, qui représente l’intérêt principal de la compilation. Le dictum propose une solution qui consiste parfois à suivre l’opinion sic ou l’opinion non, ou alors la solution du dictum choisit une troisième voie. C’est en cela que le décret est à la fois une compilation et un ouvrage de doctrine.

La méthode est dite dichotomique et lorsqu’elle aboutit à une solution nouvelle, on parle de méthode dialectique. Le Décret de Gratien est donc la transposition au droit canonique médiéval, des principes de la dialectique médiévale. Le décret de Gratien adapte le droit canonique aux méthodes de travail les plus abouties de l’époque médiévale. La méthode de Gratien fait du décret une oeuvre nouvelle. Le décret procède aussi bien d’une logique d’enseignement que de science canonique, qui fait durer une oeuvre. Le souci de concorde permet de lever l’incertitude du droit, permet de dépasser la contrariété des opinions. Le décret n’est pas seulement une oeuvre de collecte ou une oeuvre doctrinale majeure, mais c’est aussi un «miroir de la vie sociale». En effet, Gratien, comme la Panormie, se soucie de la violence. Il fait ainsi état dans ses causae des coups portés à la femme enceinte qui provoquent l’avortement et qui provoquent l’avortement. Même dans ces questions sensibles, le décret d’efforce de toujours rappeler les principes. Au delà des principes canoniques et évangéliques, le décret tolère des exceptions qui témoignent des subtilités d’interprétations imposées par la société médiévale. Le décret fait valoir l’idée selon laquelle le droit est une matière vivante appliquée à des sujets vivants, et donc au delà des principes, il faut interpréter. Pour toutes ces raisons, l’oeuvre rencontre un succès immédiat. Oeuvre privée, le décret de Gratien acquiert une valeur officielle même si les Papes ne l’ont jamais formellement homologué. Malgré cela, les docteurs l’ont adopté et en font un support de commentaires. Les juristes nombreux qui vont commenter le décret sont à ce point nécessaire qu’ils sont appelés les décrétistes. L’un d’eux s’appelle Huguccio de Pise (1178-1190), professeur bolonais. Le Décret, puisqu’il rend opérant le droit canonique, stimule l’édiction du droit. Les papes se sentent alors conforter dans leur effort de législation, ce qui fait qu’au XIIème, cette législation pontificale est si conséquente qu’il faut la compiler à nouveau.

 

3- L’achèvement du Corpus iuris canonici.

Il n’est permis qu’à lui seul de faire des lois nouvelles selon les nécessités du moment. Lui, c’est le Pape, et cette formule est tirée des dictatus papae. Le sens de ce dictatus papae numéro 7 ne laisse pas de place aux doutes. Depuis la réforme grégorienne, le Pape revendique un pouvoir législatif sans partages, et comme pour donner raison à ce dictatus papae numéro 7, les pontifes du XIIème et XIIIème siècle légifèrent beaucoup, car la demande est forte.

Ce sont des juristes réputés, par exemple, le Pape Innocent III (1198-1216) a été l’élève d’Huguccio lorsqu’il n’était encore que Giovani Lottario di Segni. Grégoire IX (1227-1241) se distingue lui aussi en temps que juriste, mais aussi en temps que compilateur.

a) Les grandes collections de décrétales (XIIème-XIVème siècle).

Les décrétales postérieures au décret de Gratien sont dites extra decretum vagantes, ou extravagantes (se promènent en dehors du décret). Ces décrétales sont nombreuses et gênantes car elles se promènent en dehors de toute collection canonique. Des collections privées se chargent alors de rassembler ces extravagantes. Ces collections privées sont appelées Quinque compilationes antiquae (les cinq compilations anciennes). Ces compilations se distinguent car elles ne contiennent que des décrétales, la primauté romaine s’affirmant. Ces compilations anciennes suivent toute le même plan, en cinq livres qui devient depuis lors la référence.

Grégoire IX décide d’une compilation officielle car il ne veut plus se contenter de ces compilations privées. Il confie le travail à une commission de rédaction qui achève le travail rapidement. La collection que l’on doit à Grégoire IX est promulguée par lui le 5 Septembre 1234. A cette date, la compilation promulguée est divisée en cinq livres, qui sont divisés en titres, eux mêmes divisés en chapitre. Les livres de la compilation sont consacrés aux matières suivantes : organisation judiciaire de l’Eglise, procédure, discipline, mariage et droit pénal. Cette collection s’impose par la suite sous le nom de «décrétales de Grégoire IX». A la différence du Décret de Gratien, ces décrétales de Grégoire IX sont influencées par le droit romain. Elles font aussi l’objet de commentaires de la part de juristes canonistes, appelés les décrétalistes. Le plus célèbre est le Pape Innocent IV (1243-1254). On trouve aussi le cardinal d’Hostie, appelé Hostiensis de son vrai nom Henri de Suse. Après 1234, d’autres décrétales sont édictées et publiées officiellement à leur tour. Après les décrétales de Grégoire IX, il faut mentionner le Sexte (car envisagé comme le sixième livre des décrétales à l’origine). Il est promulgué par le Pape Boniface VIII en 1298. Dernier recueil majeur, les Clémentines promulguées en 1317 par le Pape Clément V. Ces derniers recueils sont bientôt ajoutés aux décrétales de Grégoire IX et au Décret de Gratien pour former ce que l’on appelle au XIVème siècle le Corpus iuris canonici. Il fournit un matériau inépuisable pour les commentaires d’une doctrine qui devient réputée dans toute l’Europe.

b) La doctrine et les commentaires du décret.

Décrétistes et décrétalistes rédigent surtout ce que l’on appelle les sommes. Certaines de ces sommes sont très modestes au début, mais par la suite, d’autres sommes contiennent des apports doctrinaux considérables. Huguccio par exemple est un savant assez libre d’esprit. Dans ses commentaires, il ne se prive pas de marquer son désaccord avec l’opinion de certains papes. Hostiensis rédige une somme sur les décrétales de Grégoire IX, qu’il met onze ans à rédiger, la somme d’or. Décrétistes et décrétalistes rédigent aussi des ouvrages appelés apparatus. Ce sont des ouvrages qui regroupent des gloses parmi celles des maitres les renommés. Ils rédigent aussi des quaestiones à l’imitation de ce qui s’est fait dans le décret de Gratien. Ces quaestiones s’appuient sur des cas d’école ou des situations réelles et au delà de ça, ces ouvrages essayent de proposer des solutions concrètes à des cas pratiques. En cela, on constate que les canonistes suivent en réalité des méthodes utilisées par des romanistes. La science conjuguée de ces romanistes et canonistes aboutit à l’apparition du ius commune

B) Le ius commune, le droit commun de l’Europe.

La renaissance de l’Occident à compter du XIème siècle provoque la naissance de deux disciplines. Celle des civilistes ou des légistes pour commencer, qui s’appuie sur le Digeste de Justinien. L’autre discipline est celle des canonistes, qui procède du Décret de Gratien et de sa qualité méthodologique. La rencontre de ces deux disciplines, de ces droits dits savants, produit un résultat déterminant avec l’affirmation de la procédure Romano-canonique.

1- La rencontre des droits savants.

A compter de la redécouverte du Digeste, la science des glossateurs puis des commentateurs se propage dans toute l’Europe. Sur le continent, en Italie et en France notamment, cette science inspire les travaux des canonistes. Au début, des rivalités existent, mais malgré cela, «l’un et l’autre droit» finissent par se rejoindre. Ailleurs, en Angleterre, le droit romain et sa procédure formulaire conduit à l’émergence de la common law. C’est un système juridique rigide qui n’a rien à voir avec le droit commun continental.

a) L’un et l’autre droit.

Au coeur du Moyen Age occidental, cohabitent deux droits, les universités insistant bien sur cette séparation car existent aussi deux pouvoirs politiques : le spirituel et le temporel. Les civilistes sont liés au droit impérial, au pouvoir temporel. Ils travaillent pour l’empereur germanique, pour le roi de France, afin d’affirmer leur prétention temporelle. Les canonistes sont liés par vocation au pouvoir spirituel. Le droit canonique est le droit du Pape, et surtout depuis le pontificat de Grégoire VII. Les juristes des deux bords servent donc des pouvoirs antagonistes, et ils ne peuvent donc que s’ignorer voire se détester. Pour Accurse, les disciplines doivent resté séparées pour éviter les empiètements politiques et juridiques, car le Pape ne doit pas s’immiscer dans les affaires temporelles ni l’empereur dans les affaires spirituelles. Les divergences entre les deux droits sont donc essentielles, qui tiennent à l’essence même de ces deux droits. Malgré cette impossibilité théorique du rapprochement, ces deux droits finissent tout de même par se rapprocher, pour plusieurs raisons. Ils travaillent de la même manière, car romanistes et canonistes glosent. Ce sont aussi des commentateurs acharnés, et depuis le décret de Gratien, les deux camps s’adonnent à la conceptualisation du droit. Rapidement les décrétistes cessent d’ignorer le droit romain et vont même le solliciter. Huguccio reconnait le droit romain comme un droit supplétoire en cas de silence des sources canoniques. Les romanistes finissent à leur tour par considérer les règles canoniques. Notamment, en droit des obligations, les romanistes se rangent aux opinions des canonistes. Bartole puis Balde au XIVème siècle travaillent systématiquement en ce sens, pour rapprocher les concepts des romanistes de ceux des canonistes. Ils travaillent notamment pour forger des raisonnements capables d’imposer une règle en particulier : solus consensus obligat (le consentement seul oblige). C’est un principe étranger au droit romain, et les romanistes n’ont jamais voulu le recevoir. Mais avec Bartole et Balde, les romanistes du XIVème siècle se rangent à ce principe. La rencontre du droit canonique et du droit romain nourrit donc des concepts nouveaux, et ils se démarquent en cela d’autres systèmes plus rigides, qui pourtant sont aussi tributaires du droit romain.

b) Ius commune et common law.

Le cas de l’Angleterre est un cas particulier. Guillaume le Conquérant conquiert l’Angleterre en 1066. A sa suite, les rois normands confortent la puissance de la couronne et généralise la compétence des cours royales. L’action des rois facilite une unification rapide du droit anglais, qui intervient par le biais de la procédure. Cette procédure anglo-normande s’inspire fortement du droit romain, et plus exactement du droit romain classique, de l’activité normative du préteur. Dans cette procédure des XIème et XIIème siècle, le roi délivre des autorisations de plaider devant les juges royaux. Sur demande d’une partie au procès, le chancelier au nom du roi délivre au juge un writ, texte qui précise au juge dans quel sens et selon quelles procédure il devra juger. Le writ comprend aussi un ordre d’exécution destiné au défendeur. S’il ne s’exécute pas conformément à ce que le writ précise, le demandeur pourra alors faire valoir le writ devant les cours royales qui siègent à Westminster. Le writ rappelle immanquablement la formule d’action de la procédure formulaire. Après 1215, l’action créatrice du roi décline, car intervient la Grande Charte de Jean sans terre. Cette action créatrice est même figée en 1285, quand intervient le deuxième statut de Westminster, qui interdit la délivrance de nouveaux writs, sauf dans des cas semblables à ceux qui existent déjà. C’est le juge qui va alors se charger de développer le droit anglais à partir des writs existants. Or, les juges anglais sont procéduriers, et la décision finale est conditionnée au respect de la procédure.

Seule l’existence préalable d’une voie d’action adéquate permet de faire reconnaitre un droit en justice. Ainsi, au XIIème et XIIIème siècle, la common law en formation se conçoit dans des traités, qui se présentent comme des listes de writs. Ces listes permettent d’introduire une requête en justice. Lorsqu’il n’existe pas de cas similaires permettant d’agir, le justiciable ne peut espérer défendre son cas devant le juge. Le système est donc éminemment rigide et à la fin du Moyen Age, ce système rigide trouve ses limites. Le roi est obligé d’intervenir, intervention facilitée sous le règne d’Henri VIII. Par l’intermédiaire du chancelier, le roi développe une juridiction exceptionnelle et permet l’ouverture de procès en recherchant l’équité. L’Equity s’érige à son tour en système juridique, et confère au droit anglais de façon définitive une structure dualiste. Le droit anglais reste pour le XVème siècle et jusqu’à aujourd’hui un système casuistique.

Le droit commun en France et en Italie n’a rien à voir. Le droit continental est lui marqué par le travail des universitaires, des savants bolonais et orléanais. Le droit continental propose des synthèses, des concepts et des théories générales. Il se sert du cas d’espèce pour systématises, conceptualiser et orienter une création normative décidée par l’autorité publique. Le droit continental se distingue de la common law, mais ne fait pas l’économie d’une procédure spécifique, qui s’avère nettement affranchie de la procédure romaine.

2- La procédure Romano-canonique.

 Dans la France médiévale, les évêques sont incontournables. Ce sont souvent des seigneurs féodaux entrés dans le système, ils nouent des liens féodaux vassaliques et exercent des pouvoirs qui relèvent de l’autorité publique. Comme le Pape, ils reçoivent l’hommage de leur vassaux et maitrisent le ban seigneurial. Ainsi, ils peuvent rendre la justice seigneuriale pour la défense de leur ban, la justice féodale pour s’assurer de la fidélité de leurs vassaux et de leurs tenanciers. Ils rendent aussi la justice en tant qu’ecclésiastiques, ils rendent la justice de l’évêque stricto sensu. La justice ecclésiastique relève de la compétence de juridictions spécialisées, dans lesquelles le juge d’Eglise met en oeuvre une procédure particulière. C’est cette procédure qui va bouleverser la marche du procès médiéval et cela en matière criminelle et civile.

 a) Officialités.

 Le juge ordinaire du diocèse est l’évêque. A partir du XIIème siècle, le fait de rendre la justice ecclésiastique devient l’affaire de spécialistes. Rendre la justice, cela suppose en effet de connaitre le droit romain et de savoir s’adapter au progrès des techniques procédurale. L’évêque ne peut faire face à ces obligations juridictionnelles nouvelles et il commence donc à déléguer son pouvoir de juger. Il choisit pour cela un officier spécialisé, un agent titulaire d’une charge, un officier appelé «official». Ce dernier s’entoure d’assesseurs (spécialistes qui l’épaulent) et forment avec le tribunal de l’official, appelé rapidement l’officialité. Les officialités sont nombreuses, il en existe autant que d’évêques. Au XIIIème siècle, les officialités sont de plus en plus nombreuses et sont en plein développement. Elles concurrencent les justices seigneuriales, des barons et de comtes car ces dernières sont beaucoup plus archaïque, moins efficace, moins technique dans l’appréhension des jugements. L’official est compétent au civil comme au criminel pour juger les clercs séculiers. C’est une compétence exclusive, expression juridictionnelle du privilège du for. L’official détient aussi la compétence de juger toutes les causes qui concernent les miserabiles personae (cause perdue, cause qui concernent les personnes délaissées par la société : veuve, orphelin, croisés, écoliers d’université). Ces miserabiles peuvent faire juger leur cause par l’official plutôt que par un juge laïc. En matière civile, les juges d’Eglise ont connaissance exclusive de tout ce qui touche aux biens de l’Eglise. La compétence est exclusive pour tout ce qui touche à la foi et au sacrement : mariage, fiançailles, légitimité des enfants, séparation de corps et faire valoir l’exécution des obligations qui procèdent de conventions formées par serment. En matière pénale, les officialités font valoir une compétence exclusive pour tous les crimes et les délits commis dans un lieu saint. L’official est aussi compétente en cas de simonie, en cas de rupture de la trêve de Dieu (interdit de se battre). Evidemment, les officialités sont compétentes pour toutes les infractions contre la foi (hérésie, sorcellerie). Sur d’autres matières, l’official peut être saisi, mais il sera soumis à la concurrence des juridictions laïques.

Il s’agit des matières qui concernent la dot, le douaire, les crimes de sacrilège, le blasphème et les délits d’usure. Les juridictions laïques qui sont concurrentes, ce sont principalement les juridictions royales. La justice du bailli (agent local du roi) vient notamment limiter l’extension des cours de l’Eglise et contrecarrer le développement de la juridiction de l’Eglise. Elle limite les prétentions de l’Eglise car le roi de France a besoin de consolider sa justice pour réaffirmer sa souveraineté. Les justices royales s’inspirent aussi de la justice ecclésiastique pour améliorer leur fonctionnement afin de rendre une justice plus efficace et plus technique. L’official excède notamment par qu’il détient et applique une procédure d’excellence : la procédure Romano-canonique, qui s’impose au XIIIème siècle. Elle gagne du terrain pendant le XIIIème siècle et profite désormais aux justices royales. Cette procédure s’impose dans la marche du procès, que ce soit une affaire qui relève de la compétence du tribunal laïc ou ecclésiastique.

 b) L’ordre du procès pénal.

 Pour comprendre les progrès que peut présenter la procédure Romano-canonique, il faut remonter au droit romain classique. A la fin du principat, apparait une nouvelle procédure pour dicter la marche du procès. elle s’applique aussi bien pour le procès civil que pénal. Ce nouvel ordre est le fruit du développement de la Res publica. Les développements juridiques sur la question de la res publica encourage le développement de nouvelles procédures pour que la justice impériale s’adapte aux nécessités nouvelles de la chose publique qui se consolide. Au IIème siècle après JC, les juges impériaux ont une obligation : protéger l’intérêt public. Cela devient un devoir inhérent à leur charge, à leur office juridictionnelle. Ainsi, à compter du IIème siècle, chaque fois qu’une infraction vient porter atteinte à l’intérêt public, alors il leur appartient de défendre cet intérêt public lésé en déclenchant eux-mêmes les poursuites. Ils mettent en oeuvre la procédure d’office, c’est à dire une procédure dictée par leur fonction de juges impériaux, par leur charge. Cette procédure est nécessairement une procédure inquisitoire. Personne n’est venu formulée de plainte, il faut donc établir les faits dans leur exactitude, et il faut donc inquiéter. La procédure d’enquête est une procédure d’inquisitio. Le juge mène l’enquête, détermine les circonstances exactes de l’infraction et à partir de là, prononce sa sentence.

 A compter de la renaissance civiliste au XIème siècle, puis à compter de la renaissance canonique au XIIème siècle, la procédure qui s’impose par la rencontre des deux droits est une procédure Romano-canonique, qui logiquement est une procédure inquisitoire. Romanistes et canonistes puisent à la même source : le droit romain classique. Plus efficace, cette nouvelle procédure permet de sanctionner les infractions sans attendre la plainte de la partie lésée. Au XIIème siècle, on transfert cette procédure en matière privée. Dans le procès pénal, la nouvelle procédure impose plus de raison et d’humanité. Elle éloigne aussi la procédure accusatoire. Pour établir la preuve, le témoignage et l’aveu remplace l’ordalie, qui disparait de la procédure judiciaire et la procédure pénale dans le royaume de France à partir du XIIème siècle. Cette procédure influence ainsi la politique normative des rois de France. Saint Louis essaye de légiférer pendant son règne pour supprimer le duel judiciaire pour le remplacer par des preuves plus rationnelles. En matière de preuve, canonistes et romanistes sont intransigeants : pour qu’un accusé soit reconnu coupable dans le procès pénal, il faut une preuve complète de sa culpabilité. C’est le principe de la plénitude de la preuve. Ces notions sont définies objectivement par le droit médiéval. La doctrine médiévale se sont chargé en effet au XIIème et XIIIème siècle de forger une autre notion : la preuve objective. Si dans un procès pénal, le juge peut s’appuyer sur une preuve objective, alors il peut prononcer la culpabilité.

 La preuve objective, c’est tout d’abord l’aveu libre du coupable. En plus de cela, c’est aussi le témoignage concordants de deux témoins présentant toutes les garanties de crédibilité. On parle à ce moment là de témoins idoines. Un adage s’impose à partir du XIIème siècle : «testis unus, testis nullus». L’ordre nouveau du procès pénal profite donc au prévenu en cas de doutes. C’est une avancée considérable : si l’enquête ne parvient pas à établir une preuve complète, alors il appartient au juge de relaxer l’accusé.

D’une façon générale, la procédure Romano-canonique lutte contre l’arbitraire et la subjectivité et érige en principe la présomption d’innocence. Pour les accusés, c’est un progrès majeur. L’inquisition est une variante accélérée de la procédure Romano-canonique.

  Dans le cadre du procès civil, les spécialistes du droit savant imposent un autre principe : le principe du contradictoire. Le juge, en droit romain classique, suivait l’équité et pour se conformer à ses exigences, entendait les arguments des deux parties. Le principe du contradictoire échappait à la sphère juridique en droit romain classique, le juge romain n’était pas totalement lié par le droit. Les juristes médiévaux vont plus loin, et traduisent le principe du contradictoire en règle de droit. Le principe est rappelé dans tout jugement, signe de son importance. Chaque fois qu’un jugement est rédigé avant le dispositif, le rédacteur du jugement rajoute toujours une formule «les arguments des deux parties ayant été entendus». Le droit romain fourni toujours un matériau idéal pour toutes les constructions juridiques qu’ils s’agissent de celles de la renaissance civiliste ou encore des constructions juridiques de la réforme grégorienne. Dans le cadre du droit civil, au delà du procès civil, les juristes savants du XIIème siècle savent aussi se démarquer du droit romain. C’est le cas par exemple en matière de mariage. En droit romain, le mariage résultait du consentement des époux et de leur famille. Il s’agissait d’un lien révocable et il était possible de rompre le mariage de manière unilatérale (répudiation) ou bilatérale (divorce). Les canonistes du XIIème siècle prennent évidemment leur distance par rapport à ce mariage romain. Ils imposent à compter du XIIème siècle avec des difficultés le principe du consensualisme pur : il n’est pas nécessaire de recourir à l’autorisation du père, même si cela est souhaitable. Ils rejettent aussi le divorce et prononcent le principe d’indissolubilité du lien matrimonial. La répudiation est aussi canoniquement interdite. Au XIIème siècle, on discute encore du fait de savoir si le mariage est un sacrement, et il tend de plus en plus à le devenir. Ainsi, il devient indissoluble, formé par la seule rencontre de volonté des époux. Sur cette question, les canonistes se heurtent violemment avec les laïcs qui ont besoin du divorce et de la répudiation. Yves de Chartres s’est ainsi opposé à Philippe Ier pour faire valoir contre lui l’indissolubilité du lien matrimonial, même pour le mariage royal. Les laïcs, c’est à dire les princes, les grands féodaux ou les plus modestes seigneurs, revendiquent plus de liberté dans leur alliance matrimoniale. La répudiation effectuée au bon moment et le divorce permettent de nouer des fidélités nouvelles, de consolider un patrimoine en contractant un mariage plus lucratif que le précédent. Le droit savant se heurte donc régulièrement aux préoccupations et aux attentes des laïcs. Le droit commun s’est donc imposé juridiquement à des habitudes séculières qui n’étaient pas familières des subtilités romaines et canonistes. Le droit français est ainsi le fruit d’un apport savant et le fruit d’une confrontation, qui ne s’est pas faite juridiquement en douceur. Le droit français est né de la progression des droits savants au coeur de l’empire de la coutume.

 

PARTIE II- La naissance du droit français (XVème-XVIIIème siècle).

  Le droit français se développe dans le royaume de France relativement tôt, dès les derniers siècles du Moyen Age. Il trouve sa place dans le pluralisme juridique de l’Europe médiévale. Il s’affirme en tant que droit particulier et cela par opposition au ius commune. C’est vrai, le ius commune à une vocation universelle, mais il n’est pas pour autant un droit unique. Dans la configuration du ius commune, on peut trouver une place pour la subtilité d’interprétation. Le ius commune est bien le droit commun de l’Europe, mais il ne fait que fixer le grands principes essentiels du droit. Le droit trouve aussi son expression particulière dans les iura propria (droits propres). Le droit français à la fin du Moyen Age est donc un ius proprium. Ce sont les commentateurs civilistes de la fin du XIVème siècle qui ont forgé cette notion. Bartole explique que les droits propres se situent en dessous du ius commune, même s’ils sont liés à lui par des grands principes. Au delà des principes, les iura propria présentent les règles susceptibles de s’appliquer dans les territoires régis par des institutions souveraines. Un ius proprium va donc tenir compte des particularités juridiques locales. Dans le centre de l’Europe (terre d’empire, Italie) les droits propres concernent les villes libres et les principautés. Il ne sera en question en effet de droit allemand ou de droit italien qu’au XIXème siècle. Dans le reste de l’Europe, la situation est différente. En France, en Angleterre, en Espagne, les droits propres dépassent les règles de droit fixées dans les villes autonomes ou les principautés territoriales. Les droits propres accompagnent en effet le développement de couronnes pleinement souveraines. Ainsi, au XIVème siècle, l’affirmation de la couronne de France se traduit par le développement concomitant d’un droit français. Le droit français émerge, du fait de l’apparition d’une couronne de France consolidée, qui va bientôt s’opposer au ius commune et aux autres droits propres qui se développent en même temps que lui. Ce droit français est particulier : il est tributaire d’un droit coutumier solide, qui au XIVème siècle, puise très profondément sa source au coeur de la tradition juridique féodale. Dès ses premiers instants, le droit français subit donc de façon incontestable l’empire de la coutume. Mais, à la différence du droit allemand et italien, il s’impose beaucoup plus vite grâce à la souveraineté du roi qui encourage son développement.

 1.  L’empire de la coutume.

 En 476, le barbare Odoacre renvoie les insignes impériaux à Constantinople et provoque ainsi la chute de l’empire romain d’Occident. Les peuples germaniques prennent la suite de l’empire romain. Ils sont organisés en royaume et ces royaumes n’ont vraiment de barbare que le nom. Ils gouvernent aussi bien leur sujets que les peuples conquis. Certains de ces peuples conquis, notamment en Gaule, sont appelés «romains». Dans un premier temps, barbares et «romains» (gallo-romain) continuent de suivre leur droit respectif, les rois barbares ne cherchant pas ) lutter contre la diversité. En Gaule, lorsque survient l’unification franque, la pluralité des systèmes juridiques demeurent. Les carolingiens, surtout à compter de l’an 800, vont essayer de lisser au maximum cette pluralité des systèmes juridiques, mais ils vont échouer. La variété des systèmes juridiques va se maintenir. Ce que les carolingiens n’ont pas pu faire institutionnellement, le temps va s’en charger biologiquement. Avec le temps et les mariages mixtes, à compter du IXème siècle, les distinctions ethniques finissent par s’estomper. Les peuples se sont suffisamment mélangés pour que le pluralisme juridique change de nature et au tournant de l’an 1000, la France médiévale change de pluralisme juridique pour passer d’un pluralisme personnel et des coutumes personnelles à un pluralisme juridique territorial, et des coutumes territoriales.

 

Chapitre 1: Le pluralisme juridique du Haut Moyen Age.

 Mérovingiens et carolingiens ont un point commun : ce sont des francs. En tant que francs, ils sont soucieux de pérenniser le souvenir de Rome, de transmettre son héritage. Ainsi, Clovis et Charlemagne sont tous deux des conquérants particuliers, ce sont des conquérants soucieux de paix et d’unité. Néanmoins, tous deux doivent honorer leur tradition pour s’imposer aux peuples conquis. Ainsi, les rois qui dirigent la Gaule durant le Haut moyen Age, ont de nombreux points communs. Au delà de ces points communs, ces rois francs diffèrent dans leur approche institutionnelle profonde. Le carolingien se distingue nettement du mérovingien par le sacre. Ce dernier impose au carolingien de légiférer. Il doit légiférer pour se conformer à un idéal, celui de l’universalisme chrétien. La conséquence de cette différence, c’est que de Clovis à Charlemagne, les «lois» dans le royaume franc ne sont pas envisagées comme source du droit de manière constante. Les mérovingiens ne connaissent que les lois des peuples, les carolingiens tentent d’imposer la loi du roi.

 

Section 1: L’installation juridique des Germains en Gaule.

 Le Vème siècle est connu pour être le siècle des invasions barbares. Les barbares menacent l’empire romain depuis le Ier siècle. Les romains de Gaule et des autres provinces ont subis des invasions violentes dès le IIIème siècle. Dès lors, les relations entre les barbares et Rome sont devenues très complexes. Les relations antagonistes strictement militaires ont évolué, de manière à impliquer les barbares dans la destinée de l’empire. Les francs notamment seront marqués par les rapports juridiques établis avec Rome et seront tellement marqués par ces relations juridiques nouvelles qu’ils vont conférer à leur royauté un sens nouveau, un sens qu’elle n’a jamais connu dans les siècles passés. Le royaume des francs ne pourra alors, une fois constitué, qu’intégrer les traditions germaniques mais pour mieux tenter de les institutionnaliser.

 

A) La diversité ethnique du regnum francorum.

 Le royaume des francs est constitué à la fin du Vème et au début du VIème siècle par Clovis, par les armes et par l’habilité politique de Clovis et de ses fils. Les mérovingiens parviennent à assurer l’unité de la Gaule, son homogénéité politique. Les mérovingiens vont s’efforcer de défendre cette unité qui sera toujours précaire, en précisant davantage les contours institutionnels du regnum francorum.

 

1- Naissance du royaume franc.

 Clovis devient roi des Francs en 481, prend la suite de ses ancêtres, qui étaient avant lui rois de Tournais. Ces ancêtres étaient installés dans l’empire romain depuis plusieurs générations. En 481, cela signifie que le règne de Clovis suit de très près la chute de l’empire d’occident. Clovis va donc dès son avènement reprendre à son compte l’héritage de Rome et va tenter de préserver en Gaule le souvenir institutionnel de l’ancienne Rome.

 

a) L’installation des Germains en Gaule.

 Depuis le IIIème siècle, certains peuples germaniques sont devenus les alliés de Rome. Les francs par exemple, ont quitté les rives du Rhin inférieur et se sont installés dans l’Empire romain, dans la province romaine de Belgique seconde. Au IVème siècle, ils ont installé leur capitale à Tournais. Au IVème et Vème siècle d’autres peuples que les francs entrent dans l’Empire, car ils sont poussés par l’avancée du peuple des Huns. Les wisigoths sont parmi les premiers après les francs à franchir les frontières, ils passent le Danube en 376, les Vandales franchissent le Rhin en 406, franchissent la Gaule, puis l’Espagne et s’installent en Afrique du Nord. Ce sont ensuite les Burgondes qui viennent s’installer dans les Alpes. En 410, les wisigoths du roi Alaric Ier pillent Rome.

 L’évènement est retentissant pour l’époque, mais en dehors de cet épisode tragique, l’installation des germains se déroule plutôt dans le calme. Les romains préfèrent en effet passer des traités plutôt que de combattre. Rome conclut avec les chefs barbares un feodus. Les peuples titulaires d’un feodus sont appelés des feoderati. Les barbares fédérés sont donc des alliés de Rome et concluent en tant que tels un traité avantageux. Les wisigoths sont autorisés à s’installer dans le Sud Ouest de la Gaule où ils vont fonder un royaume autonome avec Toulouse comme capitale, indépendant à partir de 470. Les Burgondes profitent aussi de ce statut et fondent aussi un royaume quasi autonome dans l’Empire, installé dans les régions alpines. Tous ces peuples fédérés profitent d’un régime juridique particulier, l’hospitalitas. C’est un statut juridique qui permet l’installation des barbares dans l’empire, en réglant cette installation par le droit. En vertu de l’hospitalitas, les chefs barbares se partagent les terres, les esclaves avec les grands propriétaires fonciers qui dominent sur les terres qui reçoivent l’installation des barbares. Ces règles imposent par le droit un partage qui assure des alliés puissants à Rome. Ces règles sont bilatérales, et les barbares sont tenus de défendre Rome. Les francs y participent activement, d’abord contre les Huns en 451 (bataille des champs catalauniques) et en 469 contre les Saxons. Ces chefs barbares deviennent des alliés puissants et ils deviennent tellement puissants, qu’ils sont amenés à commander les armées romaines. Clovis est ainsi hissé sur le pavois comme un roi franc, mais il garde en lui l’esprit d’un auxiliaire de la défunte Rome.

 

b) Clovis.

 En 481, Clovis succède à son père Childéric. Il commence son oeuvre de conquête en 486 et renverse le dernier chef romain, Syagrius défait à la bataille de Soissons. Cette victoire ouvre à Clovis la route de Paris, et il ainsi en mesure de poursuivre sa conquête en direction du Sud. Il progresse rapidement, les gallo romains préférant reconnaitre son autorité plutôt que de le convaincre, ils se rallient à lui, et d’autant plus rapidement à partir de son mariage. Il contracte mariage en 493 avec la princesse Burgonde Clothilde, chrétienne et fille du roi des Burgondes, Gondebaud. Par ce mariage, Clovis devient sympathique au gallo romain, il n’est plus un conquérant barbare païen, mais devient un conquérant barbare marié à une chrétienne. Clovis se rend compte que ce mariage lui a attiré les faveurs des peuples gallo romains, et décide d’aller plus loin. En effet, suite à la bataille de Tolbiac gagnée en 496 et sur les conseils de Clothilde, il décide de sa baptiser à Reims par l’évêque Rémy (entre 496 et 499). Le baptême de Clovis est suivit par celui de ses guerriers, ce qui a des conséquences politiques immédiates. Toute la hiérarchie ecclésiastique de Gaule se range derrière lui, il reçoit l’appui de tous les peuples du Sud Ouest de la Gaule. Ces gallo romains ont besoin de Clovis, car ils sont chrétiens et sont persécutés par le roi des wisigoths, chrétien arien.

 

Profitant de l’appui des évêques, Clovis vole au secours des gallo-romains du royaume des Wisigoths, et s’ensuit la bataille de Vouillé de 507. Lors de cette bataille, Alaric II est tué sur le champs de bataille, et ainsi, Clovis est en mesure d’étendre le royaume des francs jusqu’au Pyrénées. La même année, Clovis choisit comme capitale Paris, car cette ville fortement romanisée fait le lien entre les terres germaniques et les régions du Sud plus massivement romanisées. Clovis marque ainsi son intention : le regnum francorum qu’il fonde ne sera pas un royaume barbare. Il est destiné à continuer l’oeuvre de Rome. La preuve, c’est qu’après la conquête, Clovis laisse en place toutes les institutions fiscales et administratives qui étaient en place. Clovis réalise ainsi une unification politique, crée un royaume cohérent grâce aux institutions romaines et à l’Eglise qui fait de lui l’héritier de Rome. L’empereur d’Orient ne s’y trompe pas, et envoie en 507 ses félicitations à Clovis suite à la bataille de Vouillé. Dans ses félicitations, il accorde à Clovis le titre de consul. A bien des égards, le regnum francorum poursuit les institutions romaines, et c’est en cela qu’il préfigure ce qui sera plus tard le royaume des francs. Après Clovis, les mérovingiens vont essayer de conforter le regnum francorum et de défendre son statut juridique.

 

2- Le statut juridique du regnum francorum.

 Les mérovingiens sont des rois francs, et sont donc titulaires du mundium et du bannum. Ce sont les pouvoirs traditionnels du roi franc. Ainsi, même si Clovis est appelé consul par l’empereur d’orient, il reste un roi franc traditionnel, il doit respecter la coutume de son peuple, les usages de son peuple qui imposent notamment un partage successoral du regnum. La coutume franque impose aussi de récompenser les compagnons du roi. Ce sont autant d’exigences qui vont poser la problématique de l’unité.

 a) La patrimonialité.

 Selon la tradition des francs, quand survient la mort du roi, les fils de ce dernier divisent le royaume de leur père. En 511, quand survient la mort de Clovis, ses quatre fils se partagent le royaume franc. Thierry, Clodomir, Childebert et Clotaire se partagent le royaume, et tous reçoivent une portion du royaume. Cependant, le partage n’a pas un caractère patrimonial, car malgré ce partage, le regnum francorum reste juridiquement un tout unitaire. Les descendants de Clovis entreprennent ainsi d’agrandir ce regnum et parviennent en 534 à conquérir le royaume des Burgondes. Au delà des conquêtes, les quatre frères choisissent des capitales proches (Tournais, Orléans, Paris, Soissons) pour faciliter la gestion commune du regnum francorum. Chacun d’eux portent d’ailleurs le titre de rex francorum, il y a donc quatre rois pour un seul titre unique. Les partages mérovingiens n’expriment donc pas l’assimilation de la royauté à un patrimoine. Dans le partage, la part de chacun est bien une part du royaume et non pas un royaume autonome. A long termes, au gré des partages, il est évident que politiquement, le pouvoir des rois va s’affaiblir et la dynastie mérovingienne faibli. Dans le principe juridique, l’unité du royaume a bien moyen d’exister en dépit de la logique coutumière du partage.

 b) Le pagus et la problématique de l’unité.

 Lorsque les francs conquièrent la Gaule, ils mettent en place un système d’administration locale. Cette dernière, dans le regnum francorum, est calquée de façon pratique et efficace. Clovis va ainsi dessiner les contours de circonscription administrative de base, à partir des civitates romaines (unité administrative de base de la province romaine). La civitas devient ainsi le pagus. Clovis ménage ainsi les susceptibilités des peuples gallo romains, et fait en sorte que les anciennes cités restent facilement gouvernables. Toutes les institutions qui existaient dans les civitates restent en place, mais Clovis et ses fils font en sorte de placer un proche à la tête du pagus. Le roi place un compagnon (le comes) à la tête du pagus, le comte. Le comte est nommé et révoqué par le roi à sa convenance, rend la justice, lève l’impôt et exerce les pouvoirs de police. Clovis et tous ses successeurs utilisent la charge comtale pour récompenser les fidélités : il accorde la fonction de comte à ses compagnons méritants (services militaires). Au gré des partages successoraux à la mort du roi, ces aristocrates vont prendre de plus en plus d’autonomie, profitant de l’affaiblissement politique du roi, et ils commencent à monnayer sa fidélité. Au gré de la dynastie mérovingienne, se constitue de véritables dynasties comtales qui deviennent plus puissantes que la dynastie mérovingienne. Elles fragilisent le regnum tout entier. A force de monnayer leur fidélité, comtes et aristocrates finissent par faire émerger des principautés autonomes dans le regnum francorum. Ainsi, au VIIème siècle, on trouve quatre royaumes quasiment indépendants : l’Austrasie, l’Aquitaine, la Bourgogne et la Neustrie.

 

Dans ces principautés, le roi mérovingien est toujours souverain, théoriquement. Dans les faits, dans ces principautés, chaque entité détient un palais et à partir de ce dernier, chaque entité se gère en totale indépendance. Le regnum francorum n’est ainsi plus qu’une fiction juridique, mais même lorsque la royauté est au plus bas, le regnum francorum reste au sommet, et reste la référence institutionnelle suprême. La preuve, certains hommes ont réussi à recomposer son unité, les pépinides (Charles Martel, Pépin le Bref), des hommes qui ont su servir les mérovingiens avant de les remplacer. Ce qu’il faut conclure, c’est que la tradition franque n’empêche pas dans son principe de penser l’unité dans la diversité. Il en va de même en ce qui concerne le droit privé, avec les lois barbares à l’époque mérovingienne.

 

B) La personnalité des lois.

 Par rapport à la population globale de la Gaule, les Francs sont proportionnellement peu nombreux après la conquête de Clovis. Ils représentaient 15 à 20% de la population de la Belgique seconde. A l’échelle de la Gaule, cette proportion décroit davantage, pour arriver à un pourcentage de 2 ou 3% maximum. De ce petit nombre, ils ne sont pas en mesure pour imposer des lois à l’ensemble des nouveaux sujets du roi. La royauté mérovingienne correspond donc à une période de cohabitation : cohabite sur le même sol et sous l’autorité d’in même roi des ethnies très différentes issues de droit très différents. Cette cohabitation juridique pose d’immenses problèmes. Clovis ne cherche pas à lutter contre la diversité des droits car il n’est pas en mesure de le faire, et laisse cohabiter les coutumes. C’est le système de la personnalité juridique des lois. En revanche, Clovis et ses successeurs peuvent agir sur les institutions publiques, et vont imposer un juge unique pour tous ses droits. Ils imposent ainsi la justice du comte dans le tribunal du comte, qui aura pour mission d’institutionnaliser la personnalité des lois, c’est à dire appliquer les coutumes ethniques de façon à défendre des intérêts collectifs.

 

1- Les lois de la période franque.

 Avant la chute de Rome, les feoderati suivaient leur propres usages, leurs propres coutumes de barbares. Les gallo-romains suivaient un droit romain particulier propre à leur province gallo romaine, appelé le droit vulgaire. Avant la conquête de Rome, s’était un droit plus simple que le droit romain classique. Après la conquête, ce droit vulgaire reste infiniment supérieur aux coutumes germaniques. Ainsi, Clovis et ses successeurs décident de laisser en place la dualité de régime juridique qui existait avant 476. Aux barbares, leur loi, aux gallo romains, leur droit vulgaire.

 

a) Les lois barbares.

 Le droit mérovingien n’est pas un droit royal. Le roi franc donne bien quelques décrets ou préceptes grâce à son pouvoir de bannum, mais on en a très peu trouvé. Le droit mérovingien est donc essentiellement coutumier, régit et dicté par les coutumes barbares. Ces coutumes sont appelés «lois», signe que le droit n’est plus une création normative du titulaire de l’autorité publique. Dans le droit barbare, ce qui est caractéristique, c’est la solidarité familiale. Les coutumes s’organisent autour d’une notion appelée la faïda, qui renvoie à la vengeance privée. La vengeance est, en vertu des coutumes, rachetable et les coutumes franques organisent un système de composition pécuniaire. Des sommes sont prévues pour contenir la vengeance des familles et empêcher les guerres privées. Le wiergeld est la composition pécuniaire qui permet d’indemniser la victime en cas d’homicide. La composition pécuniaire en général sert aussi à réprimer l’atteinte à l’ordre public. Ainsi, chaque composition est assortie d’une amende, qui équivaut au tiers de l’indemnité prévue. L’amende est appelée le fredum, ou le prix de la paix. Dans les coutumes germaniques, l’ordre des priorités est très clair : premier but, indemniser la victime et deuxième but, punir.

 

On constate ainsi que le droit pénal est privatisé, et l’autorité publique est si affaiblie que la sanction du roi passe après l’indemnisation des familles. Toutes les lois barbares se présentent de la même façon : se sont des listes d’infraction très détaillées qui concernent les atteintes aux biens et les atteintes aux personnes. Dans cette liste d’infraction, on trouve une liste correspondant aux indemnisations et aux amendes. Ces lois barbares sont issues de la tradition orale, mais dès lors que les barbares commencent à ériger des royaumes, les nécessités de la justice impose une rédaction. La loi des Burgondes est ainsi rédigée en 474 et 516, c’est à dire pendant le règne du roi Gondebaud. Cette loi des Burgondes est appelée la loi Gombette. Nombre de ces lois se soucient d’indemniser le vol de bétail, comportement répréhensible qui apparait le plus souvent. Ces lois se sont donc formées dans le cadre d’une société foncièrement rurale et se présentent de manières archaïques. Mais certaines lois barbares rédigées sont profondément marquées par le droit romain, et ne sont pas que de simples tarifs de composition pécuniaire. C’est le cas pour la loi Gombette, et pour la loi salique.

 

b) La loi salique.

C’est la loi barbare des francs saliens. Sa version première date de la fin du règne de Clovis, qui a ordonné sa rédaction. Elle se compose de soixante cinq titres, et sa mise par écrit est achevée en 511. Elle connait par la suite des modifications, jusqu’au IXème siècle. Comme toutes les lois barbares, la loi salique fournit un long tarif de réparation fixe susceptible de racheter la faida. Cette loi salique est celle du conquérant, et ainsi, dans la réparation de l’homicide, le wiergeld du franc (200 sous d’or) est plus élevé que le wiergeld du romain (100 sous d’or). Le tarif est multiplié par trois pour l’un comme pour l’autre, si l’homme agressé était placé sous la protection du roi. Le droit de l’époque mérovingienne n’est pas un droit royal, mais il n’est pas exempt d’influence royale. Les rois francs laissent subsister toutes les coutumes barbares et essayent au maximum d’influencer le contenu, dans le but d’établir leur mission de protection, dans le but de garantir la paix. A l’époque franque, la loi salique subit donc des influences royales dictées par d’autres influences, celles du droit canonique et du droit romain. La loi salique insiste sur l’idée de paix et de pardon. Elle s’éloigne ainsi de la philosophie pénale des lois germaniques, elle s’éloigne de l’idée de vengeance. L’Eglise envisage la peine comme un moyen de correction, la loi salique interdit donc la vengeance et encourage au contraire le pardon. Pour cela, elle rend obligatoire la réconciliation. L’idée, c’est que le tarif de composition et de sanction n’est pas alternatif mais obligatoire. Pour garantir une paix définitive, la loi salique est très détaillée, elle détaille minutieusement les infractions et les compositions correspondantes afin d’empêcher toute discussion dilatoire, la reprise du conflit et in pousse ainsi les parties au procès à s’entendre. La loi salique a aussi subit l’influence du droit romain. Son préambule est à cet égard tout à fait clair, en indiquant qu’elle est conçu comme un accord conclut entre les francs et leurs chefs pour couper court à l’enchainement des violences. Dans sa structure générale, selon le préambule, la loi salique a donc été conçue comme un pacte au sens romain du terme. Le pacte a été définit par Ulpien comme un accord conclut entre deux ou plusieurs afin de ramener entre elle, la paix. Les lois barbares et la loi salique doivent donc être considérées de manière nuancées, car elles sont en apparence primitives, mais en réalité sont complexes, d’autant plus qu’elles se trouvent constamment en contact avec les lois romaines des barbares.

 

c) Les lois romaines des barbares.

Les romains de la Gaule franque suivent en théorie les prescriptions du Code théodosien de 438. En réalité, le Code théodosien est pratiquement inconnu en Gaule et ceux qu’on appelle gallo romains pratiquent surtout les résumés et les interprétations du Code théodosien. Plus généralement, les gallo romains suivent le droit vulgaire.

 

Dans les anciennes provinces de Gaule, depuis le Bas empire, ce qu’on appelle le ius vetus s’est depuis longtemps mêlé aux droits locaux des peuples conquis par Rome. L’Edit de Caracalla de 212 a très clairement laissé subsister ces droits locaux. A la chute de Rome en 476, les populations gallo romaines suivent encore des règles de droit confuses appelées droit vulgaire, fruit de la rencontre du ius vetus et des droits locaux des peuples celtes. Pour plus de clarté, un roi barbare décide de promulguer en 506 une loi romaine pour ses sujets romains. Il s’agira donc de la loi romaine des Wisigoths, que l’on doit à Alaric II. Il est chrétien arien, il persécute les chrétiens catholiques dans son royaume, alors même que Clovis s’est fait baptisé quelques années plutôt dans la foi catholique. Alaric décide donc de montrer à ses sujets gallo romains, qu’il est capable de prendre en comte leur préoccupations quotidiennes. Sa compilation tend à faire disparaitre toutes obscurités dans les lois romaines et le droit. En réalité, cette loi romaine des Wisigoths présente un plan désordonné, le contenu est établit à partir du Code théodosien et à partir de fragment du ius vetus. La loi romaine des Wisigoths ne remplit pas son objectif politique, ni son but technique puisqu’elle ne clarifie pas vraiment le sens du droit romain et du ius vetus. Clovis trouve cependant cette compilation bien pratique, et découvrant la loi romaine des Wisigoths, il la déclare applicable dans toute la Gaule. On décide de l’appeler le Bréviaire d’Alaric.

Connue sous ce nom, cette loi romaine va s’imposer dans toute la Gaule et se présente désormais comme le recueil de référence pour la connaissance du droit romain jusqu’au Xème siècle. Ce bréviaire souligne le souci majeur des mérovingiens et des carolingiens : organiser le désordre.

 

2- Sous quelle loi vis-tu?

 En attendant que s’impose la procédure inquisitoire, l’époque franque connait une procédure judiciaire très caractéristique. Elle est peu rationnelle, elle ne concerne que de très lointains souvenirs des subtilités romaines. Cette procédure est une procédure rigoureuse, qui s’adapte bien aux nécessités d’une société particulière, qui est une société vengeresse. Avec le temps, cette procédure va rencontrer des difficultés, et sera difficile à appliquer en raison du régime juridique de la personnalité des lois.

 a) La procédure du mallus comtal.

 Dans le pagus le tribunal de droit commun est le mallus comtal. C’est principalement une juridiction germanique. Les hommes libres du pagus ont pour obligation de se déplacer pour entendre la justice du comte, tradition germanique. Cette participation est une participation passive. Ces hommes libres approuvent par leur silence la sentence prononcée. Pour rendre ces sentences, le comte ne pas s’appuyer sur les hommes libres mais recourir à des assesseurs. A l’époque mérovingienne, ces assesseurs sont appelés rachimbourgs. Ce sont des notables, qui sont assemblés autour du comte et qui l’aident à rendre sa justice, car ils connaissent les «lois» des barbares ou les «lois» romaines des barbares. Ainsi, ils sont en mesure d’exposer au comte le droit applicable chaque fois qu’il doit rendre sa justice. Le mallus est compétent pour toutes les matières qui concernent la population, au civil comme au criminel, à l’égard de tous, barbares comme gallo-romains. Le procès ne s’ouvre que dans une hypothèse : si la victime porte une accusation sur l’auteur présumé d’une infraction. C’est donc une procédure de type accusatoire. Les plaideurs comparaissent en personne, il n’y a pas d’avocat ou d’avoué. Devant le comte, la marche du procès commence toujours par une question : « sub qua lege vivis?», sous quelle loi vis-tu? Le plaideur répond alors «mon père vivait sous la loi des …». Le plaideur fait ce qu’on appelle la professio legis (profession de loi). Chacun, en effet, suit la loi de ses origines ethniques, et selon la réponse du plaideur, les rachimbourgs déterminent la «loi» applicable. Une fois qu’ils ont identifiés la coutume applicable, les rachimbourgs qualifient les faits incriminés. Ils confrontent les faits au droit, ce que généralement le comte ne sait pas faire. Ils permettent ainsi au procès de se poursuivre. L’accusé ou le défendeur se lave de l’accusation par le serment purgatoire. Si le serment ne suffit pas, la vérité peut jaillir de l’ordalie, jugement de Dieu et épreuve judiciaire qui permet de confronter les parties et quand le serment de suffit pas, de déterminer la vérité. Une fois que la culpabilité est établie, que la cause du défendeur est considérée comme perdue, le comte prononce la sentence en se référant aux tarifs de composition établis par la coutume. En plus de percevoir la composition pécuniaire, la comte perçoit au nom du roi le fredum, qui permet de sanctionner l’atteinte à l’ordre public. La procédure est donc une procédure qui intègre la diversité des lois barbares ou des lois romaines de barbare. Mais parfois, cette procédure rencontre des difficultés quand deux lois barbares entrent en conflit.

 b) Les conflits de lois.

 Lorsque des parties d’origine différente se présentent devant le comte, la solution des litiges devient beaucoup plus épineuse. Au VIème siècle, lorsqu’un franc se présente devant le comte, ce dernier détermine directement le droit applicable, peu importe l’ethnie de l’autre partie. Le comte suivra automatiquement la loi salique puisqu’un franc est concerné. A partir du VIIème siècle, les procédures se précisent et en cas de conflits de lois, un principe s’impose, même au franc. On suit dorénavant la loi du défendeur ou de l’accusé et il s’agit en la circonstance d’opérer une symétrie juridique imposée par la procédure accusatoire. La femme doit se défendre en suivant généralement la loi de son mari. Mais les règles qui permettent de sortir des conflits de loi sont souvent des règles empiriques. Il est impossible encore aujourd’hui de fixer des règles nettes et générales pour régler les conflits de loi à l’époque mérovingienne.

 Ce dont il est sur, c’est que ces règles profitent à celui qui doit se défendre. Pour éviter les incompréhensions sur le fond du droit, la procédure accusatoire impose de choisir les rachimbourgs de manière judicieuse. Dans la Gaule franque, le tribunal du comte à Toulouse au VIIème siècle assemble autour du comte tant des Goths que des romains et même des saliens. La diversité juridique l’emporte, et les assesseurs symbolisent cette diversité par leur présence et leur savoir. Les rachimbourgs indiquent clairement que la loi est personnelle. Sous les carolingiens, il en sera de même, en dépit de notables tentatives d’inflexions législatives.

 

Section 2: L’évolution du droit à l’époque carolingienne.

 Charlemagne et Clovis se réclament de deux traditions : l’une germanique, l’autre romaine. Néanmoins, Charlemagne se distingue de Clovis par le ministère carolingien. Le ministerium fait du carolingien le premier serviteur de la res publica. C’est encore plus vrai avec la renovatio imperii de l’an 800. Le ministerium du roi lui impose d’effectuer des réformes institutionnelles, et cette réforme produit des effets durables, notamment sur le droit de l’époque franque. Cette réforme et ses effets sur le droit saura inscrire ses conséquences dans le temps, malgré l’échec de Charlemagne et de ses successeurs.

 

A) Les conséquences de la réforme carolingienne.

Les conseillers ecclésiastiques carolingiens utilisent volontiers les écrits de Saint Isidore de Séville. Dans ses étymologies et sentences, Isidore de Séville a définit le sens du mot roi. Les conseillers utilisent ces définitions pour définir à leur époque le concept de roi. Pour IDS, le roi est celui qui régit, qui conduit le peuple dans la bonne direction, qui gouverne «droitement» en toutes circonstances. Droite direction, c’est ce qui inspire toute la politique carolingienne. Pour cela, il faut que le roi légifère, et qu’il rende la justice.

1- La législation royale.

Le ministerium carolingien est conféré par la sacre, et le ministère par le sacre dicte au roi une obligation. L’obligation du roi par le sacre et de garantir l’unité du peuple chrétien. Dans le regnum, comme dans l’empire, le roi se doit impérativement de rapprocher les peuples. Autour de sa personne, le carolingien assemble donc tout ceux qui sont en mesure de contribuer à l’établissement de la pax plena. L’assemblée qui est autour du roi lui permet de légiférer, ainsi elle permet au roi de travailler, de lutter pour réaliser l’unification juridique des peuples.

a) Le plaid.

Charlemagne gouverne l’empire à partir de son palais. Le palais carolingien est une institution itinérante, comme sous les mérovingiens, mais elle tend à se sédentariser. La capitale impériale est installée bientôt à Aix-la-Chapelle, et pendant tout son règne, Charlemagne s’efforce de bâtir un pouvoir de plus en plus vertical. Au palais, le chancelier devient un personnage incontournable. Il est avec le comte et l’archichapelain du palais, l’un des trois officiers majeurs de l’entourage du roi. Le chancelier est important car il contrôle la chancellerie, ensemble de services et de bureaux composés de clercs. Le chancelier est maitre des clercs du palais, chargés d’archiver les décisions normatives de l’empereur. Le rôle du chancelier, c’est donc de veiller sur les archives, sur la conservation normative du l’empereur, et c’est pour cela qu’il est devenu incontournable car Charlemagne et Louis le Pieux ont beaucoup légiférer. En effet, le droit inspire la droite direction que doit poursuivre le roi. Pour concevoir une législation pratique et de l’adapter aux attentes des populations, le roi dispose d’un instrument : le plaid. Une fois par an, le peuple tout entier se réunit autour du roi pour entendre ses décisions. Le peuple assemblé dans le plaid approuve les décisions du roi par acclamation. Ces assemblées annuelles ont une origine militaire. Aux origines du plaid, les hommes libres en arme se tiennent devant l’empereur pour l’inspection de leur équipement. Sous les mérovingiens, ces assemblées annuelles et militaires étaient appelées champs de Mars.

Sous les carolingiens, il est appelé champs de Mai. La date de la réunion a été décalée puisque les armées sont différentes. En théorie, Charlemagne peut aligner sur le champs de batailles 35 000 cavaliers, ce que ne pouvait pas faire Clovis. Autant convoquer les militaires en Mai, puisqu’il est plus facile de nourrir toutes les montures. Cette réunion est aussi appelée plaid général. Dans les faits, chaque année, le plaid se présente bien différemment : oui, les guerriers sont assemblés, mais ce qui compte, c’est que s’assemblent directement autour de l’empereur seulement les grands personnages de l’empire (abbés, évêques, comtes et officiers palatiaux). Ainsi entouré des plus notables personnalités, le carolingien est en mesure d’élaborer sa loi, le capitulaire. Une fois élaboré, le capitulaire passe en chancellerie pour sa mise en forme.

b) Les capitulaires.

A l’époque carolingienne, en Gaule franque, le droit romain décline, mais il exerce toujours une influence. Le droit canonique, par le biais des canons conciliaires, exerce aussi une influence sur l’activité des gouvernants. Préservés par l’Eglise, droit romain et droit canonique, imposent une idée. La loi, dès l’époque carolingienne, devient l’expression de l’intérêt collectif, alors même que les lois sont personnelles. Aux mains du prince, la loi devient essentielle. Elle est si importante pour la théocratie carolingienne que des clercs rédigent des collections de capitulaires. Le capitulaire est appelé ainsi parce qu’il est divisé en chapitres (capitula). Signe des intentions normatives carolingiennes, certains capitulaires sont destinés à corriger les coutumes barbares, ce sont les capitula legibus addenda (capitulaires ajoutés aux lois). L’un de ces capitulaires spécifiques réforme ainsi la loi salique peu après l’an 800. Certains capitulaires servent plus étroitement l’administration domaniale et se soucient donc d’économie rurale.

Un capitulaire est resté célèbre sur ce thème, le capitulaire de villis. D’autres capitulaires sont moins spécifiques, et sont plus vastes. On trouve des dispositions variées, des règles qui concernent l’Eglise, comme c’est le cas pour le capitulaire admonitio generalis de 789. Le roi, empereur, cherche d’ailleurs systématiquement la généralité dans ces capitulaires. Les capitulaires ont pour but d’harmoniser, de rassembler, de clarifier. C’est ce que l’on peut constater en envisageant les capitula missorum adressés au missi dominici. Ces capitulaires servent à établir des règles pour le fonctionnement de la justice permettant aux missi dominici de savoir comment exercer leur fonction et comment réformer la justice du comte.

2- La réforme de la justice.

Charlemagne s’efforce de rendre la justice de l’empire, plus conforme aux devoirs que lui imposent son ministère. De fait, il intervient pour imposer la paix et le pardon des fautes. Il essaye de condamner la faida, et encourage par ces capitulaires le recours à la justice. Ainsi, en 779 un capitulaire de Herstal condamne ouvertement la faida. En 802, toujours par voie de décision impériale, la faida devient un crime public passible des tribunaux comtaux. En 811, Charlemagne prend deux capitulaires successifs pour dénoncer et réprimer les abus du comte. C’est aussi pour améliorer la justice que Charlemagne va créer les missi dominici, qui ont pour tache de réformer la justice comtale. Ils agissent dans leur circonscription qui leur est confiée, la missaticum. En matière de procédure, la procédure de droit commun reste accusatoire, Charlemagne faisant peu d’efforts. Néanmoins, dans le tribunal du roi, on applique de plus en plus la procédure inquisitoire. La procédure d’enquête gagne volontiers le tribunal royal lorsque les droits du roi sont en cause. Il en va de même pour les droits de l’Eglise. Par le biais des missi dominici, cette procédure inquisitoire parvient même à gagner dans certains pagi le tribunal du comte. D’une manière générale, l’époque carolingienne stimule les intellectuels et la réforme carolingienne les pousse à utiliser une justice plus rationnelle. Ce sont notamment les conseillers ecclésiastiques qui essaient d’encourager une réforme de la justice. Agobard de Lyon dénonce ainsi le système de la personnalité des lois. Selon lui, elle est nuisible car elle contribue à traiter différemment les chrétiens d’un point de vue juridique, alors que ceux-ci sont théoriquement unis dans le Christ. Timidement, dès le IXème siècle, les choses commencent à bouger. Les procès dans le midi de la Gaule commencent toujours par la professio legis.

Les assesseurs du comte sont toujours romains, saliens et Goths, mais au IXème siècle dans le midi de la Gaule, le tribunal comtal applique de plus en plus le bréviaire d’Alaric à l’ensemble du pagus. On cherche de moins en moins la loi personnelle de défendeur. Par exception, les francs continuent d’appliquer la loi salique. Cette évolution n’est pas le fruit du hasard, mais est la conséquence des intentions normatives unificatrices du carolingien. Ces progrès ne proviennent pas seulement de la volonté carolingienne, mais sont aussi le fruit d’autres facteurs, plus démographiques qui échappent au volontarisme des gouvernants.

3- Le rapprochement des peuples.

 Dès le milieu du IXème siècle, les lois personnelles d’origine ethniques rentrent progressivement en désuétude. Les habitants ne peuvent plus se définir par le sang, car ils ne sont plus si distinctement francs, Goths ou saliens. Ils perdent l’origine de leur ethnie, et dès la fin du IXème siècle, les sujets du carolingien se définissent moins par le sang mais beaucoup plus par le lieu où ils vivent ou encore par le métier qu’ils exercent. Commence ainsi une tendance à la territorialisation du droit, qui va connaitre son apogée autour de l’an 1000. L’Eglise de la Gaule franque a joué un rôle dans cette fusion des races, en encourageant génération après génération les mariages mixtes. L’Eglise voulait à tout prix lutter contre toutes les forces de dissociation. Pour ce faire, l’Eglise a encadré très strictement les pratiques matrimoniales.

 De nombreux conciles mérovingiens puis carolingiens sont intervenus par leur canons pour interdire les mariages entre proches et interdire ainsi l’endogamie. Dès l’époque franque, le mariage entre cousins ou alliés jusqu’à un degré de parenté assez éloigné est qualifié d’inceste. Nécessairement, ce type de mariage est interdit et oblige les familles à chercher ailleurs. Les familles sont poussées à trouver des candidats au mariage d’autre sang, d’une autre ethnie. Ainsi, l’Eglise encourage la fusion des races, et son action contribue à modifier en profondeur le sentiment d’appartenance. A la fin du IXème siècle, l’identité de la foi chrétienne et la communauté politique deviennent plus importantes que l’origine ethnique. La manifestation concrète en terme d’institution, c’est que la Francia s’impose, et efface par la même l’idée de la Gallia de ces mêmes textes et institutions. La Francia n’est plus le territoire des francs, mais devient le territoire sur lequel s’exerce l’autorité d’un seul, le roi, l’empereur carolingien. Juridiquement, Charlemagne et ses successeurs ont donc poussé très loin la réforme des institutions. Ils ont réformé les institutions jusqu’à imposer l’idée de res publica et ainsi, ils ont conféré au droit une assise territoriale. Seulement, ce droit de la Francia qui vient supplanter les lois de la Gallia, n’est pas encore le droit français. Politiquement, juridiquement, l’empire carolingien avait des faiblesses, et malgré ses réussites, il ne survivra pas au IXème siècle. Comte tenu de l’effondrement de l’empire carolingien, une nouvelle diversité juridique, un nouveau pluralisme juridique va s’imposer et remplacer le pluralisme caractéristique de la personnalité des lois.

 

B) Les conséquences de l’échec carolingien.

 L’échec carolingien survient après le règne de Charles le Chauve (840-877). Charles le chauve est à l’origine roi de Francia occidentalis, puis parvient à redevenir empereur d’occident. Ainsi, pendant son règne, il préserve l’essentiel, ce qui ne sera pas le cas de ses successeurs. L’empire carolingien vole en éclat, à cause de forces de dissociations irrésistibles. Parmi ces dernières, on trouve la tradition du partage successoral à la mort du roi, la vassalité, et les menaces extérieures. Tous ces facteurs permettent d’expliquer la survenance d’un morcellement territorial, aboutissant à une territorialité du droit que les carolingiens auraient voulu universel, mais qui sera au contraire caractérisé par le pluralisme juridique.

1- Les étapes du morcellement territorial.

En l’an 1000, la ban du roi est fragmenté. De nombreux pouvoirs locaux ont usurpé le ban du roi, par l’aboutissement d’un processus de dilution de l’autorité publique. On connait ce processus sous le nom de dislocation du ban royal.

Cette dislocation achevée ou presque en l’an 1000 s’est effectuée de façon progressive. Il commence en 843, quand intervient le partage de Verdun. Les trois fils de Louis le Pieux se partage l’empire : Charles, Lothaire et Louis le Germanique. Chacun d’eux, comme le fait Charles le Chauve sur la Francia occidentalis, exerce le ban royal. L’étape suivante est la conséquence des invasions normandes, qui menacent les côtes et les fleuves dans le courant du IXème siècle. Elles provoquent une réaction. L’armée carolingienne était d’une efficacité rare et n’était d’aucune utilité contre ces invasions. Charles le Chauve décide de la réformer et crée de grands commandements militaires, qui réunissent plusieurs pagi sous l’autorité unique d’un comte aux attributions améliorées. Le comte est donc de plus en plus appelé «duc». Ces ducs titulaires des grands commandements sont incontournables puisqu’ils contrôlent les pagi et usurpent à leur tour une partie du ban royal. Le plus important de ces ducs s’appelait Robert le Fort (dynastie robertienne qui deviendra en 987 capétienne). Intervient la troisième phase, qui coïncide avec l’adoption du capitulaire de Quierzy sur Oise en 877. Dans ce capitulaire, Charles le Chauve règle pour la Francia occidentalis, le cas de la succession comtale. A cette même date, Charles le Chauve meurt, et ce qui était temporaire à l’origine devient définitif. Ainsi, on a coutume de dire que ce capitulaire a fondé en droit l’hérédité des fonctions comtales. La fonction comtale se transmet désormais de père en fils, et ainsi, l’honor comtale est confisquée par le titulaire de la fonction. Avec l’hérédité de la fonction comtale, la troisième étape est achevée, les ducs, déjà indépendant politiquement, le deviennent juridiquement. Les ducs fondent alors des principautés territoriales. L’Aquitaine, la Flandre, la Normandie deviennent des entités politiques contrôlées par le duc, distinctes du royaume des francs, mais juridiquement rattachées par le lien de vassalité. Dans le courant du Xème siècle, intervient la quatrième étape, durant laquelle les principautés territoriales volent en éclat. C’est le cas en Bourgogne ou en Champagne, et dans ce cadre des principautés territoriales éclatées, le ban du roi descend jusqu’au niveau du comté. La dernière intervient au XIème siècle, quand le comté éclate à son tour, les comptes perdent le contrôle des châtelains, et ce sont ces derniers qui usurpent à leur tour le ban du roi, qui s’exprime désormais au niveau du plus petit échelon, la seigneurie banale.

 Avec le XIème siècle on constate donc que le ban est aux mains des seigneurs bannerais, et avec le ban, c’est le droit tout entier qui rétrécit. Il ne s’entend plus à l’échelon d’une ethnie ou du royaume, mais il s’organise autour d’un territoire.

 

2- La territorialité du droit en l’an 1000.

 Vers l’an 1000, l’échec carolingien est consommé, le titre impérial est définitivement perdu. En occident, il défendu et détenu dorénavant en Germanie par une dynastie nouvelle, la dynastie otonienne. En Francia occidentalis, en 987, les carolingiens perdent aussi définitivement le titre de rex francorum. Hugues Capet fonde la dynastie qui portera son nom, et l’héritage de Charlemagne est revendiqué par les capétiens. Cet héritage se réduit à peu de chose. Dans le Nord du royaume, entre le Rhin et la Loire, la lex salica s’applique à tous les sujets du royaume. Dans le midi, au sud de la Loire, la lex romana héritée du bréviaire d’Alaric s’impose également aux populations. Mais, ces textes ne sont que des vestiges. Lex salica et lex romana ne dictent plus le droit. Le droit ne dépend plus des lois, même si elles sont invoquées lors des procès. Les plaideurs se contentent de quelques tarifs de composition incomplet et répètent des formules juridiques tronquées lorsqu’ils invoquent ces lois. Le droit est donc bien territorial, mais cette territorialité n’est pas synonyme d’universalité du droit. Le résidu des droits anciens est supplanté par une création juridique empirique. En l’an 1000, le droit apparait dans la seigneurie banale pour encadrer l’arbitraire du seigneur. Ce droit empirique crée au cas par cas est donc intensément fragmenté. Ce droit qui nait dans chaque seigneurie banale va bientôt se confronter au droit romain redécouvert et au droit canonique à partir du XIIème siècle. Ce droit empirique va évoluer en droit coutumier et durera comme tel jusqu’à la révolution française. La féodalité, suite à l’échec de Charlemagne, conduit la France pour longtemps vers le pluralisme juridique, qui paradoxalement, aboutira à l’émergence du droit français.

 

Chapitre 2: Le pluralisme juridique dans le monde féodal.

 Dans la société féodale, les rapports juridiques entre les individus ne sont pas dictés par la loi. Le dernier capitulaire est édicté en 884. Ainsi, à compter la fin du IXème siècle, et pour plus de deux siècles, le pouvoir législatif du roi ne s’exerce plus du tout. Les rapports entre les puissants s’établissent sur la base du lien féodaux vassaliques. Ceux qui sont plus humbles suivent les coutumes territoriales. Dans la société féodale, chacun trouve sa place d’après la dignité qui correspond à sa fonction. Les clercs prient et suivent le droit canonique. En cela, ils profitent de privilèges comme le privilège du for. Les guerriers se battent et suivent aussi un droit qui leur est propre, le droit féodal. Tous les autres travaillent, cultivent la terre, font du commerce et ils suivent la coutume du lieu où se trouve leur terre, la coutume du métier qu’ils pratiquent. Chaque communauté spirituelle, nobles ou autres, cherche le privilège pour faire valoir son exception économique.

 

Section 1: Les coutumes territoriales.

En l’an 1000, le droit se résume dans le royaume de France aux vestiges du droit romain. Ces vestiges sont notoirement insuffisants. Le droit va donc puiser sa source ailleurs, et il la puise dans un rapport de force. Le seigneur est maitre d’un château, dans lequel il entretient une bande de guerrier, les milites. Le maitre du château impose son ban par la violence et impose ce ban aux manants (ceux qui sont contraints de rester). En échange de sa protection armée contre les bandes rivales, le seigneur exige des redevances. Ces redevances sont appelées consuetudines (consuetudo désigne la coutume en romain). En l’an 1000, seul le mot consuetudo subsiste et son sens est depuis longtemps perdu. En l’an 1000, une coutume est une prestation, une taxe prélevée par le seigneur. Au XIème siècle, les communautés rurales et urbaines s’organisent. Elles revendiquent et négocient avec les seigneurs pour éviter l’apparition des «novelletés», redevances nouvelles dues au seigneurs qui procèdent du plus pur arbitraire. Les consuetudines, pour empêcher la prolifération des nouvelles taxes, sont désormais négociées, circonscrites et ces consuetudines deviennent des coutumes territoriales à la fin du XIème siècle. Quand elles ne le deviennent pas, elles deviennent charte de franchise quand elles dérogent au droit commun de la seigneuries. Les coutumes deviennent vite si nombreuses, si incontournables, qu’elles imposent dès le XIème siècle, un ordre juridique nouveau, un ordre juridique coutumier.

A) L’affirmation des coutumes territoriales.

Au départ, la coutume territoriale est une création empirique, c’est le fruit de la négociation avec le seigneur, différente d’une seigneurie à une autre. Progressivement, la coutume retrouve son sens romain et principalement à partir du moment où l’on constate la renaissance du droit romain au XIème siècle. La redécouverte du droit romain de Justinien va transformer la coutume territoriale : elle va devenir un ordre juridique. Ainsi, la coutume cesse d’être le droit de la seigneurie banale et connait un véritable développement théorique et juridique.

 1- La seigneurie banale.

Le seigneur est le maitre du ban. Il a usurpé les prérogatives de puissance publique des anciens rois francs, et le capétien est bien incapable de les récupérer. Par le ban, le seigneur édicte des règlements, il charge ses représentants de faire valoir ses intérêts et perçoit ainsi les droits que la coutume essaye bientôt d’encadrer.

 a) Le seigneur et les consuetudines.

Pour bénéficier de la protection militaire du seigneur, les manants sont obligés d’acquitter des redevances et des prestations. Ils payent ainsi la taille, impôt direct la plupart du temps demandé en argent, que doit acquitter chaque feu qui se trouve présent sur le territoire de la seigneurie.

Le seigneur peut aussi revendiquer le droit de gîte et peut quand il l’entend s’installer chez ses manants et manger à leur frais. Le seigneur perçoit aussi des redevances parce qu’il détient des monopoles économiques. Il perçoit ainsi les banalités. Par exemple, le seigneur est le seul à posséder un moulin, et quiconque vient utiliser ce moulin, doit laisser un dixième de la farine moulue au seigneur. Il en va de même pour le four seigneurial. Autre expression des consuetudines, les corvées, prestations en nature. La corvée la plus répandue est celle des chemins : les manants vont travailler sur les chemins pour les entretenir. Les corvées servent aussi à l’entretien du château. Toutes ces corvées sont justifiées par le fait que tous, dans la seigneurie, doivent concourir à l’effort militaire. A partie du XIème siècle, on commence à perdre de vue l’origine publique de ces redevances et elles sont des plus en plus mal perçues, surtout si le seigneur perçoit ces redevances sans discernement. On commence alors à parler de la coutume de la seigneurie, qui a pour but de réglementer la perception des consuetudines et qui s’impose au seigneur.

 b) Croissance et diversité coutumière.

 Autour de l’an 1000, les lois de l’époque franque sont bien loin. Les lois ne sont plus opérantes et pour les rapports de droit privé, les sujets du roi de France dans la seigneurie, règlent leurs affaires de manière empirique. Ils utilisent les convenientiae. La convenientia est un contrat formé par la seule volonté des parties, conforté par un serment de fidélité. C’est à la fois un souvenir du droit romain et un souvenir de l’époque franque. Cette convenientia permet le règlement des affaires privées et les convenientiae se multiplient. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’au XIème siècle, véhicule l’idée selon laquelle chacun se crée sa propre loi. Par voie de conséquence, tout est donc sujet à négociation, tout peut faire l’objet d’une entente juridique. Alors, dans la seigneurie, les population commencent à négocier avec le seigneur. Des usages apparaissent alors et mis bout à bout, ils forment bientôt une coutume. Ils sont appelés coutumes de la seigneurie car ces usages règlementent la perception des consuetudines. Ces coutumes s’appliquent dans le «détroit de la coutume», qui correspond à la zone de compétence judiciaire du seigneur. La coutume est donc aux origines une liste de redevances, de prestations, et cette liste s’impose au seigneur comme aux populations. La loi est donc désormais contractuelle.

 Rapidement, les coutumes se multiplient. Dès les années 1130-1140, on invoque dans le sud de la France des usages locaux, notamment en 1132 à Narbonne, mais aussi en 1143 à St Gilles. Les villes comme les campagnes cherchent la coutume. Les villes vont obtenir des privilèges, des droits qui dérogent à la coutume, et on parle plus de charte de franchise. Au XIIème siècle, dans les coutumes et les chartes de franchise, de nouvelles règles apparaissent et la coutume s’enrichit. La coutume permet aussi de régler les affaires de droit privé. On trouve ainsi du droit des successions, du droit des gens mariés, du droit des personnes seules. La coutume n’est donc plus une affaire fiscale ou seigneuriale, mais elle devient un droit privé d’origine locale. S’établit ainsi un droit varié interne à chaque seigneurie, et à chaque ville de la seigneurie, qui à l’origine n’était simplement que le fruit d’un compromis politique et économique. Ce droit va conserver pendant longtemps cette origine de compromis, et la coutume reste orale pendant longtemps. Cette oralité n’empêche pas la coutume de se développer.

 

2- Le développement juridique de la coutume.

 Au XIIème siècle, la coutume est dorénavant l’affaire du juriste. Elle intéresse les spécialistes du droit romain, et préoccupe aussi le praticien, le juge.

 a) L’apport doctrinal.

 La coutume se dessine donc à l’échelle de la seigneurie. Très rapidement, s’impose la notion de ressort judiciaire à la fin du XIème siècle. Dès lors que la coutume s’applique dans son ressort et qu’elle est délimitée géographiquement, elle est plus facile à cerner pour les populations, et elle devient un outils répandue. Dans la coutume, on trouve désormais des règles de droit privé comme des prescriptions de droit public.

 L’évolution prend un sens nouveau lorsque le droit romain de Justinien commence à nouveau à se diffuser en Occident. Les glossateurs interprètent le Corpus iuris civilis. Dans ce dernier, et notamment dans le Digeste, les glossateurs trouvent des textes qui se réfèrent à la coutume. Ces textes vont donc servir aux juristes à accompagner techniquement ce fleurissement des convenientiae. Dans les textes romains du Digeste, les juristes médiévaux trouvent des matériaux qui leur permettent de bâtir leur propre théorie de la coutume. Ils vont forger une notion nouvelle, celle de droit coutumier. La coutume accède donc par leur intermédiaire à la sphère juridique. A Rome, on distinguait le droit des coutumes. Les juristes médiévaux, interprétant les textes romains, vont rapprocher les deux notions, et on considère alors que droit et coutume sont similaires. Pour arriver à ce résultat, les juristes médiévaux ont bâti une théorie de la coutume et en ont fait une définition. La coutume, selon eux, est un droit non écrit qui nait de la répétition d’usages et trouve sa valeur dans son ancienneté et dans le consensus qui l’a fait adopter. On détermine donc au XIIème siècle que la coutume procède du consentement des populations concernées, de ce qu’on appelle l’opinio necessitatis. C’est à dire que la coutume s’impose par le fait que le tissu social est convaincu de sa nécessité, de son utilité pour le corps social. La coutume est donc bien du domaine des convenientiae, mais comme elle procède du consentement de tous, alors la coutume pour les spécialistes du droit romain quitte la sphère du droit privé, n’est plus seulement le fruit d’une entente et d’un rapport contractuel. Elle devient une véritable droit, validé par l’opinio necessitatis, qui a vocation à s’imposer à tous, et qui peut donc organiser les rapports collectifs au delà de la recherche des intérêts individuels. Ce droit non écrit qu’est la coutume finit donc par acquérir une autorité à l’égard de tous, et ce qui permet de considérer qu’elle est appelé pour l’avenir à réglementer les rapports sociaux. La coutume reste néanmoins difficile à utiliser, la preuve de la coutume étant difficile.

 b) Le droit coutumier médiéval : preuve et enquête.

 La coutume dans son détail est difficile à connaitre, elle reste oral et difficile à établir. Il n’empêche que les plaideurs, quand ils allèguent une coutume devant le juge, doivent prouver son existence. Le juge seigneurial utilise alors un mode de preuve traditionnel : le serment et l’épreuve judiciaire, appelé l’épreuve par bataille. Cette dernière n’est pas complètement satisfaisante. Avec le développement des coutumes territoriales parait donc un autre mode de preuve qui apporte plus de garantie : l’enquête par turbe. Une turbe est un groupe de témoins. Lorsqu’au cours d’un procès un point de droit fait l’objet d’un litige, le juge réunit dix témoins, les prudes hommes. Ils sont chargés d’enquêter sur les usages invoqués, et délibèrent en groupe car ils sont connaisseurs des usages du détroit du justice. Quand ils ne sont pas d’accord, ils peuvent diligenter une enquête. Ces hommes s’efforcent de se prononcer à l’unanimité une fois l’enquête terminée. Leur avis unanime lie le tribunal, le juge n’a pas moyen de contester l’existence du droit. Cependant, le juge seigneurial rend toujours librement la sentence. Saint Louis va règlementer par voie d’ordonnance la preuve de la coutume à la fin de son règne dans les années 1260. Il impose pour toutes les juridictions du royaume l’enquête par turbe. C’est la fin de la preuve par bataille et du duel judiciaire. Il n’en demeure pas moins que l’enquête par turbe est longue et couteuse, et ne fonctionne pas toujours. Il peut arriver que les prudes hommes avouent leur innocence après quelques années d’enquête. Malgré cette efficacité douteuse, cette enquête protège les défendeurs de l’arbitraire de la preuve par bataille.

 La meilleure solution serait la rédaction des coutumes, mais elle ne débutera qu’en 1454, quand le roi Charles VII l’ordonnera dans son ordonnance de Montilz-lès-Tours. Le processus sera long et durera jusqu’à la Révolution française. Surtout ce processus ne peut commencer qu’à partir du moment où le roi de France est en mesure d’affirmer son pouvoir normatif. Jusqu’au XVème siècle, il n’y aura pas de rédaction officielle, ce qui n’empêchera pas les juristes de faire de la coutume un véritable ordre juridique.

 

B) L’ordre juridique coutumier.

 Dans le système féodal au XIIème siècle, la coutume devient un enjeu politique. Le roi, en raison du sacre, intervient dans les rapports juridiques qu’entretiennent les seigneurs et les manants. Au nom de la paix du royaume qu’il doit garantir, le roi se conforme aux attentes ecclésiastiques et ainsi, il essaye de limiter les exactions des seigneurs. Le rôle de pacificateur du roi est le bienvenu, mais le roi se présente comme tel, parce qu’en défendant la bonne coutume, il y trouve son avantage. Il se présente ainsi comme roi justicier, protecteur et montre qu’il n’a pas d’égal en son royaume quand il s’agit de veiller aux droits du peuple chrétien. La coutume devient un tel vecteur de pouvoir, un tel vecteur de contrôle de l’autorité, qu’elle est finalement rédigée. Interviennent ainsi au XIIIème siècle les rédactions officieuses qui permettent de déterminer l’importance que peut revêtir la coutume.

 1- La coutume et le roi.

 En attendant le XVème siècle, la coutume va rester orale. Dans son oralité, la coutume connait des évolutions qui conduisent à des imprécisions. A un moment donné, un usage jusque là accepté par tous, peut devenir un usage intolérable. C’est le cas lorsque les conditions d’origine de la coutume change, quand elles ne correspondent plus aux circonstances d’un temps nouveau. Au XIème et XIIème siècle, on fait donc la chasse aux mauvaises coutumes, appelées aussi novelletés. Il s’agit toujours d’une taxe exigée indument par le seigneur. Ainsi, au XIème siècle, le seigneur d’Ardres dans le comté de Guignes prélèvent sur ses manants un droit de fournage. Cette coutume est l’exemple même d’une même coutume à cause de son origine. Le seigneur d’Ardres est revenu d’Angleterre avec un cadeau pour ses manants : un ours. Il a alors organisé un combat entre les chiens et l’ours, qui les a dépecés. Les manants ont exigé un nouveau combat de l’ours à chaque jour de fête et ont alors accepté un droit de fournage pour l’entretien de l’ours. Le «pain de l’ours» est resté exigé par le seigneur eu vertu de cette damnable coutume, même quand l’ours avait disparu. L’Eglise condamne dans ses canons ces mauvaises coutumes. Le roi, au XIème et XIIème siècle, reçoit les plaintes des communautés, soutient les manants là où son autorité est suffisante, dans leur combat contre le seigneur et la réduction des mauvaises coutumes. Il intervient comme arbitre et pousse les seigneurs à renoncer à leur droit. Parfois, le roi encourage au rachat des coutumes. Son action conforte, en le rationalisant, l’ordre juridique coutumier. Dans le même temps, l’action du roi conforte son autorité en son royaume.

 Au bout du compte, l’ordre juridique coutumier devient une composante incontournable de la royauté féodale. Symbole de bonne coutume, le roi va donc devoir, jusqu’à la révolution, respecter la coutume, car elle est indissociable de la monarchie française. Au XIème et XIIème siècle, le roi n’est pas seul à lutter contre la mauvaise coutume, les feudataires aussi condamnent les mauvaises coutumes, ils interviennent auprès de leurs vassaux pour les mêmes raisons que le roi : renforcer leur légitimité en tant que seigneur. Les communautés qui parviennent à obtenir régulièrement des résultats dans cette lutte sont les ecclésiastiques. Abbayes et monastères remportent des succès considérables, notamment car disposent des archives. Les moines consultent dans leurs archives des chartes immémoriales, autrefois concédées par le seigneurs avant l’an 1000, et sur cette base, peuvent s’opposer aux mauvaises coutumes. Pour les autres communautés, notamment rurales, les écrits n’existent pas, ce qui pose problème. Mais ce vide sera bientôt comblé par la survenance de compilations privées.

 

2- L’apparition des coutumiers médiévaux.

La coutume se forme par la répétition de l’usage. Elle a donc besoin de temps pour s’imposer, elle est donc lente à réagir et est incapable de régler nettement des situations nouvelles. De plus, en cas de litige, les parties allèguent souvent des coutumes contradictoires. L’écrit devient donc une nécessité.

a) De la nécessité de l’écrit.

L’écrit gagne du terrain au XIIème siècle, siècle des droits savants (canonique et romain), qui s’appuient sur l’écrit, puis les textes seront glosés, et commentés. Le Corpus iuris civilis s’impose comme une compilation de référence, c’est une compilation qui inspire les juristes, qui va stimuler la renaissance culturelle de l’Occident. Phénomène sans précédent, l’écriture se diffuse très largement au XIIème siècle. L’écriture profite aux clercs, aux princes, et aussi aux laïcs, notamment les officiers royaux qui accompagnent la renaissance capétienne. Au sein des communautés d’habitants on trouve aussi des lettrés, et dorénavant, ils peuvent faire consigner leur liberté et franchise. La rédaction des coutumes de droit privé intervient en premier lieu dans les régions touchées par la renaissance du droit romain. On rédige ainsi des coutumes officieuses en Italie du Nord avant même le XIIème siècle, puis en Provence au XIIème siècle. Les habitants y exigent la rédaction des coutumes municipales. A partir de la Provence, le mouvement va gagner le Sud de la Provence et se propager le long de la vallée du Rhône. La rédaction est à ce point importante qu’elle finit par concerner non seulement l’Eglise, qui rédige des chartes, mais aussi les villages et les communautés rurales. La rédaction des coutumes, c’est aussi l’occasion de compléter les coutumes. Ce n’est pas simplement une codification, une simple mise en ordre d’un droit oral. A l’occasion de la rédaction, les communautés font en sorte d’ajouter à la coutume des règles de droit privé susceptibles de rendre la coutume encore plus opérante et plus utile. Ces compléments varient d’un détroit à l’autre. La rédaction se propage, mais elle ne provoque aucune uniformisation, au contraire. La rédaction rend la coutume plus certaine mais certainement pas homogène.

Les coutumes rédigées sont très diverses dans leur contenu, on y trouve du droit privé, du droit pénal, des dispositions de police, des règlements économiques. C’est un fait original dans le midi : au bout du compte, les coutumes rédigées sont tellement utilisées, que ces coutumes rédigées de façon officieuse sont finalement homologuées par l’autorité publique. Les coutumes sont homologuées par la ville, par un seigneur ou par le roi, ce dernier qui par exemple confère valeur officielle à la coutume de Toulouse de 1286. Dans le Nord, les rédactions n’obtiennent pas caractère officiel, elles restent officieuses. Mettre la coutume par écrit c’est donc une nécessité, mais ça ne résous pas le problème de l’hétérogénéité de la coutume. Mais en même temps qu’apparaissent les grands textes, apparait une doctrine. Les juristes vont alors commencer à commenter les textes, commenter la coutume et à les comparer dans le temps. Cette doctrine qui va se servir des grands textes coutumiers est une doctrine formée au droit romain. L’apport de ces doctrinaires est donc aussi un apport scientifique. Ainsi, la rédaction officieuses des coutumes des XIIème et XIIIème a contribué à sa manière sur le temps à la genèse du droit français au XVIème siècle.

 

b) Les grands textes coutumiers.

A partir de la fin du XIIème siècle, les juristes, dans certains endroits, mettent donc par écrit de façon systématique les coutumes locales. Ces juristes sont des professionnels du droit, fréquemment, ce sont les juges royaux, ou alors des officiers de justice qui gèrent pour un seigneur territorial le service de sa justice. Quoi qu’il en soit, ce qu’on appelle les coutumiers sont des recueils privés. Ces textes sont sortis des bibliothèques privées, ils ont été copiés, et tout au long du Moyen Age, ils finissent par servir tous les professionnels du droit d’un même détroit. Le plus ancien de ces ouvrages c’est le Très ancien coutumier de Normandie, rédigé dès la fin du XIIème siècle. D’autres sont rédigés à la même époque ou au XIIIème siècle, voire au XIVème siècle, le besoin de sécurité juridique ne s’arrêtant jamais. Ces coutumiers qui sont rédigés concernent des coutumes qui s’appliquent sur de vastes ressorts. Les coutumiers naissent en effet là où les titulaires du ban sont assez forts. Par exemple, le Conseil à un ami rédigé en 1250 par Pierre de Fontaines. C’était un bailli de Vermandois, c’était un homme du roi. Ainsi, il est possible de se rendre compte qu’au XIIème siècle, le roi est un homme assez puissant capable d’inspirer un coutumier. La rédaction des coutumes accompagnent donc la renouveau du roi. Il faut ensuite mentionner les coutumes de Clermont de Beauvaisis, rédigé par Philippe de Beaumanoir en 1283. C’est un véritable commentaire des coutumes de Clermont en Beauvaisis. Il ne s’agit donc plus seulement de collecter les coutumes orales, mais de les commenter.

Beaumanoir compare les coutumes du comté de Clermont avec les coutumes voisines, et surtout il confronte la coutume de Clermont avec d’autres sources de droit. C’est le droit romain que Beaumanoir utilise, qui lui sert pour apprécier, critiquer et replacer la coutume dans son contexte. Ces coutumes représentent un tournant, c’est la première fois qu’on envisage la coutume comme une source prometteuse, ou qu’on l’envisage dans son ensemble comme un vecteur capable d’encourager un jour une harmonisation du droit coutumier. A compter de la fin du XIIIème siècle, la coutume devient donc source du droit à part entière, à coté du droit romain, à coté du droit canonique. Dans le Sud, les recueils de coutume sont plutôt des chartes urbaines. Il en va ainsi des coutumes de Montpellier, riche et savant recueil rédigé vers 1204-1205. Dans le Sud plus que dans le Nord, on trouve des chartes car la coutume est restée privilège.

 

Section 2: Le privilège.

 Le terme privilège vient du latin, formé par la contraction «privata lex». Le privilège est donc la loi particulière d’une communauté en question. Cette communauté a du mériter son privilège. Une communauté peut mériter un privilège en raison de sa fonction, une communauté peut remplir une fonction qui lui accorde une dignité remarquable et le privilège est alors une sorte de récompense pour une fonction sociale essentielle qui s’accompagne d’une dignité remarquable. Une communauté peut aussi mériter son privilège en raison d’une implantation territoriale spécifique.

A) La privata lex et les corps au Moyen Age.

 La répartition des tâches au Moyen Age impose un effacement de l’individu. Dans l’Antiquité, l’individu trouvait sa place au sein de la Cité, et les anciens avaient conscience que l’individu pouvait rendre des services au collectif. Au Moyen Age, en France, la féodalité impose une logique de survie, l’individu est donc effacé. Le corps social n’est en aucune manière addition d’individualité, c’est plutôt une superposition fonctionnelle de groupes sociaux. Les ordres, les corps sont ces groupes sociaux et ce sont des références incontournables pour le pouvoir, qu’il s’agisse du roi, des seigneurs ou de l’Eglise.

1- La société fonctionnelle médiévale.

 Les sociétés antiques autrefois étaient structurés sur un mode binaire : les libres contre les non libres, le citoyen contre le pérégrin. Au Moyen Age, c’est différent. Il reste bien un clivage binaire, mais il est rapidement dépassé et est remplacé dans l’esprit des gouvernants et des intellectuels par une distinction ternaire, qui devient constitutive de la monarchie française.

a) Les ordres.

 La société féodale se caractérise par une hiérarchisation extrême. Cette hiérarchie émerge au départ pour des raisons économiques et sociales. Le premier grand clivage est celui qui oppose les clercs et les laïcs. Les clercs détiennent l’instruction qui est chez les laïcs rudimentaires ou inexistantes. La différence entre les deux est aussi bien culturelle que sociale. A cette différence culturelle s’ajoute une différence du mode d’existence : l’un est consacré à Dieu, l’autre est voué au monde. Cette distinction binaire est valable pour le Xème siècle, mais dès le XIème siècle, ce clivage clerc/laïc ne suffit plus pour concevoir le corps social. Au sein même du groupe des laïcs, on trouve deux types de personnes différentes. Les gouvernants et les intellectuels constatent aisément qu’on peut effectuer un partage entre ceux qui commandent et ceux qui travaillent, entre ceux qui exercent le pouvoir militaire et ceux qui travaillent la terre. Au XIème siècle, on envisage le corps social comme une superposition de trois groupes et cette distinction s’impose à tel point qu’elle aboutit finalement à une classification juridiques entre les individus, et on commence alors à parler d’ordre. Le mot vient du vocabulaire ecclésiastique. En droit canonique, existe la notion d’ordo clericorum qui signifie ordre des clercs. Cela signifie en droit canonique, que pour chaque clerc, correspond une fonction, une utilité.

De ce point de départ juridique, on dérive sur une expression, et l’ordo clericorum devient une représentation du monde établit sur un principe juridique. Rapidement, on classe les individus en fonction de la mission qui leur est confiée, et chacun reçoit un statut juridique qui le caractérise. Le premier a formellement exposer cette classification est l’évêque Adalbéron de Laon. Il écrit dans le premier quart du XIème siècle le Poème au roi Robert, et où il expose comment concevoir le rôle de chacun dans cette société féodale où il appartient au roi de gouverner. Il distingue ceux qui prient, les oratores, de ceux qui combattent, les bellatores, et de ceux qui travaillent, les laboratores. Cette répartition en trois ordres est fonctionnelle et s’appuie sur la tache que chacun doit remplir. Tous les ordres sont donc nécessaires, le travail commun des trois ordres assurent la stabilité du corps social. Le roi doit se placer au sommet, et son rôle, d’après Adalbéron, consiste à concilier les intérêts des prêtres et des guerriers pour préserver les droits du peuple. A chacune des fonctions correspond un droit différent. L’équilibre de l’ensemble impose une stricte répartition des taches et la mobilité sociale est pratiquement nulle. Chacun suit son droit de père en fils, il faut que chacun reste discipliné pour garantir l’unité de tous dans la foi chrétienne. Ainsi, le statut des personnes dans la France médiévale dépend de trois états sociaux différents et complémentaires. A partir du XIVème siècle, le roi de France consulte les ordres pour gouverner en temps de crise. Pour honorer ce devoir de conseil typiquement féodal, les ordres désignent des représentants distincts qui siègent en chambre séparée. C’est l’origine de l’assemblée des Etats-généraux.

b) Les Etats du royaume.

 A partir du XIIIème siècle en France, commence à apparaitre un esprit nouveau : l’esprit laïc. La théocratie pontificale que l’on doit à Grégoire VII et à ses successeurs, commence à être contestée. R2alité que l’on ignore parfois volontairement, cette contestation vient de l’intérieur de l’Eglise elle même. Au sien de l’Eglise, on trouve des ordres mendiants, les dominicains et les franciscains. Parmi ces derniers, on commence à penser autrement, on se scandalise de la richesse de certains évêques. Parmi les dominicains, la critique quitte le domaine de la morale et devient juridique. Les dominicains sont les premiers à essayer de dissocier société laïque et société religieuse, ils s’attaquent ouvertement à la théocratie. Le plus célèbre d’entre eux, c’est Thomas d’Aquin. C’est un professeur à l’université de Paris, où il exploite la pensée d’Aristote. Thomas d’Aquin, dans ses écrits, prend le contrepied de l’enseignement de Saint Augustin. L’interprétant de façon critique, il nie la nécessité de la fusion de la chaire dans la grâce. Pour lui, l’Etat ne se fonde pas dans l’Eglise, les deux ordres sont différents. Dans les matières qui concernent le bien civil, il vaut mieux obéir à la puissance séculière plutôt qu’à l’autorité spirituelle. Thomas d’Aquin nie donc ouvertement la théocratie. A la même époque, les juristes trouvent aussi dans le Corpus iuris civilis un droit naturel de l’Etat indépendant de toute ingérence religieuse. Ces positions doctrinales vont bientôt servir les intérêts de la royauté capétienne.

Le premier à se servir de ces arguments, c’est Philippe IV Le Bel. Il se sert de cet esprit laïc et des ces arguments au début du XIVème siècle pour attaquer le Pape, et plus exactement le Pape Boniface VIII. Le conflit comment pour des affaires fiscales, mais il s’envenime au tout début du XIVème siècle, puisqu’en 1301, l’évêque de Pamiers se laisse aller à quelques écarts de langage qui ne plaisent pas au roi. Le roi fait arrêter et saisir l’évêque et le fait juger par une cour royale. C’est une violation manifeste du privilège du for. Le roi en profite pour exagérer la situation, pour affirmer sa supériorité royale en toute matière, y compris ecclésiastique. Boniface VIII se sent agressé et il réaffirme à son tour sa supériorité, et projette de convoquer un concile à Rome pour juger Philippe IV. Celui-ci décide alors, et il est le premier à le tenter, de s’appuyer sur l’opinion publique. Il convoque le 16 Novembre 1302 une assemblée et fait venir sur le parvis de Notre Dame de Paris des représentants. Ces derniers sont des représentants des barons, des évêques et des représentants des villes. Le chancelier de France, Pierre Flotte, fait un discours introductif dans lequel il affirme ouvertement l’indépendance du roi vis-à-vis du Pape. C’est la première réunion de ce que l’on appellera plus tard les Etats . Au XIVème siècle, on ne parle encore que des états du royaume, appelés ainsi car les représentants convoqués représentent en trois groupes les trois états de fonction du royaume de France. Les trois ordres assemblés soutiennent le roi contre le Pape.

Dès lors, un pas décisif est franchit, la distinction en trois ordres est considérée comme fondement même de la monarchie française. Cette distinction en ordre va rester une constante de l’organisation juridique jusqu’à la Révolution. Ce qui fait que de façon durable et indispensable, la société française demeurera jusqu’à la Révolution, la société du privilège. Le système juridique se trouve donc conforté dans son pluralisme. Ce pluralisme ne concerne pas que le corps social, mais également les groupes qui se trouvent à sa base.

 

2- L’émancipation urbaine et les corps.

 Le XIème siècle est un siècle décisif. On constate une importance croissance démographique, et il faut nourrir davantage de personnes. Il faut donc étendre les terres cultivables, et commence alors une politique de vaste défrichage. Ce sont les seigneurs eux mêmes qui sont à l’origine de ces campagnes de défrichage. A partir du milieu du XIIème siècle, certains seigneurs organisent des défrichements collectifs, appelés aussi défrichements concertés, pour lesquels ils accordent des récompenses. Ces défrichements concertés aboutissement à la création de nouveaux lieux de culture. Ces nouveaux lieux d’habitation profitent de privilège, pour encourager les défrichements sur les lieux dits. L’expansion démographique n’est pas absorbée complètement par la création de ces nouvelles villes. Cette expansion est telle qu’elle provoque une exode rurale, et la population des villes anciennes augmentent. Ces populations de migrants gagnent les villes, elles se massent aussi autour des châteaux, et constituent ainsi des agglomérations nouvelles juste en dehors des murs des anciennes cités de la Gaule Franque. On parle, pour ces nouveaux foyers de peuplement, de faubourgs, car installés dans le bourg extérieur. Dans les villes nouvelles, comme dans les faubourgs, les communautés s’organisent et revendiquent des avantages juridiques. Les communautés exigent un aménagement de la seigneurie banale.

 a) Les chartes de franchises.

 Les fondateurs de villes nouvelles s’installent sur les lieux de défrichements et profitent de privilèges spéciaux. Pour encourager leur installation, le seigneur les dispense de corvées, de certaines redevances et affranchit des serfs. On a donc coutume de dire que l’air de la ville rend libre. La période XIème siècle-XIIème siècle correspond ainsi à une mutation de la seigneurie banale : on trouve la coutume de la seigneurie, mais aussi des droits particuliers, des privilèges accordés aux villes nouvelles. Le XIème siècle est aussi une période de renouveau des échanges. Le commerce avec l’Orient devient florissant, notamment grâce à l’effet économique des croisades. On assiste à une reprise de la circulation monétaire, et les marchands s’enrichissent. Dans les villes neuves et dans les faubourgs, ces marchands commencent à s’organiser. Les habitants du Bourg commencent à organiser leur défense. Ils se réunissent en association, en corps de métier, ou ghildes de commerçants. La revendication est claire : le bourgeois veulent sortir de la seigneurie banale, ils veulent un statut particulier. Ce mouvement de revendication conduit bientôt à une émancipation urbaine. Le seigneur est obligé de négocier et accorde fréquemment des chartes de franchise à ses villes. Au gré des chartes, certaines villes vont obtenir plus que des franchises, c’est à dire leur indépendance vis à vis du seigneur. Elles deviennent des entités juridiques autonomes au sein de la seigneurie. Ces villes qui s’affranchissent sont des conjurations, formées par un serment de fidélité que les bourgeois ont prêté entre eux.

 Dans le Nord de la Gaule, les conjurations forment les communes jurées, entités autonomes. La commune est dotée de la personnalité juridique, et d’institutions urbaines de gouvernement. Ceux qui gouvernent sont appelés les échevins, ils sont assemblés en collège pour faire la gestion municipale et élisent pour les représenter un maire. Les villes autonomes dans le Sud sont des consulats, et les gouvernants sont appelés des consuls. Ils sont eux aussi organisés en collège, ils sont assistés d’un collège de notable, le conseil de ville. Les communes et consulats disposent des prérogatives de puissance publique : elles frappent leur monnaie, constituent des milices pour assurer leur défense, elles sont titulaires de la justice, et revendiquent farouchement pour assurer la défense de leur coutume.

 A coté, grands nombres de villes restent sous tutelle seigneuriale, elles ne décident pas de leur gouvernement, mais disposent tout de même de chartes, qui leur accordent un statut juridique dérogatoire du droit commun. Les villes dites franchisées, n’appliquent pas la coutume de la seigneurie, mais elles disposent d’un privilège d’après la Charte. Ces villes de franchise sont placées sous la surveillance d’une représentant du seigneur, le prévôt. Pour représenter la communauté et négocier avec le prévôt, on trouve les syndics, mandataires élus qui se chargent de représenter la population auprès du seigneur. Au XIIème siècle on assiste donc à la multiplication des status urbains, qui aboutit à fragmenter encore davantage l’ordre juridique médiéval. Cet ordre est structuré sur la fonction, qui conduit à envisager le privilège de façon extrême. Si l’utilité le justifie, alors le groupe qui arrive à prouver cette utilité obtient systématiquement un privilège. La société médiévale est donc une société du groupe, c’est une société corporatiste.

 b) Les communautés de métiers.

 Les communautés médiévales sont appelées les corps. Ces communautés peuvent profiter des statuts juridiques spécifiques particulièrement avantageux. Les villes de commune et de consulat sont ainsi des corps dotées de la personnalité juridique, elles rendent la justice et se gouvernent seules grâce aux institutions urbaines. Chaque corps profite de son privilège et s’organise pour le défendre. Les officiers royaux comme les baillis s’érigent aussi en corps pour défendre les intérêts de leur fonction. Il faut enfin mentionner les communautés de métier comme corps. Ces communautés s’organisent au sein des villes, et au sein des villes, les tisserands, les orfèvres, les charrons, sont tous dotés de statuts protecteurs. Ceux qu’on appelle les corps de métier sont totalement maitre de leur profession. Ils profitent d’un monopole de production. Les maitres orfèvres réglementent par exemple la fabrication artisanale pour tout le métier. Soucieux de la qualité du produit, ces métiers suivent leur coutumes, leurs usages propres, et veillent de près à la défense de leurs intérêts. Les maitres d’un même métier sont liés par un serment, on parle alors de métier juré. Ces corps, métiers jurés ou non, sont en concurrence entre eux, mais aussi avec les associations de marchands (hanses, ghildes). Tous disposent de représentants élus qui représentent donc le métier et qui négocient avec les seigneurs. Quand la ville est une commune ou un consulat, ces représentants des métiers jurés négocient avec les représentants des institutions urbaines, maire ou consul. Parfois même, les métiers organisent même et contrôlent la procédure d’élection des échevins ou des consuls. Dans de nombreuses villes, se sont en réalité les corps de métier qui dictent aux institutions urbaines la politique municipale. L’organisation corporatiste est ainsi très significative de la société du privilège. Le privilège est donc éminemment fonctionnel, mais il peut aussi être territorial.

 

B) Privilèges territoriaux et liberté régionale.

 Souvent, la coutume, compte tenu de la diversité qui la caractérise, est privilège. Elle est protégée dans chaque détroit, défendue par ceux qui la portent, et dans chaque détroit, elle pose à la royauté la problématique de l’unité juridique du royaume. En réalité, le capétien n’a pas le choix, il est obligé de respecter les statuts juridiques traditionnels.

 1- Le royaume et la problématique de l’unité juridique.

 Au XIIème siècle, dans le royaume de France, le roi s’efforce de recomposer son autorité. Pour cela, il doit faire rentrer dans sa suzeraineté les grands vassaux du royaume de France. Le roi doit s’imposer comme le seigneur des seigneurs. Philipe Auguste (1180-1223) parvient le premier à dompter un grand seigneur. En 1204, puis en 1214, il remporte de grande victoire contre Jean Sans Terre et contre le comte de Flandre. Ses succès se sont appuyés sur le droit féodal, et ils lui permettent rattacher le royaume entier au domaine capétien. La couronne capétienne qui préfigure l’Etat se constitue peu à peu et le roi, patiemment, règne après règne, reconquiert le monde féodal. Chaque fois qu’il réunit une ancienne principauté territoriale au domaine capétien, le roi confirme les coutumes du lieu. Depuis l’an 1000, le roi est le gardien des coutumes, le gardien des droits du peuple.

 

Il doit donc continuer à garantir les coutumes, car c’est en partie en les défendant qu’il est parvenu au XIème, au XIIème siècle à revendiquer un pouvoir suzerain. Ainsi, en Normandie, en 1204, lorsque Philippe Auguste annexe le duché de Normandie, il confirme les libertés des Normands, toutes les coutumes normandes dont le Très ancien coutumier de Normandie. Il maintient aussi la Cour suprême de Normandie (cour de l’échiquier), qui pourtant, pouvait faire concurrence à sa propre cour de justice royale. Partout dans le royaume, les populations attendent le roi, pacificateur et justicier, et c’est parce que les populations l’attendent comme tel, que le roi reconquiert. Mais puisque le roi est pacificateur et justicier, il n’a pas d’autres choix que de confirmer la tradition des peuples, les coutumes et les institutions. Pour parvenir à redonner un sens au royaume, le capétien est contraint de s’appuyer sur sa stature suzeraine, sur son rôle de justicier, et pour cela, il doit sacrifier l’unité juridique.

 

2- Les statuts juridiques traditionnels.

Lorsque règne le roi Saint Louis (1226- 1270), le capétien est suzerain suprême. Il poursuit sa lutte contre les feudataires, et cette fois-ci, au coeur du XIIème siècle, il est en position de force. Ses ambitions sont des ambitions souveraines dorénavant, et le roi ne se contente plus d’être suzerain suprême. Pour nourrir de telles ambitions d’un pouvoir sans partage, le roi a besoin de moyens. Pour obtenir de l’argent, il est obligé de s’appuyer sur ses villes, sur les marchands, sur les provinces et leur privilège. En bref, il est obligé de conforter certaines institutions féodales pour finir d’abaisser la noblesse, pour finir de ruiner les derniers espoirs des grands du royaume. Compte tenu de ces ambitions royales, la diversité coutumière s’enracine durablement.

 a) Les pays d’Etats.

Partout, dans tous les pays qu’il annexe, le roi de France convoque ses vassaux dans sa cour féodale. Parfois, il les fait assembler par un bailli. Les ecclésiastiques de la province se joignent au baron, et indispensablement, la bourgeoisie urbaine rejoint les barons et les ecclésiastiques dans les discussions. Ces assemblées des trois ordres au niveau local prennent le nom d’états provinciaux et sont l’équivalent local des états du royaume, appelés plus tard les Etats généraux. Dans certains pays, ces état provinciaux existaient avant la réunion au domaine royal, comme c’est le cas en Bretagne. Après l’annexion, le roi ne fait que confirmer l’existence de ces assemblées provinciales. Dans d’autres pays, le roi met plus de temps à organiser les réunions. Les états provinciaux sont toujours réunis sur convocation du roi, notamment lorsqu’il a besoin d’argent ou pour que les ordres acceptent d’acquitter de nouveaux impôts, acceptent de payer de nouvelles «aides». En effet, l’impôt au Moyen Age n’est pas imposé, mais il est consenti. Il convoque les états pour obtenir aussi des conseils sur le gouvernement de la Province. Au XIVème siècle, les états apportent donc aide et conseil. Légitimement, ces états défendent toutes les libertés, privilèges et coutumes, héritées de l’époque féodale. Toute médaille à son revers : les états entretiennent sciemment la diversité juridique, ils sont conservateurs.

 b) La diversité coutumière au XVème siècle.

 Les limites des ressorts coutumiers se fixent dès le XIIème siècle. Naturellement, ces limites correspondent aux limites politiques des territoires dans lesquels s’exercent l’autorité publique (principauté territoriale ou simple seigneurie). Dans la zone où s’exerce les pouvoirs d’un puissant feudataires, la coutume s’applique sur un vaste détroit. C’est le cas pour la Normandie, qui ne connait qu’une seule coutume. Dans les zones plus politiquement morcelées, les coutumes sont plus nombreuses, et les détroits coutumiers sont plus exigus. Au XIIIème siècle, les droits savants fixent des catégories. Les coutumes dont le ressort est étendue sont appelées les coutumes générales. Les coutumes qui s’appliquent dans des détroits exigus sont dites coutumes particulières. Au XIIIème siècle, la diversité coutumière s’enracine au point que l’on distingue coutume générale et coutume particulière. La carte des coutumes de France est donc une véritable mosaïque. Dans le contenu même, ces coutumes divergent. Elles règlent le statut des personnes, elle règlent les successions, les dispositions qui gouvernent les rapports pécuniaires entre états.

Sur toutes ces matières, les coutumes offrent des solution différentes d’un détroit à l’autre. En droit des successions par exemple, certaines coutumes imposent le droit d’ainesse, alors que d’autres imposent un partage égal de la succession. D’autres encore imposent un partage inégal, qui avantage les mâles. Au XVème siècle, le droit privé de la France est un droit multiple, fragmenté. Dans certaines de ses dispositions, il dépend des droits savants : droit romain pour le droit des obligations, le droit canonique pour le droit matrimonial et la filiation, et la coutume pour toutes les autres matières. Au XVIème siècle, commence le temps des «conférences» de coutume. Les juristes commencent en effet à faire des comparaisons, pour faire l’inventaire des similitudes et des points de divergence. Les juristes préparent ainsi une oeuvre séculaire : la codification, qui s’achève en 1804, et qui jamais n’aurait pu aboutir dans l’empire du roi.

 

Conclusion générale : L’empire du roi

A partir de la seconde moitié du XIème siècle, la réforme grégorienne opère un immense brassage de textes. La réforme fournit ainsi des arguments précieux à ceux qui cherchent une justification pour le pouvoir royal. Au XIème siècle, le redressement politique de la papauté fournit un modèle que vont suivre des partisans du redressement politique du roi. C’est précisément à la fin du XIème siècle, vers 1077, que le roi Philippe Ier commence à chercher les moyens d’étendre son autorité à tout le royaume. En cette fin de XIème siècle, dans les actes royaux, les allusions à la loi du roi commencent à se multiplier. Mais il ne s’agit encore que d’allusions, et Philippe Ier n’est pas en mesure de légiférer. Son fils, Louis VI monte sur le trône en 1108 et il commence à accélérer cette tendance au renouveau législatif. En 1111, il octroie aux serfs de l’abbaye de Saint Denis le privilège de poursuivre en justice des hommes libres. Louis VI ajoute dans son acte qu’il étend cette possibilité «à toutes les limites de notre royaume». Le terrain est donc préparé pour le grand tournant que représente le règne de son fils, Louis VII. Ce dernier accède au trône en 1137, et s’entoure de juristes. Ses conseillers proches sont formés au droit romain, et ces juristes royaux connaissent précisément l’étendue du pouvoir législatif de l’empereur romain, d’après les textes de Justinien. Les juristes royaux proposent au roi d’imiter la production normative des empereurs romains.

 

En 1144, le roi légifère pour la première fois pour tout le royaume. Cette ordonnance concerne le sort des juifs relaps. En 1155, Louis VII prend une nouvelle ordonnance qui institue sur l’ensemble du royaume une paix publique pendant dix ans. Sous le règne de Philippe Auguste, son fils, ces interventions législatives à portée générale vont se multiplier. Des initiatives sont grandement favorisées par les préparatifs de la troisième croisade. A la fin de son règne, dans les environs des années 1220, Philippe Auguste intervient même par ordonnance en matière de droit privé. Il décide ainsi en 1214 pour tout le royaume, que la femme mariée profitera à la mort de son mari, de la moitié de ses biens. En droit coutumier, on appelle ça le douaire. Cette évolution se poursuit au XIIIème siècle, mais Saint Louis ne peut légiférer en dehors du domaine capétien de manière systématique et utile. Les légistes de Philippe le Bel franchissent un pas décisif. Ils puisent aux sources du droit romain et assimilent le roi de France au princeps du droit romain classique. Tous les légistes reprennent la maxime d’Ulpien «Ce qui plait au prince à force de loi». Ainsi assimilé au princeps au pouvoir normatif et «empereur en son royaume», le roi retrouve alors son pouvoir normatif. Seulement, le roi de France ne va pas l’utiliser tout de suite, et le roi de France n’attaque l’empire de la coutume qu’en 1454. Le roi tarde tant car il doit avant cela de se débarrasser de l’Anglais. une fois achevée la guerre de cent ans, Charles VII donne l’ordonnance de Montilz les Tours.

 

Après cette ordonnance, commence la rédaction officielle des coutumes. Un tel travail prend un temps considérable, et il faut ajuster deux fois la procédure pour que la rédaction des coutumes commencent à porter ses fruits. Charles VIII et Louis XII ajustent deux fois la procédure de rédaction et choisissent d’impliquer les représentants des trois ordres de chaque détroit coutumier dans l’oeuvre de codification. En faisant cela, la royauté emporte l’adhésion, et la rédaction commence véritablement après le règne de Louis XII. Coutumes générales et coutumes particulières sont progressivement homologuées par les gens du roi au sein du Parlement de Paris. Au XVIème siècle, à la suite des guerres de religion, les théoriciens de l’absolutisme comme Jean Bodin définissent la souveraineté du roi à partir de son pouvoir législatif. Le roi féodal disparait, et le roi souveraine n’est plus roi justicier mais roi législateur. L’absolutisme est affirmé en 1661 quand commence le gouvernement personnel de Louis XIV. A cette date, les «lois» du roi se précisent. Le roi légifère par voie d’ordonnances, d’édits, de déclarations. La procédure législative est tout entière aux mains du roi souverain, mais la production législative s’accompagne de multiples contrôles, qui assurent la qualité des lois du roi. La vérification des lois est effectuée en chancellerie, mais aussi en cours souveraines (Parlement d’Ancien régime).

 

Les juristes, confortés par l’absolutisme royal, réfléchissent aux moyens qui pourraient permettre de réduire la diversité juridique du royaume de France. Durant le Grand Siècle, il faut une foi, une loi, un roi. Le plus illustre de ces juristes est Henri François d’Aguesseau, chancelier de 1717 à 1750. Il travaille pendant tout ce temps à l’élaboration d’un droit civil commun pour tout le royaume. Il est le précurseur du Code civil, et il propose à Louis XV de donner trois grandes ordonnances codification destinées à harmoniser le droit privé coutumier. L’ordonnance sur les donations date de Février 1731, celle sur les testaments date d’Aout 1735, celle sur les substitutions date de 1737. D’Aguesseau a ainsi entrepris de lutter contre la diversité coutumière, a entrepris une oeuvre juridique qui a préparé le travail des rédacteurs du Code civil. Des juristes français comme Domat (1625-1696) ou Pothier (1699-1772) ont accompagné l’effort de D’aguesseau. Ils réfléchissent à la systématisation du droit, et s’efforcent d’extraire de la jurisprudence romaine des principes élémentaires, qui une fois ordonnés, seront en mesure d’éclairer le droit français. Avec le XVIIIème siècle,le droit romain quitte les écoles et les prétoires et vient servir utilement le artisans de la codification.

 

Au XVIIIème siècle, tous les éléments sont réunis pour sortir enfin du pluralisme juridique, héritage des temps féodaux. La réaction conservatrice qui commence en 1750 interrompt brutalement le processus de codification. Il faut la révolution et l’empire pour que s’achève enfin le processus séculaire. Cet achèvement révolutionnaire et impérial ne doit pas faire oublier la richesse intrinsèque du droit français coutumier, romain, canonique et royal.

 

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