Histoire du conflit de lois en droit international

HISTOIRE DU CONFLIT DE LOIS EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE

Le DIP est un droit conceptuel, méthodique et méthodologique. Cette méthode s’est élaborée au fils des années. Elle est partie de problèmes pratiques, on est alors passé de la pratique à la théorie pour redescendre à la pratique.

            L’élément de rattachement est l’élément du rapport juridique qui est retenu par la règle de conflits pour désigner la loi applicable ou la juridiction compétente à ce rapport juridique.

            En matière de délit par exemple, l’élément est le lieu de l’accident.

En schématisant un peu, on peut distinguer dans l’histoire du DIP trois grandes périodes : la période pré-doctrinale, la période doctrinale et la période contemporaine

A. La période pré-doctrinale

 A cette époque, il n’y avait pas de grands auteurs mais des problèmes se posaient déjà.

1.  L’Antiquité

C’était une période très peu propice aux problèmes de DIP car il y avait un gros problème qui

était celui de la condition des étrangers. Si on ne reconnait pas de droits aux étrangers, il n’y a pas de problèmes de DIP.

            Or, pendant l’Antiquité, l’étranger n’est pas un sujet de lois et ne bénéficie d’aucune protection. Il y avait toutefois des exceptions. En effet, pour certaines raisons économiques et politiques, on va prendre des accords entres cités pour accorder aux citoyens d’une cité des droits à peu près équivalents aux citoyens de la propre cité. On va d’abord instaurer un système de patronage, l’étranger est placé sous la protection d’un individu citoyen de la cité. Le juge continuera à appliquer la loi de sa cité. Parfois, deux cités vont passer des traités d’isopolitique. Grâce à ces traités, est reconnu le droit pour un individu d’une cité de jouir dans l’autre cité de tout ou partie des droits reconnus dans cette cité.

Ceci étant, les choses vont un peu évoluée en raison de l’expansion territoriale des empires. Quand un empire s’octroyait un nouveau territoire, il ne pouvait appliquer directement sa propre loi. Des litiges survenaient donc. Il était inconcevable pour un juge d’appliquer autre chose que sa propre loi, tout va donc se jouer au niveau de la compétence juridictionnelle. Ainsi, dans chaque province conquise, pour un conflit entre pérégrins, on va avoir des juridictions locales qui appliquent la loi locale. Dans la même cité, s’il y a des litiges entre romains ou entre romains et pérégrins, on va devant la juridiction du gouverneur qui applique un droit spécial, mélange entre le droit romain et les coutumes locales. A Rome, on avait un peu le pendant, il y avait un juge particulier créé pour les litiges entre romains et pérégrins ou entre pérégrins, c’est le préteur pérégrin. Ce dernier n’applique pas toujours le même droit, il applique un droit spécial, l’édit du préteur pérégrin. Les choses vont un peu changer car petit à petit les pérégrins vont acquérir la citoyenneté romaine.

2.  Le haut Moyen-âge

Les invasions barbares posent à nouveau la question de la condition de l’étranger qui est

dénué de droits.

            Les envahisseurs ne peuvent pas soumettre tout le monde à leurs lois, il va donc être adopté un système appelé système de la personnalité des lois. Les nations barbares adoptent ce système car ce sont des peuples nomades, leurs lois doivent donc les suivre. Quand ils envahissent un territoire, ils veulent apporter leurs lois mais veulent bien que les peuples conservent leurs lois. Ainsi, lorsque plusieurs peuples cohabitent sur un même territoire, plusieurs lois vont ainsi s’appliquer.

            Parfois, des relations pouvaient se nouer entre ces différents individus. On a alors commencé à penser qu’un juge peut appliquer plusieurs lois sur un même territoire. On appliquait distributivement les lois de chacun. Les juges faisaient ensuite prévaloir la loi des conquérants sur le territoire.  

            Les choses vont progressivement changer car les populations vont se mélanger. Le système de personnalité des lois va être progressivement remplacé par un système de territorialité des lois.

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B. La période doctrinale

Elle débute avec l’apparition de la théorie des statuts, élaborée par la doctrine et par des auteurs italiens d’abord. A cette époque, il y a eu une renaissance en Italie des études de droit romain dans les universités. Cette théorie qui s’est imposée dans le droit italien va se propager petit à petit ; elle va aller dans le reste de l’Europe. Ces échanges vont se révéler fructueux puisque la théorie des statuts va évoluer en se confrontant aux opinions étrangères. Il y a trois stades d’évolution de la théorie.

1.  La théorie italienne

Tout a démarré à l’université de Bologne. Les universitaires vont s’intéresser à deux types de conflits. D’abord, le conflit entre le droit romain et le droit propre à chaque cité. Puis ils vont s’intéresser aux conflits entre le droit de deux cités, donc entre des statuts différents. Pour résoudre ces problèmes, ils vont partir de la méthode de la glose des textes romains. C’est la phase des glossateurs et des post glossateurs. Ils vont élaborer les solutions, à partir de ces textes, permettant de répondre à des questions pratiques. Ils vont partir du principe que ça doit être un droit commun à l’ensemble des cités et supérieur qui peut obliger les juges d’une cité à appliquer les statuts d’une autre cité et à quelles conditions. Or le droit commun et supérieur est le droit romain. C’est dans les textes de droit romain qu’on va aller chercher les solutions. Mais comment trouver des solutions de droit international privé dans le droit romain ? C’est là qu’intervient la glose.

            Accurse s’est particulièrement intéressé à la 1ère constitution de Justinien qui débutait par la formule suivante : « nous voulons que tous les peuples qui sont soumis à l’empire de notre clémence (…) ». Accurse en déduit qu’un statut ne lie que les sujets de la cité. Chaque cité doit vouloir imposer la loi à ses sujets mais pas aux autres. Accurse donne un exemple : un bolognais de passage à Modène et qui fait un testament à Modène → son testament doit-il être soumis au statut de Modène ou au statut de Bologne ? Réponse d’Accurse : si un habitant de Bologne se rend à Modène, il ne doit pas être régi par les lois de Modène auxquelles il n’est pas soumis. Il doit être soumis au statut de Bologne. Bien sûr, c’est un peu trop général et schématique pour résoudre l’ensemble des situations.

Progressivement, les glossateurs vont affiner les choses mais toujours en partant de questions très pratiques. Ils vont analyser le statut en cause et, en glosant, ils vont en déterminer le champ d’application en fonction de sa nature. Même si tout ça est très pragmatique, on va pouvoir dégager quelques grandes tendances chez les glossateurs. Tous les statuts relatifs à la procédure s’appliquent sur le territoire (ancêtre de la lex fori). En revanche, pour les statuts relatifs au fond, la loi locale s’applique. Idée qu’un juge ne doit pas nécessairement appliquer sa loi. La loi locale, ça veut dire quoi ? On a commencé à distinguer les statuts réels (concernant les choses), s’appliquant sur le territoire, et les statuts personnels (concernant les personnes), s’appliquant aux personnes. On commence aussi à dégager des statuts sur les contrats (commerce) et sur les délits (responsabilité civile). On élabore donc des catégories de rattachement pour lesquelles on trouve des critères d’application (ancêtres de nos critères de rattachement).

            Deux auteurs italiens vont entamer un travail de synthèse de toutes ces découvertes : Bartole et Balde. Ils vont opposer deux catégories de statuts : il y a les statuts qui disposent relativement aux personnes et les statuts qui disposent relativement aux choses. Les 1ers ne s’adressent qu’aux individus mais ils s’adressent à eux où qu’ils se trouvent. Ils sont donc d’application extra territoriale. Les 2nds sont territoriaux parce qu’ils ne s’appliquent qu’aux choses situées sur le territoire. Les mêmes auteurs, puisqu’ils admettent qu’un juge va pouvoir appliquer des statuts différents du sien, vont distinguer les statuts étrangers favorables qu’un juge peut appliquer et les statuts étrangers odieux que le juge n’appliquera pas. C’est Bartole qui a émis cette distinction ; chez lui, « odieux » = prohibitif. Mais ses successeurs l’ont interprété comme « inique » [choquant] (ancêtre conceptualisé de l’exception d’ordre public). Il y a encore quelques statuts résiduels (relatifs à la solennité des actes et aux contrats notamment, s’appliquant au lieu de conclusion du contrat).

2.  La théorie française des statuts (16ème -18ème siècles)

Les italiens ont beaucoup influencé la doctrine française. Au 16ème siècle, deux auteurs

français vont fortement œuvrer pour la théorie des statuts en France alors même qu’ils sont très opposés, ce sont Dumoulin et D’Argentré.

Dumoulin (1500-1566) était avocat au Parlement de Paris, il apporte à la théorie des statuts

une innovation fondamentale, il va dire qu’il existe des statuts dont l’application dépend de la volonté des parties. Il a été consulté par des époux en 1525. Ces époux De Ganay s’étaient mariés à Paris et possédaient des immeubles à Paris et en Bourgogne. La coutume de Paris s’appliquait et le droit romain s’appliquait lui en Bourgogne. On considérait que le problème de régime matrimonial s’appliquait selon le territoire. Les immeubles situés à Paris étaient communs alors que ceux situés en Bourgogne étaient séparés. Dumoulin dit que le régime matrimonial doit être analysé comme un contrat tacite entre les époux, il faut donc admettre que les époux peuvent choisir le statut qui leur convient le mieux. En se mariant sans faire de contrat écrit, les époux De Ganay ont tacitement choisi la loi de leur premier domicile conjugal, c’est-à-dire à Paris. Leur régime matrimonial est donc soumis à la coutume de Paris, ils sont communs en biens pour tous leurs immeubles. Le parlement de Paris est saisi et donne raison à Dumoulin.

            Plus tard, la Cour de cassation va reprendre cette solution et l’étendre au-delà du régime matrimonial à tous les contrats.

            D’Argentré (1519-1590)  va apporter une contribution très différente, il va simplifier la théorie des statuts à l’extrême. Il était président du Présidant du tribunal de Rennes. Son souci va être de maintenir le plus possible l’application des coutumes de Bretagne sur le territoire breton. Il va construire une doctrine des statuts totalement orientée par ce souci. Il va reprendre la distinction entre statuts réels et statuts personnels et supprime toutes les autres catégories. Il dit qu’il y a les coutumes sont soient réelles, soit personnelles dans la mesure où elles concernent soit des biens, soit des personnes. Si une coutume est réelle, elle s’applique à tous les biens situés sur le territoire, quels que soit l’origine et le domicile des parties. Si une coutume est personnelle, elle suit la personne même hors de son domicile donc elle est extra territoriale. Les deux coutumes ne sont pas mises au même plan. D’Argentré pose le principe de la réalité des coutumes. Toutes les coutumes sont a priori réelles. Il va dire que sont personnelles, uniquement les coutumes qui concernent principalement le droit, la condition et la qualité des personnes, abstraction faite de tout élément réel. Ex : un statut défendait à une femme de léguer ses immeubles à son mari. Ca concerne des immeubles ; il y a un élément réel donc c’est réel. Ainsi, en tant que magistrat breton, il pourra appliquer la coutume bretonne le plus souvent possible.

Sa doctrine va avoir un grand succès parce qu’elle va beaucoup séduire par sa simplicité. Elle est facile d’application et elle incite le juge à appliquer sa loi. Pour autant, elle n’était pas sans inconvénients (trop simpliste). Ex : où rattacher les délits, les contrats ? Surtout, le problème est que chacun étant incité à appliquer sa loi, les solutions vont varier en fonction du juge saisi pour tout ce qui est statut mixte. L’objectif d’harmonie des solutions n’est pas atteint.

La théorie hollandaise

Elle va s’inspirer D’Argentré, elle est en même temps plus rustre et plus subtil.

Au 17ème siècle, en Hollande, il y a des villes indépendantes qui se développent, elles

commercent beaucoup, notamment par le biais de grandes foires.

            D’un point de vue politique, la Hollande est animée d’un fort sentiment national car elle vient d’acquérir son indépendance vis-à-vis de l’Espagne. Il n’y a pas de cohésion interne très forte. Il faut donc trouver une justification à la cohésion.

            Les auteurs vont développer ce fondement théorique sur l’idée de souveraineté des Etats. Cela va avoir un impact en DIP car les auteurs hollandais vont exacerber les idées D’Argentré et accentuer son territorialisme. Ils vont dire que tous les statuts sont, par nature, d’application territoriale. Un Etat ne peut imposer sa loi que sur son territoire, c’est une question de souveraineté. Un Etat a le droit d’imposer ses statuts à tous sur son territoire.

            A l’inverse, la Hollande n’est pas obligée de tenir compte des normes élaborées par un Etat étranger.

            Pour eux, seule la loi hollandaise est obligatoire mais l’Etat peut aussi appliquer une loi étrangère s’il le veut, pour des raisons d’opportunité ou de courtoisie internationale. La condition est que le juge étranger soit prêt à appliquer un statut hollandais.

            Cette idée va être développée par Huber, il dit qu’il y a une sorte d’obligation naturelle d’un Etat de respecter les droits acquis à l’étranger. D’un autre côté, l’Etat peut avoir un intérêt à respecter ces droits valablement acquis.

            Les auteurs hollandais vont alors suggérer aux juges les cas dans lesquels il est opportun d’appliquer la loi étrangère.

            En France, cette théorie a eu peu d’impact car elle s’est développée à une époque où une autre théorie s’est développée. En revanche, elle a eu un énorme succès en Angleterre et aux USA. Le premier grand traité, élaboré par Story en 1834, reprend la théorie hollandaise des statuts. Dicey, en Grande Bretagne, aura sensiblement la même influence.

C. La période contemporaine

On en marque l’apparition au 19ème siècle.

Cette période est marquée par la création des Etats modernes et l’homogénéisation de ces

Etats.  Le droit romain perd donc de son influence.

            Sur le plan économique, on assiste à la révolution industrielle et à de véritables échanges internationaux. Une troisième dimension s’ajoute, c’est le phénomène de colonisation, et donc l’apparition de nouveaux problèmes.

Face à ces différents phénomènes, la doctrine va réagir de façon très diverse. Les courants de pensée vont s’opposer sur de nombreux points.

1ère question qu’on s’est posé : est-ce que les solutions en matière de conflits de lois doivent être universelles ou sont-elles propres à chaque Etat ? C’est l’opposition entre les universalistes et les particularistes.

            2ème question : ces solutions de droit international privé doivent-elles être guidées par un esprit nationaliste (on privilégie la loi du fort) ou par un esprit internationaliste (toutes les lois sont sur un pied d’égalité) ?

            3ème question : faut-il des solutions territorialistes (privilégier l’application des lois sur le territoire) ou personnalistes (privilégier l’application des lois aux individus) ?

            4ème question : plus généralement, la matière du conflit de lois est-elle un problème de conflit de souverainetés ou est-ce un conflit d’intérêts privés entre les parties au litige ?

            On va pouvoir répertorier les grands courants de pensée à partir de ces 4 oppositions.

 

1.  Le conflit de lois : conflit de souverainetés ou conflit d’intérêts privés ?

            Jusqu’au milieu du XIXème siècle, tout le monde (loi, juges, doctrine) considérait que le droit international privé était une question de conflit de souverainetés entre Etats. La soumission des personnes aux lois et aux tribunaux d’un Etat est la marque du pouvoir souverain de cet Etat. Chaque Etat exerce son pouvoir en imposant ses lois et ses juges ; dans les conflits internationaux, chaque Etat revendique son pouvoir, d’où un conflit entre plusieurs Etats. Cette conception est restée dominante pendant tout le XIXe siècle et une grande partie du XXe siècle. Les auteurs vont ensuite se séparer sur le reste. Tous sont d’accord sur ce point, sauf un : Savigny.

            Savigny était un grand romaniste allemand et il a écrit un Traité de droit romain qu’il n’a jamais eu le temps de finir. Un des tomes, paru en 1849, était consacré au domaine d’application de la loi dans l’espace et dans le temps. Il entame une véritable révolution copernicienne en prenant le problème par l’autre bout. Son idée : le conflit de lois n’est pas un conflit de souverainetés entre Etats tout simplement parce que la non application de sa loi à un rapport juridique ne porte pas atteinte à la souveraineté de l’Etat, dès lors que le législateur n’a en principe ni la volonté ni un intérêt particulier à ce que sa loi s’applique à ce rapport de droit. La plupart du temps, l’Etat n’est pas directement intéressé au litige. C’est vrai que généralement, l’Etat veut que sa loi s’applique aux rapports internes entre les individus pour assurer la cohésion du droit sur son territoire. Mais ces impératifs ne jouent plus dès lors qu’on est en matière internationale. Contrairement aux rapports internes, les rapports internationaux ne se rattachent pas complètement à un Etat. De plus, ils sont beaucoup moins nombreux que les rapports internes. Il en déduit que l’application par le juge d’une loi étrangère à quelques rapport internationaux ne va pas remettre en cause l’autorité de la loi en droit interne puisque la loi étrangère ne sera appliquée qu’à des rapports internationaux.

            Bien sûr, il appartient à chaque Etat de dire quand sa loi pourra être écartée au profit d’une loi étrangère ou quand un jugement étranger pourra avoir des effets sur son territoire. Dans sa décision, le législateur ne doit pas se préoccuper d’un éventuel conflit avec les autres Etats, il doit surtout rechercher la solution commandée par la satisfaction des intérêts privés des parties au litige. A partir de cette idée, Savigny va proposer un système de règles de conflits de lois dont l’idée générale est la suivante : l’application d’une loi ne revient pas à donner satisfaction à l’auteur de cette loi. La vraie question, l’objectif est de s’interroger sur le rapport juridique en cause et de lui donner la solution qui lui convient le mieux. Contrairement à la conception où on part des lois pour en délimiter le champ d’application, on part du rapport juridique, on l’analyse (il crée des catégories de rapports juridiques) et on va en déduire la loi qui lui convient le mieux. Donc le choix de la loi va dépendre de la nature du rapport juridique en cause et non pas de la volonté de l’auteur de la loi. On passe à une conception complètement privatiste du droit international privé.

            Pour opérer le rattachement du rapport juridique à une loi, on prend en compte les intérêts privés et « les légitimes prévisions des parties ». Si les parties y avaient pensé, à quelle loi se seraient-elles attendues ? Imaginons deux époux de même nationalité qui se marient : ils doivent s’attendre à ce que les conditions de leur mariage soient régies par leur loi nationale commune. Dans le même temps, on va ménager les intérêts des Etats. Puisqu’on va appliquer la loi du siège du rapport (loi prépondérante), on ne va porter atteinte à l’autorité d’aucune des lois en présence. En réalité, les Etats dont la loi ne s’appliquent pas avaient un lien moins fort avec le rapport juridique ; de plus, plus c’est distendu et moins l’Etat a la volonté de voir sa loi appliquée.

 

            Savigny va catégoriser les rapports juridiques. Toute situation juridique a vocation à entrer dans une catégorie. A cette catégorie on va affecter un rattachement, c’est-à-dire la loi qui lui convient le mieux. De ce fait, il va élaborer une méthode générale de conflit de lois, abstraite mais générale (on aura toujours une loi compétente puisqu’on envisage toutes les situations juridiques). C’est finalement la méthode qui a réussi à s’imposer et qui est encore à l’heure actuelle la méthode dominante en droit international privé.

            Savigny mettait un bémol à sa théorie : c’est vrai que parfois, un Etat peut avoir un intérêt particulier à ce que l’une de ses lois s’applique à des rapports juridiques que la règle de conflit de lois ne lui soumet pas. Dans ce cas là, il pourrait y avoir une remise en cause exceptionnelle de sa méthode. Il envisageait l’ancêtre des lois de police, qui s’imposent même si elles ne sont pas désignées par la règle de conflit de lois.

2.  Universalisme contre particularisme

            Pendant le XIXe siècle, tout le monde (ou presque) est universaliste et idéaliste. C’est l’influence des lumières. Dans cette perspective, on pense que le règlement des problèmes de conflit de lois doit être uniforme dans tous les pays, comme le problème se pose de la même manière partout. On doit avoir des solutions universelles qui valent pour tous. Tous les Etats doivent avoir les mêmes règles de conflit. Les divergences commencent sur la nature et la force de ce modèle commun. Savigny va chercher la nature de son modèle commun dans les rapports entre individus ; pour lui, c’est la « communauté de droit entre différents peuples, tous héritiers du droit romain et du christianisme » qui justifie l’uniformité. Les pays de l’Europe ont tous le même droit à l’origine. Donc c’est normal que le droit international privé réponde à un modèle commun. En plus, il ajoute que le droit international privé est une science et doit donc, comme toute science, porter la marque d’un certain universalisme. Savigny voit un intérêt dans cette uniformité : quel que soit le juge saisi, la solution donnée au rapport de droit sera toujours la même. C’est l’harmonie des solutions, qui est un des objectifs premiers du droit international privé. Il faut aussi justifier le caractère contraignant du modèle pour les juges. Pour lui, il y aurait un accord amiable entre Etats souverains pour l’application de ce modèle commun. C’était un peu léger pour conduire à une véritable force contraignante du modèle ; c’était plus un conseil, une recommandation.

 

            D’autres auteurs vont être dans une position beaucoup plus favorable pour justifier la force contraignante du modèle : ils envisagent le conflit de lois comme un conflit de souverainetés. L’obligation pour l’Etat de se conformer au même modèle que les autres résulte de cette analyse. Chaque Etat est souverain mais doit respecter la souveraineté des autres. Le contenu de cette obligation de respecter les souverainetés doit être le même pour tous. Les règles de conflits de lois doivent donc être les mêmes pour tous les Etats.

            Deux auteurs sont importants : Mancini et Pillet. Mancini, universitaire et homme politique italien de la 2ème moitié du 19ème siècle. Selon lui, un Etat souverain manquerait aux lois internationales (droit international public) s’il refusait l’application sur son territoire des lois étrangères et s’il soumettait les rapports juridiques, qui, par leur nature, dépendent de ces lois étrangères, à l’action incompétente de la loi territoriale. C’est le droit international public qui définit la loi applicable aux relations internationales. Mais Mancini voit bien que sa théorie n’est pas le droit positif ; les Etats ne suivent pas un modèle commun. Mancini va donc militer pour l’adoption de règles communes par le biais de traités internationaux posant des règles communes de conflits de lois. Il sera partiellement entendu et sera à l’origine de la première réunion de la conférence de La Haye en 1893.

            En France, Pillet, professeur à la faculté de droit de Paris, considérait aussi que le droit international privé est un conflit de souverainetés donc de droit international public. Lui aussi est universaliste et va partir de la loi. Pour lui, toute loi a toujours deux caractères : toute loi se veut à la fois générale (suit les sujets sur tout le territoire français) et permanente (→ elle veut suivre ses sujets dans leurs déplacements). Donc nécessairement, dès que quelqu’un se déplace, il y a conflit de souverainetés, chaque loi voulant s’appliquer (l’une du fait de sa permanence, l’autre du fait de sa généralité). Il applique la méthode du moindre sacrifice : il faut en sacrifier une des deux, c’est-à-dire donner la préférence à la loi de l’Etat qui a le plus grand intérêt à ce que le but poursuivi par la loi en question soit atteint. Pour chaque matière, il faudra déterminer ce qui est le plus important en fonction du but social des règles : généralité de la règle (application sur l’ensemble du territoire) ou permanence (elle suit les individus) ? Il va distinguer les lois qui ont pour but la protection des individus (elles doivent être permanentes et s’appliquer au-delà des frontières) et les lois qui ont principalement pour but de garantir l’ordre public et la paix sociale (elles doivent être d’application générale et s’appliquer à l’ensemble du territoire).

 

            On va constater que la plupart des Etats vont chacun de leur côté développer leur droit international privé. Mais à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, on va assister à une réaction particulariste dans la doctrine à l’encontre des théories universalistes. Anzilotti, Kahn et Bartin. Ces auteurs sont toujours dans la même idée : le conflit de lois est un conflit de souverainetés. Cependant, chaque Etat fait ce qu’il veut et adopte son propre système de conflit de lois. Ils constatent ce particularisme et vont chercher à le justifier. Pour eux, il existe un lien nécessaire entre les solutions du droit interne de chaque Etat et les règles de conflit de lois de cet Etat. Idée : chaque Etat a son droit interne. Quand on s’intéresse à l’application de la loi en matière internationale, c’est nécessairement en fonction de la conception qu’on en a en droit interne. On projette notre conception interne. Chaque Etat va poser des règles de conflit de lois propres parce que ces règles sont intimement liées à la manière dont il envisage ces règles en droit interne.

 

            Cette thèse est réaliste mais reste critiquable car elle cherche à attiser les divergences plutôt qu’à les combattre. Or ce n’est pas très bon pour l’harmonie des solutions. Néanmoins, elle a beaucoup influencé la doctrine française au XXe siècle, et notamment Lerebours-Pigeonnière et Batiffol. Ils sont aussi réalistes et constatent que le droit international privé est essentiellement de source nationale. Mais ça ne les satisfait pas. Il faudrait essayer de coordonner les différents systèmes, de procéder à des rapprochements. Mais pour cela, ils ne vont pas d’abord privilégier la voie des traités. Ils vont dire que les rapprochements peuvent se faire de façon unilatérale par chaque Etat par l’étude du droit comparé. Quand l’Etat adopte des solutions de droit international privé, il doit regarder ce que font les autres.

            En second lieu, il faut aussi éventuellement adopter des conventions internationales. Mais si elles sont trop générales, ça ne marchera pas. Ils vont plutôt militer pour l’adoption de conventions très précises sur un objet très particulier. En étant modestes dans les objectifs, on pourra peut-être recueillir l’accord d’un plus grand nombre d’Etats.

3.  Nationalisme contre internationalisme

            Cette opposition recoupe partiellement la précédente. Les particularistes sont généralement nationalistes et les universalistes ont plutôt tendance à être internationalistes. Etre nationaliste en droit international privé signifie qu’on attache plus d’importance à l’intérêt national qu’à une vision idéalisée où tous les Etats seraient traités sur un pied d’égalité (même par le juge saisi). L’intérêt national doit être privilégié (application de la loi du for par le juge, droit pour un Français de se voir juger par un juge français, quelle que soit la situation ; privilège de juridiction). Primauté de l’ordre interne sur l’ordre international. Cette tendance nationaliste apparaît généralement après des périodes de guerre. Fort nationalisme en France après les deux guerres mondiales.

            A l’inverse, les internationalistes considèrent que tous les Etats sont égaux. Il ne faut pas privilégier l’intérêt national au détriment des intérêts des autres Etats.

        

4.  Personnalisme et territorialisme

            Être personnaliste = donner un rôle prépondérant à la loi personnelle des individus, c’est-à-dire à leur loi nationale. Cela revient à favoriser, comme critère de rattachement, la nationalité.

            Etre territorialiste = vouloir donner la primauté aux rattachements territoriaux (ex : lieu de situation des biens, de réalisation d’un acte ou fait juridique…). On va restreindre le domaine des lois personnelles (on les admet mais elles sont plus rares). La loi personnelle est, dans cette conception, la loi du domicile (et non la loi nationale). L’idée qui se cache derrière le territorialisme et une volonté d’appliquer le plus souvent possible la loi du for (loi du juge saisi). Parce que généralement, quand on a à juger du régime d’un bien, on saisit le juge du lieu où se situe le bien. On constate que quand un juge est amené à appliquer une loi étrangère, c’est souvent au titre de la loi nationale (parce que c’est la loi nationale des individus). Le territorialisme est souvent lié à un certain nationalisme.

 

            Le personnalisme marque la volonté de respecter pour chaque Etat la souveraineté des autres Etats. Souvent, les personnalistes sont universalistes et internationalistes. Le meilleur exemple : Mancini. Pour lui, la nationalité est le fondement du droit des gens. Elle se caractérise par une origine. Chaque nation se définit par une communauté de caractères mais à laquelle la législation de chaque nation est adaptée. C’est bien l’idée de la nationalité commune qui fonde la structure de la loi en cause.

            Il en tire la conséquence que le droit civil est personnel et national. Il doit accompagner l’individu même en dehors de sa patrie. A l’opposé, un individu qui est en dehors de sa patrie doit pouvoir demander à l’Etat étranger, au nom de ce principe de nationalité, la reconnaissance de son droit privé national.

            Mancini fait une réserve à cette obligation pour l’Etat étranger de respecter le droit national de l’individu qui vient sur son territoire : s’agissant des lois pénales et des lois d’ordre public, un Etat peut les imposer aux étrangers sur son territoire parce qu’il s’agit là d’assurer la défense sa souveraineté et de son ordre public. Ça recouvre les lois pénales, le droit public, les lois sur la publicité foncière, la responsabilité civile.

            Cette théorie personnaliste a eu beaucoup de succès chez les législateurs et les codificateurs. C’est aussi une idée qui a eu beaucoup de succès dans le cadre des 1ères conférences de La Haye. Les 1ères conventions adoptées étaient principalement fondées sur l’idée de la nationalité.

            En revanche, aujourd’hui, le personnalisme n’a plus le vent en poupe. Au XXe siècle, phénomène de mouvements migratoires importants. Des individus venant de différents Etats qui s’installent sur un Etat, si on continue à les soumettre à leur loi nationale, ça ne favorise pas la cohésion sociale sur le territoire ni l’intégration de ces individus à la communauté nationale. Donc on va avoir plutôt tendance à privilégier le domicile ou la résidence habituelle.

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