Histoire du droit administratif

HISTOIRE DU DROIT ADMINISTRATIF

On peut voir en l’arrêt Blanco la date de naissance du droit administratif par le tribunal des conflits le 8 février 1873. Toutefois c’est excessif de dire que c’est la date de naissance. Néanmoins, l’arrêt est fondamental car il consacre l’inapplication des principes des règles de droit privé à l’administration. En ce sens, cet arrêt consacre l’autonomie du droit administratif.

Les racines du droit administratif sont même antérieures à la révolution Française. Le droit administratif trouve ses origines dans les règles administratives développées sous l’Ancien Régime. S’il n’existe pas alors d’administration au sens contemporain du terme, il y a quand même des règles spécifiques pour la prise en charge des besoins collectifs. Par exemple ; l’édit de Moulin de 1566, le Roi ne peut pas disposer librement des biens de la couronne. Ces règles anciennes, on peut les retrouver ponctuellement dans des arrêts.

Le droit administratif sous la révolution française

Le droit administratif moderne va naître avec la Révolution Française. C’est sous la Révolution que va être posé un principe fondamental du droit administratif. Ce principe fondamental qu’il faut absolument connaître, c’est le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires. Ce principe est posé par la loi du 16-24 aout 1790. Cette loi interdit à un juge de faire œuvre d’administrateur en jugeant les actes de l’administration. Le décret du 16 fructidor an III consacre ce principe. De façon très générale la Révolution française va entrainer une profonde réorganisation de l’administration. Cette réorganisation va permettre la naissance d’une organisation cohérente sur l’ensemble du territoire. Il y aura une organisation puissante et centralisée qui assurera la coordination de l’administration. Ce mouvement est continué par Napoléon. Notamment va être créé par la Constitution de l’an VIII le Conseil d’Etat, qui va être le juge de l’administration. Ce qui est frappant, c’est la méfiance envers les tribunaux judiciaires, cette méfiance découle du souvenir des parlements d’Ancien Régime, qui troublaient et paralysaient l’action administrative à la fin de l’Ancien Régime.

« Rendre la justice en matière administrative c’est encore administrer» adage. C’est pourquoi il ne faut pas qu’un juge puisse le faire, on va considérer que la juridiction administrative ne doit pas être séparée de l’administration elle-même. C’est la théorie de la justice retenue. Celui qui rend la justice en matière administrative est le ministre jusqu’au XIXe.

On constate que le droit administratif va se développer et se perfectionner tout au long du XIXe siècle, mais c’est surtout pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Ce développement doit beaucoup au Conseil d’Etat, il assiste le chef d’Etat ou le 1er ministre lorsqu’ils rendant la justice administrative. Mais en pratique c’est lui qui rend les décisions. Le tournant décisif va être la loi du 24 mai 1872. Cette loi fait du conseil d’Etat une juridiction à part entière. Par l’arrêt Cadot du 13 décembre 1889 le conseil d‘Etat deviendra juge administratif du droit commun. La jurisprudence du conseil d‘Etat va jouer un rôle essentiel dans la création du droit administratif. C’est le juge qui va donner sa cohérence au droit administratif. Le droit administratif est d’abord constitué de textes et la jurisprudence du Conseil d’Etat va lui donner toute sa cohérence en dégageant des principes généraux. L’âge d’or du droit administratif c’est entre la fin du XIXe et le début du XXe. En l’espace d’une quarantaine d’années le conseil d’Etat va rendre un grand nombre de grandes décisions qui vont faire jurisprudence et s’appliquer de manière générale. Le conseil d’Etat va ainsi dessiner les contours des grandes notions du droit administratif. Par exemple, la théorie de l’acte administratif, du contrat administratif, du service public, de la police. C’est au même moment que le droit administratif devient une matière universitaire, ce qui le consolide. A la fin du XIXe de grands auteurs vont apparaitre essayant de clarifier le droit administratif, tels qu’Edouard Laferrière qui écrit un Traité de la juridiction administrative en 1887. Qui est une somme considérable pour la compréhension du droit administratif et du juge administratif.

Le droit administratif s’appuie sur un couple indissociable, un droit propre à l’activité administrative, appliqué par un juge spécifique, le juge administratif.

Le juge administratif est parfois perçu comme un juge de privilège, c’est-à-dire un juge qui va dans le sens de l’administration. Cette vision-là du juge rejaillit sur le droit administratif.

Les transformations contemporaines du droit administratif

  1. A) Les causes de la transformation
  • Les causes internes

On pourrait dire que le droit administratif se transforme en raison de la « crise de l’Etat ». Cette crise de l’Etat, on peut y voir deux formes :

  • Une crise politique; le droit administratif c’est le droit de l’Etat en action, ce sont des règles spécifiques justifiées et légitimées par la croyance que les personnes publiques, au premier rang desquelles l’Etat, doit faire le bien commun. Il y a une méfiance envers l’action publique, ce qui rejaillit sur le droit administratif, en ce sens que les gens acceptent de moins en moins les prérogatives supérieures dont dispose les personnes publiques.
  • Une crise économique; aujourd’hui il y a des contraintes financières très fortes sur l’Etat et les personnes publiques. Aujourd’hui le droit administratif se doit d’être plus efficace et plus rentable. Il se doit de développer des règles plus efficaces sur le plan économique. L’action publique se doit aujourd’hui d’être davantage rentable. Ce qui oblige le droit administratif à se transformer, et ça le met en cause. Le droit privé apparait mieux armé que le droit administratif pour répondre à ces nécessités de rentabilités.

Aujourd’hui se développe une vision libérale des rapports sociaux et des rapports économiques, et dans cette vision libérale, l’action publique est suspecte. Suspecte d’être intéressée, et pour répondre à cette contestation le droit administratif va devoir évoluer.

  • Les causes externes

Le droit administratif se transforme aussi en raison de la pression des sources du droit international et plus précisément des sources européennes. Ces sources européennes c’est d’abord le droit de la convention européenne des droits de l’homme, le droit européen c’est surtout le droit de l’Union européenne. Le droit de l’UE n’est pas si étranger au droit français. C’est un droit fondé sur des valeurs fondamentales que sont les droits de l’Homme, l’UE connait aussi la notion de service public. Il y a tout de même une différence, qui est sans doute que le droit européen est une inspiration plus libérale. Dans le cadre de l’équilibre entre l’intérêt collectif et les intérêts particuliers. Le droit européen fait prévaloir les libertés sur l’interventionnisme public. A partir années 80, le droit de l’UE a entrainé une ouverture à la concurrence de secteurs économiques autrefois gérés par l’Etat selon des méthodes de droit administratif. Cette ouverture à la concurrence a fait des règles de droit privé les règles principales de ces secteurs économiques. Ex : la poste, il y a 25-30 ans, c’était une administration de l’Etat qui dépendait du ministère des postes et télécommunications, c’était une activité administrative gérée par une administration de l’Etat. Aujourd’hui la poste est devenue une société anonyme de droit privé qui ne fonctionne plus selon les règles du droit administratif. Le juge contrôle le respect du droit de l’UE.

  1. B) Les effets de la transformation
  • 1) La banalisation du droit administratif

Ces trente dernières années, le constat général c’est celui d’une relative banalisation. Par ce terme, c’est une normalisation, un rapprochement avec le droit privé ordinaire. Ce rapprochement avec le droit privé, touche à la fois les règles de fonctionnement de l’administration et ses règles d’organisation. On peut citer la loi du 12 mars 2012, relative aux agents publics, cette loi a pour effet de développer et de banaliser le recours aux CDI dans l’administration. Donc ça contribue à développer un régime dual au sein de l’administration. D’un côté les fonctionnaires soumis à un régime de droit administratif, un statut de la fonction publique, et de l’autre les salariés employés au moyen de cdi de droit commun. Finalement tout ça conduit à rapprocher l’agent public du salarié de droit commun. Ensuite concernant les règles de fonctionnement, on peut constater la montée en puissance de règles d’inspiration privatiste c’est-à-dire des règles de droit privé. D’abord ce sont les règles de concurrence, arrêt de section du 3 novembre 1997 société Million et Marais en vertu duquel les règles de concurrence telles qu’elles sont prévues par le Code de commerce sont applicables à l’administration. Arrêt de section du 11 juillet 2001 société des eaux du Nord, en vertu de cet arrêt sont désormais applicable aux personnes publiques les règles du droit de la consommation.

Le droit administratif est né de la rencontre d’un droit spécifique et d’un juge spécifique. Un juge administratif c’est la garantie de l’autonomie du droit administratif. Si les règles qui composent le droit administratif se rapprochent du droit commun alors à quoi bon un juge spécifique pour les appliquer ?

  • 2) Le maintien de la spécificité du droit administratif

Le droit administratif conserve son originalité, malgré les transformations. Le droit de la concurrence avec l’arrêt Million et Marais par exemple, ce droit de la concurrence s’applique aux personnes publiques de façon originale. Le droit de la concurrence ne s’applique pas de la même façon aux personnes publiques et aux personnes privées. Les exigences de concurrence telles qu’elles découlent du code de commerce sont conciliées avec des impératifs spécifiques à l’action administrative. Les autorités administratives pourront déroger aux règles de concurrence pour des raisons d’intérêt général, comme la protection du service publique ou l’assurance de l’ordre public.

Plutôt que d’avoir un seul droit de la concurrence applicable de manière uniforme dans l’ensemble du droit français, on a une coexistence de deux droits de la concurrence.

Pour conclure sur cette évolution relative, Boulouis ; «Le droit administratif est l’ombre de l’Etat éclairé par la lumière du siècle. L’ombre varie avec le siècle et ses lumières, mais vouloir s’en défaire relève moins du libéralisme que de l’Utopie.»

Le droit administratif en Europe

Le choix français d’avoir un droit administratif appliqué par un juge administratif, n’est pas universel. Ainsi en Europe on constate une grande diversité dans la détermination et dans la sanction des règles applicables à l’administration. De façon schématique, il y a deux situations envisageables.

  • Le modèle français; l’administration est soumise à un droit spécifique appliqué par un juge spécifique, c’est à peu près une moitié des Etats de l’UE. Par ex ; l’Allemagne, le Portugal, la Finlande, la Pologne.
  • Le modèle anglo-saxon ; l’administration est soumise au droit commun appliqué par le juge ordinaire, on le retrouve par ex ; au Royaume-Uni, au Danemark, et à Malte, c’est un modèle d’inspiration libérale. L’Etat ne peut prétendre incarner quelque chose de supérieur aux individus.

En réalité ces deux modèles ne sont pas si opposés que ça, aujourd’hui ils convergent. Sans se confondre, ces deux modèles ont des points communs. Par exemple, au Royaume-Uni, même si en principe le droit commun est applicable, on constate une multiplication des règles spécifiques à l’administration. Le principe est relativisé par de nombreuses exceptions, en outre il existe depuis 1977 une procédure juridictionnelle spéciale pour les affaires impliquant l’administration. Finalement, depuis les années 2000 on a créé au Royaume-Uni au sein des tribunaux ordinaires, des formations spécialisées sur les affaires de l’administration.

Quel que soit le pays, il y a un souci unique qui est celui d’avoir un contrôle juridictionnel efficace de l’administration car telle est la garantie de l’Etat de droit.