Histoire et actualité du droit administratif

Évolution historique et récente du droit administratif

§. 1. L’évolution de la construction du droit administratif français  

 Les fondements historiques 

La place de la chose publique (respublica) 

Il faut constater qu’il existe un droit administratif dans toutes les sociétés mais ce droit prend des formes différentes selon la place accordée à la chose publique dans cette société. Plus précisément tout dépend de l’importance accordée respectivement à l’individu et à l’Etat dans cette société. En France le droit administratif se développe à partir du 11e siècle, de façon parallèle au droit civil, on trouve alors déjà des notions qui se trouvent aujourd’hui au cœur de ce droit, comme la notion d’acte unilatérale, de fonction publique, d’expropriation ou encore de police. Toutes ces constructions intellectuelles ont un point commun, dès cette époque : elles mettent l’accent sur la spécificité de l’action publique, qui est au service de tous et par conséquent elle doit l’emporter sur les intérêts individuels. C’est l’intérêt général qui doit primer sur les intérêts particuliers et c’est le droit administratif qui a pour fonction de traduire cette supériorité. Pendant des siècles c’est avec la monarchie que l’Etat s’est confondu, donc il n’est pas étonnant qu’au 18e siècle, la critique de l’ordre social et politique est également portée sur le droit administratif. Le droit administratif va être perçu comme un droit des privilèges et de l’inégalité. Le retour du balancier se fera au moment du consulat. A ce moment-là la nécessité se fait sentir de rétablir l’ordre de l’Etat et dans le système de l’administration de l’Etat, ainsi que dans l’organisation territoriale. C’est Bonaparte qui va doter l’administration de règles spécifiques propres à reconstruire de l’Etat français. A partir de cette période-là, l’administration conserve son rôle de garante de l’intérêt général mais désormais elle dispose de moyens juridiques supplémentaires pour atteindre cet objectif. Cette conception-là se retrouve encore largement dans notre droit administratif contemporain.  

Le rôle des juridictions  

Sous l’ancien régime, les juridictions ont exercé un pouvoir très important, c’est le cas des parlements. Et les parlements de l’époque, en dehors de leur fonction de juger étaient également doté de certains pouvoirs politiques (ce qu’ils n’ont plus aujourd’hui). Ils étaient chargés d’enregistrer les édits et les ordonnances royaux. Et ils disposaient même du pouvoir d’adresser des remontrances au roi. C’est cet esprit frondeur des cours de justice sous l’ancien régime qui explique par la suite la loi des 16, 24 aout de 1790. Cette loi pose le principe de la séparation des fonctions judiciaires et administratives. Et plus précisément cette loi interdit « de troubler de quelques manières que ce soit les opérations des corps administratifs ». Et ont leur interdit de citer devant eux, les administrateurs « pour raison de leur fonction ». , autrement dit un juge ne peut pas juger une administration active. En réalité, cette loi n’a pas voulu interdire aux tribunaux de juger l’administration, contrairement à ce qui semble ressortir du texte. Il s’agissait en fait simplement de leur interdire d’empiéter sur la fonction administrative et de les cantonner à leur rôle de juge. Le problème c’est que cette loi a été interprétée comme interdisant aux juridictions de droit commun de juger l’administration. C’est cette interprétation qui a joué en faveur de l’émergence d’un juge administratif autonome, pour trancher les litiges mettant en cause l’administration. Cette émergence s’est faite de façon progressive.  

Dans un premier temps, les juges de l’administration vont être des membres de l’administration active et les représentants de l’Etat dans les départements. C’est ce qu’on appelle « l’administration juge » ou « l’administrateur juge » développée vers 1791. Et pendant cette période-là, les administrés n’avaient aucune garantie d’impartialité. C’est ce qui explique que petit à petit le jugement des affaires administratives va être retiré à l’administration elle-même. Là aussi en plusieurs étapes, d’abord il va y avoir la justice retenue : pour étudier les réclamations des administrés, les autorités administratives devront se faire assister d’organes consultatifs. Cet organe va être appelé le Conseil d’Etat dans les départements, les conseils de préfecture. Ils sont tous institués par la Constitution du 22 frimaire An VIII (15 déc. 1799). Mais la décision finale revenait encore à l’autorité administration elle-même. Petit à petit le Conseil d’Etat va voir ses avis systématiquement suivit. Et la dernière étape de la création du juge administration autonome correspond à l’instauration de la justice déléguée. Dans le cadre de laquelle le juge administratif va s’émanciper du pouvoir politique jusqu’à pouvoir rendre seul ses décisons sans avoir à les faire signer par le chef de l’Etat. Le pouvoir de rendre la justice va se trouver déléguer par le chef de l’Etat au juge. C’est une loi du 24 mai 1872, qui consacre cette pratique en permettant au Conseil d’Etat de rendre seul des arrêts au nom du peuple français. Cette évolution historique explique l’apparition d’une justice administrative autonome de la justice judiciaire. Et parallèlement il a semblé logique de voir appliquer par ce juge spécifique des règles de droit spécifiques distinctes des règles de droit commun et ce pour prendre en compte le particularisme de l’action administrative, action qui est marqué par la poursuite de l’intérêt général. On peut dresser un rapide tableau de leurs conséquences. 

Conséquences 

L’apport de l’histoire à notre droit administratif peut se décomposer en trois éléments complémentaires. 

L’administration est soumise au droit : en effet elle est l’instrument du pouvoir politique et elle est devenue soumise à ce dernier à travers les règles qu’il édicte. Toutes ces décisions s’imposent à l’administration, c’est ce qu’on appelle le principe de légalité.  

L’administration est soumise à un droit qui lui est propre : Les règles du Code Civil ne lui sont pas applicables et cela résulte du fait que l’administration incarne l’intérêt général.  

L’administration est soumise à un juge qui lui est propre : Cette caractéristique est en partie liée à la précédente dont elle est tantôt la cause tantôt la conséquence.  

B. La place du modèle français aujourd’hui parmi les autres modèles   

Le système juridique français se caractérise par l’existence de deux ordres juridiques distincts. (ordre judiciaire et ordre administratif) Mais il existe d’autres modèles. Dans le modèle anglo-saxon, l’administration est soumise aux juridictions de droit commun. Il y a aussi les systèmes mixtes dans lesquels il existe bien une juridiction administrative spécialisée mais elle se situe au sein même de l’organisation judiciaire de droit commun. On n’a pas deux ordres de juridiction séparés mais au sein d’un même ordre, il y a plusieurs branches. Par exemple du système allemand qui constitue l’une des cinq branches de l’organisation judiciaire. L’organisation judiciaire allemande forme un ordre allemand unique soumis à l’autorité de la Cour constitutionnelle fédérale. Ces distinctions entre les différents modèles doivent être nuancées, d’une part car on le verra en France l’administration est parfois jugée par le juge judiciaire et d’autre part, parce qu’aux E.U on a mis en place des juridictions spécialisées dans les litiges mettant en cause l’administration. En G.B il existe aussi aujourd’hui des organes spécialement chargés de régler certains litiges entre l’administration et les administrés. On les appelle « Administrativ tribunals » mais ces organes ne peuvent pas prétendre à la qualité de juridique à part entière, pourtant leurs décisions relèvent des tribunaux ordinaires.  

L’existence d’une justice administrative autonome constitue malgré tout le modèle le plus répandu en Europe, sur les 27 membres de l’UE, 15 disposent actuellement d’une Cour administrative suprême (équivalent de notre Conseil d’Etat) et dans les 12 autres qui ont opté pour l’unité de juridiction, la Cour suprême comprend en son sein une chambre administrative spécialisée dans le contrôle de l’administration. Ce phénomène pourrait s’accentuer à moyen terme du fait de la convergence des droits administratifs en Europe.  

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§.2. Les enjeux actuels de cette discipline 

Le premier tient à  

– l’évolution des sources de notre droit administratif.  

– Le second c’est la banalisation des personnes publiques et le recul de l’idéologie de l’intérêt général.  

– Et le troisième enjeu c’est le renouvellement de l’office du juge.   

 

A. L’évolution des sources du droit administratif  

 a. Un droit qui demeure essentiellement jurisprudentiel  

Le droit administratif n’a toujours pas été l’objet d’une codification générale, il s’agit d’une discipline dans laquelle le législateur s’est le plus souvent contenté d’adopter des textes éparts au fil des besoins. On ambitionnait alors la création d’un code d’administration, qui constitue une sorte de guide de la relation entre administration et administrés. Il n’existe pas à l’heure actuelle de code général définissant les notions et les principes de notre droit administratif. En réalité c’est le juge administratif lui-même qui a été amené à dégager petit à petit les principales règles du droit administratif. Le législateur est resté inerte, il a posé très peu de règles applicables à l’action de l’administration. Du coup, lorsque le juge administratif était saisi pour un litige il se trouvait face à un vide juridique (si non jugement, déni de justice art 4 du Code Civil). C’est pour cela qu’il est d’usage d’affirmer que le droit administratif français est un droit essentiellement jurisprudentiel ou encore un droit prétorien. Il est vrai que depuis une trentaine d’années l’intervention du législateur en matière d’administration s’est développée, bien au niveau quantitatif que qualitatif. Et par ailleurs le droit européen, droit essentiellement textuel, a pris une place grandissante ces dernières années y compris en matière administrative. Le juge a gardé l’essentiel de son rôle prééminent, en effet, d’une part parce que la loi ne recouvre pas l’intégralité de la matière et d’autre part parce que lorsque des textes ont été adoptés ils se sont souvent contenté de reprendre la règle issue de la jurisprudence. Il résulte de ce constat que la jurisprudence du Conseil d’Etat tient une place essentielle dans l’élaboration du droit administratif.  

 b. L’impact croissant de la source constitutionnelle  

Depuis de nombreuses années, le conseil d’Etat pour résoudre les litiges qui lui sont soumis, se fonde directement sur les principes énoncés par les textes constitutionnels. C’est une façon pour le Conseil d’Etat de reconnaitre dans le droit constitutionnel l’une des sources essentielles de notre droit administratif. C’est tout à fait légitime puisque la constitution se trouve au sommet de notre hiérarchie des normes. Dès lors qu’il est acquis que l’administration est soumise au droit, il est parfaitement logique que les règles constitutionnelles exercent sur elle une influence déterminante. Et bien sûr la QPC vient encore renforcer l’impact de la source constitutionnelle. Ce qui a servi au juge constitutionnel de remettre en cause des règles législatives déjà en vigueur.  

c. La convergence des droits administratifs en Europe  

Opposition classique entre les modèles français et anglais concernant le contrôle de l’administration. A l’époque contemporaine il a été démontré que cette opposition est en partie erronée. L’erreur principale a consisté à assimiler la Common Law et droit privé. Alors qu’il a été démontré depuis la fin du 19e siècle que la Common Law contenait des règles spécifiques à l’administration. L’autre erreur a été de minimiser l’importance de ce droit administratif tout en surestimant le particularisme du droit administratif français. Au-delà de ce constat, il faut savoir qu’il existe depuis le milieu de XXe siècle un important facteur de rapprochement entre les systèmes juridiques et les Etats européens. Ce sont des règles juridiques communes qui s’imposent directement dans tous les Etats signataires de ces traités. Ce sont des règles de procès équitables, art 6 de la CEDH, par ex des règles de libre-concurrence, qui découlent des articles 101 et suivants sur le fonctionnement de l’UE. Par ailleurs on peut ajouter que le juge administratif français se trouve influencé par le droit de nos voisins, ou par les méthodes de leurs juridictions. Notre conseil d’Etat s’est inspiré de la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE, pour accepter de moduler dans le temps les effets d’une annulation d’une décision administrative. Autrement dit les systèmes de droit des Etats européens s’influence réciproquement et on peut ajouter qu’un véritable droit administratif européen est en train d’émerger, sur la base des règles communes mais aussi de toutes les règles de droit administratif qui s’appliquent aux institutions européennes.  

 

B. La banalisation des personnes publiques et le recul de l’idéologie de l’intérêt général  

Le droit administratif français s’est construit autour de l’idée que l’action des personnes publiques est spécifique puisqu’il s’agit de poursuivre l’intérêt général lequel doit primer sur les intérêts particuliers. Et c’est cette spécificité qui justifie de leur accorder des moyens et qui leur permettent d’atteindre ce fameux objectif. Seulement les progrès de notre démocratie on conduit les administrés qui sont aussi et avant tout des citoyens, à revendiquer d’avantages de droit dans leurs relations avec l’administration, et dans le même temps, certains des privilèges, traditionnellement reconnu à l’administration se sont trouvés remis en cause. Il s’agit plutôt d’organiser la participation des citoyens à la définition de cet intérêt général et de rééquilibrer les relations entre les administrés et l’administration.  

 

On admet que les personnes publique utilise des prérogatives de puissance publique pour atteindre ses objectifs d’intérêt général mais à condition qu’elle se conforme à la loi et qu’elle soit contrôler par le juge. La notion d’intérêt général ne doit pas être érigée en dogme, en principe sacrosaint qui légitimerait toute action de l’administration. A l’époque contemporaine, c’est un nouvel équilibre qui est recherché entre d’un côté les pouvoirs de l’administration et les droits des citoyens. C’est ainsi qu’un certain nombre de lois ont été adoptées depuis la fin des années 70 pour garantir de nouveaux droits au profit des administrés. Il y a d’abord eu une loi du 17 juillet 1978 sur l’accès aux documents administratifs (qui a institué la CADA). Deuxième texte : une loi du 11 juillet 1979, sur la motivation des actes administratifs (les actes administratifs doivent faire apparaitre de façon explicite les motifs qui les justifies). Plus récemment, on peut citer une loi du 12 avril 2000, sur les droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (loi DCRA). Assez logiquement ce renforcement des droits des administrés s’accompagne d’une certaine banalisation des personnes publiques. On hésite plus en effet, à remettre en question les prérogatives qui leur sont traditionnellement reconnues. Dans ce mouvement-là, on peut situer une évolution assez récente qui conduit à appliquer aux personnes publiques les règles de libre concurrence ; alors qu’à l’origine les règles de libre concurrence étaient cantonnées aux entreprises privées. Le juge lui-même, s’autorise à contrôler plus strictement l’action des personnes publiques.  

 

C. Le renouvellement de l’office du juge  

Depuis une quinzaine d’années, le juge administratif s’est efforcé de modifier ses méthodes de travail pour rendre plus efficace le contrôle qu’il exerce sur l’administration. En particulier, il admet désormais d’aller au-delà de son pouvoir d’annulation, de la décision contestée devant lui pour la réformer. Jusqu’à il y a peu il n’avait le choix entre annuler ou approuver, désormais il peut réformer, le modifier pour rendre l’acte régulier. Il dispose également depuis une loi du 8 février 1995, d’un pouvoir d’injonction, c’est-à-dire qu’il peut donner des ordres à l’administration. Par ailleurs, le juge administratif n’hésite plus à différer dans le temps les effets d’une annulation prononcée par lui (jurisprudence de 2004). Il s’agit en réalité d’éviter les inconvénients parfois excessifs d’une annulation immédiate d’une décision administrative. On verra que cette possibilité est soumise à la réunion de plusieurs conditions. Grâce à ces nouveaux moyens d’action, le juge administratif français, voit son rôle notablement transformé. A l’origine le juge administratif était simple conseillé de l’administration. C’est même pour cela qu’on a appelé le conseil d’Etat « conseil ». On est passé d’un rôle de conseiller d’administration à un rôle de juge habilité à exercer la totalité des pouvoirs qu’exerce habituellement un juge. Le juge administratif parallèlement a fait des efforts de pédagogie et de communication. Le Conseil d’Etat en particulier perfectionne régulièrement son site internet et n’hésite plus à faire des conférences de presse pour présenter et expliquer ses décisions les plus importantes.  

 

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