L’infraction d’abstention contre l’intégrité corporelle

L’infraction d’abstention et non assistance à personne en danger : définition et sanction

Il y a 2 qualifications présentent à l’article 223-6 du Code pénal. Le Code sanctionne 2 abstentions délictueuses :

  • L’omission d’empêcher une infraction contre l’intégrité corporelle
  • L’omission de porter secours stricto sensu : la non assistance à personne en danger

L’incrimination d’une abstention dans le Code pénal pose 2 problèmes.

L’un politique portant sur le choix du législateur. Il est toujours beaucoup plus attentatoire à la liberté individuelle d’incriminer une abstention par rapport à l’incrimination d’une commission. Dans une société libérale, formuler un interdit est un facteur de liberté ; au contraire, lorsque l’on incrimine l’abstention on oblige quelqu’un à agir. C’est donc attentatoire à la liberté. La valeur qu’il convient de protéger est particulièrement importante ce qui implique cette obligation d’agir il faut une atteinte à la vie.

Le second pose un problème technique s’adressant au juge ; il y a un problème de causalité. Si l’on s’abstient, on ne cause rien. La question de la causalité est mise de côté. Le juriste n’est pas scientifique et n’a pas à prendre en considération la causalité scientifique ; il peut prendre en compte une causalité morale consistant à porter un jugement de valeur sur ce qui aurait pu être. L’inaction d’une personne permet la continuité du fait causal ; si une personne intervient, elle peut empêcher le processus de se poursuivre ; la causalité est alors négative au point de vue du juriste.

Section 1 : Les éléments constitutifs de ces qualifications

Paragraphe 1 : L’élément matériel

L’infraction d’abstention suppose d’inverser le raisonnement par rapport à l’infraction de commission. Il faut identifier une obligation d’agir. Ensuite, il faut constater que la personne poursuivie n’a pas agi, elle s’est abstenue ; on ne qualifie une abstention que par rapport à un préalable.

1) L’obligation d’agir

Cette obligation peut être fondée sur 2 types d’éléments :

  • La potentialité d’un crime ou d’un délit contre l’intégrité corporelle : article 223-6 alinéa 1er. On doit qualifier au préalable l’infraction. Cette infraction est qualifiée de crime ou délit contre l’intégrité corporelle. Celui qui s’abstient d’empêcher une contravention n’est pas punissable.

Cette infraction doit être potentielle ; on situe dans une phase qui est antérieure à la consommation et même au commencement d’exécution. On peut envisager de punir celui qui s’abstient d’empêcher un crime ou un délit contre l’intégrité corporelle qui n’en est qu’à l’état de projet dès lors que ce projet est certain (arrêt 1951). Cette nécessité d’une infraction potentielle subit des tempéraments dans 2 cas :

  • On peut se trouver face à une infraction renouvelée (cas de l’inceste dont la mère s’abstient l’infraction).
  • On peut se trouver face à une infraction continue (acte d’exécution dure) ou d’habitude (acte se répète) : il convient de sanctionner celui qui s’abstient d’empêcher la continuation ou la répétition.
  • L’obligation d’agir fondée sur l’existence d’un péril pour une personne : article 223-6 alinéa 2nd. Il faut une personne et il faut un péril.
  • La personne doit-elle être entendue comme être humain ou personne juridique ?

La cour de cassation a jugé en 1992 que l’infraction était applicable à un enfant à naitre. L’omission de porter secours pourrait viser l’enfant né vivant mais l’enfant qui serait décédé avant accouchement ne serait pas viser. On remettrait en cause la décision de 1992.

Si la personne est décédée, on peut se poser la question en raisonnant sur l’infraction impossible. Peut-on s’abstenir de porter secours à une personne que l’on croit vivante mais qui est décédée ? La tentative n’est pas punissable et une tentative d’abstention n’est pas envisageable.

Il faut donc une personne né vivante et qu’elle soit en vie.

  • La personne doit être en péril. C’est une situation critique faisant craindre de graves conséquences. On peut envisager 2 types d’hypothèses concernant la source du péril.
  • Il peut trouver sa source dans un fait de la victime. La victime s’est placée elle-même dans une situation de danger. Elle peut le faire en commettant une faute. Cette situation correspond à de multiples hypothèses ; l’infraction est applicable alors même que le péril a été provoqué par la victime. Dans le cadre médical, si le patient refuse des soins ; la loi du 4 mars 2002 donne une autorisation de la loi : « les médecins sont autorisés à ne pas soigner de patient qui s’y refuse dès lors que ce patient a été informé des conséquences de son choix et que le médecin à tout mis en œuvre pour soigner le patient ».
  • Il peut trouver sa source dans l’auteur de l’omission : une personne porte des coups à une victime ; elle commet donc un 1er acte délictueux. Cette personne omet d’apporter des secours à la personne qu’elle a blessée. Y a-t-il concours d’infraction ?

Il peut être légitime d’admettre qu’une obligation d’assistance s’impose et que le fait de s’abstenir soit répréhensible lorsque l’infraction est non intentionnelle : la cour de cassation admet ce principe.

Lorsque l’infraction d’origine est intentionnelle, la question est plus discutable. L’infraction d’origine sera punie plus sévèrement que l’omission ; le seul intérêt de cumuler les infractions serait lorsque les conséquences de l’infraction d’origine sont légères, mais on se demande alors s’il y a vraiment un péril.

Dans tous les cas on ne peut pas vouloir frapper et vouloir secourir ; donc dans le fait de punir l’infraction de violence, on incrimine également le fait de ne pas porter secours. Cette notion est développée par une partie de la doctrine. Il est possible que l’on admette de poursuivre d’abord pour violence puis pour omission de porter secours par la suite. L’arrêt du 24 juin 1980 indique que l’infraction de violence ayant entrainé la mort sans intention de la donner n’est pas exclusive de l’omission de porter secours ; l’idée d’un cumul ne serait alors pas impossible.

Concernant la nature du péril, il faut que le péril vise un risque corporel qui va se produire ou qui va se reproduire. Le péril doit également être immédiat et constant. La potentialité d’un dommage corporel doit être suffisamment forte pour que l’on oblige à agir. Le péril doit être réel et non hypothétique. Le péril doit être constant donc continu.

L’obligation d’agir est fonction d’un péril qui vise une personne déjà né et qu’il doit être immédiat et constant.

2) Le comportement d’abstention

Ce qui est visé dans l’article 223-6 c’est le simple comportement indépendamment du résultat. C’est une infraction formelle. Le comportement est un fait qui est illicite.

  • Le fait d’abstention

S’abstenir, c’est ne rien faire. L’alinéa 1er de l’article 223-6 précise que le fait d’abstention est le fait de ne pas faire obstacle à la commission d’une infraction contre l’intégrité corporelle. C’est un fait simple ou le fait de ne pas utiliser suffisamment de moyens (cas de la dissuasion). L’alinéa 2 de l’article précise que l’abstention doit être pure et simple. Mais lorsque la personne agit et que l’on peut discuter les modalités de l’assistance. Le texte exige 2 types d’actions ; on peut soit agir soit même, soit provoquer les secours.

  • Le fait illicite

Le législateur est plus précis. L’abstention décrite par l’article 223-6 alinéa 2 est précisée puisque le texte vise soit le fait de s’abstenir de porter secours par son action personnelle soit le fait de s’abstenir de provoquer un secours. Il y a deux membres de phrase mais il n’y a pas une option pour le délinquant.

La jurisprudence précise que les deux possibilités légales ne sont pas alternatives. Celui qui se contente d’appeler le SAMU alors qu’il pourrait agir lui-même avec plus d’efficacité reste punissable. La jurisprudence a même jugé en 1954 que celui qui trouve un enfant nouveau-né dans une poubelle et s’abstient de le ramasser mais se contente d’appeler un tiers pour le ramasser est coupable d’omission de porter secours. Ces deux possibilités ne sont donc pas alternatives, elles peuvent être cumulées. Deux éléments de l’assistance sont précisés par la jurisprudence

  • D’abord, il faut que l’assistance soit possible. Il n’y a abstention que si une action était possible. Cette possibilité d’assistance est appréciée en tenant compte des capacités de l’auteur, notamment de ses aptitudes. C’est une appréciation in abstracto malgré tout. Ex : on voit une personne se noyer, on ne sait pas nager cette aptitude d’omission est prêtée au bon père de famille qui ne sait pas nager. Il faut donc que l’assistance soit possible.
  • Il faut dire ensuite que le résultat de l’assistance est indifférent. On n’est pas tenu d’une obligation de résultat mais d’une simple obligation de moyen. Celui qui tente de porter assistance mais par maladresse n’est pas efficace ne commet pas le délit d’omission de porter secours.

Une fois que cette abstention dans sa matérialité est constatée, la loi ajoute une appréciation de la légitimité de l’abstention, qui est appréciée à travers une notion légale : l’absence de risque. On est coupable lorsqu’on s’est abstenu d’agir alors qu’il n’y avait aucun risque soit pour soit même soit pour les tiers. Cette formule fait penser à une hypothèse de justification. S’il existait un risque pour la personne ou pour un tiers, l’abstention n’est pas punissable. S’il n’existait aucun risque elle devient punissable.

La jurisprudence considère que le risque visé doit être un risque sérieux pour la vie ou pour la santé. Lorsqu’une intervention est trop risquée pour l’auteur ou pour les tiers, l’abstention n’est pas punissable à condition que ce risque soit sérieux. Il a par exemple été jugé que le simple risque moral pour un éducateur de perdre la confiance des jeunes délinquants qu’il a sous sa responsabilité, ce simple risque moral ne constitue pas un risque au sens de l’article 223-6, risque qui serait susceptible de l’exonérer de sa responsabilité lorsqu’il s’abstient d’interrompre des violences commises par ces jeunes délinquants sur d’autres jeunes. Bien sûr, il y a toujours un risque dans une intervention. C’est le risque majeur qui doit justifier l’abstention.

Paragraphe 2 : L’élément moral

Il est simple et compliqué en même temps. Simple : on est face à une infraction intentionnelle, qui est formelle donc l’intention se résume à la volonté de s’abstenir, mais en ayant conscience d’un péril justifiant une obligation d’agir ou en ayant conscience d’un crime ou d’un délit potentiel contre l’intégrité corporelle. Or cette conscience du péril ou de l’infraction potentielle pose difficulté lorsque l’auteur de l’omission n’est pas le témoin direct du danger. La jurisprudence distingue ainsi celui qui apparait comme le témoin direct du danger, pour lequel on impose la preuve de la bonne foi.

Mais lorsqu’on est qu’un témoin indirect (médecin au téléphone) on ne constate pas le péril en lui-même. Dans ce cas-là, la Cour de cassation juge d’abord que le médecin reste le seul juge de son intervention, c’est lui, en fonction des informations qu’il obtient qui décide en sa qualité de professionnel de l’utilité de son intervention. Mais la Cour de cassation juge qu’il est possible de reprocher à un médecin une abstention lorsqu’il ne s’est pas suffisamment informé et qu’il n’a donc pas pris toutes les mesures pour prendre la connaissance du péril immédiat et constant.

Jurisprudence subtile qui a un effet pervers. Mais alors on reproche l’imprudence, la négligence, or on n’est pas dans une infraction d’imprudence mais dans une infraction d’abstention intentionnelle. Donc il faudrait punir un médecin qui n’agit pas volontairement. Mais moyen de défense trop simple. La Cour de cassation condamne donc un médecin qui n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour prendre conscience du péril et donc intervenir.

Section 2 : La répression

Paragraphe 1 : Les observations à l’action publique

Le législateur n’a pas envisagé de circonstances aggravantes. Quant à l’action publique, les délits sont punis de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Les peines sont plus importantes que celles retenues pour les violences par imprudence.

Sur les personnes responsables, les personnes morales peuvent être responsables de ces infractions. Peut-on être complice d’une telle infraction ? Ce n’est pas possible, il y a nécessaire co-action. Les personnes sont co-actrices de l’infraction d’omission.

Paragraphe 2 : Les observations à l’action civile

Sur l’action civile, il y a une distinction entre les infractions d’intérêt privé et les infractions d’intérêt général.

Pour les infractions d’intérêt général, la Cour refuse une constitution de partie civile, on peut se demander si l’infraction de l’omission de porter secours ne sanctionne pas un devoir de solidarité, qui est un devoir d’intérêt général. Il y a eu une hésitation. Pendant longtemps, la Cour a considéré que cette omission de porter secours était d’intérêt général et par conséquent la constitution de partie civile était irrecevable.

Cette position a évolué, la Cour déclare, dans un arrêt du 16 mars 1972, repris le 19 juin 1996, que les dispositions ont pour objet l’intérêt général de la collectivité et réprime le trouble causé à l’ordre public, elles ont aussi pour but la protection des intérêts de la vie privée. L’action civile doit réparer le préjudice. L’abstention n’a pourtant pas causé le préjudice corporel, mais elle a permis la réalisation de ce préjudice ; cela suffit au sens de l’équivalence des conditions. La jurisprudence admet de réparer tous les préjudices que les victimes soient immédiates ou par ricochet.