COURS D’INTRODUCTION AU DROIT CIVIL
Ce cours introductif au droit aborde les thèmes suivants : l’évolution du droit français, les différentes sources du droit (loi, jurisprudence, coutume, doctrine) ainsi que les grandes distinctions entre le droit public et le droit privé.
Le droit, en tant que phénomène social, est un ensemble de règles destiné à organiser la vie des individus au sein d’une société, à un moment précis et dans un cadre géographique déterminé. Ce qui différencie le droit des autres normes sociales, comme les règles de morale ou de courtoisie, c’est la force contraignante qui l’accompagne. Le non-respect des règles juridiques entraîne généralement des sanctions, contrairement aux autres types de normes.
Il n’existe pas un seul droit universel, mais une multitude de systèmes juridiques propres à chaque État, voire à chaque communauté. L’une des caractéristiques fondamentales du droit est sa relativité dans l’espace et le temps. Chaque ensemble de règles est ainsi adapté aux réalités sociales et historiques du lieu où il s’applique.
Qu’est-ce que le droit ? Le droit peut se définir comme l’ensemble des règles qui régissent les relations entre individus au sein de la société. Ce corpus de règles, appelé « droit objectif », détermine les droits subjectifs, c’est-à-dire les privilèges ou prérogatives dont jouit chaque individu pour réaliser certains actes.
- Introduction au droit (L1)
- Histoire du droit français
- Les sources juridiques (loi, jurisprudence, coutume…)
- La séparation entre droit privé et droit public
- Quelles sont les différentes branches du droit ?
- Quelle est l’organisation des juridictions civiles en France?
- Quels sont les caractères et sources du droit objectif ?
Il y a donc une distinction entre le droit dans son ensemble, qui représente une structure abstraite regroupant tous les systèmes juridiques coordonnés pour maintenir l’ordre juridique, et les droits dont disposent les citoyens, leur permettant d’exercer certaines actions ou de bénéficier d’avantages spécifiques dans des situations données.
Pour une grande partie de la population, le droit est perçu comme un bloc homogène opposant ce qui est légal de ce qui ne l’est pas, distinguant ainsi le licite de l’illicite, le permis de l’interdit. De plus, il n’est pas rare que la connaissance du droit soit perçue à tort comme une capacité à contourner les règles ou à en exploiter les failles pour échapper à la loi.
Dire que le droit se résume aux textes de loi adoptés par les hommes serait une simplification erronée, bien que cette idée soit courante. En effet, cette approche revient à appliquer une grille de lecture préétablie et figée à la réalité. Il serait plus juste de définir le droit comme une recherche visant à établir une relation entre des faits concrets et les lois existantes. Ce n’est pas tant la loi elle-même qui importe, mais l’analyse des faits qui permet de déterminer quelle loi est applicable.
Quelques définitions :
- Le droit constitue un ensemble de règles de conduite extérieure, créées par les hommes pour régir les relations sociales et appliquées par le biais de sanctions publiques. C’est cette sanction qui différencie le droit des autres normes sociales, comme la morale ou les conventions sociales.
- Le droit positif est l’ensemble des normes juridiques applicables dans un État ou à l’échelle internationale, à un moment donné, et ce, quelle que soit leur origine. Il s’agit du droit en vigueur, celui qui régit concrètement la société, contrairement aux théories ou aux idées de droit idéal.
- La loi, dans son sens strict, désigne une règle adoptée par le Parlement. Contrairement aux règlements, qui émanent des autorités administratives avec un pouvoir réglementaire, la loi est un texte voté par les représentants du peuple. Selon l’article 34 de la Constitution de 1958, il existe une répartition claire des compétences législatives et réglementaires entre le Parlement et le pouvoir exécutif. Ainsi, les décrets sont pris par le Président de la République, tandis que les arrêtés sont émis par des ministres, des préfets ou des maires, en fonction de leurs attributions. Dans un sens large, la loi représente toute règle juridique contraignante, qu’elle soit constitutionnelle, organique ou ordinaire.
- Le droit privé regroupe les règles qui encadrent les relations entre individus, qu’ils soient personnes physiques ou morales, et traite aussi des relations de ces individus avec l’État ou l’administration, dans certains cas spécifiques. Ce domaine se subdivise en diverses disciplines comme le droit civil, commercial, pénal ou social, chacune se concentrant sur des aspects spécifiques de la vie des citoyens. Il existe également le droit international privé, qui s’occupe des conflits entre juridictions ou lois de différents pays. Malgré les tentatives d’autonomisation de ces sous-branches, elles restent liées par des principes et techniques qui maintiennent la cohérence du droit privé.
- Le droit public, quant à lui, englobe les règles régissant les relations entre l’État, ses institutions et les citoyens. Ce domaine inclut des branches telles que le droit constitutionnel, qui s’intéresse à l’organisation politique de l’État, et le droit administratif, qui se concentre sur les relations entre les pouvoirs publics et les particuliers, ainsi que sur la gestion des services publics. Une autre branche essentielle est le droit international public, qui traite des relations entre États au sein de la communauté internationale. Le droit public s’articule autour de la protection des libertés individuelles et de la régulation des pouvoirs publics.
- La jurisprudence représente l’ensemble des décisions judiciaires rendues par les juridictions, notamment les Hautes juridictions comme la Cour de cassation ou le Conseil d’État. Elle joue un rôle crucial dans l’interprétation des lois et contribue à stabiliser les principes juridiques au fil du temps. Le droit français, qui fait partie de la tradition romano-germanique, est un modèle inspiré de nombreux systèmes juridiques, avec une importance particulière accordée aux lois écrites et codifiées.
Introduction : Théorie du droit
Le droit objectif et le droit positif
Le droit objectif, défini comme un ensemble de normes en vigueur, constitue ce que l’on appelle le droit positif. Il regroupe toutes les règles imposées par l’autorité publique à un moment donné, visant à réguler les relations sociales. Contrairement à une science exacte, le droit est considéré comme un art, en raison de l’importance de l’élément humain dans son élaboration et son application. Les Romains parlaient de « l’art du juste et du bon » (ars aequi et boni) pour souligner cette dimension éthique.
Droit naturel et droit positif
La relation entre le droit et la morale a toujours été une question centrale dans l’histoire des idées juridiques. Les théoriciens du droit naturel, tels que Grotius, affirment que le droit repose sur des principes universels et immuables. Ces règles sont supérieures au droit positif et peuvent être comprises par la raison humaine. Les philosophes des XVIIe et XVIIIe siècles ont intégré dans cette théorie les droits subjectifs, donnant naissance à la Déclaration des droits de l’homme de 1789, qui proclame l’existence de droits naturels, inaliénables et sacrés.
À l’opposé, le positivisme rejette toute idée de justice transcendante. Pour les positivistes, comme Hans Kelsen, le droit est un système de normes formel, dont la validité découle de sa cohérence interne et non d’un idéal supérieur. Le droit est vu comme un phénomène social, un produit des décisions de l’État ou de la société, sans référence à une éthique universelle.
Influence des forces politiques sur le droit
Le droit est souvent le reflet des forces politiques qui l’entourent. Selon les périodes, le droit peut évoluer vers un individualisme libéral ou vers un socialisme dirigiste. Le marxisme, par exemple, voit le droit comme un outil au service de l’économie, relégué au rang de superstructure. Dans les régimes socialistes, le droit devient un instrument d’action utilisé pour organiser la société en fonction des principes de la dictature du prolétariat.
Aujourd’hui, les systèmes juridiques européens, notamment en France, reflètent un compromis entre libéralisme et interventions étatiques, créant une tension entre l’autonomie individuelle et la régulation par l’État.
L’inflation législative et la réglementation croissante
Le phénomène d’expansion des règles de droit est de plus en plus visible. La réglementation s’étend à des domaines variés, souvent au détriment de l’autonomie de la volonté. Cette inflation législative impose des normes impératives qui renforcent le rôle de l’État, affaiblissant ainsi la vitalité des contrats et limitant la liberté contractuelle des individus. Le droit public gagne en importance, réduisant progressivement le champ d’action du droit privé.
Le droit et les autres disciplines
Le droit interagit de manière croissante avec d’autres disciplines comme la sociologie, l’histoire, la philosophie, ou encore l’informatique. Les juristes intègrent de plus en plus les résultats des recherches sociologiques pour adapter les réformes aux attentes et besoins de l’opinion publique. De plus, des disciplines comme l’informatique deviennent des outils incontournables dans l’administration moderne du droit, notamment avec l’émergence des technologies numériques.
Une vision dynamique du droit
Le droit est également perçu sous une forme dynamique, comme un ensemble de thèses et antithèses en perpétuelle opposition. Les règles juridiques sont constamment contestées, réinterprétées, et leur légitimité, leur pertinence et leur efficacité sont régulièrement remises en question. Cette approche met en lumière la relativité du droit, tout en soulignant la difficulté de maintenir un ordre juridique stable et prévisible, garant de la sécurité juridique.
La rhétorique et la dialectique deviennent alors des outils essentiels pour articuler et défendre des positions divergentes au sein du système juridique. Si cette vision met en avant la flexibilité et la remise en question des normes, elle rend aussi plus difficile l’établissement de règles durables et d’un ordre juridique cohérent.
§ 1 – L’histoire du droit français
Après la chute de l’Empire romain, la Gaule romaine a traversé une longue période de bouleversements marquée par des invasions multiples et l’influence de diverses cultures étrangères. À partir du Xe siècle, les souverains français se sont attelés à la tâche complexe d’unifier ce territoire morcelé, transformant progressivement le royaume en un État centralisé. Toutefois, malgré leurs efforts, ils ne parvinrent pas à instaurer un droit uniforme sur tout le territoire. Le sud de la France continua d’appliquer le droit romain, tandis que le nord fonctionnait sous un ensemble de coutumes locales souvent très variées. Ces différences régionales en matière juridique étaient renforcées par l’influence du droit canonique, imposé par l’Église, notamment en ce qui concerne le mariage et les successions.
Les institutions judiciaires étaient organisées autour des parlements des principales provinces, chacun ayant une autorité propre. Le parlement de Paris, bien qu’influent, n’exerçait pas de suprématie directe sur les autres cours provinciales. Ces parlements se considéraient libres de refuser ou d’accepter l’enregistrement des lois et des édits émanant du roi, ce qui reflétait une certaine autonomie régionale face à la couronne.
Avec la Révolution française et les bouleversements qu’elle engendra, la volonté de réformer en profondeur l’organisation politique et judiciaire du pays devint manifeste. L’idée d’une stricte séparation des pouvoirs fut adoptée, marquant un tournant décisif. Le législateur se consacrait désormais à la création des lois, tandis que les juges étaient chargés de les appliquer, mettant ainsi un terme aux interprétations souvent arbitraires. L’un des moments fondateurs de cette refonte fut la promulgation, en 1804, du Code civil sous l’impulsion de Napoléon Ier. Ce code, élaboré par quatre juristes de renom représentant les traditions juridiques divergentes du nord et du sud de la France, symbolisait un compromis historique :
- Un compromis entre le droit coutumier du nord et le droit écrit romain du sud ;
- Un compromis entre les valeurs traditionnelles de l’Ancien Régime et les idéaux individualistes de la Révolution française.
Les rédacteurs du Code civil firent le choix délibéré de ne pas rédiger des lois trop détaillées. En effet, les articles du code se caractérisent par des formules générales et un style épuré, facilitant ainsi la compréhension par les citoyens tout en prévenant les risques d’une justice arbitraire. Ce souci d’accessibilité visait à ancrer le principe de légalité au cœur de la société, en s’assurant que le droit soit lisible pour tous, et non réservé à une élite de juristes.
Outre le Code civil, d’autres codes furent rédigés sous le Premier Empire afin d’encadrer différents domaines du droit. Parmi eux, le Code pénal, le Code de commerce et les codes de procédure civile et pénale permirent de structurer de manière cohérente l’ensemble du système judiciaire. En parallèle, une nouvelle organisation judiciaire fut instaurée, avec la création de la Cour de cassation au sommet de la hiérarchie. Cette cour avait pour mission de garantir l’unité de l’interprétation des lois et de corriger les éventuelles erreurs de droit, assurant ainsi la cohérence juridique à l’échelle nationale.
L’importance du droit dans l’organisation de la société remonte à l’Antiquité, où la législation, souvent liée à la religion dans les théocraties, a servi de fondement à la gouvernance. La Grèce ancienne, par exemple, a consolidé un système juridique au sein de ses cités-États, permettant l’émergence d’une civilisation où le droit primait sur la force. Tandis que les Grecs étaient avant tout des hommes politiques, les Romains se distinguèrent par leur talent de juristes et d’administrateurs. Ils développèrent un droit extrêmement élaboré, dont l’influence s’étendit bien au-delà de la chute de leur empire, marquant de manière durable les structures juridiques des États européens.
Ainsi, notre civilisation moderne repose toujours sur la primauté du droit, et non de la force, principe qui trouve ses racines dans ces traditions anciennes et que les réformes napoléoniennes ont contribué à façonner et à inscrire dans la culture juridique française.
Le droit romain et son influence
Le droit romain a exercé une influence déterminante sur le développement du droit civil français, et par extension, sur les systèmes juridiques des pays qui s’en sont inspirés. Fortement imprégné d’autorité et de formalisme, il consacre le pouvoir quasi absolu du pater familias (père de famille), autour duquel l’unité sociale se constitue. Ce dernier détient une puissance patriarcale sur les membres de la famille, ainsi qu’un contrôle étendu sur les biens.
En matière de biens, le droit romain introduit une classification binaire :
- Les res mancipi, qui incluent les héritages, les servitudes rurales, les esclaves et les animaux de trait et de charge, essentiels pour l’agriculture et l’économie.
- Les res non mancipi, comprenant toutes les autres choses n’entrant pas dans les catégories précédentes.
La transmission de ces biens se faisait par deux procédés distincts :
- La mancipatio, réservée aux res mancipi, s’effectuait lors d’une cérémonie formelle en présence de cinq témoins et d’un porte-balance, garantissant le caractère solennel et juridiquement irréprochable de l’acte.
- La traditio, procédure beaucoup plus simple, permettait le transfert des res non mancipi par la remise matérielle de l’objet à l’acquéreur, sans formalisme particulier.
Pour faire respecter les droits de chacun, deux actions en justice s’imposaient :
- La pignoris captio, qui donnait au créancier le droit de saisir les biens de son débiteur pour les conserver en gage jusqu’au remboursement.
- La manus injectio, une action plus sévère permettant au créancier de saisir physiquement son débiteur en cas de non-exécution du jugement, pouvant aller jusqu’à le réduire en esclavage ou même le tuer, selon la gravité de la dette.
Vers 450 av. J.-C., la Loi des Douze Tables marqua une étape essentielle en codifiant le droit primitif romain. Ce texte, bien que rudimentaire, ne s’appliquait qu’aux citoyens romains. L’afflux croissant d’étrangers, ou pérégrins, sur le territoire romain nécessita l’adoption de nouvelles règles. Cette situation justifia la création de la juridiction du préteur pérégrin, un magistrat chargé des affaires impliquant des étrangers. Ses décisions s’inspiraient du jus gentium, une forme de droit naturel applicable à défaut de lois spécifiques. Ce droit des gens, initialement destiné aux étrangers, finit par s’appliquer également aux citoyens romains sous l’autorité du préteur urbain.
Au IIe siècle av. J.-C., la procédure formulaire fit son apparition, permettant de formaliser la saisine du juge, mais le préteur conservait des pouvoirs étendus et pouvait intervenir au nom de l’équité. Ses édits, d’abord spécifiques à chaque affaire, prirent peu à peu une portée générale en raison de leur répétition. L’influence des grands juristes de l’époque classique, tels que Gaius et Ulpien, devint alors prépondérante. Ces figures marquantes du droit romain posèrent les bases théoriques qui allaient influencer durablement le droit romain.
Sous l’Empire romain, le droit commença à se confondre avec la volonté du prince, marquant un tournant vers une centralisation accrue du pouvoir législatif. Justinien, empereur d’Orient, joua un rôle crucial en consolidant et classant les théories juridiques des grands juristes de l’époque classique. Il créa le Corpus Juris Civilis, un ensemble monumental divisé en plusieurs parties : le Digeste, le Codex, les Leges, l’Infortiat et le Vetus. Ce recueil, connu sous le nom de Code Justinien, allait devenir une référence majeure pour le droit civil européen.
Le droit romain ainsi codifié allait exercer une influence profonde en Europe médiévale. En France, il s’appliquait principalement dans les provinces méridionales, constituant ce que l’on appelait les pays de droit écrit. Par contraste, dans le nord, dominé par des traditions locales, régnait un droit coutumier oral qui se transmettait de génération en génération. Cette diversité juridique entre les deux régions du pays reflétait des héritages distincts et parfois contradictoires.
C’est seulement après l’ordonnance de Montil-lès-Tours en 1454 que les coutumes du nord commencèrent à être rédigées, ce qui marqua une première étape vers leur formalisation. Toutefois, il fallut attendre 1724 pour voir la publication du Coutumier général de Bourdot de Richebourg, qui synthétisait les diverses pratiques coutumières.
La diversité des régimes juridiques dans le royaume de France ne se limitait pas aux questions civiles. En effet, le droit des personnes, notamment en matière de mariage et de succession, était largement influencé par les juridictions ecclésiastiques, soumises au droit canonique. Cependant, le processus d’unification politique engagé par les rois de France, particulièrement à partir du règne de Louis XIV, contribua progressivement à réduire ces divergences. Cette centralisation s’accompagna d’une série de grandes ordonnances, notamment celles de Colbert et du chancelier d’Aguesseau, qui participèrent à la modernisation et à l’harmonisation du droit français.
Parallèlement, plusieurs doctrinaires influents jouèrent un rôle crucial dans la rationalisation du droit. Des juristes tels que Jacques Cujas, Charles Dumoulin et Bertrand d’Argentré au XVIe siècle, suivis de Jean Domat au XVIIe siècle et de Robert-Joseph Pothier au XVIIIe siècle, furent des figures incontournables dans ce processus. Leur travail posa les bases intellectuelles et doctrinales du futur Code civil napoléonien, marquant l’avènement d’un droit national unifié.
Le droit post-révolutionnaire
Après la Révolution française, l’unification du droit devient une réalité sous le Consulat et le Premier Empire, sous l’impulsion de Napoléon Ier. Il entreprend une vaste entreprise de codification, assisté par des juristes éminents tels que Bigot de Préameneu, Maleville, Portalis et Tronchet, notamment pour l’élaboration du Code civil. Promulgué en 1804, ce code, également connu sous le nom de Code Napoléon, est la première et la plus brillante réalisation de cette synthèse juridique. Sa longévité et sa résistance aux évolutions politiques témoignent de sa remarquable pérennité. Il est suivi par la promulgation de plusieurs autres codes fondamentaux : le Code de procédure civile en 1807, le Code de commerce la même année, le Code d’instruction criminelle en 1808 et le Code pénal en 1810.
L’influence internationale du Code civil fut immense au XIXe siècle, notamment dans les territoires sous domination française tels que la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Nord de l’Italie et certains cantons suisses. Parmi ces pays, certains, comme la Belgique et le Luxembourg, ont maintenu le Code civil français, tandis que d’autres ont progressivement adapté ou remplacé cette influence par des législations nationales.
Au-delà de ces territoires directement sous contrôle français, le Code civil a également marqué les législations de pays tels que l’Espagne, le Portugal et une grande partie des pays d’Amérique latine, faisant du modèle français un système juridique de référence sur plusieurs continents. Cependant, à partir du XXe siècle, l’influence française déclina au profit d’autres modèles. Le code civil allemand (BGB), promulgué en 1900, et le code civil suisse de 1912 se sont imposés dans certaines régions comme l’Amérique latine, mais aussi au Japon et en Turquie, supplantant progressivement le Code Napoléon.
Malgré ces évolutions, il n’existe pas de véritable opposition entre les systèmes juridiques germanique et français. Bien que certaines règles divergent, les deux systèmes partagent les mêmes catégories juridiques et des concepts similaires. Tous deux reposent sur le principe que la législation codifiée constitue la base du droit. Ces législations sont regroupées dans des codes qui énoncent des principes généraux que les juges doivent ensuite appliquer à chaque situation particulière, selon un raisonnement déductif.
En revanche, le système de Common Law, prédominant dans les pays anglo-saxons (Royaume-Uni, États-Unis, Irlande), fonctionne selon une logique différente. Le droit y est élaboré de manière empirique, à partir des décisions jurisprudentielles prises par les juges au fil du temps. Contrairement aux systèmes codifiés, il n’existe pas de textes unifiés regroupant l’ensemble des lois. Ce système repose sur une démarche inductive, où chaque nouvelle affaire contribue à enrichir la jurisprudence, sans qu’un code global ne vienne formaliser les règles.
Le mouvement de codification au XIXe et XXe siècles.
Le mouvement de codification lancé au XIXe siècle, sous l’impulsion de Napoléon, s’est poursuivi et amplifié au XXe siècle. Il a connu un regain d’intérêt après 1945, mais avec un changement d’objectif. Désormais, l’accent est mis sur la clarification et l’unification des textes législatifs. En effet, à mesure que les lois se multiplient, la nécessité d’organiser et de simplifier ces textes devient urgente. Ce phénomène d’inflation législative, propre à l’ère technocratique, suscite des inquiétudes au sein de la société, menacée par une indigestion législative. En France, le nombre de codes dépasse aujourd’hui la cinquantaine, créant une complexité croissante dans l’application du droit.
Cette abondance de lois nous renvoie à la célèbre réflexion de Tacite : « Corruptio respublica plurimac leges » – « Plus l’État se dégrade, plus nombreuses sont les lois. » Cette observation souligne l’idée que la multiplication des lois pourrait être le signe d’une dérive politique ou morale, où la prolifération législative ne répond plus nécessairement à un besoin de justice mais à une volonté de contrôle ou de régulation excessive.
Dans le cadre de cette évolution, on assiste également à une spécialisation croissante du droit. De nouvelles branches apparaissent, chacune régie par des législations spécifiques qui reflètent les priorités contemporaines. Parmi ces nouvelles disciplines figurent le droit de l’informatique, le droit de la propriété intellectuelle, le droit de la consommation, et le droit de l’environnement. Chacune de ces branches est un exemple des défis contemporains auxquels le droit doit répondre, marquant une transition vers des problématiques de plus en plus techniques et complexes, en phase avec l’évolution de la société.
§ 2 – Les sources du droit français
Le droit objectif s’appuie sur plusieurs sources qui structurent l’ensemble des règles applicables. Les trois principales sources sont la législation, la jurisprudence et la doctrine, mais il existe aussi des sources accessoires, telles que la coutume, les usages professionnels, les conventions collectives, ainsi que des instruments comme les réponses ministérielles et les circulaires. Voici un aperçu détaillé de ces sources :
A – La loi ou législation
La législation est la source principale du droit. Certains auteurs vont jusqu’à considérer qu’elle constitue la seule véritable source. Elle regroupe l’ensemble des textes législatifs, quelle que soit leur place dans la hiérarchie normative. Cela inclut :
- Les lois,
- Les ordonnances,
- Les décrets,
- Les arrêtés,
- Les circulaires à caractère réglementaire.
Depuis l’adoption de la Constitution du 4 octobre 1958, qui renforce le pouvoir exécutif, le décret est devenu l’acte législatif courant, alors que le rôle législatif du Parlement a été limité à un domaine précis. Cette limitation s’inscrit dans l’article 34 de la Constitution, qui liste les matières relevant de la compétence législative. Les autres domaines sont réservés au pouvoir réglementaire du gouvernement.
Hiérarchie des normes
Les textes législatifs sont hiérarchisés de manière stricte :
- Au sommet, la Constitution fixe les règles fondamentales de l’organisation politique et juridique du pays.
- Vient ensuite la loi, votée par le Parlement et promulguée par le Président de la République. Cependant, le champ d’intervention législatif du Parlement est limité aux matières essentielles.
- Les règlements (ou décrets) sont pris par le gouvernement pour les domaines qui ne relèvent pas de la loi. Par exemple, la procédure civile n’est pas du ressort du Parlement mais du pouvoir réglementaire.
Textes et autorités administratives
Les textes administratifs comprennent également des arrêtés pris par diverses autorités administratives :
- Les ministres, qui édictent des arrêtés ministériels.
- Les préfets et maires, qui prennent des arrêtés préfectoraux et municipaux.
Le Conseil d’État, en tant que juridiction administrative suprême, veille au contrôle de la légalité des règlements, garantissant ainsi que les textes règlementaires respectent la hiérarchie des normes.
Structure des textes législatifs
Les lois, décrets et codes sont divisés de manière méthodique :
- Articles : Chaque texte législatif est divisé en articles. Par exemple, l’article 1384 du Code civil.
- Alinéas : Les articles sont eux-mêmes subdivisés en alinéas. L’expression « art. 1384 al. 1 C. civ. » désigne donc le premier alinéa de l’article 1384 du Code civil.
- Numérotation des nouveaux articles : Lorsque de nouveaux articles sont introduits, ils sont numérotés selon une séquence qui respecte la structure préexistante (ex. : art. 334-1, art. 334-2).
Ainsi, la législation est composée de textes organisés selon une hiérarchie précise garantissant un cadre juridique clair et stable.
B – La jurisprudence
Bien que son statut de source directe du droit soit contesté, la jurisprudence joue un rôle clé dans la garantie de la sécurité juridique, en permettant une interprétation des textes législatifs par les juges. Ceux-ci ne peuvent se soustraire à leur devoir sous prétexte d’une loi obscure ou insuffisante. Le rôle de la jurisprudence, bien que qualifié de source indirecte, est essentiel dans l’adaptation et l’évolution du droit, en complément de la législation.
-
Cour de cassation : Au sommet de la hiérarchie judiciaire, la Cour de cassation veille à l’harmonisation des décisions des juridictions inférieures, appelées juridictions du fond. Elle impose des directives qui, bien qu’elles ne soient pas obligatoires pour les juges du fond, influencent fortement leurs décisions. En effet, ne pas suivre ces orientations expose à un risque de cassation en cas de pourvoi.
-
Interdiction des arrêts de règlement : Les juges français n’ont pas le droit de rendre des arrêts de règlement, c’est-à-dire de statuer de manière générale sur un principe de droit sans lien direct avec le cas particulier qui leur est soumis. Cela limite leur pouvoir de créer des règles générales, garantissant ainsi que leur rôle se concentre sur l’application de la loi au cas d’espèce.
La jurisprudence se définit comme l’ensemble des décisions rendues par les cours et tribunaux. Les décisions des cours sont appelées arrêts, tandis que celles des tribunaux sont désignées par le terme jugements.
Évolution historique
Dans l’ancien droit, avant la Révolution française, la jurisprudence des parlements jouait un rôle prépondérant dans l’interprétation et l’application des lois. La Révolution a toutefois cherché à limiter le pouvoir judiciaire, en supprimant la notion de précédent. Cela signifie qu’en France, contrairement aux systèmes de Common Law, les décisions passées ne lient pas les juges pour les affaires futures.
Cependant, dans la pratique, la réalité est différente. Bien que la jurisprudence ne soit pas officiellement une source directe, elle est devenue un complément indispensable à la loi. La législation étant souvent générale, les juges doivent l’interpréter, et parfois même la compléter, afin de l’adapter aux situations spécifiques qui leur sont soumises.
Influence de la jurisprudence moderne
Depuis le XXe siècle, la jurisprudence française a pris l’habitude d’interpréter les textes de manière extensive, en s’éloignant parfois de la stricte lettre de la loi ou de l’intention initiale du législateur. Cette tendance à interpréter de manière créative est renforcée par l’influence des doctrines issues de la pensée académique, souvent développées par des professeurs de droit. Ces doctrines, parfois éloignées de l’intention des rédacteurs des textes, contribuent néanmoins à l’évolution dynamique du droit.
Ainsi, malgré la théorie selon laquelle la jurisprudence n’est pas une source officielle, une grande partie du droit français est en réalité créée par les décisions judiciaires. Cette capacité des juges à adapter les règles juridiques aux évolutions sociales et aux nouveaux défis fait de la jurisprudence un pilier fondamental du système juridique français, même si elle demeure officiellement une source indirecte du droit.
C – La coutume
La coutume se compose d’usages généraux et constants, que la société reconnaît comme ayant une force obligatoire. Par exemple, bien que le Code civil ne mentionne pas explicitement que la femme mariée doit porter le nom de son mari, cette pratique est une coutume reconnue.
- Autrefois, la coutume constituait une source majeure du droit, mais son importance a fortement diminué avec la codification.
- Aujourd’hui, elle subsiste principalement dans des domaines spécifiques, comme les pratiques professionnelles et surtout commerciales, où elle continue d’avoir un caractère obligatoire.
D – La doctrine
La doctrine rassemble les opinions de divers juristes, tels que les professeurs de droit, les avocats et les magistrats, publiées dans des ouvrages ou des revues spécialisées. Bien qu’elle ne soit pas une source directe du droit, elle joue un rôle important en influençant indirectement la législation et la jurisprudence.
La doctrine a plusieurs fonctions :
- Elle fournit une synthèse des autres sources du droit.
- Elle critique et évalue en permanence les institutions en vigueur, favorisant leur adaptation et leur évolution.
- Elle contribue à la garantie des libertés publiques, en manifestant la liberté d’expression des juristes face au pouvoir, un contrepoids nécessaire aux tendances d’immobilisme du droit.
Bien que la doctrine ne soit pas officiellement reconnue comme une source de droit, son influence est incontestable. De nombreuses réformes législatives et réglementaires sont élaborées avec l’aide des professeurs de droit, et plusieurs règles jurisprudentielles découlent directement des travaux doctrinaux. Cependant, en vertu de la théorie officielle, les juges ne peuvent créer du droit, et il est rare de voir la doctrine citée explicitement dans les décisions judiciaires. On fait ainsi comme si toutes les règles provenaient du législateur, même lorsque l’influence doctrinale est évidente.
§ 3 – Les structures du droit français
Il convient de dire quelques mots de la séparation du droit public et du droit privé, avant de présenter quelques distinctions fondamentales en droit privé.
A – La séparation entre le droit privé et le droit public
En droit français, la distinction entre droit privé et droit public reste fondamentale, influençant directement l’organisation des juridictions et le traitement des litiges. Le droit privé régit les relations entre particuliers, tandis que le droit public encadre les relations entre l’État, les administrations publiques et les citoyens, ainsi que l’organisation des pouvoirs publics.
- Les juridictions de l’ordre judiciaire sont compétentes pour résoudre les litiges de droit privé, incluant les affaires pénales. Elles se répartissent entre tribunaux de proximité, tribunaux judiciaires (qui ont remplacé depuis 2020 les tribunaux d’instance et de grande instance), cours d’appel et cour de cassation.
- Les juridictions administratives statuent sur les litiges entre particuliers et administrations. Le Conseil d’État, en tant que juridiction administrative suprême, joue un rôle clé en matière de recours pour excès de pouvoir, permettant d’annuler des décisions administratives pour illégalité.
Le droit privé et ses branches
Le droit privé se subdivise toujours en plusieurs branches, avec des évolutions récentes dues à l’adaptation des lois aux nouvelles réalités sociales et économiques.
- Droit civil : il demeure la branche centrale, s’occupant des personnes, des biens, des contrats et des responsabilités civiles. Les réformes récentes, telles que la réforme du droit des contrats de 2016, ont modernisé plusieurs aspects du Code civil.
- Droit commercial : la digitalisation et la mondialisation des échanges ont renforcé l’importance de la régulation des activités commerciales. Les tribunaux de commerce restent compétents pour juger les litiges commerciaux, avec des adaptations pour prendre en compte les startups et l’économie numérique.
- Droit du travail : ce domaine a été largement modifié par des réformes telles que les ordonnances Macron de 2017, qui ont transformé les règles de licenciement, les accords d’entreprise et les précautions sociales. Les conseils de prud’hommes continuent de juger les conflits entre employeurs et salariés, mais dans un cadre réformé.
D’autres branches du droit privé se sont également étoffées pour répondre aux nouveaux enjeux :
- Droit de la consommation : face à l’essor du commerce en ligne et des nouvelles technologies, des réformes récentes visent à protéger les consommateurs dans un environnement numérique de plus en plus complexe.
- Droit de la protection des données : avec la mise en place du RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) en 2018, ce domaine prend une place centrale, encadrant les relations entre les entreprises et les citoyens quant à la gestion des données personnelles.
Nouvelle organisation des juridictions après la réforme judiciaire de 2020
- La réforme de 2020 a fusionné les tribunaux d’instance et les tribunaux de grande instance en une seule juridiction : le tribunal judiciaire, qui traite l’ensemble des affaires civiles.
- Pour les petits litiges ou les affaires simplifiées, les juridictions de proximité continuent à jouer un rôle essentiel.
Application des règles générales du Code civil : Lorsque des codes spécialisés ne prévoient pas de règles spécifiques, le Code civil reste la source principale de droit applicable.
B – Les distinctions fondamentales en droit privé
1ère distinction : Le terme « Droit » et ses deux sens
- Droit Objectif : l’ensemble des règles qui régissent les relations des individus au sein de la société. Ces règles, imposées par l’autorité publique, sont sanctionnées en cas de non-respect. Ici, on s’intéresse au contenu du droit en tant que système normatif applicable à tous.
- Droits Subjectifs : les prérogatives que le Droit Objectif reconnaît à chaque personne, qu’il s’agisse d’une personne physique (individu) ou morale (comme une société). Ces droits sont les droits individuels qui permettent à une personne de revendiquer ou d’exercer des actions spécifiques.
Le Droit Objectif fonde et structure les Droits Subjectifs. Par exemple, une loi (relevant du Droit Objectif) permet à une personne de devenir propriétaire, de se marier ou de divorcer.
2ème distinction : les droits patrimoniaux et droit extrapatrimoniaux
En droit privé, les droits individuels sont appelés droits subjectifs car ils sont rattachés à la personne, qui devient sujet de droit. Ces droits subjectifs se divisent en deux catégories principales : les droits patrimoniaux et les droits extrapatrimoniaux.
- Les droits patrimoniaux
Les droits patrimoniaux sont ceux que l’on peut évaluer en argent et qui possèdent une valeur économique ou pécuniaire. Ces droits sont disponibles (ils peuvent être cédés ou transmis) et prescriptibles (ils peuvent se perdre ou s’acquérir avec le temps). Les droits patrimoniaux sont souvent considérés comme des biens et se subdivisent en plusieurs catégories :
- Droits réels : Ces droits donnent à une personne un pouvoir direct sur une chose. Le plus connu est le droit de propriété, qui confère un pouvoir absolu sur un bien. Les droits réels incluent également les usufruits, servitudes et hypothèques, qui sont opposables à tous.
- Droits personnels (ou droits de créance) : Ces droits créent une relation d’obligation entre un créancier et un débiteur, dans laquelle le créancier peut exiger une prestation, mais uniquement de son débiteur. Les obligations peuvent être de donner, faire ou ne pas faire quelque chose.
- Droits intellectuels : Ces droits concernent les créations intellectuelles, comme le droit d’un auteur sur son œuvre littéraire, celui d’un inventeur sur son invention, ou d’un professionnel sur sa clientèle. Ces droits sont protégés et offrent un avantage économique à leurs titulaires.
Les droits patrimoniaux constituent l’actif du patrimoine d’une personne, c’est-à-dire l’ensemble des biens et créances qu’elle possède.
- Les droits extrapatrimoniaux
Les droits extrapatrimoniaux ne sont pas évaluables en argent et concernent des aspects non économiques de la vie humaine. Ces droits sont indisponibles (ils ne peuvent être cédés ou transmis) et imprescriptibles (ils ne se perdent pas avec le temps). Ils peuvent être de plusieurs types :
- Droits politiques : Comme le droit de vote, ils concernent la participation d’un individu à la vie publique et politique.
- Droits familiaux : Ces droits concernent des relations familiales, telles que l’autorité parentale ou le droit de garde sur les enfants.
- Droits de la personnalité : Ils protègent l’intégrité de la personne, notamment le droit à l’honneur, le droit au nom, et le droit au respect de la vie privée.
Ces droits sont fondamentaux et ne peuvent être cédés ni perdus, ce qui les rend essentiels à la protection de la personne humaine dans la sphère juridique.
Le patrimoine en droit français
En droit français, toute personne possède un patrimoine, qui inclut l’ensemble de ses droits et obligations. Le patrimoine est composé de deux parties :
- L’actif, constitué des droits patrimoniaux (biens et créances).
- Le passif, constitué des dettes et obligations envers d’autres sujets de droit.
Une personne physique ne peut avoir qu’un seul patrimoine, regroupant tous ses droits et obligations. Cependant, pour protéger certains biens des créanciers professionnels, une personne peut créer une personne morale, comme une société civile ou commerciale. Cette entité aura son propre patrimoine distinct de celui de la personne physique, offrant ainsi une protection patrimoniale.
&4 – Différence entre les systèmes juridiques
Les systèmes juridiques varient selon les considérations éthiques, religieuses et historiques propres à chaque société, ce qui crée des différences dans la manière dont les Droits Subjectifs sont reconnus et appliqués. Voici un aperçu des principaux systèmes juridiques mondiaux :
- 1. Système romano-germanique Ce système regroupe les pays dont le droit s’inspire à la fois du droit romain et des influences germaniques. Le contenu du droit est un mélange de solutions romaines et germaniques, mais les règles ne sont pas uniformes entre les pays. Par exemple, un droit reconnu en France peut ne pas l’être en Allemagne. Ces pays partagent toutefois des catégories juridiques communes, des regroupements de règles visant des objectifs similaires, et utilisent des codes juridiques pour organiser le droit. C’est le cas de nombreux pays européens, mais aussi du Québec, de certains pays d’Orient et d’Asie.
- 2. Système de Common Law Dans ce système, le droit est essentiellement formé à partir des décisions judiciaires. Le précédent joue un rôle central, et les règles de droit sont établies au fil des affaires jugées par les tribunaux. Ce système est en vigueur dans des pays comme la Grande-Bretagne, l’Irlande, les États-Unis, certaines provinces du Canada et les anciennes colonies britanniques. Le droit évolue au cas par cas, suivant une approche plus empirique que codifiée.
- 3. Système socialiste Ce système englobe les pays où le droit s’aligne sur les doctrines marxistes-léninistes. La codification y existe, mais elle accompagne un bouleversement fondamental des règles de droit pour servir les idéaux du socialisme. Cependant, ce système a connu une disparition progressive avec la chute des régimes communistes en Europe de l’Est et ailleurs.
- 4. Systèmes juridiques d’inspiration religieuse Dans ces systèmes, le droit est fondé sur des principes philosophiques ou religieux. La codification existe parfois pour certaines matières comme les affaires, mais pour des sujets tels que la famille ou la succession, les règles sont directement issues des textes religieux. Un exemple notable est le droit musulman, qui continue de régir des aspects importants de la vie civile dans plusieurs pays.
Le Plan du cours d’introduction au droit français en 3 parties
- I- le Droit Objectif
- II- les droits subjectifs
- III-les titulaires des droits subjectifs
PARTIE I- Le Droit Objectif
Titre I : Approche du Droit objectif
Le droit est composé de différentes branches, en fonction de la spécificité de chaque matière, ce qui la caractérise est la règle de droit ; moyen par lequel parvient à son destinataire.
Chapitre1 : La classification du droit
Section 1 : les différentes branches du droit
Elles sont déterminées en fonction de l’objet ou de la spécificité de la branche. Deux manières de classer le droit :
- en opposant droit public et droit privé
- en opposant droit interne et droit international
§1 : distinction entre droit public et droit privé
Celle ci est appelée summa divisio ( la division essentielle)
I-le principe de la distinction
Les règles de droit en France se divisent en deux grandes branches : le droit public et le droit privé. Chacune régit des relations spécifiques dans la société, avec ses propres domaines et principes.
A- Le droit public
Le droit public concerne les relations d’ordre public et régit les collectivités publiques, l’État et ses différentes administrations. Il se divise en plusieurs branches principales :
- Droit constitutionnel
- Droit administratif
- Droit des finances publiques
1- Le droit constitutionnel
Le droit constitutionnel découle directement de la Constitution d’un État, qui est l’instrument définissant l’organisation interne de celui-ci. En France, la Constitution actuelle date du 4 octobre 1958. Elle rassemble toutes les règles qui régissent le fonctionnement de l’État et fixe les droits fondamentaux des citoyens ainsi que la répartition des pouvoirs entre les différentes institutions (Président, Parlement, Gouvernement, etc.).
2- Le droit administratif
Le droit administratif régit les relations entre les administrations publiques (ensemble des organes qui gouvernent l’État) et les administrés (citoyens). Il traite également du fonctionnement interne de l’Administration, qui est soumise à des règles distinctes de celles du secteur privé. Quelques exemples de différences entre l’administration publique et le secteur privé sont :
- Dans le secteur privé, l’embauche est généralement libre, sauf discrimination, tandis que dans le secteur public, l’embauche se fait par recrutement selon des critères spécifiques.
- Les fonctionnaires perçoivent un traitement (salaire objectif), alors que dans le privé, le salaire est souvent négociable.
3- Le droit des finances publiques
Le droit des finances publiques comprend l’ensemble des règles relatives aux finances de l’État et des collectivités locales (communes, départements, régions). Ce domaine définit comment l’État ou une collectivité locale trouve ses ressources financières (impôts, taxes, emprunts) et comment ces ressources sont utilisées (budget, dépenses publiques).
B- Le droit privé
Le droit privé régit les relations entre les particuliers ou entre les personnes privées. Il s’applique aux rapports juridiques entre individus ou entre des entités privées comme les entreprises. Plusieurs branches du droit privé existent, dont les plus importantes sont :
-
Droit civil : Cette branche regroupe les règles qui concernent les particuliers dans leur vie quotidienne, comme le droit au nom (nom de famille, prénom) ou les relations familiales.
-
Droit commercial : Spécifique aux commerçants, il traite des relations commerciales et des actes de commerce, ainsi que des contrats et obligations liés à l’activité commerciale.
-
Droit social (ou droit du travail) : Ce domaine traite des rapports entre les employeurs et les salariés, régissant les contrats de travail, les conditions d’emploi, et les droits des travailleurs.
Point commun du droit privé : dans toutes ses branches, il s’agit toujours de relations entre particuliers (individus ou entités privées), sans l’intervention directe de l’État ou des administrations publiques, sauf en tant que parties privées.
II- la valeur de ces distinctions
La distinction traditionnelle entre droit public et droit privé est souvent critiquée pour son manque de clarté et sa justification discutable. Ces critiques remettent en question la pertinence de cette séparation, tant sur les critères qui la fondent que sur la répartition des matières entre les deux branches.
A) La critique
Les critiques s’articulent autour de deux grands axes : le manque de critères nets pour distinguer ces deux branches, et l’incohérence de la répartition des matières.
1) Première critique : les critères dénoncés
Quatre critères sont souvent évoqués pour différencier le droit public du droit privé, mais ces critères sont jugés insuffisants ou parfois erronés.
-
Différence de but :
- Le droit public viserait à satisfaire l’intérêt général, tandis que le droit privé protégerait les intérêts individuels.
- Critique : Cette distinction est trompeuse, car le droit public s’intéresse aussi aux particuliers. De plus, bien que le droit privé semble concerner des individus spécifiques, ses effets impactent l’ensemble de la société.
-
Caractère impératif des règles :
- Le droit public serait impératif (il s’impose à tous), tandis que le droit privé serait parfois supplétif (certaines règles peuvent être écartées si les parties en conviennent).
- Critique : Ce critère n’est pas toujours applicable. Par exemple, le droit de vote (droit public) n’est pas toujours impératif, et la fidélité dans le mariage (droit privé) est impérative.
-
Différence des sujets de droit :
- Le droit public s’appliquerait aux personnes morales publiques (l’État et ses administrations), tandis que le droit privé concernerait uniquement les personnes privées ou morales privées (comme les sociétés).
- Critique : Certaines personnes morales privées, comme la SNCF, remplissent des missions de service public, brouillant ainsi la distinction entre les deux catégories.
-
Exécution et sanction des règles :
- Dans le droit privé, un individu peut contester une obligation sans être immédiatement sanctionné (par exemple, un créancier doit passer par les tribunaux pour faire exécuter une dette). En revanche, dans le droit public, l’administration impose ses décisions et la sanction est immédiate si l’on refuse d’obtempérer (par exemple, en matière fiscale).
- Critique : Ce critère est contesté car, dans certains cas, le droit privé prévoit également des sanctions immédiates, et certaines décisions administratives peuvent être contestées avant d’être exécutées.
2) Deuxième critique : la répartition des matières
La deuxième critique porte sur la répartition des matières entre le droit public et le droit privé. Certaines branches du droit sont difficilement classables dans l’une ou l’autre catégorie.
- Exemple du droit pénal :
- Le droit pénal régit la punition des infractions et protège la société contre les comportements inadmissibles. À ce titre, il pourrait relever du droit public, car il organise la cohésion sociale et l’ordre public.
- Critique : Pourtant, le droit pénal est classé dans le droit privé, car il protège les individus entre eux. Cette répartition est donc perçue comme incohérente, car le droit pénal possède des aspects à la fois de droit public (protection de la société) et de droit privé (protection des individus).
B) Le compromis
Un compromis consiste à reconnaître que certaines matières ne relèvent pas strictement du droit public ou du droit privé. Ces matières intermédiaires sont qualifiées de « matières à cheval » ou « matières sui generis », car elles empruntent des éléments aux deux catégories.
- Exemple du droit pénal : Il combine des aspects de droit public (l’ordre public) et de droit privé (protection des individus).
- Exemple des matières d’investissement : Certaines branches du droit, comme le droit de l’urbanisme ou le droit de la concurrence, touchent à des questions relevant à la fois de l’État et des particuliers.
Ainsi, la frontière entre droit public et droit privé n’est pas toujours nette, et certaines disciplines nécessitent une approche plus nuancée, reconnaissant leur caractère hybride.
§2 : La distinction entre droit interne et droit international
I- Le droit international
Le droit international privé vise à harmoniser les conflits de lois et de juridictions qui peuvent survenir dans les relations transnationales, tout en protégeant les droits des individus dans des contextes internationaux.
A) Notion de droit international
Le droit international englobe l’ensemble des règles qui s’appliquent au-delà du territoire d’un État. Ces règles sont généralement établies par le biais d’instruments diplomatiques tels que des accords, traités, et conventions. Le droit international peut s’appliquer aux ressortissants d’un État à l’étranger ou aux étrangers présents sur le territoire d’un autre État.
Il existe deux grandes catégories de règles en droit international : celles qui régissent les relations entre États et celles qui concernent les rapports entre individus, qu’ils soient nationaux ou étrangers.
B) Les subdivisions
Le droit international se subdivise en deux grandes branches :
- Droit international public : concerne les relations entre États et institutions internationales.
- Droit international privé : régit les relations entre particuliers comportant un élément d’extranéité.
1) Le droit international public
Depuis plusieurs décennies, la mondialisation et le développement des communications ont conduit à l’émergence d’un ordre juridique international de plus en plus structuré. Les États ont créé des institutions internationales pour gérer les relations entre eux, parmi lesquelles on trouve :
- ONU (Organisation des Nations Unies),
- Conseil de Sécurité,
- Cour Internationale de Justice (CIJ) de La Haye,
- OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord).
La particularité du droit international public réside dans l’absence de sanctions coercitives directes. Ce système repose principalement sur le respect mutuel et la coopération entre les États. Les États utilisent des instruments juridiques spécifiques, tels que des traités ou des résolutions, pour réguler leurs relations et résoudre les conflits.
2) Le droit international privé
Le droit international privé poursuit deux objectifs principaux :
-
Réglementer les relations entre particuliers comportant un élément étranger, ce que l’on appelle un élément d’extranéité. Par exemple, un mariage entre un Français et une Italienne célébré en Espagne, ou un accident de la route en Allemagne impliquant un véhicule espagnol conduit par un Français et un véhicule italien conduit par un Anglais. Ces situations nécessitent de déterminer quelle loi nationale est applicable et quelle juridiction est compétente.
-
Définir les conditions des étrangers sur le territoire d’un État donné, ainsi que les conditions d’acquisition de la nationalité. Par exemple, le droit international privé régit les conditions sous lesquelles un étranger peut résider, travailler, ou obtenir la nationalité dans un autre pays.
II- Le droit interne
Le droit interne regroupe l’ensemble des règles applicables à l’intérieur du territoire d’un État. Ces règles relèvent à la fois du droit public et du droit privé, et sont subdivisées en différentes branches autonomes et distinctes.
A) Notion du droit interne
Le droit interne inclut toutes les règles juridiques en vigueur au sein d’un État. Ces règles régissent les relations entre personnes physiques, personnes morales, ainsi qu’entre l’État et les citoyens. Le droit interne se divise en plusieurs sous-branches spécifiques appartenant soit au droit public, soit au droit privé. Ainsi, le droit interne français est un ensemble structuré et diversifié qui régit aussi bien les relations entre particuliers que les interactions avec l’État et les institutions publiques, chaque branche ayant ses spécificités.
B) Les subdivisions
Voici les principales branches du droit interne :
1) Le droit civil
Le droit civil est l’une des branches fondamentales du droit privé. Il régit les rapports entre particuliers et détermine les droits et obligations des individus. Ses règles couvrent plusieurs domaines :
- Les droits des particuliers (ex : le droit au nom, à la propriété).
- Les obligations des particuliers, qu’elles concernent la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle.
Le droit civil est subdivisé en plusieurs disciplines :
- Le droit de la famille : il concerne des questions comme les fiançailles, le divorce, la filiation.
- Le droit des obligations : il régit les contrats et la responsabilité civile.
- Le droit patrimonial de la famille : traite des successions et des régimes matrimoniaux.
- Le droit des sûretés et des crédits : encadre les garanties et les créances, ainsi que la plupart des règles contenues dans le Code civil.
2) Le droit social
Le droit social est une matière sui generis (de nature propre). Il régit à la fois les relations entre employeurs et salariés dans le secteur privé, ainsi que le droit de la sécurité sociale. Le droit social se subdivise en deux branches :
- Le droit du travail : concerne les relations employeur-salarié, notamment les contrats de travail, les conditions d’emploi, et les protections des salariés.
- Le droit de la sécurité sociale : il régit les systèmes de protection sociale, auxquels les employeurs et les salariés contribuent afin de garantir une couverture en cas de maladie, d’accident ou de retraite.
3) Le droit commercial
Le droit commercial concerne les rapports commerciaux, principalement entre commerçants et entreprises privées. Ce domaine du droit est plus souple que le droit civil, afin d’adapter les règles aux besoins du commerce et des affaires.
Il inclut :
- Le droit commercial stricto sensu (régissant les transactions commerciales).
- Le droit fiscal des affaires.
- Le droit pénal des affaires.
- Le droit comptable.
- Le droit financier des affaires.
Le Code de commerce, établi en 1807, a été recodifié en 1999, intégrant de nombreuses lois modernes et réorganisant la structure du droit commercial pour répondre aux évolutions économiques.
4) Le droit pénal
Le droit pénal a pour objectif de sanctionner les comportements que la société juge répréhensibles. Il a été réformé avec l’adoption du Nouveau Code Pénal en 1993. Le droit pénal distingue trois grandes catégories d’infractions :
- Contraventions : infractions mineures, comme le non-respect du code de la route, sanctionnées par une amende ou une peine restrictive (ex : tapage nocturne).
- Délits : infractions plus graves, passibles de peines de prison (jusqu’à 10 ans), amendes, travaux d’intérêt général (ex : vol, abus de confiance).
- Crimes : infractions les plus graves, punies de détention à perpétuité ou de peines longues (ex : assassinat, homicide volontaire). Depuis 1980, la peine de mort a été abolie en France.
5) Le droit administratif
Le droit administratif fait partie du droit public et régit l’organisation des collectivités publiques (communes, départements, régions), ainsi que les rapports entre les administrations et les administrés. Il concerne aussi le fonctionnement des services publics et les règles relatives à la gestion des affaires publiques.
6) Le droit judiciaire
Le droit judiciaire regroupe l’ensemble des règles relatives à l’organisation de la justice et à la procédure judiciaire. Il encadre la manière dont les individus peuvent saisir une juridiction pour résoudre un litige et les procédures à suivre au cours d’un procès.
Quelques définitions clés :
- Action en justice : acte de saisir un tribunal pour faire valoir ses droits.
- Litige : conflit ou différend porté devant un tribunal.
- Jugement ou arrêt : décision rendue par une juridiction.
Le droit judiciaire se subdivise en plusieurs procédures :
- Procédure civile : régit les affaires civiles.
- Procédure pénale : s’applique aux affaires criminelles et délictuelles.
- Procédure administrative : concerne les recours et les litiges administratifs.
- Procédure commerciale : régit les litiges entre commerçants ou entreprises.
Section 2 : Les différents ordres de juridictions
Les ordres de juridictions sont multiples car ils correspondent à différentes branches du droit. Chaque ordre est compétent pour juger un type spécifique de litiges, et est organisé en fonction des relations ou des infractions à traiter. On distingue quatre principaux ordres :
- Ordre judiciaire : compétent pour les litiges entre particuliers et les sanctions pénales.
- Ordre judiciaire international : traite des affaires ayant un élément d’internationalité.
- Ordre constitutionnel : gère les questions relatives à l’organisation et au fonctionnement de l’État.
- Ordre administratif : concerne les relations entre l’administration et les administrés.
Ces dernières années, le système judiciaire a connu des réformes importantes visant à simplifier l’accès à la justice et à désengorger les juridictions. Des mécanismes comme la médiation obligatoire dans certains types de litiges (notamment familiaux et commerciaux) ont été introduits pour résoudre les conflits en amont des procédures judiciaires. De plus, la numérisation des procédures a pris une place de plus en plus importante, permettant la saisine électronique de nombreuses juridictions, ce qui facilite les démarches des justiciables.
§1- Ordre judiciaire interne
Le Code de l’organisation judiciaire régit les juridictions de cet ordre. Elles sont compétentes pour :
- Juger les litiges entre particuliers (droit privé), dans les juridictions civiles.
- Prononcer les sanctions pénales en cas d’infraction, dans les juridictions pénales.
I – Organisation des juridictions civiles
Les juridictions civiles sont organisées pour traiter les litiges relatifs au droit privé. Elles répondent à des exigences précises, notamment en termes de compétence et de structure.
A) Organisation générale
Les juridictions civiles sont placées sous l’autorité du Ministère de la Justice. Le principe de base est celui de l’adéquation, c’est-à-dire que chaque catégorie de litige est confiée à la juridiction la plus compétente pour la matière concernée. La diversité des juridictions permet de répondre aux besoins spécifiques des différentes matières juridiques.
Avec la réforme de la justice de 2019, le Tribunal judiciaire regroupe désormais les compétences des anciens TGI et TI (Tribunaux d’instance), l’objectif étant notamment de simplifier le paysage juridictionnel. Cette réforme a également introduit des pôles spécialisés au sein des tribunaux judiciaires pour traiter des litiges spécifiques, comme le pôle social pour les affaires liées à la sécurité sociale.
B) La compétence juridictionnelle
Les compétences des juridictions sont réparties selon deux critères :
-
Compétence d’attribution :
- Définie en fonction de la matière du litige (compétence rationae materiae), elle détermine la juridiction compétente pour traiter un type précis d’affaires. Par exemple, les tribunaux de commerce jugent les litiges entre commerçants.
-
Compétence territoriale :
- Elle dépend de la localisation géographique de la juridiction, par rapport au lieu où se trouvent les parties au litige (rationae loci ou rationae personae). Ainsi, une affaire sera jugée dans le tribunal situé dans la zone géographique où l’une des parties est domiciliée ou où l’infraction a eu lieu.
C) Les différents degrés de juridictions
Les juridictions de l’ordre judiciaire sont organisées en trois niveaux de juridiction :
- Premier degré : Les affaires sont initialement jugées par des juridictions de premier degré, comme les tribunaux judiciaires, tribunaux de commerce, ou conseils de prud’hommes. C’est à ce niveau que la majorité des litiges sont traités pour la première fois.
- Deuxième degré : En cas d’insatisfaction avec la décision de première instance, les parties peuvent former un appel devant une Cour d’appel, qui rejuge intégralement l’affaire, aussi bien sur les faits que sur le droit.
- Cour de cassation : La Cour de cassation intervient uniquement pour vérifier la bonne application des règles de droit. Elle ne réexamine pas les faits, mais elle veille à l’uniformité de la jurisprudence en cassant ou en confirmant les décisions des juridictions inférieures.
1) Juridictions du 1er degré
Les juridictions de premier degré sont celles qui examinent les affaires pour la première fois, qu’elles soient civiles, pénales ou administratives. On distingue deux catégories principales de ces juridictions :
- Ordinaires ou de droit commun : compétentes pour juger en première instance toutes les affaires de droit privé qui n’ont pas été attribuées à une juridiction spécialisée.
- Spécialisées ou d’exception : ces juridictions ne peuvent juger que les affaires pour lesquelles un texte législatif les a expressément désignées comme compétentes.
Dans tous les cas, une décision rendue par une juridiction de premier degré est appelée un jugement.
a) juridictions de droit commun : le tribunal judiciaire
Le Tribunal judiciaire (ex-TGI) appartient à cette catégorie.
i) Organisation
Le Tribunal judiciaire (TJ) a remplacé le Tribunal de grande instance (TGI) en 2020, dans le cadre de la réforme de la justice de proximité. Il est organisé de manière collégiale, c’est-à-dire qu’il fonctionne avec plusieurs juges. Chaque juge a un rôle spécifique :
- Le président de l’audience,
- Deux assesseurs (dans le cadre des formations collégiales),
- Dans certains cas, notamment pour les affaires urgentes ou plus simples, le jugement à juge unique est possible.
En cas de pénurie de juges ou lorsqu’une mesure d’urgence doit être prononcée, un juge unique peut statuer. L’organisation hiérarchique comprend :
- Le président du tribunal,
- Le premier vice-président,
- Les vice-présidents,
- Les juges,
- Le greffier, un fonctionnaire qui s’occupe de l’administration du tribunal, prend note des débats et rédige les jugements (appelés « la grosse »).
L’intervention d’un avocat est généralement obligatoire devant le tribunal judiciaire, sauf dans certaines procédures simplifiées.
ii) Compétence
Les compétences du Tribunal judiciaire se répartissent entre trois types de procédures :
-
Procédure gracieuse : dans ce cas, il n’y a pas de véritable litige entre les parties. Une ou plusieurs personnes demandent au juge de valider ou homologuer un document ou un acte juridique, par exemple, une adoption ou une rectification d’état civil.
-
Procédure en référé : il s’agit d’une procédure d’urgence où le président du tribunal peut, à lui seul, rendre une décision provisoire. Cela peut inclure :
- La désignation d’un expert pour évaluer une situation,
- L’octroi d’une provision (somme à verser temporairement) en attendant la décision finale des juridictions compétentes,
- Mettre fin à une situation irrégulière.
-
Procédure contentieuse : il s’agit de la procédure classique où un litige oppose deux ou plusieurs parties. Le tribunal examine alors les demandes, les arguments et les preuves présentés par chaque partie pour rendre un jugement sur le fond du litige.
b) juridictions spécialisées
En France, les juridictions spécialisées sont des instances créées pour traiter des litiges particuliers, adaptés aux spécificités de chaque domaine du droit. Ces juridictions permettent d’assurer une expertise ciblée sur des sujets précis. Voici une version actualisée des principales juridictions spécialisées :
i) Tribunal judiciaire (ex-Tribunal d’Instance)
Le Tribunal d’Instance (TI) a été supprimé en 2020 avec la création du Tribunal judiciaire. Cette réforme fait suite à la loi de programmation 2018-2022 et vise à simplifier l’organisation judiciaire. Le Tribunal judiciaire regroupe les compétences des anciens tribunaux d’instance et tribunaux de grande instance.
- Compétence : Le Tribunal judiciaire traite désormais des litiges civils et des affaires dont le montant ne dépasse pas un certain seuil (par exemple, les litiges de proximité ou les affaires de bailleurs et locataires).
- Organisation : Les tribunaux judiciaires sont implantés dans les grandes villes, avec des juridictions de proximité pour les affaires mineures.
ii) Tribunal de Commerce
Le Tribunal de Commerce reste compétent pour les litiges commerciaux, c’est-à-dire les différends entre commerçants ou liés à des actes de commerce. La spécificité de cette juridiction repose sur la composition de ses juges, qui sont des commerçants élus par leurs pairs.
- Compétence : Le tribunal est compétent pour juger les affaires relatives aux actes commerciaux, comme les dépôts de bilan, les redressements judiciaires et les litiges entre entreprises.
- Choix de juridiction : Lorsqu’un litige oppose un commerçant à un particulier (acte mixte), le particulier peut choisir entre une juridiction civile ou commerciale. Le commerçant, quant à lui, ne peut saisir que le Tribunal de Commerce.
iii) Conseil des Prud’hommes
Le Conseil des Prud’hommes est la juridiction spécialisée pour régler les litiges liés au travail entre employeurs et salariés. Cette juridiction est unique car elle est composée de juges non professionnels, des représentants des employeurs et des salariés.
- Compétence : Le Conseil est compétent pour les affaires liées aux contrats de travail, aux licenciements, aux salaires et à toute problématique touchant le droit du travail.
- Organisation : Il est divisé en 5 sections spécialisées (industrie, commerce, agriculture, encadrement, etc.), et les juges sont nommés pour leur expérience professionnelle dans ces domaines.
iv) Tribunal paritaire des baux ruraux
Le Tribunal paritaire des baux ruraux traite des litiges liés à la location de terres agricoles, notamment entre les propriétaires terriens (bailleurs) et les locataires (preneurs).
- Compétence : Cette juridiction est compétente pour les affaires relatives à la location de terres agricoles ou aux conflits concernant les contrats agricoles.
- Composition : Ce tribunal fonctionne de manière échevinale, c’est-à-dire qu’il est composé à la fois de juges professionnels et de représentants du monde agricole, choisis parmi les bailleurs et preneurs.
v) Juridictions arbitrales
Les juridictions arbitrales sont des juridictions privées, utilisées notamment dans le droit commercial international. Elles permettent de résoudre des litiges en dehors des tribunaux étatiques grâce à des arbitres choisis par les parties.
- Convention d’arbitrage : L’arbitrage peut être prévu dans un contrat sous la forme d’une clause compromissoire (qui impose l’arbitrage en cas de litige), ou décidé après la naissance du litige par un compromis d’arbitrage.
- Arbitres : Les arbitres sont choisis pour leur expertise technique et sont rémunérés par les parties. Ils sont chargés d’examiner le litige et de rendre une sentence arbitrale.
- Exequatur : La sentence arbitrale n’a pas force exécutoire d’elle-même. La partie gagnante doit demander au Tribunal judiciaire l’exequatur, qui rend la décision exécutoire.
- Avantages : L’arbitrage est apprécié pour sa rapidité, son coût moindre comparé aux procédures judiciaires longues, et sa confidentialité.
2) les juridictions du 2nd degrés : les cours d’appel
Les cours d’appel constituent une voie de recours permettant de soumettre à une juridiction supérieure une décision rendue par une juridiction de première instance. Lorsqu’une affaire est portée devant une cour d’appel, elle est à nouveau entièrement jugée : non seulement sur le droit, mais aussi sur les faits de l’affaire.
La cour d’appel permet aux justiciables de bénéficier d’un double degré de juridiction, ce principe garantit ainsi une révision complète et impartiale de leur affaire et assure l’équilibre du système judiciaire.
Fonctionnement de l’appel
Le principe de l’appel repose sur le double degré de juridiction, une garantie fondamentale du système judiciaire français. Ce principe permet à une partie mécontente de la décision rendue en première instance de contester cette décision devant une juridiction supérieure. L’objectif est de permettre un réexamen complet de l’affaire.
- Si la cour d’appel est d’accord avec la décision rendue en première instance, elle la confirme.
- Si la cour d’appel n’est pas d’accord, elle peut invalider ou modifier cette décision, on dit alors qu’elle l’infirme.
Organisation des cours d’appel
Les cours d’appel sont des juridictions collégiales, divisées en chambres spécialisées en fonction des matières traitées. Dans chaque cour d’appel, on trouve au minimum les chambres suivantes :
- Chambre civile : traite des affaires civiles (famille, contrats, etc.).
- Chambre commerciale : s’occupe des litiges entre commerçants et des affaires commerciales.
- Chambre sociale : gère les affaires relatives au droit du travail et à la sécurité sociale.
- Chambres pénales : deux chambres, dont l’une pour les affaires correctionnelles (délits) et l’autre pour les affaires criminelles plus graves.
Chaque chambre est dirigée par un président et rend des arrêts (décisions). Pour qu’une chambre rende une décision, il est nécessaire que trois conseillers soient réunis.
Portée de l’appel
- L’appel n’est pas automatique pour toutes les affaires. Seules les affaires dépassant un certain seuil monétaire peuvent être contestées en appel. Ce seuil varie en fonction de la nature de l’affaire.
- Lorsqu’une affaire est portée en appel, elle fait l’objet d’une révision complète, à la fois sur le fond (les faits) et sur le droit (l’interprétation des lois).
3) la Cour de cassation
La Cour de cassation, contrairement aux tribunaux de première et deuxième instance, n’est pas un troisième degré de juridiction. Son rôle est de vérifier l’application correcte du droit, et non de réexaminer les faits. Elle intervient pour garantir l’uniformité dans l’application des règles de droit, en évitant que des décisions incohérentes ne soient rendues sur des litiges similaires. Cette mission est définie par l’article L111-1 du Code de l’organisation judiciaire.
La Cour de cassation a pour objectif de garantir que les règles de droit sont appliquées de manière cohérente à travers le pays. Bien qu’elle ne réexamine pas les faits, elle vérifie si les décisions des juges du fond respectent les principes juridiques. Grâce à ses différentes chambres et formations, la Cour de cassation est en mesure de traiter un large éventail de litiges.
a) Fonctionnement de la Cour de cassation
La Cour de cassation ne peut pas reconsidérer les faits d’une affaire. Elle est tenue d’accepter les faits tels qu’ils ont été établis par les juges du fond (tribunaux de première et deuxième instance). Son rôle est de vérifier si les règles de droit ont été correctement appliquées aux faits, c’est-à-dire si la décision est juridiquement justifiée.
Les décisions rendues par la Cour de cassation sont appelées arrêts :
- Arrêt de cassation : lorsque la Cour casse et annule la décision des juges de fond.
- Arrêt de rejet : lorsque la Cour estime que la décision est correcte et rejette le pourvoi (la demande de réexamen).
b) Organisation de la Cour de cassation
La Cour de cassation, unique en France, siège à Paris. Elle est composée de plusieurs chambres spécialisées :
- Trois chambres civiles :
- La première chambre civile traite des affaires relatives aux personnes, aux contrats et au droit international privé.
- La deuxième chambre civile s’occupe des affaires liées à la procédure civile et à la responsabilité civile.
- La troisième chambre civile gère les affaires de propriété, d’immobilier et de responsabilité civile.
- Une chambre commerciale : pour les affaires de droit des affaires et de commerce.
- Une chambre sociale : pour les affaires relatives au droit du travail et à la sécurité sociale.
- Une chambre criminelle : pour les affaires pénales.
Il existe aussi une ancienne chambre des requêtes, qui vérifiait la sérieux des pourvois avant de les affecter à une chambre compétente.
Les juges de la Cour de cassation sont appelés conseillers. La hiérarchie au sein de la Cour comprend :
- Le Président de la Cour de cassation (le premier magistrat de France),
- Les Présidents des chambres,
- Les Conseillers,
- Les Conseillers référendaires, qui assistent dans la préparation des dossiers.
c) La procédure de saisie de la Cour de cassation
Pour saisir la Cour de cassation, il est nécessaire de former un pourvoi en cassation. Deux conditions doivent être remplies :
- L’appel n’est plus possible (la décision est définitive en appel).
- Le pourvoi doit soulever un cas d’ouverture.
i) Cas d’ouverture au pourvoi
Les principaux cas d’ouverture sont :
- Incompétence d’attribution : Les juges du fond étaient incompétents pour traiter l’affaire ou se sont déclarés incompétents à tort.
- Excès de pouvoir : Les juges du fond ont refusé d’appliquer une loi applicable ou ont outrepassé leurs compétences.
- Violation d’une règle de procédure d’ordre public : Les juges du fond n’ont pas respecté les règles procédurales essentielles.
- Violation d’une règle de forme : Le juge a rendu une décision fondée sur des éléments ou preuves irréguliers.
- Absence ou insuffisance de motifs : La décision des juges du fond n’est pas suffisamment motivée ou contient des contradictions entre les motifs et le dispositif.
ii) Différentes formations de la Cour de cassation
-
Chambre simple : C’est la formation ordinaire, où 3 ou 5 conseillers se réunissent pour juger une affaire.
-
Chambre mixte : Formation extraordinaire qui intervient lorsque :
- L’affaire concerne des questions complexes touchant plusieurs chambres,
- Les chambres de la Cour de cassation donnent des solutions contradictoires à des questions similaires.
- Composée de 13 magistrats (1er président, présidents et doyens des chambres concernées, et 2 conseillers par chambre).
-
Assemblée plénière : Instituée par la loi du 03/07/1967, elle intervient dans deux cas principaux :
- Lorsqu’un second pourvoi est formé après qu’une décision ait été cassée et renvoyée devant une autre Cour d’appel.
- Lorsqu’une affaire pose une question de principe ou qu’il existe des divergences importantes entre les juges du fond et la Cour de cassation.
La décision de l’Assemblée plénière s’impose aux cours d’appel et à toutes les juridictions qui seront saisies ultérieurement sur des affaires similaires.
iii) Différents types d’arrêts rendus par la Cour de cassation
- Arrêt de principe : L’arrêt de principe établit une règle de droit qui va au-delà du cas particulier, visant à fixer une interprétation pour les affaires futures. L’arrêt de principe commence généralement par le visa du texte législatif en question.
- Arrêt d’espèce : L’arrêt d’espèce se limite au cas concret qui lui est soumis et ne vise pas à poser de règle générale pour l’avenir.
Chapitre 2 La règle de droit
La règle de droit est une norme de conduite sociale qui s’impose aux individus dans une société donnée. Elle vise à organiser les relations sociales, en définissant ce qui est permis, ordonné ou interdit. En cas de non-respect, des sanctions peuvent être appliquées. La règle de droit est conçue pour traiter des situations spécifiques, qui deviennent alors des situations juridiques, auxquelles elle apporte une solution.
Section 1 : Les caractères de la règle de droit
La règle de droit se distingue par plusieurs caractéristiques fondamentales, qui lui confèrent son autorité et son rôle dans la société. Les 4 caractères sont les suivants : caractère général, abstrait, permanent (§1) et un autre caractère coercitif (§2)
§1 : Un caractère général, abstrait et permanent
I- Caractère général
Le caractère général de la règle de droit signifie qu’elle s’applique à tout le monde sans distinction. Même lorsqu’une règle de droit est destinée à une catégorie spécifique de personnes (par exemple, les salariés ou les commerçants), elle conserve son caractère général car elle s’applique de manière uniforme à tous les membres de cette catégorie.
La règle de droit se distingue d’un jugement ou d’une décision de justice. Un jugement est spécifique à une situation particulière et vise une personne ou un groupe de personnes en fonction des faits du cas. À l’inverse, la règle de droit s’applique de manière objective, couvrant des situations générales sans viser une personne en particulier.
II- Caractère abstrait
La règle de droit est également abstraite, en ce sens qu’elle ne régit pas des situations concrètes spécifiques, mais énonce des principes généraux applicables à diverses situations. Elle utilise souvent des notions cadres qui laissent une marge d’interprétation pour s’adapter à des cas variés.
-
Exemple 1 : La loi prévoit que les parents doivent toujours agir dans l’intérêt des enfants, une notion large et non précisément définie. Ce principe permet aux juges d’évaluer chaque situation en fonction de ses spécificités.
-
Exemple 2 : L’article 6 du Code civil pose le principe de la prohibition des conventions contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs, mais il ne précise pas ce qu’est une « bonne mœurs », laissant une large place à l’interprétation.
Cette abstraction permet à la règle de droit d’être souple et adaptable à des situations diverses et en constante évolution.
III- Caractère permanent
La règle de droit a un caractère permanent, ce qui signifie qu’elle est constante et s’applique dans la durée. Cependant, elle n’est pas immuable : l’autorité publique peut décider de l’abroger ou de la modifier en fonction de l’évolution des besoins sociaux ou politiques.
Une fois établie, la règle de droit est supposée régir une situation juridique pour une certaine durée et s’applique pour l’avenir. Cette permanence garantit que les sujets de droit peuvent organiser leurs actions et comportements en fonction des règles préexistantes, offrant ainsi une prévisibilité dans les relations sociales et économiques.
§2- caractère coercitif
La règle de droit est obligatoire et impose une conduite aux individus. Pour s’assurer de son respect, elle est accompagnée d’une sanction en cas de non-observance. Cependant, le caractère coercitif de la règle de droit doit être nuancé selon sa nature et le type de sanction qui peut être appliqué.
I- Distinction entre règles impératives et supplétives
Les règles de droit peuvent être impératives ou supplétives, selon leur degré d’obligation et la liberté qu’elles laissent aux individus.
-
Règle impérative :
- La règle impérative s’impose à tous sans exception, et aucune volonté contraire des parties ne peut la modifier ou l’écarter. Le sujet de droit ne peut pas s’y soustraire, même s’il le souhaite.
- Exemple : En droit des successions, une personne ne peut pas renoncer à une succession avant son ouverture (c’est-à-dire avant le décès du testateur). Toute convention par laquelle un héritier renoncerait à une succession avant l’ouverture de celle-ci est nulle (article 785 du Code civil).
-
Règle supplétive :
- La règle supplétive, quant à elle, s’applique seulement si les parties n’ont pas exprimé une volonté contraire. Elle peut être écartée par les intéressés s’ils choisissent une autre option.
- Exemple : En droit des régimes matrimoniaux, la loi prévoit que, sauf contrat de mariage, les biens acquis par les époux après le mariage sont communs pour moitié (régime légal de la communauté des biens). Cependant, cette règle est supplétive, car les époux peuvent choisir, par contrat de mariage, un autre régime (comme la séparation de biens). Si les époux ne modifient pas cette règle, elle s’impose automatiquement.
II- Distinction des sanctions
Les sanctions qui accompagnent la violation d’une règle de droit varient en fonction de la gravité et du type de violation. Elles vont de la nullité d’un acte juridique à des sanctions pénales comme l’emprisonnement, en passant par des sanctions civiles comme des amendes ou des dommages et intérêts.
-
Nullité d’un acte juridique : En cas de violation d’une règle impérative, un contrat ou un acte juridique peut être déclaré nul. Par exemple, si un contrat est conclu en violation d’une règle légale impérative, ce contrat peut être annulé par le juge.
-
Sanctions pénales : Certaines infractions peuvent entraîner des peines de prison, des amendes ou des travaux d’intérêt général. Exemples : vol, fraude, agression, etc.
-
Sanctions civiles : La violation d’une règle civile peut entraîner une condamnation à verser des dommages et intérêts à la victime, une astreinte (paiement d’une somme d’argent en cas de non-exécution d’une obligation), ou même la déchéance de certains droits civiques dans des cas graves.
Dans certains cas, les sanctions peuvent être symboliques ou ne pas être assorties de coercition directe.
- Exemple : L’article 371 du Code civil stipule que « les enfants doivent honneur et respect à leurs père et mère », mais il n’y a pas de sanction juridique en cas de non-respect. Il s’agit d’une obligation naturelle, relevant plus de la morale que du droit. Ce type de règle se situe à la frontière entre le droit et l’éthique, et ne peut être imposée par la force publique.
En résumé, le caractère coercitif de la règle de droit repose sur l’existence de sanctions, mais celles-ci varient en fonction de la nature de la règle. Le but des sanctions est de garantir l’obligation des règles de droit,
Section 2 : Interprétation de la règle de droit
L’interprétation de la règle de droit est essentielle pour clarifier son contenu et son application. Que ce soit pour éclairer une décision de justice ou pour comprendre le sens d’une loi, l’interprétation joue un rôle clé dans l’application du droit. Elle peut concerner aussi bien les faits que la règle de droit elle-même. L’interprétation de la règle de droit est un processus complexe et fondamental pour garantir la bonne application des lois. Elle repose principalement sur les juges, qui, en l’absence de directives précises, doivent faire preuve d’un équilibre entre littéralité et esprit de la loi.
I- L’interprétation des décisions de justice
L’article 461 du Code de procédure civile permet aux parties d’un procès de demander au juge une clarification ou une interprétation de sa décision. Cela vise à garantir que le jugement soit compris de manière claire et appliqué correctement.
Cependant, l’interprétation d’une décision de justice est limitée aux parties au procès et n’a pas une portée générale. Une décision de justice a une force obligatoire relative, c’est-à-dire qu’elle ne s’applique qu’aux personnes directement concernées. En revanche, la règle de droit a une force obligatoire absolue, applicable à tous.
II- Qui est compétent pour interpréter la règle de droit ?
Il n’existe pas de texte définissant qui est spécifiquement compétent pour interpréter une règle de droit. En théorie, celui qui a édicté la règle (législateur) devrait en être l’interprète naturel. Cependant, en pratique, ce rôle est principalement attribué aux juges.
- Historique de l’interprétation :
- Sous le droit romain et dans l’ancien droit, l’interprétation des lois était soumise au souverain.
- Avec la Révolution française, la loi du 24 août 1790 a séparé les fonctions administrative et judiciaire et a interdit aux juges d’interpréter la loi, les obligeant à s’adresser au corps législatif en cas de doute sur le sens d’une règle.
- Plus tard, ce pouvoir a été confié au Conseil d’État, puis aux deux chambres parlementaires.
Depuis 1987, la Cour de cassation est investie du pouvoir de fournir une interprétation souveraine des lois, ce qui impose son interprétation à toutes les juridictions inférieures. Toutefois, ce pouvoir n’est pas exclusif : le législateur peut voter des lois interprétatives pour clarifier des textes existants lorsque leur compréhension pose problème.
En matière de droit public, le Conseil d’État est compétent pour interpréter les règles de droit public.
III- Le rôle des juges dans l’interprétation
En France, l’autorité réelle investie du pouvoir d’interpréter la règle de droit est le juge, qu’il soit de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif. Cette compétence découle de plusieurs textes importants.
-
Article 12 du Code de procédure civile : Cet article impose au juge de trancher le litige en appliquant les règles de droit. Si nécessaire, le juge doit interpréter la règle avant de l’appliquer.
- Un contrat contient des « stipulations contractuelles » et une loi dispose des « dispositions légales ». Cette distinction est importante dans le langage juridique.
-
Article 4 du Code civil : Ce texte interdit au juge de refuser de statuer sous prétexte que la règle de droit est incompréhensible. En d’autres termes, si la loi est obscure, insuffisante ou lacunaire, le juge a l’obligation de l’interpréter pour rendre sa décision.
IV- Méthodes d’interprétation
Aucun texte légal ne définit clairement les méthodes d’interprétation que les juges doivent suivre. Toutefois, plusieurs auteurs ont proposé des approches pour guider l’interprétation :
- L’interprétation littérale : Le juge cherche à appliquer la règle selon son sens commun et son libellé.
- L’interprétation téléologique : Le juge cherche à comprendre le but et l’esprit de la loi pour l’appliquer dans l’intention du législateur.
- L’interprétation historique : Le juge analyse le contexte dans lequel la loi a été créée pour en comprendre le sens originel.
§1 les écoles d’interprétation
L’interprétation des textes juridiques a fait l’objet de plusieurs approches théoriques au fil du temps. Trois grandes écoles d’interprétation ont émergé pour répondre aux défis posés par l’application et la compréhension des lois : l’interprétation exégétique, l’interprétation sociologique, et l’interprétation constructive.
A) Interprétation exégétique
L’interprétation exégétique a dominé le XIXe siècle. Elle repose sur une stricte fidélité au texte de la loi et cherche à en respecter le sens littéral, en valorisant le légalisme.
- Acception stricte : Cette approche limite l’interprétation à ce qui est contenu dans le texte, sans en dévier. Cela peut poser des problèmes dans des cas où le texte est ambigu ou incomplet, rendant l’interprétation stérile.
- Acception souple : Une version plus flexible consiste à rechercher l’intention de l’auteur derrière le texte. L’idée est de comprendre l’esprit de la loi plutôt que de s’en tenir uniquement à la lettre.
Figures importantes :
- Charles Demolombe : auteur de « Cours de Code de Napoléon » en 31 volumes, une référence en matière d’exégèse.
- Charles Aubry et Charles Rau : leurs ouvrages « Droit civil théorique » et « Droit civil pratique » ont influencé la pensée juridique en France.
- Baudry Lacantinerie : rédacteur d’un Traité de théorie et pratique du droit civil en 20 volumes.
Critiques :
Cette école, en insistant sur le texte au détriment de toute autre considération, risque de figer le droit et la société dans des règles trop rigides. Le dogmatisme que peut engendrer cette méthode conduit à une application mécanique des lois, parfois en contradiction avec les réalités sociales changeantes.
B) Interprétation sociologique
L’interprétation sociologique, proposée par François Gény, repose sur l’idée que le droit ne peut pas être réduit à un ensemble de solutions logiquement déduites des textes. Gény est l’auteur de deux ouvrages clés :
- « Méthodes d’interprétation et sources du droit privé positif »
- « Science et technique en droit privé français »
Principes :
- Gény critique la méthode exégétique, considérant que l’interprétation ne peut pas toujours être tirée du texte lui-même, surtout lorsque celui-ci est vide de sens ou incomplet.
- Il propose la libre recherche scientifique, où le juriste ou le juge peut puiser dans des sources externes au texte, comme l’histoire, l’équité ou l’opportunité, pour compléter ou adapter la loi aux circonstances actuelles.
- Le principe central de Gény est « Par le Code civil mais au-delà du Code civil », suggérant que le texte n’est qu’un point de départ pour l’interprétation.
Limites :
La méthode de Gény n’a pas été adoptée intégralement, en partie parce que de nouvelles réglementations permettent aux législateurs de clarifier eux-mêmes leurs textes. De plus, les juges ont, dans certains cas, pris des libertés d’interprétation, mais sans jamais se substituer complètement au législateur.
C) Interprétation constructive
Proposée par Raymond Saleilles, l’interprétation constructive rompt avec l’exégèse stricte tout en s’éloignant de l’école historique allemande de Savigny. Saleilles a développé l’idée d’un droit naturel à contenu variable, qui s’adapte aux circonstances actuelles.
Principes :
- Cette méthode évite les raisonnements abstraits. Lorsqu’un texte est difficile à comprendre, il s’agit d’analyser des cas similaires et de résoudre le problème par analogie.
- L’idée est de s’appuyer sur l’existant pour proposer une solution cohérente.
Approche moderne :
Aujourd’hui, la tendance en France est celle du pluralisme d’interprétation, où plusieurs facteurs sont combinés :
- Langue : étudier la formulation et le sens des mots utilisés dans la loi.
- Histoire : analyser le contexte historique de l’adoption de la loi.
- Téléologie : rechercher la finalité ou l’objectif poursuivi par la règle de droit.
L’interprétation constructive favorise ainsi une approche plus souple et adaptative, qui prend en compte la réalité sociale et les besoins contemporains, tout en assurant une certaine cohérence dans l’application du droit.
Conclusion
Les écoles d’interprétation montrent l’évolution de la manière dont le droit est appliqué et compris. Si l’exégèse a marqué le XIXe siècle par son respect strict du texte, les approches sociologiques et constructives ont permis d’intégrer davantage les réalités sociales et les besoins contemporains, contribuant ainsi à un droit plus souple et adaptatif.
§2 : les règles d’interprétation
L’interprétation des règles de droit repose sur des principes d’origine diverse. Elle peut s’appuyer sur des arguments d’interprétation ou des maximes (pratiques courantes). Ces outils permettent aux juristes de clarifier et d’étendre le sens d’un texte juridique lorsque ce dernier est ambigu, incomplet, ou fait face à une situation non prévue. Voici quelques-uns des arguments d’interprétation les plus couramment utilisés.
I – l’argument d’interprétation
Les arguments d’interprétation sont des raisonnements logiques utilisés pour déduire ou appliquer le sens d’un texte de loi dans des situations spécifiques. Ils peuvent être téléologiques (basés sur la finalité du texte), psychologiques (visant à comprendre l’intention de l’auteur), ou issus d’autres méthodologies. Parmi les 13 types d’arguments recensés, les trois suivants sont les plus courants.
A) L’argument a pari (par analogie)
L’argument a pari, ou raisonnement par analogie, consiste à étendre une règle de droit à une situation similaire qui n’était pas explicitement prévue par le texte. Cet argument s’appuie sur une similitude certaine entre les deux situations.
Exemples :
-
Locataire d’un immeuble en cas d’incendie : L’article 1733 du Code civil décharge le locataire de toute responsabilité lorsqu’un incendie survient à cause d’un vice de construction. Les juges, par analogie, ont assimilé la vétusté de l’immeuble à un vice de construction, et ont également déchargé le locataire de sa responsabilité.
-
Possession d’un meuble : L’article 2279 du Code civil stipule que celui qui possède un meuble en est le propriétaire. Bien que cet article ne définisse pas précisément les types de meubles, les juges ont étendu cette règle, par analogie, aux meubles autres que les meubles meublants (par exemple, des objets mobiliers), considérant que la règle s’applique à tous les meubles.
L’argument a pari doit être utilisé avec précaution, en s’assurant qu’il repose sur une similitude certaine et non sur une intuition floue.
B) L’argument a contrario
L’argument a contrario consiste à déduire que si la loi ou le texte juridique prévoit une situation spécifique, elle exclut implicitement la situation contraire. Ce raisonnement est basé sur l’opposition entre la situation prévue et celle qui ne l’est pas.
Exemples :
-
Interdiction d’un film aux enfants de moins de 10 ans : Si un film est interdit aux enfants de moins de 10 ans, cela signifie a contrario que les enfants de plus de 10 ans sont autorisés à le regarder.
-
Article 6 du Code civil : Ce texte indique qu’on ne peut déroger par une convention particulière à l’ordre public et aux bonnes mœurs. A contrario, il est possible de déroger aux lois par convention, sauf lorsqu’elles concernent l’ordre public ou les bonnes mœurs.
L’argument a contrario peut être risqué s’il repose sur une exclusion non fondée ou mal comprise.
C) L’argument a fortiori
L’argument a fortiori se base sur un raisonnement de force logique : si une règle s’applique à une situation donnée, elle doit s’appliquer avec encore plus de force à une situation similaire mais plus grave ou plus évidente. L’idée est que ce qui vaut pour une situation donnée vaut à plus forte raison pour une autre.
Exemple :
- Interdiction de vente par un mineur : Si la loi interdit à un enfant de vendre un bien (pour le protéger), il est a fortiori interdit à cet enfant de faire une donation, car la donation est une forme encore plus risquée d’aliénation, ne comportant aucune contrepartie.
L’argument a fortiori peut être utilisé dans deux directions :
- Du plus au moins : si une action grave est interdite, une action moins grave l’est aussi (ex. si un enfant ne peut vendre, il ne peut pas non plus donner).
- Du moins au plus : si une action mineure est autorisée, une action plus importante pourrait l’être aussi.
Cependant, cet argument peut être dangereux s’il est mal appliqué, car il peut aboutir à des conclusions qui ne respectent pas l’esprit du texte ou des situations disproportionnées.
II – Maxime d’interprétation
Les maximes d’interprétation sont des principes largement utilisés en droit pour guider les juges et les juristes dans l’interprétation des règles de droit. Ces maximes reposent sur des pratiques et des habitudes juridiques et servent à assurer la cohérence et la précision de l’application des textes législatifs. Voici les principales maximes d’interprétation.
A) Il est interdit de distinguer là où la loi ne distingue pas :
- (Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus)
Cette maxime impose de ne pas créer de distinctions là où la loi n’en fait pas. Si une règle de droit est formulée de manière générale, sans spécifier des catégories de personnes ou des circonstances particulières, l’interprète ne doit pas ajouter de distinction, au risque de dénaturer la règle.
Exemple :
L’article 502 du Code civil prévoit que tous les actes passés par un majeur incapable après l’ouverture de la tutelle sont nuls de droit. Bien que cet article ne distingue pas entre les actes importants et les petits actes, certains ont tenté d’arguer que l’on pourrait faire une exception pour les actes mineurs. Cependant, les juges ont refusé de faire cette distinction, estimant qu’elle aurait réduit le champ d’application de l’article.
B) Les dispositions générales ne dérogent pas aux dispositions spéciales
- (Generalia specialibus non derogant)
et Les dispositions spéciales dérogent aux dispositions générales
(Specialia generalibus derogant)
Cette double maxime affirme qu’une règle spéciale, visant une situation particulière, prévaut toujours sur une règle générale en cas de conflit. Les dispositions générales ne peuvent donc pas modifier ou supprimer l’application d’une disposition spécifique.
Exemple :
Une loi générale sur les formes de société s’applique à toutes les sociétés. Toutefois, une autre loi spécifique concernant les associations (qui sont également une forme de société) contient des règles spécifiques à ce type de groupement. En cas de conflit entre ces deux lois, la loi spécifique aux associations l’emportera sur la loi générale.
C) La loi cesse là où cessent ses motifs
- (Cessante ratione legis, cessat ejus dispositio)
Cette maxime signifie qu’une loi ne s’applique plus lorsque les motifs qui la justifiaient disparaissent. Si la situation ou le contexte pour lequel la règle a été édictée n’existe plus, la règle cesse de s’appliquer.
Exemple :
Une loi sur la protection des incapables peut utiliser les termes « mineurs » ou « majeurs » sans préciser s’il s’agit des majeurs capables ou incapables. Si l’on considère l’esprit de cette loi, elle concerne en réalité les personnes incapables (majeures ou mineures). Dès lors que la situation d’incapacité n’existe plus, la loi cesse de s’appliquer à cette personne.
D) L’exception est strictement interprétée
- (Exceptio est strictissimae interpretationis)
Cette maxime concerne les règles d’exception, qui constituent une dérogation à la règle générale. L’interprétation des exceptions doit être faite de manière restrictive, et il ne faut pas étendre l’application de cette exception à d’autres situations non expressément prévues par le texte.
Exemple :
Si un texte prévoit une exemption fiscale pour une catégorie spécifique de personnes ou d’entreprises, cette exemption ne doit pas être étendue à des personnes ou entités qui ne sont pas clairement désignées par la loi.
Conclusion : Les maximes d’interprétation sont des outils qui permettent aux juristes et aux juges de se guider dans des situations complexes ou ambiguës, tout en respectant l’intention du législateur. Toutefois, ces principes d’interprétation sont limités, et dans certains cas, il peut être difficile de distinguer la règle de droit d’autres règles sociales.
Section 3 : Critères distinctifs de la règle de droit
La règle de droit vise à atteindre plusieurs finalités essentielles dans la société, qui constituent sa raison d’être. Parmi ces finalités, on trouve :
- Faire régner l’ordre au sein de la société,
- Assurer le progrès, en adaptant les règles aux évolutions sociales et économiques,
- Faire régner la justice, en garantissant l’équité dans les rapports sociaux.
Bien que la règle de droit puisse être influencée par la morale, la religion, ou l’équité, elle s’en distingue par son caractère coercitif et par le fait qu’elle s’impose à tous, sous la sanction de l’État.
§1 : Rapport entre la règle de droit et l’équité
L’équité est souvent perçue comme une recherche de la justice suprême, visant à adapter la règle de droit aux circonstances spécifiques pour qu’elle soit plus juste. Cependant, malgré cette quête commune de justice, la règle de droit et celle de l’équité restent distinctes.
I – l’influence de la règle d’équité sur la règle de droit
L’équité a toujours eu une influence importante sur la règle de droit, en particulier en lui permettant de s’assouplir pour mieux correspondre aux circonstances concrètes. Cette influence remonte notamment au droit canonique : Saint Thomas d’Aquin affirmait que l’équité ne s’oppose pas à ce qui est juste en soi, mais à ce qui est juste selon la loi, c’est-à-dire lorsqu’une application rigide de la loi pourrait aboutir à une injustice.
L’équité intervient dans le système juridique sous deux formes :
-
Équité objective
- L’équité objective correspond à un ensemble de principes de justice que les juges peuvent invoquer pour moduler une règle de droit lorsqu’elle se révèle trop rigide ou inadaptée à la situation. L’équité objective agit comme un correctif à la rigueur des lois.
- Exemple : Dans le cadre d’un contrat, si une des parties se trouve dans une situation de grande détresse économique, le juge peut assouplir certaines dispositions contractuelles pour rétablir un équilibre entre les parties.
-
Équité subjective
- L’équité subjective consiste pour le juge à adapter une règle de droit aux circonstances particulières d’une affaire ou à la situation des parties concernées, en fonction des faits spécifiques. Elle est appliquée au cas par cas et vise à obtenir une justice plus individualisée.
- Exemple : Dans le cadre d’un litige familial, un juge peut ajuster une pension alimentaire en tenant compte des ressources et des besoins réels de chacune des parties, plutôt que d’appliquer strictement une formule de calcul.
Le rôle de l’équité dans le droit français
Le rôle de l’équité dans le système juridique français varie selon que l’on se trouve devant un juge étatique ou un arbitre :
-
Devant les juridictions étatiques : L’équité est souvent encadrée par des règles précises. Les juges peuvent s’en inspirer, mais ils doivent avant tout respecter la loi. En France, l’article 12 du Code de procédure civile impose au juge d’appliquer la règle de droit, mais lui permet d’avoir recours à l’équité pour adapter cette règle lorsque cela est nécessaire pour rendre une décision juste.
-
Dans les procédures d’arbitrage : Les arbitres peuvent se permettre une plus grande souplesse dans l’application de l’équité. Lorsqu’ils statuent en équité, ils ne sont pas tenus de suivre strictement les règles de droit, mais peuvent fonder leur décision sur des principes d’équité pour parvenir à une solution qui leur semble juste. Ce mode de règlement est souvent privilégié dans les litiges commerciaux internationaux.
En somme, l’équité permet de moduler la règle de droit pour éviter des décisions trop inflexibles et pour aboutir à des solutions plus justes et adaptées. Cependant, la règle de droit demeure prépondérante, et l’équité ne peut intervenir qu’en tant que correctif lorsque la rigidité de la loi risque de compromettre la justice.
II – Rôle de l’équité devant le juge étatique
A) Le principe
En principe, un juge étatique ne peut pas rendre une décision en se fondant exclusivement sur l’équité. Le juge doit toujours s’appuyer sur une règle de droit. La loi peut néanmoins, dans certains cas, autoriser le juge à tenir compte de l’équité dans l’application de la règle de droit.
- Par exemple, le Code civil permet au juge, en matière contractuelle, d’appliquer non seulement les stipulations du contrat et les règles légales, mais également de prendre en compte l’équité pour trancher un litige.
Toutefois, l’usage de l’équité présente des risques, notamment celui d’une appréciation subjective de la part du juge, ce qui pourrait mener à des décisions injustes ou inéquitables. En général, les juges préfèrent appliquer une règle de droit, même si elle semble inéquitable, plutôt que de la remplacer par une règle d’équité.
Exemples jurisprudentiels :
-
Cass. soc., 11 mai 1994 : Dans cette affaire, un salarié licencié pour faute grave n’avait pas droit aux indemnités de licenciement selon la règle de droit. Le Conseil des prud’hommes s’est pourtant fondé sur l’équité pour accorder des indemnités au salarié, mais la Cour de cassation a censuré cette décision, rappelant que le droit devait être appliqué strictement, et non l’équité.
-
Cass. soc., 4 décembre 1996 : Le Conseil des prud’hommes, face à l’absence d’une règle de droit spécifique, s’était appuyé sur l’équité pour statuer. La Cour de cassation a précisé que l’équité n’est pas une source de droit et qu’une décision de justice ne peut être fondée uniquement sur l’équité.
Ces arrêts montrent que l’équité ne peut pas remplacer la règle de droit. L’article 627, alinéa 2, du Code de procédure civile impose l’application de la règle de droit, même lorsqu’elle peut paraître inéquitable.
B) Le tempérament
Cependant, dans certains cas exceptionnels, la loi autorise ou impose au juge de tenir compte de l’équité dans l’application de la règle de droit. Voici quelques exemples où l’équité peut jouer un rôle :
- Article 700 du Code de procédure civile : Cet article permet au juge de condamner une partie aux frais de justice, en tenant compte de l’équité ou de la situation financière des parties. Le juge peut par exemple réduire le montant réclamé si le condamné a des ressources limitées.
- Article 12 du Code de procédure civile : Ce texte impose au juge de statuer selon le droit, mais il peut, dans certains cas, prendre en compte l’équité pour adapter la solution aux circonstances particulières.
Exemple : Si une partie demande la condamnation de son adversaire à une somme très élevée pour les frais de justice (500 000 € par exemple), le juge peut réduire ce montant en tenant compte de l’équité et des capacités financières de la partie condamnée.
Dans des matières non impératives, il est aussi possible que les parties demandent au juge de statuer en équité, c’est-à-dire de s’écarter des règles strictes de droit. Le juge peut alors :
- Ne pas respecter les règles procédurales habituelles,
- Statuer en équité, en adaptant la solution au cas particulier.
Principe fondamental : L’équité n’est pas équivalente à la règle de droit.
- Elle ne peut ni remplacer, ni substituer, ni accompagner la règle de droit de manière générale. Cependant, certaines règles de droit renvoient explicitement à l’équité pour leur application, comme l’article 1135 du Code civil ou l’article 700 du Code de procédure civile.
- Dans certains cas, la règle de droit permet la substitution ou l’accompagnement de l’équité, mais la décision doit toujours s’appuyer sur le droit, même lorsque l’équité est invoquée.
Le Discours de Portalis et l’importance de l’équité
L’idée selon laquelle l’équité peut accompagner la règle de droit trouve sa source historique dans les réflexions des rédacteurs du Code civil, notamment Portalis, l’un des principaux rédacteurs du Code civil de 1804. Dans son Discours préliminaire, Portalis a précisé le rôle de l’équité :
- « Quand la loi est claire, il faut la suivre ; quand elle est obscure, il faut en approfondir les dispositions ; si on manque de lois, il faut consulter l’équité ».
Portalis propose ainsi une hiérarchie :
- Si la loi est claire, elle doit être appliquée sans hésitation.
- Si la loi est obscure, le juge doit interpréter pour en comprendre le sens.
- Si la loi est silencieuse ou incomplète, l’équité peut être consultée pour compléter la règle de droit et aboutir à une solution juste.
Le rôle de l’équité devant le juge étatique est donc de compléter ou assouplir la règle de droit lorsque celle-ci est trop rigide ou silencieuse. Elle n’a pas vocation à substituer la loi,
III – le rôle de l’équité devant l’arbitre
L’arbitre tire sa compétence d’une convention d’arbitrage, par laquelle les parties lui confient la résolution de leur litige. Dans ce cadre, les parties ont une grande liberté pour déterminer les règles que l’arbitre devra appliquer.
Les parties peuvent convenir que l’arbitre statue :
- En droit, c’est-à-dire en appliquant strictement les règles juridiques applicables au litige.
- En équité (ex aequo et bono), où l’arbitre est autorisé à s’écarter des règles de droit pour fonder sa décision sur des principes d’équité, d’équilibre ou de justice naturelle.
Dans un arbitrage en équité, l’arbitre peut :
- Motiver sa sentence en se fondant uniquement sur l’équité, sans être tenu de suivre les règles de droit formelles.
- Adapter sa décision aux circonstances spécifiques du litige pour parvenir à une solution juste, même si elle n’est pas conforme aux textes législatifs.
§2 : La règle de droit et la règle morale
La morale, dans son sens large, se définit comme ce qui est conforme aux bonnes mœurs, soit l’ensemble des valeurs et comportements socialement acceptés. Toutefois, il est nécessaire de distinguer les mœurs du droit, car les mœurs peuvent varier en fonction des cultures, époques et contextes. Elles recouvrent différentes formes : parfois des règles de cérémonie, parfois des principes de politesse ou des codes de comportement social. Les mœurs sont une composante de la morale, qui elle, vise à établir un cadre plus général de ce qui est jugé bien ou mal.
Bien que la règle morale se rapproche de la règle de droit par son caractère normatif (chacune poursuivant un objectif de régulation des comportements), les deux diffèrent sur plusieurs points essentiels;
I – la distinction des deux règles
Pour distinguer les règles de droit des règles morales, trois critères principaux peuvent être utilisés : l’objet, l’objectif, et la sanction. Bien que les deux types de règles puissent parfois se recouper, elles ont des fondements et des fonctions différentes.
A) L’objet
Le premier critère de distinction réside dans le contenu et le domaine de chaque type de règle.
-
Règle morale : Elle relève de la conscience individuelle ou collective, s’occupant des devoirs qu’un individu a envers lui-même et envers les autres. Elle concerne les principes de bonheur personnel, de vertu ou de charité, par exemple : agir avec bonté, être honnête, ou ne pas se livrer à des comportements destructeurs.
- Exemple : Une personne peut se sentir moralement obligée d’aider les autres en faisant preuve de charité, même si le droit ne lui impose pas un tel devoir.
-
Règle de droit : Elle a pour objectif de réguler les rapports entre les individus dans une société organisée. Elle est édictée par une autorité publique, et son domaine d’application est limité au territoire où elle a été établie. Elle s’occupe principalement des relations entre les citoyens au sein de la société et établit des normes pour le comportement collectif.
- Exemple : Le droit impose des règles concernant le mariage, la propriété ou la protection des personnes et des biens, telles que l’interdiction de vol ou d’agression.
Cependant, il peut y avoir des chevauchements : par exemple, la question de l’automutilation peut être vue sous un angle moral, mais aussi pénal si elle met en danger l’ordre public ou engage des tiers. Ce qui distingue fondamentalement la règle de droit est qu’elle est dictée par une autorité et limitée par un territoire donné, alors que la règle morale n’a pas de frontière géographique et peut être influencée par des principes religieux, culturels ou philosophiques.
B) L’objectif
Le but des deux types de règles est également différent.
-
Règle morale : Son objectif est de pousser l’individu vers la perfection morale ou éthique. Elle incite les personnes à agir selon des idéaux de vertu ou de bien et impose souvent des devoirs tels que la charité ou l’altruisme. La règle morale s’intéresse à la qualité des actions humaines et à la manière dont elles contribuent au bien-être intérieur et spirituel de la personne.
-
Règle de droit : Elle n’a pas pour objectif la perfection des individus, mais plutôt de maintenir l’ordre social et de prévenir les conflits. Son but est d’assurer la paix, la sécurité et l’ordre dans la société. Bien que le droit puisse parfois intégrer des éléments moraux (comme dans le cas des obligations alimentaires entre parents et enfants), son objectif premier n’est pas l’amélioration morale des citoyens, mais le fonctionnement harmonieux de la société.
C) La sanction
Le dernier critère, et probablement le plus marquant, est celui de la sanction.
1) Différence de source
-
Sanction de la règle de droit : En cas de violation, la sanction est fixée à l’avance par une autorité publique et peut prendre la forme de peines, amendes, ou autres sanctions coercitives imposées par des tribunaux. Cette sanction est matérielle et extérieure : elle provient des institutions de l’État et vise à contraindre les individus à se conformer à la règle de droit.
- Exemple : Si une personne vole un bien, elle peut être condamnée à une peine de prison ou à une amende.
-
Sanction de la règle morale : La sanction n’est pas formalisée et n’est pas imposée par une autorité externe. Elle provient de la conscience individuelle (sentiment de culpabilité, remords) ou de la pression sociale (réprobation ou reproches des autres). Il n’y a pas de mécanisme de sanction imposé par l’État pour la violation d’une règle morale, sauf si celle-ci coïncide avec une règle de droit.
- Exemple : Une personne qui ment peut ressentir un sentiment de culpabilité, mais il n’y aura pas de sanction juridique si le mensonge n’a pas de conséquences juridiques (comme dans le cas de faux témoignages).
2) Différence de nature
-
Sanction de la règle de droit : Elle est matérielle et coercitive, visant à punir ou réparer la violation d’une règle. Les sanctions peuvent être variées, allant de la réparation des dommages (dommages et intérêts) à des peines privatives de liberté.
-
Sanction de la règle morale : Elle est non matérielle et interne, dépendant de la conscience ou de la réaction sociale. Il n’y a pas de punition tangible comme avec le droit, mais une réprobation personnelle ou sociale.
II – Influence règle morale/ règle de droit
La question de savoir si la morale peut influencer le droit se pose fréquemment, notamment parce que les mœurs évoluent constamment dans toutes les civilisations. En réalité, la règle de droit ne peut pas être totalement indifférente à la morale, car elle régit la société, qui elle-même évolue en fonction de ses valeurs morales. Ainsi, le droit s’adapte souvent aux changements sociaux pour rester pertinent.
La règle de droit et la règle religieuse partagent des similarités en termes de structure et de finalité morale, mais elles diffèrent profondément par leur portée, leur autorité, et les sanctions qu’elles imposent. Là où le droit cherche à réguler la cohésion sociale, la religion vise à assurer la perfection spirituelle et la conformité à des dogmes religieux.
La place de la morale dans le droit
Il est fréquent que les règles morales influencent les règles de droit. Par exemple, de nombreux principes juridiques, tels que l’interdiction de tuer ou de voler, sont issus de principes moraux partagés par une société. En revanche, toutes les obligations morales ne sont pas nécessairement traduites en règles de droit, comme le devoir de charité ou l’amour du prochain.
La morale joue un rôle important dans l’évolution de certaines règles de droit, car elle reflète les mœurs et les valeurs d’une société à un moment donné. Le droit, pour maintenir l’ordre social, doit souvent s’inspirer des normes morales qui dominent dans cette société. Bien que le droit et la morale soient deux systèmes distincts, le premier ne peut pas rester hermétique au second.
- Exemple historique : L’habillement et les mœurs
Dans le passé, certaines règles de droit étaient directement influencées par des normes morales qui peuvent sembler aujourd’hui obsolètes. Un exemple frappant est l’ordonnance du préfet de police de Paris de 1800, qui imposait aux femmes souhaitant s’habiller en homme de demander une autorisation spéciale au préfet de police, sous peine de poursuites. Ce texte, bien que jamais abrogé, est devenu totalement obsolète en raison de l’évolution des mœurs, qui ont rendu cette pratique courante et socialement acceptée.
- Exemple actuel : Les bonnes mœurs et le droit des contrats
Le Code civil, à travers son article 6, dispose que l’on ne peut pas déroger aux lois d’ordre public et aux bonnes mœurs. Cependant, les bonnes mœurs évoluant, certaines pratiques qui étaient autrefois interdites sont désormais acceptées, tandis que d’autres, jadis tolérées, sont désormais proscrites. Par exemple, certaines clauses contractuelles, autrefois jugées contraires aux bonnes mœurs, peuvent aujourd’hui être validées si elles sont conformes aux valeurs actuelles de la société.
- Influence des mœurs sur le droit des personnes
La société évolue sur des questions éthiques, et le droit s’adapte pour refléter ces changements. Plusieurs exemples illustrent comment la morale a influencé des réformes importantes dans le droit des personnes.
1. L’interruption volontaire de grossesse (IVG)
La pratique de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a longtemps été un sujet controversé, interdit en vertu de principes moraux conservateurs. Cependant, sous l’impulsion de Simone Veil, la loi de 1975 a légalisé l’IVG en France, mais dans des conditions strictes et pour une période limitée. Cette réforme illustre comment les valeurs morales de la société peuvent évoluer pour justifier une modification du droit.
2. Le statut des homosexuels et des transsexuels
L’évolution des mœurs a également influencé le droit dans le domaine du statut des couples homosexuels. En 1999, le PACS (Pacte civil de solidarité) a été institué, reconnaissant des droits aux couples de même sexe. Cette avancée légale, bien que perçue comme une étape importante vers l’égalité des droits, a mis du temps à être pleinement acceptée par la société française car dorénavant, le mariage entre des personnes du même sexe est admis.
Le statut des transsexuels a également évolué. Aujourd’hui, le changement de sexe est reconnu en droit, et les États membres de l’Union européenne sont tenus de respecter les droits des personnes transgenres conformément aux normes internationales en matière de droits de l’homme.
3. Le statut des enfants adultérins
Autrefois, les enfants adultérins étaient discriminés par rapport aux enfants nés de mariages légitimes. Toutefois, une récente réforme en France a aboli ces discriminations, accordant aux enfants adultérins les mêmes droits que ceux des enfants légitimes. Cette évolution reflète un changement moral fondamental dans la perception des droits des enfants.
Règle de droit et règle de morale : Une distinction claire mais poreuse
Bien que la morale et le droit puissent parfois se recouper, il existe des différences fondamentales entre les deux systèmes.
- La règle de droit : Elle est abstraite, générale, coercitive et permanente. Son rôle est de maintenir l’ordre au sein de la société et de réguler les rapports sociaux. Elle est sanctionnée par l’autorité publique.
- La règle de morale : Elle s’adresse principalement à la conscience individuelle et n’est ni contraignante ni coercitive. La sanction de la morale est intérieure (culpabilité, remords) ou sociale (réprobation, rejet), mais elle ne fait pas intervenir l’autorité publique.
En conclusion, même si la règle de droit est distincte de la règle de morale, elle ne peut pas totalement ignorer les mœurs et les évolutions morales de la société dans laquelle elle s’applique. Le droit doit souvent s’adapter à ces changements pour éviter de devenir obsolète et rester pertinent, tout en conservant sa vocation principale de maintenir l’ordre social.
§3 – Règle de droit et la règle de religion
En France, l’État et le droit sont laïques, ce qui signifie que l’État est neutre en matière de religion et ne favorise ni ne réprime aucune croyance religieuse. Cependant, la neutralité ne signifie pas que le droit ignore complètement les considérations religieuses. Dans certains domaines, notamment ceux liés à la famille, au mariage, au divorce, ou à la succession, le droit peut être influencé par des principes issus de la religion.
I. Les ressemblances entre la règle de droit et la règle de religion
A) Sources
Les sources de la règle de droit et de la règle de religion sont relativement similaires en termes d’autorité.
- La règle de droit tire sa légitimité d’un acte édicté par l’autorité publique, que ce soit par le Parlement, le gouvernement, ou toute autre institution investie de pouvoir législatif ou réglementaire.
- La règle religieuse provient d’une autorité spirituelle comme un concile, le pape, ou d’autres autorités religieuses (imam, pasteur, etc.). Toutefois, la distinction réside dans le caractère contraignant : la règle de droit est imposée par l’État et s’accompagne de sanctions matérielles, alors que la règle religieuse n’est contraignante qu’à travers l’adhésion volontaire des croyants.
B) La nécessité d’interprétation
Les deux types de règles peuvent être incomplètes ou obsolètes et nécessitent donc une interprétation.
- La règle de droit est interprétée par les juges ou les législateurs, en fonction des évolutions sociales et des besoins de la société.
- La règle religieuse est interprétée par une autorité religieuse, comme un évêque, un imam ou un rabbin. Cette autorité religieuse a la charge d’adapter l’interprétation de la règle en fonction des textes sacrés.
C) L’autorité compétente pour appliquer la règle
Dans les deux cas, il existe des organes compétents pour sanctionner la violation des règles :
- Les violations de la règle de droit sont sanctionnées par des juridictions civiles ou pénales.
- Les violations de la règle religieuse sont sanctionnées par des juridictions religieuses (dans les pays où elles existent) ou par une sanction spirituelle (excommunication, blâme, pénitence, etc.).
Dans certains cas, les deux types de règles peuvent sanctionner le même comportement, comme l’adultère, qui peut être moralement condamné par la religion et, dans certaines cultures, sanctionné par le droit civil ou pénal.
II. Les dissemblances entre la règle de droit et la règle de religion
A) Différence des sanctions
-
Sanctions de la règle de droit : Elles sont concrètes et matérielles. En cas de violation, les sanctions peuvent inclure des amendes, des dommages-intérêts, l’annulation d’un acte juridique, ou encore des peines privatives de liberté comme la prison.
-
Sanctions de la règle religieuse : Elles sont en général abstraites et immatérielles. Les croyants peuvent être sanctionnés par leur communauté religieuse à travers des peines spirituelles ou symboliques (excommunication, rejet, blâme). Cependant, dans certaines religions et régions du monde, des sanctions corporelles peuvent exister, bien que ces pratiques soient aujourd’hui largement contestées par les droits de l’homme. Par exemple, certaines punitions corporelles basées sur des préceptes religieux sont désormais interdites par des conventions internationales en raison de leur caractère dégradant.
B) Différence des objectifs
-
Objectif de la règle de droit : Le droit a pour but de maintenir l’ordre sur un territoire donné, de garantir la justice, et d’assurer la paix sociale. Il régule les rapports entre les individus au sein d’une société de manière organisée et cohérente.
-
Objectif de la règle religieuse : La règle religieuse cherche à guider les croyants vers la perfection spirituelle et la volonté divine. Elle a souvent une finalité éthique ou métaphysique, orientée vers le salut de l’âme et la conformité à des principes sacrés.
Ces différences fondamentales peuvent parfois créer des tensions entre les deux systèmes, car ce qui est condamné par l’un peut être toléré ou légitimé par l’autre.
Exemple 1 : Le mariage et les relations sexuelles hors mariage
- Les règles religieuses interdisent en général les relations sexuelles hors mariage, les considérant comme un péché. Cependant, la règle de droit a évolué en France, et il n’existe plus de sanction légale pour de telles relations. En revanche, la loi interdit désormais le mariage des mineurs, sauf sous certaines conditions exceptionnelles.
Exemple 2 : L’avortement et la contraception
- En droit français, la contraception et l’avortement sont autorisés sous certaines conditions (notamment la loi Veil de 1975 pour l’IVG). Toutefois, certaines religions considèrent l’avortement comme un crime moral grave et interdisent également l’utilisation de la contraception, car elle va à l’encontre du principe religieux de la procréation.
III – l’influence de la règle de religion sur la règle de droit
Bien que la France soit un État laïque, il existe des domaines où la règle de religion influence directement la règle de droit, en particulier lorsque les croyances religieuses entrent en conflit ou s’alignent avec des principes juridiques. Ces cas sont plus marqués dans des domaines sensibles comme le droit de la famille et le droit du travail.
Droit de la famille
Le droit de la famille est un domaine où la règle religieuse et la règle de droit se croisent parfois.
- Célébration des mariages : En France, le mariage est un acte civil, et seuls les mariages civils sont reconnus comme valides par l’État. Toutefois, la situation est différente lorsque des mariages religieux sont célébrés à l’étranger. Par exemple, si deux personnes se marient dans un pays où le mariage religieux est légalement reconnu, la France reconnaîtra ce mariage comme valable, même s’il n’a pas été célébré dans un cadre civil.
- Exemple : Un mariage célébré dans un pays où la religion joue un rôle central dans la cérémonie, et où le mariage religieux a la même valeur qu’un mariage civil, sera reconnu en France sous certaines conditions.
Droit du travail
Le droit du travail est un autre domaine où les valeurs religieuses peuvent entrer en jeu, en particulier lorsque l’emploi se situe dans un cadre où les croyances religieuses sont centrales.
-
Licenciement pour raisons religieuses : Une affaire marquante en 1978 (Cass. Civ.) illustre cette interaction. Une institutrice travaillant dans une école privée à caractère religieux a été licenciée après avoir divorcé et s’être remariée. Les tribunaux ont jugé que le licenciement était justifié, car le contrat de travail de l’institutrice stipulait qu’elle devait adhérer aux croyances religieuses de l’institution, et son remariage allait à l’encontre des principes religieux de l’école.
- Exemple : Ce type de cas met en évidence la manière dont le droit du travail peut prendre en compte les exigences religieuses spécifiques à certaines institutions, tout en respectant le cadre juridique national.
-
Respect des fêtes religieuses : Le droit du travail en France accorde également une certaine flexibilité en matière de respect des jours de fêtes religieuses. Bien que ces jours ne soient pas nécessairement reconnus comme jours fériés légaux, les employeurs sont souvent tenus de respecter les pratiques religieuses de leurs employés, sous réserve que cela n’affecte pas gravement le fonctionnement de l’entreprise.
Limites de l’influence religieuse sur le droit
Malgré l’influence de la religion sur le droit dans certains domaines, la règle religieuse ne peut imprégner la règle de droit chaque fois que celle-ci entre en conflit avec des principes juridiques fondamentaux, comme la protection de la vie privée, l’égalité ou les droits individuels.
- Exemple de l’affaire Saint-Christin de l’église Saint-Nicolas : Un prêtre, homosexuel et séropositif, a été dénoncé par son église après s’être confié sur son orientation sexuelle et sa maladie. Il a été licencié de l’église, mais les tribunaux ont jugé que le licenciement était abusif, car il portait atteinte à la vie privée de l’individu. Le principe de respect de la vie privée et du droit à l’intimité a ici prévalu sur les considérations religieuses.
- Leçon : Cet exemple illustre que le droit laïque français protège les libertés individuelles, et qu’une règle de religion ne peut pas justifier une atteinte à ces droits fondamentaux.
Titre2 : le contenu du droit objectif
Le droit objectif est l’ensemble des règles qui régissent les relations des individus vivant en société. Ces règles sont sanctionnées par une contrainte exercée par une autorité publique pour en garantir le respect. Le droit objectif repose sur des sources multiples, et il est essentiel d’identifier ces différentes sources pour éviter les conflits entre elles. L’articulation entre ces sources permet de garantir la cohérence et l’efficacité du système juridique.
Chapitre1 : identification des sources du droit
Les sources du droit peuvent varier selon la manière dont elles sont produites et reconnues dans l’ordre juridique. La première source incontestée est la loi.
- Sens matériel : En termes larges, la loi désigne toute règle écrite qui émane d’une autorité compétente. L’élément clé est qu’elle soit formulée par écrit.
- Sens formel : La loi est entendue comme une règle générale émanant du pouvoir législatif, où c’est l’autorité qui l’édicte qui prime.
Ainsi, la règle de droit peut émaner :
- De la source législative (lois adoptées par le Parlement).
- Des sources extra-législatives (règles infra-législatives comme les règlements).
- Des sources supra-législatives, telles que les traités internationaux ou les normes constitutionnelles, qui sont hiérarchiquement supérieures aux lois ordinaires.
Section 1 : la source législative
La loi est la source principale du droit, et c’est le Parlement qui est chargé de l’édicter. Il existe plusieurs procédés pour élaborer des lois, classés selon la méthode d’adoption et la nature de la loi.
§1 : les différents procédés d’élaboration des lois
Il existe deux principales voies pour élaborer une loi :
- Édicter une loi isolée et nouvelle : Il s’agit de l’adoption d’une loi portant sur un sujet spécifique.
- Codifier un ensemble de règles : La codification permet de rassembler un groupe de règles dans un code cohérent, comme le Code civil ou le Code pénal.
I – l’adoption d’un texte de loi isolée
Lorsqu’une loi isolée est adoptée, elle résulte d’un acte parlementaire. L’élaboration d’une telle loi repose sur la participation de deux chambres : l’Assemblée nationale (députés) et le Sénat (sénateurs).
A) la procédure
Le processus d’adoption d’une loi peut commencer de deux manières différentes :
- Proposition de loi : À l’initiative des députés ou des sénateurs, une idée est mise par écrit sous forme de texte et proposée au Parlement pour examen.
- Projet de loi : Le gouvernement peut également proposer des lois. Lorsqu’un ministre a une idée législative, il la rédige sous forme de projet de loi et la soumet au Parlement.
Pour que la proposition ou le projet de loi devienne une loi, il doit être voté par le Parlement. Une fois la loi adoptée, elle doit être promulguée et publiée.
- Promulgation : C’est l’acte par lequel le Président de la République atteste que la loi a été adoptée par les organes compétents, conformément à la procédure législative.
- Publication : La loi est publiée dans le Journal Officiel (JO), ce qui marque son entrée officielle dans le droit positif.
Une fois la loi publiée, elle entre dans sa phase d’application. L’entrée en vigueur de la loi obéit à un principe général selon lequel elle devient applicable le lendemain de sa publication dans le Journal Officiel. Ce délai est conçu pour permettre à tout le monde de prendre connaissance de la loi.
- Principe : La loi entre en vigueur 24 heures après sa publication au JO.
- Exception : Certaines lois peuvent contenir une disposition transitoire, spécifiant une date d’entrée en vigueur différente.
Après l’entrée en vigueur de la loi, le principe « nul n’est censé ignorer la loi » s’applique : la loi devient obligatoire pour tous.
B) la Crise de la loi
La crise de la loi est un phénomène dénoncé par de nombreux auteurs et observateurs juridiques. Elle résulte de plusieurs dysfonctionnements dans le processus législatif moderne, qui affectent l’efficacité et la clarté des lois.
Plusieurs facteurs contribuent à cette crise :
- Croissance du nombre des lois : Le nombre de textes législatifs ne cesse d’augmenter, rendant le droit complexe et difficile à suivre pour les citoyens et les professionnels.
- Disparition des lois générales au profit de lois spécifiques : Les lois sont de plus en plus détaillées, traitant de cas particuliers, au lieu d’énoncer des principes généraux. Cela entraîne une perte d’universalité de la loi.
- Instabilité des lois : La fréquence des changements législatifs réduit le caractère permanent de la loi, la rendant plus difficile à appliquer dans la durée.
- Illisibilité des lois : Les lois modernes sont souvent mal rédigées, peu claires, et nécessitent une interprétation constante. Cela complique leur compréhension et leur application.
Ce phénomène d’asphyxie du droit a été mis en lumière par Portalis dans son Discours préliminaire au projet de Code civil. Selon lui, l’office du législateur est de poser des principes généraux, qui couvrent une large gamme de situations juridiques. La législation ne doit pas sombrer dans le détail excessif, mais rester abstraite et universelle.
Les premières manifestations de cette crise de la loi remontent à environ 1950, mais c’est en 1991 que le Conseil d’État a formellement dénoncé cette situation dans son rapport annuel. Le Conseil a notamment souligné :
- La prolifération des textes législatifs.
- L’instabilité des règles juridiques.
- La dégradation de la qualité des lois.
Cette crise affecte aussi bien le droit interne que le droit européen, ce dernier étant souvent mal rédigé et parfois mal coordonné avec les systèmes juridiques des États membres de l’Union européenne.
Le Conseil d’État a également formulé une critique forte en affirmant que « quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite ». Cela souligne le fossé croissant entre le droit tel qu’il est formulé et sa compréhension par les citoyens. Le principe selon lequel nul n’est censé ignorer la loi devient de plus en plus une utopie, car l’accumulation de textes rend impossible la maîtrise de l’ensemble des règles en vigueur.
En pratique, cette crise se traduit par des problèmes d’application : les décrets d’application des lois sont souvent retardés, et les lois elles-mêmes deviennent difficiles à interpréter et à appliquer de manière uniforme.
Solution : La codification
Face à cette crise, l’une des solutions proposées pour améliorer la lisibilité et la clarté du droit est la codification. La codification consiste à regrouper et organiser l’ensemble des règles relatives à une matière dans un code unique. Cette méthode vise à :
- Clarifier les textes de loi en les rendant accessibles.
- Harmoniser les règles pour éviter les contradictions.
- Stabiliser le droit en réduisant le nombre de lois successives sur une même matière.
II – la codification
La codification a pour objectif d’ordonner un ensemble de textes juridiques. Elle vise à créer une organisation claire et logique des lois et règlements, facilitant leur compréhension et leur application. Il existe deux types de codification : la codification réformatrice (ou innovation) et la codification regroupement (ou à droit constant). La codification, qu’elle soit réformatrice ou à droit constant, vise à clarifier et stabiliser le droit,.
A) La codification réformatrice ou innovation
La codification réformatrice entraîne une transformation profonde du droit existant en refondant un ensemble de règles pour créer un cadre nouveau, homogène et cohérent. Elle est d’une importance capitale, car elle implique souvent des changements sociaux, politiques et économiques majeurs. Ce type de codification n’est pas fréquent, car il traduit des changements importants dans la société.
Elle poursuit plusieurs finalités :
- Politique : La codification devient un instrument de pouvoir et symbolise la souveraineté de l’État.
- Sociale : Souvent, elle survient après une crise sociale ou à la suite de changements profonds dans la société. Par exemple, la codification napoléonienne a reflété un nouvel ordre social basé sur l’égalité des citoyens.
- Technique : La codification vise à remédier à la dispersion des lois en regroupant les textes pour mieux informer les citoyens et professionnels du droit.
Cette codification implique un renouvellement du droit, et, par conséquent, elle devrait rester rare pour ne pas provoquer une instabilité juridique. Elle doit durer dans le temps, même si aucune règle de droit n’est véritablement perpétuelle, seulement permanente.
Pour qu’une codification réformatrice soit stable, deux principes sont essentiels :
-
Stabilité des règles : Comme le disait Portalis, la stabilité repose sur des raisons :
- Sociales : « La loi est la source des mœurs. »
- Économiques : « La stabilité est la garante de la prospérité. »
- Politiques : « La stabilité garantit la paix publique et privée. »
Afin d’assurer cette stabilité, deux procédés sont souvent utilisés :
- Philosophique : Le droit est vu comme l’expression d’un droit naturel, valable pour tous les hommes et tous les temps.
- Réaliste : Le droit tire des leçons de l’expérience passée et évite des innovations trop radicales.
-
Généralité des règles : Les lois doivent être formulées en termes généraux et abstraits. Comme le soulignait Portalis, le législateur ne peut pas tout prévoir. Il doit poser des principes généraux, tandis que les juges doivent en interpréter l’esprit et les appliquer de manière adaptée.
B) La codification regroupement ou à droit constant
Ce type de codification est plus modeste et consiste à regrouper des textes existants sans en modifier le fond. Appelée aussi codification compilation ou codification administrative, elle ne modifie pas les textes mais les rassemble pour une meilleure accessibilité. Ce procédé vise la commodité et la lisibilité, tout en respectant les règles déjà en place.
-
Codification compilation : C’est le regroupement pur et simple de textes dans un même code, sans tentative d’harmonisation ou de modification. Un exemple classique est le Code de la consommation, qui a réuni plusieurs lois visant à protéger les consommateurs. Bien que cette compilation facilite l’accès à ces règles, elle présente l’inconvénient que les règles réunies ne sont pas toujours cohérentes entre elles.
-
Codification administrative : Contrairement à la simple compilation, cette forme de codification vise à réorganiser rationnellement les matières, sans toutefois modifier les règles existantes. Elle est dite administrative car elle a été mise en œuvre, en France, par des commissions spécifiques, notamment la Commission supérieure de codification.
Créée par un décret du 10 mai 1948, cette commission avait pour mission de réunir les textes législatifs et réglementaires en vigueur et de les ordonner. Elle a été à l’origine de nombreux codes, comme ceux du travail, de la santé publique et de l’organisation judiciaire. Par un décret de 1989, la mission de cette commission a été renforcée pour permettre la création de nouveaux codes, tels que le Code de la propriété intellectuelle.
Dans les années 1990, face à la lenteur des processus parlementaires pour adopter de nouvelles codifications, le gouvernement a demandé l’autorisation d’utiliser la voie des ordonnances pour accélérer la codification. Cela a permis de moderniser et de renforcer le processus de codification en France, tout en évitant la surcharge des travaux parlementaires.
§2 : le classement des lois
Le classement des lois se fait selon deux principaux critères : l’autorité (leur degré d’impérativité) et l’objet (la nature de la matière qu’elles régissent). Voici les principales catégories de lois en fonction de ces modalités.
I – Le classement en fonction de l’autorité
Ce critère repose sur le degré d’impérativité de la loi, c’est-à-dire sa force obligatoire.
-
Lois impératives : Elles s’imposent à tous, sans possibilité d’y déroger. Les individus ou les parties à un contrat ne peuvent les écarter par un commun accord. Elles concernent des sujets d’intérêt général comme l’ordre public ou la protection des personnes vulnérables. Exemples : interdiction de la fraude, protection des mineurs.
-
Lois supplétives : Elles ne s’appliquent que si les parties n’ont pas convenu d’une règle différente. En d’autres termes, elles servent de cadre par défaut lorsque les parties n’ont pas prévu d’autres dispositions dans leurs conventions. Exemples : régime matrimonial par défaut si aucun contrat de mariage n’a été signé.
II – Le classement en fonction de l’objet
Les lois peuvent être classées en fonction de leur objet, c’est-à-dire selon la matière spécifique qu’elles régissent ou l’objectif qu’elles poursuivent. Selon ce critère, une loi peut appartenir à l’une des quatre catégories suivantes :
A) La loi organique
La loi organique a pour objet de préciser ou de compléter les dispositions de la Constitution. Elle joue un rôle fondamental dans l’organisation des pouvoirs publics en France, en particulier dans le cadre des institutions prévues par la Constitution. L’adoption d’une loi organique est un processus complexe, encadré par l’article 46 de la Constitution. Ce type de loi nécessite souvent une procédure de vote plus stricte que celle des lois ordinaires, y compris un contrôle obligatoire du Conseil constitutionnel avant sa promulgation.
Exemple : Les lois organiques encadrant le fonctionnement du Parlement, la Cour des comptes ou le Conseil constitutionnel.
B) La loi ordinaire
La loi ordinaire est la plus courante et sert à établir ou modifier une règle de droit dans une matière donnée. Elle est votée par le Parlement et régit des domaines énumérés à l’article 34 de la Constitution (droits civils, libertés publiques, fiscalité, organisation de la justice, etc.). Ces lois encadrent la vie courante, des contrats de travail aux relations entre citoyens et l’État.
Exemple : La loi sur la sécurité intérieure, ou encore le Code civil.
C) La loi abrogative
La loi abrogative a pour objet de supprimer ou abroger une loi existante. Elle ne pose pas de nouvelle règle de droit, mais met fin à l’application d’une loi précédente, souvent jugée obsolète, inefficace ou inadaptée. L’abrogation peut être explicite (c’est-à-dire prévue par une nouvelle loi) ou implicite (quand une loi plus récente contredit une ancienne).
Exemple : L’abrogation de lois obsolètes concernant des règlements techniques qui ne sont plus d’actualité.
D) La loi interprétative
La loi interprétative a pour objet d’éclaircir une loi existante en résolvant une controverse juridique ou en précisant un point obscur de la législation antérieure. Contrairement à une loi ordinaire, elle n’innove pas en matière juridique, mais se limite à clarifier un texte de loi déjà en vigueur. La Cour de cassation a posé deux caractéristiques fondamentales pour ces lois :
- La loi interprétative clarifie une controverse liée à une loi ancienne (Cass. soc. 13/05/1985).
- Elle se caractérise par l’absence d’innovation, c’est-à-dire qu’elle n’introduit pas de nouvelle règle mais vise simplement à préciser une règle déjà existante (Cass. com. 02/10/2001).
Exemple : Une loi précisant l’interprétation de termes ambigus dans une législation sur la fiscalité ou le travail.
Section 2 : les sources extralégislatives (infralégislatives)
Les sources extralégislatives (ou infralégislatives) occupent une place importante aux côtés de la loi dans la création du droit en France. Ces sources sont issues d’autorités autres que le Parlement et ne sont pas strictement législatives, ce qui soulève la question de savoir si la France vit sous un pluralisme de sources ou sous un monisme légaliste, c’est-à-dire centré uniquement sur la loi. Bien que la conception traditionnelle soit que la loi, édictée par le Parlement, soit la source première et exclusive du droit, la réalité montre que d’autres instances contribuent à l’élaboration des règles juridiques. Ces sources comprennent notamment la jurisprudence, les règlements, les usages ou coutumes, et les opinions d’auteurs.
§1 : la jurisprudence
La jurisprudence, en tant que source extralégislative, occupe une place particulière dans l’ordonnancement juridique français. Cependant, sa définition et son rôle varient d’un pays à un autre.
-
Dans les systèmes de Common Law (comme en Angleterre), le terme jurisprudence peut renvoyer à la philosophie ou à la théorie générale du droit. La jurisprudence est également considérée comme une source essentielle de droit, car les décisions judiciaires passées lient les juges dans les affaires similaires.
-
En France, le terme « jurisprudence » découle du latin jus (droit) et jurisdictio (le fait de dire le droit). Historiquement, à Rome, la jurisprudence faisait référence aux activités des jurisconsultes (experts en droit), mais aujourd’hui elle désigne les décisions de justice rendues par les tribunaux et leurs effets.
La jurisprudence en France se manifeste sous deux aspects principaux :
-
L’ensemble des décisions de justice rendues par les différentes juridictions sur une certaine période, dans un domaine précis ou dans l’ensemble du droit. Par exemple, on parle de la jurisprudence en matière de droit civil ou en droit du travail.
-
Les effets produits par les décisions de justice. Une décision de justice qui tranche une question de droit peut devenir un précédent, influençant ou fixant la manière dont les futurs litiges similaires seront jugés. La jurisprudence devient alors une habitude de juger, et certaines décisions acquièrent une portée normative : elles font « jurisprudence » lorsqu’elles sont systématiquement suivies et reprises dans des affaires comparables.
I – la position du problème
La question de savoir si la jurisprudence peut être une source du droit à part entière a suscité un vif débat parmi les théoriciens du droit. L’enjeu réside dans le pouvoir du juge : peut-il, en rendant une décision, poser de nouvelles règles de droit, ou est-il limité à l’application stricte de la loi ?
-
Position affirmative : Certains juristes, comme Bruno Oppétit, soutiennent que, dans certaines situations, les juges sont effectivement capables de créer des règles de droit. Cela survient notamment lorsque les lois existantes sont silencieuses ou incomplètes, et que les juges, pour trancher un litige, sont amenés à innover. Cette vision accorde une fonction créatrice au juge, le rapprochant du législateur.
-
Position négative : D’autres auteurs, comme Jean Carbonnier, sont opposés à l’idée que les juges puissent créer des règles de droit. Selon cette école de pensée, le juge ne fait qu’appliquer la loi établie par le législateur, conformément au principe de séparation des pouvoirs hérité de la Révolution française. La jurisprudence serait donc subordonnée à la loi et ne pourrait prétendre au même statut normatif.
Le cœur de ce débat est la séparation des pouvoirs, érigée comme fondement du système juridique français. Ce principe stipule que le pouvoir législatif élabore les lois, et que le pouvoir judiciaire se limite à les appliquer. En conséquence, selon la théorie traditionnelle, les juges n’ont pas vocation à créer du droit mais à interpréter et appliquer les lois votées par le Parlement.
II – les arguments en faveur de la jurisprudence, source du droit
Les arguments en faveur de la jurisprudence comme source du droit s’articulent autour de plusieurs points, notamment l’analyse des textes, l’attitude des juges, et le rôle évolutif de la jurisprudence dans l’adaptation du droit aux réalités contemporaines. Ces arguments permettent de justifier la reconnaissance de la jurisprudence en tant que source dynamique et complémentaire à la législation.
A) Les arguments textuels
L’article 4 du Code civil est souvent invoqué comme un fondement textuel en faveur de la jurisprudence en tant que source du droit. Cet article impose au juge de statuer sous peine de « dénégation de justice », même en cas de lacune ou d’obscurité de la loi. Il confère ainsi au juge un devoir d’interprétation des textes juridiques, laissant planer une certaine ambiguïté sur les limites de cette mission.
- Pouvoir et devoir d’interprétation : Selon cet article, le juge ne peut refuser de juger sous prétexte que la loi est silencieuse ou insuffisante. Cela ouvre la voie à une interprétation judiciaire, indispensable lorsque les dispositions légales sont floues ou contradictoires.
- Création de règles de droit : Certains auteurs considèrent que, puisque l’article 4 ne fixe pas de limite stricte à l’interprétation judiciaire, il est permis au juge, si nécessaire, de créer une règle de droit en comblant un vide juridique. La jurisprudence peut donc devenir une source indirecte de droit à travers ce processus d’interprétation créatrice.
B) Les arguments tirés de l’attitude des juges
L’observation de la pratique judiciaire montre que les juges ne se contentent pas d’appliquer mécaniquement la loi ; ils peuvent aussi en proposer une interprétation évolutive, souvent créatrice.
Trois formes d’intervention créatrice des juges sont identifiées :
-
Le juge précise et complète la loi
Lorsqu’une loi est obscure ou mal définie, les juges sont amenés à en préciser le sens. Ils choisissent souvent entre plusieurs interprétations possibles. Cela peut aboutir à l’élaboration d’une règle de droit nouvelle qui n’était pas initialement prévue par le législateur.- Ex : La notion de bonnes mœurs a été précisée par la jurisprudence au fil des décisions, donnant un contenu juridique plus stable à cette notion vague.
-
Le juge assure la cohérence de l’ordonnancement juridique
Les juges peuvent être amenés à résoudre des contradictions ou des antinomies entre des règles de droit. Cela leur confère un rôle important dans la cohérence et la stabilité de l’ensemble du système juridique.- Ex : Harmoniser les divergences entre différentes branches du droit (droit civil, droit pénal, etc.).
-
Le juge adapte le droit à l’évolution des faits
Le droit, en tant qu’outil régissant la société, doit s’adapter aux évolutions sociales, économiques ou technologiques. Lorsqu’une règle de droit ne correspond plus aux besoins actuels, le juge peut proposer une interprétation créatrice qui permet au droit de suivre ces évolutions. Dans certains cas, le juge provoque même l’intervention du législateur par ses décisions novatrices.- Ex : L’arrêt Desmares de 1985 (responsabilité civile), où la Cour de cassation a interprété l’article 1384-1 du Code civil de manière innovante, avant que le législateur n’intervienne par la loi Badinter de 1985 sur les accidents de la circulation.
C) Conclusion
En France, l’article 4 du Code civil et le comportement créateur des juges démontrent que ces derniers exercent un véritable pouvoir d’interprétation, parfois à l’origine de règles nouvelles. Cette dynamique jurisprudentielle présente des arguments forts en faveur de la jurisprudence en tant que source du droit :
- Absence de limites strictes à l’interprétation : L’article 4 ne pose pas de limite claire à l’interprétation du juge, ouvrant la possibilité d’une création judiciaire lorsque cela s’avère nécessaire.
- Pouvoir créateur des juges : La jurisprudence, par les interprétations et les décisions des juges, produit parfois des règles nouvelles. Ces décisions enrichissent le droit et comblent les lacunes législatives, contribuant ainsi à son évolution.
Cependant, cet aspect créateur de la jurisprudence pose parfois des problèmes de légitimité : certains estiment que la jurisprudence peut, dans certains cas, empiéter sur le domaine législatif, substituant ainsi le pouvoir judiciaire au pouvoir législatif.
II) les arguments contre la jurisprudence source du droit
Les opposants à la reconnaissance de la jurisprudence comme une source du droit formelle soulignent plusieurs points :
- Article 5 du Code civil interdit aux juges de créer des règles générales et abstraites.
- Article 1351 rappelle que les décisions de justice n’ont qu’une autorité relative entre les parties et ne s’appliquent pas de manière générale à tous.
- La jurisprudence est sujette à des revirements, ce qui l’empêche d’avoir le caractère de permanence requis pour une règle de droit.
A) Arguments textuels
-
Article 5 du Code Civil
a) Le sens du texte
L’article 5 du Code civil interdit aux juges de rendre des arrêts de règlement, c’est-à-dire des décisions ayant une portée générale et prospective. Historiquement, cette disposition visait à interdire la pratique de l’Ancien Régime, où les parlements pouvaient édicter des arrêts applicables à l’avenir, ce qui était perçu comme une forme de législation judiciaire. La Révolution française a consacré la séparation des pouvoirs, confiant exclusivement le rôle de création de la loi au pouvoir législatif. Les juges, quant à eux, ont pour mission d’appliquer les lois, mais non de les créer. Ainsi, l’article 5 empêche les juges de fixer des solutions applicables à l’avenir, limitant leur rôle à la décision des cas qui leur sont soumis. Toutefois, la pratique judiciaire, notamment au sein de la Cour de cassation, montre que certaines décisions peuvent avoir un impact important, créant des précédents sans pour autant violer explicitement l’article 5.
b) L’articulation avec l’article 4 du Code Civil
L’article 4 du Code civil impose au juge de statuer sur toute affaire, même si la loi est obscure ou insuffisante. Cependant, cette disposition ne confère pas au juge le pouvoir de créer des lois, mais de combler les lacunes par l’interprétation. L’article 4 oblige le juge à interpréter, mais l’article 5 interdit de donner à cette interprétation une portée générale. Le juge peut ainsi s’émanciper de la loi dans certains cas pour rendre sa décision, mais ne peut pas rendre de décision ayant une vocation générale et abstraite, caractéristique essentielle de la règle de droit.
-
Article 1351 du Code Civil
a) Le sens du texte
L’article 1351 (désormais article 1355) du Code civil traite de l’autorité de la chose jugée, selon laquelle une décision de justice a une autorité limitée aux parties en cause. Elle ne s’applique donc qu’aux parties qui ont participé au procès et ne peut être invoquée dans d’autres affaires. En d’autres termes, une décision de justice, même si elle interprète la loi, n’a qu’une portée relative et ne s’impose pas aux autres tribunaux ou justiciables de manière automatique.
b) L’articulation avec les articles 4 et 5 du Code Civil
La portée relative des décisions de justice (article 1351) s’oppose à l’idée que la jurisprudence puisse avoir une autorité similaire à la loi, qui, elle, s’applique à tous. En parallèle, l’article 4 impose au juge de statuer dans tous les cas, mais sans donner de portée générale à sa décision (article 5). Les décisions de justice restent donc limitées à l’affaire jugée et ne constituent pas des règles de droit générales et impersonnelles.
B) Comparaison avec la règle de droit
- Les concessions : les caractères général et abstrait de la jurisprudence
Certains reconnaissent que certaines décisions de justice, notamment celles de la Cour de cassation, ont pour vocation de poser des principes d’application générale, surtout lorsqu’il s’agit d’arrêts de principe. Ces décisions, bien qu’elles n’aient pas de portée législative, créent parfois des règles jurisprudentielles qui influencent de nombreux litiges similaires. Ainsi, même si la jurisprudence n’est pas une source formelle de droit, elle peut acquérir une autorité privilégiée en tant que guide pour d’autres juges et acteurs du droit.
- Le défaut de caractère permanent de la jurisprudence : le revirement de jurisprudence
Contrairement aux règles de droit, qui sont destinées à être stables et à durer dans le temps, la jurisprudence est sujette à des revirements. Les juges peuvent, à l’occasion d’un nouveau litige, revenir sur une position antérieure et modifier la jurisprudence. Cela met en lumière le manque de caractère permanent de la règle jurisprudentielle, une qualité pourtant essentielle de la règle de droit.
Par exemple, l’arrêt Desmares de 1982 (responsabilité sans faute pour les accidents de la route) a été rapidement remis en cause par la loi Badinter de 1985 puis par un revirement de la Cour de cassation en 1987. Ces fluctuations créent une insécurité juridique, car les justiciables ne peuvent pas toujours prévoir avec certitude la solution qui sera adoptée.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 21 mars 2000, a explicitement reconnu que « la sécurité juridique ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée ». Cela signifie que la jurisprudence évolue en fonction des circonstances, et les juges peuvent, dans l’intérêt des justiciables, adapter la jurisprudence à de nouvelles réalités. Toutefois, cette instabilité fait que la jurisprudence n’a pas le caractère fixe et permanent d’une loi.
§2 : la coutume
La coutume en droit représente une source non écrite de normes, fondée sur des pratiques sociales répétées et ancrées dans le temps, qui s’imposent progressivement comme obligatoires en l’absence de texte législatif. La coutume se distingue par son origine, qui est issue des usages collectifs plutôt que des autorités publiques. Elle joue un rôle complémentaire à la loi, et dans certains cas, peut même intervenir contre elle.
Très difficile de dire l’origine de la règle coutumière, selon Carbonnier, la coutume résulte des mythes et de la croyance religieuse. Par exemples, les contes de Perrault sont une reprise des coutumes de l’époque :
- Cendrillon : destiné pour dire qu’on avait besoin de protection pour le premier né
- Peau d’âne : consistait à invoquer la nécessité de la prohibition de l’inceste
- Petit Poucet : exigence d’une nécessité protection successorale du cadet dans les familles rurales
La coutume va évoluer avec le temps car elle résulte de l’application de certains usages dans le temps.
I – la notion de la coutume
La coutume se divise en deux formes principales :
- Coutume populaire : D’origine collective, elle se développe à partir des pratiques suivies par la majorité de la population.
- Coutume savante : Formulée par les juristes, elle se valide au fil du temps et repose sur l’expérience et la pratique. Un exemple classique est l’usage des maximes d’interprétation des textes législatifs.
Pour qu’une coutume soit juridiquement reconnue, elle doit réunir deux éléments principaux : un élément matériel et un élément psychologique.
A) les éléments de la coutume
-
Élément matériel : La coutume doit respecter plusieurs critères :
- Usage répété : Elle doit être observée de manière continue et régulière pendant une période prolongée.
- Usage général : La coutume doit être suivie par une grande majorité des personnes concernées.
- Usage ancien : Il faut que l’usage ait perduré dans le temps.
- Usage notoire : L’usage doit être public et connu de tous.
- Usage constant : L’observation de l’usage ne doit pas avoir été interrompue.
-
Élément psychologique : Cet aspect reflète la croyance partagée par les individus que la coutume est obligatoire. Ce sentiment de contrainte sociale, plutôt que légale, est essentiel pour conférer à la coutume une valeur normative. Par exemple, le port du nom du mari par l’épouse ou l’offrande des étrennes sont des pratiques coutumières suivies par conviction, bien qu’elles ne soient pas imposées par la loi.
Ces deux éléments (matériel et psychologique) font de la coutume une source de droit reconnue dans certains cas.
B) Les rapports de la coutume avec les textes écrits
La coutume ne fonctionne pas de manière isolée, mais entretient plusieurs types de rapports avec la loi. Ces rapports peuvent être de complémentarité, de parallélisme ou même de contradiction.
-
La coutume seconde la loi : La coutume peut prolonger ou clarifier la loi. Elle aide à mieux comprendre certaines notions ou à remplir les silences laissés par les textes législatifs. Par exemple, l’article 389-3 du Code civil stipule qu’un mineur ne peut pas agir seul dans les actes de la vie civile, sauf pour les « contrats d’usages courants », mais la définition de ces contrats repose en réalité sur les coutumes et usages reconnus dans la société.
-
La coutume en marge de la loi (praeter legem) : Lorsqu’une loi reste muette sur certains sujets, la coutume peut intervenir pour combler le vide. Par exemple, avant la réforme de 2004, le Code Napoléon ne précisait pas quel nom de famille un enfant légitime devait porter. En l’absence de texte, la coutume consistant à donner le nom du père s’est imposée naturellement.
-
La coutume contre la loi (contra legem) : Dans certains cas, la coutume peut être en opposition avec la loi. Cependant, une coutume ne peut abroger ou contredire une loi impérative. La jurisprudence l’a affirmé, notamment dans l’arrêt du Canal de Saint-Quentin, où la Cour de cassation a précisé qu’une coutume ne pouvait pas contredire une loi impérative, mais pouvait éventuellement contredire une loi supplétive. Ainsi, si la loi est supplétive, la coutume peut, sous certaines conditions, s’y substituer.
II – La place de la coutume au sein du droit
La place de la coutume au sein du droit a évolué, oscillant entre reconnaissance et rejet. Durant le 18ème et 19ème siècles, la coutume était largement niée comme source de droit autonome, en raison d’un culte du texte législatif et de la légalité. À cette époque, seuls les textes législatifs étaient considérés comme de véritables règles de droit, et la coutume n’avait qu’un rôle secondaire, souvent considéré comme un fait et non comme une règle juridique autonome. Toutefois, au fil du temps, la coutume a trouvé sa place dans plusieurs branches du droit, notamment grâce à son utilisation implicite dans l’application de certains concepts légaux.
I) La coutume reconnue par la loi
Même dans le cadre du Code civil napoléonien, certaines dispositions prévoyaient un renvoi direct ou indirect aux usages et coutumes, conférant ainsi à ces dernières une place au sein du droit.
A) Délégation explicite
Certaines dispositions législatives délèguent explicitement l’application des règles à la coutume. Par exemple :
- Article 663 du Code civil : concerne les questions de clôture des terrains et renvoie explicitement à la coutume locale pour déterminer la hauteur des clôtures.
- Article 671 du Code civil : renvoie aux usages locaux pour fixer la distance à laquelle on peut planter des arbres par rapport aux propriétés voisines.
B) Délégation implicite
Parfois, la loi se réfère implicitement à la coutume pour interpréter des notions floues ou abstraites. Par exemple, selon Jean Carbonnier, certaines notions légales ne peuvent être comprises qu’en se référant aux pratiques sociales. Ainsi :
- Article 1137 du Code civil mentionne l’obligation de conserver un bien en tant que « bon père de famille », une notion qui dépend de la coutume et des standards moraux d’une époque.
Dans ces exemples, la coutume complète et précise les règles législatives.
2) La coutume sans délégation législative
La question se pose de savoir si la coutume peut exister comme source autonome de droit, en dehors de toute délégation législative. Certains auteurs, ainsi que certaines décisions de justice, continuent de limiter la coutume à un rôle subordonné, considérant que la coutume est un fait et non une règle de droit.
Certains soutiennent que la Cour de cassation ne reconnaît pas la coutume comme source de droit autonome, car une violation d’une règle coutumière ne peut pas ouvrir à cassation. Cela signifie que la Cour traite la coutume comme un fait, et non comme une règle de droit ayant une force normative comparable à la loi.
Cependant, malgré cette vision restrictive, il est indéniable que la coutume occupe une place importante dans certains domaines du droit, notamment dans le droit international, le droit public et le droit commercial.
3) La place de la coutume dans différentes branches du droit
- En droit international, la coutume est une source reconnue. La coutume internationale est une pratique généralement acceptée comme du droit par les États. Elle découle d’usages répétés et acceptés par la communauté internationale.
- En droit public, la coutume joue un rôle important, en particulier en l’absence de texte législatif ou réglementaire. Elle peut structurer certaines pratiques administratives ou les relations entre les citoyens et l’administration.
- En droit commercial, la coutume a une place particulièrement forte en raison de l’importance des usages dans les relations commerciales. Le droit commercial a historiquement été façonné par la lex mercatoria, un ensemble d’usages commerciaux qui sont devenus des normes acceptées dans le commerce international.
-
-
-
Usages commerciaux : Les usages sont des pratiques commerciales acceptées par les professionnels du secteur. Ces usages peuvent s’appliquer aux relations entre commerçants et, dans certains cas, entre commerçants et non-commerçants, mais avec certaines conditions.
-
Arrêt du 06/07/1964 : La Cour de cassation a reconnu l’application des usages commerciaux dans le secteur bancaire entre deux personnes appartenant au même secteur d’activité. Cela soulève la question de la portée de cet arrêt : s’applique-t-il seulement au secteur bancaire ou à l’ensemble des domaines commerciaux ? La Cour de cassation a confirmé que les usages peuvent s’appliquer à deux professionnels d’un même secteur d’activité, mais ils ne s’appliquent pas automatiquement à une personne extérieure à ce secteur.
-
-
- Application de la coutume en matière d’actes mixtes : En ce qui concerne les actes mixtes, qui impliquent à la fois des commerçants et des non-commerçants, la Cour de cassation, dans un arrêt du 04/05/1999, a précisé que pour que les usages s’appliquent à une personne extérieure au secteur d’activité, celle-ci doit avoir adhéré aux usages en question. En l’absence de cette adhésion, les usages ne s’appliquent pas automatiquement.
Conclusion : La coutume peut être une véritable source de droit, notamment en droit commercial, mais aussi dans d’autres branches du droit. Elle a la capacité d’édicter des règles et de les assortir de sanctions, même si ces sanctions ne sont pas formellement établies par des textes législatifs. En définitive, la coutume complète et parfois contredit la loi, mais son utilisation reste limitée par rapport à l’autorité législative, surtout lorsque la loi est impérative.
§3 : Principes généraux du droit ( PGD)
Les principes généraux du droit (PGD) occupent une place importante dans l’ordre juridique et leur rôle a évolué de manière significative depuis leur émergence. Voici une analyse de leur développement et de leur influence dans le système juridique français, notamment en droit privé.
I- L’émergence des PGD
Les PGD sont d’abord apparus en droit public, en particulier dans le droit administratif. Le Conseil d’État (CE), notamment, a joué un rôle crucial dans leur reconnaissance. Par exemple, dans la décision du 22 mai 1946, le CE s’est appuyé sur le principe général du respect du droit à la défense en l’absence de texte législatif spécifique. Cela a montré l’importance des PGD dans la structuration de la jurisprudence et la compensation des lacunes législatives.
Les PGD ont également été intégrés dans le droit international public. L’article 38 du statut de la Cour internationale de Justice (CIJ) stipule que les PGD reconnus par les nations civilisées doivent être appliqués dans les décisions de la CIJ. Ces principes, qui transcendent les législations nationales, jouent un rôle unificateur dans les relations internationales.
Le droit communautaire (aujourd’hui le droit de l’Union européenne) a également accueilli plusieurs PGD, tels que le principe de la bonne administration, le principe de coopération loyale ou encore le principe de précaution.
Dans le droit privé, malgré la présence d’une codification complète, les PGD ont également émergé. La Cour de cassation a intégré des principes généraux dans plusieurs branches du droit, notamment en droit commercial, en droit social, et en droit international privé. Voici quelques exemples marquants :
- Le principe de l’enfant conçu est réputé né : Ce principe permet de considérer un enfant comme né chaque fois que cela est dans son intérêt, par exemple dans des affaires successorales ou d’indemnisation.
- Le trouble anormal de voisinage : En l’absence de texte spécifique, la Cour de cassation a dégagé le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage.
- L’enrichissement sans cause : Ce principe, qui interdit à une personne de s’enrichir injustement au détriment d’une autre, a été reconnu et développé par la jurisprudence.
Ces exemples montrent que les PGD peuvent remplir les vides législatifs et apporter une cohérence supplémentaire à l’ordre juridique.
II- La place des PGD dans le droit privé
Les PGD jouent un rôle fondamental dans le droit privé et peuvent être classés selon leur relation avec la loi :
- Principes secundum legem : Ces principes coexistent avec la loi ou sont déduits de celle-ci. Ils renforcent ou clarifient les dispositions légales existantes.
- Principes praeter legem : Ils comblent les lacunes de la loi en apportant des solutions lorsque le texte légal est silencieux ou incomplet.
- Principes contra legem : Ces principes posent une règle en opposition directe à la loi, apportant des correctifs aux insuffisances législatives.
Les PGD contra legem : une question de hiérarchie ?
Un débat existe autour de la place des PGD contra legem par rapport à la loi. Un exemple notable est l’arrêt de la Cour de cassation du 21 février 1978, où la haute juridiction a estimé que les souvenirs de famille pouvaient échapper aux règles successorales habituelles pour maintenir certains biens dans la famille. Ce principe s’est opposé aux règles légales, soulevant la question de savoir si les PGD pouvaient être supérieurs à la loi.
Deux écoles de pensée s’opposent sur la nature des PGD :
-
Création judiciaire : Cette thèse considère que les PGD sont une création du juge, qui, face à une lacune législative, a le pouvoir de poser des principes nouveaux.
-
Découverte : Cette thèse suggère que les PGD préexistent à la décision judiciaire et que le juge ne fait que les découvrir et les révéler au public.
III- L’interaction des PGD avec la loi
La place des PGD dépend de leur interaction avec la loi. Les principes secundum legem et praeter legem sont de nature comparable à celle de la loi, puisqu’ils viennent renforcer ou combler des lacunes sans remettre en cause la législation. Ils jouent un rôle complémentaire et assurent une certaine souplesse dans l’application des textes législatifs.
Les PGD contra legem, quant à eux, sont parfois considérés comme supérieurs à la loi, notamment lorsqu’ils sont issus de décisions de justice ayant un pouvoir structurant sur l’évolution du droit. Toutefois, il reste à déterminer si ces principes sont systématiquement supérieurs à la loi ou s’ils sont simplement reconnus en raison de circonstances particulières.
§4 : Les règlements administratifs
Les règlements administratifs sont des règles émanant du pouvoir exécutif et complètent les lois. Ils sont essentiels dans des domaines où le gouvernement a un rôle prépondérant, comme l’administration publique ou la gestion des infrastructures.
- Décrets : Ils sont signés par le Président de la République ou le Premier Ministre et contresignés par les ministres concernés. Ils fixent des règles dans des domaines importants, comme l’ordre public ou la santé.
- Arrêtés : Ils sont pris par des ministres, préfets ou maires pour des mesures plus locales ou spécifiques. Par exemple, un arrêté municipal peut réglementer la circulation dans une ville.
Les règlements peuvent être :
- Impératifs : Obligatoires et assortis de sanctions (ex : le Code de la route).
- Non impératifs : Ils sont plus flexibles et ne prévoient pas de sanctions en cas de non-respect.
§5 : La doctrine
La doctrine, du latin doctus (savant), représente l’ensemble des opinions exprimées par les juristes et théoriciens du droit. Ces auteurs contribuent à l’analyse, à l’explication et parfois à la critique des règles de droit, influençant ainsi le développement et l’interprétation de celles-ci. Bien que la doctrine ne constitue pas une source formelle de droit, son rôle est fondamental dans la science juridique et l’application pratique des règles de droit.
I- Le rôle de la doctrine
A) Améliorer la compréhension des règles de droit
La doctrine permet de clarifier et d’expliquer des règles souvent complexes ou ambiguës. Le droit peut parfois manquer de précision ou être obscur, ce qui rend son application délicate. La doctrine aide à dégager des interprétations cohérentes et à identifier les différentes hypothèses d’application d’une règle. Par exemple, le concept de concubinage notoire a nécessité une clarification doctrinale après sa reconnaissance légale, car les conditions n’étaient initialement pas clairement définies. Grâce à l’analyse doctrinale, des notions abstraites ont été développées pour en faciliter l’application.
B) Systématiser les règles de droit
Les règles de droit ne couvrent pas toutes les situations juridiques, et il existe souvent des lacunes ou des zones grises que le législateur n’a pas anticipées. La doctrine propose des méthodes pour découvrir ces règles implicites ou pour combler les vides laissés par la loi. Elle propose également des concepts, des raisonnements et des constructions juridiques permettant de systématiser les règles de droit. En ce sens, elle contribue à la cohérence du système juridique en offrant des bases pour des jugements de valeur et en évaluant si les moyens employés par le législateur sont adaptés aux objectifs poursuivis.
II- L’influence exercée par la doctrine
La doctrine exerce une influence majeure sur les législateurs et les juges, bien qu’elle ne soit pas juridiquement contraignante. Voici quelques-unes des principales formes de cette influence :
-
Influence sur la jurisprudence : Les juges, confrontés à des lacunes législatives ou à des règles obscures, s’appuient souvent sur la doctrine pour éclairer leurs décisions. L’analyse doctrinale permet de dégager des principes généraux à partir de décisions individuelles et peut ainsi orienter l’évolution de la jurisprudence. Par exemple, la doctrine des troubles anormaux de voisinage a émergé de réflexions doctrinales avant d’être formellement consacrée par la jurisprudence.
-
Influence sur le législateur : La doctrine peut également influencer directement le processus législatif. Les auteurs doctrinaux, par leurs analyses, critiques et propositions de réforme, participent souvent à l’élaboration de nouvelles lois. Parfois, des experts juridiques sont invités à collaborer à la rédaction de textes législatifs ou à des commissions de réforme, renforçant ainsi leur impact sur le droit positif. La réforme du droit des contrats en 2016 a, par exemple, été fortement inspirée par la doctrine, notamment à travers les travaux de juristes influents.
III- Conclusion sur la place de la doctrine au sein du droit
La doctrine ne s’impose ni au législateur ni au juge, et elle n’a pas force obligatoire. Cependant, sa valeur réside dans son autorité intellectuelle. En fonction de la notoriété de l’auteur ou de la clarté et de la pertinence de ses propositions, les opinions doctrinales peuvent influencer profondément la manière dont le droit est appliqué et interprété. Que ce soit par une meilleure compréhension des règles, une systématisation du droit ou une influence sur les réformes, la doctrine joue un rôle capital dans l’évolution et l’interprétation du droit, bien que son statut ne soit pas celui d’une source directe de droit.
§6 : la pratique
La pratique se réfère aux usages et habitudes adoptés par les praticiens du droit, souvent dans les professions judiciaires ou commerciales. Ce sont des solutions que les praticiens, en s’écartant des textes, trouvent mieux adaptées à leurs besoins ou à la réalité.
- Les professionnels du droit, par leur expérience, influencent la formation de nouvelles règles. Ce processus informel d’adaptation des règles peut progressivement s’imposer, même si ces pratiques ne sont pas immédiatement inscrites dans des textes législatifs.
- Les juges peuvent valider ou rejeter ces pratiques, selon qu’elles respectent ou non l’ordre juridique en vigueur.
§7 : les autorités administratives indépendantes
Depuis plusieurs décennies, des autorités administratives indépendantes (AAI) ont vu le jour pour réguler certains secteurs spécifiques. Elles édictent des normes et des décisions dans des domaines où une régulation neutre est essentielle, sans intervention directe de l’État.
Ces autorités ont pour but de garantir certains droits et libertés et de veiller au respect de la régulation dans des secteurs sensibles.
Exemples :
- Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) : Il régule le secteur audiovisuel en France, notamment en matière de protection de la vie privée et de pluralité des médias.
- Autorité des Marchés Financiers (AMF) (anciennement la Commission des Opérations de Bourse – COB) : Elle veille à la transparence des marchés financiers et protège les investisseurs.
- Commission des Clauses Abusives : Elle repère et dénonce les clauses abusives dans les contrats passés entre professionnels et consommateurs.
Ces autorités émettent parfois des circulaires ou des recommandations, qui peuvent influencer la pratique des acteurs concernés. Les circulaires sont plus contraignantes, tandis que les recommandations constituent des invitations à se conformer à certaines bonnes pratiques. Ces dernières ont un caractère moins contraignant, mais leur non-respect peut entraîner des sanctions indirectes, notamment dans les relations avec les régulateurs.
Section 3 : les sources supralégislatives
Les sources supralégislatives du droit, qui priment sur les lois nationales, jouent un rôle crucial dans l’ordonnancement juridique français. Elles incluent la Constitution, les traités internationaux, et le droit de l’Union européenne (UE). Ces sources ont connu une évolution significative ces dernières décennies, reflétant une internationalisation et une européanisation croissante du droit.
§1 : la Constitution
La Constitution de 1958, fondement de la Ve République, régit l’organisation des pouvoirs publics et garantit les droits fondamentaux. Avant que toute loi puisse être promulguée, un contrôle de constitutionnalité est effectué. Ce contrôle, réalisé par le Conseil constitutionnel, vise à vérifier que les nouvelles lois sont conformes à la Constitution. Ce mécanisme préventif se fait a priori, c’est-à-dire avant que la loi ne soit promulguée.
Le Conseil constitutionnel ne se limite pas au texte de la Constitution mais se réfère également au bloc de constitutionnalité. Ce bloc inclut :
- La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
- Le préambule de la Constitution de 1946.
- Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR).
Ces textes constituent un ensemble de normes qui surplombent toutes les lois nationales.
§2 : les traités, accords de la convention internationale
Les traités internationaux sont des accords conclus entre États pour réguler des domaines spécifiques tels que le commerce, l’environnement, ou les droits de l’homme. Pour être applicable en droit interne, un traité doit être ratifié par le Président de la République et publié. L’article 55 de la Constitution dispose que les traités internationaux ont une autorité supérieure à celle des lois, à condition d’être réciproquement appliqués par les autres parties signataires.
Exemples de traités :
- La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) de 1950.
- Les accords de Schengen de 1985, facilitant la libre circulation des personnes.
- Les accords de Paris sur le climat de 2015.
Le respect des traités peut être contrôlé par les juges nationaux et les juridictions internationales, comme la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à Strasbourg, qui veille à l’application des principes de la Convention.
§3 : le droit de l’Union européenne
Le droit de l’UE est devenu une source de droit incontournable en France, en particulier depuis la signature des traités fondateurs de l’UE, tels que :
- Le Traité de Paris (1951) instituant la CECA.
- Le Traité de Rome (1957) créant la CEE.
- Le Traité de Maastricht (1992) posant les bases de l’Union économique et monétaire.
- traité de Nice
Le droit de l’UE est constitué de deux niveaux :
- Le droit communautaire originaire : les traités qui instituent et modifient l’Union européenne (Traité de Lisbonne, 2007).
- Le droit communautaire dérivé : constitué des règlements, directives, décisions, recommandations, et avis émis par les institutions européennes.
Les règlements européens
Les règlements de l’UE sont des actes législatifs généraux et directement applicables dans tous les États membres sans besoin de transposition en droit interne. Ils ont une portée similaire à celle d’une loi nationale. Par exemple, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) de 2016, applicable dès 2018, régit la protection des données personnelles dans toute l’UE.
Les directives européennes
Les directives, quant à elles, fixent des objectifs à atteindre par les États membres, tout en leur laissant le choix des moyens. Les États doivent transposer ces directives en droit interne dans un délai donné. Par exemple, la directive de 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux a été transposée en France par la loi du 14 mai 1998, insérée dans le Code civil (articles 1386-1 et suivants).
Les décisions et recommandations
- Les décisions de l’UE sont contraignantes pour leurs destinataires spécifiques (États membres ou entreprises) et n’ont pas de portée générale comme les règlements.
- Les recommandations et avis ne sont pas contraignants, mais influencent la législation et les pratiques des États membres.
Chapitre2 : Les conflits entre les sources du droit
Dans l’ordre juridique, plusieurs hypothèses de conflits entre différentes sources peuvent survenir. Ces conflits peuvent être résolus en établissant une hiérarchie des normes.
1. Conflit entre règles de nature différente
Il peut arriver que deux règles provenant de sources différentes s’opposent. Par exemple, une règle constitutionnelle peut s’opposer à une règle législative, ou une règle internationale peut contredire une règle nationale. Dans ce cas, il faut déterminer laquelle des deux sources prime, en fonction de la hiérarchie des normes. L’autorité de chaque norme dépend de sa source, certaines étant considérées comme supérieures à d’autres.
2. Conflit temporel entre deux règles de même nature
Lorsque deux règles de même nature, par exemple deux lois, se succèdent dans le temps sur le même sujet, elles peuvent se compléter ou se contredire. Ce conflit porte sur la question de l’application de la loi dans le temps. Le problème est de savoir comment appliquer successivement deux lois à une même situation sans créer de confusion. Par exemple, les lois sur le divorce du 11 juillet 1975 et du 26 mai 2004 ont dû être appliquées successivement en tenant compte des évolutions législatives sans remettre en cause des décisions passées.
3. Conflit entre règles de même nature dans l’espace
Des conflits peuvent également apparaître entre deux règles de même nature, mais émanant d’autorités différentes, souvent dans des contextes internationaux ou entre différents systèmes juridiques. Cela soulève des questions de conflit de lois dans l’espace, c’est-à-dire comment harmoniser les règles lorsque le droit applicable diffère selon les territoires.
Section 1 : Conflit hiérarchique de normes
Une norme est une règle de droit générale et impersonnelle qui fait partie de l’ordre juridique. Un conflit hiérarchique survient lorsque deux normes s’opposent, et qu’il faut déterminer laquelle doit prévaloir. Le problème des conflits entre normes est accentué par le pluralisme des sources du droit.
Exemples de conflits hiérarchiques possibles :
- Loi vs. Loi : Une loi peut contredire une autre, nécessitant un arbitrage sur leur champ d’application.
- Décret vs. Loi : Un décret peut s’opposer à une loi, le décret étant de rang inférieur à la loi, la loi l’emporte.
- Coutume vs. Loi : La coutume peut parfois contredire une loi, mais elle ne l’emporte jamais sur une loi impérative.
Le juriste autrichien Hans Kelsen a formulé la théorie de la hiérarchie des normes sous la forme d’une pyramide. Selon cette théorie, les normes sont organisées par niveaux, chaque niveau étant subordonné au niveau supérieur. La Constitution se trouve au sommet, suivie des lois, puis des règlements et des actes administratifs. Cette structure permet de résoudre les conflits en donnant la priorité aux normes supérieures.
Résolution des conflits de normes en France
La hiérarchie des normes est un principe fondamental pour éviter les conflits. En France, plusieurs institutions jouent un rôle central dans la résolution de ces conflits. Les décisions du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État, et de la Cour de cassation permettent de définir les limites et les interactions entre les différentes sources du droit.
Principales hypothèses de conflits abordées par la jurisprudence :
- Conflit entre la loi et la Constitution : Lorsqu’une loi est en conflit avec la Constitution, le Conseil constitutionnel est chargé de vérifier la conformité des lois à la Constitution.
- Conflit entre la loi et un traité international : En vertu de l’article 55 de la Constitution, les traités internationaux priment sur la loi nationale, mais sous condition de réciprocité. Les juridictions françaises, notamment avec les arrêts Jacques Vabre (Cour de cassation, 1975) et Nicolo (Conseil d’État, 1989), ont reconnu la supériorité des traités sur les lois.
- Conflit entre la Constitution et un traité international : Le Conseil constitutionnel a compétence pour vérifier la conformité des traités à la Constitution avant leur ratification, mais une fois ratifiés, les traités priment sur les lois.
§1 : conflit entre la loi et la Constitution
Le conflit entre la loi et la Constitution soulève des questions cruciales dans l’ordre juridique interne français. La Constitution, étant la norme suprême, doit primer sur toutes les lois. Toutefois, ce principe repose sur un mécanisme de contrôle de constitutionnalité qui n’est pas automatique, ce qui peut engendrer des problèmes lorsque des lois anticonstitutionnelles échappent à ce contrôle.
- Le contrôle de constitutionnalité en France
L’article 61 de la Constitution française prévoit le mécanisme de contrôle de la constitutionnalité des lois par le Conseil constitutionnel. Ce contrôle a lieu avant la promulgation d’une loi et peut être demandé par le Président de la République, le Premier ministre, les présidents des deux assemblées (Assemblée nationale et Sénat), ou par 60 députés ou 60 sénateurs. Il ne se fait donc que sur saisine. Une fois saisi, le Conseil examine la conformité de la loi à la Constitution, y compris aux textes de valeur constitutionnelle contenus dans le bloc de constitutionnalité (Préambule de la Constitution de 1946, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, etc.).
- Les limites du contrôle de constitutionnalité
Le contrôle de constitutionnalité a des limites en raison de son caractère non systématique. Si le Conseil constitutionnel n’est pas saisi, une loi peut être promulguée même si elle est potentiellement contraire à la Constitution. Cette absence de contrôle peut conduire à l’application de lois anticonstitutionnelles, tant que personne ne les remet en question.
Deux conséquences découlent de cette situation :
- Les lois promulguées avant la création du Conseil constitutionnel (en 1958) échappent à ce contrôle.
- Des lois promulguées après 1958 peuvent également être anticonstitutionnelles si elles n’ont pas été soumises au Conseil constitutionnel.
Cela pose une difficulté majeure dans la hiérarchie des normes : comment garantir que toutes les lois sont conformes à la Constitution ?
- La jurisprudence et l’absence de contrôle par le juge ordinaire
En France, les juges ordinaires (judiciaires ou administratifs) ne peuvent pas eux-mêmes effectuer un contrôle de constitutionnalité des lois. Le principe de séparation des pouvoirs empêche les juges d’évaluer la conformité d’une loi avec la Constitution, et leur rôle se limite à appliquer les lois telles qu’elles sont promulguées. Ainsi, même si une loi est manifestement contraire à la Constitution, un juge ordinaire doit l’appliquer s’il n’existe pas de décision du Conseil constitutionnel la déclarant inconstitutionnelle.
- La Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC)
Pour remédier à ce problème, une avancée majeure a été introduite par la réforme constitutionnelle de 2008 avec la création de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). Ce mécanisme permet à toute partie à un procès d’invoquer l’inconstitutionnalité d’une loi déjà promulguée. Le juge saisi du litige peut alors transmettre la question au Conseil constitutionnel par l’intermédiaire du Conseil d’État ou de la Cour de cassation. Cette procédure vise à combler les lacunes du système antérieur, où les lois promulguées échappaient au contrôle du Conseil constitutionnel.
- Le bloc de constitutionnalité et l’élargissement du contrôle
Le bloc de constitutionnalité a été élargi par plusieurs décisions clés du Conseil constitutionnel, notamment les décisions du 16 juillet 1971 et du 16 janvier 1982. Ces décisions ont permis d’inclure dans le contrôle de constitutionnalité non seulement le texte de la Constitution, mais également les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et le Préambule de la Constitution de 1946. Par exemple, dans sa décision du 16 juillet 1971, le Conseil constitutionnel a invalidé une loi en raison de son incompatibilité avec la liberté d’association, un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
§2 : Conflit loi/traité international
I – La teneur du problème
Nature du conflit entre loi et traité international
La question d’un conflit entre une loi et un traité international est envisagée par les Constitutions des IVe et Ve Républiques françaises. Ce problème se pose lorsqu’une loi nationale semble contredire un traité international auquel la France est partie.
- Constitution de 1946 (IVe République) : L’article 26 consacrait la primauté des traités sur les lois internes, sans condition particulière.
- Constitution de 1958 (Ve République) : L’article 55 établit la supériorité des traités sur les lois internes, mais cette supériorité est subordonnée à la condition de réciprocité. Cela signifie que les autres États signataires doivent également respecter le traité. Ainsi, un traité signé entre la France et la Belgique, par exemple, n’a d’effet supérieur à une loi française que si le traité est effectivement appliqué de manière réciproque par les deux États.
En conséquence, lorsqu’une nouvelle loi est adoptée, elle doit être compatible avec les engagements internationaux de la France, y compris les traités, accords et conventions internationaux ratifiés. Cependant, la complexité réside dans les conflits temporels et hiérarchiques entre lois et traités.
Conflit entre loi et traité dans le temps
Deux types de conflits temporels sont identifiés :
-
Premier cas : un traité postérieur à une loi antérieure
Une ancienne maxime juridique prétendait que la loi postérieure l’emportait sur le traité. Cependant, cette règle a été progressivement écartée au profit de la supériorité constante des traités. -
Deuxième cas : un traité antérieur à une loi postérieure
Lors de la promulgation d’une loi, il devient essentiel de vérifier sa conformité avec les traités existants. La question de savoir qui est compétent pour réaliser ce contrôle s’est posée. Certains suggéraient que le Conseil constitutionnel pourrait cumuler un contrôle de constitutionnalité avec un contrôle de conventionnalité (vérification de la compatibilité avec les traités internationaux). Toutefois, cette hypothèse a été rejetée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 janvier 1975 relative à l’IVG.
Le refus du Conseil constitutionnel de contrôler la conventionnalité
Dans cette décision marquante, le Conseil constitutionnel a affirmé que sa mission consistait uniquement à vérifier la conformité des lois à la Constitution et non aux traités internationaux. Il a précisé que l’article 55 de la Constitution reconnaît la supériorité des traités sur les lois, mais cela ne signifie pas que le respect de cette hiérarchie doive être assuré dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité. Ainsi, le Conseil s’est refusé à élargir ses prérogatives.
Les conséquences de ce refus sont doubles :
- Le Conseil constitutionnel limite son contrôle à ce qui est prévu par l’article 61 de la Constitution, à savoir le contrôle de la constitutionnalité des lois.
- Le Conseil refuse également d’étendre la notion de bloc de constitutionnalité pour inclure le contrôle de la conformité des lois aux traités internationaux.
Le rôle des juridictions ordinaires dans le contrôle de conventionnalité
Le Conseil constitutionnel a donc indirectement encouragé les juridictions ordinaires, à savoir les tribunaux judiciaires et administratifs, à effectuer ce contrôle. Ces tribunaux peuvent, lorsqu’ils sont saisis de l’application d’une loi, vérifier sa conformité avec les traités internationaux. Cette mission revient donc au juge ordinaire qui, lors de l’application d’une loi dans un cas concret, doit vérifier si celle-ci est compatible avec les engagements internationaux de la France. Ce contrôle, appelé contrôle de conventionnalité, est aujourd’hui un instrument essentiel de la régulation juridique internationale.
En pratique, le juge ordinaire peut écarter l’application d’une loi qui serait contraire à un traité international. Cette approche a permis de renforcer le respect des engagements internationaux tout en préservant la séparation des compétences entre le contrôle de constitutionnalité (Conseil constitutionnel) et le contrôle de conventionnalité (juridictions ordinaires).
La Cour de cassation et le Conseil d’État, en première ligne
Les deux plus hautes juridictions françaises, la Cour de cassation pour les affaires judiciaires et le Conseil d’État pour les affaires administratives, jouent un rôle central dans le contrôle de conventionnalité. Elles sont régulièrement appelées à se prononcer sur des conflits entre des lois nationales et des engagements internationaux, assurant ainsi que la France respecte ses obligations sur la scène internationale.
Ainsi, bien que le Conseil constitutionnel ait limité son intervention dans le domaine conventionnel, le juge ordinaire est devenu le garant de la suprématie des traités sur les lois, conformément à l’article 55 de la Constitution.
II – La solution du droit positif
La jurisprudence judiciaire et administrative a progressivement affirmé le pouvoir des juges d’écarter une loi nationale incompatible avec un traité international, consolidant ainsi la primauté des engagements internationaux sur les normes internes. Ce mouvement a été initié par la Cour de cassation et le Conseil d’État, chacun dans leur champ de compétence, marquant deux étapes importantes dans la hiérarchie des normes.
A) La solution des juridictions judiciaires : l’affaire Jacques Vabre
L’arrêt Jacques Vabre de la Chambre mixte de la Cour de cassation, rendu le 24 mai 1975, est un tournant majeur. Dans cette affaire, un conflit opposait l’article 265 du Code des douanes à des dispositions du Traité de Rome (1957), qui était antérieur à la loi nationale en question. L’article du Code des douanes étant postérieur au traité, la Cour de cassation a fait prévaloir le traité et a écarté l’application de la loi en vertu de la supériorité du droit international. La Cour a ainsi reconnu au juge judiciaire le pouvoir de réaliser un contrôle de conventionnalité des lois, conférant au juge un rôle clé dans la protection des engagements internationaux de la France.
Cet arrêt a aussi marqué le début de la reconnaissance de la primauté du droit communautaire, non seulement sur les lois nationales, mais aussi sur tout le droit dérivé issu des institutions de l’Union européenne, une évolution qui sera confirmée dans d’autres décisions ultérieures.
B) La solution des juridictions administratives : l’affaire Nicolo
Du côté des juridictions administratives, la reconnaissance du contrôle de conventionnalité est intervenue plus tardivement. Avant 1989, le juge administratif refusait d’exercer un tel contrôle, se considérant incompétent pour écarter une loi nationale contraire à un traité international.
Ce refus a pris fin avec l’arrêt Nicolo du 20 octobre 1989. Le Conseil d’État, dans un revirement de jurisprudence, a reconnu pour la première fois la possibilité d’écarter une loi incompatible avec un traité. L’affaire portait sur une loi relative aux élections des représentants au Parlement européen, que certains estimaient contraire aux dispositions du Traité de Rome de 1957. Le Conseil d’État a écarté la loi au profit du traité, affirmant non seulement la primauté des traités sur les lois nationales, y compris postérieures, mais aussi celle du droit communautaire dérivé, renforçant ainsi l’intégration européenne.
Solution globale et étapes essentielles : Deux principes majeurs se dégagent de ces évolutions jurisprudentielles :
- Indépendamment de leur date (antériorité ou postériorité), les lois nationales doivent être conformes aux traités internationaux, ainsi qu’à toutes les décisions et accords découlant de ces traités.
- En cas de conflit entre une loi nationale et un traité, c’est le traité qui prime, y compris pour les normes dérivées comme les directives ou règlements émanant des institutions internationales ou européennes.
C) La portée des solutions judiciaires et administratives
La question s’est posée de savoir comment interpréter les notions de « traité, accord ou convention internationaux » et de « loi » dans ce contexte. Selon les juridictions, ces termes peuvent être compris de manière plus ou moins large.
- Le sens de traité, accord ou convention internationaux
- Sens large : Certaines doctrines incluent dans cette catégorie toutes les sources internationales, y compris les coutumes internationales ou des principes non écrits comme la lex mercatoria (droit commercial international).
- Sens restrictif : En revanche, la jurisprudence administrative tend à limiter cette notion aux instruments écrits signés par des États, c’est-à-dire aux traités formellement ratifiés.
Dans l’arrêt Aquarone du 6 juin 1997, le Conseil d’État a tranché en faveur d’une interprétation restrictive, affirmant que la coutume internationale ne peut pas prévaloir sur une loi interne, et que seul un accord écrit (traité, convention) peut avoir ce pouvoir.
- Le sens de la loi
- Sens large : Le terme « loi » pourrait englober tous les actes normatifs produits par des autorités internes, incluant les décrets, arrêtés et circulaires.
- Sens restrictif : D’autres approches se concentrent uniquement sur les lois stricto sensu, c’est-à-dire les actes du Parlement.
La tendance doctrinale dominante privilégie une interprétation large, selon laquelle tout acte administratif, qu’il soit législatif (loi) ou réglementaire (décret, arrêté), doit respecter les engagements internationaux. Cela signifie que non seulement les lois du Parlement, mais aussi les décrets et les arrêtés doivent être conformes aux normes internationales, notamment les traités ratifiés. Les actes inférieurs doivent respecter les actes supérieurs : les arrêtés doivent être conformes aux décrets, qui eux-mêmes doivent être conformes aux lois, et ces dernières doivent respecter les traités internationaux.
§3 : Conflit entre la Constitution et les traités internationaux
I – le problème
Deux visions se sont affrontées historiquement pour définir la place de la Constitution dans la hiérarchie des normes, en particulier par rapport aux engagements internationaux.
-
Primauté de l’ordre international sur l’ordre interne
Cette idée repose sur le principe fondamental du droit international, « pacta sunt servanda » (les engagements doivent être respectés). Selon ce principe, un État ne peut se soustraire à un engagement international en invoquant une norme de son droit interne, car cela irait à l’encontre de la parole donnée sur la scène internationale. Remettre en cause un traité ou un accord international en invoquant une disposition interne violerait ce principe et nuirait à la stabilité des relations internationales. En ce sens, le droit international impose aux États de respecter leurs engagements, même si ceux-ci sont en contradiction avec leur propre législation interne. La primauté du droit international s’appuie donc sur cette idée d’obligations contraignantes entre les États. -
Primauté de la Constitution sur l’ordre international
En droit interne, la Constitution française est considérée comme la norme suprême, et cela s’appuie sur deux articles clés :- Article 53 : Cet article précise que certains engagements internationaux, tels que les traités relatifs à la paix, au commerce, ou les accords modifiant des lois importantes, ne peuvent être ratifiés qu’après avoir fait l’objet d’une loi de ratification adoptée par le Parlement.
- Article 54 : En cas de conflit entre un engagement international et la Constitution, cet article permet au Conseil constitutionnel d’intervenir. Si un traité international est jugé contraire à la Constitution, il ne peut être ratifié ou approuvé tant que la Constitution n’a pas été révisée pour le rendre conforme.
I – la solution du droit positif
La solution du droit positif a été forgée lentement et par étapes successives. La jurisprudence Koné (1996) marque une étape imporante dans la hiérarchie des normes en France en affirmant la supériorité de la Constitution sur les traités internationaux. Les jurisprudences Sarran (1998) et Fraisse (2000) ont ensuite confirmé cette primauté de la Constitution, respectivement en droit public et en droit privé.
A) l’émergence de la solution : la jurisprudence Koné
La jurisprudence Koné découle d’un arrêt de l’Assemblée plénière du Conseil d’État rendu le 3 juillet 1996. Dans cette affaire, M. Koné contestait un décret d’extradition pris à son encontre, basé sur un accord de coopération entre la France et le Mali. Il invoquait que cet accord contrevenait à la loi du 10 mars 1927, qui interdit l’extradition à des fins politiques.
Le Conseil d’État a déplacé le débat vers une question fondamentale de conflit entre un traité international et la Constitution française, reconnaissant la suprématie de cette dernière. Bien que l’on aurait pu s’attendre à un contrôle de conformité du décret d’extradition avec la loi de 1927, le Conseil d’État a innové en abordant l’affaire sous l’angle de la hiérarchie des normes, entre traités internationaux et principes constitutionnels.
Motivation du Conseil d’État
Le Conseil d’État a justifié sa décision en invoquant un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) : l’interdiction d’extrader une personne si la demande d’extradition est motivée par des considérations politiques. Ce principe a ainsi permis d’annuler le décret d’extradition en cause.
Les apports principaux de cet arrêt sont les suivants :
-
Primauté de la Constitution : Le Conseil d’État a affirmé que la Constitution française, et en particulier les principes fondamentaux qu’elle reconnaît, prévalent sur les accords internationaux. Cela implique que, dans un conflit entre une norme internationale et un principe constitutionnel, la norme constitutionnelle l’emporte.
-
Contrôle a posteriori de constitutionnalité des traités : Le Conseil d’État a reconnu son droit d’examiner la constitutionnalité d’un traité international après sa ratification. Il s’agit d’une avancée dans le contrôle de la conformité des engagements internationaux à l’ordre constitutionnel interne, élargissant le rôle du juge administratif dans la protection des principes constitutionnels.
Hiérarchie entre Constitution et traités internationaux
Cet arrêt a marqué une étape importante dans la clarification de la hiérarchie des normes en France :
-
Il consacre la supériorité de la Constitution sur les traités internationaux, y compris ceux ratifiés par la France.
-
Il ouvre la voie à un contrôle juridictionnel a posteriori des accords internationaux à l’aune des principes constitutionnels, permettant ainsi de protéger les principes fondamentaux de la République face à des engagements internationaux potentiellement contraires.
La jurisprudence Koné a donc établi une base solide pour la jurisprudence future en matière de hiérarchie des normes, et elle a inspiré les décisions ultérieures telles que les arrêts Sarran et Fraisse. Elle réaffirme la place centrale de la Constitution dans l’ordre juridique français, y compris face aux obligations internationales.
B) l’affirmation de la solution : les jurisprudences Sarran et Fraisse
Les décisions des affaires Sarran, Levacher et autres et Fraisse ont affirmé la supériorité de la Constitution française sur les traités internationaux, établissant un principe central en droit public et privé.
-
En droit public, le Conseil d’État, dans sa décision du 30 octobre 1998 (affaire Sarran), a confirmé la primauté de la Constitution, fondée sur l’article 55 de celle-ci. Cet article affirme que les traités internationaux n’ont pas une autorité supérieure à la Constitution dans l’ordre juridique interne.
-
En droit privé, l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation, dans l’arrêt du 2 juin 2000 (affaire Fraisse), a également reconnu cette supériorité, mais cette fois en invoquant un principe général de droit (PGD) plutôt qu’un texte spécifique.
Ces décisions marquent une différence entre la hiérarchie des normes en droit interne, malgré l’importance des engagements internationaux de la France.
Contexte des accords de Nouméa et la Nouvelle-Calédonie : Lors de l’accès à l’indépendance progressive de la Nouvelle-Calédonie, les accords de Nouméa ont défini le cadre de l’évolution institutionnelle pour les 20 années suivantes. Ces accords visaient à transférer des compétences aux institutions locales via une délégation de pouvoir. Cependant, la Constitution de 1958 n’avait pas initialement prévu un tel transfert de compétences. Pour répondre à cette difficulté, une loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 a modifié la Constitution, introduisant le titre XIII, intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie », avec les articles 76 et 77.
1) article 76 de la Constitution et la jurisprudence du Conseil d’Etat
L’article 76 prévoyait que la population de la Nouvelle-Calédonie devait se prononcer sur les accords de Nouméa via un référendum. Pour organiser cette consultation, un décret en Conseil d’État a été pris, incluant une condition de domiciliation basée sur une loi référendaire du 9 novembre 1988. Or, certains requérants ont contesté ce décret, affirmant qu’il violait le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l’homme (articles 14 et 3 du Protocole additionnel n° 1).
Le Conseil d’État a jugé que la primauté des engagements internationaux (article 55) ne s’applique pas aux dispositions d’ordre constitutionnel. Il a donc confirmé que, dans l’ordre juridique interne, la Constitution prévaut sur les traités internationaux.
Les apports principaux de cette décision :
- Confirmation de la solution de la jurisprudence Koné, qui affirmait déjà la supériorité constitutionnelle.
- Fondation sur l’article 55, indiquant que les traités internationaux ne peuvent prévaloir sur des normes constitutionnelles.
2) article 77 de la Constitution et jurisprudence de la Cour de Cassation
Après l’organisation de la consultation électorale prévue à l’article 76, une loi organique du 19 mars 1999 a précisé les modalités de transfert des compétences. Cette loi a restreint le corps électoral aux assemblées locales de la Nouvelle-Calédonie. Mademoiselle Fraisse, exclue des listes électorales, a contesté cette loi en invoquant des violations des traités internationaux, notamment la CEDH et le traité de Rome.
La Cour de Cassation a rejeté sa demande, réaffirmant que la primauté des traités internationaux ne peut s’appliquer face à la Constitution. Elle s’est fondée non pas sur un article spécifique de la Constitution, mais sur un principe général de primauté constitutionnelle.
3) la comparaison entre les jurisprudences Sarran et Fraisse
Les décisions du Conseil d’État et de la Cour de Cassation convergent sur le principe de la supériorité des normes constitutionnelles sur les traités internationaux, mais divergent quant à leurs fondements :
-
Le Conseil d’État dans l’affaire Sarran fonde sa décision sur l’article 55 de la Constitution, en affirmant que cet article ne s’applique pas aux dispositions d’ordre constitutionnel.
-
La Cour de Cassation, dans l’affaire Fraisse, ne vise aucun texte précis et se réfère à un principe général de primauté de la Constitution sur les engagements internationaux.
Cette divergence de fondements donne à la décision de la Cour de Cassation une portée plus large, laissant supposer que plusieurs types de traités internationaux pourraient être subordonnés à la Constitution. Néanmoins, malgré cette différence, les deux juridictions admettent le contrôle de constitutionnalité a posteriori des engagements internationaux.
Ces décisions consolident la primauté de la Constitution dans l’ordre juridique interne, même face à des engagements internationaux de la France
4) les incertitudes suite à ces jurisprudences
Section2 : Conflit temporel de normes (conflit de lois dans le temps)
Le conflit de lois dans le temps survient lorsqu’une situation juridique est initialement régie par une règle de droit, puis une nouvelle règle, issue de la même source, modifie les dispositions applicables. Il devient alors essentiel de déterminer quelle loi s’applique : l’ancienne, qui a fondé la situation juridique ? ou la nouvelle, qui reflète les besoins actuels de la société ?
Les enjeux du droit nouveau
Comme le souligne Carbonnier, « le droit nouveau est déroutant, seule la jeunesse s’y adapte« . Il existe un risque que ce nouveau droit perturbe les règles existantes. Prenons l’exemple du droit des régimes matrimoniaux : la loi du 13 juillet 1965 a réformé en profondeur ce domaine, et vingt ans plus tard, la loi du 23 décembre 1985 est venue compléter et modifier cette réforme.
- en faveur de la loi ancienne : Certains soutiennent que la stabilité des solutions juridiques est essentielle. Lorsque des situations juridiques sont créées sous l’empire d’une loi ancienne, il serait logique que cette loi continue à s’appliquer pendant toute la durée de la situation. Cela permet de préserver la continuité et d’éviter des bouleversements imprévus.
- en faveur de la loi nouvelle : D’un autre côté, la loi nouvelle est souvent considérée comme mieux adaptée aux besoins de la société contemporaine, en assurant le progrès et l’unité législative. L’article 2 du Code civil pose un principe clair : une loi nouvelle s’applique uniquement à l’avenir, dès son entrée en vigueur, et ne rétroagit pas. Toutefois, face à des situations juridiques de plus en plus complexes, cette solution montre ses limites. C’est pourquoi la jurisprudence et la doctrine ont développé des théories pour aider les juges à interpréter ce principe.
Distinction entre situations contractuelles et extracontractuelles : Il convient de distinguer les situations contractuelles, qui naissent d’actes juridiques comme la vente, le bail ou la donation, et les situations extracontractuelles, qui découlent de faits juridiques comme un accident, un mariage ou une filiation. Dans chaque cas, l’application des lois dans le temps peut varier, nécessitant une analyse juridique approfondie.
§1 : les théories doctrinales du conflit de lois dans le temps
Les théories doctrinales du conflit de lois dans le temps se divisent en deux grandes écoles : la théorie classique et la théorie moderne. Ces deux approches permettent de résoudre les conflits qui surgissent lorsqu’une nouvelle loi entre en vigueur et entre en contradiction avec une loi antérieure régissant déjà une situation juridique.
I. La théorie classique
La théorie classique, d’inspiration libérale, repose sur la distinction entre droits acquis et simples expectatives.
A) Les droits acquis
Les droits acquis sont des droits déjà constitués et irréversibles sous l’empire de la loi ancienne. Une fois qu’ils sont constitués, une nouvelle loi ne peut pas les remettre en cause.
Exemple : Supposons qu’une succession soit ouverte sous l’empire d’une loi ancienne, et que je sois héritier en vertu de cette loi. Si une nouvelle loi entre en vigueur après l’ouverture de la succession et prévoit que les neveux et nièces ne peuvent plus hériter de leur oncle, cette nouvelle loi ne s’appliquera pas à mon cas. Mon droit d’hériter est déjà constitué, c’est un droit acquis qui ne peut être retiré par la nouvelle loi.
Ainsi, les situations juridiques créées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sont protégées.
B) Les simples expectatives
Les simples expectatives désignent des espoirs de droits qui ne sont pas encore constitués et qui peuvent être modifiés ou annulés par une loi nouvelle.
Exemple : Si mon oncle est encore vivant mais malade, et que j’espère hériter de lui, je n’ai qu’une simple expectative de droit. Si une nouvelle loi entre en vigueur avant son décès, interdisant aux neveux et nièces d’hériter, cette loi pourra s’appliquer à ma situation future. Mon espoir d’héritage est une expectative, non un droit acquis, et la loi nouvelle peut l’affecter.
La théorie classique distingue donc clairement entre les droits déjà constitués (les droits acquis, protégés par la loi ancienne) et les simples espoirs (les expectatives, que la loi nouvelle peut modifier ou annuler).
II. La théorie moderne
La théorie moderne, développée par Paul Roubier, marque une évolution par rapport à la théorie classique. Roubier propose une approche plus nuancée qui prend en compte le passage du temps et les effets des lois sur les situations en cours.
Il articule sa théorie autour de deux grands principes et d’une exception.
- 1er principe : Non-rétroactivité de la loi nouvelle
La loi nouvelle ne peut pas remettre en cause les effets juridiques déjà produits par une situation juridique sous l’empire de la loi ancienne. Ce principe est fondamental pour garantir la sécurité juridique et la stabilité des relations juridiques. Il protège les droits acquis sous la loi ancienne.
Exemple : Un couple marié sous l’empire d’une loi ancienne conserve les règles de répartition des biens fixées au moment de son mariage, même si une nouvelle loi modifie ces règles. La nouvelle loi ne pourra pas rétroagir pour affecter les biens déjà répartis.
- 2nd principe : Effet immédiat de la loi nouvelle
La loi nouvelle s’applique immédiatement aux effets futurs des situations juridiques, sauf exception. Cela signifie que pour les événements à venir, la loi nouvelle prend le relais et régit les situations en cours, à l’exception des situations contractuelles.
Exemple : Si un couple marié sous une loi ancienne continue d’acquérir des biens après l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi, la répartition de ces nouveaux biens sera soumise à la loi nouvelle.
L’exception : La survie de la loi ancienne
Dans les situations contractuelles, la loi ancienne continue de régir les effets futurs du contrat. En effet, les parties ont conclu leur accord en se basant sur la législation en vigueur au moment de la conclusion du contrat. Le respect de la volonté contractuelle exige que la loi ancienne continue de s’appliquer, même après l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle.
Exemple : Si un contrat de bail est conclu sous l’empire de la loi ancienne, et que la loi nouvelle modifie les règles relatives aux loyers ou aux préavis, ce contrat continuera d’être régi par la loi ancienne pour ses effets futurs, à moins que la loi nouvelle soit d’ordre public ou qu’une disposition transitoire prévoie le contraire.
III. Synthèse des deux théories
La théorie classique met l’accent sur la distinction entre droits acquis et expectatives, protégeant les droits déjà constitués, tandis que la théorie moderne de Roubier prône une approche plus dynamique. La loi nouvelle s’applique immédiatement aux effets futurs, sauf pour les situations contractuelles où la loi ancienne peut continuer à produire des effets futurs si cela est nécessaire pour respecter la stabilité et la sécurité contractuelle.
La jurisprudence française, en combinant ces deux approches, applique les principes suivants :
- Non-rétroactivité de la loi nouvelle pour les droits acquis.
- Effet immédiat de la loi nouvelle pour les effets futurs des situations extracontractuelles.
- Survie de la loi ancienne pour les contrats en cours, sauf si la loi nouvelle est impérative.
§2 : La solution du droit positif
La jurisprudence a progressivement clarifié les conflits de lois dans le temps en développant des solutions reposant sur la combinaison de plusieurs théories juridiques. La solution actuelle adoptée par la jurisprudence repose donc sur une combinaison de deux principes fondamentaux : l’application immédiate de la loi nouvelle pour les situations juridiques postérieures à son entrée en vigueur, et la protection des droits acquis sous l’empire de la loi ancienne.
I- Première étape : Admission de la théorie classique
La jurisprudence a d’abord consolidé deux théories : la théorie de la simple expectative et la théorie des droits acquis, et les a appliquées à la fois dans les situations contractuelles et extracontractuelles.
A) Application de la théorie de la simple expectative
La théorie de la simple expectative concerne des situations où un droit n’était pas encore acquis, mais en voie de l’être. Elle s’applique dans des cas où la situation juridique existante ne créait pas un droit pleinement constitué, mais une espérance de droit. Par conséquent, une loi nouvelle peut intervenir pour faire évoluer cette situation.
Dans une décision de la chambre civile du 20 février 1917, la Cour de Cassation a appliqué cette théorie dans une affaire de filiation naturelle. À l’époque, une mère ne pouvait pas intenter d’action en recherche de paternité contre l’homme qu’elle prétendait être le père de son enfant né hors mariage. Une loi postérieure a permis cette action, et la question était de savoir si cette loi pouvait s’appliquer aux enfants nés avant son entrée en vigueur.
La Cour de cassation a jugé que la loi nouvelle pouvait s’appliquer, considérant que le père naturel n’avait pas un droit acquis à l’absence de lien de filiation, mais seulement une simple expectative. En conséquence, la loi nouvelle pouvait rétroagir pour permettre l’action en recherche de paternité, sur le fondement de l’article 342 du Code civil et de l’article 2 du même Code.
B) Application de la théorie des droits acquis
Cette théorie protège les droits pleinement constitués avant l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle. Selon cette théorie, une loi nouvelle ne peut pas remettre en cause des droits acquis sous l’empire d’une loi ancienne.
Dans un arrêt des chambres réunies du 13 janvier 1932, un contrat de bail verbal avait été conclu sous l’empire d’une loi ancienne qui permettait au bailleur de donner congé moyennant un préavis de six mois et le paiement d’une indemnité. Pendant le litige concernant le montant de l’indemnité, une nouvelle loi est entrée en vigueur, imposant des conditions plus strictes pour la reprise des lieux. Le locataire a tenté d’invoquer cette nouvelle loi pour bénéficier de ces conditions plus favorables.
La Cour de Cassation a rejeté cette prétention, affirmant que le bailleur avait un droit acquis à reprendre les lieux selon les conditions de la loi ancienne. Par conséquent, la loi nouvelle ne pouvait pas rétroagir et modifier les conditions de reprise des lieux.
Critique de la décision par la doctrine
Cette décision a été critiquée par la doctrine moderne, notamment par Roubier, qui a fait valoir que dans certaines situations, la loi nouvelle doit s’appliquer même aux situations juridiques en cours lorsqu’elle répond à des impératifs d’intérêt général. Cette critique a contribué à l’élaboration d’un nouveau système de solutions, combinant les théories des droits acquis et de la simple expectative.
II- Deuxième étape : Combinaison des théories et élaboration d’un système cohérent
À la suite de ces critiques, la jurisprudence a évolué pour combiner les deux théories et créer un cadre plus flexible pour résoudre les conflits de lois dans le temps. Le droit positif en matière de conflits de lois dans le temps repose désormais sur deux grands principes :
- A) Principe d’application immédiate de la loi nouvelle : Selon l’article 2 du Code civil, la loi nouvelle s’applique immédiatement aux situations juridiques créées après son entrée en vigueur, qu’elles soient contractuelles ou extracontractuelles. La jurisprudence a confirmé cette application immédiate dans plusieurs décisions, et la loi nouvelle régit les effets futurs des situations juridiques en cours, tant qu’elles ne sont pas entièrement achevées sous l’empire de la loi ancienne.
- B) Principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle : Cependant, ce principe d’application immédiate est limité par la non-rétroactivité de la loi nouvelle lorsque cette dernière porterait atteinte à des droits acquis sous l’empire de la loi ancienne. La Cour de cassation continue de réaffirmer que lorsqu’un droit acquis est constitué avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, ce droit doit être protégé, et la loi nouvelle ne peut pas remettre en cause ces situations juridiques déjà stabilisées.
A) application immédiate de la loi nouvelle
L’article 2 du Code civil pose le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle, avec des exceptions notables, notamment la survie de la loi ancienne dans certains cas. Cependant, il existe également des exceptions à ces exceptions, notamment lorsque la loi est d’ordre public ou contient des dispositions transitoires explicites.
En résumé, la règle générale en droit français est l’application immédiate de la loi nouvelle aux situations futures. Cependant, la survie de la loi ancienne est admise lorsque la situation est totalement achevée ou dans le cadre de contrats conclus sous l’empire de la loi précédente. En revanche, si la loi contient des dispositions transitoires ou est marquée par un intérêt social profond, elle s’applique immédiatement, y compris aux effets futurs de contrats passés avant son entrée en vigueur.
1. Le principe : Application immédiate de la loi nouvelle
a) Application aux situations postérieures
La loi nouvelle s’applique à toutes les situations juridiques qui se créent après son entrée en vigueur, que celles-ci soient contractuelles (contrats, accords) ou extracontractuelles (actes juridiques ou faits sans accord préalable). Ce principe a été confirmé par un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 29 avril 1960.
Exemple : Un homme ayant un enfant adultérin a tenté de le légitimer en se mariant avec la mère de l’enfant après son divorce. Une nouvelle loi supprimait la condition d’absence de descendance issue d’un premier mariage pour légitimer un enfant adultérin. La Cour de cassation a jugé que la loi nouvelle s’appliquait immédiatement aux effets futurs de la situation juridique postérieure à son entrée en vigueur.
b) Application aux effets futurs des situations extracontractuelles
Le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle s’étend également aux effets futurs d’une situation juridique extracontractuelle, même si cette situation a été créée avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Dans l’arrêt du 29 avril 1960, la Cour de cassation a estimé que la loi nouvelle, plus favorable à l’enfant adultérin, devait s’appliquer aux futurs effets de la reconnaissance de paternité.
2. L’exception : La survie de la loi ancienne
Dans certaines situations, la loi ancienne continue de s’appliquer, même après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Cela repose sur la protection des droits acquis et sur le principe de la stabilité juridique.
a) Situation juridique achevée avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle
Lorsqu’une situation juridique est entièrement achevée avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, la loi ancienne continue à régir cette situation.
Exemple : Dans l’arrêt du 29 avril 1960, le mariage et la reconnaissance de l’enfant étaient intervenus avant la nouvelle loi. La Cour de cassation a confirmé que la loi ancienne devait continuer à s’appliquer à cette situation.
b) Effets futurs des contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle
En ce qui concerne les contrats, la loi ancienne continue à régir non seulement les situations passées mais aussi les effets futurs des contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Un arrêt de la 1ère chambre civile du 15 juin 1962 a confirmé ce principe.
Exemple : Dans cet arrêt, un contrat de distribution conclu en 1956 a été régi par la loi ancienne malgré un décret de 1958 qui aurait pu accorder des indemnités plus élevées à l’exploitant en cas de rupture. La Cour de cassation a jugé que le contrat devait rester soumis à la loi en vigueur au moment de sa conclusion.
3. L’exception à l’exception : Retour au principe
Il existe des situations où la loi nouvelle s’applique immédiatement, même à des situations juridiques conclues sous l’empire de la loi ancienne. Ces exceptions à l’exception sont justifiées par des considérations d’intérêt public ou par des dispositions transitoires expressément prévues dans la loi.
a) Disposition transitoire expresse
Si la loi nouvelle prévoit explicitement dans ses dispositions qu’elle s’applique aux situations juridiques ou aux contrats conclus avant son entrée en vigueur, elle s’impose immédiatement à ces situations.
b) Loi d’ordre public ou marquée d’un intérêt social
Les lois d’ordre public, qui répondent à des considérations d’intérêt général ou visent à protéger les droits fondamentaux, s’appliquent immédiatement à toutes les situations juridiques, même antérieures à leur entrée en vigueur. Cela inclut les lois impératives dans le domaine du droit du travail ou du droit de la consommation, qui sont considérées comme impératives en raison de leur importance sociale.
Exemple : En matière de droit du travail, une nouvelle législation qui améliore les conditions de travail ou renforce les droits des salariés s’applique immédiatement aux contrats de travail en cours, même si ces derniers ont été conclus avant l’entrée en vigueur de la loi.
B) non rétroactivité de la loi nouvelle, article 2 du Code Civil
En droit français, le principe de non-rétroactivité est une règle fondamentale énoncée à l’article 2 du Code civil : « La loi ne dispose que pour l’avenir; elle n’a point d’effet rétroactif. » Cela signifie que la loi nouvelle s’applique uniquement aux situations survenues après son entrée en vigueur et ne peut pas affecter les droits acquis ou les situations juridiques antérieures.
Le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle a pour objectif de garantir la sécurité juridique. Toutefois, certaines lois peuvent être rétroactives, si elles sont expressément prévues comme telles et si elles respectent des motifs impérieux d’intérêt général.
1. Le sens du principe
Le principe de non-rétroactivité vise à protéger la sécurité juridique et à empêcher la loi nouvelle de modifier rétroactivement des situations passées. Plus précisément, la loi nouvelle ne peut :
- Supprimer un droit qui avait été accordé par la loi ancienne.
- Accorder un droit que la loi ancienne avait interdit ou refusé.
- Régulariser une situation irrégulière sous l’ancienne législation.
Ce principe vise à éviter des bouleversements dans l’application des lois et à préserver les droits acquis.
Exemple : Une victime d’attentat à la pudeur en 1978 ne pouvait pas demander d’indemnisation à cette époque, car l’infraction n’était pas pénalement qualifiée. En 1985, une nouvelle loi a qualifié ces actes comme infraction pénale et introduit un droit à l’indemnisation, mais la Cour de cassation a décidé que cette loi ne s’appliquait pas aux faits commis avant son entrée en vigueur, confirmant ainsi le principe de non-rétroactivité (28 mai 1990).
2. Les exceptions au principe
Bien que le principe de non-rétroactivité soit fondamental, il connaît plusieurs exceptions :
a) Loi expressément rétroactive
Le législateur peut, de manière expresse, décider qu’une loi nouvelle s’appliquera rétroactivement à des situations antérieures. Ce type de loi est adopté pour répondre à des impératifs particuliers ou pour rectifier des situations juridiques.
-
Jurisprudence du Conseil constitutionnel : Le Conseil constitutionnel a précisé dans une décision du 22 juillet 1980 que l’article 2 du Code civil n’a pas de valeur constitutionnelle, ce qui signifie que le législateur peut déroger au principe de non-rétroactivité, sauf en matière pénale. Toutefois, la rétroactivité doit être expressément prévue et justifiée par un intérêt général.
-
Application en cours de procès : En principe, la Cour de cassation ne permet pas d’invoquer une loi rétroactive pour la première fois en appel. Cependant, cette règle a été assouplie dans des décisions récentes, notamment un arrêt du 29 janvier 2002, où la Cour a admis qu’une loi rétroactive soit invoquée devant elle, s’appuyant sur le principe de non-discrimination de la CEDH.
-
Justification de la rétroactivité : Le législateur doit justifier la rétroactivité par un motif impérieux d’intérêt général, en particulier lorsqu’il s’agit de modifier des règles en cours de litige, comme l’a souligné la Cour de cassation dans une décision du 23 janvier 2004, en se référant à la Convention européenne des droits de l’homme (article 6 sur le droit à un procès équitable).
b) Loi interprétative
Une loi interprétative est une loi nouvelle qui vient éclairer le sens d’une loi antérieure. Elle est généralement considérée comme rétroactive de manière naturelle, car elle ne crée pas de nouvelle règle mais clarifie une règle existante.
- Jurisprudence : La Cour de cassation a consacré la rétroactivité des lois interprétatives dans plusieurs décisions, mais a précisé, dans un arrêt de l’Assemblée plénière du 23 janvier 2004, que la rétroactivité doit être justifiée par des motifs impérieux d’intérêt général et ne peut être automatique.
c) Loi rectificative ou modificative
Une loi rectificative vient corriger une erreur matérielle dans une loi ancienne, comme une erreur de date ou de nom. Par nature, une telle loi est nécessairement rétroactive, puisqu’elle a pour but de réparer une erreur dans le texte législatif initial.
d) Loi confirmative
Une loi confirmative vise à régulariser ou à valider une situation juridique qui, sous l’empire de la loi ancienne, était nulle ou irrégulière. Elle est aussi rétroactive de manière nécessaire.
e) Loi pénale plus douce
En matière pénale, le principe de non-rétroactivité est consacré par l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et a une valeur constitutionnelle. Toutefois, il existe une exception : une loi pénale plus douce s’applique rétroactivement aux faits commis avant son entrée en vigueur.
- Exemple : Si une loi nouvelle supprime la peine de mort, cette nouvelle règle s’applique rétroactivement à tous les crimes commis avant l’entrée en vigueur de la loi, empêchant ainsi toute condamnation à mort pour des faits antérieurs.
- Cette rétroactivité s’applique aux faits non encore jugés ou à ceux pour lesquels une décision n’est pas encore définitive.
Section 3 : Le conflit de normes dans l’espace
Le conflit de normes dans l’espace se pose lorsque plusieurs juridictions ou lois provenant d’autorités étatiques différentes sont potentiellement applicables à une même situation juridique, ou lorsque la question concerne l’application de la loi à des personnes ayant des liens juridiques avec plusieurs États. Trois hypothèses majeures sont souvent envisagées dans ces situations.
3 hypothèses :
- Textes d’origine étatique différente : La première situation implique l’application de deux lois provenant de différentes juridictions à une même question de droit, pouvant mener à des contradictions légales.
- Conflit de nationalité pour les personnes plurinationale : Une deuxième hypothèse concerne les personnes ayant plusieurs nationalités. Elles peuvent être soumises à différentes lois nationales, créant des incertitudes quant à la juridiction applicable.
- Application des lois étatiques à des personnes non ressortissantes : La dernière hypothèse aborde la question de l’application des lois étatiques à des individus qui ne sont pas ressortissants de l’État en question, soulevant des interrogations sur la portée des textes légaux au-delà des frontières nationales.
§1 : Le conflit entre deux textes d’origine étatique différente
Ce conflit apparaît lorsqu’une personne est soumise à deux lois provenant de pays différents pour une même situation. Par exemple, un Français résidant en Espagne peut se demander quelle loi doit être appliquée concernant la validité de son permis de conduire délivré en France, alors que les lois françaises et espagnoles divergent.
Pour résoudre ces conflits, le droit international privé recourt à deux grands systèmes : la loi territoriale et la loi personnelle.
I. Le système de la loi territoriale
Dans ce système, la loi d’un État s’applique à toutes les personnes et à toutes les situations juridiques présentes sur son territoire, indépendamment de la nationalité.
3 cas illustrent ce principe :
- En matière pénale : Toute infraction commise sur le territoire d’un État, qu’elle soit le fait d’un citoyen ou d’un étranger, est jugée selon la loi de cet État. Par exemple, un étranger commettant un délit en France sera jugé selon le droit pénal français.
- En matière immobilière : Les biens immobiliers situés dans un pays sont régis par la loi de ce pays, quel que soit le propriétaire. C’est le principe du lex rei sitae.
- En matière extracontractuelle : La loi applicable pour réparer un dommage causé sur un territoire donné est celle du lieu où le dommage a été causé, selon le principe du lex loci delicti.
II. Le système de la loi personnelle
Dans ce système, c’est la loi nationale de la personne qui s’applique, quel que soit le territoire sur lequel cette personne se trouve.
5 hypothèses sont régies par ce système :
- Nom : La législation du pays d’origine de la personne détermine les règles concernant son nom.
- Prénom : Les règles concernant le prénom de la personne sont également déterminées par la loi nationale.
- Capacité à contracter : Les règles concernant la capacité d’une personne à contracter (mariage, contrat) sont celles de son pays d’origine.
- Conditions du mariage : Les conditions légales du mariage sont déterminées par la loi nationale des époux.
- Droits extrapatrimoniaux : Les droits relatifs à la personne, comme le droit à la vie ou à la dignité, sont également régis par la loi nationale.
§2 : Le conflit de nationalité
Le conflit de nationalité apparaît lorsqu’une personne possède plusieurs nationalités, créant une difficulté quant à l’application de la loi nationale pertinente. Lorsqu’une règle de conflit désigne la loi nationale compétente pour régir une situation, la multiplicité de nationalités rend complexe la détermination de la législation applicable.
Exemple : Un Français marié à une Espagnole possède également la nationalité italienne. La question se pose : quelle loi nationale doit s’appliquer à son mariage ?
Ce type de conflit est également influencé par des considérations politiques. Le juge saisi pourrait être naturellement porté à privilégier une loi nationale qui lui est plus proche.
Directives jurisprudentielles de la Cour de Cassation
La Cour de Cassation a établi deux directives majeures pour résoudre ces conflits :
- Arrêt du 07/11/1972 : Si le juge saisi est français et que l’une des nationalités de la personne concernée est française, la loi française est appliquée, même si une autre loi étrangère est également en jeu.
- Arrêt du 15/05/1974 : Si le juge français est saisi et que les deux nationalités concernées sont étrangères, le juge doit appliquer la loi de la nationalité effective de la personne, c’est-à-dire celle qui correspond le plus à sa réalité personnelle (domicile, liens familiaux, etc.).
§3 : Application des textes français aux étrangers
L’intégration des étrangers dans le cadre juridique français est un enjeu de régulation à travers différents textes de lois. Certains favorisent leur intégration, tandis que d’autres peuvent constituer des obstacles.
I. Textes facilitant l’intégration des étrangers
Plusieurs dispositions législatives tendent à placer les étrangers sur un pied d’égalité avec les nationaux dans certains domaines :
- Accès à la justice : Avant la loi de 1975, un étranger devait verser une somme d’argent (caution judicatum solvi) pour garantir l’exécution d’une décision de justice. Depuis cette loi, les étrangers peuvent plaider devant les juridictions françaises aux mêmes conditions que les nationaux.
- Charges fiscales : Les étrangers résidant en France sont soumis aux mêmes obligations fiscales que les citoyens français.
- Libertés publiques : Progressivement, les étrangers se sont vu reconnaître des droits fondamentaux (liberté d’expression, liberté de culte, etc.) au même titre que les Français.
- Commerce et droit du travail : Pour les ressortissants de l’UE, il y a une assimilation complète aux droits des Français en matière de travail et de commerce. Pour les ressortissants hors UE, seules les personnes dûment autorisées peuvent exercer une activité commerciale ou salariale.
- Droit pénal : Les étrangers sont soumis aux mêmes dispositions pénales que les citoyens français. Ils bénéficient également des mêmes garanties procédurales.
II. Textes restreignant l’intégration des étrangers
Malgré cette ouverture, certains textes limitent encore l’intégration des étrangers en France :
- Accès au territoire : Si les citoyens français bénéficient d’une liberté de circulation, les étrangers peuvent se voir refuser l’entrée en France ou être expulsés sous certaines conditions.
- Droit de vote : Les étrangers n’ont pas le droit de voter en France, même aux élections locales, sauf pour les citoyens européens dans certaines conditions.
- Accès à certaines professions : Certaines professions, comme magistrat ou avocat, sont réservées aux citoyens français. Toutefois, les étrangers peuvent être désignés comme arbitres dans des litiges commerciaux internationaux.
- Service militaire : Les étrangers ne sont pas soumis au service militaire français, cette obligation étant réservée aux nationaux.
PARTIE II : Les droits subjectifs
Les droits subjectifs désignent les prérogatives accordées par le droit objectif aux individus (ou sujets de droit). Ils permettent à une personne d’exercer des actions ou de revendiquer des droits vis-à-vis d’autres personnes ou d’objets. En France, les droits subjectifs ont été analysés depuis l’époque romaine, avec une opposition marquée entre deux écoles de pensée sur la nature de ces droits.
-
L’école libérale du droit naturel et des gens : Selon cette conception, il existe des droits naturels inaliénables qui sont accordés à tous les individus et que la loi ne peut pas remettre en cause. Ces droits naturels sont consacrés par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, et incluent des droits comme le droit à la vie, à la sécurité, ou encore à la propriété. Aujourd’hui, ces droits sont en constante évolution, alimentés par de nouvelles revendications sociétales, comme les droits au travail, à la santé, voire des débats plus récents comme le droit à la mort ou l’euthanasie.
-
L’école du positivisme juridique : Cette approche se fonde exclusivement sur les règles posées par le droit positif. Elle conteste l’existence de droits naturels et se concentre sur les droits issus des lois et règlements. Le problème avec cette école est qu’elle tend à ignorer l’individu en tant que centre du droit, en se focalisant uniquement sur l’application des règles. Cette approche est parfois critiquée pour négliger la dimension humaine du droit, par exemple dans les règles du droit de la consommation qui visent à protéger directement les individus.
L’analyse des droits subjectifs est complexe en raison de la confusion fréquente avec d’autres notions comme les libertés publiques ou le pouvoir. Par exemple :
-
Libertés publiques vs droits subjectifs : Les libertés publiques, comme la liberté de la presse ou la liberté d’opinion, précèdent souvent les droits subjectifs. Un journaliste bénéficie d’un droit subjectif à la critique, car la liberté publique d’opinion lui confère ce droit.
-
Pouvoir vs droit subjectif : En droit privé, le pouvoir désigne la capacité d’une personne d’agir au nom d’une autre, tandis que le droit subjectif ne peut être exercé que par la personne elle-même qui en bénéficie. Par exemple, les parents peuvent exercer un pouvoir au nom de leur enfant mineur, mais les droits subjectifs découlant de cet acte juridique appartiennent exclusivement à l’enfant.
Classification des droits subjectifs
Il est difficile de dresser une liste exhaustive des droits subjectifs. Traditionnellement, la classification des droits subjectifs se fait autour de plusieurs distinctions majeures :
- Droits patrimoniaux : Ces droits ont une valeur pécuniaire et peuvent être évalués en argent.
- Droits extrapatrimoniaux : Ces droits n’ont pas de valeur pécuniaire directe et sont inaliénables.
Titre I : la classification des droits subjectifs
La distinction fondamentale dans la classification des droits subjectifs est celle entre droits patrimoniaux et droits extrapatrimoniaux. Cette distinction repose sur le caractère pécuniaire du droit.
Chapitre1 : les droits patrimoniaux
Les droits patrimoniaux englobent tous les droits et obligations d’une personne qui peuvent être évalués en argent et qui forment un ensemble appelé patrimoine. Le patrimoine est une entité juridique qui regroupe tous les actifs (droits) et passifs (obligations) d’une personne.
Il existe deux types de droits patrimoniaux :
- Les droits réels : Ce sont des droits qu’une personne exerce directement sur un bien. Le droit de propriété en est l’exemple le plus courant, mais il inclut également les droits réels démembrés (comme l’usufruit, la servitude, etc.).
- Les droits personnels (ou droits de créance) : Ils désignent le lien juridique entre deux ou plusieurs personnes. Une personne (créancier) détient un droit d’exiger quelque chose d’une autre personne (débiteur), comme dans le cas d’un contrat de vente ou de prêt.
Section1 : Suma divisio : distinction droits réels et personnels
- Droits réels : Ce sont des droits qu’une personne exerce directement sur une chose, c’est-à-dire sur un bien matériel ou immatériel. Le titulaire du droit réel a une maîtrise directe sur la chose. L’exemple typique est le droit de propriété, qui confère à son titulaire le droit d’user (usus), de jouir (fructus), et de disposer (abusus) d’un bien.
- Droits personnels (ou de créance) : Ce sont des droits qu’une personne détient vis-à-vis d’une ou plusieurs autres personnes. Le créancier peut exiger une prestation ou une abstention de la part du débiteur. Les contrats sont les exemples les plus courants de droits personnels, car ils créent un lien juridique entre des parties qui se doivent réciproquement des obligations.
§1 : les droits réels
Les droits réels proviennent du terme latin « res » signifiant « chose » ou « bien ». En conséquence, le droit réel est le rapport juridique qui s’établit entre une personne et un objet. Ce rapport confère au titulaire du droit un pouvoir direct et immédiat sur la chose, lui permettant de l’utiliser, d’en tirer des bénéfices ou d’en disposer.
I – les biens sur lesquels s’exercent un droit
Les biens sur lesquels s’exercent un droit reposent sur une distinction fondamentale (suma divisio) entre meubles et immeubles, ainsi qu’entre biens corporels et incorporels. Cette classification est essentielle dans le droit français des biens.
A) Distinction entre meubles et immeubles
L’article 516 du Code civil énonce que « tous les biens sont meubles ou immeubles ». Cette distinction est essentielle pour définir le régime juridique applicable aux différents biens.
1) Les immeubles
Les immeubles sont régis par les articles 517 et suivants du Code civil et se divisent en plusieurs catégories.
a) Les immeubles par nature
Selon les articles 518 à 524, sont considérés comme immeubles par nature tous les biens immobiles par essence, c’est-à-dire qui ne peuvent être déplacés. Il s’agit principalement des terrains, des champs, des constructions, et des plantations. Les objets attachés de manière permanente à un immeuble pour en assurer l’usage (tuyauterie, réseaux électriques, etc.) sont également considérés comme immeubles.
b) Les immeubles par destination (usage)
Les biens qui sont des meubles à l’origine peuvent devenir des immeubles par destination en fonction de l’usage auquel ils sont affectés. Il existe trois critères principaux :
-
Critère économique (article 524) : Les biens mobiliers affectés au service d’un immeuble, comme les outils utilisés pour exploiter une ferme ou un champ, sont considérés comme des immeubles par destination. Par exemple, un cheval utilisé pour une exploitation agricole est un immeuble par destination.
-
Critère volontaire (article 525) : Un propriétaire peut décider de rattacher des biens meubles à un immeuble, les rendant ainsi immeubles par destination. C’est le cas des boiseries, glaces, ou tapisseries fixées de manière permanente à un immeuble.
-
Critère esthétique (article 524 al. 4) : Un bien devient immeuble s’il est attaché à un immeuble pour des raisons esthétiques, comme une statue placée dans une niche spécialement conçue à cet effet.
c) Immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent
Selon l’article 526 du Code civil, les droits et actions qui portent sur un immeuble sont eux-mêmes de nature immobilière. Par exemple, un droit de plantation d’arbres sur un terrain est considéré comme un droit immobilier car il s’applique à un bien immeuble.
2) Les meubles
Les meubles sont définis par l’article 527 du Code civil comme tout ce qui n’est pas un immeuble. Ils se divisent en trois catégories principales.
a) Meubles par détermination de la loi
Selon l’article 529, certains droits et actions sont considérés comme des meubles par détermination de la loi, bien qu’ils ne concernent pas directement des objets physiques. Par exemple, les parts sociales dans une société sont des biens mobiliers, et les droits associés à ces parts sont des droits mobiliers.
b) Meubles par nature
L’article 528 définit les meubles par nature comme les biens qui peuvent être déplacés, que ce soit par eux-mêmes ou à l’aide d’une tierce personne. Il s’agit des animaux et des biens mobiliers qui peuvent être transportés d’un endroit à un autre.
c) Meubles par anticipation
Certains biens sont au départ immeubles, mais ils deviendront meubles dans l’avenir. C’est le cas, par exemple, des récoltes attachées au sol ou des fruits d’un arbre qui, une fois détachés, deviennent des meubles. L’article 524 régit cette catégorie de biens.
B) Les biens corporels et incorporels
La distinction entre biens corporels et incorporels repose sur la nature tangible ou intangible des biens.
1) Les biens corporels
Les biens corporels sont ceux qui ont un corps, c’est-à-dire qu’ils sont palpables et peuvent être perçus par les sens.
a) Choses appropriées et non appropriées
- Choses appropriées : Ce sont les biens qui ont un propriétaire, que ce soit une personne physique ou morale. Par exemple, les voitures et maisons sont des choses appropriées.
- Choses non appropriées : Ce sont des biens sans propriétaire, mais qui peuvent être appropriés à l’avenir, comme les poissons ou les animaux sauvages.
b) Choses fongibles et non fongibles
- Choses fongibles : Ce sont des biens interchangeables car ils n’ont pas d’identité propre. Par exemple, la monnaie et les produits de masse, comme les grains de riz ou les litres d’huile.
- Choses non fongibles : Ce sont des biens uniques et qui ont une identité propre. Par exemple, une œuvre d’art ou une maison spécifique.
c) Choses consomptibles et non consomptibles
- Choses consomptibles : Ces biens sont détruits par le premier usage, comme la nourriture ou l’argent.
- Choses non consomptibles : Ces biens ne sont pas détruits par leur utilisation, comme une chaise ou une voiture.
2) Les biens incorporels
Les biens incorporels n’ont pas de corps tangible et sont abstraits. Ils comprennent notamment les droits intellectuels (comme les brevets, marques, ou logiciels), les droits de propriété intellectuelle, ainsi que des éléments comme l’électricité ou la clientèle commerciale. Ces biens jouent un rôle croissant dans l’économie moderne et peuvent être protégés et transmis.
II – Les droits qui s’exercent sur une chose ( droits réels)
Les droits réels sont des droits qu’une personne peut exercer sur une chose, soit pour en jouir directement, soit pour garantir une créance. Ils se divisent en droits réels principaux, qui confèrent la maîtrise directe d’une chose, et en droits réels accessoires, qui garantissent des créances.
A) Les droits réels principaux
1) Le droit de propriété
Article 544 du Code civil définit le droit de propriété comme le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu que l’on n’en fasse pas un usage prohibé par la loi.
a) Les prérogatives du propriétaire
Le propriétaire dispose de trois prérogatives principales :
- Usus : Le droit d’utiliser la chose comme bon lui semble, sans avoir besoin de l’autorisation d’autrui (exemple : habiter une maison).
- Fructus : Le droit de percevoir les fruits de la chose, c’est-à-dire les produits générés périodiquement sans altérer la substance de la chose (exemple : récolter les fruits d’un verger ou percevoir des loyers).
- Abusus : Le droit de disposer de la chose, que ce soit matériellement (en consommant, détruisant) ou juridiquement (en vendant, donnant) la chose.
b) Les caractères du droit de propriété
Le droit de propriété se caractérise par trois caractères essentiels et trois caractères secondaires.
i) Les caractères essentiels
- Exclusif : Le propriétaire a un monopole absolu sur la chose, personne d’autre ne peut exercer de droit sur elle sans son consentement.
- Absolu : Le propriétaire peut faire tout ce qui n’est pas interdit par la loi avec son bien. Cependant, ce caractère absolu est limité par certaines restrictions légales (comme l’interdiction d’abuser de son droit).
- Perpétuel : Le droit de propriété dure aussi longtemps que la chose existe. Il ne s’éteint pas par le non-usage, ni par la mort du propriétaire, car il est transmissible aux héritiers.
ii) Les caractères secondaires
- Cessible : Le propriétaire peut céder son droit à une autre personne, soit à titre gratuit (donation), soit à titre onéreux (vente).
- Transmissible : Le droit de propriété est transmis aux héritiers après la mort du propriétaire.
- Saisissable : Si le propriétaire est endetté, ses biens peuvent être saisis par ses créanciers pour être vendus et les créanciers peuvent se faire rembourser sur le produit de la vente.
2) Le démembrement du droit de propriété
Le droit de propriété peut être démembré, c’est-à-dire que certaines de ses prérogatives peuvent être séparées et attribuées à d’autres personnes.
a) L’usufruit
L’usufruit est défini par l’article 578 du Code civil. Il permet à une personne (l’usufruitier) d’utiliser le bien (usus) et d’en percevoir les fruits (fructus), tandis que le nu-propriétaire conserve la propriété du bien et son abusus. Par exemple, après le décès d’un conjoint, le survivant peut avoir l’usufruit sur un bien tandis que les enfants en gardent la nue-propriété.
b) Les servitudes
Les servitudes (article 637 du Code civil) sont des charges imposées sur un bien immobilier, le fonds servant, au bénéfice d’un autre bien immobilier, le fonds dominant. Elles peuvent être :
- Positives : Le propriétaire du fonds servant doit supporter une action de la part du fonds dominant (exemple : servitude de passage).
- Négatives : Le propriétaire du fonds servant doit s’abstenir de faire certaines actions (exemple : servitude de vue, qui interdit de construire une fenêtre donnant sur le fonds voisin).
c) L’emphytéose
L’emphytéose est un bail de très longue durée (de 18 à 99 ans) qui confère au locataire un droit réel sur le bien loué, en contrepartie d’un loyer peu élevé. À l’issue du bail, le propriétaire récupère le bien ainsi que toutes les améliorations apportées par le locataire (constructions, plantations).
B) Les droits réels accessoires
Les droits réels accessoires sont des garanties que le propriétaire d’un bien accorde à ses créanciers. Ces droits permettent au créancier de se faire rembourser en se saisissant du bien en cas de défaut de paiement.
1) Sûretés réelles portant sur les meubles
La principale forme de sûreté réelle mobilière est le gage. Il s’agit d’un contrat par lequel le débiteur remet un bien meuble en garantie à son créancier. Par exemple, si A doit de l’argent à B, il peut donner sa montre en gage à B jusqu’à ce qu’il rembourse la dette.
2) Sûretés réelles portant sur les immeubles
Les sûretés réelles immobilières sont des garanties sur des biens immobiliers.
- Hypothèque : Le propriétaire d’un bien immobilier accorde à son créancier un droit de préférence sur la vente du bien. Si le propriétaire vend le bien, le créancier hypothécaire est prioritaire pour se faire rembourser avec le produit de la vente.
- Antichrèse : Le propriétaire transfère la possession de son bien immobilier à son créancier en garantie de la dette. Ce dernier peut alors jouir des fruits du bien (comme les loyers) jusqu’au remboursement intégral de la créance.
§2 : Les droits personnels
Les droits personnels (ou droits de créance) concernent les rapports entre personnes. Ils se caractérisent par une relation juridique où une personne (le créancier) peut exiger d’une autre (le débiteur) l’exécution d’une prestation.
- Le débiteur est la personne tenue de l’obligation (faire, ne pas faire ou donner quelque chose).
- Le créancier est la personne qui bénéficie de la prestation.
Par exemple, dans un contrat de vente, l’acheteur est créancier de la livraison du bien, et le vendeur est débiteur de cette obligation.
Si le propriétaire d’un bien ne donne pas de garanties spécifiques à son créancier, ce dernier devient un créancier chirographaire. Il dispose alors d’un droit de gage général sur l’ensemble du patrimoine du débiteur, selon l’article 2093 du Code civil.
Section 2 : le patrimoine
Le terme « patrimoine » est issu du latin pater (père), faisant historiquement référence à l’héritage familial transmis de génération en génération. En droit français, bien qu’aucun texte ne consacre explicitement la notion de patrimoine, celle-ci est une construction doctrinale largement acceptée. La théorie classique du patrimoine, développée par Charles Aubry et Rau, est particulièrement influente en France.
Selon cette théorie, le patrimoine est un ensemble indivisible de biens, droits et obligations, envisagé comme une universalité juridique. Il inclut les actifs (biens et créances) et les passifs (dettes et obligations). Ainsi, si l’actif dépasse le passif, la personne est solvable, tandis qu’un passif supérieur entraîne une situation de surendettement. Le patrimoine agit comme un contenant regroupant ces éléments.
§1 : Le patrimoine en tant que contenant
I- La théorie classique (ou subjective)
La théorie classique d’Aubry et Rau personnalise le patrimoine en le rattachant à la personne. Selon eux, le patrimoine est le prolongement économique de la personne et n’existe que si une personne est à sa base. Ce lien étroit entre la personne et son patrimoine entraîne plusieurs conséquences importantes :
- Seuls les sujets de droit peuvent avoir un patrimoine. Les entités non reconnues comme sujets de droit (comme les animaux ou les objets) ne peuvent pas avoir de patrimoine.
- Toute personne a nécessairement un patrimoine, même si celui-ci est vide. Dès qu’une personne existe, elle dispose d’un patrimoine.
- Le patrimoine est inaliénable du vivant de son titulaire. Une personne ne peut pas céder l’intégralité de son patrimoine, car il est indissociable de sa personnalité.
- Principe de l’unité du patrimoine : chaque personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine, englobant à la fois ses actifs et ses passifs.
II- La théorie moderne (ou objective)
Contrairement à la théorie classique, la théorie moderne, développée par les juristes allemands Brinz et Bekker, dépersonnalise le patrimoine et introduit la notion de patrimoine d’affectation. Dans cette approche, le patrimoine n’est pas nécessairement lié à la personne, mais à un ensemble d’actifs et de passifs affectés à une activité ou un objectif spécifique. Cela entraîne plusieurs conséquences :
- Une personne peut avoir plusieurs patrimoines distincts. Par exemple, un commerçant peut avoir un patrimoine personnel et un patrimoine dédié à son activité commerciale.
- Une personne peut céder un patrimoine distinct au cours de sa vie, ce qui est impossible dans la théorie classique.
III- La solution du droit positif français
Le droit positif français n’a jamais consacré formellement la théorie du patrimoine, mais il reste en grande partie fidèle à la conception subjective. De ce fait, le droit français reconnaît qu’une personne ne peut généralement pas céder son patrimoine. Toutefois, des évolutions existent, et certaines situations permettent à une personne de gérer plusieurs patrimoines, comme en matière de successions. Lorsqu’un héritier accepte une succession sous bénéfice d’inventaire, il peut temporairement gérer à la fois son propre patrimoine et celui du défunt, le temps de décider des biens à accepter ou à refuser.
§2 : Le patrimoine en tant que contenu
I- Les composants du patrimoine
Le patrimoine comprend :
- L’actif : l’ensemble des richesses d’une personne, incluant ses biens, ses créances, ses droits réels (comme le droit de propriété), et ses droits intellectuels.
- Le passif : les dettes et obligations de la personne.
Pour que la personne soit solvable, il est nécessaire que son actif soit supérieur à son passif. Sinon, elle est considérée en situation de surendettement.
II- Le principe de l’unicité du patrimoine
Le principe d’unicité du patrimoine signifie que l’actif et le passif du patrimoine sont indissociables : les biens et droits d’une personne sont toujours engagés pour répondre à ses dettes et obligations. Ce principe est ancré dans l’article 2093 du Code Civil, qui stipule que tout débiteur est tenu de remplir ses obligations sur l’ensemble de son patrimoine. Si une personne n’exécute pas une obligation, ses créanciers peuvent saisir n’importe quel bien composant son patrimoine.
Ce principe d’unicité a des conséquences importantes en matière de succession. À la mort d’une personne, l’intégralité de son patrimoine, incluant ses actifs et passifs, est transmise à ses héritiers. Ces derniers héritent à la fois des biens et des dettes, sauf s’ils choisissent de renoncer à la succession ou d’accepter sous bénéfice d’inventaire, ce qui leur permet de limiter leur responsabilité aux biens effectivement reçus.
Chapitre 2 : les droits extrapatrimoniaux
Les droits extrapatrimoniaux sont des droits qui ne sont pas évaluables en argent et qui, par conséquent, ne font pas partie du patrimoine d’une personne. Ils se distinguent des droits patrimoniaux, qui concernent les biens matériels ou immatériels évaluables financièrement. Les droits extrapatrimoniaux ne peuvent ni être cédés, ni transmis, et sont liés à la personne elle-même.
Trois grandes branches des droits extrapatrimoniaux :
- Les libertés publiques : Elles incluent des droits fondamentaux, comme la liberté d’expression, la liberté de conscience ou la liberté de mouvement.
- Le droit de la famille : Il régit les relations familiales, notamment en matière de mariage, de filiation, de fidélité et de secours.
- Le droit de la personnalité : Ces droits protègent l’individu, par exemple le droit à l’image, le droit à l’intégrité corporelle, et d’autres droits souvent exprimés sous la forme de « droit à… ».
Section1 : caractères communs à tous les droits extrapatrimoniaux
- Non évaluables en argent : Ces droits ne peuvent pas être estimés ou monnayés.
- Incessibles de son vivant : Ils ne peuvent pas être cédés à d’autres personnes.
- Intransmissibles à cause de mort : Ils s’éteignent à la mort du titulaire et ne sont pas transmis aux héritiers.
- Imprescriptibles : Ils ne disparaissent pas par non-usage, contrairement aux droits patrimoniaux qui peuvent s’éteindre si leur titulaire ne les exerce pas.
- Insaisissables : Ces droits ne peuvent pas être saisis pour régler des dettes.
Section 2 : Les exemples de droits extrapatrimoniaux
Les droits extrapatrimoniaux incluent notamment les droits de la personnalité :
- Le droit à la vie privée : Protège l’intimité d’une personne contre les intrusions.
- Le droit à l’image : Garantit le contrôle de l’utilisation de son image.
- Le droit au respect du corps humain : Assure l’intégrité physique de l’individu.
§1 : droit de respect de la vie privée
Le droit au respect de la vie privée est protégé par de nombreuses déclarations, conventions et lois, tant au niveau national qu’international. Par exemple :
- L’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
- L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) garantissent ce droit fondamental.
- En droit français, l’article 9 du Code civil consacre ce principe, énonçant dans son alinéa 1 que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Cependant, cet article ne définit pas précisément la notion de vie privée, laissant ainsi à la jurisprudence le soin d’interpréter son champ d’application. L’alinéa 2 de cet article organise également les mesures destinées à faire cesser les atteintes à ce droit.
- La jurisprudence a ainsi établi que l’article 9 du Code civil couvre plusieurs droits spécifiques, notamment le droit à l’image, le respect de la correspondance, et le respect du domicile. Ces droits sont interprétés en lien avec l’article 8 de la CEDH, qui influence largement l’interprétation française.
Le principe fondamental dégagé est que la vie privée s’arrête là où commence la vie publique. Le droit au respect de la vie privée consiste en la protection de la liberté individuelle d’agir et de mener son existence sans ingérence extérieure injustifiée.
- Un arrêt de principe de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 6 mars 1996 a clairement affirmé que toute immixtion arbitraire dans la vie d’autrui, sous quelque forme que ce soit, est illicite. Ce principe est toujours d’actualité et sert de fondement à de nombreuses décisions visant à protéger la vie privée.
- Avec le développement des technologies numériques, la protection de la vie privée s’est étendue aux données personnelles. La loi Informatique et Libertés de 1978, modifiée par l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données (RGPD) en 2018, encadre strictement le traitement et la divulgation des informations privées. La CNIL veille au respect de ces dispositions et peut sanctionner toute violation de ces droits.
I – Etendue de la protection
Le droit à la vie privée couvre divers aspects de l’existence d’une personne, protégeant plusieurs éléments essentiels. Ces protections sont basées sur des principes établis par la jurisprudence.
A) L’identité de la personne
L’identité, qui permet de distinguer une personne au sein d’un groupe ou d’une société, fait partie intégrante de la vie privée. La révélation de cette identité sans consentement constitue une atteinte à la vie privée. Par exemple, la Cour d’appel de Paris (15 mai 1970) a condamné un magazine pour avoir dévoilé le vrai nom de l’artiste Jean Ferrat, reconnaissant ainsi que nom, prénom et coordonnées sont des éléments d’identification protégés.
B) L’intimité de la personne
L’intimité concerne plusieurs aspects de la vie personnelle :
- La nudité
Chaque fois que la nudité d’une personne est exposée publiquement sans son accord, il y a atteinte à la vie privée. - La vie conjugale
Les affaires sentimentales relèvent du privé, qu’il s’agisse de fiançailles, de mariage ou de divorce.- Fiançailles : Le TGI de Paris (26 juin 1976) a estimé que les fiançailles sont une question privée, interdisant ainsi toute diffusion sans l’accord des personnes concernées.
- Mariage : La CA de Paris (16 février 1974) a condamné un journal pour avoir révélé des détails du mariage de Johnny Hallyday et Sylvie Vartan sans leur consentement, en affirmant que seules les personnes concernées peuvent décider des limites de ce qu’elles veulent divulguer.
- Divorce : Les lois sur la presse de 1881 et celle sur le divorce de 1975 protègent la confidentialité des procédures de divorce. Un arrêt de la CA de Dieppe (1970) a considéré qu’un journal juridique, en donnant des détails suffisants pour identifier un particulier en instance de divorce, portait atteinte à sa vie privée.
- La maternité
L’état de grossesse est une information intime. La CA de Paris (27 juillet 1981) a condamné un journaliste pour avoir révélé la grossesse d’Isabelle Adjani sans son accord, malgré sa demande de discrétion. - L’esthétique
Révéler des détails esthétiques non visibles d’une personne relève de l’intimité corporelle. La CA de Paris (20 juin 1973) a condamné la publication d’informations sur les défauts esthétiques d’une personne, estimant qu’il s’agissait d’une atteinte à sa vie privée.
C) La santé de la personne
Le secret médical est strictement protégé. La divulgation de l’état de santé d’une personne sans son consentement constitue une atteinte à la vie privée. Par exemple, un article sur la maladie de Jacques Brel publié sans son autorisation a été condamné par la CA de Paris (9 juillet 1980), considérant la divulgation d’informations de santé comme une violation du droit à la vie privée.
D) Les souvenirs de la personne
Les souvenirs personnels sont intimement liés à l’identité individuelle. Personne n’a le droit de publier les souvenirs d’autrui sans autorisation, même si l’intention n’est pas malveillante. Les souvenirs relèvent de la sphère privée et sont protégés en tant que tels.
E) Les convictions religieuses, politiques et philosophiques
Les convictions personnelles sont protégées par le droit à la vie privée. Plusieurs décisions judiciaires ont condamné la divulgation non consentie de telles informations.
Par exemple, le juge des référés de Lyon (15 décembre 1887) a interdit la publication d’un annuaire recensant les personnes de confession juive. Toutefois, la Cour de cassation (12 juillet 2005) a précisé que la publication des noms des responsables d’une loge maçonnique n’était pas une atteinte à la vie privée, car liée à l’exercice d’une fonction publique ou de direction.
F) Le patrimoine
Longtemps, la divulgation d’informations sur le patrimoine d’une personne était interdite. Toutefois, cette protection a été assouplie dans certains cas pour des raisons d’intérêt public, notamment en matière politique.
Ainsi, la Cour de cassation (20 octobre 1993) a jugé que la publication de renseignements exclusivement patrimoniaux, sans autre lien avec la vie privée ou la personnalité, ne constituait pas une violation du droit à la vie privée.
II- le régime de la protection
L’atteinte à la vie privée est sanctionnée tant civilement que pénalement.
- Sanctions civiles : Les victimes d’atteintes à la vie privée peuvent obtenir une indemnisation financière du préjudice subi. En plus de la réparation financière, d’autres mesures peuvent être ordonnées, telles que la confiscation ou le séquestre des documents concernés, afin de prévenir la diffusion ou l’exploitation de ces informations.
- Sanctions pénales : L’atteinte à la vie privée peut également entraîner des sanctions pénales, telles que l’emprisonnement, des amendes, ou les deux. Ces sanctions sont particulièrement appliquées dans des cas graves, par exemple lorsque des professionnels soumis au secret professionnel divulguent des informations protégées.
§2 : le droit à l’image
Le droit à l’image est une composante fondamentale du droit de la personnalité, bien qu’il ne soit pas explicitement prévu par un texte législatif en France. La jurisprudence a été essentielle pour affirmer son existence et élaborer son régime.
L’origine du droit à l’image
La première reconnaissance explicite de ce droit se trouve dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 25 octobre 1982, qui a affirmé que le droit au respect de la vie privée permet à toute personne, y compris les artistes, de s’opposer à la diffusion de leur image sans leur consentement explicite. Cette décision a posé un principe fondamental selon lequel l’image d’une personne, en tant qu’attribut de sa personnalité, mérite protection au même titre que sa vie privée.
Cependant, avec l’évolution de la jurisprudence, le droit à l’image s’est progressivement détaché du droit au respect de la vie privée. Dans un arrêt important de la Cour de cassation du 10 mai 2005, la distinction a été clarifiée : le droit à l’image et le droit au respect de la vie privée sont deux droits distincts, bien que tous deux fondés sur l’article 9 du Code civil.
Nature et régime du droit à l’image
Aujourd’hui, le droit à l’image est reconnu comme un droit de la personnalité à part entière. Il accorde à toute personne un contrôle sur l’utilisation de son image, qu’il s’agisse d’une photographie, d’une vidéo ou de tout autre support. Toutefois, le régime de protection varie en fonction du lieu où l’image est capturée :
-
Dans un lieu privé : La protection est absolue. Toute prise de vue ou diffusion d’une image capturée dans un espace privé sans consentement est une atteinte au droit à l’image. Le non-respect de cette règle peut être sanctionné par l’article 9 du Code civil et entraîner des dommages et intérêts.
-
Dans un lieu public : La protection est plus limitée. La personne doit prouver qu’elle était dans une situation particulière de la vie privée, même en public, pour faire valoir une atteinte à son droit à l’image. Si l’individu est une personnalité publique, son droit à l’image peut être encore plus restreint, sauf lorsqu’il est dans un cadre privé ou hors de sa fonction publique. Les intérêts légitimes de la presse peuvent entrer en jeu, comme l’a souligné la Cour européenne des droits de l’homme, notamment sur la question de la liberté d’expression.
I – la protection entière dans un lieu privé
La protection de l’image d’une personne dans un lieu privé est un droit fondamental en droit français. Elle interdit la prise et la diffusion de photos ou de vidéos sans le consentement de la personne concernée. Cette protection s’applique dans des espaces privés tels que l’appartement, la maison, le jardin, ou le balcon, même si ces lieux sont partiellement visibles depuis la voie publique.
A) Les personnes dans un lieu privé
Qu’il s’agisse de personnalités publiques ou de personnes ordinaires, le droit français offre une protection contre la capture et la diffusion d’images non consenties dans des lieux privés. Toutefois, la protection accordée aux personnalités publiques est limitée à leur vie privée, excluant les moments où elles exercent leur fonction publique. Cette protection continue même après leur décès, et ce, en vertu de la jurisprudence qui a étendu le respect de la vie privée posthume.
Exemples de protection durant la vie :
-
CA Paris, 27 février 1976 : Le magazine Jour de France, propriété de Marcel Dassault, avait publié des photos de Brigitte Bardot prises à son insu dans sa propriété, mais depuis la voie publique. Le tribunal a estimé que la prise et la diffusion des photos sans son consentement portaient atteinte à sa vie privée, bien qu’elle soit une personnalité publique, et a condamné la revue sur la base de l’article 9 du Code civil.
-
2ème civ, 12 juillet 1966 : Un hebdomadaire avait publié des photos du fils de Gérard Philipe sur son lit d’hôpital. Bien que l’argument du journal fut que l’hôpital est un lieu public et que l’enfant n’était pas une célébrité, la Cour a jugé que l’image de l’enfant relevait de la sphère privée et a condamné la publication.
-
Cour de cassation, 2 juin 2021 (n° 20-13.753) : Cette décision souligne que la captation d’une image, même sans preuve de sa diffusion, constitue en elle-même une atteinte au droit à l’image et ouvre droit à réparation. Un acteur avait vu sa photo publiée sans autorisation, ce qui a conduit la Cour à statuer que la simple capture d’une image dans un cadre privé suffit à constituer une atteinte(Dalloz Actualité).
-
Arrêt du 19 janvier 2022 : Cet arrêt précise que, dans le cadre de la relation de travail, l’image d’un salarié ne peut être exploitée sans son consentement. Dans cette affaire, des salariés licenciés avaient demandé la suppression de leurs photos publiées sur le site de l’entreprise. La Cour de cassation a rappelé que le droit à l’image est un droit fondamental et que même après la fin de la relation de travail, l’employeur doit respecter ce droit. La Cour a cependant précisé que la preuve d’un préjudice n’est pas toujours nécessaire pour obtenir réparation(Village Justice).
Exemples de protection posthume :
-
Tribunal de la Seine, 16 juin 1858 : Un journal avait publié les traits de l’actrice Rachel après son décès, sans le consentement de ses héritiers. Le journal fut condamné pour avoir violé le droit à l’image posthume.
-
Cour de cassation criminelle, 22 octobre 1980 : Des photos de Jean Gabin sur son lit de mort avaient été publiées sans l’accord de ses héritiers, ce qui constituait une atteinte à sa vie privée posthume.
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a dégagé un principe fondamental le 5 mars 1997, selon lequel il y a atteinte à l’intimité de la vie privée dès lors qu’une photo prise dans une réunion privée est publiée sans le consentement de la personne, avec une légende révélant son identité.
Principales conséquences :
- Le droit à l’image bénéficie à tous, qu’ils soient anonymes ou personnalités publiques.
- Ce droit suppose que l’identité de la personne soit révélée par l’image.
- Il y a atteinte lorsque la prise de l’image et/ou sa diffusion n’ont pas été autorisées.
B) Le régime de la protection
Pour faire reconnaître une atteinte à son droit à l’image, la personne doit prouver que la photo ou la vidéo a été capturée sans son consentement. Si elle a consenti à la prise de l’image, elle doit démontrer que la diffusion s’est faite sans son accord ou en dehors des limites prévues. La réparation de l’atteinte prend généralement la forme de dommages et intérêts, dont le montant varie en fonction de l’importance du préjudice subi.
Trois situations sont distinguées :
- Absence totale de consentement : La personne n’a consenti ni à la prise ni à la diffusion de l’image, ce qui constitue l’atteinte la plus grave.
- Consentement partiel : La personne a consenti à la prise mais pas à la diffusion, ou à une diffusion limitée, ce qui peut entraîner un préjudice moindre.
- Détournement d’image : La personne a consenti à la prise et à la diffusion dans un cadre précis, mais l’image est détournée pour un usage non prévu, ce qui constitue également une atteinte.
La Cour de cassation a récemment renforcé la protection en exigeant que la publication d’une image soit justifiée par un contexte légitime et qu’il existe un lien direct entre l’image et l’information illustrée. Par exemple, dans un arrêt du 19 février 2004, un journal avait publié une photo d’une actrice avec un bébé sur un tournage. Bien que les parents du bébé aient consenti à la diffusion pour la promotion du film, l’image fut détournée ultérieurement pour insinuer une grossesse réelle de l’actrice. La Cour a jugé que ce détournement d’image constituait une atteinte à la vie privée.
En outre, les publications non autorisées sont souvent accompagnées de légendes qui peuvent accentuer l’atteinte à la vie privée, en révélant des informations sensibles ou en déformant le contexte de l’image.
II – la protection atténuée dans un lieu public
La question de savoir si la protection du droit à l’image doit s’appliquer dans un lieu public, alors que la personne prend le risque de se montrer en public, a donné lieu à un régime de protection atténué. Ce droit entre souvent en conflit avec d’autres libertés, notamment la liberté de la presse et la liberté d’expression. Selon la jurisprudence, le cadre dans lequel une personne est photographiée, qu’elle soit une personnalité publique ou un particulier, influe sur le degré de protection accordé.
A) Les personnalités publiques photographiées lors d’une activité professionnelle
Les personnalités publiques bénéficient d’une protection réduite lorsqu’elles sont photographiées dans l’exercice de leurs fonctions. La jurisprudence estime généralement qu’elles ont tacitement consenti à la prise de leur image dans ces situations, dès lors que celle-ci est en lien avec leurs activités publiques.
- 1ère civ., 20 février 2001 : Il est légitime de publier une photographie d’un policier en action lors d’une expulsion, dans l’exercice de ses fonctions publiques. La prise d’image dans ce contexte ne constitue pas une atteinte à la vie privée.
- Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), Krone-Verlag, 16 février 2002 : La CEDH a confirmé qu’il n’y a pas de violation de l’article 8 de la CEDH en publiant la photo d’un homme politique liée à des questions d’intérêt public (ici, l’origine de ses revenus). Les personnalités politiques, du fait de leur rôle public, acceptent certaines limitations de leur droit à l’image.
Cependant, la Cour de cassation impose des limites : les photos ne doivent pas être diffusées de manière excessive ou détournée, et il doit exister un lien direct entre l’image et l’information. Par exemple, dans l’affaire de Caroline de Monaco (2ème civ., 19 février 2004), l’hebdomadaire France Dimanche a été poursuivi pour avoir publié une photo prise lors d’un concours public. La Cour de cassation a estimé qu’il n’y avait pas détournement d’image, car la photo était liée à un événement public et ne portait pas atteinte à sa dignité.
B) Les particuliers photographiés à leur insu dans un lieu public
Dans les lieux publics, la prise et la diffusion d’images de particuliers sont généralement autorisées sans leur consentement, sauf si la personne est isolée et identifiable de manière intentionnelle ou exploitée à des fins spécifiques.
1) La photo prise dans un contexte général
Lorsque la photo illustre un contexte particulier sans intention de cibler spécifiquement un individu, il n’y a généralement pas atteinte au droit à l’image.
- 1ère civ., 25 février 2000 : Une personne photographiée fortuitement lors d’un événement public (ici, une scène d’actualité policière) ne peut invoquer une atteinte à son droit à l’image, car sa participation à l’événement implique un consentement tacite.
2) La photo prise dans un contexte prétexte
Si l’image est captée sous couvert d’un contexte public, mais en réalité centrée sur une personne identifiable pour des motifs dénigrants ou discriminants, il y a atteinte au droit à l’image.
- 1ère civ., 12 décembre 2000 : La Cour de cassation a jugé qu’il y a atteinte à l’image dès lors qu’une personne est isolée par le cadrage (par exemple, zoomer sur une personne en surpoids pour illustrer un article sur l’obésité). Même si l’individu est dans un lieu public, ce cadrage intentionnel viole son droit à l’image.
C) Les personnes photographiées dans une entreprise
La question de la légitimité des images captées dans un cadre professionnel est délicate, notamment lorsqu’il s’agit de caméras de surveillance. Les décisions varient selon l’utilisation des images :
- Si les caméras sont installées pour la sécurité des employés, cela est considéré comme légitime. En revanche, si elles servent à espionner les salariés, cela porte atteinte à leurs libertés.
- Concernant l’utilisation des images pour justifier un licenciement, la Cour de cassation, chambre sociale (20 mars 1991), a jugé que les enregistrements obtenus par caméra de surveillance sans avertissement préalable constituaient une preuve illicite.
III – Limite générale à la protection
La Cour de cassation a clarifié que la protection du droit à l’image doit être combinée avec l’exercice de la liberté de communication, notamment lorsque le public a un intérêt légitime à être informé.
- 2ème civ., 30 juin 2004 : La Cour a jugé que, dans une affaire concernant l’affaire ELF, la publication de la photo d’une personne photographiée lors des obsèques de son père était légitime, car cette personne était impliquée dans l’événement public couvert par l’article. Il existe toutefois deux conditions :
- La personne doit être impliquée dans l’événement. L’article doit avoir pour objectif de rendre compte d’un événement d’actualité pertinent (Cour de Cassation)
- La personne doit être impliquée dans l’événement. L’article doit avoir pour objectif de rendre compte d’un événement d’actualité pertinent (Cour de Cassation)
§3 : Droit au respect du corps humain
Le droit au respect du corps humain est fondé sur le principe d’intégrité physique et, historiquement, le Code civil français ne contenait pas de dispositions explicites concernant la protection du corps humain. En conséquence, la jurisprudence a dû intervenir pour poser des principes fondamentaux en la matière.
I) Quelques exemples d’application du principe
Affaire des stérilisés de Bordeaux (1937)
Dans cette affaire, des anarchistes avaient demandé la stérilisation volontaire (ablation des parties génitales) pour arrêter de procréer. Le problème juridique résidait dans le fait qu’il n’existait aucun texte interdisant directement de tels actes à l’époque. Les juges ont cependant décidé que le consentement des patients ne pouvait pas justifier l’acte, car celui-ci n’avait aucun but thérapeutique. Cette affaire a soulevé pour la première fois la question de la violation du corps humain sans fondement médical.
Affaire du tatouage (1969)
Cette affaire impliquait une jeune fille de 16 ans, dont la peau avait été tatouée pour un film, puis détatouée dans des conditions dangereuses à la demande d’un artiste. La jeune fille a subi de graves complications de santé, ce qui a conduit ses parents à poursuivre les responsables. Le Tribunal de grande instance de Paris a considéré le contrat comme illicite sur la base de l’article 6 du Code civil qui protège l’ordre public et les bonnes mœurs, en raison de la vulnérabilité de la mineure.
Statut des transsexuels
La question du transsexualisme a longtemps posé problème en matière d’amputation. Les opérations de changement de sexe, qui ne sont pas des traitements de maladies physiques, ont été controversées.
- Dans un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 23 avril 1990, un médecin et un chirurgien ont été condamnés après qu’une opération de changement de sexe a entraîné des complications graves pour une patiente transsexuelle, qui a finalement mis fin à ses jours. La jurisprudence pénale a progressivement reconnu la responsabilité médicale dans de tels actes.
- Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) – 2023 : Dans l’affaire Y c. France, la CEDH a mis en lumière les droits des personnes intersexuées, soulignant leur droit à un respect intégral de leur corps et de leur identité, même dans des contextes où la reconnaissance administrative ou médicale est problématique. Ce cas démontre une avancée dans la prise en compte des identités corporelles complexes, et pose des questions sur la prise en charge médicale respectueuse des droits des individus présentant une intersexuation(Juricaf).
Maternité de substitution
La maternité de substitution, ou recours aux mères porteuses, a longtemps été strictement interdite en France. La Cour de cassation a consolidé cette interdiction dans l’arrêt Alma Mater du 31 mai 1991, en déclarant ces conventions illicites. La Cour a estimé que les contrats impliquant la maternité de substitution contreviennent au principe d’indisponibilité du corps humain, posé à l’article 16-1 du Code civil. Ce principe interdit toute transaction portant sur le corps humain, empêchant ainsi tout commerce ou rémunération en lien avec la procréation.
Cette interdiction s’appuie sur le fait que le corps humain ne peut faire l’objet d’aucune convention, qu’elle soit lucrative ou non, afin de protéger la dignité de la personne. La jurisprudence a donc, à plusieurs reprises, confirmé que la maternité de substitution est incompatible avec les fondements juridiques français, qui refusent de traiter le corps humain comme un objet de contrat.
Cependant, cette position stricte a donné lieu à plusieurs débats, notamment sur le statut des enfants nés par GPA (gestation pour autrui) à l’étranger. Ces enfants se retrouvent dans des situations juridiques complexes lorsqu’ils sont ramenés en France, ce qui a conduit la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à rappeler à la France de garantir la reconnaissance de la filiation dans l’intérêt de l’enfant (arrêts Mennesson et Labassée, 2014).
La loi bioéthique révisée en 2021 a maintenu l’interdiction de la gestation pour autrui en France, bien que des ajustements soient régulièrement envisagés face aux évolutions internationales et aux décisions de la CEDH concernant la reconnaissance des filiations établies à l’étranger(Cour de Cassation)(Dalloz Etudiant).
Clonage humain
En réponse aux progrès scientifiques rapides, les révisions des lois bioéthiques en 2004, 2011, et plus récemment en 2021, continuent de préciser les conditions dans lesquelles des pratiques comme le clonage ou la modification génétique peuvent être encadrées, tout en protégeant l’intégrité du corps humain. Ces lois interdisent strictement le clonage reproductif humain, mettant l’accent sur la protection de la dignité humaine (Cour de Cassation).
II – le principe de l’inviolabilité du corps humain
Le principe de l’inviolabilité du corps humain, prévu par l’article 16-2 du Code civil, établit qu’il est interdit de porter atteinte au corps d’autrui sans son consentement. Toutefois, ce principe connaît certaines limites, particulièrement dans le cadre médical ou en raison de nécessités impérieuses.
Le principe
Ce principe impose le respect du corps humain, interdisant toute intervention médicale ou scientifique sans consentement explicite. Cela s’applique également à la recherche génétique et à la protection contre des expériences scientifiques non consenties. Le consentement éclairé est donc indispensable avant toute intervention médicale, conformément à l’article 16-3 du Code civil.
Les limites
Dans certains cas, l’intervention médicale sans consentement est permise. L’article 16-3 alinéa 1 prévoit que, lorsque le patient est inconscient ou incapable de consentir, un médecin peut agir s’il s’agit d’un acte thérapeutique nécessaire. Par exemple, en cas d’urgence vitale, un médecin peut être amené à pratiquer une intervention sans consentement préalable, comme dans l’affaire des Témoins de Jéhovah refusant les transfusions sanguines. Un arrêt du 16 août 2002 a confirmé que le médecin ne porte pas atteinte à la liberté du patient lorsqu’il accomplit un acte médical nécessaire à sa survie, après avoir tenté de convaincre le patient.
III – l’indisponibilité du corps humain
Selon l’article 16-1 al 3, le corps humain ne peut pas faire l’objet d’un contrat
A) le principe
L’article 16-1 alinéa 3 du Code civil réaffirme le principe de l’indisponibilité du corps humain. Il n’est pas possible de conclure de contrats portant sur le corps humain. Ce principe, renforcé par les lois bioéthiques de 1994, interdit toute transaction ou convention ayant pour objet le corps humain, même à des fins non lucratives. Par exemple, l’euthanasie reste interdite en France, en vertu du principe de non-disponibilité, malgré les débats et propositions législatives visant à introduire un droit au refus de traitement pour les malades en phase terminale.
B) Limites de ce principe
Certaines exceptions existent dans des situations bien définies. Le prélèvement d’organes (rein, sang, etc.) est permis à condition qu’il soit réalisé de manière gratuite et anonyme (articles 16-6 et 16-8 du Code civil). La révision des lois bioéthiques de 2021 a renforcé ces principes, tout en adaptant le cadre légal aux évolutions scientifiques, notamment en matière de dons d’organes et de tissus.
IV- l’apport de la loi bioéthique du 06/08/04 et de 2021
La loi de 2004 loi a révisé les lois bioéthiques de 1994 et a été déclarée constitutionnelle le 29 juillet 2004. Son objectif est de trouver un équilibre entre la recherche scientifique et la protection des personnes, notamment les embryons.
- Le clonage reproductif y est strictement prohibé et qualifié de crime contre l’espèce humaine dans l’article 214-2 du Code pénal. La loi permet toutefois certaines recherches sur des embryons humains congelés et abandonnés, à des fins de progrès médical.
- La loi de 2004 a aussi introduit la possibilité de breveter des éléments du corps humain, à condition que ces éléments ne soient pas utilisés à des fins commerciales, ce qui montre une volonté de concilier recherche scientifique et éthique.
En 2021, les révisions des lois bioéthiques ont encore élargi le cadre législatif, notamment en permettant davantage de recherches sur les embryons sous conditions strictes, et en renforçant les protections contre le clonage et l’exploitation commerciale du corps humain.
-
Procréation médicalement assistée (PMA) :La loi de 2021 a étendu l’accès à la PMA aux femmes célibataires et aux couples de femmes, mettant fin à sa restriction aux couples hétérosexuels infertiles. La conservation des gamètes pour des raisons non médicales a été légalisée, permettant aux femmes de congeler leurs ovocytes.
-
Recherche sur l’embryon et les cellules souches :La loi de 2021 assouplit les conditions de la recherche sur les embryons humains, en autorisant sous certaines conditions l’utilisation des embryons congelés abandonnés pour la recherche scientifique, tout en maintenant l’interdiction du clonage reproductif. Le clonage thérapeutique reste interdit, et le clonage reproductif est considéré comme un crime contre l’espèce humaine.
-
Dons d’organes et anonymat : Les lois bioéthiques imposent des règles strictes sur les dons d’organes, qui doivent être gratuits et anonymes (articles 16-6 et 16-8 du Code civil). Toute rémunération pour des dons de sang, d’organes ou de tissus reste interdite.
-
Droits des enfants issus de la PMA : La révision de 2021 a renforcé les droits des enfants nés d’une PMA en leur permettant, à leur majorité, d’avoir accès aux informations sur leurs donneurs (identité non incluse), levant en partie l’anonymat des donneurs de gamètes.
-
Filiation et gestation pour autrui (GPA) : Bien que la GPA reste interdite en France, la révision de 2021 n’a pas modifié cette interdiction. Cependant, la jurisprudence, notamment les arrêts de la CEDH, a poussé la France à reconnaître la filiation des enfants nés par GPA à l’étranger.
Titre II : la preuve des droits subjectifs
Pour se prévaloir d’un droit, il faut prouver son existence : « pas de preuve, pas de droit ». La preuve est essentielle dans tous les domaines du droit.
En droit civil, la preuve relève à la fois du droit civil (car elle conditionne la reconnaissance des droits subjectifs) et de la procédure civile (car elle détermine le rôle du juge dans le procès). Les règles de preuve en droit civil sont énoncées dans les articles 1353 et suivants du Code civil (anciennement 1315), et en matière de procédure civile, elles sont abordées à l’article 9 du Code de procédure civile.
Certaines règles spéciales peuvent écarter les principes généraux, comme en matière de filiation. Par ailleurs, les parties peuvent modifier les règles de preuve via des conventions de preuves (arrêt de la Cour de cassation, 1re civ. 8/11/1989), bien que cette liberté soit limitée par des principes d’ordre public, notamment le principe du contradictoire (article 16 du Code de procédure civile), qui impose que toutes les preuves soient discutées de manière équitable entre les parties.
Les aspects principaux de la preuve concernent :
- L’objet de la preuve
- La charge de la preuve
- Les modes de preuve
- L’admissibilité des preuves
Chapitre 1 : l’objet de la preuve
Il s’agit de déterminer ce qui doit être prouvé. Cette distinction repose sur la séparation entre faits et droit.
Section1 : Le principe
L’objet de la preuve concerne uniquement les faits générateurs du droit invoqué, et non les règles de droit, qui sont appliquées par le juge.
Deux directives :
- Seuls les faits générateurs doivent être prouvés, car le juge n’en a pas connaissance.
- Les règles de droit n’ont pas besoin d’être prouvées.
Ces principes sont consacrés par les articles 9 et 12 du Code de procédure civile :
- Article 9 : Chaque partie doit prouver les faits nécessaires à sa prétention.
- Article 12 : Le juge applique les règles de droit pertinentes sans que les parties aient à les prouver.
Ainsi, les parties doivent prouver les faits, tandis que le juge se charge d’appliquer le droit.
Section2 : L’exception
Dans certains cas, il existe des règles qui ne sont pas supposées connues du juge. Les parties doivent alors apporter la preuve de ces règles. Il existe deux hypothèses principales :
§1 : Les usages et la coutume
Les usages et la coutume ne sont pas publiés comme les règles de droit et sont donc moins accessibles. Les parties doivent prouver leur existence par tous les moyens. En droit commercial, cette preuve peut être apportée par des parères, certificats délivrés par les chambres de commerce attestant de l’existence d’un usage professionnel.
§2 : La loi étrangère
En droit international privé, lorsqu’une loi étrangère est applicable, les parties doivent prouver son contenu. Toutefois, la jurisprudence fait une distinction :
- Pour les droits patrimoniaux (droits disponibles), les parties doivent prouver la loi étrangère applicable.
- Pour les droits extrapatrimoniaux (droits indisponibles), il appartient au juge de rechercher et d’appliquer la loi étrangère.
Chapitre 2 : la charge de la preuve
La charge de la preuve détermine sur qui repose l’obligation de prouver les faits invoqués lors d’un procès. Cette question dépend du type de procédure. En droit français, deux types de procédures coexistent :
- Procédure inquisitoire : Le juge dirige l’enquête, pose les questions, et les parties y répondent. Le juge est actif dans la recherche de la vérité (droit pénal).
- Procédure accusatoire : Les parties apportent leurs preuves et arguments, et le juge se limite à trancher le litige. Le droit français adopte principalement cette procédure en matière civile.
Conséquences de la procédure accusatoire :
- Article 7 du Code de procédure civile : Le juge ne peut fonder sa décision sur des éléments non débattus par les parties et doit rester neutre.
- Articles 10 et 143 du Code de procédure civile : Le juge peut cependant ordonner des mesures d’instruction ou des expertises pour éclaircir certains points.
Principe et exception : En principe, chaque partie doit prouver les faits qu’elle invoque. Ce principe est modulé par le concept de mobilité de la charge de la preuve, ainsi que par des présomptions qui en forment l’exception.
§1 : principe de la mobilité de la charge de la preuve
La charge de la preuve est mobile, ce qui signifie qu’elle peut passer d’une partie à l’autre en fonction des éléments du litige.
I. La démarche probatoire
Selon Henri Motulsky, l’article 6 du Code de procédure civile impose aux parties une double charge :
- L’allégation : Chaque partie doit alléguer les faits nécessaires à sa prétention.
- La preuve : Chaque partie doit ensuite prouver les faits qu’elle avance.
Par exemple, une personne blessée sur une chaussée doit d’abord alléguer la responsabilité du propriétaire, puis apporter les éléments de preuve soutenant sa prétention. Si elle échoue dans cette démarche, le procès s’arrête.
Bien que critiquée, la distinction entre allégation et preuve demeure importante. Les allégations définissent l’objet du litige, tandis que le juge a un rôle actif en matière de preuve (ordonnant des expertises, par exemple).
II. La mobilité de la charge de la preuve
La charge de la preuve est non figée et évolue au cours du procès, selon les allégations des parties. Ce principe est tiré des articles 1353 du Code civil (ancien article 1315) et 9 du Code de procédure civile, qui stipulent que la preuve incombe d’abord au demandeur, puis au défendeur, en fonction des arguments avancés.
A) L’alternance de la charge
Le demandeur doit prouver sa prétention. Si le défendeur conteste, la charge de la preuve peut basculer sur lui. Ce renversement de la charge s’applique lorsque le défendeur avance une dénégation ou une prétention contraire. Par exemple, dans un contrat de vente contesté pour nullité, le défendeur qui invoque la nullité doit d’abord prouver cette invalidité, puis le demandeur doit prouver que le contrat est valide.
Ce principe est fondamental, comme rappelé par la 3e chambre civile de la Cour de cassation, le 3 juillet 1996 : le juge ne peut échapper à ce principe de répartition de la charge de la preuve.
Si les parties sont passives, le juge peut ordonner des mesures d’instruction (article 10 du Code de procédure civile) ou contraindre les parties à collaborer (article 11). Cependant, selon l’article 146 al. 2, le juge ne peut pas pallier l’absence de preuves apportées par une partie.
B) Le risque de la preuve
Le plaideur qui échoue à prouver ses allégations ou refuse de collaborer s’expose à perdre son procès. En effet, celui qui ne fournit pas les preuves nécessaires laisse le juge dans le doute, ce qui entraîne un rejet de sa demande. Ce principe est implicite dans les textes légaux, mais constitue une règle fondamentale de la procédure civile.
La mobilité de la charge de la preuve est la règle générale, mais elle connaît des exceptions, notamment en matière de présomptions.
§2 : les exceptions : les présomptions
Les présomptions sont régies par les articles 1349 à 1353 du Code civil. Elles allègent la charge de la preuve en certains cas, permettant à une partie d’être dispensée de prouver ce qu’elle avance, car un fait est présumé. Les présomptions se divisent en catégories et types.
I. Catégories de présomptions
L’article 1349 du Code civil distingue deux types de présomptions :
- Présomptions légales
- Présomptions du fait de l’homme (présomptions judiciaires)
Dans les deux cas, la répartition normale de la charge de la preuve est modifiée, et la partie bénéficiant de la présomption est dispensée de prouver son allégation.
A) Les présomptions légales
Les présomptions légales sont prévues par des textes de loi spécifiques. Selon l’article 1352 alinéa 1 du Code civil, une présomption légale dispense de preuve.
Cela ne signifie pas l’absence totale de preuve, mais plutôt un renversement de la charge de la preuve. L’adversaire doit démontrer que la présomption est fausse.
Exemple : Selon l’article 1384 al. 4 du Code civil (désormais article 1242 du Code civil), en cas de dommage causé par un mineur vivant avec ses parents, ceux-ci sont présumés responsables. Ils doivent prouver qu’ils n’ont pas commis de faute de surveillance ou d’éducation pour échapper à cette responsabilité.
La présomption légale facilite la preuve et diminue le risque probatoire.
B) Les présomptions du fait de l’homme
Selon l’article 1349 du Code civil, le juge peut, à partir de faits connus, présumer l’existence de faits inconnus. Le magistrat tire des indices un fait inconnu, mais cela est soumis à certaines limites.
-
La règle
Le juge peut établir un lien entre un fait prouvé et un fait non prouvé en fonction des circonstances. Par exemple, en cas d’accident de la route, le juge peut conclure à un excès de vitesse à partir de preuves indirectes (traces de freinage, position du véhicule). -
Les limites
Cependant, les faits connus doivent être certains et concordants, et ne doivent pas être douteux ou imprécis. Les présomptions ne peuvent reposer sur des éléments incertains, car cela pourrait nuire à l’impartialité du juge et entraîner des erreurs judiciaires.
La force de ces présomptions est importante, car la réussite du plaideur en dépend souvent.
II. Types de présomptions
Les présomptions se distinguent également par leur force probante, qui peut être simple ou irréfragable, comme défini à l’article 1352 alinéa 2 du Code civil.
A) La présomption simple ou relative
Une présomption simple ou relative signifie que la loi présume que l’allégation du demandeur est vraie, mais le défendeur peut prouver le contraire. Si le défendeur réussit à renverser la présomption, il gagne le procès. Sinon, le demandeur bénéficie de la présomption et remporte l’affaire.
Toutes les présomptions du fait de l’homme sont des présomptions simples ou relatives, et certaines présomptions légales peuvent également être de cette nature.
B) La présomption irréfragable ou absolue
Une présomption irréfragable, également appelée présomption absolue, ne peut pas être contestée, même avec des preuves contraires. Le défendeur est donc privé de la possibilité de prouver que la présomption est erronée.
Exemple : L’article 909 du Code civil dispose qu’un patient ne peut pas faire de donation à son médecin. L’article 911 alinéa 2 étend cette interdiction aux proches du médecin, en présumant irréfragablement que toute donation faite à une personne interposée (parent ou conjoint) est destinée au médecin.
Chapitre 3 : les modes de preuves
Les différents modes de preuves en droit civil sont traditionnellement limités aux moyens admis par le Code Civil. Il en existe cinq principaux :
- Preuve écrite ou littérale
- Preuve testimoniale
- Preuve par présomption (indices)
- Aveu
- Serment
Cependant, cette énumération classique est incomplète aujourd’hui en raison de l’évolution des difficultés liées à la preuve. De nouveaux modes ont été admis, tels que le constat, la consultation ou encore l’expertise. Pendant longtemps, la distinction traditionnelle des preuves a dominé, mais une approche moderne s’est imposée, prenant en compte la diversité des systèmes probatoires.
Analyse traditionnelle des preuves :
Les preuves se distinguent en deux grandes catégories : les preuves préconstituées, établies avant tout litige (par exemple, un acte notarié ou une lettre recommandée), et les preuves a posteriori, constituées après la survenue d’un différend (comme en cas d’accident).
Les différents systèmes de preuve varient selon les matières, en fonction du domaine du droit concerné.
Section 1 : L’analyse moderne des systèmes de preuve
Les systèmes probatoires modernes se divisent principalement en trois grandes catégories :
-
Système de preuve libre ou morale : aussi appelé intime conviction, il laisse au juge une liberté totale d’apprécier les preuves selon sa propre conviction. Tous les modes de preuves sont recevables, l’essentiel étant de convaincre le juge. Le juge peut même chercher activement des éléments probatoires.
-
Système de preuve légale : ici, la loi détermine les preuves admissibles ainsi que leur force probante. Le juge est tenu de respecter ces règles sans pouvoir recourir à son intuition personnelle. Il existe une hiérarchie des preuves, certaines étant préférées pour leur fiabilité.
-
Système de preuve mixte : ce système combine la preuve légale et la preuve libre. Les faits graves sont soumis à des modes de preuve légaux, tandis que les faits moins graves relèvent de la liberté d’appréciation du juge.
Section 2 : Le système retenu par le droit français
Le droit civil français n’a longtemps pas adopté de système de preuve unique. Les modes de preuve se répartissent en deux catégories : preuves parfaites et preuves imparfaites. Les preuves parfaites, telles que les écrits, l’aveu judiciaire ou le serment, s’imposent au juge sans qu’il puisse exercer son appréciation. Les preuves imparfaites, comme le témoignage, l’aveu extrajudiciaire ou les présomptions simples, laissent au juge une certaine liberté d’évaluation.
Le Code Civil consacre le système de la preuve légale pour les actes juridiques (manifestations de volonté ayant des conséquences juridiques, comme un contrat). En revanche, les faits juridiques (événements entraînant des effets juridiques, tels qu’un accident) relèvent d’un régime plus souple, avec une preuve libre. Une hiérarchie stricte régit les preuves, limitant les modes admissibles pour les actes juridiques tout en assouplissant les règles pour les faits.
Section 3 : Assouplissement du système de la preuve légale.
Deux grands principes ont conduit à un assouplissement de la rigueur du système de preuve légale :
- Le principe de loyauté dans l’administration de la preuve
- Le progrès des preuves scientifiques
§1 : Principe de loyauté
Le développement technologique, notamment les enregistrements et photographies, a soulevé des questions quant à leur admissibilité en tant que nouveaux modes de preuve. La jurisprudence s’est souvent montrée réticente à leur égard. Un arrêt célèbre de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 20 novembre 1991 a déclaré illicite l’utilisation par un employeur d’un enregistrement réalisé à l’insu d’un salarié.
Ce refus repose sur le principe général de loyauté probatoire. Selon ce principe, une preuve ne doit pas être obtenue de manière déloyale ou à l’insu de la personne concernée. De plus, la jurisprudence insiste sur l’interdiction de se constituer une preuve à soi-même, comme l’a formulé la Cour de cassation dans un arrêt de 1996, puis réitéré en 2005.
Si cette règle s’applique strictement aux actes juridiques, elle est plus souple pour les faits juridiques, tant que les preuves ne sont pas obtenues de manière frauduleuse.
§2 : Principe de la preuve scientifique
Les progrès scientifiques, notamment en matière de génétique, ont considérablement modifié les relations entre preuve juridique et vérité scientifique. Dans le droit de la famille, l’utilisation des empreintes génétiques et des analyses sanguines a introduit de nouveaux moyens de preuve. Toutefois, la jurisprudence reste prudente, comme l’illustre l’affaire Yves Montand, où une exhumation a été ordonnée pour procéder à un test génétique, malgré de vives critiques sur cette atteinte au consentement.
Chapitre 4 : L’admissibilité des modes de preuve
Pour prouver un droit, il faut déterminer le mode de preuve applicable. Tous les modes de preuve n’ont pas la même force probante. Le droit civil adopte un système de preuve légale, où le législateur détermine la valeur des différents moyens de preuve. En droit civil, les modes de preuve varient selon que le droit invoqué trouve son origine dans un fait juridique ou un acte juridique.
Question : Faits ou actes juridiques ?
- Faits juridiques : Ce sont des événements ou situations qui produisent des effets de droit sans qu’il y ait eu volonté explicite de les créer (par exemple, un accident ou un enrichissement sans cause). Les faits juridiques peuvent être prouvés par tous les moyens de preuve, comme le confirment la jurisprudence et l’article 1358 du Code civil (ancien article 1348).
- Exemple : Dans une affaire concernant un paiement de l’indu (1re civ., 29 janvier 1991), la Cour de cassation a jugé que la répétition de l’indu, en tant que fait juridique, pouvait être prouvée par tous les moyens, car aucun contrat n’était en jeu.
- Actes juridiques : Ce sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit (contrats, donations, etc.). Leur preuve obéit aux règles de la preuve légale, où le législateur détermine les modes de preuve admissibles et leur force probante. La preuve d’un acte juridique doit être apportée par écrit (article 1359 du Code civil), c’est-à-dire via une preuve littérale.
Section1 : le principe : la preuve littérale
La preuve littérale consiste en des écrits émanant des parties et ayant pour but de prouver un acte juridique. Ce mode de preuve est le plus ancien et présente plusieurs avantages :
- Préconstituée : L’écrit est établi avant tout litige, ce qui renforce sa fiabilité.
- Objectivité : Contrairement à des preuves plus subjectives comme les témoignages, l’écrit est considéré comme un constat factuel.
- Durabilité : L’écrit garde sa valeur probatoire avec le temps.
Evolution de la preuve littérale
Traditionnellement, la preuve littérale était considérée comme un écrit sur support papier. Cependant, avec l’avènement des nouvelles technologies, les écrits électroniques ont été reconnus comme ayant la même valeur probatoire que les écrits papier, grâce à la loi du 13 mars 2000 sur la signature électronique et à la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
En matière de preuve électronique, le cadre législatif a évolué récemment avec plusieurs réformes importantes.
En 2023, l’Union européenne a adopté des règles nouvelles avec le règlement (UE) 2023/1543, qui améliore l’accès aux preuves électroniques. Ce règlement concerne principalement les procédures pénales et vise à faciliter la collecte et la conservation des preuves numériques, comme les courriels et les données en ligne. Les autorités judiciaires peuvent ainsi obtenir des preuves électroniques plus rapidement, en quelques jours, contre des délais parfois longs auparavant. Il instaure également des garde-fous pour protéger les droits fondamentaux des parties, notamment lorsque des données sensibles sont concernées(Publications Office of the EU).
En outre, la jurisprudence récente de la Cour de cassation a marqué un tournant dans l’acceptation des preuves déloyales. Dans un arrêt de décembre 2023, la Cour a décidé que, sous certaines conditions, un juge peut prendre en compte des éléments de preuve obtenus de manière illicite si cela est nécessaire pour garantir le droit à la preuve. Cette décision reflète une évolution vers une balance plus souple entre la loyauté de la preuve et le droit à un procès équitable, particulièrement dans des affaires civiles ou commerciales(
§1 : la classification des écrits
I) Classification fondée sur la signature
- Écrits signés : Ce sont les actes authentiques (rédigés par un notaire), les actes sous seing privé (signés par les parties), et certaines correspondances comme les lettres missives (article 1367 du Code civil).
- Écrits non signés : Ils incluent des documents comme les registres de commerce ou les papiers domestiques, qui n’ont pas besoin de signature.
II) Classification fondée sur la finalité
- Primordial : L’écrit est rédigé dès l’origine pour constater une opération juridique (par exemple, un contrat de vente immobilière signé devant notaire).
- Confirmatif ou récognitif : L’écrit vise à reconnaître ou consolider un droit préexistant, comme une reconnaissance de dette.
III) Classification fondée sur la nature
- Écrit original ou copie : De plus en plus, les copies (qu’elles soient physiques ou électroniques) reçoivent la même valeur probatoire que l’original, notamment depuis la réforme de 2016, qui reconnaît l’égalité de traitement des écrits électroniques et papier (articles 1366 et 1367 du Code civil).
IV) Classification fondée sur l’auteur de la rédaction
- Professionnels habilités : Les écrits rédigés par des professionnels habilités (notaires, huissiers) ont une force probante très forte.
- Particuliers : Les écrits rédigés par des particuliers (actes sous seing privé) ont une force probante plus limitée, car ils n’ont pas le même degré d’authenticité qu’un acte notarié.
Exceptions au principe de la preuve littérale
Bien que la preuve littérale soit le mode de preuve privilégié pour les actes juridiques, il existe des exceptions :
- Aveux ou serments peuvent suppléer à l’absence d’un écrit dans certains cas.
- Il est possible, dans certaines situations, de prouver un acte juridique par tous moyens, notamment lorsque l’écrit est impossible à produire (article 1360 du Code civil).
§2 : L’écrit sur support papier
I – les actes authentiques ( ou publics)
Prévu par l’article 1369 du Code civil (ancien article 1317), un acte authentique est rédigé par un officier public (notaire, officier de l’état civil, huissier) et bénéficie d’une force probante supérieure. Il est conçu pour conférer une authenticité incontestable à un acte et garantir la conservation des originaux par l’officier.
A) Forme et contenu de l’acte
Pour qu’un acte soit authentique, certaines conditions cumulatives doivent être respectées.
1) L’acte doit être rédigé par un officier public compétent.
-
Compétence d’attribution : Chaque officier public a des fonctions spécifiques prévues par la loi. Par exemple, les notaires ont une compétence très large et peuvent rédiger la plupart des actes concernant les particuliers. En revanche, les officiers d’état civil ne peuvent dresser que des actes d’état civil (mariages, naissances, etc.).
-
Compétence territoriale : La loi délimite le territoire où l’officier peut exercer. Par exemple, un maire ne peut rédiger des actes d’état civil que dans sa commune, tandis qu’un notaire peut agir sur plusieurs juridictions.
2) L’acte authentique doit respecter plusieurs formalités
Les formalités suivantes garantissent la régularité et la valeur probatoir de l’acte authentique :
-
Présentation matérielle : L’acte doit être rédigé en langue française, en encre indélébile, avec les nombres et dates en toutes lettres. Il ne doit pas comporter de blancs, ratures ou interlignes, sauf si elles sont dûment paraphées par les parties.
-
Lecture de l’acte : L’officier public doit lire l’acte aux parties et en faire mention à la fin du document. Une copie est remise aux parties (appelée grosse), tandis que l’original (minute) est conservé par l’officier.
-
Signature : Selon l’article 1367 du Code civil (ancien article 1316-4), l’acte doit être signé par les parties ainsi que par l’officier. Sans signature, l’acte est nul. Depuis la loi du 13 mars 2000, la signature électronique est également admise, sous réserve qu’elle réponde aux mêmes exigences probatoires.
B) La force probante de l’acte authentique
L’acte authentique bénéficie d’une force probante élevée qui varie selon l’origine et le contenu de l’acte.
1) Force probante de l’origine
L’article 1371 du Code civil (ancien article 1319) stipule qu’un acte authentique fait pleinement foi de son origine tant qu’il n’a pas été prouvé qu’il s’agit d’un faux. Pour contester l’origine d’un acte, il est nécessaire d’engager une procédure d’inscription de faux devant le tribunal (articles 303 et suivants du Code de procédure civile). Si la tentative échoue, le demandeur risque une amende civile et des dommages et intérêts pour son adversaire.
2) Force probante du contenu
L’acte authentique fait pleinement foi des faits constatés par l’officier public. Les éléments non constatés par l’officier (déclarations des parties, par exemple) font foi jusqu’à preuve du contraire. De plus, un acte authentique est doté de la force exécutoire, ce qui signifie qu’il peut être mis en œuvre immédiatement, sans nécessiter de passage devant un juge.
II – acte sous seing privé
Un acte sous seing privé est un document rédigé par des particuliers, que ce soit par les parties elles-mêmes ou par des intermédiaires, et tire sa valeur de la signature des parties. Contrairement à l’acte authentique, il n’est pas dressé par un officier public.
A) La forme et le contenu de l’acte sous seing privé
L’acte sous seing privé n’est soumis à aucun formalisme strict, ce qui lui confère une grande liberté dans sa rédaction.
1) L’agent instrumentaire
L’acte sous seing privé peut être rédigé par les parties elles-mêmes ou par des mandataires, en présence ou à distance. Dans tous les cas, les parties doivent avoir la capacité juridique de contracter. Si elles le souhaitent, elles peuvent décider de faire enregistrer cet acte par un notaire, mais cela reste optionnel.
2) La manière d’instrumenter
L’absence de formalisme présente plusieurs avantages pour les parties :
- Rapidité : il peut être rédigé sans délai.
- Coût réduit : contrairement à un acte notarié, il n’implique pas d’honoraires notariés.
- Facilité : il ne nécessite pas de démarches complexes.
a) Le principe de la liberté de la forme
L’acte sous seing privé bénéficie d’une liberté totale quant à sa forme :
- Le support peut être n’importe quel papier.
- Le texte peut être rédigé à la main, dactylographié, ou avec tout autre procédé.
- L’acte peut être rédigé dans n’importe quelle langue, et les ratures, blancs ou renvois sont autorisés.
Cependant, cette liberté peut être dangereuse dans la mesure où l’absence de formalités strictes peut entraîner des incertitudes juridiques.
b) Exceptions
Pour certaines conventions, notamment les contrats synallagmatiques (qui impliquent un échange de prestations entre les parties), un formalisme est imposé. L’acte doit être établi en autant d’exemplaires qu’il y a de parties, chacun mentionnant le nombre d’originaux et chaque partie en recevant un.
En outre, pour les promesses unilatérales (par exemple, la reconnaissance de dette), l’article 1376 du Code civil (ancien article 1326) impose une formalité stricte : le montant de l’engagement doit être porté à la main par la personne qui s’engage, en chiffres et en lettres, pour s’assurer qu’elle a bien conscience de l’ampleur de son obligation.
B) La force probante de l’acte sous seing privé
En principe, l’acte sous seing privé fait foi entre les parties, jusqu’à preuve du contraire.
1) Distinction selon l’origine de l’acte
L’acte sous seing privé ne prouve pas par lui-même l’identité des signataires. La personne à qui l’acte est opposé peut renier sa signature. En vertu de l’article 287 du Code de procédure civile, celui qui se prévaut de l’acte doit engager une procédure de vérification d’écriture pour prouver que la signature est bien celle de son adversaire. La charge de la preuve repose donc sur la personne qui produit l’acte.
L’absence de participation d’un officier public lors de la rédaction de l’acte justifie ce renversement de la charge de la preuve, car l’acte ne bénéficie pas, à l’origine, de la même présomption de véracité qu’un acte authentique.
2) Le contenu de l’acte
Étant rédigé sans intervention d’un officier public, tous les éléments de l’acte peuvent être contestés :
-
Entre les parties : Lorsque l’une des parties conteste l’acte, celui-ci fait foi jusqu’à preuve du contraire. Toutefois, pour contredire un acte sous seing privé, la preuve contraire ne peut être apportée que par un autre écrit. En effet, en droit civil, le principe est que contre un écrit, on ne peut prouver que par un autre écrit.
-
Entre les tiers : Les tiers (ceux qui ne sont pas parties à l’acte) ne sont pas tenus par cet acte et peuvent contester son contenu. Ils sont libres d’utiliser tous les moyens de preuve pour contester le contenu de l’acte, y compris des témoignages ou des présomptions.
3) La date de l’acte
La date apposée sur un acte sous seing privé peut être falsifiée ou erronée.
- Entre les parties : La date fait foi jusqu’à preuve du contraire. Si l’une des parties conteste la date, c’est à elle de prouver la date exacte.
- Entre les tiers : La date n’est pas opposable aux tiers, qui peuvent démontrer que la date inscrite n’est pas correcte. Afin de protéger les droits des tiers, l’article 1377 du Code civil (ancien article 1328) prévoit trois situations dans lesquelles la date d’un acte sous seing privé est certaine à l’égard des tiers :
- Enregistrement fiscal : Lorsque l’acte est enregistré auprès des services fiscaux, la date de l’enregistrement fait foi.
- Mention dans un acte authentique : Si l’acte sous seing privé est mentionné dans un acte authentique (comme un acte notarié), la date de l’acte authentique prévaut.
- Décès d’un signataire : Si l’une des parties à l’acte décède, la date de son décès est certaine et rend la date de l’acte sous seing privé inaltérable.
C) régime de la preuve de l’acte sous seing privé
L’acte sous seing privé n’est pas un mode de preuve authentique, mais il constitue un élément central de la preuve en droit des actes juridiques. Toutefois, dans certains cas, il peut être admis comme preuve, et d’autres modes de preuve peuvent être autorisés sous certaines conditions.
L’article 1359 du Code civil (ancien article 1341 avant la réforme de 2016) dispose que la preuve des actes juridiques n’est pas libre et doit prendre une forme littérale, c’est-à-dire un écrit, lorsque la valeur de l’acte dépasse un certain seuil. Les principales conséquences de cette règle sont les suivantes :
- L’écrit n’est pas nécessaire pour la validité de l’acte, mais pour sa preuve.
- Il existe une distinction entre un principe (la preuve des actes juridiques se fait par écrit) et des exceptions (dans certains cas, d’autres modes de preuve sont admis pour certains actes juridiques).
1) Le principe : la nécessité d’un écrit
a) Le sens du principe
L’article 1359 du Code civil impose l’existence d’un écrit pour les actes juridiques dès lors que la valeur de l’acte dépasse 1 500 euros, conformément à un décret pris par le gouvernement. Ce seuil a été régulièrement réévalué, notamment par le décret du 12 juillet 1980, et est actuellement fixé à 1 500 euros depuis la réforme de 2002.
L’article 1359 précise que si les parties n’ont pas rédigé d’écrit alors que l’acte dépassait ce seuil, elles ne peuvent pas prouver leur droit par d’autres modes de preuve, même si elles réduisent leurs prétentions en dessous de ce seuil. Cela signifie que l’absence d’un écrit empêche la preuve par d’autres moyens, sauf exceptions.
Il convient de distinguer :
- La validité de l’acte, qui peut être prouvée par tous moyens de preuve.
- L’existence de l’acte, qui est soumise à l’exigence d’un écrit, sauf si un commencement de preuve par écrit ou une exception s’applique.
b) Le domaine du principe
Le principe de l’écrit s’applique uniquement à la preuve de l’existence d’un acte juridique. En revanche, si la validité de l’acte est en question, la preuve est libre. Ainsi, la Cour de cassation a confirmé, dans son arrêt du 14 novembre 1995, que la validité d’un acte peut être prouvée par tous moyens, tandis que l’existence de cet acte reste soumise à la règle de l’écrit.
2) L’exception : admission d’autres modes de preuve pour les actes juridiques
Certaines exceptions à la nécessité de l’écrit permettent d’utiliser d’autres modes de preuve que l’écrit pour les actes juridiques. Voici les six situations dans lesquelles ces exceptions s’appliquent :
a) Actes de commerce entre commerçants
Les actes de commerce entre commerçants bénéficient d’une liberté probatoire. L’article L. 110-3 du Code de commerce autorise la preuve de ces actes par tous moyens. Cette règle s’applique lorsque l’acte de commerce intervient entre deux personnes physiques ou morales exerçant une activité commerciale. Il n’est donc pas nécessaire de fournir un écrit, contrairement à la règle des actes civils.
b) Acte mixte
Un acte mixte est un acte juridique conclu entre un commerçant et un non-commerçant. La jurisprudence, puis la loi du 12 juillet 1980, ont assoupli les règles de preuve dans ce type de contrats. La distinction repose sur la charge de la preuve :
- Si c’est le commerçant qui doit prouver l’acte, il est soumis à l’exigence d’un écrit dès que la valeur de l’acte dépasse 1 500 euros.
- Si c’est le non-commerçant, il bénéficie de la liberté de la preuve, c’est-à-dire qu’il peut prouver l’acte par tous moyens, même si la valeur dépasse le seuil fixé.
c) Acte frauduleux
Un acte frauduleux, c’est-à-dire un acte conclu au moyen de manœuvres illégales, peut être prouvé par tous moyens, comme le stipule l’article 1353 du Code civil. Cela inclut les témoignages, les présomptions ou d’autres éléments probatoires, sans exiger un écrit.
d) Opérations juridiques invoquées par un tiers
Lorsqu’un tiers invoque un acte juridique auquel il n’était pas partie, il ne peut pas disposer de l’écrit, car il n’en a jamais eu. Dans cette situation, l’acte juridique est considéré comme un fait juridique à l’égard du tiers, ce qui permet à ce dernier de prouver l’acte par tous moyens. Cette exception est reconnue par l’article 1359 du Code civil.
e) Commencement de preuve par écrit
L’article 1362 du Code civil permet le recours au commencement de preuve par écrit dans certaines situations. Cela implique qu’un écrit, même imparfait ou incomplet, peut constituer un début de preuve. Pour être admissible, il doit réunir trois conditions :
- Un support écrit (comme un acte sous seing privé), même s’il manque certaines conditions légales (par exemple, l’absence de signature ou de date).
- L’écrit doit émaner de la partie adverse (celle contre laquelle la demande est formée).
- Il doit rendre vraisemblable le fait allégué. Cela est apprécié souverainement par les juges du fond.
Si ces conditions sont réunies, l’écrit peut être complété par d’autres éléments de preuve, tels que des témoignages ou des présomptions.
f) Impossibilité de produire un écrit
L’article 1360 du Code civil prévoit une exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de produire un écrit. Il existe deux hypothèses principales :
- Impossibilité matérielle : par exemple, un contrat verbal peut avoir été conclu parce qu’il était impossible de rédiger un écrit (incapacité matérielle ou ignorance de l’écrit).
- Impossibilité morale : dans certaines relations, comme celles entre membres de la famille ou entre personnes en situation de subordination, il peut être moralement difficile de demander un écrit. Par exemple, une transaction entre époux peut ne pas avoir été formalisée par écrit.
De plus, si un acte a été perdu, il est possible de prouver par tous moyens que l’original a été détruit de manière involontaire (par exemple, en cas de force majeure telle qu’un incendie). Il faut prouver l’antériorité de l’acte et sa perte indépendante de la volonté des parties.
III- les autres écrits sur papier
A) La copie
Le droit français accorde une force probante plus importante à la copie d’un acte authentique qu’à celle d’un acte sous seing privé, avec des distinctions précises depuis la réforme de 2016.
-
Le principe
En 1804, l’article 1334 du Code civil prévoyait que la copie n’avait de valeur probatoire que si l’original était conservé. La réforme de 2016 a actualisé cette disposition en transférant son contenu à l’article 1379, qui reconnaît toujours une distinction entre les copies et l’original, tout en précisant les conditions de validité des copies. -
Les exceptions
a) Article 1379 du Code civil (ancien article 1335)
Le Code civil distingue toujours entre les actes authentiques et les actes sous seing privé.
-
Actes authentiques : Si l’acte est rédigé en brevet (remis aux parties), la copie n’a pas plus de valeur probatoire qu’un acte sous seing privé. En revanche, lorsque l’acte est en minute (conservé par un notaire ou officier public), la copie conforme de la minute fait foi, à condition qu’elle soit certifiée comme conforme à l’original.
-
Actes sous seing privé : Les copies intégrales d’un acte sous seing privé, signées par les parties, ont la même valeur que l’original. Cependant, ce n’est qu’avec la loi du 12 juillet 1980 que la question de la force probante des copies a été réellement clarifiée.
b) Seconde exception : Article 1379, alinéa 2 du Code civil
La loi de 1980 a renforcé la force probante des copies d’actes sous seing privé à deux conditions :
- L’original n’est plus disponible.
- La copie est une reproduction fidèle et durable de l’original. La loi présume qu’une copie est durable si elle est indélébile et constitue une reproduction qui modifie le support de manière irréversible.
Cette présomption permet à une copie durable d’être utilisée comme preuve, sauf si l’adversaire démontre que la copie n’est pas conforme à l’original.
B) La photocopie
La Cour de cassation a plusieurs fois été amenée à se prononcer sur la force probante des photocopies, distinguant leur valeur et le rôle du juge dans leur évaluation.
- Valeur de la photocopie
a) Première approche : commencement de preuve par écrit
Historiquement, la photocopie n’avait qu’une valeur limitée, considérée comme un commencement de preuve par écrit, ce qui signifie qu’elle devait être corroborée par d’autres preuves pour être recevable.
b) Évolution jurisprudentielle : assimilation à la copie
Un arrêt de la 1ère chambre civile du 9 juin 1996 a marqué un tournant en assimilant la photocopie à une copie d’acte sous seing privé, en s’appuyant sur l’ancien article 1348 (aujourd’hui article 1379 du Code civil). Cette jurisprudence a été confirmée par l’arrêt du 30 mai 2000, et cette approche s’est ensuite étendue à d’autres moyens de reproduction, comme la télécopie (arrêt de la Chambre commerciale du 2 décembre 1997).
Aujourd’hui, une photocopie peut être utilisée comme preuve à condition qu’elle ne soit pas contestée. En cas de contestation, il revient à l’adversaire de prouver que la photocopie n’est pas conforme à l’original.
- Le rôle du juge
Lorsqu’une partie conteste la conformité d’une photocopie avec l’original, il incombe au juge d’ordonner la production de l’original (arrêt du 6 octobre 1998). Si cet original est introuvable, le juge doit vérifier si la copie est une reproduction fidèle et durable de l’original pour l’admettre comme preuve.
La jurisprudence actuelle impose un examen rigoureux de la validité des photocopies en raison des risques accrus de falsification ou de contrefaçon numérique.
C) Les lettres missives
Bien que le Code civil ne fasse pas mention spécifique des lettres missives comme mode de preuve, la jurisprudence leur accorde une valeur probatoire dans certaines situations.
- Les lettres missives peuvent être utilisées comme preuve pour démontrer, par exemple, la conclusion d’un contrat. Elles peuvent parfois être considérées comme un commencement de preuve par écrit, ou dans certains cas, un aveu si elles contiennent des déclarations engageantes de l’une des parties.
D) Les registres, papiers domestiques et journaux intimes
Ces documents ont un rôle probatoire spécifique, notamment pour attester de l’état des personnes (mariage, naissance, décès). L’article 1378 du Code civil (ancien article 1337) prévoit que ces documents peuvent faire foi contre leur auteur, à moins que la partie adverse ne prouve le contraire.
- Les livres de commerce, qui doivent être conservés pendant 10 ans après leur clôture, ont une force probante particulière en matière commerciale (article 1378-1, ancien article 1329).
- Principe : Les registres peuvent être utilisés comme preuve contre un commerçant.
- Exception : Ils ne peuvent être utilisés contre un non-commerçant, sauf lorsque le commerçant lui-même les produit.
Le juge apprécie souverainement la valeur probatoire de ces documents en fonction des circonstances de l’affaire.
§3 : écrit électronique
L’écrit électronique et la signature électronique dans le droit français
La réforme du droit français est intervenue avec la loi du 13 mars 2000 pour aligner le droit national avec les évolutions européennes. Cette loi a reconnu la validité de l’écrit et de la signature électroniques, en introduisant de nouvelles dispositions dans le Code civil. La modernisation s’est poursuivie avec l’application du règlement eIDAS, qui a harmonisé ces règles à l’échelle européenne.
I. La consécration de l’écrit électronique
La loi du 13 mars 2000 a introduit la reconnaissance de l’écrit électronique dans le Code civil en modifiant la définition de la preuve littérale à l’article 1316 (ancienne version). Ce texte indique que, pour être recevable, un écrit est nécessaire, mais il est indifférent qu’il soit sur un support papier ou électronique. Cette loi assimile donc totalement l’écrit électronique à l’écrit papier, lui conférant la même valeur en matière probatoire.
Cependant, l’écrit électronique posait à l’époque certains problèmes spécifiques liés à son absence de garanties d’intégrité ou de durabilité. Afin de surmonter ces obstacles, trois conditions devaient être réunies pour garantir sa fiabilité :
- Garantie de l’identité de la personne : La personne qui émet l’écrit doit être identifiable avec certitude. Cette identification se fait souvent via une signature électronique.
- Garantie de l’intégrité de l’écrit lors de son établissement : L’écrit doit être protégé contre toute modification non autorisée lors de sa création.
- Garantie de l’intégrité de l’écrit dans sa conservation : Il est essentiel que l’écrit électronique soit conservé dans un format qui assure son intégrité dans le temps, sans risque d’altération ou de perte.
Avec la réforme de 2016, les articles 1366 et suivants du Code civil consacrent la même force probante à l’écrit électronique qu’à l’écrit papier, à condition de garantir l’identité de l’auteur et l’intégrité du document. Le support n’est donc plus pertinent, mais des technologies comme la cryptographie et la blockchain renforcent la sécurité des documents électroniques.
En vertu du règlement eIDAS, plusieurs niveaux de signature électronique existent, et la signature qualifiée est la plus sécurisée. Ce type de signature est créé à l’aide de dispositifs sécurisés et est assimilé à une signature manuscrite sur le plan légal. La signature électronique avancée, qui n’atteint pas ce niveau de sécurité, reste suffisante dans de nombreux cas, mais son admissibilité dépend du contrat ou des circonstances.
II. La consécration de la signature électronique
La même loi du 13 mars 2000 avait également consacré pour la première fois une définition officielle de la signature électronique à l’article 1316-4 (devenu article 1367) du Code civil. Ce texte définissait la signature de manière générale comme un procédé permettant l’identification de la personne et la validation de l’acte, prouvant ainsi le consentement des parties à l’opération. La signature électronique doit donc constituer un moyen sûr et fiable pour identifier les personnes et exprimer leur volonté.
La signature électronique devait remplir deux fonctions essentielles :
- Identifier l’auteur de manière certaine.
- Garantir l’intégrité du document signé, c’est-à-dire assurer que le contenu du document n’a pas été modifié après la signature.
L’article 1367 du Code civil définit la signature électronique comme un procédé fiable d’identification de son auteur. La signature qualifiée, définie par le règlement eIDAS, est présumée fiable lorsqu’elle est établie selon un processus sécurisé. En France, plusieurs prestataires certifiés fournissent des services de signature qualifiée, notamment pour les contrats immobiliers et les transactions commerciales.
Section 2 : Le témoignage
La déclaration faite par une personne sur des faits dont elle a eu personnellement connaissance est appelée preuve testimoniale. Ce mode de preuve repose sur les témoignages de personnes qui rapportent des faits observés directement, ce qui en fait un outil précieux pour la justice.
En droit français, les faux témoignages sont condamnés très sévèrement, car ils visent à égarer délibérément la justice. Le faux témoignage est un délit pénal passible de sanctions pénales, telles que des amendes ou des peines d’emprisonnement. Cette sévérité vise à protéger la justice et garantir que les faits rapportés sont véridiques.
Section 3 : Les présomptions
La preuve par présomptions : Les présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu vers un fait inconnu (article 1349 du Code civil). On part d’une réalité qui est connue pour démontrer quelque chose de non connu.
La définition comporte deux sortes de présomptions : les présomptions légales et les les présomptions de l’homme. Les présomptions légales ne sont pas vraiment des modes de preuve mais plutôt des mécanismes qui modifient la charge de la preuve. Les présomptions dites « irréfragables » procurent à leur bénéficiaire un avantage dont il ne peut plus être privé puisque la preuve du contraire n’est pas autorisée.
La théorie générale des présomptions de l’homme :
En matière civile, la présomption concerne essentiellement des faits. On ne peut pas prouver par présomptions les actes excédants 375 € sauf s’il y a un commencement de preuve par écrit, impossibilité de produire un écrit ou encore perte de l’écrit. En matière commerciale, la preuve par présomptions est toujours admise par le juge sauf dans les cas où la loi exige un écrit.
Condition d’admissibilité : Le législateur abandonne au juge le soin d’apprécier les présomptions de l’homme en précisant que celles-ci doivent être graves, précises et concordantes. Le juge ne peut déduire la preuve par présomptions d’un fait incertain ou d’un fait qui n’est que le reflet de son opinion personnelle.
Force probante : Les présomptions de l’homme n’ont aucune force probante légale. L’appréciation du juge à cet égard est souveraine.
Section 4 : l’aveu
L’aveu est un acte par lequel une personne reconnaît la véracité d’un fait à son désavantage, que ce soit au cours d’un procès ou en dehors de celui-ci. C’est une preuve privilégiée car il est considéré comme la reine des preuves : une fois l’aveu prononcé, il rend inutile la recherche d’autres preuves.
- L’aveu judiciaire est plus puissant en termes de force probatoire car il est irrévocable et contraint le juge à accepter les faits avoués dans leur intégralité.
- L’aveu extrajudiciaire, bien que moins contraignant, conserve une place importante, mais sa valeur dépendra de son mode de formulation et de l’appréciation souveraine du juge.
§1 : L’aveu judiciaire
Défini à l’article 1356 du Code civil, l’aveu judiciaire est celui qui est fait pendant le procès, en présence du juge. Il ne doit pas nécessairement être formulé oralement, il peut aussi être écrit. Pour être qualifié d’aveu judiciaire, cet aveu doit :
- Être fait pendant l’instance en cours.
- Émaner d’une partie au procès. Si la reconnaissance provient d’un tiers, il s’agit alors d’un témoignage, non d’un aveu.
La force probatoire de l’aveu judiciaire est très élevée, car il a un effet décisif sur le déroulement du procès. Une fois consenti, l’aveu fait pleine foi contre celui qui l’a formulé. Le juge est tenu de considérer tous les faits avoués comme exactement établis. Cette force probatoire est renforcée par le principe de non-divisibilité de l’aveu, précisé par l’article 1356, alinéa 3. Cela signifie que le juge ne peut pas retenir une partie de l’aveu et en écarter d’autres : il doit accepter ou rejeter l’aveu dans son intégralité.
L’irrévocabilité de l’aveu judiciaire est une autre caractéristique importante : une fois fait, il ne peut pas être rétracté. Cependant, il existe une exception : si l’aveu a été donné à la suite d’une erreur. Dans ce cas, la partie ayant avoué doit prouver l’erreur commise et démontrer que celle-ci a directement conduit à l’aveu. Cette possibilité reste toutefois limitée.
§2 : L’aveu extrajudiciaire
L’aveu extrajudiciaire est celui qui intervient en dehors d’une procédure judiciaire. Il est défini à l’article 1355 du Code civil. Contrairement à l’aveu judiciaire, l’aveu extrajudiciaire peut prendre différentes formes et se manifester dans une catégorie très large de situations :
- Aveu reçu par un officier ministériel, tel qu’une déclaration de paternité devant un notaire ou un officier d’état civil.
- Aveu contenu dans une lettre, qu’elle soit adressée à la partie adverse ou à une autre personne.
- Déclaration orale, faite en dehors de tout cadre formel ou juridique.
- Instance quelconque dont les termes sont repris dans une seconde procédure ultérieure.
La force probante de l’aveu extrajudiciaire est laissée à la libre appréciation du juge, ce qui le distingue de l’aveu judiciaire. Cependant, l’article 1355 prévoit que, dans les cas où la preuve ne peut être rapportée par témoignage, un aveu extrajudiciaire purement verbal n’a aucune valeur probante. En effet, pour qu’un aveu extrajudiciaire oral puisse être pris en compte, la personne qui l’a émis doit se présenter en tant que témoin devant le juge. Si elle ne le fait pas, cet aveu ne pourra pas être utilisé comme preuve au cours du procès.
Section 5 : le serment
Le serment en droit français est une déclaration solennelle, prévue par les articles 1357 et suivants du Code civil, qui engage une personne à affirmer un fait en levant la main droite et en prononçant une formule, souvent associée à une origine religieuse. Le faux serment, considéré comme un délit, est pénalement sanctionné. Le serment intervient soit dans des contextes professionnels, soit dans des procédures judiciaires.
Serment promissoire
Le serment promissoire est prêté dans certains contextes professionnels pour garantir l’intégrité dans l’exercice d’une fonction. Par exemple :
- Magistrats, avocats, médecins, et jurés prêtent serment de bien remplir leur mission.
- Témoins lors d’un procès prêtent serment de dire la vérité.
Serment judiciaire : trois formes
En matière judiciaire, le serment peut se présenter sous trois formes distinctes, chacune ayant une portée différente dans le déroulement du procès.
- §1 : Serment décisoire
Le serment décisoire (article 1357 du Code civil) est une stratégie utilisée par une partie dans le cadre d’un procès pour inviter l’adversaire à prêter serment sur un fait contesté. Il s’agit d’un acte solennel par lequel une partie offre de renoncer à sa prétention si l’autre partie affirme sous serment le fait litigieux.
- Exemple : Un vendeur peut offrir de renoncer à réclamer le paiement d’une somme si l’acheteur jure avoir déjà payé.
- Conséquence : Si l’adversaire accepte de prêter serment, il obtient gain de cause et l’autre partie perd sa prétention. Si l’adversaire refuse, il peut à son tour renvoyer le serment à l’autre partie. Si celle-ci accepte, elle gagne le procès, sinon elle perd. Refuser de prêter serment peut être considéré comme un aveu tacite (article 1361 du Code civil).
Le serment décisoire a une force probante importante car il engage directement les parties.
- §2 : Serment supplétoire
Le serment supplétoire (article 1366 du Code civil) est un moyen d’instruction utilisé par le juge lorsqu’il n’est pas convaincu par les preuves apportées par les parties. Le juge demande alors à l’une des parties de prêter serment pour compléter les preuves insuffisantes.
- Utilisation : Ce serment est souvent utilisé lorsque le juge doit trancher une question sur le montant d’une condamnation ou lorsqu’il existe une ambiguïté sur les faits.
- Force probante : Contrairement au serment décisoire, le serment supplétoire n’est pas contraignant pour le juge, qui n’est pas obligé de fonder sa décision sur celui-ci. Il s’agit d’une simple mesure d’instruction dont la valeur probante est moins importante.
- §3 : Serment estimatoire
Le serment estimatoire (article 1369 du Code civil) intervient lorsque le litige porte sur une demande fondée, mais que le montant de la condamnation est incertain ou impossible à évaluer.
- Fonction : Le juge demande à une partie de fixer elle-même sous serment le montant réclamé. Toutefois, le juge peut fixer un plafond au-delà duquel le serment n’aura pas de valeur probante.
- Usage : Ce serment est utilisé lorsque le juge est dans l’impossibilité de déterminer la valeur exacte du montant en jeu.
Synthèse
La procédure de preuve dans un procès implique plusieurs étapes essentielles :
- Qui doit prouver ? En vertu de l’article 1315 du Code civil, c’est à celui qui allègue un fait de le prouver, sauf en cas de présomption légale.
- Comment prouver ? La distinction entre fait juridique et acte juridique détermine le mode de preuve :
- Les faits juridiques peuvent être prouvés librement (article 1348 du Code civil).
- Les actes juridiques nécessitent une preuve écrite pour les montants supérieurs à 1500 €, conformément à l’article 1341 du Code civil. Cela se fait par un acte authentique ou sous seing privé, sauf exceptions.
- Photocopie comme preuve : Une photocopie peut être admise comme preuve, mais l’original peut être exigé par le juge ou la partie adverse. Si l’original n’existe pas, l’article 1348 alinéa 2 permet d’admettre la copie si elle est fidèle et durable, sous réserve de l’appréciation du juge.
Titre III : Modes de naissance des droits subjectifs
Les droits subjectifs naissent de diverses manières, à travers des situations juridiques auxquelles le droit attache des effets et des conséquences. Une situation juridique est un état de fait ou un acte auquel la loi confère des effets juridiques, modifiant les droits et obligations des parties concernées.
Chapitre 1 : Droits subjectifs nés d’un acte juridique
Les actes juridiques sont des manifestations de volonté qui produisent des effets de droit voulus par les parties. Ces actes sont une source importante de droits subjectifs et reposent sur l’accord de volonté entre les personnes impliquées. On distingue :
- L’opération juridique (négotium) : Il s’agit de la manifestation de volonté pure et simple, visant à produire des effets de droit. Par exemple, l’opération de vente ou de location correspond à l’accord entre les parties sur un bien ou un service, où l’une s’engage à vendre ou louer, et l’autre à acheter ou louer.
- L’instrument juridique (instrumentum) : C’est le support matériel qui formalise l’opération juridique. L’écrit constitue l’instrument juridique qui permet de constater l’opération. Par exemple, un contrat de vente ou de location est l’écrit qui matérialise l’accord entre les parties et sert de preuve en cas de litige.
Section1 : la classification des actes juridiques
La classification des actes juridiques permet de distinguer les différentes catégories d’actes en fonction de leur nature, des parties impliquées et de leur régime juridique. Voici les cinq classifications principales.
§1 : Opposition entre les actes administratifs et les actes de droit privé
- Actes administratifs : Ils sont adoptés par l’Administration et régis par le droit administratif. Ces actes concernent principalement les relations entre l’administration et les administrés, et peuvent être unilatéraux (ex : arrêté) ou contractuels (ex : marché public).
- Actes de droit privé : Ils concernent des relations entre personnes privées (physiques ou morales), et sont régis par le droit civil ou commercial. Exemple : un contrat de vente ou de prestation de services entre deux particuliers ou entreprises.
§2 : Opposition entre les actes à titre gratuit et les actes à titre onéreux
Cette distinction repose sur la contrepartie financière dans l’acte juridique.
- Actes à titre gratuit : Ils sont réalisés sans contrepartie, et reposent souvent sur une intention libérale. Exemple : une donation.
- Actes à titre onéreux : Ces actes impliquent un échange de prestations ou une réciprocité des avantages. Chaque partie reçoit une contrepartie, souvent pécuniaire. Exemple : un contrat de prestation de services.
Les actes à titre gratuit sont considérés comme particulièrement graves, car l’auteur s’engage de manière irrévocable sans contrepartie.
§3 : Opposition entre les actes unilatéraux et les actes collectifs
- Actes unilatéraux : Ils sont le résultat de la volonté d’une seule personne. Exemple : un testament ou une reconnaissance de dette.
- Actes collectifs (bilatéraux ou multilatéraux) : Ces actes impliquent la volonté de deux ou plusieurs personnes. Exemple : un contrat de société, où plusieurs personnes s’accordent sur des obligations réciproques.
§4 : Opposition entre les actes entre vifs et les actes à cause de mort
- Actes entre vifs : Ce sont des actes qui produisent leurs effets du vivant des parties. Exemple : un contrat de vente ou de bail.
- Actes à cause de mort : Ils prennent effet après le décès de l’une ou des deux parties. Exemple : un testament, dont les effets ne se manifestent qu’à la mort du testateur.
§5 : Opposition entre les conventions et les contrats
- Conventions : Elles ont pour effet de créer, modifier ou éteindre des droits. Une convention est une catégorie large, pouvant inclure des accords ne créant pas nécessairement des obligations.
- Contrats : Ils ont pour objet de créer des obligations juridiques entre les parties. Tout contrat est une convention, mais toute convention n’est pas un contrat.
Les 4 principales catégories de contrats en droit français
-
- Contrat synallagmatique / Contrat unilatéral
-
-
-
Contrat synallagmatique (article 1106 du Code civil) : Les deux parties s’engagent réciproquement à des obligations. Exemple : un contrat de vente où l’acheteur s’engage à payer et le vendeur à livrer.
-
Contrat unilatéral (article 1107 du Code civil) : Une seule partie s’engage à une obligation. Exemple : une promesse de donation.
-
-
-
- Contrat commutatif / Contrat aléatoire
-
-
-
Contrat commutatif (article 1108 du Code civil) : Les avantages et obligations des parties sont clairement déterminés dès la conclusion du contrat. Exemple : un contrat de bail avec un loyer fixe.
-
Contrat aléatoire (article 1108 du Code civil) : Les avantages et pertes éventuels dépendent d’un événement futur et incertain. Exemple : un contrat d’assurance ou de jeu.
-
-
-
- Contrat consensuel / Contrat réel ou solennel
-
-
-
Contrat consensuel : En droit français, le principe est que le seul échange des consentements suffit à former le contrat (article 1109 du Code civil).
-
Contrat solennel : Il nécessite, en plus du consentement, le respect d’une forme particulière pour être valable. Exemple : un acte authentique pour un contrat de mariage (article 1109 du Code civil).
-
Contrat réel : Il nécessite non seulement un échange de consentement, mais également la remise d’une chose pour être valable. Exemple : un contrat de prêt à usage (article 1109 du Code civil).
-
-
Section 2 : Formation des actes juridiques
L’article 1108 du Code civil, bien qu’abrogé par l’ordonnance du 10 février 2016, fixait auparavant quatre conditions essentielles pour la validité des actes juridiques : le consentement, la capacité, l’objet et la cause. Ces exigences restent fondamentales dans la version réformée du Code civil, notamment aux articles 1128 à 1133. Ces conditions sont actualisées pour correspondre aux dernières évolutions législatives et jurisprudentielles.
§1 : Le consentement
Le consentement des parties doit exister, être librement exprimé et exempt de vices. La réforme de 2016 consacre toujours cette notion à l’article 1128. Le consentement vicié rend l’acte nul, et les vices sont classiquement l’erreur, le dol et la violence, prévus aux articles 1130 à 1136.
-
1er vice : l’erreur
L’erreur est définie à l’article 1132 comme une croyance erronée qui a conduit une partie à contracter. L’erreur doit porter sur les qualités essentielles de la prestation ou de la personne pour justifier la nullité du contrat. -
2ème vice : le dol
Le dol, défini à l’article 1137, regroupe les manœuvres frauduleuses utilisées par un cocontractant pour tromper l’autre partie. Il inclut des manœuvres actives (ex. : mentir sur l’état de santé d’un cheval pour en faire la vente) mais aussi des manœuvres passives ou omissions (ex. : garder le silence sur un défaut important). Le dol rend également le contrat nul, car il altère le consentement. -
3ème vice : la violence
La violence, envisagée aux articles 1140 à 1141, concerne les situations où une partie exerce une pression physique ou morale sur l’autre pour obtenir son consentement. Cette violence peut être exercée directement ou par l’intermédiaire d’un tiers, et elle invalide l’acte dès lors qu’elle a déterminé la volonté d’une partie.
§2 : La capacité
La capacité est l’aptitude à contracter. Les personnes qui ne disposent pas de cette capacité sont qualifiées d’incapables, ce qui englobe les mineurs et certains majeurs protégés. La capacité est définie à l’article 1145, tandis que les régimes d’incapacité sont détaillés dans les articles 388 à 515 du Code civil.
-
Les mineurs
En vertu de l’article 388, les mineurs sont présumés incapables d’effectuer des actes juridiques, sauf s’ils sont émancipés. -
Les majeurs protégés
Les majeurs peuvent être placés sous des régimes de protection, comme la tutelle ou la curatelle, selon l’article 425. La tutelle (article 440 et suivants) est un régime de représentation, applicable lorsque la personne ne peut plus exercer elle-même ses droits en raison d’une altération de ses facultés mentales ou physiques. La curatelle, prévue par l’article 467, est un régime d’assistance où le majeur conserve une capacité d’exercice limitée, mais doit être accompagné dans certains actes. -
Capacité de jouissance et d’exercice
La distinction entre capacité de jouissance (le droit d’avoir des droits) et capacité d’exercice (le droit d’exercer soi-même ses droits) reste fondamentale. Un majeur sous tutelle a une capacité de jouissance mais non d’exercice. Un majeur sous curatelle conserve une capacité d’exercice, mais assistée.
§3 : L’objet du contrat
L’objet, prévu à l’article 1163 du Code civil, correspond à ce sur quoi portent les engagements des parties. Il peut être :
- Immédiat : Ce sont les obligations créées par le contrat, telles que l’obligation de transférer la propriété d’un bien (pour le vendeur) ou de payer le prix (pour l’acheteur).
- Médiat : Il s’agit du bien ou de la prestation elle-même. Par exemple, dans un contrat de vente, l’objet médiat est la montre (le bien vendu), alors que l’objet immédiat est l’obligation de transfert pour le vendeur et l’obligation de paiement pour l’acheteur.
L’article 1163 impose que l’objet soit certain et déterminé ou déterminable au moment de la conclusion du contrat, pour éviter toute indétermination ou incertitude qui invaliderait l’acte.
§4 : La cause?
La notion de cause a été supprimée en tant que condition autonome par la réforme de 2016, mais elle subsiste indirectement à travers des dispositions relatives à la licéité et à la finalité du contrat. Les articles 1162 et 1169 imposent que le contrat ait une cause licite et que sa contrepartie ne soit pas illusoire ou dérisoire.
- Cause de l’obligation : C’est la raison pour laquelle les parties s’engagent. Par exemple, la cause pour un acheteur est d’obtenir la propriété du bien.
- Cause du contrat : Il s’agit du mobile qui pousse les parties à agir, et ce mobile doit être licite. Un contrat motivé par un but illégal serait nul (article 1162).
Ainsi, bien que la notion de cause ait perdu son caractère formel, le législateur continue de s’assurer que les contrats aient une finalité légale et qu’ils reposent sur une contrepartie réelle.
Synthèse actualisée des conditions
- Le consentement : Doit être libre, éclairé et exempt de vices (erreur, dol, violence).
- La capacité : Toute personne doit avoir la capacité juridique de contracter, sauf exceptions légales pour les mineurs et majeurs protégés.
- L’objet : Doit être certain, déterminé et licite.
- La licéité et la contrepartie : L’acte doit être justifié par une finalité licite et reposant sur une contrepartie qui n’est ni illusoire ni dérisoire.
Section 3 : sanction des actes juridiques
Lorsqu’un contrat ne respecte pas ses conditions de validité ou d’exécution, diverses sanctions peuvent être appliquées. Elles varient selon que l’on traite du non-respect des conditions de validité (nullité) ou de l’inexécution/mauvaise exécution (résolution ou résiliation).
§1 : La nullité
La nullité entraîne l’anéantissement complet de l’acte juridique, le rendant comme s’il n’avait jamais existé. L’acte n’a donc produit aucun effet juridique et les parties doivent être replacées dans la situation dans laquelle elles étaient avant la conclusion de l’acte. Il existe deux formes de nullité : absolue et relative.
- Nullité absolue
La nullité absolue est la sanction d’une violation grave d’une règle posée dans l’intérêt général. Elle intervient lorsqu’un contrat porte sur un objet illicite ou lorsque des règles fondamentales sont ignorées. Par exemple, un contrat ayant pour objet une activité illégale serait frappé de nullité absolue.- La nullité absolue ne peut être surmontée, et son délai de prescription est en général celui du droit commun, à savoir 30 ans (article 2224 du Code civil). Toutefois, en droit commercial, le délai est de 10 ans.
- Nullité relative
La nullité relative sanctionne la violation d’une règle visant à protéger un intérêt particulier, comme les vices du consentement (erreur, dol, violence). Contrairement à la nullité absolue, la nullité relative peut être surmontée si la partie protégée décide de confirmer l’acte. Par exemple, si une personne victime de dol confirme finalement le contrat en connaissance de cause, la nullité relative ne sera pas prononcée.- Le délai pour invoquer la nullité relative est de 5 ans à compter du jour où la partie lésée a pris connaissance du vice (article 2224 du Code civil).
Point commun des deux types de nullité : L’objectif est de remettre les parties dans l’état antérieur au contrat, autant que possible, comme si l’acte n’avait jamais été conclu.
§2 : Sanctions de l’inexécution ou mauvaise exécution
Si les parties respectent les conditions de validité du contrat mais ne respectent pas ou exécutent mal leurs obligations, deux types de sanctions peuvent être appliquées, selon la nature du contrat : résolution ou résiliation.
-
Contrats à exécution instantanée
Lorsqu’il s’agit d’un contrat à exécution instantanée (par exemple, une vente où les obligations sont accomplies immédiatement), la sanction est la résolution du contrat. La résolution entraîne l’anéantissement rétroactif du contrat. Cela signifie que le contrat est considéré comme n’ayant jamais existé, et les parties doivent être replacées dans la situation antérieure à la formation du contrat.
Exemple : En cas de non-paiement dans un contrat de vente, la résolution permettra de récupérer l’objet vendu. -
Contrats à exécution successive
Pour les contrats à exécution successive (exemple : un contrat de bail où les obligations s’étendent dans le temps), la sanction est la résiliation. La résiliation met fin au contrat pour l’avenir, à compter de la date où la décision est prise. Contrairement à la résolution, la résiliation n’a pas d’effet rétroactif : les prestations déjà réalisées restent valides, et seules les obligations futures sont annulées.
Exemple : Si un locataire cesse de payer son loyer, le contrat de bail sera résilié, mais les loyers déjà payés restent acquis.
Confusion entre résiliation et résolution
En droit français, la distinction entre résiliation et résolution n’est pas toujours parfaitement appliquée. Certains continuent à utiliser ces deux termes de manière interchangeable, bien qu’ils se réfèrent à des situations et des effets différents. La résolution concerne un anéantissement rétroactif tandis que la résiliation concerne un anéantissement pour l’avenir.
Conclusion des sanctions
- Nullité (absolue ou relative) : sanction du non-respect des conditions de validité du contrat, avec un effet rétroactif qui vise à effacer totalement l’acte juridique.
- Résolution ou résiliation : sanction de l’inexécution ou de la mauvaise exécution d’un contrat, avec des effets variables selon que le contrat est à exécution instantanée (résolution, rétroactive) ou successive (résiliation, pour l’avenir).
Chapitre 2 : les droits subjectifs nés d’un fait juridique
Les faits juridiques désignent des événements ou comportements auxquels le droit attache des conséquences juridiques sans que ces effets n’aient été recherchés par les parties. Contrairement aux actes juridiques, les faits juridiques ne reposent pas sur la volonté des individus, mais ils produisent néanmoins des droits subjectifs.
Définition des faits juridiques
Les faits juridiques sont des événements ou des actions qui produisent des effets juridiques en vertu de la loi, indépendamment de la volonté des parties impliquées. Ils sont définis aux articles 1100-2 du Code civil : « Les faits juridiques sont des agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de droit. »
Les droits subjectifs qui naissent d’un fait juridique peuvent être de nature diverse, comme des droits de créance, des droits réels, ou encore des droits de la personnalité. Le droit fait souvent une distinction entre deux grandes catégories de faits juridiques : les faits volontaires et les faits involontaires.
1. Les faits juridiques volontaires
Ce sont des comportements ou actions commis par des individus de manière volontaire, mais dont les effets juridiques ne sont pas recherchés. Ils diffèrent des actes juridiques en ce que la production d’effets juridiques n’est pas le but recherché, bien que ces effets en découlent.
Exemple : Responsabilité civile délictuelle
La responsabilité civile, prévue aux articles 1240 et 1241 du Code civil, découle souvent de faits juridiques volontaires comme un dommage causé à autrui par faute ou négligence. Une personne qui cause un préjudice, par exemple en endommageant un bien, voit naître des droits subjectifs pour la victime qui peut obtenir réparation. Ce droit subjectif pour la victime naît du fait juridique de la faute et confère un droit à une indemnisation.
Exemple : Enrichissement injustifié
L’enrichissement sans cause (ou enrichissement injustifié), défini à l’article 1303 du Code civil, peut aussi découler d’un fait juridique volontaire. Si une personne s’enrichit au détriment d’une autre sans justification légale, la victime de cet appauvrissement peut revendiquer la restitution du gain obtenu injustement.
2. Les faits juridiques involontaires
Il s’agit d’événements survenus indépendamment de la volonté des personnes, mais auxquels le droit attache des conséquences juridiques. Les droits subjectifs peuvent également découler de tels faits.
Exemple : La naissance ou le décès
La naissance et le décès sont des faits juridiques involontaires qui produisent des effets juridiques majeurs. Par exemple, la naissance d’un enfant confère immédiatement à celui-ci des droits subjectifs, comme le droit à un nom, à une nationalité, ou encore des droits successoraux.
De même, le décès entraîne l’ouverture de la succession et des droits subjectifs pour les héritiers, qui acquièrent des droits sur le patrimoine du défunt.
Exemple : Accident ou catastrophe naturelle
Les accidents (de la route, du travail) ou les catastrophes naturelles sont également des faits juridiques involontaires qui entraînent des droits subjectifs. Par exemple, une personne victime d’un accident de la route peut obtenir des droits à indemnisation en raison des dommages subis, même si elle n’a pas provoqué elle-même cet accident.
Effets des droits subjectifs issus des faits juridiques
Les droits subjectifs nés d’un fait juridique varient selon le type de fait et les règles applicables :
- Droits de créance : Ce sont des droits qui permettent à une personne, le créancier, d’exiger une prestation ou une indemnisation d’une autre personne, le débiteur. Ils naissent souvent dans des situations de responsabilité civile ou d’enrichissement injustifié.
- Droits réels : Ces droits portent directement sur une chose (ex. : le droit de propriété sur un bien immobilier après un héritage). Un exemple est le droit de propriété qui peut naître du droit de succession à la suite du décès d’une personne.
- Droits de la personnalité : Ils incluent des droits fondamentaux comme le droit à la vie privée ou à l’image, souvent violés par des faits involontaires, comme une diffamation ou une intrusion dans la vie privée.