Cours d’introduction au droit [cours complet 2024]
Le droit est un ensemble de règles de conduite qui, dans une société, régissent les rapports entre les individus : c’est ce que l’on appelle le droit objectif. Cependant, le terme « droit » désigne également les prérogatives reconnues aux personnes, autrement dit leurs droits subjectifs. Entre ces règles et les comportements des individus, des relations étroites, constantes et réciproques se nouent, ce qui rend le droit omniprésent dans la société.
Même si vous commencez à peine vos études de droit, vous avez déjà une idée, peut-être vague, de ce qu’est le droit. Cette idée a probablement influencé votre choix d’inscription à la faculté. Le plan et la liste des fiches de ce cours est disponible sous ce lien.
- L’autorité de la chose jugée
- Les principes directeurs de l’instance
- L’action en justice : définition, conditions
- Les preuves imparfaites (témoignage, présomption, aveu, serment)
- Les preuves parfaites : écrit, aveu judiciaire, serment
- La preuve littérale : acte sous seing privé / acte authentique
- L’admissibilité des preuves des actes et faits juridiques
INTRODUCTION : Qu’est-ce que le droit ?
Pour beaucoup d’entre vous, le droit est ce qui ordonne et ce qui interdit. Votre conception du droit est souvent liée à la notion de contrainte et de sanction.
Mais en réalité, le droit va bien au-delà de ces idées. Le droit est partout et régit tous les aspects de la vie humaine. Les règles de droit sont destinées à encadrer les rapports humains. Le droit intervient aussi bien dans les relations affectives que dans les rapports économiques ou politiques. Par exemple, il régit les relations entre époux, y compris des questions intimes telles que la fidélité ou le soutien en cas de maladie, ainsi que les rapports entre parents et enfants, en définissant des règles sur la filiation, l’autorité parentale, ou les devoirs réciproques.
Le droit est également présent dans les relations économiques, les rapports des individus avec l’État, ainsi que dans les relations internationales entre États. En d’autres termes, le droit est consubstantiel à l’existence d’une société. Dès qu’une société existe, le droit devient nécessaire pour ordonner les conduites et garantir la coexistence harmonieuse des individus. Ces règles de conduite, bien qu’éparses et variées, forment un ensemble : le Droit.
Le droit est un phénomène vivant. Les règles naissent, évoluent et disparaissent en fonction des changements de la société. Les relations humaines étant complexes, le droit reflète cette complexité.
Le mot « droit » désigne ainsi plusieurs phénomènes. Il ne s’agit pas uniquement d’un ensemble de règles, mais également d’un langage spécifique propre à la science juridique. Parfois, le vocabulaire juridique emprunte des termes au langage courant, mais leur signification peut être plus large ou plus restreinte. En particulier, le mot « droit » a deux significations distinctes. Il peut désigner :
- le droit objectif : l’ensemble des règles juridiques qui ordonnent la société,
- les droits subjectifs : les prérogatives dont un individu est titulaire en tant que sujet de droit.
Les juristes anglais distinguent d’ailleurs ces deux notions avec deux termes différents : Law (pour le droit objectif) et Rights (pour les droits subjectifs). Ces deux concepts, bien qu’ils diffèrent, sont liés. En effet, l’objet du droit objectif est de définir et protéger les droits subjectifs des individus.
Ainsi, le droit est à la fois un ensemble de règles universelles et des droits individuels spécifiques, coexistant pour garantir l’ordre et la justice dans la société.
DROIT OBJECTIF :
Le droit est avant tout un ensemble de règles destinées à organiser la vie en société. Cet ensemble est désigné sous l’expression droit objectif.
- Le but est de délimiter les libertés et contraintes de chacun, en déterminant ce qui est permis ou interdit afin que la vie sociale soit possible. La société met en place des règles pour régir son fonctionnement et, par conséquent, organiser les relations entre les individus qui la composent.
- Le droit objectif se compose de l’ensemble de ces règles juridiques. Lorsqu’on étudie une règle de droit objectif, on s’intéresse à cette règle en elle-même, en faisant abstraction de son contenu spécifique. Cela consiste à examiner ce qui est commun à toutes les règles juridiques : leurs caractères, classifications, sources, domaines d’application, etc.
DROITS SUBJECTIFS :
Le terme « droit » a également une seconde signification. Le droit objectif confère aux individus des prérogatives qui sont appelées droits subjectifs. Ce sont des droits dont les individus peuvent se prévaloir dans leurs relations avec autrui.
- Il est important de rappeler que le droit a pour finalité d’organiser la vie en société, c’est-à-dire de régir les relations entre les individus, que l’on nomme sujets de droit. Dans ce sens, le droit est abordé de manière plus concrète et spécifique : on s’intéresse aux droits détenus par chaque personne et aux prérogatives qu’elles peuvent tirer de l’ensemble de règles constitué par le droit objectif.
- Le droit, pris dans son sens subjectif, désigne donc une prérogative accordée à un individu spécifique. Par exemple, il s’agit du droit de propriété, du droit de vote, du droit de grève, ou du droit d’exercer l’autorité parentale sur ses enfants. Lorsque l’on dit : « j’ai le droit de faire telle chose en tant que parent ou propriétaire », on parle d’un droit subjectif. En revanche, lorsque l’on fait référence à une norme de droit objectif, comme lorsqu’on condamne quelqu’un à réparer un dommage selon l’article 1240 du Code civil, on parle du droit dans son sens objectif.
Ces deux acceptions du mot « droit » ne sont pas en opposition, mais complémentaires. Ce sont deux façons d’envisager le même phénomène, deux faces d’un même miroir. Le droit objectif vise à déterminer les droits subjectifs des individus. Ainsi, on étudiera d’abord le droit comme un ensemble de règles (droit objectif), puis on examinera le droit comme un ensemble de prérogatives (droits subjectifs) qui constituent leur unité.
1re partie : LE DROIT¸ ENVISAGÉ COMME UN ENSEMBLE DE RÈGLES : LE DROIT OBJECTIF
Le droit a pour objectif de structurer la société en s’appuyant sur un ensemble complexe de normes. Cependant, il coexiste avec d’autres types de règles sociales. Ce premier chapitre se consacrera à la question suivante : quels sont les caractères spécifiques de la règle de droit par rapport à d’autres règles sociales comme les règles de jeu, morales ou de politesse (chapitre premier) ?
Le droit est aussi une science, et dans le chapitre suivant, nous explorerons l’évolution historique de cette science et ses différentes ramifications (chapitre II).
Ensuite, nous aborderons la question de la naissance de la règle de droit, en examinant ses sources (chapitre III).
Enfin, nous verrons comment ces règles coexistent les unes avec les autres et nous définirons leur domaine d’application respectif (chapitre IV).
Chapitre premier : LES CARACTÈRES DE LA RÈGLE DE DROIT
L’idée de droit est intrinsèquement liée à celle de règle. Cependant, cette relation ne constitue que le point de départ de la réflexion, car il existe bien d’autres types de règles qui ne sont pas juridiques ou qui ne sont pas considérées comme telles. Par exemple, on peut citer la règle de jeu, la règle morale ou encore la règle de politesse.
Pour mieux comprendre le droit, il est nécessaire d’analyser les caractères spécifiques de la règle de droit, car ils en révèlent l’essence. On observe généralement que la règle de droit possède quatre caractéristiques principales : elle est obligatoire (I), générale (II), permanente (III) et elle poursuit une finalité sociale (IV).
Toutefois, il convient de noter que la combinaison de ces critères n’est pas toujours suffisante pour définir une règle de droit, et parfois, certains de ces critères peuvent même ne pas être nécessaires. Cela rend notre démarche d’analyse plus complexe et subtile.
I. – LA RÈGLE DE DROIT EST OBLIGATOIRE
La règle de droit se distingue par son caractère obligatoire. Elle constitue un commandement qui doit être respecté pour organiser la société. Sans cette obligation, la règle ne serait qu’un simple conseil, laissant chacun libre de la suivre ou non. Sans règles obligatoires, la société tomberait dans l’anarchie.
- La règle de droit impose, permet, récompense ou punit. Même lorsqu’elle est permissive, elle reste obligatoire en ce sens qu’elle protège les libertés qu’elle reconnaît. Par exemple, le droit de grève est une règle juridique obligatoire, et l’employeur ne peut s’y opposer. De même, l’avortement est un droit, sous certaines conditions, que nul ne peut empêcher.
- Le droit est assorti de sanctions, ce qui lui confère un caractère coercitif. Ces sanctions sont appliquées par l’État, qui garantit le respect des règles de droit. Lorsqu’un droit est violé, l’autorité judiciaire peut recourir à la force publique pour contraindre le contrevenant à respecter la loi. Des organes de justice comme la police ou la gendarmerie sont mobilisés pour assurer l’exécution des règles de droit. Toutefois, dans la majorité des cas, la menace de sanction suffit à garantir le respect du droit.
Statistiquement, la majorité des citoyens respectent volontairement le droit, non pas uniquement par peur des sanctions, mais par adhésion aux règles qui régissent les rapports sociaux. Par exemple, la fidélité entre époux n’est pas seulement dictée par la crainte de sanctions, mais aussi par des valeurs partagées. De même, ce n’est pas uniquement la peur des sanctions pénales qui empêche de voler ou de tuer.
- Le caractère obligatoire de la règle de droit la distingue des autres règles, telles que les règles religieuses, morales ou de politesse, qui ne sont pas sanctionnées par l’État. Les sanctions liées à la violation d’une règle religieuse peuvent venir de l’Église ou de Dieu (comme l’excommunication), et celles concernant les règles morales ou de politesse peuvent entraîner des formes de réprobation sociale, mais elles ne relèvent pas de la contrainte étatique.
Dans les États laïcs, l’État n’intervient pas pour faire respecter les règles religieuses ou morales. Cependant, dans les États religieux, il n’y a pas de distinction entre la règle religieuse et la règle de droit, car le droit émane de la religion elle-même.
- L’existence d’une sanction est donc propre à la règle de droit. Toutefois, certains ont critiqué cette analyse en soulignant qu’elle conduit à une tautologie : « est du droit ce qui est sanctionné, et doit être sanctionné ce qui est du droit ». Cette approche a été jugée réductrice car elle ne prend pas en compte la complexité du droit.
Il existe également des situations intermédiaires, entre le droit et le non-droit, qui ne sont pas systématiquement sanctionnées par l’État, comme l’obligation naturelle. L’obligation naturelle se situe entre le devoir moral et l’obligation civile.
l’obligation naturelle et l’obligation civile
L’obligation civile est un lien juridique, qui impose à une personne d’agir ou de s’abstenir envers une autre. En revanche, l’obligation naturelle ne peut pas faire l’objet d’une exécution forcée.
- Un exemple typique est celui de l’obligation alimentaire entre frères et sœurs, qui n’a pas de base juridique, contrairement à l’obligation alimentaire entre parents et enfants. Il s’agit d’un devoir moral, mais si cette obligation est exécutée spontanément, elle devient une obligation juridique. Si cette obligation est exécutée volontairement, son continuation peut être exigée devant la justice. Il n’est pas possible de réclamer la restitution de ce qui a été donné sous prétexte que cela n’était pas dû légalement.
- La théorie moderne de l’obligation naturelle explique que cette obligation découle d’un devoir moral suffisamment fort pour que le débiteur se sente tenu de l’accomplir, mais pas assez pour être sanctionné par la loi. Le doyen Ripert considérait l’obligation naturelle comme un devoir moral qui tend à évoluer vers une obligation civile.
L’obligation naturelle ressemble ainsi à un devoir moral, mais si le débiteur reconnaît l’existence de cette obligation ou l’exécute volontairement, elle est alors reconnue par le droit positif et devient une obligation juridique.
- Si le débiteur d’une obligation naturelle promet de l’exécuter, cette promesse engage juridiquement son auteur. L’obligation naturelle se transforme alors en une obligation civile, qui peut être exécutée de force si nécessaire.
II. – LA RÈGLE DE DROIT EST GÉNÉRALE
La règle de droit est générale, ce qui signifie qu’elle s’applique à l’ensemble des personnes qui composent la société. Elle est toujours formulée de manière générale et impersonnelle, à travers des expressions comme « Quiconque… » ou « Toute personne… ». Ainsi, la règle concerne tout le monde sans viser spécifiquement une personne en particulier. Cependant, cela ne signifie pas que toutes les règles de droit s’appliquent à toutes les personnes sans distinction. Certaines règles s’appliquent à des groupes spécifiques : les salariés, les employeurs, les médecins, les consommateurs, les époux, etc.
- La généralité de la règle de droit tient au fait qu’elle s’applique à toutes les personnes appartenant à une catégorie donnée, même si elle ne vise personne nommément. Par exemple, une règle qui s’applique au président de la République reste générale, bien que, à un moment donné, une seule personne occupe cette fonction.
- Ce caractère général est une garantie contre l’arbitraire et la discrimination individuelle. Cependant, la généralité de la règle de droit ne signifie pas égalité. Certaines règles peuvent instaurer des discriminations légitimes à l’égard de certains groupes de personnes pour des raisons valables, telles que l’octroi de droits supplémentaires aux personnes âgées, une plus grande protection aux femmes enceintes ou aux enfants, ou des sanctions plus sévères envers les automobilistes pour garantir la sécurité des piétons. En revanche, des discriminations basées sur des critères inacceptables tels que la race, le sexe, la religion ou les convictions politiques sont condamnables. La généralité de la règle de droit constitue une protection nécessaire contre l’arbitraire, mais elle reste insuffisante si elle n’est pas associée à d’autres garanties.
- La règle de droit s’applique aux situations générales, pas aux cas particuliers. Par exemple, la loi ne décide pas spécifiquement si Jean est l’enfant légitime de M. et Mme Dupont, mais elle établit que tous les enfants nés pendant un mariage sont légitimes. Il appartient au juge d’appliquer cette règle à un cas particulier, car la fonction du juge est de statuer sur des litiges particuliers, tandis que la loi édicte des règles générales.
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Le caractère général de la règle de droit permet de la distinguer des décisions individuelles, même si elles émanent de l’administration ou du parlement. Par exemple, un permis de conduire, une nomination par décret à un poste public ou un titre honorifique, ou encore une loi ordonnant des funérailles nationales pour un homme d’État ne sont pas des règles de droit, mais des dispositions personnelles. De même, un jugement rendu par un tribunal pour trancher un litige particulier n’est pas une règle de droit générale, mais une décision applicable uniquement à ce cas spécifique.
III. – LA RÈGLE DE DROIT EST PERMANENTE
La règle de droit est qualifiée de permanente car elle s’applique de manière constante tout au long de son existence. Elle est destinée à régir l’avenir et à demeurer en vigueur pour une certaine durée. Toutefois, cela ne signifie pas que la règle de droit soit éternelle. Elle a un début et une fin, mais pendant toute la période où elle est en vigueur, elle a vocation à être appliquée.
Tant que la règle de droit est en vigueur, elle s’applique de manière uniforme et constante à toutes les situations qu’elle réglemente. Un juge ne peut pas décider de ne pas l’appliquer en raison de considérations d’opportunité. Si les conditions prévues par la règle sont réunies, celle-ci doit être appliquée. La règle de droit ne cesse de s’appliquer que lorsqu’elle est abrogée par l’autorité compétente, généralement la même autorité qui l’a instaurée.
IV. – LA RÈGLE DE DROIT A UNE FINALITÉ SOCIALE
Le droit a pour objectif de réguler les relations entre les individus afin de faire régner une paix sociale. Il remplit donc une finalité sociale en organisant les interactions humaines.
- L’idée que le droit n’a de sens qu’en présence d’une société est souvent illustrée par l’histoire de Robinson et Vendredi. Robinson, seul sur son île, n’a pas besoin de droit. Pour un homme isolé, le droit n’a aucune utilité. Robinson pourrait tout au plus se doter d’une morale personnelle, mais le droit suppose la présence d’un autre individu. Comme le disent les juristes en latin : ubi societas, ibi jus (là où il y a société, il y a droit). Dès que Robinson rencontre Vendredi, la nécessité du droit apparaît, car la coexistence de plusieurs individus engendre des interactions sociales qui nécessitent un cadre juridique. Selon l’auteur F. Terré, cette rencontre contient en elle « le germe du droit ». En d’autres termes, le besoin de droit se manifeste dès lors que l’homme vit en société, car l’être humain, de nature sociable comme l’a affirmé Aristote, cherche à vivre en communauté.
- La règle juridique joue ainsi un rôle de régulateur de la vie sociale, en assurant l’ordre. Toutefois, la finalité du droit ne se limite pas à maintenir l’ordre social.
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Le droit fixe également des règles de conduite visant à promouvoir à la fois le progrès et la justice. Bien que les conceptions du progrès et les moyens pour l’atteindre puissent diverger, il existe un consensus sur cette finalité du droit. Cependant, le droit n’est pas le seul à viser ces objectifs. Il entretient des relations complexes avec d’autres types de normes, telles que la règle religieuse, la règle morale, et l’équité. En effet, le droit ne se contente pas de maintenir l’ordre, il vise également à instaurer un idéal de justice. Cette ambition le distingue, mais aussi le rapproche des autres règles qui, elles aussi, poursuivent un idéal de justice ou une vision du progrès humain.
a) Droit et Religion
La religion, fondée sur une relation transcendante, présente ses commandements comme émanant de Dieu. Son objectif est de veiller au salut de l’âme humaine. Bien que la règle religieuse et la règle de droit aient des objectifs différents, des liens existent entre elles.
- Cependant, toutes les règles juridiques n’ont pas un lien évident avec les préceptes religieux. Par exemple, il est difficile d’imaginer une relation entre la religion et certaines règles du Code de la route. En revanche, d’autres règles juridiques, telles que celles relatives au mariage, au divorce ou encore au droit pénal, présentent des liens plus clairs avec des commandements religieux. Dans certaines civilisations, comme les pays de l’Islam, en Inde ou dans des sociétés archaïques fortement influencées par la religion, la distinction entre les règles de droit et les règles religieuses est souvent floue et parfois artificielle. Cela fut également le cas en France sous l’Ancien Régime, où l’Église contrôlait certaines matières du droit privé, notamment l’état des personnes et le droit de la famille.
Sur le plan méthodologique, il est cependant possible de constater que le droit et la religion s’opposent sur plusieurs points.
- Certaines contradictions évidentes existent entre les règles de droit et les enseignements religieux, en particulier dans les traditions judéo-chrétiennes. Par exemple, la notion de légitime défense entre en contradiction avec le principe religieux de « tendre l’autre joue ». De même, le recours à l’avortement ou au divorce va à l’encontre de certains préceptes religieux.
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De plus, même lorsque le contenu d’une règle juridique est directement inspiré d’une loi religieuse, comme l’interdiction de tuer ou de voler, la nature des sanctions diffère. Les préceptes religieux concernent les relations entre l’homme et Dieu, tandis que les règles de droit sont sanctionnées par le groupe social. La religion, en ce sens, régit les consciences, alors que le droit régit les comportements sociaux.
b) Droit et Morale
Ouverte aux impératifs de la conscience, la morale est plus exigeante que le droit. Elle attend de l’homme un dépassement de soi. La morale est individualiste, tandis que le droit ne régit pas les consciences mais le corps social. Par exemple, vous pouvez avoir des envies de meurtre ou des pensées inavouables sans que le droit ne s’en préoccupe. La morale, quant à elle, tend vers la perfection de la personne et son épanouissement. Pour illustrer l’opposition entre droit et morale, on cite souvent la phrase de Goethe : « Mieux vaut une injustice qu’un désordre », pour montrer que le but premier du droit est l’ordre, et non la justice.
L’ordre fondé sur la morale
Cependant, on peut observer que rien n’interdit que l’ordre soit fondé sur la morale et la justice. Une loi injuste se heurtera naturellement à la résistance des consciences individuelles et du corps social. Le droit sera d’autant mieux respecté et assurera d’autant mieux l’ordre social s’il est fondé sur des principes moraux. Certes, le droit peut s’imposer par la force, mais un ordre juridique basé uniquement sur la contrainte peut dégénérer en désordre social. Il est légitime de se demander quelle serait la forme d’une société dans laquelle le droit autoriserait ou encouragerait le vol ou la violence.
Convergence du droit et de la morale
Peu de personnes contestent sérieusement que la morale et le droit doivent, autant que possible, coïncider. Le droit, dans la mesure du possible, doit s’inspirer de la morale. Il contient indéniablement une référence à la morale, à un idéal de justice. Certains auteurs, comme Jestaz, considèrent que la justice est une composante essentielle du droit, et que seul cet appel à la notion de juste « justifie » qu’on évite le recours à la violence.
Les devoirs à la fois juridiques et moraux
Certains devoirs sont à la fois juridiques et moraux. Par exemple, la conformité d’un contrat aux bonnes mœurs est une condition de sa validité (articles 6 et 1133 du Code civil). L’interdiction morale et religieuse de tuer ou de voler est également consacrée par le droit. De nombreuses dispositions du Code pénal en sont la preuve. Celui qui s’est enrichi injustement aux dépens d’autrui doit restituer cet enrichissement sans cause, et celui qui aura trompé son partenaire pour conclure un contrat verra ce dernier annulé pour dol et pourra être condamné à payer des dommages-intérêts.
L’inspiration morale du droit
La règle de droit s’inspire parfois de la morale. Par exemple, lors de l’élaboration de la loi du 24 juillet 1994 relative au respect du corps humain, l’avis du Conseil consultatif national d’éthique a été sollicité. Cet organisme a pour fonction de donner un avis moral sur les recherches et pratiques scientifiques, notamment en matière génétique. Cela montre que la règle de droit peut être influencée par des considérations éthiques et morales.
Le droit comme reflet des valeurs fondamentales
Le contenu de la règle de droit n’est jamais le fruit du hasard. Le caractère coercitif du droit est souvent accepté parce qu’il correspond aux valeurs fondamentales de l’homme. Le droit est, dans la majorité des cas, le fruit d’un consensus social. La règle de droit est la mise en œuvre d’un projet politique poursuivi par la volonté dominante du corps social. La morale sociale dominante inspire généralement le contenu de la règle juridique. L’expérience montre souvent que ce n’est pas le droit qui modifie la société, mais plutôt l’évolution des mœurs qui conduit à la modification des règles de droit. Par exemple, l’instauration du divorce par consentement mutuel répondait à une attente sociale ; l’évolution de la morale sociale a influencé le contenu de la règle juridique. Toutefois, cela n’est pas toujours vrai : par exemple, lors de l’abolition de la peine de mort en 1981, les sondages d’opinion montraient que la majorité des Français y était opposée.
c) Droit et Équité
L’équité a été joliment définie par un auteur comme la « justice avec un « j » minuscule, non celle qui se clame de la République à la Bastille, mais la justice discrète des cas particuliers » (Jestaz). Dès lors, le droit s’oppose à l’équité. Le juge, chargé d’appliquer la règle de droit, ne peut pas écarter cette règle, même lorsqu’elle semble mener à une injustice. En effet, le juge statue en fonction du droit, non selon sa propre perception de ce qui est juste. Cela est dû à plusieurs raisons essentielles.
- Nécessité d’un ordre et d’une sécurité
L’une des nécessités inhérentes au droit est d’assurer non seulement la justice, mais aussi l’ordre, la sécurité et la paix. Prenons l’exemple d’une vente réalisée à un prix anormalement bas. En termes de justice, on pourrait plaider soit pour l’annulation de cette vente, soit pour un paiement complémentaire. Cependant, la sécurité juridique milite pour la stabilité des relations contractuelles. Ainsi, entre une réduction de prix conforme à un idéal de justice et le souci de garantir la sécurité des transactions, le législateur a préféré établir des seuils et des conditions. En dehors de ces seuils, le droit refuse de favoriser les intérêts de la justice, ce qui montre un aspect plus rigide et moins nuancé du droit.
- Le rôle limité de l’équité face à la justice
On pourrait être tenté de penser que l’équité permettrait d’atteindre un idéal de justice en atténuant la rigidité du droit. En effet, il existe souvent un écart entre la justice idéale et la règle juridique. Pourtant, la notion de justice est trop subjective pour être utilisée comme une norme par le juge. Sous l’Ancien Régime, les Parlements, qui étaient les tribunaux de l’époque, avaient le pouvoir de statuer en équité. Cependant, cette situation donnait lieu à des excès, d’où l’expression : « Dieu nous garde de l’équité des Parlements ». De nos jours, le juge français doit juger en droit.
- Sécurité juridique et uniformité du droit
La société a besoin de sécurité juridique, et les individus ont besoin de connaître, à l’avance, les conséquences possibles de leurs actes. Le droit doit également être uniforme sur tout le territoire, garantissant ainsi la liberté individuelle et l’égalité des citoyens devant la loi. Cette exigence d’uniformité est l’une des raisons pour lesquelles l’équité est rarement invoquée de manière générale par les juges.
- Exception à la règle : le recours à l’équité
Cependant, il est important de nuancer cette opposition entre droit et équité. Dans certains cas, le législateur renvoie expressément à l’équité des juges. Par exemple, l’article 1135 du Code civil stipule que « les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ». De plus, l’article 700 du Code de procédure civile permet au juge de condamner une partie à payer une somme qu’il détermine lorsque cela semble inéquitable de laisser à la charge d’une partie, par exemple les honoraires de son avocat.
Dans d’autres cas, ce pouvoir d’équité est attribué au juge de manière plus indirecte. Par exemple, le juge peut accorder des délais au débiteur malheureux (article 1244 al. 2) ou encore modérer certaines clauses pénales (article 1152 al. 2). D’une manière générale, l’article 12 du Code de procédure civile permet aux plaideurs de donner au juge la possibilité de statuer en équité lorsqu’ils lui en donnent l’autorisation expresse et qu’il s’agit de droits dont ils ont la libre disposition. Dans ce cas, le juge devient un amiable compositeur, ce qui signifie qu’il statue selon sa conscience et non selon la loi. Sa décision, dans ce cadre, ne peut pas être cassée pour violation de la loi.
- Limites du pouvoir d’équité des juges
En dehors des cas prévus expressément par la loi, le juge ne peut pas statuer en équité de manière générale, mais uniquement en fonction du droit. Il est essentiel de comprendre que, même si le recours à l’équité est parfois permis, il est limité et ne peut pas s’appliquer à l’ensemble des décisions judiciaires.
Chapitre II : LES MATIÈRES DU DROIT
On assiste, au XXe siècle, à une accélération du phénomène de diversification et donc spécialisation du droit moderne. Certes, le législateur doit prendre en compte le particularisme des diverses situations sociales afin d’adopter des règles de droit adéquates. Mais cette spécialisation du droit a d’autres causes. Elle est due au progrès des sciences et des techniques, à une complexité croissante de l’économie, à un interventionnisme étatique accru, etc…
Aussi, le droit est-il divisé en différentes branches en fonction de son objet ou de son domaine. Plusieurs classifications existent. La plus importante opposition concerne celle du droit public et du droit privé (I). On oppose aussi le droit national au droit international (II).
I. – L’OPPOSITION DU DROIT PUBLIC AU DROIT PRIVE
Au XXe siècle, on assiste à une accélération de la diversification et de la spécialisation du droit moderne. Cela s’explique par plusieurs facteurs :
- Le progrès des sciences et des techniques
- La complexité croissante de l’économie
- Un interventionnisme étatique accru
Le législateur doit ainsi tenir compte des spécificités des situations sociales afin de créer des règles de droit adaptées. Le droit est donc divisé en différentes branches, en fonction de son objet ou de son domaine. Les deux principales distinctions sont :
- Droit public et droit privé
- Droit national et droit international
A – LE DROIT PRIVE
L’opposition du droit public au droit privé
La distinction entre droit privé et droit public est traditionnelle, mais elle n’est pas absolue. Il existe également des droits mixtes. Cette opposition ne doit pas occulter l’unité profonde du droit, qui reste l’expression d’un projet politique global. Certains auteurs, tels que J.L. Aubert, considèrent que cette distinction n’a pas la valeur d’une véritable summa divisio, mais qu’elle constitue plutôt un instrument de classification.
Le droit privé
Le droit privé régit les rapports entre particuliers ou avec des collectivités privées, telles que des associations ou des sociétés. Son objectif principal est de sauvegarder les intérêts individuels. Il se divise principalement en deux branches :
- Droit civil
- Droit commercial
Le droit civil
- Il occupe une place centrale dans le droit privé.
- Il constitue le droit commun, c’est-à-dire qu’il s’applique à tous les rapports de droit privé, sauf si un droit spécial a été établi pour une matière particulière.
- Le droit civil régit :
- La famille (mariage, divorce, filiation)
- La propriété
- Le droit des obligations (contrats, responsabilité civile)
- Les principales règles du droit civil sont regroupées dans le Code civil de 1804, qui constitue le socle du droit privé, bien que des sous-branches spécialisées s’en soient détachées.
Le droit commercial
- Il contient les règles applicables aux actes de commerce et aux commerçants.
- Il concerne :
- Les sociétés commerciales
- Le fonds de commerce
- Les actes de commerce réalisés par les commerçants dans l’exercice de leur activité
- Le droit commercial a emprunté certaines techniques au droit civil, mais il s’en est peu à peu détaché pour former un ensemble de règles adaptées à la vie des affaires. Cette autonomie a commencé avec les Ordonnances de Colbert (commerce de la terre en 1673, marine en 1681).
- Le Code de commerce de 1807 a rapidement montré ses limites, et de nombreuses lois importantes ont régulé la vie des affaires en dehors de ce cadre, jusqu’à la codification complète et actualisée en 2000.
- Le Code de commerce refondu se compose de 9 livres, couvrant :
- Le commerce en général
- Les sociétés commerciales
- Les ventes et les clauses d’exclusivité
- Les prix et la concurrence
- Les garanties et effets de commerce
- Les difficultés des entreprises
- L’organisation du commerce
- Quelques professions réglementées
- Les spécificités de l’Outre-mer
Les branches autonomes mixtes Certaines règles se sont détachées du droit commercial et du droit civil pour constituer des branches autonomes de droit de nature mixte (civil et commercial). Parmi ces branches, on trouve :
- Le droit de la propriété intellectuelle (propriété industrielle, propriété littéraire et artistique)
- Le droit des assurances
- Le droit des transports
- Le droit rural, qui reste une branche du droit civil.
B – LE DROIT PUBLIC
Le droit public régit les rapports entre l’État (ou une autre collectivité publique) et ses agents, ainsi que ses relations avec les particuliers. Il comprend les règles d’organisation de l’État et de ses rapports avec les citoyens. Le droit public se subdivise en plusieurs branches, notamment :
- Droit constitutionnel : fixe les règles de base d’organisation de l’État.
- Droit administratif : réglemente la structure de l’administration et ses relations avec les particuliers.
- Finances publiques et droit fiscal : régissent les dépenses et les recettes des collectivités publiques.
- Libertés publiques : définissent les droits de l’individu et leur protection dans la société.
Les différences entre droit public et droit privé
- Finalité différente :
Le droit public vise à satisfaire l’intérêt collectif en servant l’intérêt public, tandis que le droit privé est au service des individus. Cependant, cette opposition est parfois nuancée par la fonction libératrice de l’intervention de l’État, comme avec la loi du 6 janvier 1978 sur l’informatique et libertés, qui protège les libertés individuelles contre les abus tant publics que privés. - Caractère impératif :
Le droit public s’impose aux administrés, contrairement au droit privé qui est souvent un droit d’autonomie (liberté de conclure un contrat, choix du régime matrimonial, etc.). Cela dit, le droit privé comporte également des règles impératives, comme en matière d’ordre public dans le mariage ou le fonctionnement des sociétés commerciales. - Privilèges de l’administration :
En droit privé, « nul ne peut se faire justice à soi-même », une autorité judiciaire doit sanctionner un droit subjectif. En revanche, en droit public, l’administration dispose du privilège de l’exécution d’office. Cela signifie qu’elle peut faire exécuter ses décisions malgré l’opposition des particuliers, qui ne peuvent contester qu’après coup, devant la justice administrative (ex. : le recouvrement de l’impôt). - Contraintes d’exécution des décisions de justice :
- En droit privé, des mesures de contrainte, comme les saisies de biens, obligent les particuliers à respecter les décisions de justice.
- En droit public, aucune exécution forcée des décisions à l’encontre de l’administration n’est prévue. Cependant, une loi de 1980 permet au Conseil d’État de condamner l’État à une astreinte, comme moyen de pression. Ce système a prouvé son efficacité, bien qu’il n’existe pas de saisie des biens publics.
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Juridictions différentes :
L’administration relève d’un ordre juridictionnel spécifique, celui des juridictions administratives, créées pour soustraire l’action de l’administration au contrôle des tribunaux judiciaires, conformément à la loi du 16-24 août 1790.
C – LES DROIT MIXTES
La distinction entre droit privé et droit public n’est pas une division absolue. Certaines règles relèvent à la fois du droit public et du droit privé, ce qui donne naissance aux droits mixtes.
- Le droit pénal (ou droit criminel) combine à la fois des aspects de droit public et de droit privé. Il définit les comportements considérés comme des infractions et détermine les sanctions à appliquer. Le droit pénal ne se limite pas à la répression des crimes ; il vise également à prévenir les infractions et à favoriser la rééducation des délinquants. Il est étroitement lié au droit public car les infractions concernent l’intérêt général et l’État est chargé de l’exécution des sanctions. Lors d’un procès pénal, le délinquant est généralement opposé à la société, représentée par le ministère public, et non à la victime elle-même. Cependant, en raison de sa protection des intérêts privés comme la vie, l’honneur et la propriété, le droit pénal est traditionnellement rattaché au droit privé. Le Nouveau Code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1994, a remplacé l’ancien Code de 1810.
- Le droit processuel regroupe les procédures civile, pénale et administrative, qui encadrent l’organisation et le fonctionnement des organes de justice et fixent les règles à suivre durant les procès. Bien que ces procédures soient directement liées au droit public, car elles concernent la mise en œuvre du service public de la justice, elles sont souvent rattachées au droit privé. Cela s’explique par le fait que les procédures civile et pénale régissent des litiges entre particuliers, typiques du domaine privé.
- Le droit social comprend le droit du travail et le droit de la sécurité sociale. Le droit du travail encadre les relations entre employeurs et salariés, traitant des aspects comme la prestation de travail, la rémunération, les droits collectifs des salariés et les conditions de licenciement. Le droit de la sécurité sociale, qui s’est développé après 1945, protège les travailleurs contre divers risques sociaux, tels que la maladie, les accidents du travail ou le chômage, et apporte un soutien aux familles par des prestations. Bien qu’il régisse des rapports entre particuliers, le droit social est considéré comme un droit mixte en raison de ses nombreux aspects liés au droit public. Par exemple, l’employeur est soumis à des règlements stricts et des institutions comme l’inspection du travail ou la Sécurité sociale relèvent de l’administration.
II. – L’OPPOSITION DU DROIT INTERNE AU DROIT INTERNATIONAL
La distinction entre le droit interne et le droit international est moins marquée que celle entre le droit privé et le droit public. On peut dire que le droit international intervient lorsqu’un élément étranger se rencontre dans un rapport de droit. Il se divise en deux branches : le droit international privé et le droit international public.
A – LE DROIT INTERNATIONAL PRIVE
Le droit international privé régit les rapports entre particuliers dès qu’un élément étranger est impliqué. Par exemple, si un divorce concerne un Français et une Irlandaise mariés en Allemagne et domiciliés en France, quelles règles s’appliquent pour le divorce ? De même, si un Anglais décède en Italie en possédant un bien immobilier en France, quelle loi régira la succession ?
Une partie du droit international privé concerne les conflits de lois : il s’agit de déterminer quelle législation nationale doit s’appliquer. Selon le contexte, il pourrait être nécessaire d’appliquer la loi française, irlandaise, allemande, anglaise ou italienne. Par exemple, jusqu’à récemment, la loi irlandaise ne reconnaissait pas le divorce, ce qui aurait eu des conséquences sur la résolution de l’affaire.
Une autre partie du droit international privé concerne les droits des étrangers en France et les règles de nationalité. Ce domaine est également considéré comme un droit mixte, car des éléments de droit public, comme le droit de la nationalité, sont présents. Ce droit se situe à l’intersection des relations entre les particuliers et l’État. De plus, il existe un droit matériel international, souvent contenu dans des conventions internationales, qui régit les rapports de droit privé à l’échelle internationale. Par exemple, la Convention de Varsovie (12 octobre 1929) sur les transports aériens ou la Convention de Bruxelles (29 avril 1961) sur le transport maritime.
B – LE DROIT INTERNATIONAL PUBLIC
- Le droit international public, aussi appelé droit des gens, régit les relations entre États et définit l’organisation, le fonctionnement et les compétences des organisations internationales (comme l’ONU).
Certains contestent l’existence du droit international public en tant que véritable règle de droit en raison de la faiblesse de son caractère obligatoire. Contrairement au droit interne, il n’existe pas de véritable autorité supranationale capable de contraindre les États à respecter ces règles, surtout les plus puissants. Les sanctions internationales (boycott, embargo, rupture des relations diplomatiques, guerre) sont souvent inefficaces comparées aux moyens qu’un État peut déployer pour faire respecter ses propres lois sur son territoire.
L’absence d’un pouvoir supranational fort rend le respect du droit international public largement dépendant de la bonne volonté des États. Pour certains auteurs, l’existence du droit ne repose pas uniquement sur la sanction, mais sur un consensus entre États, souvent basé sur un équilibre de pouvoir ou la crainte de représailles. Pour ceux qui considèrent que la sanction est un critère essentiel du droit, le droit international public est encore en formation.
- Le droit communautaire ou droit de l’Union Européenne
Le droit communautaire, qui trouve son origine dans le Traité de Rome (25 mars 1957) instituant la Communauté économique européenne (CEE), et qui est aujourd’hui au cœur de l’Union européenne, est un droit doublement mixte. Il est à la fois international, car il régit les relations entre États membres, et interne, car il impose des règles applicables au sein de ces États pour créer un marché unique.
De plus, le droit communautaire combine des éléments de droit privé et de droit public. Il régit les échanges économiques entre particuliers (droit privé) et le fonctionnement des institutions européennes (droit public), telles que le Conseil de l’Europe, la Cour de justice des communautés européennes (Luxembourg), la Cour européenne des droits de l’homme (Strasbourg) et le Parlement européen.
Chapitre III : LES SOURCES DE LA RÈGLE DE DROIT
Les organes du corps social investis du pouvoir d’exprimer la règle de droit ne sont pas tous égaux. Seuls certains ont la capacité d’affirmer le caractère obligatoire d’une règle. La légitimité du droit repose ainsi sur la légitimité de l’organe qui le produit. C’est cette légitimité qui justifie l’expression « source du droit », puisque le droit tire sa force et son autorité de l’organe qui le crée.
Les règles du droit positif émanent d’autorités diverses. Certaines autorités élaborent directement les règles dont elles imposent l’observation. Ce sont des sources directes des règles de droit (Section I). Les autres n’ont pas ce pouvoir et se bornent à interpréter ces règles. Ils se bornent à favoriser la compréhension et l’évolution du droit.
Par ce travail, et à des niveaux différents, ils contribuent indirectement à la construction de l’édifice du droit. Ces autorités sont des sources d’interprétation qui, dans une certaine mesure mais de façon indirecte, créent des règles de droit (Section II). L’étude de l’organisation juridictionnelle nous permettra de mieux comprendre ce mode spécifique de création (Section III).
Section I : LES SOURCES DIRECTES DE LA RÈGLE DE DROIT
Les sources directes du droit sont celles qui créent directement des règles juridiques. En France, elles incluent principalement la loi (§1) et la coutume (§2). Historiquement, la coutume jouait un rôle important, mais l’adoption du Code civil a réduit cette influence. À l’inverse, dans les pays de common law, comme le Royaume-Uni, la coutume reste une source première du droit
§ 1 : LA LOI
Le terme « loi » est pris ici dans un sens large. Il inclut toutes les dispositions publiques formulées par écrit, avec un caractère général, impersonnel et obligatoire. Il convient de distinguer la notion de loi (I) et sa force obligatoire (II).
I. – Notion de loi
Les organes qui produisent des lois sont nombreux et hiérarchisés. En France, cette hiérarchie des normes est importante, car un texte d’un niveau inférieur ne peut contredire un texte supérieur. Au sommet de cette hiérarchie se trouve la Constitution du 4 octobre 1958 (Ve République).
A – Distinction de la loi et du règlement
Sous les régimes antérieurs à la Constitution de 1958, la séparation entre loi et règlement existait déjà, mais la loi jouissait d’une position dominante. Ce primat de la loi reflétait le fait que la souveraineté populaire s’exerçait principalement à travers le Parlement, représentant du peuple. Désormais, ce monopole législatif s’est largement estompé. La loi et le règlement se distinguent principalement par leur source respective et leur champ d’application spécifique.
1. Distinction quant à leur origine
1. Origine de la loi et du règlement
Origine de la loi
La loi est élaborée et adoptée par le Parlement, qui réunit l’Assemblée nationale et le Sénat. Ce processus de création législative suppose en principe un accord entre les deux chambres sur un texte commun. En cas de désaccord persistant, le gouvernement peut accorder la décision finale à l’Assemblée nationale (Article 45 de la Constitution).
Les projets de loi sont portés par le gouvernement, tandis que les propositions de loi émanent de parlementaires. Il existe plusieurs types de lois, avec des procédures spécifiques :
- Lois ordinaires : issues d’une procédure législative habituelle ;
- Lois constitutionnelles : modifiant la Constitution, souvent avec une procédure exceptionnelle, comme un référendum ;
- Lois organiques : destinées à mettre en œuvre des dispositions constitutionnelles, nécessitant un examen par le Conseil constitutionnel ;
- Lois de finances : adoptées dans des délais contraignants, cruciales pour la gestion économique de l’État.
Origine du règlement
Le règlement, quant à lui, regroupe les décisions du pouvoir exécutif et des autorités administratives. Il existe plusieurs types de règlements, organisés selon une hiérarchie plus stricte que celle des lois. Cette hiérarchie reflète le degré d’autorité de chaque acteur dans la prise de décision réglementaire.
Le Premier ministre détient, en vertu de l’article 21 de la Constitution, la compétence de principe en matière de règlement. Toutefois, le Président de la République bénéficie d’une compétence d’exception, notamment pour les décrets pris en Conseil des ministres.
2. Types de règlements et leur hiérarchie
Les décrets
Le règlement s’exerce principalement à travers les décrets, classés selon leur mode de promulgation :
- Décrets simples : signés par le Premier ministre, avec le contreseing des ministres compétents ;
- Décrets en Conseil des ministres : signés par le Président de la République, nécessitant le contreseing de tous les ministres. Ce cas relève de la compétence d’exception du Président ;
- Décrets en Conseil d’État : adoptés après consultation obligatoire du Conseil d’État, bien que l’avis rendu ne soit pas contraignant pour le gouvernement.
Les arrêtés
Hiérarchiquement, les arrêtés se situent sous les décrets. Ces actes peuvent être :
- Arrêtés ministériels ou interministériels : pris par un ou plusieurs ministres ;
- Arrêtés préfectoraux : pris par les préfets dans le cadre de leur compétence territoriale ;
- Arrêtés municipaux : émis par les maires pour les communes.
Ces arrêtés suivent une hiérarchie stricte, dépendant du niveau de l’autorité qui les émet.
Les circulaires
Les circulaires sont des instructions données par un ministre aux services administratifs sous sa tutelle. En principe, ces textes ne sont pas dotés de valeur réglementaire. Toutefois, dans certains cas, le Conseil d’État peut leur conférer une force contraignante similaire à un arrêté ministériel, lorsque des conditions précises sont remplies.
2. Distinction quant à leur domaine
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Origine et évolution de la distinction : Initialement, la différence entre loi et règlement reposait principalement sur leur source. Cependant, avec l’avènement de la Constitution de 1958, une répartition claire des compétences a été introduite, reposant sur un domaine d’intervention propre à chacun.
- Domaine de la loi : L’article 34 de la Constitution précise les champs d’intervention législatifs de manière exhaustive. La loi fixe des règles dans plusieurs domaines essentiels, tels que :
- Les libertés publiques,
- L’état civil et la capacité des personnes,
- La procédure pénale,
- La définition des crimes et délits, ainsi que leurs sanctions,
- Les régimes fiscaux,
- Les systèmes électoraux,
- Les nationalisations et les garanties accordées aux fonctionnaires. La loi détermine aussi les principes fondamentaux dans d’autres matières comme la défense nationale, l’enseignement, la propriété, le droit du travail, ainsi que les droits syndicaux et de sécurité sociale.
- Domaine du règlement : L’article 37 confie au règlement un champ d’action résiduel. Tout ce qui n’est pas explicitement du domaine législatif relève du pouvoir réglementaire. Cela confère à l’exécutif une autonomie d’action importante, permettant la prise de règlements autonomes sur des sujets non couverts par la loi. Ainsi, le règlement n’est plus uniquement une simple exécution des lois ; il régit les matières hors du domaine législatif.
- Règlements d’application : En complément, le pouvoir exécutif peut émettre des règlements d’application ou d’exécution pour préciser la mise en œuvre des lois. Lorsque la loi pose des principes généraux ou délègue les détails d’application, ces règlements jouent un rôle clé dans l’implémentation effective des dispositions législatives.
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Protection des compétences : sauvegarde constitutionnelle :
- Garantie du domaine réglementaire : La Constitution de 1958 a prévu un mécanisme pour protéger le domaine réglementaire contre les empiètements du pouvoir législatif. Le Conseil constitutionnel peut être saisi par diverses autorités – le Président de la République, le Premier ministre, les présidents des chambres parlementaires, ou par un groupe de 60 députés ou sénateurs (grâce à la révision constitutionnelle du 29 octobre 1974). Si une loi adoptée empiète sur le domaine réglementaire, le Conseil constitutionnel peut empêcher sa promulgation, la rendant ainsi inapplicable.
- Protection législative : En revanche, il n’existe pas de mécanisme équivalent pour protéger le pouvoir législatif d’une incursion réglementaire. Le Conseil d’État, en tant que juridiction administrative, peut être saisi pour contrôler la légalité des décrets. Il pourrait ainsi annuler un règlement autonome pris dans un domaine réservé à la loi, ou un règlement d’application qui ne respecte pas le cadre législatif défini. Toutefois, le Conseil constitutionnel n’intervient pas sur ces actes administratifs.
B – Autres textes spéciaux
Les textes juridiques se divisent en deux grandes catégories : ceux issus du droit interne et ceux d’origine internationale.
- Les textes juridiques d’origine interne : pouvoir d’urgence du président, lois référendaires, ordonnances législatives
- Les textes juridiques d’origine internationale relèvent d’accords et de traités conclus entre plusieurs États. Ceux-ci englobent les traités internationaux et les règlements européens, qui ont un impact direct sur la législation interne des États membres.
1. Textes d’origine interne
On distingue différents textes d’origine interne :
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Pouvoirs d’urgence du Président (article 16) : En vertu de l’article 16 de la Constitution, le Président de la République est habilité à prendre toutes les mesures nécessaires en cas de menace grave pour les institutions républicaines, l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire ou l’exécution des engagements internationaux, lorsqu’il y a une interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels. Cette situation confère une concentration exceptionnelle des pouvoirs entre les mains du Chef de l’État, qui peut agir unilatéralement sans consultation parlementaire. Cependant, les décisions prises dans le domaine réglementaire peuvent être soumises au contrôle du Conseil d’État, tandis que celles touchant au domaine législatif échappent à tout contrôle juridictionnel, renforçant ainsi cette forme de dictature temporaire décrite par les juristes Hauriou et Gicquel.
- Lois référendaires (article 11) : L’article 11 de la Constitution permet au Président de soumettre directement au référendum des projets de loi relatifs à l’organisation des pouvoirs publics, à la ratification de traités internationaux ou à des accords européens ayant des effets sur les institutions. Cette procédure peut être initiée par le gouvernement ou les deux assemblées. Il s’agit d’un mécanisme qui a été utilisé pour réviser la Constitution, en contournant la procédure plus lourde prévue à l’article 89. Les lois issues du référendum ne sont pas soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, ce qui leur confère une immunité particulière vis-à-vis des institutions de contrôle habituellement compétentes.
- Ordonnances législatives (article 38) : L’article 38 de la Constitution offre au gouvernement la possibilité de demander au Parlement l’autorisation de légiférer par ordonnances sur des sujets normalement du ressort de la loi, et ce, pour une période déterminée. Ce mécanisme, visant à favoriser l’efficacité et la rapidité de l’action gouvernementale, permet une délégation temporaire du pouvoir législatif à l’exécutif. Interdit sous la IVe République, ce procédé, autrefois connu sous le nom de décret-loi, a été institutionnalisé sous la Ve République. Les ordonnances sont prises après consultation du Conseil d’État, délibérées en Conseil des ministres, et doivent être contresignées par le Premier ministre et les ministres compétents, avant d’être signées par le Président de la République.
Les ordonnances ont une nature réglementaire et peuvent être contestées devant le Conseil d’État pour excès de pouvoir. Toutefois, une fois ratifiées par le Parlement, ces ordonnances acquièrent une valeur législative et ne peuvent être modifiées que par une nouvelle loi.
2. Textes d’origine internationale (hors UE)
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Supériorité des traités sur les lois nationales : L’article 55 de la Constitution affirme que les traités ou accords internationaux, une fois ratifiés ou approuvés et publiés, ont une autorité supérieure aux lois nationales, sous réserve de leur application réciproque par les autres parties signataires. Le traité occupe ainsi une place centrale dans l’ordonnancement juridique français. La condition de réciprocité, bien qu’inscrite dans la Constitution, est vérifiée par le gouvernement et non par les juridictions. Cette primauté est toutefois limitée aux traités régulièrement conclus, c’est-à-dire qui respectent les formalités de ratification.
- Relation entre Constitution et traités : La question de savoir si un traité peut avoir une valeur supérieure à la Constitution ne se pose pas directement, car la ratification d’un traité contraire à la Constitution nécessite une modification préalable de celle-ci. Par exemple, lors de la ratification du Traité de Maastricht, une révision constitutionnelle a été requise. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 9 avril 1992 sur le Traité sur l’Union européenne, a exigé une révision de la Constitution avant la ratification, ce qui a conduit au vote du Congrès en juin 1992. Ainsi, un traité ne peut intégrer l’ordre juridique interne qu’une fois conforme à la Constitution.
- Applicabilité directe des traités internationaux : Le conflit entre traité et loi interne suppose que les deux s’adressent aux mêmes destinataires. Or, toutes les lois nationales s’appliquent aux individus, tandis que certains traités, comme la Charte des Nations unies, ne créent des obligations qu’aux États. Seuls les traités dits d’applicabilité directe créent des droits ou obligations pour les citoyens des États parties. Par exemple, la Convention de New York sur les droits de l’enfant ne peut pas être directement invoquée par un particulier devant les tribunaux français, car elle ne crée pas d’obligations directes à l’égard des individus.
- Conflit entre lois internes et traités internationaux : Les États qui reconnaissent la supériorité du droit international, comme la France, doivent veiller à la conformité des lois nationales avec les traités ratifiés. Lorsque survient un conflit entre une loi nationale et un traité international, les juges peuvent être amenés à trancher. En France, le Conseil d’État et la Cour de cassation ont adopté une position similaire, refusant d’appliquer les lois nationales contraires aux traités internationaux, qu’elles soient antérieures ou postérieures à ces traités. La Cour de cassation a pris cette position en 1975 dans l’arrêt de la chambre mixte concernant l’application d’une loi postérieure au Traité de Rome (arrêt Touffait, 24 mai 1975). Le Conseil d’État a suivi cette jurisprudence plus tardivement, en 1989, avec la décision Nicolo (20 octobre 1989).
- Position du Conseil constitutionnel : Contrairement aux juridictions ordinaires, le Conseil constitutionnel refuse de contrôler la conformité des lois internes aux traités internationaux. Ce principe a été affirmé dans la décision du 15 janvier 1975 concernant la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse. Dans ce cas, il avait été soutenu que la loi était contraire à la Convention européenne des droits de l’homme (ratifiée en 1974), notamment à l’article 2, qui protège le droit à la vie. Le Conseil constitutionnel a rejeté ce recours en refusant de vérifier la compatibilité des lois avec les traités internationaux.
- Arrêt de 2000 sur la supériorité des normes constitutionnelles : Par un arrêt en Assemblée plénière du 2 juin 2000, la Cour de cassation a précisé que la suprématie des engagements internationaux ne s’étend pas aux dispositions de valeur constitutionnelle dans l’ordre interne. Elle a refusé de reconnaître la supériorité de la Convention européenne des droits de l’homme ou du Pacte international relatif aux droits civils et politiques sur une loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, soulignant ainsi la prééminence des normes constitutionnelles sur le droit international dans ces situations.
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Exemples de traités internationaux : Parmi les traités internationaux ayant un impact majeur en France, on peut citer le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (adopté en 1966 et ratifié par la France en 1981), la Convention européenne des droits de l’homme (adoptée à Rome en 1950 et supervisée par la Cour européenne des droits de l’homme), et la Convention relative aux droits de l’enfant (signée en 1993). Bien que ces conventions soient théoriquement supérieures aux lois internes, leur applicabilité dépend de la manière dont elles sont interprétées par les juridictions nationales. Par exemple, la Cour de cassation considère que la Convention relative aux droits de l’enfant ne crée pas de droits directement invocables par les particuliers, alors que le Conseil d’État adopte une position plus nuancée.
3. Textes originaire de l’UE
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Primauté du droit de l’Union européenne : Le droit de l’Union européenne (anciennement « droit communautaire ») occupe une place particulière dans la hiérarchie des normes des États membres. Contrairement aux autres traités internationaux, les traités de l’UE ont instauré un ordre juridique propre, intégré aux systèmes juridiques nationaux dès leur entrée en vigueur. Ce principe de primauté a été affirmé par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans l’arrêt Costa c. ENEL du 15 juillet 1964. Le droit de l’Union est infraconstitutionnel (il ne dépasse pas les constitutions nationales) mais supralégislatif, ce qui signifie qu’il prévaut sur les lois nationales.
- Applicabilité directe des normes européennes : Les traités européens, ainsi que les textes issus des institutions de l’Union européenne, créent des normes applicables directement aux particuliers. Ceux-ci peuvent invoquer les règles européennes devant la CJUE ou les juridictions nationales. Toutefois, toutes les normes de l’UE ne sont pas identiques en termes d’autorité, ce qui nécessite de distinguer entre différents types de textes.
- Recommandations et avis : Les recommandations et avis émis par la Commission européenne n’ont pas de force contraignante. Bien qu’ils n’imposent pas d’obligations légales, ils constituent des instruments d’influence importants pour orienter les pratiques des États membres et promouvoir la mise en œuvre des politiques européennes.
- Directives de l’UE : Les directives sont des actes législatifs qui obligent les États membres à atteindre des objectifs spécifiques, sans leur imposer les moyens de mise en œuvre. Chaque État est libre de choisir la forme et les méthodes pour transposer ces directives dans son droit interne. Cependant, si un État ne transpose pas une directive dans le délai imparti, les juridictions nationales doivent interpréter le droit national à la lumière de cette directive. L’État peut également être sanctionné par la Commission européenne ou la CJUE. Les directives visent souvent à harmoniser les législations des États membres sur des sujets variés. Elles sont souvent comparées à des lois-cadres, car elles fixent des objectifs tout en laissant une marge d’adaptation aux États membres.
- Souplesse des directives : Ce mode législatif permet une certaine flexibilité dans la relation entre les normes européennes et les droits nationaux. Les directives facilitent l’adaptation progressive des législations nationales aux exigences de l’Union, tout en respectant les particularités juridiques locales.
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Règlements de l’UE : Contrairement aux directives, les règlements sont directement applicables dans tous les États membres, sans nécessiter de transposition nationale. Ils s’apparentent à des lois internes, ayant une portée générale et s’appliquant à des catégories de personnes de manière abstraite. Les règlements sont obligatoires dans leur ensemble, ce qui signifie que les États membres doivent non seulement atteindre les objectifs définis, mais aussi suivre les moyens indiqués pour y parvenir. Ils s’imposent dans les États membres sans besoin d’adaptation législative nationale. Toute loi nationale contraire à un règlement devient caduc, et toute loi adoptée ultérieurement en contradiction avec un règlement est considérée comme illégale. En France, le Conseil d’État exerce un contrôle pour vérifier la conformité des actes nationaux par rapport à ces règlements européens.
II. – Force obligatoire de la loi
La force contraignante de la loi s’exerce durant son existence, entre le moment de son entrée en vigueur et celui de son abrogation (A). Cette force n’est pas uniforme, car elle peut varier en fonction de son application (B).
A – Naissance et mort de la loi
La loi ne devient pas immédiatement applicable après son vote au Parlement. Elle entre en vigueur lorsqu’elle est promulguée et publiée (1), et cesse de s’appliquer lors de son abrogation (2).
1. – L’entrée en vigueur de la loi
L’entrée en vigueur de la loi dépend de deux conditions : promulgation et publication (a), ainsi que la détermination précise de la date d’entrée en vigueur (b).
a. Conditions de l’entrée en vigueur
L’entrée en vigueur d’une loi repose sur deux conditions essentielles : la promulgation et la publication. Ce n’est qu’une fois ces conditions remplies que la loi devient exécutoire.
- Promulgation : Pour qu’une loi adoptée par le Parlement soit applicable, elle doit être promulguée par le Président de la République, conformément à l’article 10 de la Constitution. La promulgation est l’acte par lequel le Président ordonne l’exécution de la loi à travers un décret de promulgation. Ce décret authentifie la loi et fixe sa date officielle, qui devient celle de la promulgation. Le Président dispose d’un délai de 15 jours pour promulguer la loi après sa transmission par le gouvernement. S’il refuse, deux options se présentent : le Parlement peut accepter la décision présidentielle, ou maintenir la loi, auquel cas le Président peut choisir de dissoudre le Parlement. En revanche, pour les règlements, aucune promulgation n’est nécessaire, car ils sont exécutoires dès leur signature par l’exécutif, leur nature même relevant du pouvoir exécutif.
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Publication : Conformément à l’article premier du Code civil, la loi doit être publiée pour devenir applicable. La publication est indispensable car elle permet aux citoyens de connaître les règles qui régissent leur comportement, concrétisant ainsi le principe selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi ». La publication est faite dans le Journal Officiel de la République française. Cette procédure est obligatoire pour les lois, les décrets et les traités ratifiés, mais peut être allégée pour les arrêtés, qui peuvent être diffusés par d’autres moyens jugés équivalents.
b. Date de l’entrée en vigueur
En principe, une loi entre en vigueur à Paris un jour franc après sa publication au Journal Officiel. En province, elle devient applicable un jour franc après la réception du JO en préfecture. Un jour franc est une journée complète, de minuit à minuit, excluant le jour de publication ou de réception.
Exemple : Une loi votée le 4 octobre et promulguée le 5 octobre est publiée au JO le 6 octobre. Le JO est reçu en préfecture le 7 octobre. La loi entre en vigueur à Paris le 8 octobre à 0h et en province le 9 octobre à 0h.
Dans certains cas, l’entrée en vigueur peut être retardée pour des raisons spécifiques :
- Volonté du législateur : Pour des textes complexes, comme ceux relatifs au secteur bancaire, la date d’entrée en vigueur peut être différée afin de permettre une meilleure préparation des praticiens. Le texte législatif fixe alors lui-même cette date.
- Décret d’application : Certaines lois nécessitent un décret d’application pour devenir pleinement opérationnelles. Tant que ce décret n’est pas publié, la loi reste inapplicable en pratique.
Il existe également une procédure d’urgence pour accélérer l’entrée en vigueur des lois. Une ordonnance du 18 janvier 1817 permet de hâter la publication des lois et ordonnances jugées urgentes, comme les décrets de mobilisation en temps de guerre ou certaines dispositions fiscales, afin d’éviter que des individus ne profitent du délai de publication pour contourner les nouvelles obligations.
2. L’abrogation de la loi
Bien qu’une loi soit conçue pour durer, elle n’est pas éternelle. Certaines dispositions sont toutefois temporaires, notamment dans le cadre des lois de finances annuelles, qui contiennent des mesures applicables uniquement pour l’année concernée. En dehors de ces cas, la pratique des lois temporaires reste très rare. En l’absence de terme fixé, une loi continue à s’appliquer jusqu’à ce qu’elle soit abrogée, c’est-à-dire supprimée. Seule l’autorité compétente pour la promulguer peut procéder à cette abrogation. Il existe trois formes d’abrogation :
- Abrogation expresse : Un texte nouveau indique clairement l’abrogation d’une loi précédente. Il précise généralement l’étendue de cette abrogation et les dispositions concernées.
- Abrogation tacite ou implicite : Ici, aucun texte ne mentionne explicitement l’abrogation, mais le nouveau texte est incompatible avec l’ancien. Cela peut se produire lorsque les deux lois sont en contradiction ou qu’il est impossible de les appliquer simultanément. Dans ce cas, le texte plus récent prend automatiquement le dessus, à moins qu’il ne concerne un domaine spécifique et ne déroge qu’à une règle générale.
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Abrogation par désuétude : Cette forme d’abrogation questionne la capacité d’une coutume à supplanter une loi non appliquée. Le débat porte sur le rôle de l’usage face à la loi, certains affirmant que la coutume, émanant de la volonté populaire, pourrait l’emporter. D’autres soulignent l’incertitude que cela introduirait dans le système juridique, rendant difficile l’établissement d’un droit positif clair. La doctrine fait une distinction selon le caractère de la loi :
- Si la loi est impérative (d’ordre public), l’usage ne peut la prévaloir. La jurisprudence confirme qu’il n’y a pas d’abrogation par désuétude dans ces cas : « L’usage ne saurait prévaloir sur une disposition légale présentant un caractère d’ordre public » (Civ. 1re, 19 nov. 1957).
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Si la loi est supplétive (destinée à s’appliquer en l’absence de volonté contraire des parties), un usage constant contraire à la loi pourrait, selon certains auteurs, conduire à une abrogation par désuétude. Lorsque les pratiques sont régulièrement contraires à la règle légale, la loi pourrait être considérée comme ayant perdu son autorité. Cependant, cette position divise la doctrine et n’a pas encore été tranchée de manière définitive par la jurisprudence.
B – Force variable de la loi
Une fois publiée, la loi devient obligatoire pour tous : elle s’impose universellement et nul ne peut ignorer son existence. Cependant, l’autorité de la loi n’est pas uniforme et peut varier en fonction de sa nature. Il est nécessaire de distinguer les lois impératives des lois supplétives de volonté.
- Lois impératives : Ces lois imposent des obligations ou interdisent des comportements auxquels les individus ne peuvent se soustraire. Elles s’appliquent sans possibilité d’y déroger par des accords individuels ou conventionnels. Par exemple :
- Un médecin ne peut accepter de dons de la part de ses patients.
- Tout salarié doit déclarer ses revenus au Trésor public.
- Ceux qui souhaitent se marier doivent respecter les conditions imposées par la loi.
Ces lois sont qualifiées d’impératives car elles ne peuvent être contournées par aucune clause contractuelle ou individuelle. Toute disposition contraire est déclarée non écrite (cf. article 6 du Code civil). Le domaine des lois impératives tend à s’élargir, notamment avec le développement de la notion d’ordre public, qui désigne les règles essentielles pour le bon fonctionnement de la société et que nul ne peut ignorer.
- Lois supplétives : Contrairement aux lois impératives, les lois supplétives ne s’appliquent qu’en l’absence d’une volonté contraire exprimée par les individus concernés. Si les parties n’ont pas décidé de les écarter, ces lois s’imposent. Elles sont courantes en matière contractuelle et dans d’autres domaines du Code civil, notamment en droit de la famille, qui est pourtant souvent plus proche de l’ordre public. Par exemple :
- Les époux qui se marient sans contrat de mariage sont soumis au régime de la communauté réduite aux acquêts. Cependant, ils auraient pu choisir un autre régime matrimonial, comme la séparation de biens ou la communauté universelle.
- En l’absence de testament, la succession d’une personne sera réglée par des lois supplétives. Toutefois, un individu peut choisir de faire un testament pour organiser sa succession différemment et léguer ses biens aux personnes de son choix.
Les lois supplétives de volonté n’ont un caractère obligatoire que dans la mesure où les parties concernées n’ont pas manifesté de volonté contraire. Elles sont souvent perçues comme des règles basées sur l’équité, les usages sociaux ou ce que l’on estime être la volonté non exprimée des individus. Ces lois visent à combler le silence ou l’absence d’intention exprimée par les personnes concernées, en établissant des solutions par défaut jugées raisonnables (comme en matière de succession ou de régime matrimonial).
§ 2 : LA COUTUME
Historiquement, la coutume est apparue avant la loi écrite. Sous l’Ancien Régime, elle constituait la source principale du droit. Cependant, avec la Révolution française et la centralisation politique, administrative et judiciaire qui l’accompagna, la coutume a progressivement perdu de son importance au profit d’une législation écrite.
La codification napoléonienne a également contribué à cette marginalisation. Aujourd’hui, bien que sa place soit restreinte, la coutume conserve une certaine importance en droit des affaires et joue un rôle majeur en droit du commerce international (lex mercatoria). Pour comprendre son rôle, il convient de définir ce qu’est la coutume (I) avant d’examiner sa fonction (II).
I. – Notion de coutume
La coutume se définit comme une pratique récurrente dans la vie juridique, qui, par sa répétition, acquiert un caractère normatif et devient une règle de droit. Elle repose sur deux éléments essentiels : un élément matériel et un élément psychologique.
- Élément matériel : La coutume se manifeste par des usages anciens, constants, notoires et généraux :
- Ancienneté : L’usage doit résulter d’une série d’actes similaires étalés sur une longue période. Ce critère, bien que général, est particulièrement pertinent dans des domaines comme le droit des affaires.
- Constance : Les comportements doivent être relativement similaires dans leur répétition.
- Notoriété : L’usage doit être connu et reconnu par les membres du groupe auquel il s’applique.
- Généralité : L’usage doit s’appliquer de manière uniforme à l’ensemble du groupe concerné. Un usage suivi de manière habituelle est une condition sine qua non pour qu’il acquière un caractère normatif.
- Élément psychologique : La coutume repose aussi sur la conviction collective que cet usage est obligatoire. Il ne s’agit pas simplement d’une pratique, mais d’un comportement perçu comme juridiquement contraignant par le groupe social. Cette perception confère à l’usage le statut de règle de droit sans intervention législative. La coutume émane ainsi directement de la volonté populaire, sans passer par des représentants politiques ou des institutions officielles.
La coutume se distingue de la loi par son mode de formation, qui est progressif et non délibéré. Cette lente création permet une adaptation naturelle de la règle aux besoins moraux, économiques et sociaux du groupe concerné. En raison de cette flexibilité, la coutume reste particulièrement vivante dans des domaines évolutifs comme le droit des affaires. Cependant, son absence de formalisation en fait une règle souvent imprécise, difficile à cerner et sujette à une évolution constante, ce qui la rend parfois difficile à appliquer ou à définir avec précision.
En outre, l’absence de rédaction peut poser des problèmes de preuve devant le juge. Il est nécessaire de distinguer entre les coutumes générales et les coutumes locales ou professionnelles :
- Pour les coutumes générales, telles que les maximes coutumières ou les usages commerciaux, le juge est censé les connaître et les appliquer d’office. Dans ce cas, il n’est pas nécessaire pour la partie invoquant la coutume de prouver son existence.
- Pour les usages locaux ou professionnels, le juge peut ne pas être informé de la coutume. Celui qui souhaite en bénéficier doit alors prouver son existence. Cette preuve peut être apportée par divers moyens, tels que des témoignages, des expertises ou des parères (certificats délivrés par les Chambres de commerce attestant de l’existence d’un usage professionnel). Le juge a une marge d’appréciation souveraine pour déterminer l’existence et l’application de la coutume.
Il est de principe que la violation d’une coutume ne peut pas, en général, donner lieu à cassation, sauf si le législateur a explicitement intégré cette coutume dans la loi ou s’il s’agit d’une coutume générale. Ce non-contrôle par la Cour de cassation s’explique par sa fonction d’unification du droit et la difficulté de traiter la grande diversité des usages locaux et sectoriels.
II. – Fonction de la coutume
La fonction principale de la coutume est de permettre une adaptation rapide et spontanée du droit aux besoins économiques et sociaux d’un groupe donné, comme une profession ou le commerce. La coutume reflète ainsi les convictions sociales, garantissant une meilleure effectivité du droit en phase avec les évolutions de la société.
Trois principales hypothèses d’application de la coutume peuvent être identifiées :
- Coutume « secundum legem » : La loi renvoie directement à la coutume pour compléter ses dispositions.
- Exemple : L’article 671 du Code civil fait référence aux usages locaux pour déterminer la distance à laquelle des plantations peuvent être établies par rapport à une limite de propriété. La loi ne fixe elle-même la distance qu’en l’absence d’usage local ou de règlement spécifique.
- Exemple : L’article 1135 du Code civil stipule que les conventions obligent non seulement à ce qui est exprimé, mais aussi à ce que l’usage, l’équité ou la loi ajoutent naturellement à l’obligation, selon sa nature.
- Coutume « praeter legem » : La coutume sert à combler les lacunes de la loi lorsqu’elle n’aborde pas certains points.
- Exemple : La coutume selon laquelle une femme mariée porte le nom de son mari n’était pas explicitement prévue par le Code civil, mais elle a été implicitement consacrée par l’usage et acceptée juridiquement en 1893. De même, la coutume qui veut qu’un enfant légitime prenne le nom de son père n’est inscrite dans aucun texte mais est reconnue par la pratique.
- Coutume « contra legem » : La coutume peut parfois être contradictoire avec la loi. Dans ces cas, la coutume peut s’imposer malgré une disposition légale contraire, principalement dans des secteurs professionnels spécifiques.
- Exemple : En droit commercial, la solidarité entre débiteurs est admise par coutume, bien que l’article 1202 du Code civil stipule que la solidarité ne se présume pas et doit être expressément stipulée. De même, l’obligation de mettre en demeure un débiteur avant d’agir, imposée par l’article 1145, ne s’applique pas en droit commercial, où la coutume prévaut.
Adages coutumiers et maximes juridiques
Certaines maximes d’origine coutumière, appelées adages, ont été consacrées par la jurisprudence et sont aujourd’hui reconnues comme ayant valeur de droit. Bien qu’elles ne soient inscrites dans aucun texte légal, elles continuent d’influencer le système juridique, notamment en droit civil et commercial. Parmi les plus célèbres, on trouve :
- « Accessorium sequitur principale » : L’accessoire suit le principal.
- « Affectio societatis » : L’intention de s’associer, fondamentale pour la formation de sociétés.
- « Actor incumbit probatio » : La preuve incombe au demandeur.
- « Infans conceptus pro natur habetur quoties de commodis ejus agitur » : L’enfant conçu est considéré comme né lorsqu’il s’agit de ses intérêts.
- « Nulla poena sine lege » : Il ne peut y avoir de peine sans loi.
- « Pater is est quem justae nuptiae demonstrant » : Est présumé père le mari de la mère.
- « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans » : Nul ne peut invoquer sa propre turpitude en justice.
- « Nemo censetur ignorare legem » : Nul n’est censé ignorer la loi.
- « Error communis facit jus » : L’erreur commune fait le droit.
Ces adages, bien que non écrits dans des textes légaux, sont reconnus par les tribunaux et appliqués comme des règles de droit. Ils ne sont pas des créations jurisprudentielles à proprement parler, mais des règles d’origine coutumière ayant acquis une force normative avec le temps.
Section II : LES SOURCES D’INTERPRETATION DU DROIT
Le législateur, aussi prévoyant soit-il, ne peut anticiper toutes les situations et les difficultés qui surgiront de l’application des textes qu’il édicte. Un exemple marquant de cette impossibilité est l’effort des rédacteurs du Code civil allemand de 1900, qui ont tenté de dresser un inventaire exhaustif des solutions à envisager, mais cet exercice s’est avéré inefficace. Cette leçon a influencé la conception des autres codes européens, dont le Code civil français, dont les rédacteurs ont choisi de poser des principes généraux, laissant une marge d’interprétation.
L’interprétation de la loi devient alors une nécessité. Il en est de même pour la coutume, dont l’imprécision et l’évolution permanente nécessitent une interprétation encore plus active pour garantir son application efficace.
Quand un juriste applique une règle claire à une situation envisagée par le législateur, il n’exerce aucun rôle créateur. En revanche, dès qu’il doit adapter un texte à un cas non prévu ou clarifier une règle imprécise ou incomplète, son rôle devient créateur. Ce pouvoir d’interprétation revient principalement à la jurisprudence et à la doctrine, qui sont alors des sources indirectes de droit.
§ 1 : LA JURISPRUDENCE
Le terme jurisprudence revêt deux sens distincts. Dans un sens large, il désigne l’ensemble des décisions rendues par les tribunaux. Dans un sens plus restreint, il fait référence à la capacité des juges à créer du droit par l’interprétation des règles juridiques, telle qu’elle est acceptée par les juridictions.
Le rôle du pouvoir judiciaire est d’appliquer la loi, mais il arrive que la loi ne prévoit pas explicitement le cas soumis au juge. Cela peut être dû à l’absence de prévision du législateur ou à l’apparition de problèmes nouveaux qu’il n’a pas anticipés. Dans ce contexte, le juge est amené à faire évoluer le droit, en comblant les lacunes laissées par un texte rigide et en adaptant la loi à la réalité contemporaine. De plus, certaines lois sont rédigées de manière ambigüe, et le juge doit en déterminer le sens par une interprétation.
Pour accomplir cette tâche, le juge a recours à diverses méthodes d’interprétation. Ces méthodes seront examinées dans un premier temps (I), suivies d’une analyse des résultats de cette interprétation (II).
I. – LES METHODES D’INTERPRETATION
Les juges disposent de plusieurs méthodes pour interpréter les lois et résoudre les cas non explicitement prévus :
- Interprétation littérale (ou exégétique) : Elle consiste à appliquer le texte de manière stricte en respectant la lettre de la loi. Le juge cherche à comprendre le sens exact des mots utilisés par le législateur, sans chercher à aller au-delà de ce qui est écrit.
- Interprétation téléologique : Le juge cherche à comprendre l’intention du législateur en analysant les objectifs poursuivis par la loi. Cette méthode permet d’adapter la règle à des situations imprévues en se basant sur le but initialement visé par la loi.
- Interprétation systématique : Ici, le juge replace la loi dans son contexte global, en la comparant avec d’autres dispositions législatives. Cette méthode permet d’assurer une cohérence d’ensemble dans le système juridique et d’éviter les contradictions entre textes.
- Interprétation évolutive : Cette méthode permet au juge de faire évoluer le sens d’une loi pour l’adapter aux nouvelles réalités sociales ou économiques. Cela permet de maintenir l’application d’un texte malgré le passage du temps et l’évolution des mœurs.
A – LA MÉTHODE EXEGETIQUE
B – LES METHODES MODERNES
Les méthodes modernes d’interprétation du droit ont été développées pour adapter la loi aux réalités contemporaines et aux besoins sociaux. Ces approches permettent de dépasser les limites d’une interprétation littérale ou rigide des textes législatifs.
1) La méthode téléologique
La méthode téléologique se fonde sur la recherche de la finalité de la règle de droit ou de son but social. Il s’agit de comprendre l’intention qui a guidé le législateur lors de la rédaction de la loi. Si la lettre de la loi entre en conflit avec son esprit, cette méthode propose de privilégier l’esprit pour mieux atteindre les objectifs visés par la règle. Autrement dit, il ne s’agit pas de se limiter à une lecture rigide des mots, mais de faire prévaloir l’intention profonde derrière le texte législatif.
Exemple : Lorsqu’une règle semble injuste ou inadaptée en raison de l’évolution sociale ou technique, cette méthode permet de corriger l’application en respectant le but que la loi cherchait à atteindre.
2) La méthode historique ou évolutive
Cette méthode consiste à interpréter le texte à la lumière des nécessités sociales actuelles, en imaginant ce que le législateur aurait fait s’il devait légiférer aujourd’hui. Plutôt que de rester fixé sur l’intention originelle des auteurs du texte, elle permet au juge de réinterpréter la loi selon le contexte actuel.
L’évolution des mœurs, des normes sociales ou des technologies peuvent ainsi justifier que le même texte prenne un sens différent au fil du temps. Cette méthode conduit donc à donner une application dynamique aux textes, permettant leur adaptation à des circonstances nouvelles qui n’existaient pas lors de leur adoption.
Exemple : Un texte de 1804 peut être interprété différemment en 2024 en fonction des transformations sociales et des nouveaux enjeux qui ont émergé entre-temps.
3) La méthode de la libre recherche scientifique
Proposée par le doyen François Gény, cette méthode critique la méthode exégétique qui tentait d’appliquer strictement les textes du Code civil sans tenir compte de leur vieillissement. Gény considère qu’à partir d’un certain point, les autres méthodes rationnelles d’interprétation atteignent leurs limites, car le législateur n’a pas prévu tous les problèmes. Lorsque les textes ne permettent plus de résoudre un problème, il ne sert à rien de forcer leur interprétation.
Cette méthode accorde à l’interprète (le juge) le pouvoir d’élaborer une solution comme s’il était législateur, en s’appuyant sur diverses données : historiques, utilitaires, sociales, voire sentimentales. Elle invite à une approche créative, basée sur les besoins réels de la société, plutôt qu’une fidélité stricte à la lettre de la loi.
Gény, dans son ouvrage « Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif » (1899), affirme que le droit doit être une chose vivante, en lutte pour une adaptation constante aux exigences de la vie sociale. L’interprète doit faire appel à la rationalité, mais aussi à des considérations pratiques et sociales. La loi, selon cette approche, n’est pas figée, mais évolue pour répondre aux exigences collectives.
Dans la préface de cet ouvrage, Raymond Saleilles renforce cette idée en affirmant que le droit est une science sociale par excellence, visant à répondre aux besoins de la société pour laquelle il est conçu. Le droit doit s’adapter à la vie en collectivité, en offrant des solutions aux exigences pratiques et en intégrant les réalités sociales dans sa mise en œuvre.
En somme, la libre recherche scientifique donne au juge une marge de manœuvre importante pour créer des solutions là où la loi n’est plus applicable ou insuffisante, faisant du droit un instrument souple et adaptable.
C – LES PROCEDES TECHNIQUES D’INTERPRETATION
1) Les procédés logiques d’interprétation
Lorsqu’un texte de loi n’apporte pas de solution explicite à un problème donné, le juge peut utiliser des procédés logiques pour en déduire la règle à appliquer. Parmi ces procédés, trois sont particulièrement utilisés : le raisonnement par analogie, le raisonnement a fortiori, et le raisonnement a contrario.
1. Le raisonnement par analogie (ou raisonnement a pari)
Le raisonnement par analogie consiste à étendre à un cas non prévu la solution adoptée pour un cas similaire, en se fondant sur la similitude des raisons d’être entre les deux situations (la ratio legis). L’idée est que, lorsque deux situations présentent des caractéristiques semblables, la règle appliquée à l’une peut également être appliquée à l’autre.
Exemple : L’article 270 du Code civil, qui prévoit une prestation compensatoire en cas de divorce, a été appliqué par analogie aux situations d’annulation de mariage, bien que l’article concerne spécifiquement le divorce. Comme ces deux situations sont proches (elles entraînent toutes deux la fin du mariage), la règle applicable au divorce a été étendue à l’annulation du mariage.
2. Le raisonnement a fortiori
Le raisonnement a fortiori applique une solution prévue par la loi dans un cas donné à une autre situation non mentionnée, mais pour laquelle les motifs de la solution sont encore plus forts ou plus évidents. Ce raisonnement repose sur l’idée que « qui peut le plus, peut le moins ». Autrement dit, si une règle s’applique dans un cas difficile ou grave, elle s’applique a fortiori à un cas moins grave ou plus évident.
Exemple : Si une personne est responsable de la commission d’une faute légère, elle sera, à plus forte raison, responsable si elle a commis une faute lourde. Le raisonnement a fortiori conduit à appliquer la règle de responsabilité prévue pour la faute légère à la faute lourde, car cette dernière présente un degré de gravité supérieur.
3. Le raisonnement a contrario
Le raisonnement a contrario consiste à adopter une solution inverse de celle prévue par la loi dans un cas donné, lorsque les conditions pour l’application de cette loi ne sont pas remplies. Ce procédé repose sur l’idée que, lorsqu’une règle énonce expressément une solution dans un cas précis, il est possible d’en déduire implicitement qu’une solution opposée doit s’appliquer si les conditions prévues par la loi ne sont pas présentes.
Exemple : L’article 6 du Code civil interdit de déroger aux lois d’ordre public par des conventions particulières. Par raisonnement a contrario, on en déduit qu’il est permis de déroger aux lois supplétives, c’est-à-dire celles qui ne sont pas d’ordre public, par des accords contractuels entre les parties.
Autre exemple : L’article 322 du Code civil dispose qu’on ne peut contester l’état civil d’une personne si elle a une possession d’état conforme à son titre de naissance. Par application de la méthode a contrario, la jurisprudence en a déduit que, en l’absence de cette possession conforme, la contestation de la paternité ou de la maternité est recevable (Civ. 1re, 27 févr. 1985).
2) Les maximes d’interprétation
Quatre maximes d’interprétation juridique peuvent être mises en avant :
- Les exceptions sont d’interprétation stricte (exceptio est strictissimae interpretationis). Cette règle impose que les exceptions prévues par la loi soient limitées à leur sens littéral, sans qu’il soit possible de les étendre au-delà de ce que le texte énonce expressément. En particulier dans le domaine du droit pénal, cette rigueur est primordiale. Toute interprétation élargie des exceptions, sans fondement textuel clair, est strictement prohibée. De plus, aucun interprète ne peut créer des exceptions non prévues par la loi, sous peine de dénaturer l’esprit même du texte législatif.
- Il est interdit de distinguer là où la loi ne distingue pas (Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus). Cette maxime repose sur le principe que l’application d’une loi formulée de manière générale ne doit pas être restreinte ou modifiée par l’interprète. Tant que le législateur n’a pas expressément prévu de distinctions dans la loi, il est interdit de les introduire par une interprétation subjective. Ce principe permet d’assurer une certaine uniformité dans l’application des textes, garantissant ainsi l’égalité des justiciables face à la loi.
- Les dispositions spéciales dérogent aux dispositions générales (specialia generalibus derogant). Lorsqu’une situation peut être régie à la fois par une règle générale et une règle spéciale, c’est la règle spéciale qui prime. Elle s’impose comme une exception à la règle générale, car elle a vocation à régir spécifiquement une situation particulière. Ce principe permet d’éviter les contradictions et de donner un cadre plus adapté aux situations spécifiques.
-
La loi cesse là où cessent les motifs (cessante ratione legis, cessat ejus dispositio). Cette règle implique que lorsque les fondements ou les raisons d’une loi disparaissent, son application doit également cesser, même si le texte, pris littéralement, pourrait continuer à s’appliquer. Par exemple, une situation qui semble entrer dans le champ d’application d’une loi mais qui ne correspond plus à son esprit ne doit pas être régie par cette dernière. C’est cette maxime qui permet, par exemple, de limiter l’application formelle des règles lorsqu’un contrat synallagmatique est confié à un tiers. Lorsque les circonstances qui justifiaient initialement une disposition légale ne sont plus présentes, la loi doit alors s’adapter, pour éviter des applications excessivement rigides et déconnectées de la réalité.
II. – LE PRODUIT DE L’INTERPRÉTATION DU DROIT
L’ensemble des juridictions produit un nombre considérable de décisions qui expriment, au cas par cas, l’interprétation de la règle de droit. Petit à petit, la règle de droit de droit va se dégager.
On appelle alors jurisprudence, l’ensemble des décisions de justice rendues pendant une certaine période soit dans une matière (jurisprudence immobilière), soit dans une branche du droit (jurisprudence civile, fiscale), soit dans l’ensemble du Droit » (Vocabulaire juridique, Association H. Capitant). On parlera alors d’une jurisprudence en désignant le sens donné par les juges à propos d’une règle de droit déterminée, « la façon dont telle ou telle difficulté juridique est habituellement tranchée par les juridictions » (E.L. Bach).
Or, la jurisprudence est le produit d’un paradoxe. En effet, le principe de la séparation des pouvoirs se traduit, en premier lieu, par une interdiction faite aux juges de s’ériger en législateur. Ils sont soumis à la loi et doivent se contenter de l’appliquer.
Les articles et 5 sont la traduction de ces deux impératifs : l’interdiction d’édicter des arrêts de règlement, c’est à dire de créer la loi (A) et l’obligation d’appliquer la loi (B). Pourtant, l’application combinée de ces deux obligations n’est pas susciter un certain paradoxe à partir duquel, force est de reconnaître que le juge est nécessairement un « législateur supplétif et exceptionnel » (C). Nous ne pourrons que le constater au travers de quelques exemples jurisprudentiels (D).
A – L’interdiction de créer la loi
L’article 5 du Code civil affirme explicitement que « les juges ne peuvent prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ». En d’autres termes, le juge ne peut se substituer au législateur pour créer de nouvelles règles de droit. Sa fonction est limitée à l’application stricte des lois établies par le pouvoir législatif, ce qui garantit la séparation des pouvoirs et la primauté des normes établies.
Cette règle trouve son origine dans l’histoire du droit français.
- Sous l’Ancien Régime, les Parlements (cours de justice d’antan, exerçant en partie des fonctions législatives et judiciaires), rendus autonomes sous le règne du Roi, ont progressivement outrepassé leur rôle judiciaire. Ils édictaient des arrêts de règlement, qui avaient une portée législative dans leur ressort territorial. Bien que ces arrêts n’aient pas officiellement modifié les lois en vigueur, ils ont néanmoins posé des règles générales pour l’avenir, devenant ainsi une forme de législation parallèle. Ce processus plaçait les Parlements dans une position où ils cumulaient des fonctions législatives tout en étant censés ne rendre que la justice.
- Les révolutionnaires ont voulu mettre fin à cette dérive. Inspirés par les théories de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs, ils craignaient que le pouvoir judiciaire ne s’oppose aux réformes législatives en cours, comme les Parlements l’avaient fait à plusieurs reprises sous l’Ancien Régime. En réaction, les réformes révolutionnaires, notamment la loi des 16 et 24 août 1790, ont explicitement interdit toute ingérence du judiciaire dans le domaine législatif. Cette loi stipule que « les tribunaux ne peuvent prendre aucune part, directement ou indirectement, à l’exercice du pouvoir législatif » et que toute tentative de le faire serait passible de forfaiture. Ainsi, la réforme de 1790 visait à renforcer l’indépendance des pouvoirs, limitant strictement le rôle des juges à l’application des lois existantes. Cet esprit est repris dans l’article 5 du Code civil, qui demeure aujourd’hui une barrière à l’intervention du juge dans le champ législatif.
Pour éviter que les juges ne réintroduisent, de manière détournée, des règles législatives par le biais de leurs décisions, les réformes révolutionnaires avaient instauré le référé législatif. Si un texte de loi était ambigu ou incomplet, le juge devait solliciter le législateur pour une interprétation ou une modification. Cependant, cette procédure n’a pas perduré en raison de ses lenteurs et de son inefficacité dans la pratique judiciaire quotidienne.
Aujourd’hui encore, les juges sont tenus de ne résoudre que le litige spécifique qui leur est soumis, sans promulguer de règles d’application générale. Ce principe est également renforcé par l’article 1351 du Code civil, qui établit que l’autorité de la chose jugée se limite aux parties concernées par le litige et ne s’étend pas au-delà. Concrètement, cela signifie que la décision d’un juge ne fait autorité que sur le cas particulier et pour les personnes impliquées. Les motifs développés par le juge pour justifier sa décision, bien qu’éclairants sur son raisonnement, n’ont pas force de loi générale.
Par conséquent, une décision judiciaire ne peut prendre la forme d’une disposition générale. Par exemple, dans un arrêt de la Chambre commerciale du 13 janvier 1971, la Cour a censuré une décision interdisant à une société d’édition de faire la publicité de tous les produits pharmaceutiques de la Chambre syndicale des fabricants, au-delà du seul produit concerné par le litige. De même, dans un arrêt de la Première Chambre civile du 22 octobre 1957, la Cour a annulé un règlement de procédure édicté par un tribunal relatif au recouvrement simplifié des petites créances commerciales. Ces exemples illustrent bien l’interdiction pour les juges de se substituer au pouvoir réglementaire.
Ainsi, le rôle des juges reste strictement limité à l’interprétation et à l’application des textes législatifs, sans possibilité de créer des normes générales ou de modifier les lois en vigueur, conformément à la séparation des pouvoirs et à l’autorité de la chose jugée.
B – L’obligation d’appliquer la loi
- Cette obligation provient de l’article 4 du Code civil :
L’article 4 impose un devoir aux juge, cet article enonce que « le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ». Le déni de justice est lourdement sanctionné par l’article 434-7-1 du Code pénal, renforçant ainsi l’obligation pour les juges de statuer même en cas d’ambiguïté législative. En d’autres termes, le juge ne peut se dérober à son devoir, même lorsque les lois sont imprécises ou incomplètes.
Dans le système juridique moderne, l’exécution des lois ne dépend plus de l’enregistrement ou du consentement des anciens Parlements, une pratique qui existait sous l’Ancien Régime. Désormais, selon l’article 1 du Code civil, « les lois sont exécutoires dans tout le territoire français en vertu de la promulgation faite par le Président de la République ». Cette règle garantit une application uniforme des lois à travers la France, sans que les juges puissent s’y opposer. Ainsi, dès qu’une loi est promulguée, elle devient immédiatement exécutoire, et aucun tribunal ne peut refuser de l’appliquer, quels que soient les jugements que les juges puissent porter sur son équité ou sa pertinence.
Les juges sont donc tenus à une application stricte de la législation, même si celle-ci peut sembler injuste ou inappropriée dans certains cas. Un exemple emblématique de cette obligation est l’arrêt de la Chambre commerciale du 30 mai 1967. La Cour de cassation a annulé une décision de la cour d’appel qui avait refusé d’appliquer un texte sur les baux commerciaux, sous prétexte de désaccord avec son contenu. La Cour de cassation a fermement rappelé que la critique du texte par les juges est incompatible avec leur fonction, en précisant : « de telles énonciations comportent une critique de ce texte que le juge avait seulement la charge d’appliquer ». Cette affaire souligne clairement la nécessité pour les juges de se limiter à leur rôle d’application des lois, sans interférer dans les domaines réservés au législateur.
- L’interprétation et l’application des lois
Lorsque la loi est claire, le juge ne peut pas l’interpréter, mais doit l’appliquer de manière stricte et sans déviation. Cela découle du principe selon lequel la séparation des pouvoirs interdit au juge de modifier ou de questionner le contenu d’une loi bien définie. Un arrêt célèbre du tribunal de la Seine du 24 avril 1952 illustre cette règle. Ce tribunal a été confronté à un texte, apparemment absurde, qui interdisait aux voyageurs de monter ou descendre d’un train « lorsque le train est complètement arrêté ». Bien que le texte soit grammaticalement clair, le tribunal a ajouté : « Toute recherche de la volonté du législateur par voie d’interprétation est interdite au juge lorsque le sens de la loi, tel qu’il résulte de sa rédaction, n’est ni obscur ni ambigu ». Ce principe signifie que, sauf en cas d’absurdité manifeste, le juge doit se conformer strictement à la lettre de la loi.
Cependant, si l’application d’une loi littérale conduit à un résultat totalement déraisonnable, les juges peuvent parfois se sentir contraints de recourir à une interprétation minimale pour éviter une absurdité flagrante. Cela se produit rarement, car la priorité reste de respecter la volonté exprimée par le texte législatif.
- Le rôle du juge face à l’insuffisance de la loi
Lorsque la loi est silencieuse ou insuffisante, le juge ne peut se soustraire à sa mission sous ce prétexte. L’article 4 du Code civil l’oblige à juger, et le fait de ne pas statuer sous couvert d’incertitude serait considéré comme un déni de justice. Dans ces situations, le juge se tourne souvent vers les décisions rendues par d’autres tribunaux confrontés à des cas similaires. Ce mécanisme de recherche d’une jurisprudence pertinente permet de trouver des solutions dans un cadre où la loi ne s’exprime pas clairement. Cela conduit les juges à jouer un rôle de législateur supplétif, en comblant les lacunes du droit par des décisions cohérentes.
Toutefois, ce pouvoir interprétatif ne signifie pas que le juge crée des règles générales, comme le ferait un législateur au sens strict. Il s’agit plutôt de construire une cohérence dans l’application des textes existants. Ainsi, le juge contribue à l’élaboration d’une jurisprudence stable, qui éclaire l’application des lois sans pour autant en créer de nouvelles. Cette dynamique permet d’éviter une paralysie de la justice en cas de silence législatif et garantit une continuité dans l’application du droit, tout en respectant la séparation stricte des pouvoirs.
Le cadre général est donc clair : les juges sont liés par l’obligation de statuer, même dans les situations d’incertitude, et ils doivent s’efforcer de respecter les lois telles qu’elles sont promulguées. Le refus d’appliquer une loi, ou toute tentative d’en modifier le sens à travers l’interprétation, est strictement prohibé, sauf en cas d’absurdité manifeste dans l’application du texte.
C – Le juge, législateur supplétif ?
Le juge apparaît non seulement comme interprète du droit mais aussi, dans une certaine mesure, comme un créateur de règles, comblant les lacunes législatives et adaptant les textes aux réalités contemporaines. Cette fonction créatrice est cependant modérée par la réticence des juges à remettre en cause systématiquement des interprétations établies.
- Motivation des arrêts et formation d’une jurisprudence : Sous l’Ancien Régime, les Parlements n’étaient pas tenus de motiver leurs décisions, ce qui a empêché l’émergence d’une jurisprudence structurée. Les préoccupations politiques prenaient souvent le pas sur les enjeux purement juridiques. Ce n’est qu’avec la Révolution française que les juges ont été obligés de justifier leurs décisions afin d’assurer le contrôle de la légalité et la protection des droits individuels. Cette obligation a paradoxalement donné au juge un rôle plus influent dans l’interprétation des lois, affaiblissant l’esprit strictement légaliste.
- Le rôle du juge dans l’évolution du droit : Face à une règle floue ou ambiguë, le juge doit motiver sa décision en se référant à des précédents. En suivant des décisions similaires, une jurisprudence se forme, créant ainsi une norme implicite. Dès lors, la motivation du juge, bien que fondée sur le cas particulier, tend à générer des règles générales. Pour éviter cela, il faudrait que les juges statuent arbitrairement, mais le système juridique leur impose de justifier leurs décisions sur des bases rationnelles et cohérentes. Cela conduit à la création de règles jurisprudentielles, une forme indirecte de législation.
- Le juge, « législateur des cas particuliers » : Malgré l’idée que le rôle du juge devrait se limiter à résoudre des affaires individuelles, il est admis que ses décisions peuvent avoir une portée plus large. Cette tendance est particulièrement manifeste dans les affaires sensibles où le législateur hésite à intervenir, notamment en bioéthique. Le pouvoir politique, par réticence ou manque de préparation, reporte souvent la législation, laissant au juge la responsabilité de trancher sur des questions cruciales. Par exemple, en matière de progrès scientifiques rapides, comme les technologies médicales, le législateur peut craindre de voir ses décisions rapidement devenir obsolètes, mais l’absence de loi ne peut empêcher les tribunaux de se prononcer.
- Transfert de responsabilité politique vers le judiciaire : En France, l’exemple classique de ce phénomène est l’arrêt Desmares (1982), qui a provoqué une forte réaction dans le domaine de l’indemnisation des victimes d’accidents. L’absence de législation claire a poussé les juges à adopter des positions audacieuses, parfois qualifiées d’ »arbitraires » par certains juristes, comme P. Conte. L’ironie réside dans le fait que ce vide législatif force les tribunaux à combler le manque par des décisions qui peuvent avoir des conséquences lourdes pour les individus concernés, et ce jusqu’à ce qu’une loi vienne encadrer la situation.
- L’indépendance jurisprudentielle et les revirements de jurisprudence : En droit français, les décisions de justice ne lient pas automatiquement les tribunaux dans les affaires ultérieures, contrairement au système de common law anglo-saxon où le précédent judiciaire a une valeur contraignante. En France, la jurisprudence peut évoluer, et les juges peuvent revenir sur leurs interprétations passées, ce qui se traduit par des revirements de jurisprudence. La Cour de cassation peut ainsi adopter une nouvelle interprétation d’un même texte, entraînant un changement radical de la norme, comme cela a été le cas avec l’article 1315 du Code civil relatif à la charge de la preuve en matière médicale. Toutefois, bien que de tels revirements soient rares, ils permettent au droit de rester dynamique et de s’adapter aux évolutions sociales.
- La jurisprudence comme source indirecte de droit : La force de la jurisprudence repose sur un consensus implicite au sein de la communauté juridique. Comme l’explique Jestaz, la reconnaissance de la jurisprudence comme une règle obligatoire découle d’une acceptation généralisée, similaire à celle qui fonde la coutume. Les enseignants en droit transmettent la jurisprudence comme une source légitime, et les avocats plaident en s’appuyant sur elle. Cette force normative découle donc davantage d’un consensus social que d’une reconnaissance officielle. En effet, la Cour de cassation protège la jurisprudence de manière indirecte : bien qu’un pourvoi ne puisse être fondé sur la violation d’une jurisprudence, une décision contraire à une interprétation stable sera souvent cassée pour violation de la loi, en raison de la jurisprudence en vigueur.
- Le juge, créateur de droit par interprétation : L’interprétation de la loi par les juges va souvent bien au-delà de la simple application du texte, la jurisprudence devenant alors créatrice de droit. Pourtant, cette fonction créatrice n’est pas toujours reconnue comme telle. Un revirement de jurisprudence est supposé redonner à un texte son véritable sens, même si, en réalité, cela implique une modification rétroactive de l’interprétation du droit. Ce phénomène présente des inconvénients, car les changements jurisprudentiels affectent les affaires en cours et peuvent remettre en cause des droits établis.
-
Consensus et stabilité jurisprudentielle : La stabilité du droit repose en grande partie sur l’acceptation collective des décisions judiciaires. Si la jurisprudence s’impose, c’est avant tout parce qu’elle est intégrée dans l’enseignement, la pratique et la culture juridique. Malgré les changements occasionnels, la jurisprudence tend à rester stable, assurant ainsi une continuité essentielle dans l’application des règles de droit. Ce consensus garantit que, bien qu’elle soit moins rigide qu’une loi écrite, la jurisprudence joue un rôle fondamental dans l’ordre juridique.
§ 2 : LA DOCTRINE
La doctrine juridique désigne l’ensemble des travaux écrits qui se consacrent à l’analyse et à l’interprétation du droit, rédigés par des experts en la matière, tels que des universitaires (professeurs de droit) et des praticiens (avocats, magistrats, notaires). Nous verrons les modes d’expression de la doctrine (I), puis nous en envisagerons la fonction (II).
I. – Les modes d’expression de la doctrine
La doctrine juridique désigne l’ensemble des travaux écrits qui se consacrent à l’analyse et à l’interprétation du droit, rédigés par des experts en la matière, tels que des universitaires (professeurs de droit) et des praticiens (avocats, magistrats, notaires). Ces contributions se présentent sous des formes variées, reflétant la richesse et la diversité des analyses doctrinales. On distingue plusieurs types d’écrits :
- Ouvrages généraux : Ils couvrent des branches complètes du droit, comme le droit civil, le droit commercial, ou le droit pénal. On y trouve des répertoires, qui proposent une présentation thématique et pratique de la matière, souvent utilisée par les praticiens. Les traités, quant à eux, offrent une analyse approfondie et systématique d’une branche du droit, avec une approche plus dogmatique et théorique. Enfin, les manuels et précis sont rédigés dans un souci pédagogique, cherchant à simplifier les concepts pour les rendre accessibles, en particulier aux étudiants.
- Ouvrages spécialisés : Ces travaux se concentrent sur des sujets spécifiques et restreints. Ils incluent des thèses de doctorat, qui approfondissent des problématiques théoriques, et des monographies, souvent à finalité pratique, destinées aux professionnels du droit pour résoudre des questions précises.
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Écrits ponctuels : Sous forme d’articles, d’études ou de chroniques, ces écrits abordent des questions d’actualité juridique ou jurisprudentielle. Ils analysent les évolutions récentes de la législation ou de la jurisprudence, en offrant des commentaires sur des décisions de justice importantes. Les notes de jurisprudence et les consultations sont des exemples de ces interventions ponctuelles, souvent plus brèves, mais tout aussi influentes.
II. – Fonctions de la doctrine
La doctrine contribue non seulement à la compréhension du droit, mais aussi à sa création et à son adaptation aux exigences de la société.
- Rôle pédagogique de la doctrine : Comme l’explique Philippe Jestaz, la doctrine rend le droit accessible en interprétant et en expliquant les textes juridiques. Pour un non-juriste, la lecture du Code civil peut sembler incompréhensible, tant elle nécessite une connaissance approfondie du droit et de ses mécanismes. La doctrine intervient pour clarifier ces textes, les relier aux réalités sociales et aux autres règles juridiques, et en offrir une vision plus globale et intelligible. En cela, elle joue un rôle crucial de médiation intellectuelle, permettant aux professionnels comme aux étudiants de comprendre et d’appliquer le droit de manière cohérente. Elle systématise le droit, en édifiant un ensemble explicatif qui permet de rendre les normes plus lisibles et fonctionnelles.
- Force critique et de proposition : La doctrine ne se limite pas à l’interprétation des textes en vigueur (de lege lata) ; elle se penche également sur ce que le droit devrait être (de lege ferenda). Les juristes ont pour mission d’analyser les règles existantes, d’en relever les insuffisances, et de suggérer des réformes pour adapter le droit aux évolutions sociales, économiques ou techniques. En s’appuyant sur l’histoire et le droit comparé, la doctrine propose des règles nouvelles qui visent à améliorer la justice et à répondre aux besoins contemporains. Ce rôle de force de proposition fait de la doctrine un acteur essentiel dans l’évolution et la transformation des systèmes juridiques.
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Influence sur le législateur et les juges : La doctrine exerce une influence directe sur l’élaboration des lois. Les projets de loi sont souvent rédigés avec l’aide de professeurs de droit et de praticiens, dont l’expertise éclaire le processus législatif. L’exemple du Doyen Jean Carbonnier, qui a joué un rôle clé dans la rénovation du droit civil français à partir des années 1960, est particulièrement révélateur de cette collaboration. Mais la doctrine n’influence pas uniquement le législateur ; elle affecte aussi le travail des juges, qui se réfèrent à ses analyses lorsqu’ils sont confrontés à des règles de droit ambiguës ou obscures. Les juges peuvent être convaincus par les critiques doctrinales et, en réponse, adapter leur jurisprudence en conséquence. C’est ainsi que des penseurs comme Saleilles et Josserand ont eu un impact majeur sur la jurisprudence en matière de responsabilité du fait des choses, notamment à travers l’interprétation de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil. Cet article, autrefois au cœur de la responsabilité du fait des choses, a été intégré dans un nouvel ensemble de règles avec les articles 1240 et suivants, suite à une réforme du droit des obligations en 2016.
Section III : L’ORGANISATION JURIDICTIONNELLE
Qu’est-ce qu’une juridictionn ? Une juridiction est un organisme créé par la loi, chargé de résoudre des conflits juridiques. Ses décisions sont contraignantes pour les parties concernées. Toutefois, il est important de noter qu’un arbitre, bien qu’il joue un rôle similaire, ne constitue pas une juridiction formelle.
Notre pays connaît donc deux ordres de juridictions : l’ordre judiciaire (§1) et l’ordre administratif (§2). Cependant, comme pour toutes les classifications juridiques, cette division n’est pas absolue : il existe des juridictions extérieures aux deux ordres (§3). Nous consacrerons un dernier paragraphe aux juridictions européennes dont les décisions s’imposent avec de plus en plus de force et d’effectivité (§4).
Terminologie des juridictions
Le terme juridiction regroupe l’ensemble des institutions de justice. Cependant, aucune juridiction ne porte ce nom de manière explicite. Celles du premier degré se nomment généralement tribunaux, tandis que celles du second degré prennent le nom de cours. Cette distinction n’est pas universelle : par exemple, le Tribunal des conflits, bien qu’étant une juridiction élevée, conserve le terme « tribunal ». Certaines autres juridictions, comme les conseils, dérogent également à cette règle. D’un point de vue terminologique, les tribunaux rendent des jugements, tandis que les cours prononcent des arrêts. Cependant, le Conseil constitutionnel fait exception en émettant des décisions.
L’absolutisme royal et l’unification des pouvoirs
Avant la Révolution française, la France ne connaissait qu’un seul ordre de juridiction. Celui-ci traitait à la fois les litiges civils et les infractions pénales. Ce système reflétait l’absolutisme royal, où tous les pouvoirs étaient concentrés dans les mains du Roi. La justice, bien que rendue par des magistrats, était exercée au nom du Roi, consolidant ainsi son pouvoir absolu. L’idée qu’une juridiction indépendante puisse juger les actes de l’État, incarné par le Roi, était inconcevable. Si un citoyen se sentait lésé, il devait solliciter la clémence royale plutôt qu’une révision judiciaire.
Les dangers du despotisme et la pensée de Montesquieu
Le risque de despotisme inhérent à cette concentration de pouvoirs a été largement dénoncé par Montesquieu dans L’esprit des lois (1748). Il y affirme qu’un abus de pouvoir est inévitable si aucun contre-pouvoir n’est en place. Pour éviter cela, « le pouvoir doit arrêter le pouvoir ». Montesquieu distingue trois types de pouvoir dans chaque État :
- Le pouvoir législatif (élaboration des lois)
- Le pouvoir exécutif (mise en œuvre des lois)
- Le pouvoir judiciaire (règlement des différends et sanctions pénales)
Cette séparation des pouvoirs, fondement de la théorie moderne, servira de base à l’organisation politique des États contemporains.
La Révolution française et la naissance du pouvoir judiciaire indépendant
Avec la Révolution française, les principes de Montesquieu furent intégrés dans le cadre constitutionnel. L’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen stipule que « toute société dans laquelle la séparation des pouvoirs n’est pas déterminée n’a pas de constitution ». Ce texte marque la reconnaissance officielle du pouvoir judiciaire, distinct du pouvoir législatif et exécutif, à partir des lois des 16 et 24 août 1790. Désormais, les juridictions sont compétentes pour régler les litiges entre particuliers ainsi que les affaires pénales. Toutefois, en vertu de la théorie de la séparation des pouvoirs, elles ne peuvent intervenir dans les décisions du pouvoir exécutif.
La crainte des révolutionnaires et la protection de l’administration
Les révolutionnaires craignaient toutefois que le pouvoir judiciaire n’entrave l’œuvre administrative de la jeune république, à l’image des Parlements sous l’Ancien Régime, qui s’étaient opposés au pouvoir royal. Afin de protéger l’administration de toute ingérence judiciaire, des mesures furent adoptées. Le décret du 22 décembre 1790 stipule que les administrations ne peuvent être perturbées par aucun pouvoir judiciaire. De même, la loi des 16-24 août 1790 interdit aux juges d’interférer dans les opérations administratives sous peine de forfaiture. Ainsi, les différends entre les particuliers et l’administration devaient initialement être tranchés par cette dernière. Le règlement des litiges était assuré par les préfets et, en dernier ressort, les ministres. Toutefois, avec la loi du 24 mai 1872, le Conseil d’État acquiert une indépendance en tant que juridiction administrative, marquant la création d’un véritable ordre administratif. Cette évolution sera consolidée par l’arrêt Cadot du 13 décembre 1889, où le Conseil d’État se proclame juge de droit commun du contentieux administratif.
Les deux ordres de juridiction en France
À partir de cette date, la France se dote de deux ordres de juridictions distincts :
- L’ordre judiciaire, compétent pour les affaires civiles et pénales entre particuliers (&1)
- L’ordre administratif, compétent pour les litiges impliquant l’administration (&2)
Cependant, cette classification n’est pas rigide. Certaines juridictions spécialisées échappent à cette bipartition (&3). Enfin, un ordre juridictionnel européen (&4) s’est progressivement imposé, avec une influence grandissante, notamment par l’application des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme. Ces décisions ont une force croissante dans le droit national, renforçant l’effectivité des droits fondamentaux dans l’ensemble de l’Europe.
§ 1 : LES JURIDICTIONS DE L’ORDRE JUDICIAIRE
Avant d’examiner les différentes juridictions, quelques mots sur ceux qui les composent, les magistrats :
– Les magistrats.
- Magistrature et distinctions : La magistrature française, héritée de l’époque monarchique, se divise en deux branches principales : les magistrats du siège et les magistrats du parquet. Bien que les deux catégories fassent partie d’un seul corps, avec une formation et un recrutement communs, elles sont soumises à des obligations et bénéficient de droits différents.
- Les magistrats du siège (magistrature assise) ont pour mission de juger ou d’instruire les procès. Leur indépendance est primordiale et est protégée par plusieurs garanties constitutionnelles et légales. Ils ne sont pas des fonctionnaires hiérarchisés dépendant du gouvernement, et leur carrière est gérée par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), un organe censé être indépendant, bien que partiellement composé de membres nommés par le Président de la République, ce qui soulève des questions sur cette indépendance.
Depuis une réforme de 1993, le CSM est compétent aussi pour les magistrats du parquet, mais avec une différence : il propose des nominations pour les magistrats du siège, alors qu’il ne donne que des avis pour ceux du parquet. L’indépendance des magistrats du siège est renforcée par leur inamovibilité (Article 64 alinéa 4 de la Constitution), ce qui signifie qu’ils ne peuvent être mutés ou révoqués sans leur accord. Ils statuent en toute indépendance, conformément à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit à un procès équitable, garantissant leur impartialité.
- Les magistrats du parquet (magistrature debout) représentent l’État et agissent au nom de la société, en particulier dans le cadre des poursuites pénales. Leur indépendance à l’égard du pouvoir exécutif est moins affirmée que celle des magistrats du siège, puisqu’ils sont soumis à une hiérarchie stricte, avec des ordres pouvant venir du Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Une réflexion sur l’indépendance du parquet vis-à-vis du pouvoir exécutif a été engagée à plusieurs reprises, notamment sous l’impulsion de Jacques Chirac, mais cette question reste d’actualité.
- Rôle des magistrats du parquet : En matière pénale, les magistrats du parquet jouent un rôle prépondérant, ayant le monopole des poursuites pénales et agissant comme accusateurs contre les délinquants. En matière civile, leur intervention est plus restreinte, mais ils jouent un rôle important lorsqu’il s’agit de questions d’ordre public ou de l’état des personnes (nationalité, mariage). Leur intervention est régie par l’article 423 du Code de procédure civile, qui les autorise à se joindre à certaines actions pour défendre l’ordre public.Bien que hiérarchisés, les magistrats du parquet bénéficient d’une certaine liberté lors des audiences : la formule « la plume est serve, mais la parole est libre » signifie qu’ils sont tenus de respecter les instructions écrites de leurs supérieurs, mais peuvent exprimer oralement des opinions divergentes à l’audience. Cependant, cette liberté reste encadrée et ne supprime pas leur subordination au Garde des Sceaux.
- Obligations spécifiques des magistrats : En raison de la dignité de leur fonction, les magistrats sont soumis à des obligations qui dépassent celles imposées aux fonctionnaires ordinaires. Ils ne peuvent faire grève et doivent respecter le secret des délibérations. Leur vie privée doit également être irréprochable, car ils sont tenus de maintenir une conduite digne en tout temps. Toute manifestation politique leur est interdite, de même que toute prise de position publique partisane, afin de garantir leur neutralité et indépendance. Le cumul de la fonction de magistrat avec d’autres activités professionnelles est strictement réglementé : seules les activités d’enseignement, de recherche scientifique, de création artistique ou d’arbitrage sont autorisées, à condition qu’elles ne portent pas atteinte à l’impartialité du magistrat.De plus, l’exercice d’un mandat politique national ou européen est jugé incompatible avec la fonction de magistrat. Toutefois, les magistrats ont le droit syndical et peuvent adhérer à des syndicats professionnels, les principaux étant le Syndicat de la magistrature, l’Union syndicale des magistrats et l’Association professionnelle des magistrats.
– Les juridictions :
Depuis la réforme du 1er janvier 2020, plusieurs ajustements ont eu lieu dans l’organisation des juridictions, notamment la fusion des tribunaux de grande instance et des tribunaux d’instance en un seul tribunal appelé tribunal judiciaire,
- Fonctions des juridictions de l’ordre judiciaire : Les juridictions judiciaires en France remplissent deux fonctions principales : elles sont chargées de juger les litiges entre particuliers (droit privé) et d’appliquer des sanctions pénales à ceux qui ont commis des infractions. Les juridictions civiles tranchent des affaires de droit privé, telles que les contrats, les successions ou les responsabilités civiles, tandis que les juridictions pénales s’occupent des infractions aux lois pénales, qu’il s’agisse de contraventions, de délits ou de crimes.
- Principe d’unité des juridictions : Une confusion fréquente réside dans la distinction entre les juridictions civiles et pénales. On croit souvent, à tort, que certaines juridictions traitent exclusivement des affaires civiles, tandis que d’autres ne se consacrent qu’aux affaires pénales. Cependant, la France suit le principe de l’unité de la justice civile et pénale, ce qui signifie que ce sont les mêmes juridictions (avec le même personnel et dans les mêmes locaux) qui jugent à la fois des affaires civiles et pénales, selon le contexte. Par exemple, le tribunal judiciaire (qui a remplacé le tribunal de grande instance et le tribunal d’instance depuis la réforme de 2020) traite aussi bien des litiges civils que, sous sa formation pénale, des affaires correctionnelles. Ce principe s’applique à la majorité des juridictions, bien que certaines soient spécialisées dans un domaine, comme les juridictions civiles spécialisées ou la cour d’assises, qui est uniquement répressive.
- Compétence civile et pénale des juridictions : La liaison entre les compétences civiles et pénales est encore renforcée par le fait que les juridictions pénales peuvent également statuer sur l’action civile pour indemniser la victime d’une infraction. En effet, la victime d’un dommage causé par une infraction pénale peut choisir de demander des dommages-intérêts soit devant une juridiction civile (comme le tribunal judiciaire), soit devant la juridiction pénale en se constituant partie civile. Cette capacité d’une juridiction pénale à se prononcer sur des réparations civiles illustre encore davantage l’unité fonctionnelle de la justice en France.
- Juridictions de premier et second degré : Le système judiciaire français est organisé autour d’un double degré de juridiction, bien que ce principe ne soit pas absolu. Les juridictions du premier degré sont celles devant lesquelles une affaire est initialement jugée. Cela inclut, par exemple, les tribunaux judiciaires et les tribunaux de police pour les litiges civils mineurs et les contraventions. Si l’une des parties est insatisfaite de la décision rendue en première instance, elle peut porter le litige devant une juridiction de second degré, à savoir la cour d’appel. Celle-ci réexamine les faits et le droit de l’affaire pour rendre une nouvelle décision.
-
Rôle de la Cour de cassation : En dernier recours, il est possible de former un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire. Le rôle de cette cour n’est pas de rejuger les faits de l’affaire, mais uniquement de vérifier si les juges du fond ont correctement appliqué le droit. En d’autres termes, la Cour de cassation contrôle la conformité juridique des décisions rendues par les cours d’appel ou les juridictions de premier degré, mais n’intervient pas sur l’appréciation des faits.
I. – Les juridictions du premier degré
Nous envisagerons successivement les formations civiles (A) puis répressives (B) des juridictions.
A – Les formations civiles
Le Tribunal judiciaire occupe une importance prédominante dans l’examen des juridictions judiciaires. En effet, le Tribunal judiciaire est la juridiction de droit commun (1). Toutes les autres sont des juridictions d’exception. Parmi celles-ci, certaines sont des juridictions ordinaires (2) tandis que d’autres sont des juridictions spécialisées.
Dans le cas où le litige n’a pas été spécifiquement attribué par un texte à une autre juridiction, le Tribunal judiciaire sera compétent pour les litiges, quel que soit leur montant, y compris ceux portant sur un droit réel immobilier. Le juge des contentieux de la protection, au sein du Tribunal judiciaire, est compétent pour certains litiges spécifiques.
Réformes du système juridictionnel civil français : il a été réformé pour simplifier et moderniser la justice.
- Le Tribunal judiciaire est désormais la juridiction de droit commun en matière civile, intégrant les compétences des anciens tribunaux de grande instance et tribunaux d’instance.
- Des juges spécialisés, comme le juge des contentieux de la protection, assurent le traitement de litiges spécifiques.
- Depuis les dernières réfrome, les juridictions de proximité ont été supprimées le 1ᵉʳ juillet 2017. Leurs compétences ont été transférées aux tribunaux d’instance, puis, avec la réforme du 1ᵉʳ janvier 2020, aux Tribunaux judiciaires et au juge des contentieux de la protection. Ainsi, les litiges de faible montant (jusqu’à 5 000 €) sont désormais traités par le Tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection, selon la nature du litige.
1) Le tribunal judiciaire, juridiction de droit commun
Créé par la loi du 23 mars 2019, le Tribunal judiciaire résulte de la fusion des tribunaux de grande instance et des tribunaux d’instance depuis le 1ᵉʳ janvier 2020. Il existe 164 Tribunaux judiciaires, au moins un par département, situés en principe au chef-lieu du département. Suivant son importance, un Tribunal judiciaire peut comprendre plusieurs chambres (par exemple : 31 à Paris, 11 à Marseille, 10 à Lyon).
- Compétence : Le Tribunal judiciaire est la juridiction civile de droit commun. Cela signifie que cette juridiction a une compétence générale ou de principe. Elle connaît de tous les litiges que la loi n’attribue pas spécialement à d’autres juridictions. Sa compétence est générale, sauf dans certains domaines exclusifs. Il est compétent pour les litiges, quel que soit leur montant.Il a, de plus, une compétence exclusive en matière d’état civil (mariage, divorce, séparation de corps, filiation, nationalité), en matière immobilière (actions relatives à la propriété immobilière), en matière d’exécution des jugements et des titres exécutoires, en matière de brevet, de marque de fabrique. Dans ces différents domaines, le Tribunal judiciaire a une compétence exclusive quel que soit le montant du litige. Les décisions sont appelées des jugements.Il statue en premier et dernier ressort lorsque le montant de la demande est inférieur ou égal à 5 000 €, c’est-à-dire sans possibilité d’appel (ce qui n’exclut pas le pourvoi en cassation), et à charge d’appel au-dessus de cette somme ou lorsque le montant de la demande est indéterminé.En résumé, le Tribunal judiciaire règle :
- Les affaires civiles, quel que soit leur montant
- Les affaires immobilières
- Les litiges concernant l’état et la capacité des personnes (mariage, divorce, filiation)
- La rectification des actes civils
- L’adoption
- Les régimes matrimoniaux
- Les successions, les contestations sur la nationalité
- Les actions relatives aux appellations d’origine
- Les actions en dissolution d’association
- Certains litiges en matière fiscale
Chaque tribunal comprend au moins un président et des juges (magistrature assise) ainsi que le ministère public (magistrature debout).
- Organisation territoriale : Né de la réforme opérée par la loi du 23 mars 2019, il existe en principe un Tribunal judiciaire par département. Cependant, dans les départements importants, il en existe plusieurs. Il y a actuellement 164 Tribunaux judiciaires en métropole et dans les départements et régions d’outre-mer.
- Formation : Pour trancher les litiges, le Tribunal judiciaire siège en principe en formation collégiale de trois membres. Toutefois, il peut également statuer à juge unique dans de nombreux cas prévus par la loi.L’audience est en principe publique, mais peut avoir lieu en chambre du conseil, c’est-à-dire à huis clos (obligatoirement en matière gracieuse, facultativement en matière contentieuse, sauf texte contraire, par exemple : divorce).Devant le Tribunal judiciaire, le recours au ministère d’un avocat est, en principe, obligatoire pour les procédures écrites. Toutefois, dans certaines matières ou pour les procédures orales, les parties peuvent se défendre elles-mêmes.
Le Tribunal judiciaire peut aussi siéger à juge unique :
- Le président du Tribunal judiciaire ou un juge délégué peut statuer en référé, ce qui permet au plaideur, lorsqu’il y a urgence, d’obtenir dans une instance contradictoire (l’adversaire étant prévenu et convoqué) une décision rapide, dont l’exécution pourra être poursuivie immédiatement et ne sera pas suspendue par l’appel qui serait formé. Celui-ci peut ordonner des mesures conservatoires ou de remise en l’état, voire une provision si le droit n’est pas sérieusement contestable. La procédure de référé ne préjuge en rien de ce qui sera ultérieurement décidé au fond par les formations normales du Tribunal judiciaire.
- Le président du Tribunal judiciaire peut aussi statuer sur requête dans l’éventualité où le demandeur, sans prévenir son adversaire, sollicite du président qu’il rende une ordonnance l’autorisant, par exemple, à procéder à une saisie conservatoire. Si l’adversaire était prévenu, la mesure perdrait toute efficacité. Il n’y a donc pas de débat contradictoire.
Il existe aussi des formations spécialisées du Tribunal judiciaire statuant à juge unique : le juge aux affaires familiales, le juge de l’exécution, le juge des contentieux de la protection, le juge des enfants, le juge de l’expropriation, etc.
La décision rendue par un seul magistrat se nomme « ordonnance ».
2) Le juge des contentieux de la protection, juridiction ordinaire d’exception
Compétence : Le juge des contentieux de la protection, institué par la loi du 23 mars 2019, est un magistrat du Tribunal judiciaire spécialisé dans certains domaines. Il est compétent pour :
-
- Les litiges relatifs aux crédits à la consommation
- Les baux d’habitation (litiges entre bailleurs et locataires)
- Les mesures relatives au surendettement des particuliers
- Les tutelles et curatelles (protection des majeurs vulnérables)
- Les actions en paiement ou en revendication mobilière jusqu’à 10 000 €
Organisation territoriale : Il exerce ses fonctions au sein du Tribunal judiciaire, généralement dans les lieux des anciens tribunaux d’instance.
Formation : Le juge des contentieux de la protection siège à juge unique. L’audience est publique mais peut avoir lieu en chambre du conseil dans les cas prévus par la loi.
Devant le juge des contentieux de la protection, les parties peuvent se défendre elles-mêmes, sans avoir recours à un avocat.
3) Les juridictions d’exception spécialisées
Ces juridictions sont chargées de trancher un contentieux très technique. Y siègent des spécialistes du domaine concerné, qui n’ont pas la qualité de magistrat professionnel. Ces juridictions trouvent leur raison d’être dans la spécificité du contentieux et le souci de rendre une justice rapide. Ces dernières années, ces juridictions sont fortement mises en cause en raison tant de la qualité de la justice rendue (ex. Conseil de prud’hommes) que de certains scandales qui ont éclaboussés des juges des tribunaux de commerce, mettant en cause leur impartialité.
a) Le tribunal de commerce
Compétence :
Le Tribunal de commerce est compétent pour juger en premier ressort les affaires commerciales, c’est-à-dire :
- Les litiges entre commerçants relatifs à leur activité commerciale.
- Les litiges relatifs aux actes de commerce (par exemple, lettres de change, cautionnements commerciaux).
- Les litiges concernant les sociétés commerciales.
- Les procédures collectives relatives aux difficultés des entreprises (redressement judiciaire, liquidation judiciaire).
En ce qui concerne les actes mixtes (lorsqu’une seule partie est commerçante), il convient de distinguer selon la qualité du défendeur :
- Si le défendeur est un non-commerçant, il doit être assigné devant sa juridiction naturelle, c’est-à-dire le Tribunal judiciaire.
- Si le défendeur est commerçant, le demandeur non-commerçant a une option : il peut choisir de porter l’affaire devant le Tribunal de commerce ou devant la juridiction civile compétente.
Le Tribunal de commerce statue en premier et dernier ressort lorsque le montant de la demande est inférieur ou égal à 5 000 €, c’est-à-dire sans possibilité d’appel (un pourvoi en cassation reste toutefois possible). Au-delà de cette somme, les décisions sont susceptibles d’appel.
Dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle (Alsace-Moselle), il n’existe pas de tribunaux de commerce. Les compétences commerciales sont exercées par les chambres commerciales des Tribunaux judiciaires, qui fonctionnent sous un régime d’échevinage (composition mixte de magistrats professionnels et d’assesseurs commerçants).
Les parties peuvent se défendre elles-mêmes ou se faire assister ou représenter par la personne de leur choix, notamment un avocat, un conjoint, un partenaire de PACS, un concubin, un parent ou une personne munie d’un mandat ad hoc.
Organisation territoriale :
Le Tribunal de commerce est l’une des plus anciennes juridictions françaises encore en activité. Au fil des années, le nombre de tribunaux de commerce a évolué en fonction des réformes et des regroupements.
Actuellement, il existe environ 134 Tribunaux de commerce en France métropolitaine et dans les départements et régions d’outre-mer, auxquels s’ajoutent les chambres commerciales des Tribunaux judiciaires dans les départements d’Alsace-Moselle et les tribunaux mixtes de commerce dans certains territoires ultramarins.
Ces tribunaux sont répartis sur l’ensemble du territoire pour assurer une justice commerciale de proximité.
Composition :
La particularité essentielle du Tribunal de commerce est d’être composé de juges non professionnels, appelés juges consulaires, élus parmi les commerçants et les dirigeants d’entreprises commerciales.
- Élection des juges consulaires : Les juges sont élus pour un mandat de quatre ans, renouvelable. Les élections se déroulent selon un système à deux degrés :
- Électeurs : Les commerçants et dirigeants d’entreprises inscrits au Registre du commerce et des sociétés (RCS) élisent des délégués consulaires.
- Juges consulaires : Les délégués consulaires et les juges en fonction élisent ensuite les juges du Tribunal de commerce.
La fonction de juge consulaire est bénévole.
En Alsace-Moselle, la chambre commerciale du Tribunal judiciaire fonctionne sous le régime de l’échevinage, composée de magistrats professionnels et d’assesseurs commerçants.
Dans les tribunaux mixtes de commerce des départements et territoires d’outre-mer, le tribunal est présidé par un magistrat professionnel (le président du Tribunal judiciaire), assisté d’assesseurs non professionnels (commerçants).
Des réformes ont été envisagées pour introduire davantage de mixité au sein des tribunaux de commerce, en intégrant des magistrats professionnels aux côtés des juges consulaires pour certaines matières sensibles (comme les procédures collectives). Toutefois, à ce jour, ces réformes n’ont pas abouti, et les tribunaux de commerce restent composés majoritairement de juges consulaires.
Formation :
Le Tribunal de commerce siège, en principe, en formation collégiale composée d’au moins trois juges.
Le président du Tribunal de commerce peut statuer seul dans certains cas, notamment :
- Dans le cadre de la procédure de référé commercial, permettant d’ordonner des mesures urgentes et provisoires.
- Pour les ordonnances sur requête, lorsque la situation requiert une décision non contradictoire.
- Dans la procédure d’injonction de payer, pour les créances non contestées.
Mises à jour importantes :: Depuis le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, le seuil pour faire appel d’une décision est fixé à 5 000 €. Les décisions rendues en premier et dernier ressort concernent donc les litiges dont le montant est inférieur ou égal à cette somme.
b) Le conseil de prud’hommes
Le Conseil de prud’hommes est une juridiction spécialisée, paritaire et de proximité, dédiée à la résolution des conflits individuels du travail. Concernant la nomination des conseillers, il convient de signaler que loi n° 2015-994 du 17 août 2015 a modifié le mode de désignation des conseillers prud’homaux, passant d’un système électif à une nomination sur proposition des organisations syndicales et patronales représentatives
Compétence :
Les Conseils de prud’hommes ont pour mission de concilier et de juger les conflits individuels du travail survenant entre employeurs et salariés à l’occasion de l’exécution ou de la rupture d’un contrat de travail ou d’apprentissage.
- Le Conseil de prud’hommes statue en premier et dernier ressort lorsque le montant du litige est inférieur ou égal à 5 000 €. Dans ce cas, le jugement n’est pas susceptible d’appel, mais un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation reste possible.
- Si le litige dépasse 5 000 €, le jugement peut être contesté par la voie de l’appel devant la Cour d’appel, dans un délai d’un mois suivant la notification officielle du jugement aux parties.
Les parties doivent comparaître en personne devant le Conseil de prud’hommes. Elles peuvent se faire assister ou représenter par :
- Un avocat
- Un défenseur syndical
- Leur conjoint, partenaire de PACS ou concubin
- Un salarié ou employeur appartenant à la même branche d’activité
Organisation territoriale :
Les Conseils de prud’hommes ont une origine ancienne, remontant à une loi napoléonienne du 18 mars 1806. Il existe au moins un Conseil de prud’hommes par ressort de Tribunal judiciaire, et souvent davantage dans les régions à forte densité économique et sociale pour des raisons géographiques.
- Nombre de conseils : Actuellement, il y a environ 211 Conseils de prud’hommes (en 2023) répartis sur le territoire français, en métropole et en outre-mer.
Composition :
Le Conseil de prud’hommes est une juridiction paritaire, composée à égalité de représentants des salariés et des employeurs.
- Présidence et vice-présidence : Assurées alternativement chaque année par un conseiller employeur et un conseiller salarié, conformément au principe d’alternance obligatoire.
- Nomination des conseillers : Depuis la réforme de 2015 (loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi), les conseillers prud’homaux ne sont plus élus directement par les salariés et les employeurs. Ils sont désormais nommés pour un mandat de quatre ans par le garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur proposition des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d’employeurs, en fonction de leur représentativité.
- Exercice des fonctions : Les employeurs sont tenus de libérer les salariés élus conseillers prud’homaux pour l’exercice de leurs fonctions. Les conseillers prud’homaux perçoivent une indemnité compensatrice versée par l’État.
- Juge départiteur : En cas de partage des voix (égalité des votes) lors d’un jugement, un juge professionnel du Tribunal judiciaire, appelé juge départiteur, intervient pour présider la formation de jugement et trancher le litige.
Formation :
Chaque Conseil de prud’hommes est divisé en cinq sections correspondant aux grands secteurs d’activité :
- Agriculture
- Industrie
- Commerce et services commerciaux
- Activités diverses
- Encadrement (cadres)
Chaque section constitue une juridiction autonome compétente pour les litiges relevant de son domaine d’activité.
Le Conseil de prud’hommes exerce ses fonctions judiciaires à travers trois formations distinctes :
- Le Bureau de conciliation et d’orientation :
- Composition : Un conseiller employeur et un conseiller salarié.
- Rôle : Tenter de concilier les parties lors d’une phase préalable obligatoire. Il peut également orienter l’affaire vers la formation appropriée ou prendre des mesures provisoires.
- Le Bureau de jugement :
- Composition : Deux conseillers employeurs et deux conseillers salariés.
- Rôle : Juger le litige lorsque la conciliation a échoué.
-
La Formation de référé :
- Composition : Un conseiller employeur et un conseiller salarié.
- Rôle : Statuer en urgence sur les litiges ne se heurtant pas à une contestation sérieuse ou pour prévenir un dommage imminent.
En cas de partage des voix au sein du Bureau de jugement, l’affaire est renvoyée devant le Bureau de jugement présidé par le juge départiteur, qui est un magistrat professionnel du Tribunal judiciaire.
c) Le tribunal paritaire des baux ruraux
Compétence : Le tribunal paritaire des baux ruraux est chargé de résoudre les conflits entre bailleurs et preneurs de baux ruraux, principalement les baux à ferme et baux à métayage. Il intervient pour des litiges concernant, entre autres :
- Les contestations relatives au droit de préemption.
- Les demandes de révision du montant des fermages.
- Les demandes de résiliation de bail en raison du non-paiement des fermages.
Toutefois, il est important de noter que les litiges entre un preneur sortant et un preneur entrant échappent à la compétence de cette juridiction, car ils n’impliquent pas directement un bailleur.
Le tribunal statue en premier et dernier ressort pour les litiges dont l’enjeu ne dépasse pas 4000 €, conformément à l’article L.443-1 du Code de l’organisation judiciaire. Au-delà de cette somme, un appel est possible. Les parties doivent se présenter en personne, mais elles peuvent être assistées par une personne de leur choix, qu’il s’agisse d’un avocat, d’un membre de la famille, d’un huissier ou d’un représentant d’une organisation agricole.
Cas d’incompétence : Si le litige ne relève pas des compétences spécifiques du tribunal, d’autres juridictions sont compétentes :
- Tribunal judiciaire (TJ) pour les conflits liés à l’existence ou à la nature du bail.
- Tribunal judiciaire de proximité (anciennement tribunal d’instance) pour les litiges concernant le paiement du fermage.
Organisation territoriale : L’ordonnance du 22 décembre 1958 a instauré un tribunal paritaire des baux ruraux dans chaque tribunal d’instance. Il en existe aujourd’hui environ 300 répartis sur le territoire, à la suite des réformes de simplification de la carte judiciaire.
Composition : Le tribunal est composé de façon paritaire de juges non professionnels, représentant les preneurs et les bailleurs à parts égales. Il est présidé par un juge du tribunal judiciaire, qui n’intervient qu’en cas d’égalité des votes entre les représentants, jouant ainsi le rôle de juge départiteur.
Saisine du Tribunal : Pour saisir le tribunal, il faut adresser une demande écrite au président du tribunal, soit :
- Par un acte d’huissier déposé au greffe du tribunal.
- Par lettre recommandée avec accusé de réception.
La demande doit inclure des informations précises : identité, adresse, profession, nationalité, date et lieu de naissance du demandeur, ainsi que le nom et le domicile du défendeur, et un exposé succinct des motifs.
Déroulement de la procédure : Une convocation est envoyée aux parties au moins 15 jours avant une tentative de conciliation. Si un accord amiable n’est pas trouvé, l’affaire est portée à l’audience pour être jugée. Les parties doivent être présentes ou se faire représenter en cas d’empêchement légitime. Elles peuvent être assistées ou représentées par un avocat, un huissier, un membre de la famille, ou un représentant d’une organisation agricole. Une fois le jugement prononcé, le greffier informe officiellement les parties par écrit.
Recours : Pour les litiges d’un montant inférieur ou égal à 4000 €, la décision du tribunal est définitive, sauf en cas de pourvoi en cassation dans les situations prévues par la loi. Lorsque le montant en jeu dépasse cette somme, un appel est possible devant la cour d’appel. Il est à noter que l’assistance d’un avocat n’est pas obligatoire pour l’appel.
Des réformes récentes visent à faciliter l’accès à cette juridiction, notamment par la dématérialisation de certaines procédures et l’accélération des délais de traitement des affaires.
d) Les juridictions de la Sécurité sociale
Les juridictions de la Sécurité sociale ont vu le jour en 1945, en parallèle à la création du système de Sécurité sociale, pour répondre à des contentieux variés et spécialisés. Elles ont connu plusieurs réformes importantes, dont celle de 2019, qui a profondément modifié leur organisation.
Le Pôle social du tribunal judiciaire : Depuis le 1er janvier 2019, les tribunaux des affaires de la sécurité sociale (TASS) ont été supprimés et leurs compétences transférées aux pôles sociaux des tribunaux judiciaires. Ce pôle social est désormais compétent pour traiter en premier ressort les litiges liés à la Sécurité sociale, notamment en matière de :
- Assujettissement aux régimes de Sécurité sociale.
- Droit aux prestations (maladies, retraites, accidents du travail, etc.).
- Cotisations sociales.
La juridiction est présidée par un magistrat professionnel du tribunal judiciaire, assisté de deux assesseurs non professionnels représentant, de façon paritaire, les salariés et les employeurs/travailleurs indépendants. Ces derniers sont désignés par le premier président de la cour d’appel, sur proposition des organisations professionnelles représentatives.
Les décisions sont rendues en premier et dernier ressort lorsque l’enjeu du litige n’excède pas 5000 €, suite à une modification des seuils de compétence. Au-delà, il est possible de faire appel devant la chambre sociale de la cour d’appel.
- Compétence : Litiges entre les usagers et les organismes de Sécurité sociale, incluant les contentieux relatifs aux maladies, retraites, accidents du travail, et autres prestations sociales.
- Règles de procédure : Le recours à un avocat n’est pas obligatoire. Il est toutefois possible de se faire assister ou représenter par un avocat, un représentant syndical ou un membre de la famille.
- Recours : Les appels se font devant la chambre sociale de la cour d’appel.
Les juridictions du contentieux technique : Ces juridictions, comme les commissions de recours amiable et les commissions techniques, traitent les questions d’ordre médical liées à la Sécurité sociale, notamment les litiges concernant :
- Le taux d’incapacité permanente ou invalidité.
- L’inaptitude au travail.
Les commissions de recours amiable examinent les litiges en première instance. Elles sont composées de médecins et de représentants des employeurs et des salariés. En cas de désaccord avec leur décision, l’appel peut être porté devant le pôle social du tribunal judiciaire.
Les contentieux techniques, tels que ceux portant sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, sont également réglés par cette juridiction. Toutefois, dans certains cas complexes, une commission médicale de recours amiable peut être saisie, et le recours s’effectue ensuite auprès de la cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail (CNITAAT).
- Composition : Ces commissions comprennent des médecins, ainsi que des représentants des employeurs et des salariés.
- Appel : Les décisions de ces commissions peuvent être contestées devant le pôle social du tribunal judiciaire, ou dans certains cas, devant la CNITAAT pour les contentieux spécifiques aux incapacités et invalidités.
En conclusion, la réforme de 2019 a simplifié et centralisé les juridictions de la Sécurité sociale en créant des pôles sociaux au sein des tribunaux judiciaires, tout en maintenant une spécialisation pour les contentieux techniques, notamment ceux d’ordre médical. Les règles de recours ont été harmonisées, et le seuil pour les décisions rendues en dernier ressort a été relevé à 5000 €.
B – Les formations répressives de jugement
L’organisation des formations répressives en droit pénal repose sur la gravité de l’infraction, qui détermine la juridiction compétente. Cette classification tripartite distingue les contraventions, les délits et les crimes, chacun correspondant à un niveau croissant de gravité. Pour déterminer la nature d’une infraction, il est nécessaire d’examiner la peine principale encourue, ce qui permet d’identifier la juridiction appropriée :
- Les contraventions sont jugées par le tribunal de police.
- Les délits relèvent de la compétence du tribunal correctionnel.
- Les crimes sont jugés par la cour d’assises.
À noter que l’incarcération n’est possible que pour les délits et les crimes, jamais pour les contraventions.
Les peines sont donc classées ainsi :
- Peines principales criminelles : Selon l’article 131-1 du Code pénal, la seule peine principale criminelle est la réclusion criminelle ou la détention criminelle pour les crimes politiques. Ces peines privatives de liberté peuvent être perpétuelles ou limitées à des durées définies par la loi, à savoir 30 ans, 20 ans, ou 15 ans, en fonction de la gravité du crime.
- Peines principales correctionnelles : Les peines correctionnelles sont détaillées à l’article 131-3 du Code pénal. Parmi elles, les principales sont :
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- L’emprisonnement : une peine privative de liberté dont la durée maximale est fixée à 10 ans par l’article 131-4.
- L’amende : une peine pécuniaire qui doit être supérieure ou égale à 3750 € pour être qualifiée de peine correctionnelle.
-
Les peines correctionnelles peuvent inclure d’autres sanctions, mais seules l’emprisonnement et l’amende sont des peines principales.
- Peines principales contraventionnelles : La seule peine principale pour une contravention, selon l’article 131-12 du Code pénal, est l’amende. Le montant de l’amende varie en fonction de la classe de la contravention :
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- Il existe cinq classes de contraventions, avec des amendes croissantes en fonction de la gravité.
- Les contraventions de la 5ème classe sont les plus graves et peuvent entraîner une amende maximale de 1500 € (ou 3000 € en cas de récidive, conformément à l’article 131-13 du Code pénal).
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Pourquoi cette classification tripartite des infractions ? ela permet de structurer le système répressif en fonction de la gravité des actes commis et de prévoir des sanctions adaptées, tout en respectant une graduation des peines. Les crimes sont réprimés par des peines lourdes de privation de liberté, tandis que les délits entraînent des peines d’emprisonnement plus courtes et des amendes, et que les contraventions ne peuvent donner lieu qu’à des amendes.
1) Le tribunal de police
Le tribunal de police est compétent pour juger les contraventions commises dans son ressort territorial. Les contraventions sont les infractions les moins graves dans l’échelle des infractions pénales. Le nouveau Code pénal a supprimé toute forme d’emprisonnement pour les contraventions, limitant ainsi les sanctions à des amendes et des peines complémentaires (comme la suspension de permis ou la confiscation d’objets).
Cette juridiction est une formation répressive qui fait partie du tribunal judiciaire, depuis la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance en 2020. Le tribunal de police statue en général à juge unique, sans formation collégiale. Le Ministère public y est représenté par le procureur de la République ou, dans certains cas pour les infractions mineures, par un commissaire de police.
Les peines prononcées par le tribunal de police peuvent faire l’objet d’un appel devant la cour d’appel, mais uniquement pour les contraventions de 5ème classe (les plus graves). Pour les contraventions des autres classes, les recours se limitent à une opposition ou un pourvoi en cassation.
2) Le tribunal correctionnel
Le tribunal correctionnel est chargé de juger les délits, c’est-à-dire les infractions dont la gravité se situe entre celle des contraventions et celle des crimes. Il peut prononcer des peines allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement, ainsi que des amendes (d’un montant supérieur à 3750 €) et d’autres peines correctionnelles (sursis, travaux d’intérêt général, etc.).
Il est en fait une chambre du tribunal judiciaire, appelée chambre correctionnelle, et statue en principe de manière collégiale, avec un banc composé de trois juges, sauf dans certains cas où un juge unique peut être amené à juger des affaires plus simples. Le Ministère public est représenté par le procureur de la République ou ses substituts.
Les jugements du tribunal correctionnel peuvent faire l’objet d’un appel devant la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel. Cette dernière réexamine l’affaire et peut confirmer, infirmer ou modifier le jugement rendu en première instance. Pour certains délits, un pourvoi en cassation est également possible après l’appel.
3) La cour d’assises
Depuis une vingtaine d’année, deux réformes majeurs : D’une part, il y a eu une obligation de motivation des décisions depuis 2011 et depuis 2000, l’Appel devant une autre cours d’assises est possible.
Compétence : La cour d’assises est compétente pour juger les crimes, les infractions les plus graves, punies de la réclusion criminelle à perpétuité ou à temps. Cette juridiction bénéficie d’une plénitude de juridiction, ce qui signifie qu’elle peut juger toutes les infractions qui lui sont soumises, même si elles ne sont pas de nature criminelle. Cela lui permet de requalifier les faits si nécessaire. Il existe également des cours d’assises spéciales :
- Une cour d’assises pour mineurs, compétente pour les auteurs de crimes âgés de 16 à 18 ans. Ses assesseurs sont des juges spécialisés dans la justice des mineurs.
- Une cour d’assises spéciale pour les affaires de terrorisme, composée uniquement de magistrats professionnels (sans jurés populaires), afin de minimiser les risques de pressions ou d’intimidations sur les jurés.
Composition : La cour d’assises se distingue par sa composition mixte. Elle est composée de trois magistrats professionnels (dont le président) et de 9 jurés tirés au sort parmi les citoyens inscrits sur les listes électorales. Ces jurés doivent répondre à des critères stricts (moralité, âge minimum de 23 ans, absence d’incompatibilités telles que certaines fonctions publiques). Avant chaque procès, le procureur de la République et la défense peuvent récuser un certain nombre de jurés (4 pour le ministère public, 5 pour l’accusé). La cour et le jury délibèrent ensemble pour rendre leur verdict. Les décisions défavorables à l’accusé, comme la culpabilité ou les peines incompressibles, doivent être prises à la majorité de 8 voix sur 12, ce qui implique nécessairement l’accord d’au moins 5 jurés.
Organisation territoriale : La cour d’assises est une juridiction départementale, mais elle est rattachée à la cour d’appel. Il n’existe que 30 cours d’appel en métropole pour 95 départements, ce qui rend les cours d’assises itinérantes. Elles siègent dans le chef-lieu de chaque département sous la juridiction de la cour d’appel correspondante.
Fonctionnement : La cour d’assises n’est pas une juridiction permanente. Elle tient des sessions périodiques, généralement tous les trois mois, dans chaque département. Depuis la loi du 10 août 2011, la cour d’assises a l’obligation de motiver ses décisions, en particulier les déclarations de culpabilité et les peines, afin de se conformer aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme.
Cour d’assises d’appel :
Depuis la loi du 15 juin 2000, les décisions des cours d’assises peuvent faire l’objet d’un appel. Contrairement aux autres juridictions, l’appel ne se fait pas devant une cour d’appel ordinaire, mais devant une autre cour d’assises qui rejugera l’affaire dans son ensemble. Cette cour d’assises d’appel est composée de 12 jurés au lieu de 9, ainsi que de 3 magistrats. Cette cour est désignée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, et le procès en appel se déroule selon les mêmes règles que le jugement en première instance.
Qui peut faire appel ?
- L’accusé.
- Le ministère public.
- La partie civile.
- La personne civilement responsable.
L’appel doit être interjeté dans un délai de 10 jours à compter du prononcé du verdict. Chaque année, environ 23 % des affaires jugées par les cours d’assises sont réexaminées en appel. La cour d’assises d’appel rejugera l’affaire en son entier, sans se limiter aux vices de forme ou aux violations de la loi, contrairement au pourvoi en cassation
II. – La juridiction du second degré : la cour d’appel
Effets de l’appel :
Lorsque l’affaire est portée devant la cour d’appel, celle-ci peut soit confirmer le jugement de première instance, soit l’infirmer. Dans les deux cas, la décision de la cour d’appel se substitue à celle des premiers juges. L’appel a un effet dévolutif, c’est-à-dire que la cour doit réexaminer l’ensemble de l’affaire, en fait et en droit, même si l’appelant ne conteste que certaines parties du jugement. Cela signifie que la cour d’appel peut réévaluer les faits et les preuves, ainsi qu’appliquer à nouveau les règles de droit pertinentes. Toutefois, elle peut limiter sa réformation aux éléments spécifiquement contestés par l’appelant.
Effet suspensif :
L’appel a en principe un effet suspensif, ce qui signifie que la décision de première instance n’est pas exécutée tant que la cour d’appel n’a pas statué. Ce principe garantit que, si la cour d’appel infirme le jugement, la partie n’aura pas subi l’exécution d’une décision annulée. Toutefois, il existe des exceptions à ce principe. Certaines décisions, comme celles assorties d’une exécution provisoire, sont immédiatement exécutoires, même en cas d’appel. Les juges peuvent également ordonner l’exécution provisoire dans certains cas pour éviter des préjudices irréversibles.
Délai pour faire appel :
- En matière civile, le délai pour interjeter appel est généralement d’un mois à compter de la notification du jugement. Passé ce délai, le jugement devient définitif et ne peut plus être contesté.
- En matière pénale, le délai est en principe de 10 jours pour les parties (accusé et partie civile) à compter du prononcé du jugement, et de 2 mois pour le procureur de la République.
Limites à l’effet dévolutif en matière pénale :
En matière pénale, l’effet dévolutif est plus limité. Si l’accusé fait appel, la cour ne peut pas aggraver la peine prononcée en première instance (principe de la non-réformation in pejus). En revanche, si c’est le ministère public qui fait appel, la cour peut prononcer une peine plus sévère. Si la partie civile fait appel, elle ne peut obtenir qu’une réévaluation des dommages-intérêts, mais pas une diminution de ces montants alloués par le tribunal.
III. – La Cour de cassation
-La Cour de cassation se situe au sommet de la pyramide judiciaire. Elle est unique et siège à Paris, au Palais de Justice. Toutes les décisions de toutes les juridictions judiciaires peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation. La Cour de cassation a pour origine l’ancien Conseil du Roi de l’ancien régime. Avec la Révolution, fut institué un Tribunal de cassation mais dont le rôle était négligeable en raison du culte de la loi, émanant des représentants de la volonté nationale. Mais avec le Code civil, le rôle de la Cour de cassation est devenu considérable.
A titre d’indications, voici quelques chiffres sur l’activité de la Cour de cassation publié en 1998. La Cour de cassation rend environ 20 000 arrêts en matière civile et 6 500 en matière pénale par an. Le Premier président estime que le nombre d’arrêts fondamentaux est de l’ordre de 160.
A – Rôle de la Cour de cassation
-La Cour de cassation n’est pas un troisième degré de juridiction. Elle n’a pas pour rôle, comme la cour d’appel, d’apprécier une troisième fois l’ensemble du litige, faits et droit. Les faits ne sont pas examinés par la Cour de cassation : elle les considère comme définitivement établis par la cour d’appel.
La Cour de cassation n’examine que les questions de droit. Elle vérifie si les juges ont donné une qualification correcte aux faits et s’ils en ont déduit les bonnes conséquences juridiques. La Cour de cassation juge les jugements des juges du fond.
Puisqu’elle ne constitue pas un troisième degré de juridiction, sa décision ne se substitue pas à celle des juges du fond. La Cour de cassation ne rend pas elle-même des décisions concernant le fond de l’affaire et exécutoires pour les parties en cause. Elle se contente d’apprécier la valeur de la décision et de la casser, si elle ne lui paraît pas conforme au droit ou de rejeter le pourvoi si elle lui paraît légalement justifiée. Elle renvoie l’affaire devant une juridiction du même ordre que celle dont émane la décision cassée.
-La Cour de cassation a pour fonction générale de veiller à la correcte interprétation de la règle de droit par les juges du fond. Elle sert donc de régulateur aux autres juridictions et assure une certaine fixité de la jurisprudence. Elle uniformise le droit car dans son rôle de juge du droit, elle est amenée à établir une jurisprudence qui sert de modèle aux juges du fond. Notre système juridique ne connaît pas comme dans les pays Anglo-saxons, la règle du précédent obligatoire. Aussi, l’autorité de la Cour de cassation sur les juridictions inférieures est avant tout morale. Ceci explique qu’il existe parfois des divergences -ou résistances- entre les juges du fond et la Cour de cassation sur une interprétation de la loi.
-Depuis une loi du 15 mai 1991, les tribunaux et cours d’appel peuvent solliciter l’avis de la Cour de cassation « avant de statuer sur une demande soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges ». Cet avis ne s’impose pas à la juridiction qui l’a sollicité. La Cour de cassation joue là, un rôle préventif d’interprétation.
B – Composition et formation de la Cour de cassation:
La Cour de cassation comprend aujourd’hui 6 chambres :
- Une chambre criminelle.
- Cinq chambres civiles : trois chambres purement civiles, une chambre commerciale et financière, et une chambre sociale.
Selon l’article R. 121-4 du Code de l’organisation judiciaire, chacune des chambres est composée de :
- Un président de chambre.
- Des conseillers.
- Des conseillers référendaires.
- Un ou plusieurs avocats généraux.
- Un greffier de chambre.
Chaque chambre siège normalement avec 5 magistrats pour statuer. Toutefois, la loi du 3 janvier 1979 permet une formation plus restreinte, composée de 3 magistrats, lorsque la solution paraît évidente. Cette souplesse permet à la Cour d’adapter la composition des formations selon la complexité des affaires. À la différence des juridictions de fond, la règle de l’imparité (nombre impair de magistrats) n’est pas obligatoire à la Cour de cassation.
La Cour peut se réunir en formations plus solennelles dans certaines circonstances particulières :
- Chambre mixte :
Cette formation réunit des représentants d’au moins trois chambres et comprend au minimum 13 membres. La chambre mixte intervient dans les affaires soulevant une question relevant des attributions de plusieurs chambres ou lorsque les chambres de la Cour de cassation risquent d’adopter des solutions divergentes sur une même question de droit. Elle est saisie obligatoirement en cas de partage égal des voix au sein de la chambre compétente, ou à la demande du procureur général avant l’ouverture des débats. Elle peut également être saisie de manière facultative par ordonnance du Premier président ou par arrêt de la chambre initialement saisie. - Assemblée plénière :
L’Assemblée plénière est la formation la plus solennelle de la Cour de cassation, composée de 25 magistrats. Elle est obligatoirement saisie lorsqu’une opposition de doctrine se manifeste entre une chambre de la Cour de cassation et les juges du fond après un renvoi. Elle intervient également pour juger un second pourvoi. L’Assemblée plénière peut également être saisie facultativement lors d’un premier pourvoi si l’affaire soulève une question de principe importante, notamment en cas de divergence d’interprétation entre les juridictions de fond et la Cour de cassation. Dans ce cas, l’arrêt rendu s’impose à la juridiction de renvoi, permettant d’éviter un second pourvoi et d’accélérer la résolution du litige.
Le ministère public à la Cour de cassation est représenté par :
- Un premier avocat général.
- 19 avocats généraux.
- Un substitut chargé du service de documentation et d’études de la Cour de cassation.
C – Mécanisme du pourvoi de cassation
Saisie d’un pourvoi en cassation :
Le pourvoi en cassation est un recours formé contre une décision rendue en dernier ressort (c’est-à-dire sans possibilité d’appel), devant la Cour de cassation, qui est chargée de vérifier si les juges du fond ont correctement appliqué la règle de droit. La Cour de cassation ne rejuge pas l’affaire sur le fond (faits), mais uniquement sur le droit.
Deux issues sont possibles :
- Soit la Cour estime que les juges du fond n’ont commis aucune erreur de droit, et elle rejette le pourvoi. La décision attaquée devient alors définitive.
- Soit elle considère qu’il y a eu une erreur de droit et elle casse et annule la décision attaquée. Étant donné que la Cour de cassation n’est pas un troisième degré de juridiction, elle ne peut pas rendre une nouvelle décision sur le fond. En général, elle doit renvoyer l’affaire devant une juridiction de même nature et de même degré que celle qui a rendu la décision cassée.
Cependant, il existe des cas où la Cour de cassation peut casser sans renvoi. Cela se produit lorsque l’annulation de la décision rend inutile un nouveau jugement, par exemple en cas de perte de fondement juridique (lorsqu’un texte législatif a été abrogé ou remplacé pendant la procédure) ou dans des situations de contrariété de jugements.
Juridiction de renvoi :
Lorsqu’une affaire est renvoyée, la juridiction de renvoi a la mission de réexaminer l’affaire sur le fond. Elle dispose d’une totale liberté d’appréciation, aussi bien sur les faits que sur l’application du droit. L’arrêt de cassation replace les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la décision cassée.
La juridiction de renvoi peut :
- Se ranger à l’avis de la Cour de cassation, ce qui clôt l’affaire.
- Statuer dans le même sens que la juridiction initiale, résistant ainsi à l’autorité de la Cour de cassation. Si un nouveau pourvoi est formé contre cette seconde décision, il est obligatoirement examiné par la formation la plus solennelle de la Cour de cassation, l’Assemblée plénière.
Intervention de l’Assemblée plénière :
Si un second pourvoi est formé, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (la formation la plus solennelle) se prononce. Deux situations peuvent alors se présenter :
- L’Assemblée plénière peut rejeter le pourvoi et se ranger à la position des juges du fond, ce qui met fin au litige.
- L’Assemblée plénière peut maintenir sa position initiale et casser une nouvelle fois la décision. Dans ce cas, elle peut soit casser sans renvoi, soit renvoyer l’affaire devant une nouvelle juridiction de renvoi.
Effet du second renvoi :
Si l’affaire est renvoyée une seconde fois, la nouvelle juridiction de renvoi doit se conformer à l’interprétation de la Cour de cassation concernant les questions de droit tranchées. Toutefois, elle conserve une liberté d’appréciation sur les faits et sur les points de droit qui n’ont pas été examinés par la Cour de cassation.
Ce mécanisme peut parfois prolonger considérablement la durée de la procédure, mais il n’est plus aussi courant que cela prenne jusqu’à 15 ans. Grâce à des réformes visant à accélérer les procédures, le délai global tend à être réduit. Cependant, certains litiges complexes peuvent encore s’étendre sur plusieurs années.
§ 2 : LES JURIDICTIONS DE L’ORDRE ADMINISTRATIF
Avant d’envisager les différentes juridictions, disons quelques mots sur les juges qui les composent : Les juges administratifs se différencient nettement des juges de l’ordre judiciaire. Trois distinctions majeures peuvent être relevées.
- Absence d’unité de corps
Contrairement aux juges de l’ordre judiciaire, les juges administratifs n’appartiennent pas à un corps unifié. Leur statut varie selon qu’ils exercent au sein des tribunaux administratifs, des cours administratives d’appel, ou du Conseil d’État. En effet, aucune formation juridictionnelle comparable à celle dispensée aux magistrats judiciaires n’existe pour les juges administratifs. La majorité des juges administratifs sont issus de l’École nationale d’administration (ENA) remplacé par l’INSP en 2021, où ils reçoivent une formation identique à celle des futurs membres de l’administration active. En fonction de leur classement final à l’ENA, ils peuvent choisir de rejoindre la carrière juridictionnelle. Environ 75 % des juges des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel sont recrutés de cette manière. Toutefois, L’ENA a été supprimée en 2021 et remplacée par l’Institut national du service public (INSP). Les juges administratifs sont désormais formés dans ce nouvel institut, et cette mise à jour est nécessaire.
Le recrutement latéral ou « au tour extérieur » est également pratiqué, permettant au gouvernement de nommer certains juges. Cette pratique, bien que moins courante, renforce le lien entre la juridiction administrative et l’administration active, donnant ainsi lieu à l’idée que « le juge administratif est l’Administration qui se juge elle-même« .
- Statut de fonctionnaire et absence d’inamovibilité
Les juges administratifs sont soumis au statut général des fonctionnaires, bien qu’ils bénéficient de certaines adaptations spécifiques pour assurer la bonne exécution de leurs missions. Contrairement aux magistrats judiciaires, les juges administratifs ne jouissent pas tous de l’inamovibilité (à l’exception des membres de la Cour des comptes), ce qui limite en partie leur indépendance statutaire. Cette inamovibilité, garante de l’indépendance des juges judiciaires, n’est pas reconnue aux membres des juridictions administratives dans leur ensemble. Cependant, une évolution récente tend à aligner leur statut sur celui des magistrats judiciaires, particulièrement pour les juges des tribunaux administratifs, des cours administratives d’appel, et de la Cour des comptes : les juges administratifs des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel bénéficient désormais d’une protection statutaire renforcée. Les réformes récentes ont renforcé leur indépendance, rapprochant davantage leur statut de celui des magistrats judiciaires.
Depuis 1986, le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (CSTACAA), un organe indépendant, a été créé pour veiller à la gestion de la carrière et à la discipline des juges de ces juridictions. Cependant, une telle structure n’existe pas pour les membres du Conseil d’État, dont l’indépendance reste en grande partie fondée sur la tradition, et ces derniers demeurent théoriquement révocables. Pour préserver cette indépendance, la pratique de l’avancement automatique à l’ancienneté a été instaurée, limitant ainsi les risques de pressions extérieures tout en modérant les ambitions personnelles.
- Absence de distinction entre siège et parquet
Contrairement à l’ordre judiciaire, il n’existe pas de séparation entre le siège (les juges qui rendent les décisions) et le parquet (les magistrats chargés de défendre l’intérêt public) dans les juridictions administratives. La dénomination « commissaires du gouvernement » est devenue désuète. Ils sont appelés rapporteurs publics depuis 2009. Les rapporteurs publics sont des membres à part entière des juridictions administratives dans lesquelles ils exercent, comme les maîtres des requêtes au Conseil d’État ou les conseillers dans les tribunaux administratifs. Leurs fonctions consistent à proposer, en toute indépendance, une solution juridique au litige sous forme de conclusions, sans représenter le gouvernement ni recevoir d’instructions de ce dernier, malgré leur titre trompeur. La Cour des comptes est la seule juridiction administrative à disposer d’un véritable parquet, appelé ministère public, qui participe au contrôle de la gestion des fonds publics.
Les juridictions administratives : un ordre chronologique de création
L’étude des juridictions administratives suit un ordre chronologique qui diffère de celui utilisé pour les juridictions judiciaires. Jusqu’en 1953, le Conseil d’État (I) constituait l’unique juridiction compétente pour traiter les litiges administratifs. Par la suite, les tribunaux administratifs (II) ont été créés pour répondre à l’augmentation des contentieux, puis, en 1987, les cours administratives d’appel (III) ont été instaurées pour gérer les recours en appel, complétant ainsi l’architecture des juridictions administratives modernes.
I. – Le Conseil d’Etat
Le Conseil d’État, basé au Palais-Royal à Paris, est une juridiction suprême à caractère unique. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’est plus présidé par le Premier ministre. Aujourd’hui, c’est son vice-président, véritable chef de l’institution, qui assure la présidence effective.
Compétence : Le Conseil d’État exerce une double mission. Il agit à la fois comme conseiller du gouvernement (en donnant des avis sur des projets de loi, décrets et ordonnances) et comme juridiction suprême de l’ordre administratif. Depuis la loi du 24 mai 1872, il est indépendant du pouvoir exécutif lorsqu’il statue en matière juridictionnelle, et ses décisions ne sont plus soumises à l’approbation du gouvernement.
Formation : En raison de cette double compétence, le Conseil d’État se divise en deux grandes formations :
- Les formations administratives émettent des avis pour le gouvernement. Il existe six sections spécialisées (intérieur, finances, travaux publics, affaires sociales, administration et fiscalité) qui assistent le gouvernement dans l’élaboration des textes législatifs ou réglementaires. La section du rapport et des études rédige un rapport annuel pour le Président de la République, proposant des réformes administratives ou législatives.
- Les formations contentieuses sont concentrées dans la section du contentieux, composée d’un président, trois présidents adjoints, des conseillers d’État, des maîtres des requêtes et des auditeurs. Cette section, désormais divisée en chambres au lieu des dix sous-sections, statue sur les litiges de nature administrative.
Attributions contentieuses : Le Conseil d’État intervient en tant que juridiction de premier et dernier ressort, en appel ou en cassation, selon la nature des affaires traitées.
II. – Les tribunaux administratifs
Origine : Les tribunaux administratifs ont été créés par le décret du 30 septembre 1953, en remplacement des conseils de préfecture instaurés sous Napoléon Bonaparte. Ils constituent la juridiction de droit commun en matière administrative, remplaçant le Conseil d’État dans le traitement des contentieux de premier niveau.
Organisation territoriale : Aujourd’hui, on compte 42 tribunaux administratifs, dont 31 en métropole. Ils sont répartis de manière à couvrir plusieurs départements, chaque tribunal ayant une compétence sur une ou plusieurs juridictions territoriales.
Formation : Les tribunaux administratifs peuvent statuer soit à juge unique, soit en formation collégiale, en fonction de la complexité des affaires.
Compétence : Les tribunaux administratifs sont compétents pour trancher en premier ressort les litiges administratifs de droit commun, sauf si la compétence a été attribuée à une autre juridiction. Ils jouent un rôle majeur en matière de fiscalité, de droit électoral et de travaux publics, domaines dans lesquels les recours sont nombreux.
III. – Les cours administratives d’appel
Origine : Les cours administratives d’appel ont été créées par la loi du 31 décembre 1987 pour alléger la charge du Conseil d’État, alors submergé par les contentieux. Elles permettent de traiter les appels des décisions rendues par les tribunaux administratifs.
Compétence : Les cours administratives d’appel sont devenues la juridiction d’appel pour la plupart des décisions des tribunaux administratifs. Le Conseil d’État conserve toutefois une compétence d’appel dans certains domaines spécifiques, comme les recours pour excès de pouvoir. Les cours administratives d’appel sont les juges d’appel dans les affaires de pleine juridiction, telles que les litiges relatifs aux contrats administratifs ou à la responsabilité de l’administration.
Organisation territoriale : On dénombre désormais 9 cours administratives d’appel en France métropolitaine : Bordeaux, Nancy, Nantes, Lyon, Paris, Marseille, Douai, Versailles, et Toulouse.
§ 3 : LES JURIDICTIONS EXTERIEURES AUX DEUX ORDRES
Nous allons décrire sommairement les deux plus importantes juridictions qui ne peuvent être rattachées ni à l’ordre judiciaire, ni à l’ordre administratif. Il s’agit du Tribunal des conflits (I) et du Conseil constitutionnel (II).
I) Le Tribunal des conflits
Origine : La création du Tribunal des conflits remonte à la loi du 24 mai 1872. Son rôle est de résoudre les questions de compétence entre les deux ordres de juridiction (judiciaire et administratif) lorsque des doutes surgissent quant à celui qui doit traiter un litige. Cette mission reste d’actualité, notamment dans un contexte où la répartition des compétences peut encore donner lieu à des ambiguïtés.
Composition : La composition du Tribunal des conflits a évolué. Il est aujourd’hui composé de huit membres : quatre conseillers d’État et quatre conseillers à la Cour de cassation, en parité. Depuis la réforme de 2015, le président du Tribunal des conflits n’est plus le Garde des Sceaux, mais un membre élu par les membres du Tribunal eux-mêmes, ce qui renforce son indépendance. En cas de partage égal des voix, un membre supplémentaire peut être nommé, ou le président peut avoir une voix prépondérante.
Rôle : Le Tribunal des conflits ne statue pas sur le fond des affaires, mais uniquement sur la compétence juridictionnelle. Il décide si un litige doit être porté devant l’ordre judiciaire ou l’ordre administratif lorsque la compétence est incertaine.
Le conflit de compétence peut se manifester de deux manières principales :
- Conflit négatif : Se produit lorsqu’aucune juridiction, ni judiciaire ni administrative, ne se déclare compétente pour juger un litige, créant ainsi une situation de déni de justice. Cela survient lorsque les juridictions des deux ordres refusent de traiter l’affaire.
- Conflit positif : Il se présente lorsque l’Administration estime que le litige relève de la compétence administrative, alors qu’une juridiction judiciaire a été saisie. L’Administration peut alors émettre un déclinatoire de compétence, généralement par l’intermédiaire du préfet, pour transférer le litige vers la juridiction administrative. Le conflit positif vise à protéger l’autonomie de l’Administration contre l’ingérence des juridictions judiciaires.
Saisine du Tribunal des conflits :
- En cas de conflit positif, c’est le préfet qui, par un déclinatoire de compétence, saisit le Tribunal lorsque le litige relève, selon lui, de la juridiction administrative, et non judiciaire.
- Pour un conflit négatif, lorsque les juridictions des deux ordres se déclarent incompétentes après l’épuisement des voies de recours, le Tribunal des conflits est saisi automatiquement. En outre, le Conseil d’État et la Cour de cassation peuvent saisir directement le Tribunal si un conflit de compétence semble probable, avant même que l’autre ordre juridictionnel ne soit impliqué.
Les décisions du Tribunal des conflits sont définitives et s’imposent aux juridictions des deux ordres, assurant ainsi la répartition correcte des compétences.
II. – Le Conseil Constitutionnel
- Rôle : Créé en 1958, le Conseil constitutionnel a pour mission principale de garantir la constitutionnalité des lois. Depuis la décision de 1971, son rôle s’est élargi avec l’intégration de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, ainsi que des préambules des Constitutions de 1946 et 1958, dans ce qu’on appelle le bloc de constitutionnalité. En plus de juger de la conformité des lois à ce bloc, il veille également au respect des principes fondamentaux énoncés par ces textes. Par ailleurs, il joue un rôle clé dans le contrôle des élections, notamment celles du Président de la République et des parlementaires, et tranche les contentieux électoraux. Depuis 2010, il exerce aussi le contrôle de la constitutionnalité par la procédure de question prioritaire de constitutionnalité (QPC), permettant à tout justiciable de contester une loi en vigueur.
- Composition : Le Conseil constitutionnel est composé de 9 membres, nommés pour un mandat non renouvelable de 9 ans, avec un renouvellement par tiers tous les trois ans. Trois membres sont désignés par le Président de la République, trois par le président de l’Assemblée nationale, et trois par le président du Sénat. Contrairement à ce qui était le cas auparavant, les anciens Présidents de la République ne sont plus membres de droit du Conseil constitutionnel depuis la révision constitutionnelle de 2008. Toutefois, ceux qui étaient déjà membres avant cette révision peuvent continuer à siéger s’ils le souhaitent.
§ 4 : LES JURIDICTIONS EUROPEENNES
L’une siège à Luxembourg, l’autre à Strasbourg…. Leur jurisprudence décide largement des conséquences concrètes du droit communautaire d’une part (I), de la convention européenne des droits de l’homme, d’autre part (II).
I. – La Cour de justice de l’Union Européenne
Origine : La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), créée par le traité constitutif de la Communauté européenne, est devenue la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) à la suite du traité de Lisbonne en 2009. Elle est actuellement composée de 27 juges, un par État membre, et de 11 avocats généraux.
Compétence : La CJUE est compétente pour statuer sur la légalité des actes des institutions de l’Union européenne, ainsi que sur les manquements à leurs obligations. Elle intervient aussi en cas de carence, c’est-à-dire lorsque les institutions n’agissent pas alors que le droit de l’Union l’exigerait.
Recours des particuliers : Contrairement aux États membres et aux institutions de l’UE (Conseil, Commission, Parlement), un particulier ne peut saisir la CJUE que dans des cas très limités, notamment s’il est directement et individuellement concerné par un acte de l’Union européenne.
Procédure en manquement : Si la Commission estime qu’un État membre ne respecte pas ses obligations en vertu du droit de l’Union, elle peut, après une mise en demeure, saisir la CJUE pour constater un manquement. Cette procédure a été utilisée à de nombreuses reprises contre divers États membres, y compris la France. Par exemple, dans les années 1980, la France a été condamnée après qu’une infirmière britannique s’était vue refuser un poste dans la fonction publique hospitalière, en violation du principe de libre circulation des travailleurs. Suite à cette affaire, la législation française a été modifiée pour se conformer au droit de l’Union.
Question préjudicielle : La mission la plus notable de la CJUE réside dans sa compétence à interpréter les traités et le droit dérivé de l’Union. En vertu de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), une juridiction nationale peut poser une question préjudicielle à la CJUE sur l’interprétation du droit de l’Union avant de statuer. Cette procédure permet d’assurer une application uniforme du droit de l’Union dans tous les États membres.
Un exemple notable est la décision de 1991, dans laquelle la CJUE, interrogée par une juridiction française, a interprété la directive de 1976 sur l’égalité entre hommes et femmes. La Cour a jugé que les États membres ne pouvaient maintenir une interdiction du travail de nuit pour les femmes si une telle interdiction n’existait pas pour les hommes, en se fondant sur le principe d’égalité de traitement. Bien que cette décision ait été débattue, elle s’est imposée aux États membres et à leurs juridictions, y compris en France.
II. – La Cour européenne des droits de l’homme
Origine : La Cour européenne des droits de l’homme découle de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, adoptée en 1950 dans le cadre du Conseil de l’Europe. Cette convention vise à protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales dans une Europe axée sur des valeurs éthiques et non économiques.
Recours individuel : Une avancée majeure de cette Convention est de permettre non seulement aux États, mais aussi à tout individu de saisir la Cour pour dénoncer une violation des droits garantis par la Convention. Cette possibilité reste une innovation importante en matière de droits de l’homme.
Conditions de saisine : Depuis 1981, la France, comme la majorité des États européens, a accepté le recours individuel. Toute personne peut saisir la Cour à condition d’avoir épuisé les voies de recours internes et de le faire dans un délai de quatre mois (au lieu de six auparavant) après la décision interne définitive. En outre, les États peuvent également porter plainte contre un autre État pour violation de la Convention.
États membres : Seuls les États ayant ratifié la Convention peuvent être mis en cause devant la CEDH. Lorsqu’une violation est constatée, la Cour peut condamner l’État en question et lui imposer de verser une satisfaction équitable à la victime, généralement sous forme d’indemnisation financière. Par exemple, dans un arrêt du 31 mars 1992, la France a été condamnée pour avoir violé l’article 6 de la Convention (droit à un procès équitable) en raison de la durée excessive d’une procédure judiciaire liée à un cas de contamination au sida après une transfusion sanguine. La Cour a accordé une compensation aux parents de la victime.
Obligation de se conformer aux arrêts : Les arrêts de la CEDH sont contraignants pour les États parties, en vertu de l’article 46 (ancien article 53) de la Convention. Les États sont tenus de se conformer aux décisions de la Cour, mais l’exécution des arrêts n’est pas automatiquement imposée par la Cour elle-même. C’est à l’État condamné de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à la violation et en effacer les conséquences.
Chapitre IV : DOMAINE D’APPLICATION DE LA REGLE DE DROIT
La règle de droit nouvelle entraîne l’abrogation de la règle ancienne, empêchant en principe les conflits entre normes concurrentes. Cependant, des conflits de lois peuvent apparaître en droit interne. En effet, même en France, des conflits de lois dans l’espace (différentes législations sur un même territoire) et des conflits de lois dans le temps (normes successives) peuvent survenir. Nous examinerons donc successivement l’application de la loi dans l’espace (Section I), puis dans le temps (Section II).
Section I : L’APPLICATION DE LA LOI DANS L’ESPACE
Les lois votées par le Parlement et les règlements du pouvoir exécutif ont, en principe, une portée générale sur tout le territoire soumis à la souveraineté française, y compris la France métropolitaine et les territoires d’Outre-mer. Toutefois, certaines régions de la France sont régies par des régimes législatifs spécifiques en raison de leur histoire ou de leurs particularités culturelles et géographiques. C’est notamment le cas de l’Alsace-Moselle (I) et des départements et collectivités d’Outre-mer (II).
I. – Les départements d’Alsace-Moselle
Origine : L’Alsace-Moselle a été annexée par l’Allemagne de 1871 à 1918 et à nouveau de 1940 à 1945. Pendant ces périodes, la législation allemande a été imposée à ces territoires. En 1918, lors de leur retour à la France, il a été jugé nécessaire de maintenir temporairement certaines règles locales pour éviter des changements brusques. Certaines de ces règles, jugées techniquement supérieures, ont été conservées, notamment pour tenir compte des convictions locales, en particulier religieuses.
Évolution : Initialement, le législateur envisageait une unification rapide du droit sur tout le territoire français. Cependant, en 1919, puis à nouveau en 1945, les habitants d’Alsace-Moselle ont exprimé leur souhait de conserver certaines dispositions du droit local. Depuis la loi du 24 mai 1951, le droit local est maintenu sans limitation de durée.
Domaine d’application : Le droit local alsacien-mosellan ne s’applique que dans certains domaines spécifiques, là où le droit français n’a pas été introduit :
- Publicité foncière avec l’existence d’un livre foncier ;
- Associations et fondations, qui bénéficient d’un statut particulier ;
- Baux et certaines réglementations sur les contrats d’assurance ;
- Sécurité sociale, aide sociale, et droit du travail, qui bénéficient de régimes dérogatoires ;
- Organisation judiciaire, avec des règles particulières pour les juridictions, les auxiliaires de justice et la procédure.
Un domaine particulièrement distinct est celui du régime des cultes, régi par le concordat de 1801, toujours en vigueur en Alsace-Moselle. Contrairement au reste de la France, où la séparation de l’Église et de l’État est régie par la loi de 1905, quatre cultes sont reconnus dans cette région : le culte catholique, les cultes protestants (luthérien et réformé), et le culte juif.
II. – Les départements et collectivités d’Outre-Mer
Les départements et territoires d’Outre-Mer (DOM et TOM) ont des statuts variés et représentent près de 2,8 millions d’habitants aujourd’hui. Une distinction claire doit être faite entre les départements et les territoires d’Outre-mer.
A – Les départements d’Outre-mer
Les DOM, issues des anciennes colonies françaises, sont aujourd’hui cinq : la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, La Réunion, et Mayotte (qui est devenue un DOM en 2011). Ces départements ont le même statut que les départements métropolitains, mais avec certaines adaptations législatives spécifiques.
Le régime des DOM est gouverné par le principe de l’assimilation législative : les lois métropolitaines s’appliquent de plein droit, sauf dispositions contraires qui prévoient des adaptations nécessaires en fonction des réalités géographiques, économiques et sociales locales.
B – Les collectivités d’Outre-mer
Avant, on parlait de territoires d’Outre-Mer mais ils ont évolué pour la plupart vers des statuts de collectivités d’Outre-Mer (COM) ou des régimes particuliers. Chaque territoire bénéficie de niveaux d’autonomie variables, en fonction de leurs spécificités historiques et constitutionnelles.
- Nouvelle-Calédonie : Depuis l’accord de Nouméa de 1998, la Nouvelle-Calédonie bénéficie d’une large autonomie, avec un processus de décolonisation graduel. Après trois référendums (le dernier en 2021), la Nouvelle-Calédonie a choisi de rester au sein de la France, mais les discussions sur son statut continuent.
- Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) ont tous des régimes spécifiques. La Polynésie française est une collectivité d’Outre-Mer avec une large autonomie, tandis que Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna sont des collectivités d’Outre-Mer avec des compétences spécifiques en matière législative.
- Mayotte, anciennement territoire d’Outre-Mer, est devenue un département d’Outre-Mer et une région d’Outre-Mer en 2011, intégrant de facto le régime d’assimilation législative.
Spécialité législative : Pour les collectivités d’Outre-Mer, le principe de spécialité législative s’applique. Cela signifie que les lois métropolitaines ne s’appliquent que si une disposition expresse le prévoit et après promulgation locale. L’autonomie législative y est donc plus marquée qu’en métropole.
Section II : L’APPLICATION DE LA LOI DANS LE TEMPS
Une loi nouvelle entre en vigueur à une date précise, mais son introduction peut soulever des conflits de lois dans le temps. Il est important de déterminer dans quelle mesure la nouvelle loi remplace l’ancienne, pour garantir la stabilité juridique. Lorsqu’une loi est adoptée, elle doit s’appliquer aux faits et situations qu’elle régit. Toutefois, certains faits ne sont pas instantanés et peuvent s’étendre dans le temps (mariage, contrat de travail, location, etc.). Le défi consiste donc à savoir si ces situations, commencées sous l’empire de l’ancienne loi, doivent désormais se conformer à la nouvelle loi. Ce problème est d’autant plus important avec l’inflation législative actuelle, qui entraîne de fréquents changements.
Par exemple, le divorce a été aboli en 1816. Qu’en est-il des personnes mariées avant cette date, alors que le divorce était encore légal ? Ces situations montrent l’importance des règles organisant la succession des lois.
Modalités d’application de la loi dans le temps
Parfois, le législateur prévoit directement dans la loi ses modalités d’application dans le temps, en introduisant des mesures transitoires pour assurer une transition harmonieuse entre l’ancienne loi et la nouvelle. Ces dispositions prévues par le législateur priment sur les règles générales de conflits de lois dans le temps.
Cependant, si le législateur reste silencieux sur la question, c’est le juge qui devra se référer à un certain nombre de principes établis pour résoudre ces conflits.
Principes fondamentaux
Les individus agissent selon les lois en vigueur au moment où ils réalisent leurs actes, et ils ont besoin de cette sécurité juridique. Toutefois, la loi nouvelle est souvent perçue comme une amélioration, ce qui justifie qu’elle s’applique rapidement pour assurer l’égalité entre les citoyens, en soumettant tous aux mêmes règles. Le législateur doit donc concilier ces deux exigences : sécurité juridique et application immédiate de la nouvelle loi.
L’article 2 du Code civil établit deux principes majeurs pour résoudre ces conflits de lois dans le temps :
- La non-rétroactivité des lois : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Ce principe protège les citoyens des changements juridiques imprévus qui pourraient affecter les actes déjà accomplis sous l’empire de la loi ancienne.
- L’effet immédiat de la loi nouvelle : La loi nouvelle s’applique immédiatement à toutes les situations en cours, sauf si des droits acquis sont en jeu. Ce principe garantit une application rapide et généralisée de la nouvelle législation
§ 1 : LA NON-RETROACTIVITE DES LOIS
L’article 2 pose le principe de la non-rétroactivité des lois (I) mais l’application de ce principe connaît certaines limites (II).
I. -Le principe de non-rétroactivité
II. – Les limites au principe de non-rétroactivité
Contrairement à la Constitution de l’an III, le principe de non-rétroactivité des lois ne figure pas explicitement dans la Constitution actuelle. Seul le Préambule de 1946, qui fait partie du bloc de constitutionnalité, impose la non-rétroactivité des lois pénales. Cela signifie que, hors du domaine pénal, le principe de non-rétroactivité est un principe qui ne s’impose qu’au juge. Le législateur peut y déroger en adoptant des lois expressément rétroactives (A) ou des lois interprétatives (B). Toutefois, les lois rétroactives menacent la sécurité juridique et doivent rester exceptionnelles. En matière pénale, il existe une particularité : les lois pénales plus douces sont toujours rétroactives (C).
A – Les lois expressément rétroactives
• En matière pénale, il est impossible d’adopter une loi rétroactive lorsqu’elle est plus sévère (nouvelle incrimination, aggravation des peines, suppression des circonstances atténuantes, etc.). Ce principe est fondé sur l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui stipule qu’aucune peine ne peut être appliquée sans loi préexistante. Le Conseil constitutionnel veille au respect de ce principe et censure toute loi qui y contreviendrait. Ce principe est également consacré par l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.
• En matière civile, les lois expressément rétroactives sont possibles mais restent rares. Elles interviennent principalement dans des périodes exceptionnelles. Par exemple, la loi de 1794 sur les successions a été rendue applicable à toutes les successions ouvertes depuis 1789, obligeant à réviser les successions liquidées antérieurement. De même, la loi du 27 juillet 1940 a exonéré les chemins de fer de leur responsabilité pour les transports effectués pendant l’invasion allemande. Ces lois rétroactives visent souvent à marquer des ruptures dans l’histoire. Toutefois, de telles lois sont très rares aujourd’hui. Un exemple plus récent est la loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation, dont l’article 47 a prévu une application rétroactive pour les affaires en cours, y compris celles pendantes devant la Cour de cassation. Le caractère rétroactif d’une loi doit être expressément prévu par le législateur.
B – Les lois interprétatives
Une loi est dite interprétative lorsqu’elle vise uniquement à « préciser et expliquer le sens obscur ou contesté d’un texte déjà existant » (Arrêt Soc. 20 mars 1956). Dans ce cas, la loi interprétative est censée faire corps avec la loi ancienne, agissant comme un prolongement de cette dernière. Par conséquent, la rétroactivité de la loi interprétative est admise : elle est considérée comme ayant pris effet au jour de l’entrée en vigueur de la loi interprétée.
- • Ce procédé est souvent critiqué, car l’interprétation des lois devrait être le rôle des tribunaux, et non du législateur. Il arrive également que des lois présentées comme interprétatives modifient en réalité le droit existant, plutôt que de simplement clarifier un texte obscur.
- • Le recours à des lois interprétatives survient parfois lorsque le législateur désire contrecarrer une interprétation jurisprudentielle qu’il n’approuve pas. Cependant, cette pratique est limitée par le fait que la jurisprudence ne se considère pas liée par la qualification donnée à la loi. Ainsi, les juges vérifient si la loi est véritablement interprétative ou si elle introduit une modification rétroactive déguisée. Dans ce cas, ils peuvent refuser de lui reconnaître un effet rétroactif, assurant ainsi le respect du principe de non-rétroactivité.
C – Les lois pénales plus douces
Lorsqu’une loi pénale plus douce entre en vigueur, qu’elle réduise la peine encourue, supprime une infraction ou une circonstance aggravante, elle s’applique immédiatement à toutes les situations pénales, même si elles sont antérieures à l’entrée en vigueur de la loi. Ce principe est appelé rétroactivité « in mitius ».
- Ainsi, les délits commis avant l’entrée en vigueur de la loi sont jugés selon les nouvelles dispositions plus clémentes, car la sévérité de la loi antérieure est considérée comme n’étant plus socialement nécessaire. Si le législateur décide qu’une sanction moins sévère est suffisante pour un comportement délictueux, il serait injustifié de continuer à appliquer l’ancienne peine aux infractions passées.
- Cette règle a une valeur constitutionnelle, et toute loi contraire serait annulée par le Conseil constitutionnel en vertu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.
- De plus, un délinquant peut invoquer une loi pénale plus douce pendant son procès. La Cour de cassation n’annulera la condamnation que si la décision viole la loi nouvelle, tout en respectant les décisions prises selon la loi ancienne tant que la condamnation n’a pas force de chose jugée. Ainsi, la Chambre criminelle a rappelé le 5 septembre 2000 que : « Les dispositions d’une loi nouvelle s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée ».
- Un exemple notable est l’annulation par la Cour de cassation de nombreuses décisions rendues avant l’entrée en vigueur de la loi du 10 juillet 2000 modifiant l’article 121-3 du Code pénal sur les délits d’imprudence, qui avait un effet plus favorable pour les délinquants. Si une condamnation a acquis l’autorité de la chose jugée, la loi nouvelle ne peut plus remettre en cause la décision définitive.
§ 2 : L’EFFET IMMEDIAT DE LA LOI NOUVELLE
Le principe de l’effet immédiat d’une loi nouvelle est un concept clé en droit. Nous examinerons d’abord ce principe (I), puis nous aborderons l’exception à ce principe en matière contractuelle, où s’applique le principe de la survie de la loi ancienne (II).
I. Le principe de l’effet immédiat
La loi nouvelle s’applique aux situations juridiques nées après son entrée en vigueur, ainsi qu’aux effets futurs des situations antérieures qui continuent à se dérouler. Les effets passés, déjà réalisés sous l’ancienne loi, restent régis par celle-ci, mais la loi nouvelle saisit les conséquences qui se produiront après son entrée en vigueur. La loi ancienne cesse donc d’être applicable aux effets futurs des situations en cours.
Le législateur peut ainsi, à tout moment, modifier les effets des situations juridiques en cours. Cela peut concerner :
- Le père naturel qui a vu ses droits renforcés par la loi du 8 janvier 1993.
- Les droits de l’épouse, égalisés avec ceux de l’époux par la loi du 30 décembre 1985.
- Les droits du propriétaire, limités par des règles concernant l’aliénation d’œuvres d’art.
Ces situations juridiques, nées sous une loi ancienne, se poursuivent dans le futur, et leurs effets futurs sont modifiés par la nouvelle législation. Par exemple, la loi du 3 janvier 1972 a égalisé les droits des enfants légitimes et naturels, mais elle n’a pas remis en cause les successions déjà liquidées. Cependant, elle s’est appliquée immédiatement aux successions non liquidées et à celles à venir.
Portalis l’a bien expliqué : appliquer la loi nouvelle aux effets futurs n’est pas un acte rétroactif. Selon lui, « les lois ne peuvent rien changer au passé, mais elles gouvernent le présent et l’avenir ». En d’autres termes, la rétroactivité consisterait à revenir sur des effets passés, ce qui n’est pas le cas ici.
Pour résumer, trois cas de figure doivent être distingués :
- Conditions d’établissement des situations juridiques : La loi nouvelle ne remet pas en cause les situations créées dans le passé. Par exemple, si une loi nouvelle exige que chaque époux ait deux témoins pour se marier (alors qu’un seul était requis avant), les mariages célébrés avec un témoin avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi resteront valables.
- Effets passés des situations juridiques antérieures : Les effets déjà produits sous l’empire de la loi ancienne restent régis par cette dernière, en vertu du principe de non-rétroactivité.
- Effets futurs des situations juridiques antérieures : Ils sont saisis par la loi nouvelle en vertu du principe de l’effet immédiat.
Le principe de l’effet immédiat repose sur l’idée que la loi nouvelle est une amélioration, et qu’elle doit donc bénéficier à tous les individus pour assurer une harmonie juridique. Il est important que tous les citoyens soient soumis aux mêmes règles. Toutefois, cette règle cède en matière contractuelle, où l’autonomie des parties et la sécurité juridique prévalent, avec la survie de la loi ancienne pour les effets futurs des contrats.
II. Le principe de la survie de la loi ancienne en matière contractuelle
La survie de la loi ancienne s’applique lorsqu’une loi continue de régir des faits qui se produisent après l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle, c’est-à-dire après que la loi ancienne a été abrogée. La nouvelle loi ne s’applique donc pas immédiatement aux situations contractuelles existantes ; la loi ancienne continue de régir les effets futurs de ces situations.
La jurisprudence, en particulier la décision du 27 octobre 1969 (Chambre commerciale), a précisé que les effets d’un contrat sont régis par la loi en vigueur au moment de sa conclusion. Cela signifie que les contrats en cours d’exécution au moment de l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi continuent à être régis par la loi ancienne, même après son abrogation, tant que ces contrats sont en vigueur.
Cette exception repose sur l’idée que les situations contractuelles sont principalement soumise à la volonté des parties. La loi ancienne, en vigueur lors de la conclusion du contrat, est ainsi incorporée dans celui-ci. Par exemple, les statuts d’une société rédigés selon une loi ancienne acquièrent une nature contractuelle, protégée contre l’intervention législative ultérieure. Cette protection est essentielle dans un système qui privilégie l’autonomie de la volonté des parties. Les cocontractants doivent pouvoir être certains que les équilibres juridiques qu’ils ont créés ne seront pas bouleversés par une loi nouvelle.
Exceptions au principe de survie de la loi ancienne
Il existe cependant des exceptions à ce principe, notamment pour les lois d’ordre public. Lorsque le législateur estime nécessaire d’uniformiser les situations juridiques, il peut décider que la loi nouvelle s’applique immédiatement, même aux contrats en cours. Cette situation se présente souvent lorsque la loi nouvelle répond à un intérêt social impérieux qui l’emporte sur la stabilité des conventions contractuelles.
Le simple fait qu’une loi soit impérative (au sens de l’article 6 du Code civil) ne suffit pas pour justifier cette exception. Il faut que la loi exprime un intérêt supérieur tel que la stabilité des conventions contractuelles ne puisse y faire échec.
Cette exception est souvent rencontrée dans des domaines tels que :
- Les baux à usage d’habitation et professionnels.
- Les prêts d’argent.
- Les contrats d’assurance-vie.
- Le droit du travail.
En matière de droit du travail, par exemple, la Cour de cassation a jugé que les lois nouvelles s’appliquent aux effets futurs de tous les contrats de travail, quelle que soit la date de leur conclusion, pour garantir une égalité de traitement entre les salariés. Ce principe est justifié par l’abondante réglementation impérative qui encadre ces contrats, rendant leur nature moins strictement contractuelle.
Ainsi, si une loi nouvelle accorde un avantage social aux salariés, il est jugé équitable que tous les salariés en bénéficient, même ceux dont les contrats ont été conclus avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. L’ordre public social justifie que les progrès sociaux s’appliquent à tous, y compris aux contrats en cours d’exécution.
2ème partie : LE DROIT¸ ENVISAGE COMME UN ENSEMBLE DE PREROGATIVES : LES DROITS SUBJECTIFS
La règle de droit objectif confère aux individus des droits individuels, appelés droits subjectifs. Ces derniers représentent les prérogatives dont un individu, en tant que sujet de droit, est titulaire. Le sujet de droit est toute personne qui possède la capacité juridique de jouir de droits subjectifs et d’être tenue par des obligations envers d’autres sujets de droit.
En ce sens, le sujet de droit est une personne considérée dans sa dimension juridique.
Nous allons d’abord examiner les principales classifications des droits subjectifs (Chapitre I), puis nous aborderons la preuve des droits subjectifs (Chapitre II), et enfin nous analyserons la sanction des droits subjectifs (Chapitre III).
Chapitre premier. LA CLASSIFICATIONS DES DROITS SUBJECTIFS
es droits subjectifs sont nombreux et ont donné lieu à diverses classifications. Ces classifications ne sont pas de simples catégories, mais des distinctions importantes, car elles déterminent le régime juridique applicable à chaque type de droit. Il est essentiel de comprendre à quelle catégorie appartient une prérogative donnée pour appliquer correctement les règles juridiques qui la gouvernent. Nous distinguons principalement trois grandes classifications :
- Les droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux (Section I).
- Les droits réels et droits personnels (Section II).
- Les droits mobiliers et droits immobiliers.
Section I : LES DROITS PATRIMONIAUX ET LES DROITS EXTRAPATRIMONIAUX
La notion de patrimoine est essentielle dans de nombreuses constructions juridiques. Avant de distinguer les droits patrimoniaux des droits extrapatrimoniaux (&2), il est nécessaire de bien comprendre cette notion (§1).
§ 1 : NOTION DE PATRIMOINE
L’ensemble des droits et obligations de la personne juridique s’intègre dans son patrimoine. Les rédacteurs du Code civil n’ont pas envisagé spécialement la notion de patrimoine. C’est au XIXe siècle qu’Aubry et Rau ont tenté de définir le patrimoine. Nous envisagerons la théorie classique du patrimoine d’Aubry et Rau avant d’exposer les critiques qu’elle a suscitée.
I. – La théorie classique d’ Aubry et Rau
Pour Aubry et Rau, « le patrimoine est l’ensemble des biens d’une personne, envisagé comme formant une universalité de droit ». Cette théorie classique, bien qu’ancienne, reste fondamentale dans le droit civil français. Elle repose sur trois caractéristiques principales : le patrimoine est une universalité juridique (A), il est lié à la personne (B) et ne contient que des droits pécuniaires (C).
A – Le patrimoine est une universalité juridique
L’ensemble des droits d’une personne constitue une universalité juridique : son patrimoine. Cet ensemble forme un bloc indivisible, où tous les droits et obligations sont interconnectés. Le patrimoine comporte deux compartiments :
- À l’actif, on trouve tous les droits ayant une valeur positive (ex. : droits de propriété, créances).
- Au passif, sont inscrites toutes les obligations, c’est-à-dire les dettes et autres engagements ayant une valeur négative.
Contrairement à une simple universalité de fait (comme un troupeau ou une bibliothèque, qui regroupe des éléments sans passif associé), le patrimoine inclut à la fois les droits et les charges. Cela signifie que le patrimoine englobe non seulement les droits actuels et futurs, mais aussi les dettes actuelles et à venir. Les droits répondent donc des charges.
La principale conséquence de cette universalité est le lien entre l’actif et le passif : les biens et droits d’une personne (éléments actifs) sont engagés pour couvrir ses dettes (éléments passifs). Ainsi, les créanciers d’une personne, qu’ils disposent ou non de sûretés réelles, peuvent se faire payer sur l’ensemble de l’actif. Les créanciers chirographaires (ceux qui n’ont pas de droit spécifique sur un bien particulier, comme les créanciers hypothécaires) bénéficient d’un droit de gage général sur le patrimoine de leur débiteur, selon l’article 2092 du Code civil (article 2092 : « Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir« .)
Cela signifie que l’ensemble des biens du débiteur est susceptible de répondre de ses dettes, même si aucun bien spécifique n’est mis en garantie. Les créanciers, en vertu de cette universalité, peuvent agir sur tous les éléments du patrimoine pour recouvrer leur créance.
Une autre conséquence de cette notion d’universalité juridique est visible lors de la transmission du patrimoine à la suite du décès d’une personne. À la mort, le patrimoine est transmis à ses ayants cause (héritiers) dans son intégralité, incluant à la fois l’actif (les droits) et le passif (les dettes). Cette transmission est dite à titre universel lorsque l’héritier recueille la totalité du patrimoine du défunt. À l’inverse, une transmission à titre particulier concerne un bien spécifique du défunt et non l’ensemble de son patrimoine.
Les ayants cause universels reçoivent donc l’ensemble du patrimoine du défunt, incluant ses droits et obligations, tandis que les ayants cause à titre particulier ne reçoivent qu’un élément de l’actif (par exemple, un bien immobilier). La transmission globale ne peut se produire que lors du décès, car le patrimoine est indissociablement lié à la personne.
B – Le patrimoine est lié à la personne
Pour les juristes Aubry et Rau, le patrimoine est « une émanation de la personnalité et l’expression de la puissance juridique dont une personne se trouve investie comme telle ». De cette définition découlent plusieurs grandes conséquences : seules les personnes ont un patrimoine, toute personne a un patrimoine, et chaque personne n’a qu’un seul patrimoine.
- Seules les personnes ont un patrimoine : Un patrimoine ne peut exister sans le support d’une personne, qu’elle soit physique ou morale. Par exemple, les fondations qui n’ont pas de personnalité juridique n’ont pas de patrimoine propre. Une fondation consiste en l’affectation d’une masse de biens à un but déterminé (charitable, culturel, scientifique), comme la création d’un hôpital ou la préservation des œuvres d’un artiste. Sans personnalité juridique, une fondation ne peut légalement recevoir de dons ou de legs, bien qu’un décret puisse lui conférer fictivement une personnalité si elle est reconnue d’utilité publique. Par ailleurs, les personnes morales (comme les sociétés commerciales) possèdent un patrimoine distinct de celui de leurs associés. Ainsi, seul l’actif de la société est engagé pour couvrir ses dettes.
- Toute personne a un patrimoine : Le patrimoine est le contenant des droits et obligations, et non le contenu lui-même. Toute personne, qu’elle soit physique ou morale, dispose nécessairement d’un patrimoine, même si celui-ci est vide ou négatif (passif supérieur à l’actif). Cette capacité à avoir des droits et des obligations est inhérente à la personne juridique. Le patrimoine est indissociable de l’existence d’une personne juridique et ne peut pas être transmis entre vifs. En revanche, une personne peut céder des éléments individuels de son patrimoine, comme un bien immobilier, mais elle ne peut pas céder l’ensemble de son patrimoine en tant qu’universalité. En principe, le patrimoine disparaît avec le décès de son titulaire. Cependant, pour éviter cette conséquence, le législateur utilise une fiction juridique issue du droit romain : l’héritier continue la personne du défunt. Le patrimoine du défunt se fond dans celui de l’héritier, qui devient immédiatement responsable des dettes et des obligations.
- Une personne n’a qu’un seul patrimoine : Lorsqu’un héritier reçoit les biens d’un défunt, le patrimoine de ce dernier fusionne avec celui de l’héritier. On ne peut pas avoir deux patrimoines distincts simultanément, car cela reviendrait à être deux personnes à la fois, ce qui est juridiquement impossible.
On ne peut isoler un bloc de droits et d’obligations que s’il est rattaché à une personne juridique. Cette règle explique la différence entre un commerçant exerçant son activité individuellement et celui qui la pratique sous forme de société. Dans le premier cas, le fonds de commerce fait partie du patrimoine du commerçant, et les dettes professionnelles sont compensées par l’ensemble de ses biens personnels. En revanche, un commerçant exerçant sous forme de société, personne morale, crée un patrimoine distinct pour la société. Les deux patrimoines, celui de la société et celui de l’associé, sont donc indépendants l’un de l’autre.
C – Le patrimoine ne contient que des droits pécuniaires
Aubry et Rau considèrent que le patrimoine est exclusivement composé de droits ayant une valeur pécuniaire, autrement dit des droits susceptibles d’être évalués en argent. Cela inclut :
- Les droits réels (comme le droit de propriété sur un bien),
- Les droits personnels (comme les créances).
Les droits extrapatrimoniaux, tels que le droit au nom, le droit à la vie privée ou le droit d’exercer l’autorité parentale, sont exclus du patrimoine car ils ne sont pas évaluables en argent et ne peuvent pas être saisis par les créanciers. Ces droits sont protégés mais ne font pas partie du contenu patrimonial de la personne.
En résumé, pour Aubry et Rau, le patrimoine est un ensemble juridique indissociable, lié à la personnalité de son titulaire et composé uniquement de droits pécuniaires, ce qui a des conséquences importantes sur la transmission, la gestion et la responsabilité des biens et des dettes.
II. – Critiques de la théorie classique
La théorie d’Aubry et Rau, bien que fondatrice, a suscité de nombreuses critiques, tant sur le plan théorique que pratique. Elle est jugée trop rigide et peu adaptée à certaines réalités économiques contemporaines. Plusieurs points ont été soulevés :
1. Une vision trop restrictive du patrimoine
L’un des reproches principaux est que la théorie du patrimoine, telle qu’énoncée par Aubry et Rau, limite le patrimoine aux droits ayant une valeur pécuniaire. Elle exclut ainsi les droits extrapatrimoniaux (comme le droit à la vie privée ou le droit d’auteur), alors que ces derniers peuvent avoir des conséquences financières importantes. Par exemple, un droit d’auteur sur une œuvre peut générer des revenus significatifs. En excluant ces droits non pécuniaires du patrimoine, la théorie classique restreint la capacité à gérer certains aspects économiques modernes.
2. Indivisibilité du patrimoine : un frein pour les affaires
La critique la plus importante porte sur le parallélisme entre personnalité et patrimoine et sur le principe d’indivisibilité du patrimoine. En effet, selon la théorie classique, une personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine, regroupant tous ses droits et obligations. Ce principe est considéré comme un frein pour le développement économique, notamment pour les entrepreneurs.
- Une même personne physique ou morale peut exercer différentes activités (ex. : un commerçant qui possède à la fois une entreprise et des biens personnels). L’impossibilité de distinguer les biens professionnels des biens personnels expose l’ensemble de son patrimoine aux risques liés à son activité professionnelle. Cela peut, par exemple, entraîner la saisie des biens personnels en cas de faillite professionnelle.
- La solution souvent utilisée est la création d’une société, séparant ainsi artificiellement le patrimoine personnel et le patrimoine affecté à l’activité commerciale. Cependant, cette solution est souvent complexe et coûteuse, et ne garantit pas toujours la protection souhaitée.
Pour remédier à cela, la théorie moderne du patrimoine d’affectation a été proposée. Cette approche permet de créer plusieurs « masses » de biens et de dettes en fonction de leur destination. Par exemple, une personne pourrait isoler les biens affectés à son activité professionnelle pour les séparer de son patrimoine familial, protégeant ainsi sa famille en cas de faillite.
3. Abandon de la théorie classique dans d’autres systèmes juridiques
Certains droits étrangers ont totalement abandonné la conception classique du patrimoine lié à la personnalité :
- Le droit anglo-saxon n’a jamais adopté cette notion et ne lie pas nécessairement la personnalité à un patrimoine unique.
- Le droit allemand et le droit suisse ont également abandonné cette idée. Dans ces systèmes, il est possible pour une même personne d’avoir plusieurs patrimoines, ce qui permet une meilleure protection et flexibilité.
4. Adaptation du droit français
Le droit français a évolué pour intégrer des éléments de la critique de la théorie classique. Sans abandonner complètement la théorie d’Aubry et Rau, le législateur a introduit des mécanismes pour permettre une séparation des patrimoines dans certaines situations :
- La loi du 11 juillet 1985 a créé l’EURL (Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) et l’EARL (Entreprise agricole à responsabilité limitée), permettant à un seul entrepreneur de constituer une société distincte de sa personne physique. Cela crée un patrimoine séparé pour son activité professionnelle, isolant ainsi son patrimoine personnel.
Ce mécanisme reflète l’idée de patrimoine d’affectation, en permettant de créer une personne morale distincte du commerçant ou de l’agriculteur pour affecter certains biens à une activité spécifique. Cette logique a été étendue avec l’introduction de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) en 2010, permettant de séparer juridiquement le patrimoine personnel et professionnel sans passer par la création d’une société.
§ 2 : LA CLASSIFICATION DES DROITS EN FONCTION DU PATRIMOINE
Nous examinerons d’abord le critère de distinction entre droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux (I), puis nous en analyserons la portée (II).
I. – le critère de distinction
La distinction entre droits patrimoniaux et droits extrapatrimoniaux, bien que parfois imparfaite, est simple et reflète assez bien la réalité sociale. Les droits patrimoniaux sont les seuls éléments actifs qui font partie du patrimoine d’une personne. Le critère de classification repose sur la possibilité de valoriser un droit en argent : seuls les droits évaluables en argent sont considérés comme patrimoniaux.
- Certains droits ont une valeur pécuniaire et peuvent être appréciés en termes monétaires. Par exemple, le droit de propriété ou encore le droit de créance (le droit de réclamer le paiement d’une dette) sont des droits patrimoniaux, car ils peuvent être monétisés ou transmis.
- En revanche, d’autres droits ont avant tout une valeur morale ou personnelle. Ce sont des droits extrapatrimoniaux, car ils ne peuvent pas être évalués en argent ni transmis. Parmi ces droits, on trouve le droit à une filiation déterminée, le droit au nom, le droit à l’intimité de la vie privée, et le droit à l’honneur.
Il ne faut toutefois pas exagérer la portée de cette distinction, car la violation d’un droit extrapatrimonial (par exemple, l’atteinte à la vie privée ou à l’honneur) peut donner lieu à une réparation financière, sous forme de dommages-intérêts (souvent fondés sur l’article 1240 du Code civil). Cependant, cela ne transforme pas la nature du droit violé, qui reste extrapatrimonial.
II. – La portée de la distinction
Les droits extrapatrimoniaux se distinguent des droits patrimoniaux par leur incompatibilité avec les transactions commerciales. Ils sont, en effet, hors commerce, ce qui implique plusieurs caractéristiques communes.
- Intransmissibilité des droits extrapatrimoniaux
Les droits extrapatrimoniaux sont intransmissibles, ce qui signifie qu’ils ne se transfèrent pas aux héritiers après le décès de la personne concernée. Ils s’éteignent avec la mort de l’individu. Cependant, des exceptions existent. Par exemple, une action en justice peut être intentée après le décès pour protéger la mémoire, la réputation ou la pensée du défunt. Cette action est généralement exercée par le conjoint ou les proches parents, même si ces derniers ne sont pas nécessairement les héritiers des droits patrimoniaux. - Insaisissabilité des droits extrapatrimoniaux
Les droits extrapatrimoniaux sont insaisissables par les créanciers. Comme ils ne sont pas évaluables en termes monétaires, les créanciers n’ont aucun intérêt à les saisir. Toutefois, certaines atteintes aux droits extrapatrimoniaux, bien qu’évaluables en argent (par exemple, un préjudice moral), restent insaisissables. - Indisponibilité des droits extrapatrimoniaux
Les droits extrapatrimoniaux sont indisponibles, ce qui signifie qu’ils sont hors commerce. Ils ne peuvent faire l’objet ni d’une cession ni d’une renonciation. Toute convention visant à les transférer ou les modifier serait considérée comme nulle de nullité absolue.- L’article 16-5 du Code civil, issu de la loi du 29 juillet 1994, réaffirme ce principe en stipulant que « les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles ». Non seulement le corps humain et ses éléments ne peuvent être monnayés, mais il est également impossible de conclure un accord contractuel portant sur ces derniers.
- La récente réforme de la bioéthique de 2021 a renforcé le cadre des droits extrapatrimoniaux liés au corps humain, tout en ouvrant des droits supplémentaires. Par exemple, l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) a été étendu aux femmes célibataires et aux couples de femmes. Cette loi ne modifie pas directement le principe d’indisponibilité du corps, mais elle encadre davantage les pratiques de don et de reproduction en France.
- Cela inclut, par exemple, les conventions de gestation pour autrui (mères porteuses), qui sont déclarées nulles en vertu de l’article 16-7 du Code civil. Une femme ne peut donc renoncer à ses droits parentaux par contrat, et un père ne peut s’engager par convention à ne pas contester la paternité. De même, un enfant ne peut être empêché, par une convention, d’exercer son action en recherche de paternité.
- Cependant, la jurisprudence européenne, notamment celle de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), a exercé une certaine pression sur la France, obligeant le pays à reconnaître les états civils des enfants nés de GPA à l’étranger, même si la pratique reste prohibée sur le sol français. Cette évolution implique que, bien que la nullité des conventions de GPA demeure en droit français, les enfants nés par ce procédé à l’étranger peuvent désormais voir leur filiation reconnue, notamment à travers l’adoption.
- Exceptions au principe d’indisponibilité
Malgré ce principe d’indisponibilité, des exceptions existent. Par exemple, l’article 311-20 du Code civil, introduit par la loi du 29 juillet 1994, permet au père ayant consenti à l’insémination artificielle avec donneur de renoncer à toute action en contestation de reconnaissance. De même, certaines conventions portant sur le corps humain sont acceptées dans des cas spécifiques, lorsqu’elles concernent des atteintes légères et non définitives (coupe de cheveux, don de lait maternel ou de sang) ou lorsqu’elles ont une visée thérapeutique (contrats médicaux) ou scientifique. La loi du 20 décembre 1988 autorise les expérimentations scientifiques sous conditions strictes, notamment en matière de gratuité, comme le précise l’article 16-6 du Code civil : « Aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête à une expérimentation sur sa personne, au prélèvement d’éléments de son corps ou à la collecte de produits de celui-ci ». - Imprescriptibilité des droits extrapatrimoniaux
Enfin, les droits extrapatrimoniaux sont imprescriptibles, c’est-à-dire qu’ils ne disparaissent pas par le non-usage. Ils peuvent faire l’objet d’une action en justice sans limitation de temps. Par exemple, une personne peut contester l’usage de son nom à tout moment. Cependant, certaines exceptions existent, notamment en matière de filiation, où des délais spécifiques peuvent s’appliquer.
Section II : LES DROITS RÉELS ET PERSONNELS
Nature de l’opposition entre droit réel et droit personnel : Cette distinction entre droits réels et droits personnels est ancienne et remonte à la procédure romaine.
- Le droit réel est un droit qui porte directement sur une chose, conférant à son titulaire un pouvoir sur celle-ci. Par exemple, le droit de propriété est un droit réel qui permet au propriétaire d’exercer les pouvoirs les plus étendus sur un bien, incluant l’usage, la jouissance, et la disposition de celui-ci.
- Le droit personnel, ou obligation, concerne une relation entre deux personnes. Il confère au créancier le droit d’exiger d’une autre personne, le débiteur, qu’elle exécute une prestation ou s’abstienne de faire quelque chose à son profit. Par exemple, dans une convention de prestation de services, le créancier peut exiger du débiteur qu’il remplisse ses obligations conformément au contrat.
Cette distinction entre droits réels et droits personnels est ancienne et remonte à la procédure romaine.
Plusieurs différences importantes les caractérisent :
- Nombre : Les droits personnels sont potentiellement illimités car les parties contractantes, en vertu de la liberté des conventions, peuvent créer des obligations nouvelles que le législateur n’a pas nécessairement prévues. À l’inverse, les droits réels sont en nombre limité. Ils sont déterminés par la loi, qui seule peut créer un droit réel et en définir les contours. La volonté individuelle ne peut, à elle seule, créer un droit réel en dehors des dispositions légales.
- Opposabilité : Le droit réel est opposable à tous (caractère absolu). Comme il porte directement sur une chose, il ne peut être ignoré des tiers, qui doivent le respecter. Cependant, pour que ce droit soit opposable aux tiers, une publicité peut être nécessaire (par exemple, dans le cas d’un bien immobilier). À défaut de publicité, le droit est inopposable aux tiers. Ainsi, si un bien est vendu plusieurs fois, celui qui aura publié son acquisition en premier sera reconnu propriétaire, même s’il a acheté après les autres. De même, une hypothèque sur un bien immobilier ne sera opposable à l’acquéreur que si elle a été publiée.
En revanche, le droit personnel n’est opposable qu’au débiteur et a un caractère relatif. Il ne crée d’obligations que pour la personne à qui il s’adresse. Les tiers ne peuvent être contraints par une convention à laquelle ils ne sont pas parties, même si le droit de créance existe indirectement à l’égard de tous dans le sens où personne ne doit porter atteinte à l’existence d’une créance.
- Actif et passif : Le droit personnel comporte à la fois un élément actif (la créance du côté du créancier) et un élément passif (la dette du côté du débiteur). En revanche, le droit réel est toujours un élément d’actif dans le patrimoine du titulaire. Il ne crée pas de dette, contrairement au droit personnel.
Après avoir étudié cette opposition, nous examinerons en détail les droits réels (§1) et les droits personnels (§2). Toutefois, cette classification s’avère incomplète, car elle n’inclut pas les droits portant sur des activités intellectuelles ou sur la personnalité elle-même. Il existe donc des droits intellectuels et des droits de la personnalité, qui ne sont ni réels, ni personnels (§3).
§ 1 : Les droits réels
Le droit réel est, dans la théorie classique, un rapport juridique immédiat et direct entre la personne et une chose. La théorie classique distingue deux catégories de droits réels : les droits réels dits principaux (I) et les droits réels dits accessoires (II).
I. – Les droits réels principaux
Les droits réels principaux incluent principalement le droit de propriété et ses démembrements.
- Le droit de propriété : L’article 544 du Code civil définit la propriété comme « le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois et règlements ». Cela signifie que le propriétaire a tout pouvoir sur la chose, ce qui en fait un droit absolu et total. Le droit de propriété se décompose en trois attributs principaux :
-
- Usus : Le droit d’user de la chose, c’est-à-dire de l’utiliser ou de choisir de la laisser inutilisée.
- Fructus : Le droit de jouir de la chose, c’est-à-dire de la faire fructifier (par exemple, récolter les fruits naturels comme la moisson ou percevoir des fruits civils comme les loyers).
- Abusus : Le droit de disposer de la chose, ce qui inclut la possibilité de la vendre, la donner, l’abandonner ou même de la détruire.
Cependant, ce droit de disposition peut être limité par certaines règles législatives, telles que le droit de préemption, qui permet à une collectivité de se substituer à l’acheteur dans une transaction, ou par l’expropriation pour cause d’utilité publique (article 545 du Code civil). Des restrictions existent également en matière d’urbanisme, comme l’interdiction de démolir des bâtiments sans autorisation préalable (article L. 430-1 du Code de l’urbanisme).
- Les démembrements du droit de propriété : Le droit de propriété peut être démembré, c’est-à-dire que ses attributs peuvent être répartis entre plusieurs personnes. Ce démembrement se manifeste sous différentes formes, telles que l’usufruit, la servitude, ou l’emphytéose.
- L’usufruit et la nue-propriété : L’usufruit confère à son titulaire le droit d’usage (usus) et le droit de jouissance (fructus) sur un bien, tandis que le droit de disposition (abusus) appartient au nu-propriétaire. L’usufruit est un droit viager, ce qui signifie qu’il prend fin à la mort de l’usufruitier et ne peut être transmis. À la fin de l’usufruit, le nu-propriétaire retrouve la pleine propriété.
- Les servitudes : Une servitude est un droit qu’un fonds dominant possède sur un fonds voisin (appelé fonds servant). Cela inclut, par exemple, le droit de passage ou le droit de puiser de l’eau sur le fonds voisin. La servitude est attachée à la propriété du terrain et subsiste même en cas de changement de propriétaire. Elle est donc permanente et suit le bien immobilier, quel que soit son propriétaire.
- L’emphytéose : Il s’agit d’un bail de longue durée, entre 18 et 99 ans, conférant au locataire des droits réels sur la chose louée. Contrairement à un bail classique, l’emphytéose donne au locataire des droits similaires à ceux d’un propriétaire en raison de la durée exceptionnelle du contrat. Le locataire peut, par exemple, effectuer des modifications sur le bien. Bien que ce type de bail soit peu fréquent, il reste un exemple significatif de démembrement du droit de propriété.
Ainsi, le droit de propriété peut être partagé entre plusieurs titulaires par le biais de démembrements spécifiques, chacun jouissant de certaines prérogatives selon les modalités définies par la loi.
II. – Les droits réels accessoires
Pour garantir l’exécution de sa créance, un créancier peut demander, en plus de son droit de gage général sur le patrimoine de son débiteur, un droit direct sur un bien spécifique du débiteur. Ce droit, appelé droit réel accessoire, porte directement sur un bien, mais il est accessoire à la créance. Ces sûretés réelles permettent au créancier de se garantir en exerçant un pouvoir sur une chose appartenant au débiteur. Les principales sûretés réelles sont :
- L’hypothèque : Sûreté portant sur un immeuble, qui permet au créancier de se faire payer en priorité sur le prix de vente de ce bien.
- Le gage : Sûreté portant sur un bien meuble, qui existe en plusieurs variantes, certaines impliquant la dépossession du bien par le débiteur, d’autres non.
Avantages des sûretés réelles
Un créancier muni d’une sûreté réelle bénéficie de deux avantages majeurs par rapport aux créanciers chirographaires (ceux qui ne disposent que d’un droit de gage général sur le patrimoine du débiteur) :
- Droit de préférence : Le créancier muni d’une sûreté réelle a un droit de préférence, lui permettant de se faire payer en premier sur le produit de la vente du bien sur lequel il a un droit réel. Ainsi, contrairement aux créanciers chirographaires qui se partagent le patrimoine du débiteur, le créancier avec une sûreté réelle a une priorité pour récupérer sa créance.
- Droit de suite : Ce droit permet au créancier de suivre le bien en cas de vente ou de transfert de celui-ci à un tiers. Ainsi, même si le débiteur vend le bien à une autre personne, le créancier peut saisir le bien en possession de ce tiers et se faire rembourser sur son prix.
§ 2 : Les droits personnels ou de créance
Les droits personnels, aussi appelés droits de créance, portent sur la personne du débiteur, ou plus précisément, sur l’activité que celui-ci doit exécuter au profit du créancier. Ce dernier a le pouvoir d’exiger du débiteur qu’il exécute sa prestation. Toutefois, contrairement aux droits réels, le créancier ne dispose pas de tous les pouvoirs sur la personne du débiteur. En cas d’inexécution, la sanction ne porte plus sur la personne, comme cela pouvait être le cas dans la Rome archaïque, mais sur les biens du débiteur. À l’époque, le débiteur pouvait être enchaîné, voire mis à mort ou réduit en esclavage s’il ne payait pas sa dette (le terme « obligation » vient des mots signifiant « lié » ou « enchaîné »). Aujourd’hui, il est impossible de contraindre physiquement quelqu’un à exécuter ce qu’il ne veut pas faire, car cela porterait atteinte à sa liberté individuelle.
Ainsi, toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, selon l’article 1142 du Code civil. La contrainte par corps (c’est-à-dire la possibilité de faire emprisonner un débiteur pour non-paiement) a été abrogée en 1867, sauf pour les dettes envers le Trésor public et pour certaines infractions pénales. De ce fait, le droit de créance n’affecte plus directement la personne du débiteur mais plutôt son patrimoine, en permettant la saisie de ses biens.
Les obligations issues des droits de créance
Les droits de créance imposent au débiteur trois types d’obligations :
- Faire : exécuter une prestation.
- Ne pas faire : s’abstenir d’agir.
- Donner : transférer la propriété d’un bien.
Ces obligations peuvent découler soit de la loi, soit d’un contrat fondé sur la volonté des parties. Par exemple, un contrat de vente crée une obligation pour le vendeur de transférer la propriété du bien à l’acheteur, et pour l’acheteur, l’obligation de payer le prix convenu.
La transmission des droits de créance
Les droits personnels peuvent être transmis de différentes façons :
- À titre onéreux et entre vifs : Par exemple, lors d’une cession de créance, une créance est vendue à une autre personne, pratique courante en droit commercial (lettres de change, chèques, billets à ordre).
- À cause de mort : Lors d’une succession, les créances du défunt sont transmises à ses héritiers, qui deviennent les nouveaux créanciers.
Ces transmissions peuvent être de trois types :
- Universelle : Transfert de l’intégralité du patrimoine (ex. : un héritier universel).
- À titre universel : Transfert d’une fraction du patrimoine.
- À titre particulier : Transfert d’un bien spécifique (ex. : la vente d’un immeuble).
Lorsque la créance est transmise, le droit en lui-même ne change pas. Seul le titulaire change, mais le contenu du droit reste identique (principe « Nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet »). Par exemple, si un immeuble hypothéqué est vendu, l’acheteur acquiert l’immeuble avec l’hypothèque, même s’il ignorait son existence.
L’extinction des droits de créance
Les droits personnels peuvent s’éteindre de plusieurs manières :
- Exécution de l’obligation : Lorsque le débiteur s’acquitte de sa dette (ex. : paiement).
- Remise de dette : Le créancier peut renoncer à sa créance, libérant ainsi le débiteur.
- Survenance d’un terme : Un terme extinctif (événement futur et certain) peut entraîner l’extinction du droit, ou sa survenance peut retarder l’exigibilité d’un droit.
- Condition résolutoire : Un événement futur mais incertain peut être prévu pour mettre fin au droit.
Prescription des droits de créance
Les actions en justice visant à faire valoir un droit personnel sont soumises à des délais de prescription. Les plus courants sont de 10 ans ou 30 ans, selon la nature de l’obligation ou de la créance.
§ 3 : Les droits ni réels, ni personnels. 2 catégories oubliées : droits intellectuels et droits de la personnalité
La théorie classique, qui distingue les droits réels des droits personnels, a fait l’objet de critiques pour son incomplétude. En effet, cette classification ne prend pas en compte tous les droits, notamment ceux qui ne s’exercent ni sur une chose, ni contre une personne. Ces droits ne comportent pas de sujet passif et n’imposent aucune obligation directe à un tiers. Il s’agit principalement des droits de la personnalité et des droits intellectuels.
1. Les droits de la personnalité
Les droits de la personnalité concernent des prérogatives inhérentes à la personne elle-même, telles que le droit au nom, le droit à l’honneur, le droit à la liberté, ou encore le droit à la vie. Bien qu’opposables à tous (comme les droits réels), ils ne portent pas sur une chose matérielle, mais sur des aspects immatériels de la personne. Ces droits ne sont donc ni des droits réels, ni des droits personnels, car ils ne concernent ni une créance contre un débiteur, ni un bien. Leur objet est la protection de la personne dans son épanouissement et sa dignité.
La définition de la portée des droits de la personnalité est encore en débat. Certains auteurs, comme Ghestin, estiment que ces droits doivent se limiter aux prérogatives qui visent à garantir et à favoriser le développement personnel. Ces droits sont par nature extrapatrimoniaux, ce qui signifie qu’ils ne sont ni cessibles, ni transmissibles, ni susceptibles d’évaluation financière. Ils obéissent à un régime spécifique, distinct des droits patrimoniaux.
2. Les droits intellectuels
Les droits intellectuels ne relèvent ni des droits réels, ni des droits personnels, car leur objet est immatériel. Ils portent sur des créations intellectuelles et sont directement liés à l’activité intellectuelle de leur titulaire. Ces droits peuvent être divisés en deux catégories principales :
- Droits sur les œuvres intellectuelles, comme les œuvres littéraires, artistiques ou scientifiques. Ce sont des droits d’exploitation exclusive qui permettent à l’auteur de tirer des bénéfices de sa création.
- Droits commerciaux, comme le droit sur une clientèle (fonds de commerce), qui permet à un commerçant d’exploiter son fonds en bénéficiant d’une certaine exclusivité sur sa clientèle.
Ces droits confèrent à leur titulaire un monopole d’exploitation, souvent désigné par le terme de propriété littéraire, artistique ou commerciale. Toutefois, malgré cette qualification de « propriété », il ne s’agit pas de véritables droits réels, car l’objet de ces droits n’est pas matériel. La différence fondamentale entre un objet matériel (comme une maison) et un objet incorporel (comme une œuvre intellectuelle) empêche l’application du régime des droits réels aux droits intellectuels.
Les droits intellectuels se sont multipliés au fil du temps, et leur régulation a souvent nécessité des interventions législatives pour les protéger. Par exemple, la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, intégrée dans le Code de la propriété intellectuelle le 1er juillet 1992, ainsi que des lois spécifiques sur la protection des logiciels et d’autres créations intellectuelles, ont été mises en place pour offrir une protection juridique adéquate à ces droits.
Ainsi, les droits de la personnalité et les droits intellectuels échappent à la classification traditionnelle des droits réels et personnels, nécessitant une protection et un régime juridique distinct pour garantir leur efficacité et leur valorisation.
Section 3 : LES DROITS MOBILIERS ET IMMOBILIERS
La classification des droits mobiliers et immobiliers découle directement de celle des meubles et des immeubles. La distinction est simple : les droits mobiliers concernent des meubles, tandis que les droits immobiliers se rapportent à des immeubles. Selon cette logique, les droits sont définis en fonction de l’objet auquel ils se rapportent. C’est en ce sens que l’article 516 du Code civil stipule : « Tous les biens sont meubles ou immeubles ». Ici, le terme biens inclut aussi bien les droits que les choses.
- Ainsi, les droits mobiliers forment une catégorie un peu fourre-tout, car sont considérés comme tels tous les droits qui ne sont pas immobiliers. Cela inclut non seulement les droits portant sur des meubles, mais également les droits personnels (comme les créances) et les droits intellectuels (droits d’auteur, brevets, etc.). En d’autres termes, même les droits qui ne concernent pas directement une chose matérielle sont classés comme mobiliers.
- À l’inverse, la catégorie des droits immobiliers se limite principalement aux droits réels portant sur des immeubles, tels que le droit de propriété, l’usufruit ou encore les servitudes. Cette approche, toutefois, a été critiquée. En effet, qualifier le droit de propriété sur un immeuble de « droit immobilier » reflète une confusion entre le droit et l’objet du droit (l’immeuble). Le droit lui-même, en tant qu’abstraction juridique, n’a rien d’intrinsèquement immobilier, même s’il porte sur un bien immeuble. La classification des meubles et des immeubles aurait donc dû être restreinte aux choses, sans englober les droits.
I- Les droits immobiliers
L’article 526 du Code civil énumère plusieurs droits immobiliers, notamment : l’usufruit des biens immobiliers, les servitudes ou services fonciers, ainsi que les actions visant à revendiquer un immeuble. Cependant, les rédacteurs du Code civil ont omis de mentionner le plus fondamental des droits immobiliers : le droit de propriété sur un immeuble. Cette omission démontre une certaine confusion entre le droit et l’objet auquel il s’applique. En effet, pour eux, le droit de propriété sur un immeuble est un droit immobilier par nature.
Il convient d’ajouter à cette liste d’autres droits réels principaux portant sur un immeuble, comme l’emphytéose. De plus, les droits réels accessoires portant sur un immeuble, tels que l’hypothèque, sont également considérés comme des droits immobiliers. Les actions judiciaires liées à un immeuble, qu’elles visent directement ou indirectement sa revendication, sont elles aussi qualifiées de droits immobiliers. Par exemple :
- L’action pétitoire, par laquelle une personne revendique la propriété d’un immeuble.
- L’action possessoire, utilisée pour faire cesser un trouble dans la possession d’un immeuble, est également une action immobilière.
II. – Les droits mobiliers
L’article 527 du Code civil définit deux catégories de biens meubles : ceux qui sont meubles par nature et ceux qui sont meubles par la détermination de la loi. L’article 529 en donne une liste détaillée, incluant, par exemple, les droits des associés dans les sociétés de capitaux (actions) et les droits des associés dans les sociétés de personnes (appelés ici intérêts).
Dans une société, qui est une personne morale distincte de ses associés, c’est la société qui est propriétaire des immeubles dans son patrimoine. Même si un associé a fait apport d’un immeuble, il ne conserve qu’un droit personnel de créance, de nature mobilière, vis-à-vis de la société. De même, l’article 529 qualifie les rentes perpétuelles ou viagères, qu’elles concernent l’État ou des particuliers, de droits mobiliers. Cette précision marque une rupture avec l’ancien droit, où la situation était différente.
Cette liste n’est pas limitative. La jurisprudence a décidé que tous les droits qui ne sont pas immobiliers sont nécessairement mobiliers. Par conséquent, sont considérés comme mobiliers :
- Les droits personnels,
- Les droits intellectuels, tels que les droits de propriété littéraire et artistique ou encore ceux de la propriété industrielle (brevets d’invention, marques).
Le fonds de commerce est aussi un ensemble de droits mobiliers. Il est considéré comme un droit incorporel, distinct des éléments qui le composent, y compris des éventuels immeubles. Le fonds de commerce n’est donc ni une chose, ni un ensemble de droits réels immobiliers, mais un droit de nature mobilière.
Chapitre II : LA PREUVE DES DROITS SUBJECTIFS
Prouver est faire apparaître ou reconnaître quelque chose comme vrai, réel, certain ; la preuve est donc ce qui sert à établir qu’une chose est vraie.
En matière judiciaire, il s’agit de convaincre le juge de la vérité de l’allégation. (Ghestin et Goubeaux) Elle permet à celui qui se prévaut de l’affirmation de la faire tenir pour vraie et d’en tirer les bénéfices juridiques qui y sont attachées. Cette matière présente un intérêt pratique considérable et bien souvent l’issue d’un procès dépend directement de la preuve d’un droit. Celui qui perd son procès est bien souvent celui qui n’a pas pu apporter la preuve de l’existence du droit allégué. Finalement, il ne suffit pas d’être titulaire d’un droit pour obtenir satisfaction.
Encore faut-il pouvoir en établir l’existence. Aussi, même si l’existence du droit et sa preuve sont fondamentalement différents, puisque le droit ne dépend pas, dans son existence de la preuve qui peut en être rapportée, il n’en demeure pas moins, qu’en pratique, ils sont très liés. Quel intérêt y a t-il à être titulaire d’un droit, si on ne peut en établir l’existence et donc en bénéficier ? Dès lors, on affirme, depuis le droit romain que n’avoir pas de droit et ne pouvoir le prouver sont des situations équivalente pour la personne !
Avant de voir comment prouver, il faut auparavant, et c’est l’objet de cette section préliminaire, déterminer ce sur quoi doit prouver la preuve, en clair quoi prouver.
Section préliminaire : L’OBJET DE LA PREUVE
L’objet de la preuve désigne ce sur quoi la preuve doit porter. Cette détermination repose sur la distinction entre faits et droit. En effet, tous les droits subjectifs d’une personne découlent d’un acte ou d’un fait juridique, qui en constituent la source. Ce sont ces faits ou actes juridiques qui doivent être prouvés par la partie qui invoque un droit en sa faveur.
Par exemple, si une personne se prétend créancière d’une autre en raison d’un accident ayant causé un dommage, elle devra prouver les faits suivants :
- La réalité de l’accident,
- L’ampleur du préjudice subi,
- Le lien de causalité entre l’accident et le dommage.
Ces éléments sont les faits pertinents qui doivent être établis par la preuve.
En principe, les parties n’ont pas à prouver l’existence, le contenu ou la portée des règles de droit qu’elles invoquent pour soutenir leur prétention. Celui qui invoque un droit subjectif n’a pas à prouver la règle de droit objectif qui le fonde. C’est le rôle du juge de vérifier l’existence et le sens de la règle de droit applicable.
Exceptions à ce principe : Certaines règles de droit, comme les usages ou coutumes, doivent être prouvées par les parties. En cas de litige, leur existence et leur teneur doivent être établies par celui qui les invoque. La preuve de ces usages peut être facilitée par des parères délivrés par des chambres de commerce. De même, les lois étrangères doivent être prouvées par les parties lorsqu’elles sont invoquées. Le juge français n’a pas à connaître toutes les lois étrangères, mais peut déclarer leur applicabilité ; il appartient alors aux parties de prouver leur contenu.
En conclusion, les parties sont tenues de prouver les faits, tandis que le juge applique la loi, qu’il doit connaître. C’est le sens de l’article 9 du Code de procédure civile : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». Le rôle du juge est précisé à l’article 12, alinéa 1 : « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. » Bien que les parties puissent proposer une norme juridique, c’est le juge qui est souverain dans la détermination du droit applicable.
De plus, l’article 12, alinéa 2 dispose que le juge peut « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. » En d’autres termes, les parties apportent les faits ; le juge applique le droit.
Neutralité et rôle actif du juge
Notre procédure civile est contradictoire, où le juge est neutre et se limite à trancher des prétentions opposées. Cependant, le juge peut jouer un rôle plus actif, notamment en matière de preuve. L’article 179 du Code de procédure civile l’autorise à effectuer des constatations, évaluations ou reconstitutions s’il le juge nécessaire, y compris en se rendant sur les lieux du litige. De plus, l’article 10 confère au juge le pouvoir d’ordonner d’office toute mesure d’instruction légale, afin d’éclairer le litige.
Le juge peut également enjoindre à une partie de produire des éléments de preuve sous peine d’astreinte, ou demander la production de documents détenus par des tiers, à condition qu’il n’existe aucun empêchement légitime (article 11 du Code de procédure civile). Le principe du procès contradictoire oblige le juge à inviter les parties à débattre lorsqu’un élément nouveau surgit lors d’une mesure d’instruction (article 146 du Code de procédure civile).
Deux questions essentielles en matière de preuve :
- Qui doit prouver ? : C’est la question de la charge de la preuve (Section 1).
- Comment prouver ? : C’est la question des procédés de preuve définis par la loi, c’est-à-dire les méthodes acceptées pour apporter la preuve (Section 2).
Section I : LA DÉTERMINATION DE LA CHARGE DE LA PREUVE
Il est crucial de déterminer sur qui repose la charge de la preuve dans un procès, surtout lorsque ni l’une ni l’autre des parties ne parvient à établir les faits. Dans ce cas, celui sur qui pèse la charge de la preuve sera amené à perdre le procès. En effet, le risque de la preuve pèse sur celui qui doit apporter les éléments nécessaires pour convaincre le juge. La Cour de cassation a souligné ce point en affirmant que l’incertitude et le doute subsistant après la production des preuves doivent être retenus au détriment de celui qui en avait la charge (Soc. 31 janv. 1962, Bull. IV n°105).
L’essentiel des règles de fond sur la preuve est exposé dans le Code civil, notamment dans les articles 1315 à 1369 (désormais codifiés dans le cadre des articles 1353 et suivants après la réforme de 2016). Ces articles, bien qu’écrits en référence aux obligations, posent des principes généraux applicables à la charge de la preuve.
Cependant, la solution de principe donnée par l’article 1315 (devenu article 1353) est parfois insuffisante dans des situations complexes. En effet, la loi prévoit des exceptions à ce principe par l’instauration de présomptions légales, qui permettent de renverser la charge de la preuve dans certains cas. Ces présomptions facilitent la tâche de celui qui aurait normalement dû prouver un fait difficile à établir en lui permettant de s’appuyer sur des indices juridiques ou des faits réputés.
§ 1 : LE PRINCIPE
L’article 1353 du Code civil (avant codifié à l’article 1315 depuis la réforme de 2016) régit la charge de la preuve en matière d’obligations. Bien qu’il se réfère spécifiquement à la preuve des obligations, cet article a une portée générale. Il pose deux règles dans ses deux alinéas :
- Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.
- Celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.
Distinction entre le demandeur et celui qui se prétend libéré
- Le premier alinéa repose sur l’adage juridique classique : « Actori incumbit probatio » (« La preuve incombe au demandeur »). Cela signifie que la personne qui demande l’exécution d’une obligation doit prouver l’existence de cette obligation. En termes généraux, cette règle établit que la charge de la preuve incombe à celui qui avance une affirmation, généralement le demandeur dans un procès. Ainsi, la preuve incombe à celui qui avance la réalité d’un fait (Mazeaud et Chabas).
- Le second alinéa ajoute que celui qui se prétend libéré d’une obligation doit justifier le paiement ou la circonstance ayant conduit à l’extinction de l’obligation. Cela signifie que, si une personne est poursuivie en justice pour le paiement d’une dette qu’elle considère avoir déjà réglée, elle doit apporter la preuve de ce paiement. Souvent, ce type de défense apparaît lorsqu’une personne est assignée en justice, moment où elle devra prouver qu’elle ne doit plus rien.
Dialogue entre les parties et charge de la preuve
Dans un procès civil, un dialogue s’instaure entre le demandeur et le défendeur concernant les faits. Le demandeur doit prouver les faits qu’il avance, tandis que le défendeur peut soit rester passif, en se contentant de nier les allégations, soit être actif, en invoquant un fait nouveau qui viendrait paralyser la demande.
- Défendeur passif : Si le demandeur veut engager la responsabilité du défendeur, il doit prouver une faute imputable à ce dernier. Le défendeur, dans une attitude passive, n’a pas à prouver quoi que ce soit tant que le demandeur n’a pas rapporté cette preuve.
- Défendeur actif : Le défendeur peut également invoquer un fait pour contrecarrer la demande du demandeur, par exemple en prouvant qu’il n’a pas commis de faute. Dans ce cas, le défendeur joue un rôle similaire à celui d’un demandeur et doit apporter la preuve des faits qu’il avance. Cette situation illustre l’adage « Reus in excipiendo fit actor » (« Le défendeur devient demandeur lorsqu’il invoque une exception »).
Ainsi, au fur et à mesure que les parties avancent de nouveaux faits, la charge de la preuve peut se renverser. En réalité, les deux parties sont souvent amenées à contribuer à la recherche de la vérité tout au long du procès.
Le rôle actif du juge dans la preuve
La loi confère au juge des pouvoirs d’initiative en matière de preuve. Le juge peut ordonner des expertises et autres mesures destinées à établir la réalité des faits. L’article 179 du Code de procédure civile autorise le juge à procéder à des constatations ou évaluations qu’il juge nécessaires, parfois même en se transportant sur les lieux du litige.
De plus, le juge peut, à la demande d’une partie, enjoindre à l’autre de produire des éléments de preuve ou obtenir des documents détenus par des tiers (article 11 du Code de procédure civile). Ce principe contradictoire garantit que chaque élément nouveau introduit par une mesure d’instruction soit soumis au débat (article 146).
L’apparence et la présomption des faits évidents
Certaines situations évidentes ou présumées ne nécessitent pas de preuve. Par exemple, une personne invoquant le fait qu’à minuit la visibilité était réduite n’a pas à prouver ce fait. En revanche, si elle veut prouver qu’un éclairage artificiel ou un clair de lune rendait la visibilité excellente, elle devra apporter cette preuve.
Ce principe découle de la théorie de l’apparence : celui qui conteste une situation apparente doit en apporter la preuve. Cela est illustré par des situations où il est présumé que toute personne est capable juridiquement, ou que tout acte juridique est conforme aux lois. Il appartiendra donc à celui qui conteste ces faits de prouver l’incapacité ou l’irrégularité.
Cependant, cette théorie ne peut pas toujours s’appliquer. Par exemple, lorsqu’une personne prétend avoir prêté de l’argent et que l’autre partie affirme qu’il s’agissait d’un don, la preuve du prêt incombe à celui qui a versé les fonds. La Cour d’appel de Paris a récemment rappelé cette solution : « Il appartient à celui qui revendique la chose de prouver l’absence d’un don » (D. 2000-776). Une fois cette preuve rapportée, il incombera au défendeur de prouver l’existence d’une donation.
En résumé, l’article 1353 du Code civil instaure une règle de base pour la charge de la preuve, où chaque partie doit prouver les faits qu’elle avance. Toutefois, cette règle théorique est nuancée par des principes pratiques, tels que la théorie de l’apparence, et le rôle du juge peut être déterminant dans la gestion des preuves.
§ 2 : LES PRESOMPTIONS LEGALES
Les présomptions légales existent pour faciliter la tâche de celui qui doit prouver un fait en justice. Il est souvent difficile de prouver directement le fait principal que l’on cherche à établir. Cependant, certains faits, plus faciles à prouver, permettent de déduire l’existence du fait recherché. Une présomption consiste à tirer une conclusion sur un fait inconnu à partir d’un fait connu. Selon le juriste Bartin, il s’agit d’un « déplacement de la preuve ». Plutôt que d’exiger du demandeur qu’il prouve directement le fait sur lequel il fonde ses droits, on lui permet de prouver un fait plus accessible, et la loi ou le juge en déduit l’existence du fait principal.
L’article 1349 du Code civil (anciennement article 1350) distingue deux types de présomptions : les présomptions légales et les présomptions de l’homme. Les présomptions légales sont celles déduites directement par la loi, tandis que les présomptions de l’homme sont tirées par le juge sur la base de faits. Les présomptions légales constituent souvent une dispense de preuve, où le demandeur doit prouver un fait voisin, plus simple, dont la loi déduira le fait principal. Cela conduit à un renversement de la charge de la preuve : le défendeur devra prouver que la présomption ne s’applique pas. Le juge doit obligatoirement appliquer ces présomptions prévues par la loi.
Les présomptions irréfragables ou absolues sont celles contre lesquelles aucune preuve contraire n’est admise. Il n’est pas possible de contester la présomption ou de démontrer que la conséquence déduite par la loi n’existe pas.
I. – Les présomptions légales simples
Les présomptions simples, aussi appelées présomptions relatives, permettent de prouver le contraire. Ce type de présomption tire une conséquence d’un fait connu, mais cette conséquence peut être renversée par une preuve contraire. Si le défendeur apporte une preuve réfutant la présomption, celle-ci tombe. En l’absence de disposition contraire, les présomptions légales sont, par défaut, simples.
La loi a établi un certain nombre de présomptions simples basées sur la vraisemblance des faits. Par exemple, la loi présume que la personne qui semble être titulaire d’un droit l’est véritablement. Cela signifie que la possession d’un bien permet de présumer que la personne en est propriétaire ou qu’elle détient un autre droit réel sur ce bien. Toutefois, cette présomption peut être contestée et renversée par des preuves contraires.
Exemples de présomptions simples :
- Présomption de propriété par la possession : La personne qui possède un bien est présumée être propriétaire, mais cette présomption peut être renversée par la preuve contraire.
- Présomption de bonne foi : En matière civile, la loi présume souvent la bonne foi de l’une des parties, mais cette présomption peut être renversée si l’autre partie démontre la mauvaise foi.
II. – Les présomptions légales irréfragables
Les présomptions légales irréfragables, ou présomptions absolues, sont des règles légales contre lesquelles il n’est pas possible d’apporter de preuve contraire. Cela signifie que la personne qui bénéficie de cette présomption est dispensée de prouver les faits ou les circonstances sur lesquels repose son droit, et l’autre partie ne peut pas démontrer l’inexistence de ces faits. Le juge n’a aucun pouvoir d’appréciation sur une présomption irréfragable et doit l’appliquer de manière automatique.
L’article 1354 du Code civil (ancien article 1352) précise ce principe : « La présomption légale dispense de toute preuve celui au profit duquel elle existe ». Cela signifie que le bénéficiaire de la présomption n’a pas à apporter de preuve supplémentaire, et il est impossible pour la partie adverse de contester cette présomption.
Ces présomptions légales irréfragables sont des règles de fond et elles ne s’appliquent généralement qu’aux faits futurs. Elles sont énumérées limitativement par la loi, ce qui signifie qu’une disposition légale expresse est toujours nécessaire pour qu’elles s’appliquent.
Exemples de présomptions irréfragables
- Fraude dans les donations
L’article 911 du Code civil prévoit qu’une donation faite à un proche parent d’une personne incapable de recevoir (comme un médecin ou un tuteur) est présumée être destinée à l’incapable lui-même. Cela constitue une présomption irréfragable de fraude. Par exemple, une donation faite à l’épouse ou à l’enfant d’un médecin par un patient est réputée être destinée au médecin lui-même et est donc frappée de nullité en vertu de l’article 909 du Code civil. - Nullité des conventions tuteur-pupille
L’article 472 du Code civil prévoit qu’une convention entre un tuteur et son pupille est présumée être réalisée sous influence ou en fraude des droits du pupille. Cette présomption entraîne la nullité de plein droit de ces conventions, sans qu’il soit possible de prouver l’absence de fraude.
Déni d’action en justice fondé sur des présomptions irréfragables
Certaines présomptions irréfragables empêchent l’engagement d’une action en justice. Par exemple, l’article 1342-9 du Code civil présume que lorsque le créancier remet le titre de créance au débiteur, cela vaut preuve irréfragable du paiement. Une fois ce titre remis, le créancier ne peut plus exiger le remboursement de la dette.
De même, l’article 225 du Code civil prévoit qu’un époux qui se présente pour accomplir un acte juridique sur un bien meuble qu’il détient seul est présumé, de manière irréfragable, avoir le pouvoir de disposer du bien, protégeant ainsi les tiers de bonne foi.
Autorité de la chose jugée
L’article 1355 du Code civil consacre une présomption irréfragable d’autorité de la chose jugée, qui signifie que tout jugement définitif ne peut plus être contesté, même si de nouveaux éléments sont découverts. Cela garantit la sécurité juridique et la stabilité des décisions judiciaires. Une fois qu’une décision de justice est devenue définitive, elle s’impose à toutes les parties et ne peut plus être remise en cause, même par de nouvelles preuves.
Conclusion : Les présomptions légales irréfragables ont pour objectif d’assurer la stabilité et la sécurité juridique en rendant impossible toute contestation d’un fait ou d’une situation juridique une fois la présomption établie. Elles sont principalement utilisées dans des cas où la preuve est difficile à obtenir ou pour éviter des fraudes, notamment dans les transactions immobilières, les donations, ou les décisions de justice. Ces présomptions contribuent à éviter des contestations interminables.
Section 2 : LA DÉTERMINATION DES PROCÉDÉS DE PREUVE
Pour déterminer les procédés de preuve admis par le droit, il faut au préalable analyser la nature de la prétention émise par le demandeur, celui sur qui pèse la charge de la preuve : que veut-il prouver ? En effet, nous verrons que notre droit n’admet pas tous les procédés de preuve (§ 1). Ce point résolu, nous examinerons les différents procédés de preuve existants (§ 2).
§ 1 : L’ADMISSIBILITE DES PROCÉDÉS DE PREUVE
Le juriste Domat a affirmé que « la preuve, c’est tout ce qui persuade l’esprit d’une vérité ». On pourrait ainsi penser que le droit accepte tous les modes de preuve, quel que soit le contexte. Cependant, en droit français, les modes de preuve sont soumis à des règles strictes, avec une hiérarchie entre eux : certains s’imposent au juge tandis que d’autres laissent à ce dernier une liberté d’appréciation.
Le droit français repose sur un système mixte en matière de preuve :
- Preuve légale : dans certaines hypothèses, c’est le législateur qui détermine la valeur probante d’un procédé de preuve, sans laisser de marge d’appréciation au juge.
- Preuve libre : dans d’autres situations, c’est le juge qui apprécie en conscience la valeur des éléments de preuve.
Cette opposition entre preuve légale et preuve libre correspond à deux catégories distinctes :
- La preuve des actes juridiques relève du système de la preuve légale.
- La preuve des faits juridiques appartient au système de la preuve libre.
Pour déterminer quels procédés de preuve sont admissibles, il faut d’abord identifier la nature de ce que le demandeur souhaite prouver : s’agit-il d’un acte ou d’un fait juridique ? Cette distinction est cruciale pour appliquer les règles de la preuve, car les actes et faits juridiques ne se prouvent pas de la même manière.
I. – La distinction des actes et des faits juridiques
Cette distinction repose sur la nature de l’événement à l’origine de la prétention juridique :
- Si une personne manifeste sa volonté pour modifier sa situation juridique, elle réalise un acte juridique.
- Si la situation juridique d’une personne se modifie en dehors de sa volonté (ou contre sa volonté), cela résulte d’un fait juridique.
A – Les actes juridiques
Un acte juridique se définit comme une manifestation de volonté destinée à produire des effets de droit, c’est-à-dire à créer, modifier, transmettre ou éteindre un droit subjectif. Les actes juridiques sont classifiés en fonction du nombre de volontés impliquées.
- Lorsqu’un acte juridique repose sur la volonté d’une seule personne, on parle d’acte unilatéral. Cela signifie que la personne modifie seule sa situation juridique, sans impliquer directement d’autres personnes. Toutefois, une personne ne peut pas, par sa seule volonté, modifier la situation juridique d’un tiers.
Exemples d’actes unilatéraux :
- Occupation : lorsqu’une personne s’approprie une chose sans maître, elle devient propriétaire par sa seule volonté.
- Abandon de propriété : la personne renonce à un droit de propriété en abandonnant la chose.
- Testament : l’acte par lequel une personne règle la transmission de ses biens après son décès. C’est un acte unilatéral car seule la volonté du testateur compte lors de la rédaction, même si les légataires peuvent refuser le legs.
- Reconnaissance d’un enfant : il s’agit d’un acte juridique extrapatrimonial par lequel une personne reconnaît un lien de filiation.
Il existe un débat doctrinal sur la possibilité pour un acte unilatéral de générer des obligations. Si une personne ne peut créer une obligation à la charge d’un tiers par sa seule volonté, la question est posée quant à la création d’une obligation au profit d’un tiers par un engagement unilatéral. La jurisprudence admet certaines hypothèses, notamment avec l’offre, où l’engagement de volonté de l’offrant peut créer des obligations.
- Lorsqu’un acte juridique implique plusieurs personnes et modifie la situation juridique de chacune, toutes les parties doivent exprimer leur accord de volonté. Ce type d’acte est appelé convention, et le contrat est une forme particulière de convention. Un contrat est un acte plurilatéral qui crée des obligations. Les autres conventions peuvent avoir pour objet la modification ou l’extinction d’obligations existantes. Bien que le Code civil utilise souvent les termes convention et contrat de manière interchangeable, le contrat est une sous-catégorie des conventions.
B – Les faits juridiques
Un fait juridique désigne un événement qui crée, transmet ou éteint des droits sans que ce résultat ait été voulu par une personne. Les faits juridiques peuvent être d’origine naturelle ou humaine.
- Un fait naturel, tel qu’un décès ou une maladie, produit des conséquences juridiques sans intervention de la volonté humaine. Ces conséquences peuvent inclure l’extinction d’un droit ou la création d’une prérogative, comme le droit à une succession après un décès.
- Un fait juridique peut également être le fait de l’homme, c’est-à-dire un événement intentionnel ou non, mais dont les conséquences juridiques ne dépendent pas de la volonté de l’auteur. Par exemple, une personne qui cause un dommage par maladresse engage sa responsabilité civile. Même si l’acte était volontaire, comme dans le cas d’un crime (meurtre), il reste un fait juridique car l’auteur n’a pas voulu les conséquences juridiques (indemnisation de la victime, sanctions pénales). C’est la loi qui crée les droits et obligations découlant de ces faits, et non la volonté de l’auteur.
Cette distinction entre actes et faits juridiques est particulièrement importante dans le domaine de la preuve, car le régime probatoire dépend directement de la qualification de l’événement. Les actes juridiques exigent souvent une preuve formelle, tandis que les faits juridiques relèvent plus fréquemment de la preuve par tous moyens.
II. – La preuve des actes juridiques
-Il convient ici de distinguer la preuve de l’existence d’un acte juridique (A) et la preuve contre l’écrit qui constate un acte juridique (B).
A – Preuve de l’existence d’un acte juridique
La preuve de l’existence d’un acte juridique repose sur des principes stricts visant à garantir la fiabilité des transactions et des engagements entre parties. Un acte juridique, étant une manifestation de volonté visant à produire des effets de droit, doit en principe être prouvé par une preuve parfaite, c’est-à-dire par un écrit ou un autre mode de preuve reconnu comme certain et complet par la loi.
L’article 1359 du Code civil (ancien article 1341) impose ainsi que les actes juridiques dont la valeur dépasse un seuil déterminé (actuellement 1 500 €) soient prouvés par un écrit. Cela répond à la nécessité de disposer d’une preuve solide, notamment parce que les parties, au moment de conclure un acte juridique, ont la possibilité de préparer cet écrit. Cependant, cette règle ne concerne que la preuve et non la validité de l’acte lui-même. La forme écrite est exigée ad probationem, et non ad solemnitatem, ce qui signifie que l’écrit est nécessaire pour prouver l’acte, mais l’absence d’écrit n’affecte pas sa validité intrinsèque.
Clarification du terme « acte » :
- L’acte juridique (négotium) renvoie à la manifestation de volonté qui produit un effet juridique.
- L’acte au sens d’écrit (instrumentum) désigne le document écrit qui matérialise l’engagement pris par les parties.
Limites et exceptions à la règle de la preuve parfaite
- Cette obligation de preuve écrite ne concerne pas les tiers à l’acte. Pour eux, cet acte constitue un fait juridique, et ils peuvent donc se prévaloir de tous modes de preuve, y compris les preuves dites imparfaites, comme les témoignages ou présomptions.
- Cependant, le principe de la preuve parfaite souffre de six exceptions. Ces exceptions permettent d’introduire des modes de preuve plus souples, dans certaines circonstances, et d’éviter ainsi les rigidités excessives.
Première exception : les actes d’une valeur inférieure à 1 500 €
- L’obligation de preuve écrite ne s’applique pas lorsque l’acte juridique porte sur une somme égale ou inférieure à 1 500 €, selon le décret du 15 juillet 1980. Bien que cette somme soit censée être révisée périodiquement, elle n’a pas été modifiée depuis lors. Pour les affaires de moindre importance, la preuve peut être apportée par tout moyen, car l’usage n’impose pas nécessairement un écrit pour de telles transactions. L’objectif est d’éviter de freiner les échanges économiques en imposant des formalités trop lourdes pour de petites transactions.
- Problèmes d’évaluation :
Lorsque l’objet du litige n’est pas une somme d’argent mais une chose dont il faut évaluer la valeur, il appartient au demandeur de fixer cette évaluation. Toutefois, une fois cette évaluation faite, il en est lié : l’article 1353 interdit en effet à celui qui a formé une demande au-dessus du seuil de 1 500 € de revenir sur cette évaluation pour réduire le montant et ainsi tenter d’échapper à l’exigence d’une preuve écrite. - Cas des prestations non évaluables en argent :
Lorsque l’objet du litige est une prestation indéterminée en valeur (par exemple, un service), la preuve par écrit reste nécessaire quel que soit le montant présumé de la prestation.
Deuxième exception : Le commencement de preuve par écrit
- L’article 1362 du Code civil (ancien article 1347) prévoit une exception à la règle de la preuve parfaite lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit. Selon l’alinéa 2, il s’agit de « tout acte écrit qui émane de celui contre lequel la demande est formée, ou de celui qu’il représente, et qui rend vraisemblable le fait allégué ». Trois conditions doivent être réunies pour que cet écrit puisse servir de commencement de preuve.
- Un écrit
Il ne s’agit pas d’un document prouvant directement l’acte juridique, car sinon il serait suffisant pour établir la preuve parfaite.- Cet écrit doit constituer seulement un commencement de preuve, c’est-à-dire un élément qui laisse présumer l’existence d’un acte juridique. Cet écrit peut être varié : lettre, note, papier domestique, livre de comptes, projet de contrat, chèque, etc. Tout document, même s’il n’a pas été initialement conçu pour prouver un acte juridique, peut être considéré comme un commencement de preuve. De plus, un écrit comportant un vice de forme, qui l’empêche d’être une preuve parfaite, peut tout de même être utilisé comme commencement de preuve par écrit.
- La jurisprudence a progressivement élargi cette notion. Par exemple, la Cour de cassation a considéré que les déclarations orales d’une partie lors d’une comparution personnelle, consignées par le greffier, pouvaient constituer un commencement de preuve par écrit. Cette jurisprudence a été consacrée par le législateur en 1975, qui a ajouté à l’article 1362 qu’un refus de répondre lors d’une comparution pourrait également être interprété comme un commencement de preuve par écrit. Cette évolution montre une approche extensive de la notion d’écrit, bien qu’elle puisse parfois soulever des questions de cohérence avec l’alinéa 1, qui exige que le commencement de preuve par écrit « existe » déjà au moment du litige.
- Certains juges ont même admis des enregistrements audio (comme des paroles enregistrées sur magnétophone) comme constituant un commencement de preuve par écrit, bien que cette interprétation soit discutée.
- Un écrit émanant de la partie contre laquelle la preuve est produite
L’écrit doit émaner de celui contre lequel la preuve est recherchée, ou de son représentant. Cela exclut les écrits provenant de tiers, car cela reviendrait à permettre la preuve par témoignage. Par exemple, un document émanant d’un mandataire peut être admis, mais pas un document émanant de l’avocat de la partie adverse. Cette condition est essentielle pour maintenir la rigueur de la preuve écrite et éviter les dérives de preuves basées uniquement sur des éléments extérieurs. - Un écrit rendant vraisemblable le fait allégué
Le document doit rendre crédible l’existence de l’acte juridique en question. Par exemple, une lettre où un emprunteur demande un délai pour rembourser un prêt ou remercie le prêteur pour un prêt constitue un commencement de preuve par écrit. L’objectif est que le document soutienne de manière logique et plausible l’allégation faite par celui qui cherche à prouver l’acte juridique.
Cependant, il convient de préciser que cet écrit ne suffit pas à prouver l’acte juridique de manière complète. Il ouvre simplement la possibilité d’utiliser des modes de preuve imparfaits, comme les témoignages ou les présomptions. La Cour de cassation rappelle que le juge ne peut se contenter du seul commencement de preuve par écrit : il doit être complété par d’autres éléments, qui ensemble viendront constituer une preuve suffisante de l’acte juridique.
Troisième exception : Les copies
- À l’époque de la rédaction du Code civil, les copies manuelles ne bénéficiaient que d’une faible valeur probante. Le copiste était souvent un particulier, et il n’y avait aucune garantie de conformité avec l’original. Avec le temps, l’évolution des techniques de reproduction (carbone, photocopie, informatique) a nécessité une réforme du système probatoire.
- Cette réforme s’est avérée particulièrement nécessaire dans des secteurs comme la banque. Face à la difficulté de conserver des documents comme les chèques, les banques ont pris l’habitude de les reproduire sur microfilm avant de les détruire. Cela signifiait qu’elles ne pouvaient plus produire que des copies sans l’original. La loi du 12 juillet 1980 est donc intervenue pour réglementer l’usage des copies dans les pratiques juridiques.
- Prudence législative
Cependant, le législateur est resté prudent, craignant les risques de falsification et de truquage. Par conséquent, il n’a pas souhaité accorder une pleine force probante aux copies d’actes sous seing privé, même si elles étaient certifiées conformes à l’original. Avant 1980, ces copies n’avaient aucune valeur probante, mais cette réforme leur a conféré une autonomie probatoire. Néanmoins, les copies ne suffisent toujours pas à prouver l’existence d’un acte juridique à elles seules. La loi reconnaît un certain effet probatoire aux copies sous plusieurs conditions :-
- Disparition de l’original : L’original doit avoir disparu, et cette disparition doit être prouvée par la partie ou le dépositaire.
- Copie fidèle et durable : La copie doit être jugée fidèle et durable. L’article 1379 du Code civil (ancien article 1348) définit ces caractéristiques : « Est réputée durable, toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. » Ce critère vise à prévenir les falsifications. Le microfilm est souvent pris comme exemple de copie durable, mais la photocopie ou même le fax peuvent également être envisagés, bien que la date d’une télécopie puisse être manipulée.
-
- Valeur probatoire des copies
Même une copie certifiée conforme ne dispose pas de la même force probante qu’un original. La certification d’une copie revient à un témoignage quant à sa conformité, mais elle ne permet pas d’assurer une correspondance parfaite avec l’original. La loi du 12 juillet 1980 a accordé une valeur probatoire aux copies fidèles et durables, mais elle ne les a pas rendues équivalentes à l’original. Ces copies rendent recevables d’autres moyens de preuve, comme des présomptions ou des témoignages, dans un système de preuve légale. - Commencement de preuve par écrit
En vertu de l’article 1362 sur le commencement de preuve par écrit, la Cour de cassation a accepté d’accorder une valeur identique à toutes les sortes de copies, qu’elles soient fidèles et durables ou non. En effet, la Cour a jugé dans un arrêt du 14 février 1995 (J.C.P. 1995-II-22402, note Chartier) qu’une photocopie peut constituer un commencement de preuve par écrit. Cela permet d’introduire des preuves complémentaires comme des témoignages ou des présomptions. - Reconnaissance des télécopies
Dans un arrêt de 1997, la Cour de cassation a franchi une étape supplémentaire en reconnaissant une pleine force probante aux télécopies, à condition que leur intégrité et leur imputabilité soient vérifiées ou non contestées (Com., 2 décembre 1997). Cette décision marque un progrès vers une meilleure reconnaissance des copies, bien que la doctrine reste partagée quant à l’interprétation et à la portée de cet arrêt. - La valorisation des copies fidèles et durables semble inévitable, mais la reconnaissance de leur équivalence à l’original demeure un processus en cours d’évolution dans la jurisprudence.
Quatrième exception : L’impossibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve écrite
La notion d’impossibilité matérielle ou morale de se constituer une preuve écrite pour certains actes juridiques a été introduite par la loi du 12 juillet 1980, et est désormais régie par l’article 1360 du Code civil. Si l’impossibilité matérielle n’a quasiment jamais trouvé d’application en jurisprudence, c’est l’impossibilité morale qui est fréquemment invoquée, et elle fait l’objet de nombreux développements jurisprudentiels.
L’impossibilité morale est invoquée dans des situations où, en raison de relations personnelles (familiales, affectives, de subordination) ou de certaines pratiques professionnelles, il serait inapproprié ou délicat de demander un écrit. Voici quelques exemples reconnus par la jurisprudence :
- Il est moralement impossible pour un fils d’exiger un reçu de sa mère pour une somme prêtée.
- De même, il est jugé inapproprié pour un frère de demander un écrit à sa sœur, ou encore pour des fiancés de formaliser un accord en raison des liens affectifs ou d’alliance.
- L’impossibilité morale est également admise dans des relations professionnelles, comme celles entre un médecin et son patient, où il serait inhabituel d’établir un écrit pour chaque visite, ou dans les relations entre maître et serviteur.
En ce qui concerne les relations entre amis ou concubins, la question de l’impossibilité morale est plus nuancée. La jurisprudence examine la nature des liens affectifs au cas par cas, sans fournir de solution définitive. La doctrine est également divisée sur ces situations, mais il est reconnu que l’analyse repose sur une appréciation in concreto.
Preuve de l’impossibilité morale :
Celui qui invoque l’impossibilité morale doit en apporter la preuve. Si cette impossibilité est reconnue, la partie concernée peut prouver l’acte juridique par tous moyens, y compris les témoignages, les présomptions ou d’autres preuves dites imparfaites. L’acceptation de cette exception permet ainsi de contourner l’exigence d’un écrit dans des situations où il serait difficile, voire inconcevable, d’en exiger un, tout en maintenant la possibilité de prouver l’existence de l’acte juridique autrement.
Cinquième exception : La perte de l’écrit constatant l’actue juridique
L’article 1379 du Code civil, prévoit que si l’écrit servant de preuve a été perdu à la suite d’un cas fortuit ou de force majeure, la preuve pourra être rapportée par tout moyen. Le cas fortuit ou la force majeure se définissent comme un événement imprévisible et irrésistible (exemple : incendie accidentel détruisant l’immeuble où le document était conservé).
Cependant, avant de pouvoir invoquer la perte de l’écrit, il est impératif de prouver son existence antérieure. Cette preuve de l’existence de l’écrit détruit est une condition préalable pour pouvoir utiliser d’autres moyens de preuve tels que les témoignages ou les présomptions. Une fois l’existence antérieure démontrée et la perte due à un cas fortuit établie, la preuve de l’acte juridique peut être apportée par tout autre moyen, y compris des témoignages ou présomptions.
Sixième exception : Les opréations commerciales entre commerçants
Le Code de commerce, et plus précisément l’article L.110-3, consacre la liberté de la preuve dans les relations entre commerçants. Cette disposition prend en compte la réalité des affaires où la rapidité des échanges rend souvent difficile la formalisation des transactions par écrit. Ainsi, la preuve des actes commerciaux peut se faire par tout moyen, y compris des échanges oraux ou par d’autres moyens informels comme les emails.
Lorsque l’acte est mixte, c’est-à-dire conclu entre un commerçant et un non-commerçant (par exemple, un particulier), le régime de la preuve diffère. Le commerçant peut toujours prouver par tout moyen, tandis que le non-commerçant est soumis à l’obligation de fournir une preuve parfaite, comme un écrit. Cela signifie que, dans un litige, le non-commerçant devra prouver la transaction par des moyens formels, tandis que le commerçant pourra apporter des preuves moins rigides (comme des témoignages ou des indices).
En outre, la loi impose un écrit pour certains contrats commerciaux spécifiques. Par exemple, les statuts de sociétés (article 1835 du Code civil) ou les contrats d’assurance doivent obligatoirement être formalisés par écrit.
B – Preuve contre l’écrit qui constate l’acte juridique
Lorsqu’un acte juridique est constaté par écrit, ou que sa preuve a été apportée par un commencement de preuve par écrit complété par un autre mode de preuve, peut-on encore apporter une preuve contre ou au-delà de son contenu ? L’article 1359 du Code civil, anciennement 1341, précise qu’aucune preuve testimoniale ne peut être admise « contre ou outre » le contenu de l’acte. Cela signifie qu’il est interdit de prouver par témoins ce qui aurait été dit ou convenu avant, pendant ou après l’acte, même si cela concerne une somme ou une valeur inférieure à 1500 euros.
Ainsi, celui qui souhaite démontrer que l’écrit est incomplet, inexact ou qu’il a été modifié postérieurement, devra recourir à des modes de preuve parfaits, tels qu’un écrit supplémentaire, et ne pourra se contenter de témoignages.
Toutefois, plusieurs exceptions viennent atténuer cette règle. Si la première exception (la preuve par témoins pour un montant inférieur à 1500 euros) est clairement exclue, la jurisprudence a progressivement admis d’autres exceptions, notamment dans les relations commerciales, en cas d’impossibilité de se constituer un écrit, ou lorsque l’on dispose d’un commencement de preuve par écrit. Ces assouplissements permettent, dans certaines circonstances, d’apporter une preuve contre un écrit déjà existant.
C. Les conventions sur la preuve
La jurisprudence reconnaît le caractère d’ordre privé des règles de preuve. Cela signifie que les parties peuvent adapter ces règles en fonction de leurs besoins contractuels. Par exemple, la Cour de cassation a reconnu, dans deux arrêts du 8 novembre 1989, que les parties peuvent accorder une valeur probatoire à un document sans signature, résultant d’une transaction électronique comme l’utilisation d’une carte bancaire avec un code confidentiel (Com. 8 nov. 1989, D. 1990-369 ; J.C.P. 1990-II-21576).
Le Code civil, réformé par la loi sur la preuve électronique, a confirmé cette solution avec l’article 1368 (anciennement 1316-2), qui dispose que les règles sur la preuve peuvent faire l’objet de conventions spécifiques entre les parties. Dès lors, les règles de preuve ne sont plus d’ordre public dans les relations entre particuliers ou entreprises, et les parties peuvent y déroger. Toutefois, ces conventions probatoires ne doivent pas affecter l’organisation judiciaire ni les prérogatives des officiers publics.
Cette possibilité de déroger aux règles légales de preuve est largement utilisée en pratique. Par exemple, les parties peuvent prévoir que certains documents seront prouvés par tous moyens, y compris des preuves imparfaites, comme les témoignages ou présomptions, au lieu d’un écrit formel. Cette flexibilité soulève néanmoins des critiques, notamment lorsqu’elle pourrait priver une partie plus faible de la protection que garantit une preuve littérale. En effet, dans les relations d’affaires ou de consommation, la liberté d’aménager la preuve pourrait désavantager les parties en position de faiblesse, en les forçant à accepter des conditions de preuve fixées par la partie la plus puissante.
III. – La preuve des faits juridiques
Un fait juridique est un événement ou un acte qui survient de manière imprévue ou indépendante de la volonté des parties, créant, modifiant ou éteignant des droits. Contrairement à un acte juridique, il est souvent impossible ou inapproprié de prévoir un écrit pour en attester. En conséquence, la preuve écrite est rarement applicable pour prouver l’existence d’un fait juridique.
Pour cette raison, le législateur a prévu une quasi-liberté dans l’administration de la preuve des faits juridiques, offrant au juge une large marge de manœuvre pour établir sa conviction. Selon l’article 1358 du Code civil (anciennement article 1348), la preuve des faits juridiques est dite libre, ce qui signifie que tous les modes de preuve sont admis : témoignages, présomptions, indices, ou tout autre élément susceptible de convaincre le juge. Ainsi, la rigidité applicable aux actes juridiques ne s’étend pas aux faits juridiques, et aucune hiérarchie des procédés de preuve n’est imposée.
Toutefois, tous les procédés de preuve ne sont pas acceptables dans un cadre juridique. Certaines preuves, comme celles obtenues de manière illicite ou portant atteinte à des droits fondamentaux, peuvent être inadmissibles malgré cette liberté probatoire.
§ 2 : LES DIFFÉRENTS PROCÉDÉS DE PREUVE
Les différents procédés de preuve se divisent en deux catégories : les preuves parfaites et les preuves imparfaites. Les premières sont principalement utilisées pour prouver les actes juridiques, et elles lient le juge, c’est-à-dire qu’il ne dispose d’aucune marge d’appréciation. En revanche, les secondes sont laissées à l’appréciation souveraine du juge et sont souvent employées pour les faits juridiques ou, exceptionnellement, pour certains actes juridiques.
I. Les preuves parfaites
Il existe trois procédés de preuve dits parfaits : L’écrit ou preuve littérale (A), l’aveu judiciaire (B), le serment décisoire (C)
A – La preuve littérale (l’écrit)
Le Code civil reconnaît deux types d’écrits pour prouver un acte juridique : L’acte sous seing privé et l’acte authentique
1. – Les actes sous seing privé
L’acte sous seing privé est l’écrit qui, contenant un acte juridique, comporte la signature des parties. C’est la seule condition de forme requise par la loi. Le support est indifférent. La signature n’est plus nécessairement manuscrite.
a) Le support
Le support de la preuve littérale a évolué significativement avec la loi du 13 mars 2000, intégrant désormais la notion de preuve électronique. L’article 1365 du Code civil définit l’écrit comme une « suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission ». Cette définition permet d’étendre la preuve littérale à des supports variés, incluant l’écrit électronique.
Trois éléments composent la définition de l’écrit :
- Une suite de signes ou de symboles : cela inclut des lettres, caractères, chiffres ou tout autre signe.
- Dotée d’une signification intelligible : l’écrit doit pouvoir être compris.
- Un support indifférent : l’écrit peut se présenter sur un support physique ou électronique.
La loi ne requiert pas que l’écrit soit manuscrit, elle admet les textes dactylographiés ou imprimés, permettant ainsi l’utilisation de contrats-types ou de documents pré-remplis. L’écrit peut également être conservé sur des supports numériques, comme des fichiers électroniques, permettant de faciliter la dématérialisation des échanges. L’acte sous seing privé peut donc se présenter sous des formats multiples, y compris électroniques, sans qu’un support papier soit nécessaire.
Les contrats synallagmatiques
Les contrats synallagmatiques, c’est-à-dire ceux créant des obligations réciproques entre les parties, exigent un formalisme particulier pour assurer l’égalité des preuves. L’article 1369 (ancien article 1325) impose que ces actes soient établis en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct. Cette exigence est justifiée par la nécessité de permettre à chaque partie de disposer d’une preuve de l’obligation de l’autre, empêchant qu’une partie se retrouve à la merci de son cocontractant.
Toutefois, la jurisprudence admet des assouplissements. Par exemple, un seul original suffit si le document est déposé chez un tiers de confiance (notaire, avocat). De plus, si une des parties a déjà exécuté son obligation, l’exigence de « double original » peut être levée (Civ. 1re, 14 déc. 1983). Si cette formalité n’est pas respectée, l’écrit n’est pas nul, mais il perd sa force probante et sera considéré comme un commencement de preuve par écrit.
Les actes unilatéraux
Pour certains actes unilatéraux, l’article 1376 du Code civil (ancien article 1326) impose des exigences supplémentaires. Ces actes, par lesquels une personne s’engage seule à payer une somme d’argent ou à livrer un bien fongible, doivent comporter la signature du débiteur ainsi que la mention manuscrite de la somme ou de la quantité en lettres et en chiffres. Cette formalité vise à prévenir la fraude en rendant plus difficile la modification des montants inscrits dans l’acte.
En cas de divergence entre les sommes indiquées en lettres et en chiffres, c’est la somme écrite en lettres qui prévaut. Cette règle s’applique lorsque l’obligation porte sur des biens fongibles, tels que des sommes d’argent ou des biens se comptant au poids ou au nombre, comme dans le cadre d’un cautionnement. L’absence de cette mention n’entraîne pas la nullité de l’acte, mais rend simplement l’écrit moins probant ; il pourra tout de même servir de commencement de preuve par écrit, comme l’a reconnu la jurisprudence (Civ. 1re, 15 nov. 1989).
b) La signature
La signature électronique a été reconnue comme valable en droit français avec la loi du 13 mars 2000, intégrée dans le Code civil sous l’article 1367. Cette réforme marque une avancée majeure dans la reconnaissance de la valeur probante des documents électroniques, tout en précisant les conditions nécessaires pour assurer la sécurité et l’authenticité de la signature électronique.
Le rôle de la signature :
L’alinéa 1er de l’article 1367 du Code civil précise que la signature, qu’elle soit manuscrite ou électronique, a un double rôle :
- Identification de l’auteur de l’acte : La signature permet de déterminer qui est à l’origine de l’acte. Elle a donc un rôle d’authentification de la personne qui signe.
- Manifestation du consentement : La signature exprime l’accord de la personne avec les termes de l’acte, son engagement à respecter les obligations qui en découlent.
Dans le cas d’un acte authentique, la signature de l’officier public ne manifeste pas un consentement personnel au contenu de l’acte, mais elle confère à l’acte un caractère authentique, lui donnant une force probante supérieure à celle d’un acte sous seing privé.
Les conditions de validité de la signature électronique :
L’alinéa 2 de l’article 1367 prévoit que la signature électronique consiste en « l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache ». Ce procédé doit être suffisamment sécurisé pour garantir l’intégrité de l’acte et l’identité du signataire.
Deux types de signatures électroniques sont distingués :
- La signature électronique ordinaire : Celle-ci n’est pas présumée fiable et peut être contestée en justice. La charge de la preuve repose sur la partie qui invoque cette signature.
- La signature électronique avancée : Celle-ci bénéficie d’une présomption de fiabilité si elle est conforme aux conditions fixées par décret, garantissant ainsi l’identification du signataire et l’intégrité de l’acte. Cette signature doit être certifiée par des prestataires de services de confiance, accrédités par l’État. Le décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017, pris en application du règlement eIDAS de l’Union européenne, fixe les normes de certification et de sécurité que doivent respecter les prestataires.
Coexistence des signatures manuscrite et électronique :
Malgré la reconnaissance de la signature électronique, la signature manuscrite reste parfaitement valable et conserve sa pleine force probante pour les actes sous seing privé. La réforme n’a pas pour objet de remplacer la signature manuscrite, mais d’offrir une alternative fiable adaptée aux nouvelles pratiques numériques.
Ainsi, le choix entre signature manuscrite et signature électronique est laissé à la discrétion des parties, selon leurs besoins et les circonstances de l’acte.
c) Force probante de l’écrit :
Principe de la force probante de l’écrit :
L’ate sous seing privé tire sa force probatoire de la signature des parties. Si l’écrit est signé, il est considéré comme valide et a la même force qu’un acte authentique entre les parties et leurs héritiers ou ayants cause (article 1372 du Code civil). Cependant, s’il est contesté, notamment en cas de dénégation de la signature, l’acte perd temporairement sa force probante.
Selon l’article 1373 du Code civil, lorsque l’écriture ou la signature est contestée, la partie à qui l’on oppose l’écrit doit reconnaître ou dénier formellement cette écriture. En cas de contestation, il revient à celui qui invoque l’acte de prouver son authenticité. Pour cela, une procédure de vérification d’écriture peut être engagée conformément aux articles 287 à 298 du Code de procédure civile. Le juge peut alors examiner l’écriture, ordonner des comparaisons ou même demander une expertise, bien que cette dernière ne soit pas systématiquement obligatoire.
Si l’écriture n’est pas contestée ou que son authenticité est établie, l’acte fait pleinement preuve de son contenu, à moins que la partie adverse n’apporte une preuve contraire.
La loi du 13 mars 2000, qui a reconnu la validité de l’écrit électronique, accorde à celui-ci la même force probante que l’écrit papier (article 1366 du Code civil). L’article 1367 précise que la signature électronique a la même valeur que la signature manuscrite, à condition qu’elle soit sécurisée et fiable.
Conflits entre preuves écrites :
Le Code civil ne prévoyait pas initialement de règles précises pour gérer les conflits entre preuves littérales. Toutefois, avec la reconnaissance de l’écrit électronique, un nouvel article, le 1375, a été introduit, conférant au juge le pouvoir de déterminer quelle preuve écrite doit prévaloir en fonction de sa vraisemblance, quel que soit son support. Ainsi, le juge peut trancher entre un document électronique et un document papier sans privilégier l’un par rapport à l’autre.
La date de l’acte sous seing privé :
La date figurant sur un acte sous seing privé fait foi entre les parties jusqu’à preuve contraire, mais à l’égard des tiers, elle peut toujours être contestée (article 1377 du Code civil). Cela signifie que les tiers, tels que des créanciers ou acheteurs ultérieurs, peuvent contester la date mentionnée pour éviter toute fraude potentielle, par exemple si un vendeur tente d’antidater un acte pour fausser la chronologie des ventes.
Pour remédier à cette faiblesse, les parties peuvent recourir à deux procédés pour donner date certaine à un acte sous seing privé :
- Enregistrement auprès de l’administration fiscale, qui confère une date certaine à l’acte à compter du jour de son enregistrement.
- Mention dans un acte authentique ou inclusion de l’acte sous seing privé dans un procès-verbal de scellé ou d’inventaire par un officier public.
Enfin, l’acte sous seing privé acquiert date certaine automatiquement à compter du jour du décès de l’une des parties signataires.
2. – Les actes authentiques
Les actes authentiques bénéficient d’une force probante particulière en raison de leur établissement par un officier public, conformément aux formalités légales. L’article 1369 du Code civil (ancien article 1317) définit l’acte authentique comme celui qui est « reçu par des officiers publics ayant le droit d’instrumenter, dans les formes requises par la loi ». Cette définition a été modernisée pour inclure les actes électroniques. Désormais, un acte authentique peut être rédigé sur un support électronique à condition de respecter des conditions fixées par décret en Conseil d’État (article 1369 modifié).
Officiers publics
Les officiers publics qui peuvent établir des actes authentiques sont, entre autres, les notaires, huissiers de justice, agents diplomatiques (consuls) et officiers de l’état civil (maires et adjoints). Ces professionnels sont investis d’une mission d’intérêt général leur permettant de conférer aux actes une force juridique supérieure. Leur responsabilité est engagée en cas de manquement aux règles de forme ou de contenu. En outre, il leur est interdit d’instrumenter pour eux-mêmes ou leurs proches, sous peine de sanctions pénales et civiles en cas de faux.
Conditions de validité de l’acte authentique
Pour qu’un acte soit qualifié d’authentique, trois conditions principales doivent être réunies :
- Établissement par un officier public compétent : L’acte doit être rédigé par un officier public habilité à instrumenter, conformément à sa compétence d’attribution. Par exemple, les notaires ont une compétence générale pour recevoir tout acte ou contrat, tandis que les huissiers n’ont compétence que pour signifier des actes ou exécuter des décisions de justice. La compétence territoriale doit également être respectée.
- Respect des formalités légales : L’acte doit être rédigé selon les solennités requises pour éviter toute fraude. Ces formalités incluent l’utilisation d’un support durable (papier de qualité ou support électronique sécurisé), l’absence d’abréviations ou de blancs, l’écriture en langue française, la numérotation des pages, etc.
- Signature des parties et de l’officier public : L’acte doit être signé par toutes les parties, les témoins éventuels et l’officier public. Depuis une réforme de 1973, un notaire peut déléguer certaines tâches à un clerc habilité, notamment pour la lecture des actes et la collecte des signatures.
Sanction du non-respect des conditions
Si une des conditions de forme ou de compétence n’est pas respectée, l’acte authentique peut perdre son statut, mais garder la valeur d’un acte sous seing privé, à condition qu’il soit signé par les parties (article 1370 anciennement 1318). Ainsi, un acte authentique entaché d’un défaut de forme peut tout de même avoir une force probante réduite.
Force probante de l’acte authentique
Lorsque l’acte authentique est régulier en la forme, il bénéficie d’une force probante supérieure. Les constatations de l’officier public, comme la présence des parties ou la conformité des déclarations, font foi jusqu’à inscription de faux. L’acte est donc présumé exact et valable tant qu’une procédure d’inscription de faux (articles 303 et suivants du Code de procédure civile) n’a pas démontré le contraire. Si la procédure échoue, le demandeur peut être condamné à des amendes et dommages-intérêts.
Les déclarations des parties dans l’acte, ou l’opinion de l’officier public, ne font foi que jusqu’à preuve contraire.
Conservation et exécution de l’acte authentique
L’original de l’acte, appelé minute, est conservé par l’officier public, que ce soit le notaire ou le greffe du tribunal. Des copies peuvent être délivrées, parmi lesquelles :
- La grosse, revêtue de la formule exécutoire, permet de procéder directement à l’exécution forcée des obligations sans recourir au tribunal (par exemple, pour une saisie).
- Les expéditions, qui sont des copies simples authentifiées par le notaire ou un clerc habilité.
Ces éléments renforcent la sécurité et la force des actes authentiques, leur conférant une valeur probante élevée tant à l’égard des parties qu’à celui des tiers.
B – L’aveu judiciaire
L’aveu est défini classiquement par Aubry et Rau comme « la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai et comme devant être tenu pour avéré à son égard, un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques. » Planiol et Ripert précisent que ce terme doit s’appliquer aux « déclarations accidentelles, faites après coup, par lesquelles une partie laisse échapper la reconnaissance du fait ou de l’acte qu’on lui oppose. » Souvent qualifié de reine des preuves en droit civil, contrairement au droit pénal, l’aveu a une grande force probatoire. L’article 1383-2 du Code civil (nouvelle numérotation suite à la réforme de 2016) distingue deux types d’aveu : l’aveu extrajudiciaire (fait en dehors du procès) et l’aveu judiciaire (fait pendant un procès).
Seul l’aveu judiciaire constitue une preuve parfaite, liant ainsi le juge pour rendre sa décision.
- L’aveu judiciaire est celui formulé pendant un procès et dont dépend directement l’issue. Il est assez rare, car il est peu fréquent qu’une partie reconnaisse le bien-fondé des prétentions de son adversaire en cours de procédure. Selon l’article 1383-2, il « fait pleine foi contre celui qui l’a fait », ce qui signifie que cet aveu constitue un mode de preuve parfait, obligeant le juge à l’accepter comme vérité. L’aveu est tout aussi efficace que l’écrit pour prouver un acte juridique. En matière de divorce, autrefois interdit, l’aveu est désormais admis depuis la réforme du 11 juillet 1975, selon l’article 259 du Code civil, pour prouver la faute.
Capacité de l’auteur de l’aveu
L’aveu étant une reconnaissance lourde de conséquences, il doit émaner d’une personne capable juridiquement. Ainsi, l’aveu émanant d’un mineur ou d’un majeur protégé n’est pas valable.
Indivisibilité de l’aveu
L’article 1383-3 du Code civil précise que l’aveu est indivisible : on ne peut en retenir qu’une partie et écarter l’autre. Toutefois, l’aveu peut être complexe si l’auteur, tout en admettant un fait, avance un autre fait susceptible de créer une exception à son profit. Dans ces cas, la jurisprudence a atténué le principe d’indivisibilité. Par exemple, admettre l’existence d’un prêt mais nier la dette permet aux juges de dissocier les deux assertions et de ne retenir que l’aveu de l’existence du prêt, tout en écartant la déclaration de paiement (Civ. 1re, 17 juin 1968).
Irrévocabilité de l’aveu
L’aveu est également irrévocable, comme l’indique l’article 1383-3 : il ne peut être révoqué qu’en cas de preuve d’une erreur de fait. Une erreur de droit ne permet pas de revenir sur l’aveu. En conséquence, l’aveu est valable tant que son auteur ne prouve pas avoir commis une erreur sur les faits au moment de l’aveu.
C – Le serment décisoire
Le serment est défini comme une déclaration solennelle faite par un plaideur devant le juge, affirmant la réalité d’un fait qui lui est favorable (Ghestin et Goubeaux). Le serment décisoire est une forme spécifique de serment, rarement utilisée en pratique, car il comporte des risques importants pour celui qui l’invoque. Seules les personnes juridiquement capables de disposer de leurs droits peuvent y recourir.
Le principe du serment décisoire repose sur l’idée qu’un des plaideurs défère (propose) le serment à son adversaire pour prouver un fait litigieux dont dépend l’issue du procès. Celui à qui le serment est déféré a trois choix :
- Il peut prêter serment et ainsi gagner le procès.
- Il peut refuser de prêter serment, ce qui équivaut à un aveu judiciaire, permettant à l’autre partie de remporter le procès.
- Enfin, il peut référer le serment au plaideur qui le lui a déféré. Si ce dernier prête serment, il gagne le procès, mais s’il refuse, il le perd.
Le serment décisoire est considéré comme un mode de preuve parfait, ce qui signifie qu’il lie le juge, qui doit rendre sa décision en fonction du serment prêté ou refusé. En pratique, cet outil repose entièrement sur la bonne foi de l’adversaire, ce qui en fait un procédé extrêmement rare.
II. – Les preuves imparfaites
Les preuves imparfaites se caractérisent par le fait qu’elles ne contraignent pas le juge. Contrairement aux preuves parfaites, ces preuves laissent une large marge d’appréciation au magistrat, qui peut décider de leur pertinence en fonction de son intime conviction. Il existe quatre types de preuves imparfaites : le témoignage, les présomptions du fait de l’homme, l’aveu extrajudiciaire et le serment supplétoire.
A – La preuve testimoniale
Le Code civil traite la preuve testimoniale principalement en termes de son admissibilité. Selon M. Le Roy, « la preuve testimoniale est celle qui résulte des déclarations faites sous serment en justice, au cours d’une enquête par des personnes ayant perçu directement avec leurs propres sens le fait contesté ». Toutefois, la preuve testimoniale inclut aujourd’hui également des attestations écrites, et peut donc prendre une forme à la fois orale ou écrite.
- Qui peut témoigner ?
L’article 10 du Code civil impose à chaque individu l’obligation de contribuer à la justice pour la manifestation de la vérité. Ceux qui refusent de témoigner sans motif légitime peuvent être contraints ou sanctionnés par une astreinte ou une amende civile, ainsi que des dommages et intérêts. L’article 206 du Code de procédure civile confirme cette obligation, mais prévoit des dispenses pour certaines personnes, comme les parents, alliés en ligne directe, ou conjoints, même divorcés, qui peuvent refuser de témoigner. Ces personnes bénéficient d’une présomption de motif légitime, contrairement aux autres, qui doivent justifier leur refus de déposer.
Dans certains cas, la loi interdit le témoignage. Par exemple, l’article 205 alinéa 3 du Code de procédure civile interdit aux descendants de témoigner sur les griefs soulevés par les époux dans une demande de divorce ou de séparation de corps.
- L’objet du témoignage
Le témoignage doit se limiter à des faits que le témoin a personnellement vu ou entendu. Ce sont des perceptions directes, c’est-à-dire des faits perçus par ses propres sens. Le droit français exclut strictement la preuve par commune renommée ou « on-dit », qui est considérée comme imprécise et sujette à des déformations. Bien que cette forme de preuve fût courante sous l’ancien droit, elle n’est aujourd’hui admise que dans des situations exceptionnelles, comme dans le cadre de la tutelle (article 451 alinéa 3 du Code civil).
Cependant, la Cour de cassation a reconnu la possibilité d’admettre le témoignage indirect, où un témoin rapporte ce qu’il a entendu d’un tiers. La valeur de ces témoignages indirects est toutefois laissée à la discrétion des juges, qui peuvent décider de leur pertinence en fonction des éléments du dossier.
B – La preuve par présomptions
Les présomptions de l’homme ou présomptions de fait permettent au juge de tirer des conclusions à partir d’un fait connu pour en déduire l’existence d’un fait inconnu. Il s’agit d’un raisonnement inductif qui repose sur l’intime conviction du juge, formée à partir d’un faisceau d’indices ou de faits.
Les éléments utilisés pour former cette conviction peuvent être extrêmement variés. Parmi ceux-ci, on trouve :
- Des constatations matérielles ;
- Des déclarations de personnes qui ne sont pas considérées comme témoins officiels ;
- Des documents divers, quelle que soit leur origine ou leur nature ;
- L’attitude des parties, comme un refus de se soumettre à une expertise ;
- Les résultats d’une expertise elle-même.
Ces présomptions, bien qu’utiles, ne sont pas des preuves scientifiques et peuvent être considérées comme risquées, car elles ne fournissent pas de certitude absolue. Cependant, elles restent indispensables dans de nombreux cas, car il est souvent difficile de prouver directement un fait litigieux. Ainsi, le recours à ces indices indirects devient souvent nécessaire.
L’article 1382 du Code civil invite les juges à faire preuve de prudence dans l’utilisation des présomptions : « Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont abandonnées à la prudence du juge, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes. »
Malgré cette recommandation de prudence, le juge bénéficie d’une grande liberté d’appréciation. Il peut choisir d’accepter une présomption s’il la juge convaincante ou de la rejeter. Il n’est pas nécessaire que plusieurs indices soient réunis pour fonder une présomption : un seul indice peut suffire, à condition qu’il soit jugé suffisamment pertinent.
C – L’aveu extrajudiciaire
L’aveu extrajudiciaire désigne toute reconnaissance faite en dehors du cadre d’une instance judiciaire. Contrairement à l’aveu judiciaire, il ne bénéficie pas des mêmes garanties de fiabilité, car il peut être obtenu sous l’effet de pressions, telles que la violence, la tromperie (dol) ou encore une erreur. De ce fait, l’aveu extrajudiciaire n’a pas la même force probante et ne lie pas le juge. Il est généralement classé parmi les présomptions de fait, qui appartiennent aux modes de preuve imparfaits.
L’article 1361 du Code civil (anciennement 1355) encadre cet aveu en précisant : « L’allégation d’un aveu extrajudiciaire purement verbal est inutile toutes les fois qu’il s’agit d’une demande dont la preuve testimoniale ne serait point admissible ». Cela signifie qu’un aveu extrajudiciaire exclusivement verbal est souvent irrecevable pour prouver un acte juridique. La valeur probante de cet aveu repose essentiellement sur l’appréciation souveraine du juge, qui peut, selon les circonstances et son intime conviction, décider de l’admettre ou de le rejeter.
D – Le serment supplétoire
Le serment supplétoire est défini à l’article 1386 du Code civil : «Le juge peut d’office déférer le serment à l’une des parties. Ce serment ne peut être référé à l’autre partie. Sa valeur probante est laissée à l’appréciation du juge». Ce serment, contrairement au serment décisoire, n’est pas demandé par les parties, mais proposé par le juge. C’est un outil à la disposition du magistrat pour clarifier des points d’incertitude dans une affaire. Il est utilisé à titre subsidiaire et ne lie pas le juge dans sa décision finale.
Bien qu’il ait pour but de compléter la preuve ou de renforcer la conviction du juge, le serment supplétoire est rarement utilisé en pratique. Son efficacité est limitée par le fait que les parties, malgré le serment, ne sont pas toujours fiables dans leurs déclarations. Le juge reste donc libre de l’utiliser ou non, selon les besoins de l’instruction et l’état des preuves déjà apportées.
CHAPITRE III : LA SANCTION DES DROITS SUBJECTIFS : L’ACTION EN JUSTICE
L’article 30 du Code de procédure civile définit l’action en justice comme « le droit, pour l’auteur d’une prétention, d’être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la déclare bien ou mal fondée. » Le second alinéa ajoute que, pour l’adversaire, l’action est « le droit de discuter le bien-fondé de cette prétention ». Ainsi, l’action en justice est considérée comme un droit subjectif, garantissant à chaque partie le droit de faire valoir ou de contester une demande devant un tribunal.
Le recours à la justice publique : Il est interdit à toute personne de se faire justice par ses propres moyens, sous peine de sanctions. La justice est un service public garanti par l’État, et les parties doivent utiliser les voies légales pour faire reconnaître et sanctionner leurs droits. Cela inclut, par exemple, le recours aux tribunaux pour obtenir des dommages et intérêts ou la restitution de biens à la suite de la nullité d’un contrat. Même pour forcer un débiteur à payer une dette ou à céder des biens, il est nécessaire de passer par un juge avant toute saisie. En interdisant l’exécution privée, l’État cherche à prévenir les excès, violences ou abus. L’exécution forcée des obligations est possible uniquement après reconnaissance du droit en justice, et l’État, en dernier recours, peut employer la force publique pour garantir cette exécution.
L’évolution doctrinale : Longtemps, la doctrine classique confondait l’action en justice avec le droit subjectif lui-même. Des auteurs comme Demolombe considéraient que l’action était simplement la dimension active d’un droit, sa mise en œuvre judiciaire. Il affirmait que « l’action, c’est le droit lui-même mis en mouvement ». Cette conception a été abandonnée. Aujourd’hui, il est admis que l’action en justice et le droit subjectif sont distincts : l’action tend à la reconnaissance du droit et à sa sanction, mais elle s’en distingue. Un droit subjectif peut exister sans action judiciaire, et l’inverse est vrai. Par exemple, les obligations naturelles, qui sont des devoirs moraux ou sociaux, ne donnent pas lieu à une action en justice. L’action en justice est donc le pouvoir reconnu à toute personne de demander à un juge de trancher une prétention qui se fonde sur un droit subjectif.
Dans cette étude, nous aborderons d’abord les conditions d’existence de l’action en justice (section 1), puis les étapes de sa mise en œuvre à travers l’instance (section 2).
Section 1 : L’ACTION EN JUSTICE
L’article 31 du Code de procédure civile établit que l’action en justice est ouverte à toute personne justifiant d’un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas où la loi attribue ce droit à certaines personnes spécifiques, qualifiées pour défendre un intérêt déterminé ou pour élever ou combattre une prétention. Cela signifie qu’une personne doit satisfaire deux conditions essentielles pour agir en justice : l’intérêt et la qualité.
- L’intérêt à agir : Pour qu’une personne puisse introduire une action en justice, elle doit avoir un intérêt légitime à ce que le juge statue en sa faveur. Cet intérêt doit être personnel, direct et actuel
- une qualité pour agir
I. – L’intérêt à agir
L’intérêt constitue le fondement essentiel de toute action en justice. Il ne suffit pas d’être titulaire d’un droit, il est nécessaire de justifier d’un intérêt personnel à voir la prétention reconnue par le juge. Le principe est clair : « Pas d’intérêt, pas d’action ». Cet intérêt doit remplir quatre conditions pour être valide.
1. L’intérêt doit être direct
L’intérêt invoqué par le demandeur doit découler directement du succès de l’action judiciaire. Cela signifie qu’il doit exister un lien étroit entre l’intérêt et le droit dont la reconnaissance est demandée devant le juge. Il ne peut s’agir d’un intérêt indirect ou éloigné.
2. L’intérêt doit être légitime
Le caractère légitime de l’intérêt, bien que sujet à interprétation, fait référence à l’idée que l’action ne doit pas viser un objectif contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Traditionnellement, cela permettait à la jurisprudence d’écarter les actions fondées sur un intérêt juridiquement non protégé ou illégitime, proche du principe « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ». Toutefois, cette condition a été assouplie depuis un arrêt majeur de la Chambre mixte de la Cour de cassation du 27 février 1970, selon lequel l’expression « intérêt légitime » doit être comprise comme englobant les autres caractères exigés pour agir en justice.
3. L’intérêt doit être personnel
En principe, chacun doit défendre ses propres intérêts en justice. Le droit français ne reconnaît pas d’action populaire, c’est-à-dire une action intentée par un particulier au nom de la société tout entière. Cette mission incombe au ministère public. Cependant, la loi accorde à certains groupements ou syndicats professionnels la capacité d’agir pour défendre des intérêts collectifs, même s’ils n’ont pas subi de préjudice personnel. Par exemple, un syndicat professionnel peut agir pour protéger l’intérêt collectif de la profession qu’il représente. De même, les ordres professionnels, comme celui des avocats ou des médecins, peuvent agir pour défendre les intérêts de leurs membres.
Toutefois, la jurisprudence reste prudente et restrictive dans l’appréciation de cet intérêt collectif afin de ne pas permettre à ces groupements de se substituer au ministère public. Cette prudence s’atténue lorsque le législateur habilite expressément certaines associations à représenter des intérêts collectifs spécifiques, comme les associations de consommateurs.
4. L’intérêt doit être né et actuel
Enfin, l’intérêt à agir doit être né et actuel, c’est-à-dire qu’une personne ne peut pas intenter une action pour réparer un préjudice éventuel ou hypothétique. Il est indispensable que le préjudice soit concret, bien qu’il puisse être futur, à condition qu’il soit certain de se réaliser. Par exemple, une action peut être fondée sur un préjudice futur mais déterminable, même si la date exacte de sa survenance est incertaine.
Ainsi, l’intérêt à agir en justice est encadré par ces critères qui garantissent que l’action repose sur des motifs valables et concrets, tout en laissant place à certaines exceptions légales permettant à des groupements de défendre des intérêts collectifs spécifiques.
II. – Une qualité pour agir
La qualité est le second critère qui permet d’agir en justice. Elle correspond au titre qui permet à une personne d’exiger du juge qu’il statue sur un litige donné. En principe, toute personne ayant un intérêt légitime a la qualité pour agir. Cependant, dans certains cas spécifiques, la loi limite ce droit à des personnes expressément qualifiées. L’article 31 du Code de procédure civile prévoit cette exception en précisant que l’action est ouverte sous réserve des cas où la loi réserve ce droit à des personnes spécifiques.
Ainsi, certaines actions sont dites « attitrées », c’est-à-dire que seules des personnes précises sont habilitées à agir. Par exemple, dans le cadre de l’action en nullité, seules certaines personnes déterminées par la loi peuvent introduire cette action. De même, l’action en désaveu de paternité ne peut être intentée que par le père présumé, et l’action en divorce est strictement réservée aux époux.
La qualité pour agir devient donc essentielle dans les situations où la loi restreint le nombre de personnes habilitées à introduire l’action, bien que d’autres puissent avoir un intérêt à le faire. Ces restrictions sont généralement liées à la nature particulière des droits en question, pour lesquels le législateur a jugé opportun de restreindre l’accès à la justice à certaines catégories de personnes.
Section II : L’INSTANCE
La mise en œuvre de l’action en justice se traduit par ce que l’on appelle l’instance. Il s’agit d’une série d’actes procéduraux allant de la demande en justice jusqu’au jugement, ou parfois jusqu’à l’abandon de la prétention par un désistement. Cet ensemble de démarches crée un rapport d’instance entre les parties, lesquelles deviennent des plaideurs. Bien que toutes les règles relatives à l’instance relèvent du droit processuel, il est essentiel de comprendre les principaux principes directeurs de l’instance (I) ainsi que son issue, à savoir le jugement (II).
I. – Les principes directeurs de l’instance
L’organisation judiciaire repose sur quelques principes essentiels qui régissent le déroulement de l’instance.
1- Le principe de la neutralité du juge :
- Saisine : Ce principe signifie que le juge ne prend jamais l’initiative de s’autosaisir d’un litige. Il intervient uniquement à la demande des parties ou, en matière pénale, par l’intermédiaire du ministère public. L’article 1er du Code de procédure civile le précise : « seules les parties introduisent l’instance, sauf dans les cas où la loi en dispose autrement ». Ce principe est interprété de manière large, et c’est toujours la partie concernée qui initie l’instance.
- Déroulement de la procédure : Le principe de neutralité implique également que les parties contrôlent le déroulement de la procédure. Elles doivent accomplir les actes nécessaires dans les formes et délais prescrits par la loi, comme l’indique l’article 2 du Code de procédure civile. Le rôle du juge, selon l’article 3, se limite à veiller au bon déroulement de l’instance. Cette approche repose sur une tradition révolutionnaire qui considérait le juge comme un protecteur, non un intervenant direct dans le déroulement des affaires privées. Néanmoins, ce principe a connu des assouplissements depuis le Code de procédure civile de 1971, qui a conféré au juge civil des pouvoirs d’instruction accrus.
Une réforme notable est celle de 1965, qui a instauré la fonction de juge de la mise en état. Ce magistrat a un rôle actif dans la gestion des procédures, pouvant imposer des injonctions aux avocats, ordonner la communication de pièces et fixer des délais. Ces interventions sont une atteinte partielle au principe de neutralité du juge, et la procédure civile s’éloigne progressivement du modèle accusatoire, se rapprochant du modèle inquisitoire utilisé en matière pénale.
- Objet et cause du litige : Conformément à la neutralité du juge, les parties déterminent elles-mêmes l’objet et la cause de leur action. L’objet est ce qui est réclamé, tandis que la cause est le fondement juridique de la demande. Le juge est tenu de respecter ces éléments et ne peut statuer ultra petita (au-delà de ce qui est demandé) ni extra petita (en dehors de la demande). Par exemple, si une partie demande 1 euro de dommages-intérêts, le juge ne peut accorder plus, même si le préjudice est manifestement supérieur. La Cour de cassation veille au respect de ce principe et annule les décisions qui modifient la cause de l’action.
Toutefois, bien que le juge ne puisse pas modifier les faits invoqués ou leur accorder des règles non demandées par les parties, il est tenu de requalifier les faits et les actes litigieux si nécessaire. En vertu de l’article 12 du Code de procédure civile, il peut donner aux faits leur exacte qualification juridique, sans pour autant modifier la nature des faits tels que présentés par les parties.
2-Le principe du contradictoire
Un des fondements du procès équitable est le principe du contradictoire, qui garantit les droits de la défense. Ce principe impose une certaine loyauté procédurale de la part des parties et du juge. Chacune des parties doit avoir la possibilité de se faire entendre, d’exposer ses arguments et de contester les éléments de preuve qui seront utilisés pour résoudre le litige. Le Code de procédure civile, dans ses articles 14 à 16, en est la parfaite illustration.
- Article 14 énonce que « nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ». Cela signifie que chaque partie doit être informée du procès et avoir la possibilité d’y participer.
- Article 15 impose aux parties de se communiquer mutuellement les pièces sur lesquelles elles fondent leurs prétentions. Cette communication doit être faite suffisamment à l’avance pour que chaque partie puisse organiser sa défense.
- Article 16 s’adresse au juge. Ce dernier doit veiller à ce que le principe du contradictoire soit respecté tout au long de la procédure. Le juge ne peut ainsi retenir dans sa décision des moyens ou des documents que les parties n’auraient pas pu discuter contradictoirement. De même, s’il décide de relever d’office un moyen de droit, il doit d’abord inviter les parties à présenter leurs observations.
Une procédure par défaut a été mise en place pour éviter que l’une des parties ne se soustraie au procès. Cette procédure permet à la partie défaillante de faire opposition au jugement rendu en son absence, permettant ainsi au tribunal de juger à nouveau l’affaire dans son intégralité, tout en garantissant le respect des droits de la défense.
II. – Le jugement
– Le cours se termine sur cette fiche : https://cours-de-droit.net/l-autorite-de-la-chose-jugee-a121611768/