LE JUGEMENT ADMINISTRATIF.
I ) L’obligation de juger.
Obligation générale : le juge a l’obligation de statuer sur toutes les affaires dans un délai raisonnable compatible avec une bonne administration de la justice. Il n’y a pas de jugement implicite. Donc un jugement écrit est rendu par les juridictions administratives. Les jugements peuvent revêtir trois caractères : soit c’est un jugement au fond qui met fin à l’instance soit c’est un jugement avant dire droit qui ne met pas fin à l’instance soit c’est un jugement mixte c’est-à-dire sur le fond et avant dire droit.
A) les limites à l’obligation de juger.
- Cours de Contentieux Administratif
- L’obligation de juger pour le juge administratif
- Comment se déroule l’instance d’un recours administratif ?
- Quelles sont les conditions de recevabilité du recours administratif ?
- Quel est le délai de recours contre une décision administrative ?
- Recevabilité du recours administratif : capacité, qualité, intérêt à agir
- Quels sont les recours devant la juridiction administrative ?
Question très complexe au regard des spécificités du juge administratif.
- l’infra petita.
Le juge statue sur la totalité du litige qui lui est soumis. Il ne reste pas en deçà de sa compétence sinon le jugement est entaché d’omission de statuer. Dans le contentieux de l’excès de pouvoir la question ne se pose pas vraiment. La question se pose surtout dans le plein contentieux où le juge peut avoir omis de statuer sur une partie des conclusions surtout si le requérant a été brouillon dans sa demande.
- l’ultra petita.
Le juge ne peut pas statuer au-delà de ce qui lui est demandé. Dans le contentieux de l’excès de pouvoir le requérant peut n’avoir disposer que des conclusions en vue d’une annulation partielle. Le juge sera tenu de voir sis ces conclusions sont elles recevables dans le cas d’un acte indivisible. Si l’acte est divisible les conclusions partielles ne poseront aucune difficulté. Dans le cas inverse, si l’acte est indivisible mais que les conclusions serait recevable à l’égard d’une partie de l’acte le juge sera tenu de rejeter le recours sinon il enfreindrait la règle ultra petita. La divisibilité des actes n’est pas une question simple il n’y a pas de critère utilisable dans tous les cas, chaque cas est particulier. Par exemple, dans un concours administratif la règle d’admissibilité et d’admission sont jugées comme étant indivisible du concours. Par exemple, encore, l’acte est indivisible, d’abord en ce qui concerne les éléments financiers du permis de construire. Un des cas les plus complexes concernent les contrats administratifs car les éléments règlementaires du contrat sont divisibles des stipulations purement contractuelles : arrêt Cayzeeles ces stipulations purement contractuelles forment un tout indivisible.
B) Les dispenses de statuer sur les conclusions.
- les non-lieux à statuer (NLAS).
Lorsqu’en cours d’instance le requérant a obtenu satisfaction il y a disparition de l’objet du litige. Le juge constate qu’il n’y a plus rien a jugé.
- les NLAS d’opportunité : l’intérêt du litige a disparu mais pas l’objet : exemple, vous êtes élus dans un conseil de faculté et cette élection est contesté. Au moment du procès vous n’êtes plus étudiant donc plus élus, le juge constate donc que l’intérêt a disparu.
- Les NLAS législatifs : en cours d’instance la loi est venu fixer la règle de droit qui fait l’objet d’un débat devant le Juge Administratif. Comme le Juge Administratif est tenu d’appliquer la loi il constate que l’objet du litige a disparu.
- Le désistement.
C’est la volonté du requérant de ne plus poursuivre son litige. Il se désiste, ce désistement peut être total ou partiel, il peut être également conditionnel : il peut être subordonné à la réalisation d’une condition. Cela peut être un désistement d’instance ou d’action. Si le requérant arrête son litige sans dire si il est d’instance ou d’action, il est réputé d’action : cette règle est très sévère. Le désistement et le NLAS sont rendus par ordonnance du président non soumis à une procédure collégiale. Le Tribunal Administratif recrute des assistant de justice pour faire cette mission.
C) L’obligation de juger au regard des moyens en cause.
- le cas de rejet au fond.
Lorsque le juge rejette la requête, il est tenu de répondre à tous les moyens recevables du requérant et de motiver le rejet de chacun des moyens. Lorsque le juge estime que si le requérant avait invoqué un autre moyen il aurait pu obtenir l’annulation de l’acte, et lorsque ce moyen n’est pas un moyen d’ordre public, il utilisera la formule selon laquelle aucun moyen invoqué n’est fondé. Dans ce cas si le requérant avait invoqué un autre moyen il aurait pu obtenir l’annulation de l’acte.
- le cas où la décision est annulée.
Le juge utilise la technique dite de l’économie des moyens, il lui suffit de retenir un moyen pour annuler : « sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ».
Le juge retiendra dans l’ordre les moyens de légalité externe avant d’examiner les moyens de légalité interne. Enfin, le juge ne retient qu’un seul moyen car si il en retenait deux c’est qu’il a eu un doute sur la pertinence de l’un des deux.
Lorsque le juge retient un moyen d’ordre public, il écrira en tête du considérant : « sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens de la requête ».
D) Les cas où la décision est annulée.
Dans le contentieux de l’excès de pouvoir, le juge soit annule soit rejette la requête. Dans le contentieux de pleine juridiction, le juge, si il fait droit à la demande du requérant remplace la décision de l’administration (celle qui résulte de la demande préalable) par la sienne. En dehors de ces pouvoirs traditionnels, le juge était dans une situation où il n’avait pas d’autres possibilités, c’est lui-même qui s’autolimitait en s’interdisant l’application de deux principes : l’interdiction d’adresser des injonctions à l’administration et interdictions de se comporter en administrateur.
- le cas des injonctions.
- Avant 1995 : le juge s’interdisait de son propre chef d’adresser des injonctions à l’administration. Selon lui, la décision qu’il prononçait se suffisait en elle-même et il appartenait à l’administration vertueuse d’appliquer la décision prise par le juge. Certaines décisions du juge restaient parfois lettre morte et donc le législateur est venu donner au juge administratif les moyens de faire appliquer ses propres décisions dans le cas où il y aurait un refus ou une difficulté d’exécution.
- Après 1995 : les articles qui prévoient ce mécanisme sont les articles L911-1 et suivants du Code de justice administrative qui donnent pouvoir au juge d’adresser des injonctions à l’administration en vue d’assurer l’exécution complète de la décision. Article 911-2 prévoit des possibilités d’astreintes. Le système fonctionne à deux niveaux :
- Le requérant saisit le juge de conclusions en vue de l’annulation d’une décision et en outre il demande simultanément au juge d’adresser une injonction à l’administration en vue d’obtenir un résultat déterminé dans le but d’obtenir une pleine exécution du jugement. Exemple, demande d’annuler le refus du permis de construire, l’injonction ici sera l’obligation de délivrer le permis de construire dans un certain délai, un mois par exemple.
- un jugement a fait l’objet d’une signification à l’administration. Cette dernière est rétive à appliquer le jugement, après coup on saisit le juge à nouveau par une deuxième requête. Dans ce cas aussi le juge peut ordonner par injonction l’obligation d’assurer une pleine exécution du jugement rendu.
Les injonctions sont devenues aujourd’hui pratiques courantes et elle améliorent incontestablement l’exécution des décisions rendues. Peut-on demander plus que ce que le juge a jugé ? L’annulation d’un refus n’entraîne pas automatiquement l’octroi de l’autorisation. L’administration doit réexaminer la demande et peut trouver un autre motif de refus.
- le contentieux contractuel.
Question de l’annulation des actes détachables du contrat et leur incidence sur le contrat lui-même. Il y a une impossibilité pour le juge d’annuler à la demande de l’un des co-contractants des dispositions contractuelles. Cela inclut les mesures coercitives prises par l’administration à l’égard de son co-contractant.
Lorsque le juge annule des actes détachables concernant la décision permettant le contrat, le principe est que cela entraîne la nullité du contrat. Cette position du Conseil d’Etat est relative, dans certain cas l’annulation de l’acte détachable n’aura aucune incidence sur la vie du contrat si il est démontré qu’il n’y a pas de relation directe entre l’acte détachable et le contrat lui-même.
- le juge ne peut pas se comporter en administrateur.
C’est le pendant de l’injonction cela implique que le juge ne peut se substituer à l’administration pour prendre des mesures positives. Cette règle a, elle aussi, subi avec le temps des altérations. Dans le contentieux de pleine juridiction, la décision du juge d’attribuer des dommages et intérêts est une décision dans laquelle le juge se substitue à l’administration. Dans le contentieux fiscal, le juge peut fixer soit l’assiette de l’impôt soit le montant de l’impôt. En matière électorale, le juge peut aussi arrêter le nombre des élus et le nombre de voix obtenues. Dans tous les autres cas, la position du juge est de laisser à l’administration le soin de tirer les conséquences de la décision qu’il prend.
- le cas des annulations partielles.
Le juge ne peut prononcer des annulations partielles qu’ « en tant que ». Par exemple, s’agissant d’un acte administratif dont l’effet serait rétroactif, le juge prononce l’annulation qu’en tant que l’acte est rétroactif. Il en prononce beaucoup car cela suffit pour respecter la règle de légalité.
- le pouvoir de substitution.
Le juge a plusieurs possibilités.
- Il peut procéder à une substitution de base légale, il considère que l’administration s’est trompée de texte mais il a la conviction que si l’administration ne s’était pas trompée de texte elle aurait pris la même décision. Il rectifie lui-même. Cette pratique est critiquable car le juge vient sauver l’acte administratif d’une annulation certaine. Elle ne marche que dans un sens, celui de l’administration.
- Il peut procéder à une substitution de motif. Le juge contrôle les motifs de l’acte et il peut considérer que les motifs sont entachés d’une erreur de droit ou de fait. Si le juge a la conviction que si l’administration ne s’était pas trompée sur ces motifs elle aurait tout de même pris la même décision, il va sauver l’acte. Le cas le plus fréquent de l’application de cette substitution est le cas de compétence liée de l’administration.
- Depuis la jurisprudence du Conseil d’Etat Ass, 13 janvier Dame Perrot, lorsqu’un acte comporte plusieurs motifs, il suffit qu’un seul de ces motifs soit légal pour que l’acte soit considéré comme légal même si tous les autres motifs sont illégaux. C’est une jurisprudence qui crée un déséquilibre profond entre l’administration et le requérant.
- 6) le juge peut donner à l’administration un délai pour reprendre un acte illégal.
Il va par exemple donner à l’administration un court délai pour qu’une procédure formelle qui n’a pas été accompli soit réalisée et ainsi cela va permettre d’éliminer une des causes de l’illégalité. C’est une sorte de droit de repentir donné à l’administration, droit de rectifier une erreur commise par l’administration : permis de construire pour lequel une consultation préalable n’avait pas été réalisée. Le juge suppose que cette consultation n’aura aucun effet sur l’acte.
II ) L’élaboration et le prononcé du jugement.
A ) La formation de jugement.
- le nombre de juge.
- le juge unique : cela concerne toutes les procédures d’urgence, en référé. En outre l’article R 222-13 fixe une liste d’affaires jugées à juge unique, cela concerne surtout le contentieux des fonctionnaires. Il n’y a pas d’appel possible, sauf cassation devant le Conseil d’Etat avec obligation du ministère d’avocat. Ce système est critiquable car il ne donne pas de réelle deuxième chance.
- le juge collégial : c’est toujours un nombre impair de magistrats (en général trois). La formation est présidée par un magistrat qui a le grade de président administratif et il est assisté de deux assesseurs. Il peut se trouver qu’il n’y ait pas de président disponible, dans ce cas ce sera le conseillé le plus ancien avec le grade le plus élevé. Devant le Tribunal Administratif et les CAA il peut y avoir une formation plénière qui se réunit pour les affaires les plus importantes, parfois sur renvoi de cassation. C’est en général, l’assemblée des magistrats du tribunal.
La question se pose aussi de savoir si dans la formation de jugement il est nécessaire de considérer que le commissaire du gouvernement en fait partie. Pour certain auteur ça ne fait aucun doute que oui. Mais pour la CEDH aussi ça ne fait aucun doute, mais dans le sens inverse, elle considère qu’il n’a pas le droit de participer aux délibérations.
La double fonction de la juridiction administrative pose de gros problèmes, en particulier pour le CE. Depuis la réforme de l’ordonnance de 1963, les membres du Conseil d’Etat participent par roulement aux formations administratives et à la section du contentieux. Pour les CAA et TA, ces juridictions ont aussi des compétences administratives soit à raison de la participation de leurs membres à des commissions soit parce qu’elles peuvent être interrogées par le préfet sur des questions de droit.
Une première question se pose : ayant participé a des fonctions administratives, les juges sont-ils frappés d’une partialité supposée qui les empêcherait de siéger dans des formations contentieuses ?
Le juge fait preuve d’un certain libéralisme, il n’a jamais considéré que cette double fonction portait atteinte au principe d’impartialité : arrêt GADIAGA. Dans cette décision, le maire de Colmar prend un arrêté de police administrative qui fixe un périmètre dans lequel il est interdit aux commerçants ambulants d’exercer leur activité. Cet arrêté est porté devant le Tribunal Administratif de Strasbourg en annulation par M. GADIAGA. Le Tribunal Administratif l’annule au motif que cette mesure a un caractère excessif, il y a disproportion. Devant cette situation, le maire demande au préfet du département de saisir le Tribunal Administratif pour savoir dans quelles mesures cet arrêté serait légal. Le Tribunal Administratif donne son avis au préfet. Le maire reprend un deuxième arrêté de police et M. GADIAGA saisit à nouveau le Tribunal Administratif de Strasbourg. La question est ici de savoir si le Tribunal Administratif qui a rendu l’avis n’est pas discrédité pour apprécier la légalité de l’acte. le Conseil d’Etat répond qu’il peut siéger dans un contentieux sur lequel il a donné son avis.
La seule exclusion est la situation où, à l’occasion de l’exercice de fonctions administratives, un conseiller d’Etat aurait pris un acte administratif dans le cas où cet acte ferait ensuite l’objet d’un contentieux : Section, 2 mars 1973 Demoiselle ARBOUSSET.
La CEDH a sur ce point une appréciation différente. Elle estime qu’il y a atteinte au principe d’impartialité dès lors qu’un juge a fait connaître de quelques manières que ce soit, collégialement ou individuellement, son opinion sur une décision qu’il a à connaître : CEDH PROCOLA, décision rendue sur le Conseil d’Etat du Grand Duché du Luxembourg. La réponse donnée par le Conseil d’Etat à une telle question n’est pas institutionnelle, il répond au cas par cas, il n’autorisera pas toujours que le juge statue sur une affaire dont il a déjà eu connaissance.
Une seconde question se pose : cela concerne le fonctionnement interne des juridictions administratives elles-mêmes. Un magistrat qui a siégé dans une affaire de référé peut-il examiner l’affaire au fond ?
Le commissaire du gouvernement qui a conclu dans une affaire peut-il ensuite siéger pour examiner l’affaire au fond dans une formation de jugement ?
Pour les TA et CAA, le commissaire du gouvernement peut compléter une formation de jugement lorsque le besoin s’en fait sentir. La réponse est nuancée. le Conseil d’Etat fait preuve de libéralisme et de confiance dans le juge. Il permet à un magistrat qui a siégé en référé de participer à l’examen au fond.
En revanche, le conseiller d’Etat qui a manifesté en public son opinion ne peut plus siéger dans la formation de jugement : plus grand libéralisme que la CEDH.
Il y a eu une sorte d’institutionnalisation de la partialité : le Code de justice administrative s’est aligné a 100% sur les dispositions du Code de Procédure Civile. Il y a trois possibilités :
La première est l’abstention volontaire d’un magistrat qui préfère s’abstenir ou se déporter volontairement si il ne se sent pas impartial.
La seconde possibilité est la récusation. Tout justiciable peut récuser un membre de la juridiction administrative au motif que l’on suspecte sa partialité. La procédure de récusation est une procédure qui se fait devant la juridiction supérieure : CAA ou CE si c’est la CAA qui est en cause. Il faut que le motif invoqué soit l’un de ceux qui sont prévus dans le Code de Procédure Civile, notamment l’hostilité manifeste du magistrat a votre égard.
La troisième possibilité est le renvoi pour cause de suspicion légitime qui est dirigé contre l’ensemble de la formation de jugement.
III) Execution du jugement