LA PROTECTION DES DROITS ET LIBERTÉS PAR LA JUSTICE EN FRANCE
L’efficacité de la justice passe d’abord par les moyens dont elle dispose.
Part du budget de la justice dans la loi de finances pas très élevée, par rapport aux autres Etats européens.
Système judiciaire français classé au 35ème rang sur 47 par le Conseil de l’Europe
Justice devenue une justice de masse -> difficultés innombrables.
La lutte est aussi nécessaire que le fait de dégager des moyens corrects pour le fonctionnement de la justice.
Les lois se succèdent, avec notamment la loi de programme du 6 janvier 1995 (augmentation des moyens matériels et humains), la loi du 8 février 1995 (organisation des tribunaux et procédure : conciliation et médiation judiciaire) ; loi du 18 décembre 1998 sur l’accès au droit et la résolution amiable des conflits ; loi du 23 juin 1999 (procédure pénale) , la loi du 15 juin 2000 (présomption d’innocence et droits des victimes), la loi du 30 juin 2000 sur le référé administratif, la loi d’orientation et de programme du 9 septembre 2002, la loi organique du 26 février 2003 (statut des juges de proximité, qui statuent en matière judiciaire et pénale), réforme de la carte judiciaire entre 2007 et 2011…
A) LES DROITS ET LIBERTÉS ET LA JUSTICE ORDINAIRE
1 – Organisation et fonctionnement
Justice judiciaire :
Aujourd’hui : environ 800 tribunaux, contre 1200 avant la réforme de la carte judiciaire menée entre 2007 et 2011.
La Cour de cassation chapeaute un ensemble composé de 35 CA, des tribunaux de grande instance (TGI), des tribunaux pour enfants, des tribunaux d’instance (TI) et de police, des tribunaux de commerce et des tribunaux des affaires de sécurité sociale.
L’ordre administratif :
42 Tribunaux administratifs (TA) et 8 cours d’appel
+ CE :
- examine la légalité des décisions administratives (recours pour excès de pouvoir)
- indemnisent leurs conséquences dommageables (recours de plein contentieux))
Juges : magistrats à la formation reconnue Ecole nationale de la magistrature pour les magistrats judiciaires (ENM) et Ecole nationale d’administration pour les juges administratifs (ENA).
+ Quelques juges élus, qui présentent d’autres garanties de qualité pour la justice.
a – L’indépendance des juges
L’indépendance des juges, et plus généralement leur statut : déterminants pour garantir la protection juridictionnelle des droits.
L’inamovibilité : protection des déplacements que pourrait souhaiter le pouvoir politique.
Pour ce qui est des magistrats des juridictions pénales, une grande différence oppose les magistrats du siège à ceux du parquet.
Les juges du siège : rendent les jugements, bénéficient d’une indépendance -> inamovibilité +absence de lien hiérarchique entre eux et le ministère.
Les magistrats du parquet (expriment l’intérêt de la société et constituent le « ministère public ») mettent en œuvre les orientations de la politique pénale, orientations qu’il ne leur appartient pas de définir.
L’actualité, avec récemment l’affaire Woerth-Bettencourt, montre bien que le cordon entre l’exécutif et le judiciaire n’est pas coupé et il ne semble pas près de l’être, malgré la pression de la CEDH en la matière.
b – Le CSM (conseil supérieur de la magistrature) et le CSTACAA (conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel)
Sont en charge de la gestion de carrière des magistrats.
Le CSM assiste le Président de la république dans sa mission de garant de l’indépendance de la justice (article 64 de la Constitution).
CSM :composé de magistrats, d’un avocat et de personnalités qualifiées nommées par les trois présidents (de la République, du Sénat et de l’Assemblée nationale) sous le contrôle des commissions permanentes des assemblées
Présidé par le Président de la Cour de Cassation (et non plus par le Président de la république).
Comprend deux formations,
- l’une en charge des magistrats du Parquet,
- l’autre des magistrats du siège.
Pouvoirs du CSM :
A l’égard des magistrats du siège : nomination+ pouvoir disciplinaire
À l’égard des magistrats du Parquet : pouvoir de donner un avis, qui ne lie pas l’exécutif, en matière de nomination et de sanction.
ATTENTION : Décisions prises malgré un avis négatif du CSM vivement contestées par le milieu judiciaire.
c – L’accessibilité de la justice
Fondamentale pour le respect des DROITS ET LIBERTÉS (sur les plans géographique, financier ou autre)
Mais rationalisation de la carte judiciaire, issue de la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) a conduit à la suppression de tribunaux et a placé certaines personnes à une grande distance du tribunal auquel elles sont désormais rattachées. + Parallèlement développement d’une justice de proximité qui ne peut se substituer à l’intervention d’un tribunal composé de magistrats de carrières.
Coût de la justice : question cruciale.
Gratuité des actes de justice établie en 1977
Aide juridictionnelle a mis en place en 1991.
d – Les délais de jugement
La France ne se donne pas les moyens financiers d’une justice rapide : trop faible nombre de magistrats -> délais de jugements dénoncés depuis longtemps et désormais condamnés par la CEDH à plusieurs reprises, (article 6 Convention EDH : droit à un jugement dans délai raisonnable)
Henri Oberdorff : « la justice doit être humaine » : reste beaucoup de progrès à faire.
Les deux ordres juridictionnels :
- protègent les libertés
- peuvent réparer les préjudices issus des violations des libertés.
ATTENTION : leur saisine n’est pas comparable, car l’effet suspensif des recours, protecteur des individus, ne joue que devant les tribunaux judiciaires, et non devant les juridictions administratives, pour ne pas paralyser l’action publique.
2 – La protection de la liberté individuelle
Liberté individuelle définie par le CONSEIL CONSTITUTIONNEL dans ses décisions majeures de :
-
- 1977 « Fouille des véhicules »: déclaration de non-conformité de la loi sur la fouille des véhicules, faute de conditions suffisamment restrictives (pas de lien avec une infraction ou un risque de trouble à l’ordre public).
- 1983 « Perquisitions fiscales » : déclaration de non-conformité de la loi sur les perquisitions, faute d’un encadrement suffisant par le pouvoir judiciaire.
- 2010 « Voile intégral » : déclaration de conformité de l’interdiction générale à tout l’espace public de la dissimulation du visage, dans un but de protection de l’ordre public.
- 2010 : « Garde à vue » : déclaration de non-conformité du régime légal de garde à vue français : système banalisé alors qu’il est insuffisamment protecteur dans la mesure où il n’est pas réservé à des infractions d’une certaine gravité, ne prévoit par la présence d’un avocat ni la signification du droit de garder le silence.
a – Principe de la compétence judiciaire
Juge judiciaire : érigé en garant de la liberté individuelle (article 66 Constitution)
-> Les auteurs d’actes administratifs ne sont donc pas jugés par le juge administratif en cas d’atteinte à la liberté (TC Barbier 1968 : Conséquence : l’appréciation de la validité du règlement relève de la compétence du juge administratif et le juge judiciaire ne peut statuer sur le licenciement qu’après avoir consulté de juge administratif sur la validité du règlement servant de base légale au licenciement).
+administration perd également son juge
- lorsqu’elle commet une voie de fait= un acte « insusceptible de se rattacher à ses pouvoirs », et de ce fait gravement illégal.
- lorsqu’un de ses agents commet une faute personnelle (TC 30/07/1873 Pelletier : GDJA.), non couverte par l’administration-employeur.
Il est interdit aux préfets d’élever le conflit en matière de liberté individuelle.
ATTENTION : Le juge judiciaire est tout de même contraint de saisir le juge administratif lorsque la solution d’un litige nécessite l’interprétation d’une décision administrative non réglementaire ou l’appréciation de la légalité d’une décision (qu’elle quelle soit). Il y a alors question préjudicielle qui contraint le juge judiciaire à surseoir à statuer en attendant la réponse du juge administratif. Toutefois le juge civil redevient compétent pour apprécier lui-même la légalité d’un règlement qui limite une liberté ou le droit de propriété.
= l’interprétation et l’appréciation de la légalité de toute décision administrative peut être faite par le juge pénal.
b – Exception : les réserves de compétence du juge administratif
Première série de compétences :
- contentieux des actes de police administrative et la police des étrangers
- contentieux des agents de la Fonction publique (TC 1873 Pelletier : responsabilité, TC 1950 Dehaene : droit de grève, CE 1973 Peynet : interdiction licencier une femme enceinte), le fonctionnement de l’administration pénitentiaire.
Deuxième série de compétences, plus hétérogène :
-
- secteur informatique et libertés (domaine de contrôle de la CNIL),
- mesures relatives aux aliénés
- mesures relatives aux écoutes téléphoniques,
- liberté de réunion et celle de manifester.
+ juge administratif interprète pour le juge judiciaire et apprécie pour lui leur validité, qui constitue des questions préjudicielles.
3 – La répartition des compétences dans les autres cas
Protection des droits de l’Homme se manifeste aussi par l’existence d’un contentieux particulier : celui de l’urgence.
Existe devant le juge administratif-> référé d’urgence dit « référé liberté » créé par la loi de 2000, en parallèle au référé-suspension, créé en remplacement du sursis à exécution.
Principe : juge administratif compétent pour les cas où une décision administrative est contestée. Pourtant, il est aussi reconnu incompétent dans les cas où la décision administrative litigieuse est constitutive d’une voie de fait (= atteinte gravement illégale à la propriété ou à une liberté fondamentale)
Jurisprudence sur la voie de fait demeure d’actualité malgré l’instauration d’un référé liberté par la loi du 30 juin 2000.
Cette loi attendue sur les procédures d’urgence a donné au juge administratif le pouvoir de prononcer des mesures transitoires véritablement protectrices des citoyens en désaccord avec l’administration.
ATTENTION : La mesure transitoire que le juge prend en urgence peut ensuite être contredite par le jugement définitif.
Le juge administratif également compétent pour :
- suspendre une décision d’une collectivité locale qui compromet une liberté publique, sur demande du préfet chargé du contrôle de légalité. Ce référé spécial est automatiquement accordé s’il est demandé par le préfet dans les 48 heures de la transmission de la décision litigieuse).
- en matière d’emprise régulière (atteinte légale à une propriété immobilière), les emprises irrégulières relevant logiquement du juge judiciaire.
Le contentieux de l’urgence existe aussi devant le juge judiciaire, qui intervient dans les contentieux relatifs à des actes de droit privé.