Seigneurie : justice seigneuriale et juridictions

La Seigneurie : justice et juridiction seigneuriale

Le terme seigneurie est une dénomination récente. Les documents médiévaux n’expriment pas l’existence d’une catégorie abstraite mais un rapport, on est seigneur de quelqu’un ou de quelque chose.

La situation du seigneur correspond à une relation concrète d’autorité sur les hommes et sur les terres. Les documents de cette époque qualifient un puissant de « dominus » ou de « senior ». Ces documents énumèrent les prérogatives du seigneur sur ses hommes. Ils utilisent également le terme de « justicia ».

Cette justice ne constitue pas un service public mais plutôt le pouvoir par excellence ainsi qu’un devoir pour ceux qui détiennent l’autorité. L’étendue du pouvoir de justice traduit l’étendue du pouvoir de justice du seigneur sur ses hommes. La justice est source de profit.

I) Justice et Pouvoir

Entre le 10ème et le 12ème s, les droits de justice publique passent progressivement entre les mains de l’aristocratie foncière. Ce mouvement résulte de la vacance de l’autorité souveraine ce qui permet aux grands d’étendre leurs prérogatives. Ce mouvement correspond aussi aux transformations de l’organisation domaniale. Le morcellement du domaine est compensé par l’attribution des droits de justice.

A) De la justice publique carolingienne aux justices seigneuriales

L’organisation judiciaire seigneurio-féodale s’est établie sur les ruines du système carolingien. Au 10ème siècle, l’appareil judiciaire carolingien se dégrade. Les formes et les termes traditionnels subsistent mais les principes qui les inspiraient sont petit à petit perdus de vue.

L’idée d’une justice s’imposant à tous en tant que souveraine régresse et disparaît même dans certains fiefs. Les assemblées judiciaires, les plaids ne jouent qu’un rôle d’arbitrage. Lorsqu’un individu lésé s’adresse à la justice, le recours n’est pas très efficace. Les Comtes et les ducs paraissent avoir perdu l’idée d’une justice qui condamne.

Les seigneurs puissants se comportent comme des médiateurs qui offrent leurs bons offices aux individus en conflit. Le résultat est que les actes passés devant ces assemblées judiciaires sont des accords ou des abandons et non pas des jugements. Cette situation introduit un des caractères de la justice féodale, elle est un service du seigneur à ses vassaux, une garantie plutôt que la manifestation de la souveraineté. A quelques rares exceptions, l’impuissance de la justice est à son comble.

Puis petit à petit les institutions judiciaires vont reprendre un peu plus de netteté et d’efficacité. A mesure que les hiérarchies féodales vont se préciser, les plus puissants seigneurs vinrent être en mesure de faire respecter plus souvent leur décision. Le roi de France ose de nouveau au 12ème s faire comparaître devant leur cour le défendeur.

Au cours du 12ème siècle l’organisation des justices seigneuriales se consolident avec la redécouverte du caractère obligatoire de la justice. Le pouvoir du seigneur justicier se réduit au droit de ban qui appartenait autrefois au roi et par délégation au Comte.

Le droit de ban fonde le pouvoir de justice répressive et permet aussi au seigneur justicier d’imposer des règles dans les territoires qu’il contrôle. C’est lui qui va fixer les prestations auxquelles sont tenus les paysans.

Ce n’est qu’à la fin du 12ème uniquement dans les seigneuries très importantes que le seigneur commence à utiliser son pouvoir pour établir de véritables règles de droit avec le « conseil des intéressés ».

B) Les catégories de justice

Le pouvoir du seigneur justicier se relie avec l’utilisation du droit du « ban » (bannum) qui appartenait au roi à l’époque carolingienne et par délégation aux comtes. Ce droit de ban fonde le pouvoir de justice répressive.

1) La justice de sang, haute justice

Cette haute justice comprend en matière pénale les crimes capitaux punis de mort ou de mutilation. En matière civile, tous les litiges qui peuvent donner lieu à la preuve par duel judiciaire (questions relatives au statut des biens et des personnes). Cette haute justice dérive de la justice du comte carolingien réservé aux « majores causae ». Aux 10ème et 11ème siècles cette haute justice n’appartient qu’aux descendants des comtes francs.

Mais le démembrement de la puissance publique s’étant poursuivi beaucoup de seigneurs de moyenne importance vont se comporter en haut justicier soit par concession soit par usurpation. Les hauts justiciers seront beaucoup plus nombreux que les comtes carolingiens et notamment dans les régions où la désagrégation de la puissance publique a été la plus complète.

2) La basse justice

Elle est compétente pour les affaires ne relevant pas de la haute justice. En matière pénale, ce sont tous les petits délits (délits ruraux, injures, coups…) toutes les affaires pour lesquelles l’amende encourue est inférieure à 60 sous. En matière civile, toutes les affaires qui mettent en jeu le statut des personnes (contrats…) mais qui ne peuvent donner lieu à la preuve du duel judiciaire.

Cette basse justice est moins prestigieuse et moins profitable que la haute justice. Cependant celui qui exerce cette justice est souverain dans la limite de ses compétences. L’attrait pour les droits de justice est si grand que les plus petits seigneurs se sont efforcés d’acquérir la justice sur leurs terres. De plus la justice devient un élément du patrimoine, la justice peut alors être aliénée, divisée en parts nombreuses après les générations successives.

C) Le jugement des vassaux et le jugement des sujets

Dans la seigneurie l’autorité judiciaire du seigneur s’exerce sur les vassaux qui relèvent du seigneur parce qu’ils lui ont prêté hommage. La justice s’exerce également sur les roturiers qui sont « couchants et levants dans le détroit de la seigneurie ».

1) Le jugement des vassaux

Rendre justice au vassal est un devoir du seigneur, de plus le vassal a le droit d’être jugé par ses pairs sous la présidence su seigneur.

Ce jugement prolonge le principe franc selon lequel l’homme libre ne peut être jugé que par la collectivité des hommes libres (mallum). Ce système résulte aussi de considération particulière de dignité sociale. En effet le vassal ne peut être jugé que par des hommes qui ont le même statut que lui, les chevaliers.

Techniquement tous les vassaux du seigneur doivent être convoqués mais il suffira qu’ils soient présents au nombre de 4 au moins pour pouvoir juger. En réalité, devant la cour féodale le poids de la sentence dépendra en fait du nombre et de la dignité de ceux qui ont rendu la décision.

Ce sont les vassaux eux-mêmes qui sont juges et engagent leur responsabilité personnelle.

Le seigneur pour sa part convoque les juges et les partis au procès. Il préside les débats, recueille les avis, prononce la sentence et la fait exécuter. Le seigneur perçoit les amendes et les biens confisqués.

2) Le jugement des roturiers

Le système franc du jugement par l’assemblée des hommes libres a reculé progressivement. Aux 10ème et 11ème s, les roturiers bénéficient encore du droit d’être jugés par leurs pairs. La justice est encore rendue dans des plaids judiciaires.

Au 13ème siècle, ce système existe encore dans certaines régions du Nord. Malgré tout, en dehors de ces régions le système franc a complètement disparu et c’est le seigneur lui-même qui juge pour qui délègue cette fonction à l’un de ses agents : « le prévôt ». Ce sera un roturier pour juger un roturier. Il est très fréquent qu’ils prennent l’avis des « assesseurs ».

II – La procédure devant les juridictions seigneuriales

Elle résulte de l’adaptation de la procédure Franque aux conditions de la société féodale. C’est-à-dire une société rude portée sur un système où les armes dominent plutôt qu’un système recherché qu’elle est capable d’utiliser. C’est une société où l’on croit à l’intervention permanente de Dieu dans la vie des hommes. La fonction judiciaire se distingue assez mal d’un arbitrage, elle s’élève difficilement jusqu’à la fonction de la collectivité publique.

A) Le déroulement du procès (XIIème – XIIIème)

1er caractère, la procédure est accusatoire. Le résultat est que c’est à celui qui se plaint d’engager la procédure à ses risques et périls. Sauf exception le juge ne se saisit pas d’office, il n’y a pas de ministère public.

D’autre part, cette procédure apparaît comme un ensemble de rites par lesquels s’explique la rivalité des adversaires. La procédure civile et la procédure criminelle possède les mêmes états.

Si la victime d’une agression n’a pas survécu seuls ses parents peuvent et doivent engager l’action en vertu de la solidarité. Il va s’agir de l’exercice de la vengeance par l’intermédiaire d’une instance judiciaire.

Le droit coutumier protège les droits des mineurs à engager la procédure jusqu’à l’âge où ils seront arrivés à l’âge de se porter accusateur, où ils pourront soutenir un duel judiciaire. C’est la dormition des actions. Les différentes étapes de la procédure sont orales et formalistes. Le plaignant exprime en personne sa plainte au seigneur justicier.

Le seigneur requis de dire le droit et doit alors faire porter la « semonce » à l’adversaire, c’est l’ordre de comparaitre tel jour à tel endroit pour répondre à telle accusation. C’est uniquement après trois convocations infructueuses du défendeur que le procès peut continuer contre le défendeur qui fait défaut.

En matière criminelle l’accusé qui est trois fois défaillant encourt le bannissement et la mise à mort s’il y retourne. Une fois les deux plaideurs en présence, l’affaire va être liée par les paroles au procès et les plaideurs doivent les prononcer en personne mais ils peuvent se faire assister de praticiens du droit qui indiquent les formules adéquats.

B) Les modes de preuve

La charge de la preuve incombe au demandeur. C’est le mode de preuve habituel préféré aux actes écrits, « témoins passent lettres ». Deux témoignages concordants entrainent la preuve des faits, « un témoin, pas de témoin ».

Les témoins en question déposent en public après avoir prêté serment de dire la vérité. Le témoin engage sa responsabilité personnelle car l’adversaire peut le déclarer « faux et menteur » et le provoquer en duel judiciaire. Cela a pour conséquence que nul ne peut être contraint de témoigner, les témoins sont généralement des vassaux ou des parents.

Ne peuvent être témoins ceux qui ne peuvent soutenir les duels judiciaires, les mineurs, les femmes, les ecclésiastiques et les personnes indignes.

Le serment est personnel, en effet le système des cojureurs a été suspendu. Il faut que les juges et l’adversaire fassent très attention à la formule du serment pour éviter les supercheries et les restrictions mentales. (Tristan et Iseult)

La preuve par écrit possède pleine force probante si elle dispose du sceau du roi sauf si le défendeur n’offre de « fausser le sceau par duel judiciaire ». Les actes privés sont validés uniquement par la mention des témoins présents à l’acte.

Ces actes n’ont de force probante que si les témoins viennent confirmer la teneur de l’écrit. Une évolution, à partir du 12ème s dans le midi où réapparaissent les actes authentiques grâce à la réapparition du notaire. Dans le nord on prend l’habitude de faire authentifier les actes sous seing privé par le seigneur.

Le jugement de Dieu, les ordalies reculent entre le 11ème et le 13ème siècle puis finissent par disparaître mais le duel continue à être utilisé comme preuve ultime dans les affaires de la haute justice. Ce duel peut également intervenir comme incident de procédure. La procédure du duel est désormais méticuleusement ordonnée.

Les plaideurs sont ajournés à comparaitre et doivent remettre des gages de comparution aux jours fixés, des gages de bataille. Il est d’usage de remettre un gant.

Chaque adversaire doit fournir une caution c’est-à-dire des hommes de bonne réputation qui garantiront la bonne comparution des adversaires. Ils doivent également tenir prison. Les partis doivent combattre en personne, sauf si c’est une femme, si c’est un vieillard, un ecclésiastique ou un établissement ecclésiastique on désigne un champion.

A l’origine le duel judiciaire est ouvert à tous les hommes libres mais progressivement ce système recule et finalement il ne sera plus utilisé à la fin du moyen âge que par les gentilshommes. Jusqu’à la fin du 13ème siècle, la prison n’est pas une peine. A l’issue du duel judiciaire, les armes et le cheval du vaincu sont confisqués au profit du seigneur.

C) Les procédés de contestation des décisions de justice

La procédure féodale connaît uniquement des techniques permettant de mettre en cause le seigneur qui a rendu la décision.

– La « défaute de droit » est ouverte au vassal lorsque son seigneur refuse de rendre justice soit en rejetant la plainte soit en refusant d’organiser l’instance soit en refusant de rendre la sentence. Le vassal s’adresse alors au seigneur supérieur, le « suzerain », pour se plaindre du « déni de justice ».

Si la plainte est fondée le seigneur fautif perd son vassal mais ce dernier conserve son fief. Le vassal devient désormais vassal immédiat du seigneur supérieur. Dans le cas contraire le vassal perd son fief car il a gravement à ses devoirs.

– Le « faussement de juge », il intervient lorsqu’un des plaideurs prétend que le juge lui a volontairement fait perdre le procès. Le plaideur va offrir de prouver ce qu’il avance par duel judiciaire « de son corps contre le seigneur ».

Cette procédure va être portée devant le suzerain.

Si le plaideur l’emporte, le juge ne peut plus juger, il doit verser une amende et réparer les dommages causés. Si le plaideur perd, il paie un amende, perd son fief si c’est un roturier il est pendu.

Toute l’organisation de la procédure féodale traduit l’idéal de dignité et de responsabilité personnelle du noble mais assure au meilleur combattant l’impunité probable. Elle ne favorise pas la protection des faibles et l’établissement de l’ordre.

Progressivement elle va se transformer à partir du milieu du 13ème en raison du développement du pouvoir royal et de l’influence du droit canonique et du droit romain. Le résultat est le développement d’une structure d’appel devant le roi.