La justice seigneuriale / justice féodale

Les temps féodaux : La domination seigneuriale et l’émergence de la justice seigneuriale

La féodalité est un système politique, ayant existé en entre le X e siècle et le XII e siècle, dans lequel l’autorité centrale, qui est affaiblie ( après la fin de l’Empire carolingien), s’associe avec les seigneurs locaux et ceux-ci avec leur population, selon un système complet d’obligations et de services. Les seigneurs ont tout pouvoir sur leur territoire, mais ils sont de puissance inégale. Ils se mettent donc sous la protection d’un seigneur plus important, ce qui leur impose des devoirs (fidélité, service des troupes) mais en impose aussi au seigneur supérieur (attributions de terres, aides économiques).

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Le procès pénal

Il existe deux types de justice qui coexistent : La première est la justice que les nobles appliquent entre eux car ils considèrent que la vengeance est un droit et même un devoir qui engage la victime et le coupable mais aussi leur famille (lignage) et également tous leurs fidèles (les vassaux). Les litiges dégénèrent souvent en guerre privée. Ainsi, lorsqu’un litige entre nobles est porté devant une cour seigneuriale, elle conserve un rôle arbitral. Le seigneur va tenter de concilier les parties dans le respect du code d’honneur (celui de la chevalerie). Ici, la procédure est accusatoire et les modes de preuve sont ceux de l’époque Carolingienne et notamment le duel. La deuxième est la justice que les nobles imposent aux paysans. C’est un moyen de contrainte physique et financier. C’est une justice arbitraire. Les peines consistent en des châtiments corporels rachetables par les familles.

La procédure

  • 1 : Les caractères généraux

Cette procédure suivie devant les cours seigneuriales est accusatoire, orale et publique. Le droit d’accusation appartient à la victime ou un membre de son lignage (sa famille) c’est ce qu’on appelle l’accusation par partie formée. Le juge ne peut pas se saisir d’office. Au cours du procès, les parties sont placées sur un pied d’égalité, elles sont parfois toutes les deux emprisonnées jusqu’au jour du procès. Certaines coutumes prévoient la rétorsion de la peine.

  • L’instruction est donc ici orale et publique c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’enquête, il n’y a pas de secret. Les parties doivent être physiquement présentes car aucune représentation n’est possible. Elles entendent ainsi les témoignages à charge et à décharge et elles peuvent y répondre.
  • En principe, dans ce type de procès, les hommes sont jugés par leurs pairs c’est à dire des juges qui ont le même statut qu’eux. Mais, en pratique seuls les nobles et les clercs (plus tard les bourgeois des villes) bénéficient de ce privilège de juridiction.

 

  • 2 : L’administration des preuves

En principe, la charge de la preuve pèse sur l’accusé, la preuve est établie en cas d’aveu de l’accusé ou s’il garde le silence. Les parties peuvent sinon produire des témoins qui vont déposer publiquement en leur présence. Les modes de preuves irrationnels comme les ordalies sont progressivement abandonné au XIIème et XIIIème siècle. Seul le duel judiciaire subsiste et va même se répandre. En principe, le vaincu au cours d’un duel se verra appliquer la peine de mort. St Louis a tenté d’interdire le duel par deux ordonnances : la première de 1254 en matière civile n’a posé aucune difficulté car on ne pratiquait pas le duel en matière civile ; la seconde de 1258 en matière criminelle n’a jamais été appliquée car elle s’est heurtée aux mœurs féodales. Deux raisons expliquent cet échec : d’une part le penchant naturel des nobles pour les duels, d’autre part du fait des profits de justice escomptés par le juge (qui pouvait recueillir la monture, les armes, l’armure du vaincu). Philippe Le Bel (IV) sera obligé de légaliser le duel judiciaire mais seulement pour les crimes de sang dans une ordonnance de 1306 à condition que le crime soit constant (un crime dont on est sûr), qu’il n’y ait pas de témoins, et qu’il existe de graves présomptions contre l’accusé. Le Parlement de Paris a tenté ensuite de limiter le recours au duel au moyen de la procédure d’enquête créée par St Louis. Mais, en pratique, le duel a reculé lorsque la procédure d’enquête a permis de recourir à la torture.

  • 3 : Les voies de recours

En principe, les décisions des cours seigneuriales sont définitives parce qu’il n’existe pas de hiérarchie entre les cours qui sont juxtaposées les unes à côté des autres. Il existe seulement quelques actions abusivement désignées comme « appel ».

  • L’appel de défaut de droit

Il sanctionne un déni de justice. Il intervient en matière féodale, lorsqu’un seigneur refuse de rendre justice à son vassal, ce dernier peut porter l’affaire devant le seigneur suzerain, le seigneur supérieur.

  • L’appel de faux jugement

C’est une prise à parti, c’est lorsqu’un condamné considère que le juge a rendu un jugement faux et mauvais. Il le provoque en duel devant le seigneur supérieur. C’est une procédure réservée aux nobles.

  • L’appel par remise des errements de plaid

C’est au XIIIème siècle que cet appel apparait en Normandie. C’est un appel hiérarchique car il existe en Normandie deux degrés de juridiction. Cet appel ne suppose pas un dol c’est-à-dire une volonté de la part du premier juge de rendre un mauvais jugement mais l’action est toujours dirigée contre le premier juge. En appel, la partie adverse du premier procès est seulement « intimée ».

  • 4 : Les procédures particulières

 

  • La procédure de flagrance (flagrant délit)

C’est lorsqu’une infraction est notoire et à perte (apparent). Le seigneur peut l’instruire d’office ou attendre une accusation, la procédure est alors simplifiée car il n’y a pas besoin d’administrer la preuve de l’infraction. Un coupable pris en flagrant délit ou poursuivi par la clameur publique peut être jugé sans accusateur.

  • La procédure de l’aprise

Cette procédure intervient lorsqu’une personne est désignée comme coupable par un dénonciateur, par la rumeur publique ou la victime avant de mourir. Il n’existe donc pas d’accusateur dans cette procédure. Dans ces hypothèses, le seigneur peut se saisir du suspect, l’interroger puis inviter d’éventuels accusateurs à se présenter en publiant à plusieurs reprises qu’un individu a été arrêté et qu’il a été soupçonné d’un crime précis. Si aucun accusateur ne se présente dans un délai coutumier (1 an et 1 jour), le juge peut seulement bannir le suspect. Mais le juge peut contourner cette règle en faisant comparaitre de nombreux témoins affirmant que le suspect est coupable car l’infraction devient alors notoire et le procès peut se dérouler comme pour le flagrant délit. Sinon, le juge peut demander au suspect s‘il accepte d’être jugé sans accusateur grâce à l’enquête de pays.

  • L’enquête de pays

Un suspect peut accepter d’être jugé en suivant l’enquête de pays c’est-à-dire sans accusateur en recueillant des témoignages sur lui et sur l’infraction. On dit que le suspect « se met en l’enquête ». Les personnes interrogées donnent juste leur opinion sur l’individu, sur sa réputation, culpabilité éventuelle. Les suspects acceptaient ce genre de procédure lorsqu’ils étaient sûrs d’échapper à une condamnation mais surtout pour échapper aux mauvaises conditions de détention. Cette procédure va avoir des effets très tardifs car elle doit être acceptée par le suspect.

  • La procédure de contumace

Au moyen âge, le jugement rendu par contumace, lorsque le condamné est absent du procès, n’est pas destiné à infliger une peine à un individu absent du procès pour des faits qu’il aurait commis mais seulement à le déclarer hors la loi. Le contumax est seulement déclaré for banni (mis hors la loi, hors du ban). Il est interdit de lui donner asile dans une maison de la seigneurie, de lui donner à boire, à manger et en principe, ses biens sont saisis. Un for banni peut seulement espérer obtenir du roi ou du seigneur des lettres de rappel de ban, qui peuvent lui accorder un pardon complet ou seulement lui ouvrir le droit de subir un procès pour purger la contumace.