La Justice et le principe de séparation des pouvoirs

La Justice au regard du principe de séparation des pouvoirs

Le Principe de séparation des pouvoirs vient de Grande-Bretagne. Les anglais ont mis ce principe en pratique à partir du 17eme siècle en essayantde diviser, de partager le pouvoir politique qui n’appartenait traditionnellement qu’à un seul titulaire, le roi.

  • Pouvoir législatif : édicte les normes juridiques, les lois – représenté par le Parlement.
  • Pouvoir exécutif : assure l’application des lois – représenté par le gouvernement et l’administration
  • Pouvoir judiciaire : chargé de trancher les litiges en appliquant les règles générales à des faits d’espèce – monopole d’Etat

Pendant très longtemps ces trois pouvoirs étaient monopolisés dans les mains d’un seul homme, le roi. Au XVIIIème, une pensée philosophique émerge, la philosophie des Lumières qui s’oppose à l’absolutisme et à l’arbitraire royal. Plusieurs philosophes, notamment Montesquieu, indiquent qu’il ne peut pas y avoir de démocratie sans séparation des pouvoirs > la concentration dans les mains d’un seul est la source du despotisme. Pour lui, toute personne ayant du pouvoir a tendance à en abuser > notion de contre-pouvoir. D’où la nécessité de séparer 3 pouvoirs, le législatif, l’exécutif et le judiciaire.

A partir de 1789, le principe de séparation des pouvoirs va être affirmé (Art. 16 de la DDHC). La justice est alors considérée comme un pouvoir (loi du 16 et 24 août 1790). Cette notion de pouvoir judiciaire était déjà ambiguë, car les constituants étaient très méfiants vis à vis des magistrats de l’époque. Pas de pouvoir d’interprétation de loi aux magistrats à cette époque.

Constitution de 58 : le « pouvoir » de la justice devient une « autorité ».

I) Les rapports entre l’institution judiciaire dans le législatif

La loi édicte des règles générales et impersonnelles, alors que les magistrats sont chargés d’appliquer la loi à un cas d’espèce. Pour garantir la séparation entre ces deux missions, on a deux principes démocratiques qui s’imposent en France :

A) La non immixtion du judiciaire dans le législatif

Le juge n’a pas le droit d’intervenir dans la fonction législative : loi de 16 et 24 août 1790 et ancien Art. 127 Code pénal. (Article « dispose », loi « stipule »)

Conséquences très importantes : les magistrats ne peuvent pas s’opposer à l’application de la loi. Dès que la règle juridique est valide, le magistrat doit l’appliquer. La justice ne doit, en aucun cas, se transformer en justice politique. Garantie de bonne justice : pour être magistrat il faut être neutre, indépendant et impartial.

  1. 1) L’illégalité d’un texte
  • Situation 1 : une loi ordinaire contraire à la Constitution

Les magistrats ne peuvent pas écarter l’application d’une loi contraire à la Constitution, seul le conseil constitutionnel, avant l’application de la loi, peut censurer une loi. Une révision constitutionnelle a été adoptée le 23 juillet 2008 et a introduit un nouvel article dans la Constitution française (art. 61-1)

  • Situation 2 : une loi contraire à un traité international

L’art. 55 de la Constitution met en place le principe de réciprocité : un traité, une fois ratifié par un état, a une valeur supérieure à la loi de l’état. Les magistrats doivent alors écarter l’application d’une loi contraire à un traité international > supériorité de la norme internationale.

  • Situation 3 : un règlement administratif contraire à la loi ou à la Constitution

Le juge judiciaire n’a pas le droit de se prononcer sur la légalité d’un acte administratif. Quand la solution du litige dépend d’un acte administratif le juge judiciaire doit sursoir à statuer, saisir une juridiction administrative qui se prononcera sur la légalité de l’acte administratif.

Une exception : la justice pénale : dans certains cas, ne pas respecter un acte administratif c’est une infraction pénale. Le juge judiciaire est garant des libertés individuelles (Art. 66 Constitution). Quand celles-ci sont en cause, ses décisions priment sur celles de tout autre juge.

  1. 2) La prohibition des arrêts de règlement
  • – Des arrêts de règlement possible sous l’Ancien Régime

Sous l’Ancien Régime les juridictions pouvaient rendre des arrêts de règlements : décisions de portée générale et qui liaient les juridictions inférieures. Lorsque les parlements statuaient dans un sens donné, les juridictions étaient obligées de suivre la même décision. Ils ne statuaient pas sur un cas d’espèce mais donnaient une solution judiciaire pour toutes les affaires similaires.

  • – Une pratique désormais prohibée

Les magistrats n’ont pas le droit d’étiqueter à l’occasion d’un procès une règle générale qui s’impose à toutes les affaires similaires (art. 5 Code civil et art. 1351 Code civil)

  1. 3) L’interprétation de la loi

La loi est souvent floue, imprécise, obscure. Le juge a le devoir d’interpréter la loi. Lorsque la loi n’est pas claire, le juge est obligé de lui donner son sens véritable. Les magistrats n’ont pas le droit de refuser de juger pour cause de texte imprécis ou flou, car dans cette hypothèse ils sont coupables de déni de justice. Interdiction d’écarter un texte au motif de son imprécision > art. 4 Code Civil.

En pratique, cette règle donne un pouvoir considérable aux magistrats, elle leur permet d’adapter un certain nombre de concepts juridiques aux évolutions de la société (ex : « bon père de famille »). Les juges peuvent ainsi combler les lacunes de la loi. Contrôle : la cour de cassation va écarter toute décision judiciaire lorsque les magistrats pervertissent les textes > unité d’interprétation des concepts.

B) La non immixtion du législatif dans la fonction de juger

Le législateur ne doit pas intervenir dans le cours normal de la justice.

Le parlement ne doit pas chercher à influencer les magistrats lors d’un procès en cours et il ne doit pas non plus remettre en cause un jugement qui a été prononcé car si le législateur procédait ainsi il y aurait une atteinte à l’indépendance des magistrats > au principe de séparation des pouvoirs.

Le législateur dispose de plusieurs techniques pour contourner cette règle :

  • – adoption de lois rétroactives : lois dont les effets remontent dans le passé (en principe ce type de loi est interdit). En matière civile, ces lois sont interdites par l’art. 2 du code civil. En matière pénale les lois rétroactives sont prohibées par 2 articles (art. 8 DDHC et art. 7 CEDH). En réalité cette interdiction est relative. En matière civile elle n’a pas de valeur constitutionnelle ; dans certains cas le législateur peut adopter des lois rétroactives. Une loi peut donc introduire des dispositions qui s’appliqueront aux situations juridiques antérieures à la date de son entrée en vigueur. A l’inverse, en matière pénale, il y a quelques dérogations mais elles sont très strictement encadrées ; une loi pénale ne peut rétroagir que si elle est plus douce. Le législateur n’hésite pas parfois à écarter le principe de rétroactivité.
  • – Les lois interprétatives sont des lois qui viennent interpréter une autre loi antérieure. Leur objectif est de préciser le sens et la portée de la loi qu’elles interprètent. Ces lois sont rétroactives et s’intègrent aux lois interprétées. Ce procédé n’est pas systématiquement illégitime, il peut être nécessaire que le législateur précise sa pensée. Le problème est lorsque ces lois interviennent au moment d’une affaire en cours devant la justice, et ce pour orienter la décision des magistrats. Les lois ont pour objectifs à ce moment là de forcer la main aux magistrats pour qu’ils statuent dans un sens donné.

Ex : un tribunal doit se prononcer sur le fait de savoir si un collaborateur d’avocat est un salarié ou un travailleur indépendant. Si la loi n’est pas claire sur le sujet, on peut avoir une loi interprétative qui peut préciser là loi applicable pour déterminer s’il s’agit d’un salarié ou d’un travailleur indépendant. Imaginons qu’un député soit l’employeur de ce collaborateur > il s’agit alors d’une immixtion du pouvoir législatif pour forcer la main aux magistrats.

La cour de cassation est très vigilante vis à vis de ces procédés.

  • – Les lois de validation : visent à valider un acte qui n’était pas valable initialement. Méthode parfois utilisée par le législateur pour valider rétroactivement un acte administratif pour éviter son annulation par le juge administratif, ou pour priver d’effet une décision d’annulation déjà prise par le juge administratif. La France a été condamnée par la Cour EDH pour atteinte au procès équitable.
  • – Les lois d’amnistie : mesure de clémence prise par le législateur en matière pénale. Ces lois ont pour effet de retirer à certains faits leur caractère d’infraction pénale. Atteint au principe de séparation des pouvoirs car remet en cause l’autorité de la chose jugée.

II ) Les rapports entre l’institution judiciaire et le pouvoir exécutif

A) La non immixtion du judiciaire dans l’exécutif

Le juge judiciaire n’a pas le droit d’intervenir dans les affaires administratives.

  • Séparation des fonctions administratives et judiciaires

Art. 13 du titre II de la loi des 16 et 24 août 179O

  • Conséquences

> Dualité des ordres administratif et judiciaire : l’administration dispose d’un ordre juridictionnel propre. Ce sont des juridictions spécifiques qui traitent des contentieux appliquant l’administration. Cette dualité est le résultat de la révolution française mais dans un premier temps, après la révolution, il n’y avait pas de juridiction pour juger l’administration. Lorsqu’un individu était en conflit avec une administration il devait se tourner vers le responsable de cette administration pour essayer d’obtenir gain de cause. Progressivement, on a créé le conseil d’Etat et dans un premier temps ce n’était pas une juridiction au sens propre, il avait simplement une fonction de conseiller du prince. Ce n’est qu’à la fin du XIXème que le conseil d’état est devenu une véritable juridiction et le juge de l’administration. Il y a maintenant deux ordres juridictionnels : l’ordre judiciaire, qui se charge de trancher les litiges entre particuliers (à sa tête : cour de cassation) et l’ordre administratif, qui tranche les litiges impliquant l’administration (à sa tête : conseil d’état).

> Interdiction faite aux juges de délivrer une injonction à une autorité administrative. Depuis quelques années, on a introduit des dérogations : depuis une loi de 1995 notamment, les juges administratifs peuvent adresser des injonctions faisant suite à un jugement. Depuis 2000, le juge administratif peut ordonner la suspension d’une décision administrative s’il y a un doute sérieux sur sa légalité. Il existe également le référé liberté : le juge peut prendre toutes les mesures nécessaires pour la sauvegarde des libertés fondamentales lorsqu’une autorité publique entend y porter atteinte.

  1. B) La non immixtion de l’exécutif dans la fonction de juger

Les juges doivent être impartiaux et indépendants. En France c’est le président qui est garant de l’indépendance des magistrats. Les magistrats doivent être à l’abri des pressions et des menaces du pouvoir exécutif. Ils doivent pouvoir statuer sans subir d’influence (statuer « en son âme et conscience »), ce qui signifie en pratique que les autorités administratives n’ont pas le droit de donner d’ordre aux magistrats, ou d’exercer une pression sur eux pour qu’ils statuent dans un sens déterminé.