L’abus de biens sociaux

L’abus de biens sociaux

On parle d’abus de biens sociaux quand le gérant d’une SARL ou le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une Société Anonyme utilisent la société dans un but personnel ou avec l’objectif de privilégier une autre entreprise dans laquelle le responsable a un intérêt. La mauvaise foi du dirigeant et le préjudice de la société doivent également être reconnus. Pour que le délit soit constitué, l’intention frauduleuse doit être prouvée.

Section première. Les conditions préalables du délit

  • &1. La forme de la société

Le siège de la matière ce sont deux textes, articles L.241-3 (SARL) et L.242-6 (SA) mais étendu aux autre sociétés par actions : directoire, SAS, commandite par action.

L’on s’est demandé s’il était possible dans les entreprises unipersonnelles (EURL et SASU) ? Oui, car porte préjudice au gage des créanciers (mais ce dernier ne peut pas se constituer partie civile). 14 juin 1993, revue des sociétés 1994 p.90.

Sociétés de personne ne peuvent souffrir cette infraction (SNC, commandite simple), sociétés civiles, GIE, GAEC.

  • &2. Qualité des personnes à qui le délit peut être imputé

Il faut être dirigeant pour commettre un Abus de biens sociaux. Sinon, abus de confiance. Les complices peuvent être condamnés en tant que tel pour un délit initial qu’ils n’auraient pas pu commettre.

Section 2. Les éléments constitutifs de l’abus de biens sociaux

  • &1. L’élément matériel du délit d’abus de biens sociaux

Au regard des textes, l’on trouve une décomposition en deux numéros. Dans le premier, L.241-3 4°, « le fait de faire un abus des biens de la société », dans le , « abus des pouvoirs ». Distinction jamais observée dans la pratique, car pour commettre le délit il faut être dirigeant et donc le pouvoir est toujours abusé. Eventuelle hypothèse du dirigeant qui dans son intérêt personnel provoquerait la fusion absorption de sa propre société, et donc plus de bien, abus de la personnalité (nul).

Certains ont tenté de décomposer en trois morceaux : exercice du pouvoir (décision) destiné à servir un intérêt personnel, lésionnaire pour la société.

  • a) Un acte ou une décision du dirigeant

Le fait pour les gérants de faire de mauvaise foi un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de la société. Donc faire usage d’un pouvoir : décider d’un acte juridique ou faire un acte matériel. Faut-il distinguer ? Non, toute indélicatesse est toujours un Abus de biens sociaux et pas un vol ou un abus de confiance. Intéressant car la répression est plus élevée.

Embaucher, acheter ou vendre un bien, commander un bien, emprunt, compromis d’arbitrage…

Faut-il punir les dirigeants qui font perdre de l’argent de la société en ne faisait rien ? Hypothèse d’une société qui a une créance sur un ami du dirigeant qui néglige de poursuivre ce débiteur qui est son ami. Ne renonce pas à la créance ,se contente de ne pas la recouvrer. Est-ce un Abus de biens sociaux ? Décider de ne pas user du pouvoir est un usage ! 28 janvier 2004, revue des sociétés 2004 p.722.

Régulier ou irrégulier au regard du droit civil ? Question agitée. La première affaire sur ce point a été l’affaire Carpaye, 23 mars 1992, droit pénal 1992. Se passe aux Antilles, difficile question de procédure, mais aussi y a-t-il Abus de biens sociaux au motif qu’il utilisait l’argent de la société pour commettre un délit (bakchich), mais dans l’intérêt de la société.. La Cour de cassation dit que si l’on commet un délit avec l’argent de la société est nécessairement un ABS. Ce qui est délictueux est nécessairement abusif. jurisprudence critiquée. Deuxième arrêt 11 janvier 1996, droit pénal 1996 n°108 : en effet abusif mais si fait de façon occulte. En gros la corruption avec caisse noir est un ABS, comptabilisé, juste de la corruption. 27 octobre 1997, droit pénal 98 n°21, l’usage de la société pour commettre un délit est en plus un Abus de biens sociaux si ce élit entraîne un risque anormal de sanction pénale ou fiscale. Donc commettre un délit avec l’argent de la société est un Abus de biens sociaux car lui cause des soucis, ou même peut nuire à sa réputation, 22 septembre 2004. Pourquoi poursuivre alors qu’il y a déjà une condamnation potentielle pour corruption ? Tout simplement parce que parfois la corruption est prescrite, alors que l’Abus de biens sociaux ne commence à se prescrire qu’au jour de sa découverte.

  • b) La poursuite d’un intérêt personnel

Un usage à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement (dirigeants) ou indirectement (dirigée par un ami).

Patrimoine particulier. Intérêt matériel selon les termes, mais la jurisprudence a dit qu’un intérêt purement moral suffisait à caractériser la recherche d’un intérêt personnel.

  • c) La lésion de l’intérêt social

« Usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci ». C’est là que la difficulté est la plus grande.

Deux cercles : ceux qui coïncident avec l’abus de confiance (314-1 du Code pénal). Cas dans lesquels l’acte social est un acte de gestion (embauche, commande…), l’intérêt recherché peut-être très vague. Il faut alors quelques limites : l’on apprécie le résultat de l’acte litigieux a priori et non pas d’après ses résultats. En effet le commerçant prend des risques, et il faut donc que ce qu’il envisage ne soit pas a priori dépourvu de toute contrepartie. Deuxième conséquence, si rapporte beaucoup d’argent peut tout de même être condamné au motif que le risque était disproportionné, 6 octobre 1980, Dalloz 1981 information rapide p.144 : dame qui s’était fait nommer prédisent d’une société en perdition, mais très audacieuse et tire d’affaire la société à l’agonie. Poursuivie et condamnée pour ABS, car les juges se sont placés a priori : elle avait stipulé à son profit une rémunération égale au chiffre d’affaires annuel de la société. Il faut donc que l’acte litigieux ne soit pas dépourvu de toute contrepartie probable et si contrepartie il ne faut pas que le risque soit disproportionné.

Intérêt particulier dans les groupes de sociétés. En effet l’on se rend service à des conditions anormales et donc lésionnaires. Est-ce un ABS, faut-il punir ? Risque des sociétés cannibales, donc il faut punir. Mais la lésion s’apprécie différemment, la Cour de cassation a donc décidé qu’au sein des groupes de sociétés la lésion de l’intérêt social ne s’interprétait pas comme dans les autre sociétés, Rosenblum 4 février 1985, Dalloz 1985 p.478. Peu appliqué dans les affaires, mais joue beaucoup sur le déclenchement des poursuites. « L’acte litigieux n’est pas coupable s’il est dicté par un intérêt économique social et financier commun à tout le groupe, apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble du groupe et s’il n’est ni démuni de contrepartie, ni n’excède les possibilités financières de celle qui en supporte la charge ». Donc quand on lèse une société il faut que ce soit planifié et que la société en tire comme contrepartie l’avantage d’appartenir à un groupe. Marche rarement, car les groupes poursuivis n’ont pas de politique réelle, ils sont simplement carnassiers. (Mark et Spencer ; union ne découle que l’identité des PDG,)

  • &2. L’élément moral du délit d’abus de biens sociaux

Délit intentionnel (un vrai) : il faut démontrer que l’abuseur savait ce qu’il faisait. Mais alors que faut-il démontrer : acte, qu’il sache que cela lui profite, que cela est contraire à l’intérêt social.

Histoire d’un PDG ignorant du commerce. Son ignorance avoué prouvait qu’il n’agissait pas dans l’intérêt de la société. 25 mai 1992, droit pénal 92 n°292.

Seules relaxes sont sur des hommes de paille. Le défaut de surveillance du président par le DG ou du DG sur le président, est une négligence mais non assimilée à l’intention. 7 septembre 2005, droit pénal 2005 n°175 (dernier en date). Tantôt défaut d’intention, tantôt 221 du code pénal : nul n’est responsable que de son propre fait.

L’Abus de biens sociaux sert aussi à punir des gens que l’on a pas réussi à condamner ailleurs. Comme c’est une infraction attrape tout, les parties civiles peuvent l’utiliser avec profit. Grand risque de chantage.

Section 3. Poursuite et répression

80% des dossiers connus des Juges d’Instruction du pôle financier était la suite d’une constitution de partie civile avant l’évolution ci-après décrite. A fini par énerver les tribunaux surcharger de travail. La Cour de cassation a depuis quelques années mis des freins à ce zèle répressif des parties civiles : en traitant de la prescription de l’action civile et recevabilité.

  • &1. Prescription de l’action publique

Délit, donc trois ans. Du jour où l’action a été consommée, mais la jurisprudence de manière prétorienne, contra legem estime que certains délits sont par nature clandestins, l’Abus de biens sociaux a été décrit comme tel. Premier arrêt sur cette tendance, 10 août 1981, bulletin criminel n°244. Cet arrêt dit : le point de départ de la prescription est le jour où le délit a pu être efficacement poursuivi. Il faut donc qu’il se révèle. Il faut attendre que les vérificateurs des impôts découvrent et informent le procureur : c’est au moment où le procureur est informé que la prescription commence (en l’espèce 14 ans après !). L’on a donc parlé d’imprescriptibilité de fait. Milieux d’affaires offusqués. A chaque proposition de réforme, la gauche crie à l’amnistie rampante. Donc pas de loi. C’est la Cour de cassation qui a décidé d’avancer vers le passé le point de départ de la prescription en abandonnant sa jurisprudence de 1981.

Arrêt important du 13 octobre 1999, droit pénal 2000 n°17.Les Echos en ont même parlé. Histoire typique : embauche de salariés ayant un salaire réel mais qui n’avaient pas besoin de produire de travail en échange. C’était le cas typique de l’Abus de biens sociaux non révélé, les juges du fond avaient donc dit qu’il n’était pas révélé. La Cour de cassation casse cet arrêt en disant une nouvelle chose : « La prescription de l’action publique du chef d’Abus de biens sociaux courre sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société ». Quid d’une dissimulation ? Mettre la dépense sous une fausse imputation.

Arrêt du 28 janvier 2004, droit pénal 2004 n°65. Hypothèse semblable : emploi fictif. Ecrit dans les comptes, présentés. La Cour de cassation rejette le pourvoi et dit qu’il y avait dissimulation parce qu’il n’était pas écrit que l’emploi était fictif, cette notion dépendant de l’appréciation souveraine des juges du fond. L’Abus de biens sociaux est donc redevenu imprescriptible.

  • &2. L’action civile du chef d’abus de biens sociaux

80% des instructions étaient déclenchées par des parties civiles. Créanciers, associés ont-ils un intérêt à agir ?

  1. L’irrecevabilité de l’action civile des créanciers

Ont toujours été déclarés irrecevables, leur préjudice étant indirect. Faux, ils ont intérêt à agir, mais pas qualité à agir, nuance.

Vaut même pour les EURL, alors que sont les seules victimes potentielles.

Les salariés, 28 janvier 2004, droit pénal 2004, n°65. Les salariés avaient un intéressement calculé sur le chiffre d’affaires de la société. Leur prime baisse donc par l’ABS, mais la Cour de cassation parle de préjudice indirect, mais encore un défaut de qualité en réalité.

23 février 2005, pénal 2005 n°77. Rejette même sur un autre fondement.

  1. L’irrecevabilité de l’action civile des associés

Deux arrêts importants du 13 décembre 2000 : « La dépréciation des titres d’une société découlant des agissements délictueux de ses dirigeants ; constitue non pas un dommage propre à chaque associé, mais un préjudice subis par la société elle-même ». Droit pénal 2001 n°77. Dissimule qu’ils n’ont pas qualité pour agir. Diminue sensiblement les actions civiles.

Une issue pour les associés : l’action « ut singuli » en tant que représentant de la société. Article L.225-252. Arrêt du 12 décembre 2000 (donc la veille de celui vu avant), droit pénal 2001 n°48.

  • &3. Les peines encourues

Assez sévère, la peine principale est prévue par L.242-6 pour les SA, L.241-3 pour les SARL : 5 ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.

Peine complémentaire : interdiction d’exercer le commerce et de gérer les sociétés (L.221-8-I 2° J). S’applique aux infractions commises antérieurement. Dure 10 ans.

Les personnes punissables : président, DG, membres du directoire. Personne morale peut dans son intérêt en tant qu’administrateur commettre des Abus de biens sociaux dans sa filiale. Responsable depuis le 1er janvier 2006.

La loi d’amnistie exclue les Abus de biens sociaux.