L’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse
Ce sont les articles 223-15-2 du Code pénal. Initialement, ce comportement constituait un délit contre les biens. C’était l’ancien article 313-4. La loi du 12 juin 2001 « loi tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales » a transformé l’ancien Article 313-4 en une infraction contre les personnes et l’a placée dans les hypothèses de mise en danger (section VI bis).
Ce délit comporte une particularité en ce sens qu’il est une incrimination propre aux personnes considérées comme vulnérables ou faibles. On ne retrouve pas cette incrimination même avec une répression moins sévère lorsque l’infraction est commise contre une victime qui ne rentre pas dans cette catégorie des personnes vulnérables ou faibles. De la sorte, la qualité même de la victime est un élément constitutif de ce délit.
Ici, c’est une incrimination spéciale (s’applique uniquement à certaines personnes ou certains groupes de personnes)
Article 223-15-2 : Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.
- Droit pénal spécial
- Abandon de famille, non-représentation d’enfant et autres délits
- La dénonciation calomnieuse : définition, peine
- L’injure (publique ou non) : définition, peine
- La diffamation (définition, peines, poursuites)
- Définition de la diffamation et éléments constitutifs
- La traite des êtres humains
Lorsque l’infraction est commise par le dirigeant de fait ou de droit d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 750 000 euros d’amende.
Remarque :
- Le législateur a voulu protéger la liberté de décision de personnes qui sont présumées fragiles et qui pourraient donc être exploitées par des individus qui profitent des autres.
- Ce délit suppose à la fois une condition de faiblesse / vulnérabilité et à l’opposé, une attitude consistant à l’exploitation de cette faiblesse.
Paragraphe 1 – Les éléments constitutifs de l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse
I – Une victime d’une particulière vulnérabilité ou en état d’ignorance.
3 catégories de personnes sont protégées :
– Les mineurs de moins de 18 ans. En visant expressément le mineur, le législateur a voulu le protéger à son inexpérience ou à des passions inhérentes à cet âge.
– Les personnes dont la particulière vulnérabilité est due à l’âge, à une maladie, une infirmité, une déficience physique ou psychique, un état de grossesse lorsque cet état est apparent ou connu de l’auteur. La simple vulnérabilité ne permettra pas de retenir l’application de ce texte. Il faut la « particulière vulnérabilité ».
L’analyse des différents arrêts rendus en la matière montrent que doivent être considérés comme particulièrement vulnérables « les personnes qui sont hors d’état de se protéger »… « mais l’âge lui-même ne suffit pas » mais l’âge fait partie d’un faisceau d’indices mais cet indice doit être corroborées par d’autres indices pour prouver la particulière vulnérabilité. Bien souvent, il faudra s’interroger sur les causes de particulière vulnérabilité des personnes âgées :
Il y a l’hypothèse d’un lourd handicap physique. Cette personne sera considérée comme particulièrement vulnérable alors même qu’elle n’est pas forcement dépendante.
Il y a également l’hypothèse de l’insécurité affective. Ils deviennent alors des proies faciles à exploiter. Les juges doivent apprécier dans quelle mesure dans laquelle la solitude se trouvait la personne lorsque l’escroc l’a trouvé.
Pour ces hypothèses, il faut prouver que l’existence de cet état a été concomitante avec les actes d’abus reprochés.
Ex. Cass crim 26 mai 2009 AJP 2009, No 9, pg 357. Un homme assez âgé est hospitalisé. Il a une copine plus jeune. Lors de son séjour à l’hôpital, il fait des chèques à son amie et se marie avec à l’hôpital. Les enfants rappliquent et invoquent l’abus de faiblesse. La question était de savoir s’il convenait de retenir l’abus de faiblesse.
La Chambre criminelle a retenu cette qualification d’abus de faiblesse même si la victime avait émis le souhait avant l’hospitalisation d’épouser la prévenue et de lui faire des libéralités.
– Les personnes en état de suggestion psychologiques ou physiques, résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement. Ici sont entendus des actes de sectes qu’a essayé de couvrir le législateur mais cette hypothèse dépasse celle des sectes.
II – Un abus de cette vulnérabilité et une intention coupable
Il faut entendre l’abus comme le fait de provoquer un acte ou un comportement que la victime n’aurait pas consenti en temps normal et dont elle n’a pas été consciente. Il semble, d’après la Jurisprudence que la notion « d’abus » n’implique pas forcement que l’on en tire profit de la situation. Ex. des notaires qui passeraient des actes en faveur d’un autre client.
L’abus implique donc automatiquement l’élément intentionnel i.e. que l’auteur a exploité la situation de manière volontaire et totalement consciente. Cet élément intentionnel découle ex. selon la Cour de cassation, « de l’ampleur des sommes prélevées …qui témoigne de la voracité des prévenus ».
Le fait pour la prévenue d’accepter que le plaignant se prémunisse de la protection de ses intérêts en s’entourant de toutes garanties utiles démontré l’absence d’intention abusive.
Arrêt 4 mai 2004 – Il s’agit d’un homme qui se plaignait d’avoir été spolié par sa maitresse pour des actes qu’il avait commis au bénéfice de la prévenue entre des périodes d’hospitalisation. Il affairait avoir été traité de manière médicamenteuse par des produits qui démuniraient ses facultés cognitives mais les experts avaient établi que c’était uniquement pendant le traitement. De plus, avais été pris en considération « comme étant un homme fringuant, de très belles prestance et d’une intelligence supérieure à la moyenne ».
A été jugé qu’il y avait abus dans le fait pour une femme d’avoir habité dans l’oisiveté la plus complète chez un couple de personnes âgées et de les dépouiller systématiquement et méthodiquement de tous leurs biens.
Les médecins sont aussi souvent poursuivis sous chef d’abus de vulnérabilité du moment qu’ils acceptent des cadeaux venant de leurs patients.
Un arrêt de Cass Crim 16 oct. 2007, RDP 2008, comm 2009 : « le terme ‘conduire à’ ne veut pas dire ‘contraindre’ et a ainsi jugé qu’il y a eu abus frauduleux de vulnérabilité dans le simple fait d’accepter une femme souffrant d’éthylisme chronique, un cheque signé sans indication du montant ni du bénéficiaire, puis d’y porter une somme importante à l’ordre d’un notaire qui l’encaisse sachant que la preuve de la contrainte ou de manœuvre dolosive n’est pas nécessaire pour caractériser le délit ». La Jurisprudence ne donne donc pas une valeur particulière pour le terme « conduire » de ce texte.
III – Des actes ayant eu des conséquences gravement préjudiciables pour la victime.
Cela concerne à la fois le patrimoine et la personne de la victime protégée.
Ex. Jurisprudence
Concernant la protection des biens – Le fait de réduire à néant ou à négatif le patrimoine de la victime.
Pour les atteintes à la personne – Les sectes qui poussent leurs adeptes à refuser les soins pour leur survie.
Pour être pris en considération, le dommage doit présenter certaines qualités, il doit être grave. Ici, il y a un problème de seuil, il s’agit d’une appréciation sur la gravite du dommage.
A également été considéré comme un acte gravement préjudiciable, le fait de faire modifier en sa faveur le testament de la victime au détriment des enfants de celle-ci. la Cour de cassation a considéré que le fait que le patrimoine change de main constituait un préjudice même si ce préjudice se réalise après le décès de la victime – Cass crim 15 nov. 2005. JCP 2006 II 10057, Cass crim 21 nov. 2009, Dalloz 2009, Pg 911.
Paragraphe 2 : la peine l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse :
3 ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende et il y a aggravation avec 5 ans d’emprisonnement et 750 000 € d’amende lorsque l’infraction est commise par un dirigeant de fait ou de droit d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, maintenir ou exploiter la suggestion psychologique ou psychique des personnes qui participent à ces activités (les sectes sont directement visées par l’aggravation de la peine) – Article 223-15-3 qui prévoit cette peine complémentaire.
Concernant la complicité, il a été jugé que la complicité des notaires peut être facilement engagée dès lors qu’ils ont eu une procuration générale (i.e. on ne cible pas l’acte ou le montant) et qui profitent de cette procuration générale pour établir des actes qui préjudicient à celui qui a donné procuration qui est une personne particulièrement vulnérable notamment dans les actes de vente pour un prix inferieur au montant su bien même si le notaire n’obtient aucun bénéfice puisque le bénéfice va au client, il est complice par fourniture de moyens.
Concernant la récidive, il faut qu’il y ait identité d’infraction sauf pour les infractions assimilées. L’article 132-16 du Code Pénal assimile au titre de la récidive le vol, l’extorsion, le chantage, l’escroquerie et l’abus de confiance).