L’admissibilité des modes de preuve

L’admissibilité des modes de preuve.

 

L’admissibilité des modes de preuve varie en fonction du système de preuve applicable. Selon la matière (pénale, civile, commerciale, etc.), le Code civil envisage deux grands systèmes pour établir la preuve : le système de preuve morale et le système de preuve légale.

Les deux systèmes de preuve :

1) Système de la preuve morale
Dans le système de preuve morale, la preuve est libre, ce qui signifie :

    • Liberté des modes de preuve : tous les moyens de preuve sont admissibles, sans restriction de forme.
    • Liberté d’appréciation par le juge : le juge évalue la force probante de chaque moyen de preuve selon son intime conviction.

Ce système n’établit aucune hiérarchie entre les modes de preuve (écrit, témoignage, aveu, etc.). Par exemple, en matière pénale, ce principe permet au juge de se baser sur tout élément de preuve présenté, à condition qu’il soit recueilli de manière légale.

2) Système de la preuve légale
Le système de preuve légale impose des contraintes en matière de preuve. Dans ce cas :

    • La loi détermine les moyens de preuve admissibles : seuls certains moyens de preuve, comme les actes écrits pour des montants au-delà d’un seuil (actuellement fixé à 1 500 € pour les actes juridiques), sont recevables.
    • Hiérarchie des preuves : certains modes de preuve, comme l’acte authentique ou l’acte sous seing privé, sont privilégiés.
    • Force probante impérative : la loi détermine la valeur probante des preuves, et le juge doit s’y conformer sans possibilité d’appréciation personnelle.

Dans ce système, le juge applique les règles fixées par la loi sans intervenir dans la valeur probante d’un document ou d’un acte.

Les applications pratiques du système de preuve en droit français

Le droit français combine les deux systèmes en fonction des matières :

  • En droit commercial, la preuve est essentiellement libre. La souplesse de la preuve morale est donc privilégiée pour répondre aux besoins de rapidité et de flexibilité des activités commerciales.
  • En droit civil, le système de preuve est mixte. La preuve est libre pour les faits juridiques (comme les événements, les accidents), mais soumise à des règles strictes pour les actes juridiques (contrats), surtout pour ceux dépassant un certain montant.

 

&1. Les matières soumises au système de la preuve morale

1. En matière pénale

Le principe en droit pénal est celui de la liberté de la preuve : le juge se prononce selon son intime conviction après avoir examiné tous les éléments soumis à débat. Cependant, cette liberté est encadrée par des règles importantes :

  • Interdiction de certains moyens de preuve : Le serment décisoire, par exemple, est exclu dans les affaires pénales.
  • Principe de loyauté : La loyauté dans l’administration de la preuve est centrale. Les preuves obtenues de manière déloyale ou par des moyens illégaux, comme les enregistrements clandestins, sont souvent rejetées, même si elles pourraient éclairer l’affaire.

2. En matière commerciale

La preuve est libre en droit commercial (article L.110-3 du Code de commerce) pour répondre aux exigences de souplesse et de rapidité propres aux relations commerciales. Cela signifie que les actes juridiques et les faits juridiques peuvent être prouvés par tous moyens (témoignages, présomptions, écrits) :

  • Entre commerçants : La liberté est totale, et le juge peut apprécier librement la force probante de chaque preuve sans hiérarchie particulière entre les modes de preuve.
  • Actes mixtes : Dans les contrats entre commerçants et non-commerçants, la liberté de preuve ne s’applique qu’au bénéfice de la partie pour laquelle l’acte a un caractère commercial, soit le commerçant. Si un non-commerçant attaque un commerçant, il peut recourir à tout type de preuve. En revanche, si l’action est initiée par le commerçant contre un non-commerçant, les règles du droit civil s’appliquent, avec des exigences de preuve écrite au-delà de 1 500 € (articles 1359 et suivants du Code civil).

3. En matière administrative

Le droit administratif admet également tous les moyens de preuve. Le juge administratif, tout comme en matière pénale et commerciale, dispose d’une liberté d’appréciation selon son intime conviction. Les principes de loyauté et de respect des droits fondamentaux dans la collecte des preuves sont aussi essentiels en droit administratif, garantissant que les preuves soient obtenues de manière légitime.

 

&2 : La preuve en matière civile : un système mixte.

Le système de preuve en matière civile est dit mixte en raison de deux aspects fondamentaux : la force probante des moyens de preuve et les conditions d’admissibilité qui varient selon la nature de ce qui est à prouver (fait ou acte juridique).

La force probante des moyens de preuve

Les preuves en matière civile se divisent en deux catégories selon leur force probante :

  • Preuves parfaites : La loi accorde une force probante contraignante à certains moyens de preuve, tels que les écrits préconstitués (actes authentiques et actes sous seing privé), l’aveu judiciaire et le serment décisoire. Ces preuves s’imposent au juge : elles ne peuvent être remises en question et font foi jusqu’à inscription de faux ou preuve du contraire, selon les modalités légales.

  • Preuves imparfaites : La force probante de certains moyens de preuve n’est pas fixée par la loi. Les témoignages, présomptions judiciaires et aveux extrajudiciaires n’ont pas une force probante qui lie le juge. Ce dernier est donc libre d’en apprécier la valeur en fonction de son intime conviction, au cas par cas, et selon les circonstances de l’affaire.

L’admissibilité des modes de preuve selon la nature des faits ou actes juridiques

Le caractère mixte du système de preuve civil se manifeste aussi dans l’admissibilité des moyens de preuve, qui varie selon la distinction entre faits juridiques et actes juridiques :

  • Pour les faits juridiques, la preuve est libre. Cela signifie qu’elle peut être apportée par tout moyen (témoignages, présomptions, écrits, etc.), sans contrainte spécifique quant à la forme. Cependant, les preuves doivent être licites et loyales. Par exemple, des preuves obtenues en violation du respect de la vie privée ou du secret professionnel seront écartées.

  • Pour les actes juridiques, lorsqu’ils portent sur une valeur dépassant un seuil fixé par décret (actuellement 1 500 €), la preuve doit obligatoirement être apportée par un écrit préconstitué (acte authentique ou sous seing privé). Ce principe, défini à l’article 1359 du Code civil, impose donc la preuve par écrit pour assurer la sécurité juridique dans les transactions importantes.

 

A) La preuve des faits juridiques.

En matière civile, les faits juridiques sont soumis à un régime de preuve spécifique qui repose sur le principe de la liberté de la preuve. Ce principe permet d’utiliser tout moyen pour établir la preuve d’un fait juridique, contrairement aux actes juridiques qui, au-delà d’un certain montant, nécessitent souvent un écrit. Cependant, cette liberté est encadrée par des critères de licéité et de loyauté.

1) Le principe de la liberté de la preuve

Les faits juridiques, qui résultent d’événements produisant des effets de droit indépendamment de la volonté des parties (accidents, décès, actes délictueux, etc.), peuvent être prouvés par tout moyen : témoignages, présomptions, écrits non authentiques, etc. Cette souplesse vise à permettre une adaptation des preuves aux circonstances imprévues des faits juridiques.

2) Exigence de licéité et de loyauté de la preuve

La liberté de preuve est toutefois soumise à des exigences de loyauté et de respect des droits fondamentaux. En application du principe de loyauté, le juge écartera les éléments de preuve obtenus de manière frauduleuse ou portant atteinte aux droits fondamentaux. Par exemple, les preuves qui violeraient la vie privée ou le secret professionnel (comme les informations médicales confidentielles) seront déclarées irrecevables.

3) Exceptions légales au principe de liberté

Certains faits juridiques d’une grande importance nécessitent un acte authentique pour être prouvés. C’est le cas, par exemple, de la naissance, du mariage et du décès, pour lesquels la loi impose un acte de l’état civil, rédigé par un officier public, pour garantir l’authenticité de ces informations essentielles à l’état des personnes.

La liberté de preuve en matière de faits juridiques est donc plus large qu’en matière commerciale ou d’actes juridiques, mais elle reste soumise à des règles visant à garantir l’intégrité de la procédure.

 

B) La preuve des actes juridiques.

         Pour les actes juridiques, un mode de preuve est imposé, mais il existe des exceptions et des tempéraments à ce principe.

1) Le principe pour la preuve des actes juridiques.

Énoncé du principe : L’article 1359 du Code civil (ancien article 1341) pose le principe de la nécessité d’un écrit pour prouver un acte juridique portant sur une somme ou une valeur dépassant un certain montant. En outre, il interdit de prouver contre ou outre un écrit par simple témoignage, sauf exceptions prévues par la loi.

a) L’obligation de prouver un acte juridique par écrit

L’exigence de l’article 1359 impose un écrit préconstitué (acte authentique ou acte sous seing privé) pour prouver les actes juridiques au-dessus du seuil de 1 500 € (décret du 24 août 2004).

Cet écrit n’est pas requis comme condition de validité de l’acte juridique, mais uniquement comme preuve. L’absence d’écrit n’annule donc pas l’acte, mais empêche simplement d’en prouver l’existence devant un tribunal si son montant dépasse le seuil. L’écrit, ici, constitue une preuve dite « parfaite » pour les actes juridiques de cette nature.

b) Interdiction de prouver par témoin contre et outre le contenu d’un écrit

L’article 1359 interdit aussi d’apporter la preuve contre ou outre un écrit par témoignage ou présomptions. Ces interdictions se définissent comme suit :

  • Prouver contre un écrit : prouver que le contenu de l’écrit est incorrect ou falsifié.
  • Prouver outre un écrit : prouver qu’un élément a été omis de l’écrit.

Ainsi, lorsque l’écrit existe, les témoignages et les présomptions judiciaires ne peuvent pas être utilisés pour modifier ou contester son contenu. Cela établit une hiérarchie qui place l’écrit au-dessus de ces moyens de preuve, les reléguant à des preuves « imparfaites ».

En revanche, l’article ne mentionne pas explicitement l’aveu et le serment, laissant la possibilité de prouver contre ou outre un écrit par ces moyens. Cela signifie qu’en cas de contestation sur le contenu d’un écrit, les parties peuvent recourir à un aveu de l’autre partie ou au serment décisoire pour compléter ou contester l’écrit.

 

2) Les limites au principe de l’exigence d’un écrit.

 

L’article 1359 du Code civil (ancien article 1341) impose la nécessité d’un écrit pour prouver un acte juridique d’une valeur supérieure à 1 500 €, sauf exceptions qui rendent le recours exclusif à l’écrit moins rigide dans certaines situations.

  1. Liberté de preuve dans certains domaines : En matière commerciale et pour des actes d’une valeur inférieure à 1 500 €, la preuve est libre. Dans ces cas, l’article 1359 ne s’applique pas, et les parties peuvent prouver leurs droits par tout moyen, sans qu’un écrit soit exigé.

  2. Règle supplétive : La règle de l’article 1359 est supplétive. Cela signifie que les parties peuvent, dans leur contrat, convenir de ne pas s’y conformer en cas de litige, et ainsi exclure l’exigence de preuve écrite.

  3. Commencement de preuve par écrit : L’article 1362 du Code civil prévoit qu’un commencement de preuve par écrit peut être complété par d’autres moyens de preuve (témoignages, présomptions). Il s’agit d’un document écrit émanant de la partie adverse, rendant crédibles les faits allégués. Par exemple, une simple lettre missive ou un contrat non signé peut constituer un commencement de preuve s’il émane de l’adversaire.

  4. Impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit : Selon l’article 1360 du Code civil, l’exigence d’un écrit est écartée si une partie ne pouvait matériellement ou moralement se procurer un écrit. Cela inclut :

      • Impossibilité matérielle : lorsque l’écrit n’a jamais pu être établi ou a été perdu à cause d’une force majeure (un événement imprévisible, irrésistible et extérieur).
      • Impossibilité morale : quand des liens familiaux ou affectifs entre les parties rendent la rédaction d’un écrit inconcevable.
  5. La valeur probante des copies : L’article 1379 du Code civil (ancien article 1348) encadre la force probante des copies d’actes. Les copies fiables et durables d’un acte peuvent valoir preuve même en l’absence de l’original. Ce principe concerne les copies fidèles et stables, y compris numériques, dès lors qu’elles reproduisent fidèlement l’original de manière durable.

  6. Force probante des copies fidèles et durables : Les copies fidèles et durables peuvent prouver un acte sans nécessiter d’être complétées par des présomptions ou des témoignages, et bénéficient d’une force probante supérieure à celle d’un simple commencement de preuve par écrit. Contrairement à un acte original, elles restent contestables par preuve contraire, ce qui maintient un équilibre entre la sécurité juridique et la possibilité de défense.

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