L’adoption plénière : définition, conditions, effets

La filiation adoptive : la filiation plénière

Introduite comme modèle par la loi de 1966, l’adoption plénière est devenue la forme privilégiée de filiation adoptive. Cette loi, bien que modifiée à plusieurs reprises, conserve ses principes fondamentaux. Cependant, l’évolution sociologique a transformé son application : le nombre de candidats à l’adoption en France dépasse largement le nombre d’enfants adoptables, tandis que l’adoption internationale connaît une croissance significative.

Cas particulier : Adoption plénière internationale :
L’adoption plénière à l’international pose parfois des défis importants, tant pour l’obtention du jugement que pour sa reconnaissance en France. Ces difficultés ont conduit à des réformes, notamment la loi du 4 juillet 2005, qui prévoit un accompagnement renforcé des candidats à l’adoption et des mineurs adoptés :

  • Les conseils généraux proposent des réunions d’information pendant la période d’agrément.
  • Le mineur adopté bénéficie d’un suivi éducatif et social jusqu’à la transcription du jugement d’adoption.
  • L’Agence française de l’adoption (AFA) a été créée pour informer et accompagner les familles dans les démarches liées à l’adoption internationale.

I) Les conditions de fond de l’adoption plénière

L’adoption plénière repose sur des conditions de fond rigoureuses, visant à garantir qu’elle soit effectuée dans l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément à l’article 353 du Code civil. Cet intérêt prime sur toute autre considération, qu’elle concerne les parents biologiques ou les candidats à l’adoption.

A) Condition relative à la personne de l’adoptant

L’adoption plénière peut être réalisée par une seule personne (adoption individuelle) ou par un couple marié (adoption conjointe).

1) Adoption individuelle

Une adoption individuelle peut être réalisée par :

  1. Un célibataire :
    L’adoptant doit être âgé d’au moins 28 ans au jour de la demande. Toutefois, cette condition d’âge ne s’applique pas en cas d’adoption de l’enfant du conjoint (article 343-1 du Code civil).

  2. Une personne mariée sans participation de son conjoint :
    L’adoptant doit obtenir l’accord de son conjoint, sauf en cas de séparation de corps.

2) Adoption conjointe

L’adoption conjointe est réservée aux couples mariés et répond aux conditions suivantes :

  1. Le mariage doit avoir duré au moins deux ans, ou les deux époux doivent avoir atteint l’âge de 28 ans.
  2. Pas de séparation de corps entre les époux.

3) Absence d’enfant légitime

Jusqu’à la loi de 1976, l’adoption plénière était réservée aux couples sans enfant légitime. Cette restriction a été abolie, permettant aux familles avec enfants biologiques d’adopter.

4) Agrément pour l’adoption

Lorsqu’un enfant est une pupille de l’État ou un enfant étranger, l’adoptant doit obtenir un agrément administratif. Cet agrément, délivré par les services sociaux après une évaluation, vise à tester l’aptitude de l’adoptant à accueillir un enfant. Toutefois, le juge civil peut passer outre un refus d’agrément qu’il estime injustifié. Une dispense d’agrément est prévue pour l’adoption de l’enfant du conjoint lorsque celui-ci est étranger.

B) Les conditions relatives à la personne de l’adopté

Les conditions imposées à la personne de l’adopté dans l’adoption plénière visent à assurer que l’adoption soit adaptée à sa situation personnelle et familiale. Ces conditions se déclinent en trois catégories principales : l’absence d’adoption antérieure, l’âge de l’adopté, et sa situation familiale.

1. L’absence d’adoption antérieure

L’article 346 du Code civil pose le principe selon lequel une même personne ne peut être adoptée qu’une seule fois en adoption plénière. Ce principe vise à éviter la succession d’adoptions susceptibles de compromettre la stabilité de l’enfant. Cependant, trois exceptions sont prévues par la loi :

  1. Adoption par un couple marié :
    Deux adoptions successives sont autorisées si elles émanent de deux personnes mariées (adoption conjointe).

  2. Adoption après le décès de l’adoptant :
    Si l’adoptant ou les adoptants sont décédés, une nouvelle adoption plénière est possible.

  3. Adoption par le nouveau conjoint :
    En cas de décès de l’un des deux adoptants dans une adoption conjointe, le conjoint survivant peut faire adopter l’enfant par son nouveau conjoint.

2. L’âge de l’adopté

L’âge constitue une condition déterminante dans l’adoption plénière.

  1. Âge maximum : 15 ans
    L’enfant doit, en principe, avoir moins de 15 ans au moment de l’adoption (article 345 du Code civil). Cette limite d’âge repose sur l’idée qu’au-delà de cet âge, l’intégration dans la famille adoptive peut s’avérer plus difficile.

  2. Exceptions à l’âge limite :

    • L’enfant peut être adopté jusqu’à sa majorité, voire dans les deux années suivantes, si l’adoptant s’est occupé de lui avant ses 15 ans.
    • L’enfant avait été accueilli dans le foyer de l’adoptant avant ses 15 ans, mais les conditions légales de l’adoption n’étaient pas encore réunies à l’époque.
    • L’enfant avait déjà fait l’objet d’une adoption simple avant ses 15 ans.
  3. Consentement de l’adopté :

    • Si l’enfant a plus de 13 ans, son consentement est obligatoire. Il doit être donné par acte authentique, soit devant un notaire, soit devant le greffier.
    • En dessous de cet âge, l’enfant peut être entendu par le juge, et il doit l’être si une demande formelle est formulée.

3. La situation familiale de l’adopté

L’adoption plénière est destinée en priorité aux enfants privés de foyer, souvent qualifiés d’abandonnés. L’article 347 du Code civil distingue trois catégories d’enfants adoptables en fonction des modalités de constatation de l’abandon.

a. Abandon volontaire : consentement des parents biologiques

L’abandon peut résulter d’un consentement exprès des parents biologiques à l’adoption, comme prévu aux articles 348 et suivants.

  • Consentement explicite :

    • Les parents doivent consentir formellement à l’adoption. En cas de désaccord entre eux, l’adoption est impossible.
    • Si les parents biologiques sont absents ou inconnus, c’est le conseil de famille qui donne ce consentement.
    • En cas de refus abusif de consentement, le juge peut passer outre, si ce refus compromet l’intérêt de l’enfant.
  • Forme du consentement :
    Le consentement doit être donné par acte authentique (notaire ou greffier). Si l’enfant est pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, ce consentement peut être recueilli directement par ses services.

  • Rétractation :
    Les parents biologiques disposent d’un droit de repentir pendant un délai de deux mois suivant le consentement. Une fois ce délai expiré, ils ne peuvent plus réclamer l’enfant, sauf si celui-ci n’a pas encore été placé en vue d’adoption.

b. Pupilles de l’État : constatation administrative de l’abandon

Les enfants placés sous la tutelle du service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) peuvent être adoptés après constatation de leur abandon par l’autorité administrative.

  • Cette constatation est réalisée par le président du conseil départemental, qui admet l’enfant comme pupille de l’État.
  • Les pupilles de l’État sont souvent des enfants trouvés, des orphelins ou des enfants dont les parents ont perdu l’autorité parentale.
c. Abandon constaté par voie judiciaire

Dans certains cas, l’abandon est constaté par un jugement rendu par l’autorité judiciaire.

  • Cette procédure concerne les enfants recueillis par un particulier, une œuvre privée ou l’aide sociale à l’enfance, lorsque les parents biologiques connus se sont manifestement désintéressés de l’enfant pendant plus d’un an.
  • Le jugement déclarant l’abandon rend l’enfant adoptable, même contre la volonté des parents biologiques.


C) Les rapports entre l’adoptant et l’adopté

1) Différence d’âge

L’article 344 du Code civil impose une différence d’âge minimale de 15 ans entre l’adoptant et l’adopté. Ce critère vise à donner à l’adoption une crédibilité sociale et familiale.

  • En cas d’adoption de l’enfant du conjoint, cette différence est réduite à 10 ans.
  • Le tribunal peut accorder une dispense pour juste motif. Par exemple, l’adoption d’un frère ou d’une sœur est parfois permise malgré une différence d’âge insuffisante.

2) Accueil de l’enfant

L’adoption plénière ne peut être prononcée qu’après une période minimale de six mois d’accueil de l’enfant au foyer de l’adoptant. Cette période, ouverte par le placement en vue de l’adoption, sert de test pour évaluer l’intégration de l’enfant dans sa nouvelle famille. Pendant cette période, les parents biologiques ne peuvent pas revendiquer la restitution de l’enfant.

3) Cas spécifiques de l’adoption de l’enfant du conjoint

L’article 345-1 du Code civil autorise l’adoption plénière de l’enfant du conjoint dans trois cas spécifiques :

  1. Absence de filiation établie à l’égard de l’autre parent.
  2. Retrait total de l’autorité parentale de l’autre parent.
  3. Décès de l’autre parent, sans qu’il ait laissé de proches (comme des grands-parents) pouvant exercer un rôle parental.

Dans ces situations, l’autre parent est considéré comme absent ou inactif, permettant de substituer une filiation complète et légitime avec le conjoint de l’adoptant.

II) La procédure de l’adoption plénière

L’adoption plénière est une procédure rigoureusement encadrée, comportant deux phases principales : le placement en vue de l’adoption et le jugement d’adoption. Ces étapes visent à garantir la protection de l’enfant et à éviter tout conflit entre les adoptants et la famille biologique.

1. Le placement en vue de l’adoption plénière

Introduit par la loi de 1966, le placement est une phase préliminaire essentielle, destinée à sécuriser le processus en limitant les revendications ultérieures des parents biologiques.

a) Conditions du placement

Le placement ne se limite pas à une simple remise matérielle de l’enfant aux adoptants ; il s’agit d’une situation juridique spécifique. Pour être valable, plusieurs conditions doivent être réunies :

  • Adoptabilité de l’enfant :
    L’enfant doit relever de l’une des catégories d’enfants adoptables définies par l’article 347 du Code civil (consentement des parents, abandon, pupille de l’État).

    • Si les parents biologiques ont consenti à l’adoption, le placement ne peut intervenir qu’après l’expiration du délai de rétractation de deux mois prévu par la loi.
    • Si la filiation de l’enfant n’est pas établie, le placement ne peut avoir lieu qu’au moins deux mois après l’accueil de l’enfant.
  • Remise matérielle et juridique :
    L’enfant doit être physiquement confié aux adoptants, et le placement doit être juridiquement validé par les autorités compétentes.

  • Cas de rétractation des parents biologiques :
    Si les parents se rétractent avant la fin des deux mois, aucun placement ne peut avoir lieu tant qu’une décision judiciaire n’a pas été rendue.

`b) Effets du placement

Le placement en vue de l’adoption produit deux effets principaux, énoncés à l’article 342 alinéa 1 du Code civil :

  1. Interdiction de restitution :

    • Si l’enfant a une filiation légalement établie, les parents biologiques ne peuvent plus demander sa restitution.
    • En l’absence de filiation, toute reconnaissance ultérieure de maternité ou de paternité devient impossible. Toute recherche en ce sens est également irrecevable.
  2. Caractère provisoire :

    • Si la procédure d’adoption n’aboutit pas, par exemple en cas de refus du tribunal, les effets du placement sont rétroactivement annulés.
    • Si le placement est irrégulier, comme dans le cas où l’enfant n’était pas véritablement adoptable, il ne produit pas ses effets. La restitution de l’enfant reste alors possible.
Arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2006

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a jugé que la reconnaissance prénatale effectuée par un père avant la naissance de l’enfant restait valable et devait primer sur le consentement du conseil de famille. Cette décision a conduit à la restitution de l’enfant, montrant ainsi l’importance des conditions de validité du placement.

2. Le jugement d’adoption

Le tribunal judiciaire (TGI) est compétent pour statuer sur l’adoption plénière. La procédure est confidentielle, les débats ayant lieu à huis clos en chambre du conseil.

a) Saisine et rôle du tribunal

Le tribunal est saisi par une requête de l’adoptant. Lors de l’examen, le juge doit :

  • Contrôler la légalité :
    Le tribunal vérifie que toutes les conditions légales sont remplies (adoptabilité de l’enfant, consentements requis, respect des délais, etc.).

  • Contrôler l’opportunité :
    Le juge apprécie si l’adoption est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant, qui constitue le critère principal.

    • Si l’adoptant a déjà des enfants, le tribunal évalue si l’adoption ne risque pas de compromettre l’équilibre familial.

b) Effets du jugement

Une fois prononcé, le jugement :

  • Prend effet à la date de la requête :
    Les droits et obligations découlant de l’adoption sont rétroactifs jusqu’à cette date.
  • Est irrévocable :
    Le jugement d’adoption plénière ne peut être contesté par la voie de la tierce opposition qu’en cas de dol ou de fraude de la part des adoptants.
  • Est transcrit sur les registres d’état civil :
    L’acte de naissance d’origine de l’adopté est remplacé par un nouvel acte mentionnant uniquement la filiation adoptive, sans référence à l’adoption ou à la filiation biologique.

La procédure de l’adoption plénière, bien qu’exigeante, vise à protéger l’enfant tout en garantissant aux adoptants une filiation pleine et entière. Le placement préalable est une étape clé pour sécuriser le processus, tandis que le jugement final assure une filiation irrévocable et intégrale.

Résumé : L’adoption plénière est strictement encadrée pour garantir qu’elle soit toujours conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant. Les conditions de fond, qui concernent tant les adoptants que l’adopté, assurent que cette forme de filiation aboutisse à une intégration complète et irrévocable de l’enfant dans sa nouvelle famille.

III) Les effets de l’adoption plénière

L’adoption plénière produit des effets radicaux sur la situation juridique de l’adopté, caractérisés par une rupture totale avec sa famille d’origine et une intégration complète dans la famille adoptive. Ces effets sont à la fois irrévocables et non rétroactifs.

A. La rupture avec la famille d’origine

L’adoption plénière entraîne une rupture totale entre l’adopté et sa famille par le sang, conformément à l’article 356 du Code civil.

  • Disparition des liens juridiques :
    L’adopté cesse d’appartenir à sa famille biologique. Si la filiation par le sang n’était pas encore établie au moment de l’adoption, elle ne pourra plus jamais l’être. Si elle était établie, elle disparaît, et tous les droits et obligations qui en découlaient sont annulés. Cela inclut les droits successoraux et les obligations alimentaires.

  • Empêchements au mariage :
    Une limite demeure néanmoins : les prohibitions au mariage fondées sur la parenté subsistent pour les relations déjà légalement établies avant l’adoption. Ces empêchements visent à prévenir des unions contraires aux principes fondamentaux du droit familial.

  • Adoption de l’enfant du conjoint :
    Dans le cadre d’une adoption plénière par le conjoint d’un parent, la filiation avec ce dernier reste intacte. L’enfant continue d’appartenir juridiquement à la famille du conjoint de l’adoptant.

B. L’intégration dans la famille adoptive

L’adopté est pleinement intégré à la famille adoptive, comme l’indique l’article 365 du Code civil.

  • Filiation substitutive :
    La filiation adoptive remplace complètement la filiation biologique. L’adopté acquiert la même situation juridique qu’un enfant biologique au sein de la famille adoptive.

  • Droits et obligations dans la famille adoptive :

    • L’adopté bénéficie des mêmes droits successoraux que les enfants biologiques vis-à-vis des parents adoptifs et de leurs ascendants.
    • Les ascendants de l’adoptant ont une obligation alimentaire envers l’adopté.
    • L’adopté devient sujet aux empêchements au mariage avec les membres de la famille adoptive, comme tout enfant biologique.

III. Caractères définitifs de l’adoption plénière

  • Irrévocabilité : L’adoption plénière est définitive et ne peut être révoquée, même en cas de graves conflits familiaux.

  • Non-rétroactivité :  Les effets de l’adoption plénière prennent effet à la date du dépôt de la requête en adoption, et non à la naissance de l’adopté.

C. Conséquences sur l’état civil

  • Transcription sur les registres d’état civil :
    Le jugement d’adoption est transcrit sur les registres de l’état civil, où il tient lieu d’acte de naissance.

    • L’acte de naissance original de l’adopté est supprimé.
    • Le nouvel acte énonce le nouveau nom et prénom de l’enfant, ainsi que sa date et son lieu de naissance, s’ils sont connus.
  • Secret de l’adoption :
    Le nouvel acte de naissance ne fait aucune mention de l’adoption ou de la filiation biologique. Cela garantit un secret absolu, empêchant l’enfant de savoir qu’il a été adopté, sauf si des informations comme le lieu ou la date de naissance sont absents.

D. La recherche des origines

Malgré le secret initial, l’adopté peut chercher à connaître ses origines biologiques. Cette démarche est encadrée par la loi du 22 janvier 2002, qui organise un droit d’accès à des informations sur les parents biologiques :

  • L’enfant adopté peut demander des informations sur ses origines personnelles, notamment l’identité de ses parents par le sang, si ceux-ci ont consenti à divulguer ces données.
  • Ces recherches doivent respecter un équilibre entre le droit à l’identité de l’adopté et la vie privée des parents biologiques.

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