L’Affectio Societatis en droit des sociétés
Pour le contrat de société il faut se reporter au texte fondateur pour identifier cette figure juridique :article 1832 du code civil. Il y a donc trois éléments caractéristiques dans un contrat de société. Les deux premiers se trouvent dans l’article 1832 :
— Les apports : affecter à une entreprise commune des biens ou une industrie.
— Les vocations de chacun des associés à participer au résultat : les résultats sont partagés pertes comme bénéfices, qu’ils soient positifs ou négatifs. S’il s’avère que l’une des parties n’a pas vocation à toucher une partie des bénéfices ou supporter une partie des pertes, le contrat n’est pas valable.
Le texte suppose implicitement une entreprise commune qui cache un 3ème élément constitutif : c’est l’affectio societatis. C’est quelque chose de particulier. La loi le sou entend mais c’est la jurisprudence et la doctrine qui ont dégagé cette idée et le législateur en a plus ou moins pris compte. Les associés doivent se comporter comme tel, ils doivent avoir des rapports de partenaires et tentent l’inverse du lien de subordination de rester sur un pied d’égalité
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I – Qu’est ce que l’Affectio Societatis
La loi n’en parle pas expressément, même sous forme de périphrases. Tout au plus des formules qui renvoient à cette idée : on parle d’entreprise commune entre les associés, l‘intérêt commun des associés (art 1833 code civil). Cette notion a été dégagée par la jurisprudence et la doctrine. Cela converge vers un état d’esprit particulier : l’état d’esprit d’associé. C’est l’intention de collaborer à une œuvre commune sur un pied d’égalité. On est en présence de partenaires.
Deux objections peuvent faire douter de la pertinence de cette exigence :
— 1°: Problème de la société unipersonnelle :depuis 1985, la société unipersonnelle peut exister de manière régulière lorsque la loi le permet (en mat de SARL, SAS). Peut-on alors considérer qu’il y a affection societatis ? Ca n’a pas de sens. Toutefois, il y a quand même un état d’esprit d’associé unique particulier :c’est la volonté, qui se manifeste par des actes, de respecter l’autonomie patrimoniale de cette société unipersonnelle. Autrement dit, l’associé unique doit avoir la volonté de ne pas considérer la société comme sa chose. Elle a un patrimoine distinct donc il ne peut que se distribuer des bénéfices selon les règles applicables au capital social. Le fait que la loi admet la société unipersonnelle ne condamne pas l’affectio societatis.
— 2°: L’affectio societatis est bien une réalité dans une petite société :même unipersonnelle comme le cas évoqué précédemment, les associés prennent les décisions ensemble, se réunissent. Il y a un vrai partenariat. Mais si on prend une société cotée en bourse comme une grande SA, c’est beaucoup moins vrai. On peut douter de l’existence d’un affectio societatis. Les associés sont souvent des investisseurs de passage. Donc l’affectio societatis est une belle notion théorique mais dans les grandes sociétés, ça n’existe pas chez la plupart des actionnaires. Cette objection est donc fondée et exacte. Mais ça n’a pas d’importance, car en définitive, cette notion d’affectio societatis a un intérêt pratique assez réduit : elle sert de critère dans certaines situations litigieuses. On devra rechercher un affectio societatis dans les rapports entre associés.
II – Deux situations litigieuses où on doit se référer à l’afection societatis pour les identifier
— 1ère situation : la société fictive. La notion d’affection societatis trouve toute son utilité pratique.
— 2ème situation :la société créée de fait. Pour constater son existence, il faut se référer à la notion d’affection societatis.
A – La société fictive
Situation que l’on rencontre souvent. Une personne crée une société en respectant le formalisme légal : rédaction des statuts, publicité, inscription au RCS … Simplement, il peut s’avérer que les prétendus associés qui ont signé les statuts sont des hommes de paille. Leur rôle s’est arrêté là. Derrière cette société il y a disons un animateurs, les autres associés sont des figurants. Cela va être utile pour puiser dans les caisses.
Par la suite, le fondateur a utilisé la société comme un paravent pour réaliser des opérations qu’il ne voulait pas faire lui même. Par exemple, emprunt d’argent pour des opérations qui ne concernent pas la société. Cette société a encaissé de l’argent, qui a été utilisé par cet associé. Souvent, la société va laisser des dettes impayées.
Lorsque les créanciers vont essayer d’obtenir le paiement de ce qui leur est dû va se retrouver devant une coquille vide : aucune activité susceptible d’engendrer des entrées d’argent, aucun actif. Le créancier subit un préjudice et le problème va alors surgir.
Les créanciers collectivement représentés par un mandataire de justice vont essayer de faire juger qu’il y avait là une société fictive. Au départ, il y a un comportement d’une personne qui a créé une société « vide » utilisée pour son intérêt propre et qui cause un préjudice aux tiers, mais quelles sont les armes de ces tiers pour se défendre ?
Traditionnellement, on traite cette situation en ayant recours aux principes généraux de droit civil : à propos de l’opposabilité des contrats. Mécanisme de la simulation : article 1321 Code civil. On est en présence d’un cas de simulation. Il y a une apparence délibérément créée par le simulateur, la société, et une réalité, le fondateur utilise cette société comme paravent.
On traite donc cette situation au sens de l’article 1321. Dans la mesure où ils y ont un intérêt, les tiers peuvent se prévaloir soit de la situation simulée (acte ostensible) soit de la situation réelle (acte secret). Jurisprudence d’application fréquente : la solution est le redressement judiciaire qui décide l’extension de procédure collective à la société fictive : le mandataire demande de faire prévaloir la réalité sur la fiction. La procédure collective est étendue au fondateur de la société de manière personnelle, c’est son patrimoine qui sera visé.
Depuis une dizaine d’années, la jurisprudence décide parfois qu’une société fictive est entachée de nullité. S’l y a société fictive, il y a violation de l’article 1832 du code civil. En raison de cette méconnaissance, la violation de l’article 1832 est sanctionnée par la nullité. On peut arriver à des solutions différentes qui préservent aussi les intérêts des tiers.
Mais cette jurisprudence jette le trouble sur la question : pour un même fait irrégulier 2 sanctions : extension de la procédure collective ou cause de nullité. C’est la victime qui aura le choix de se placer sur le terrain de la simulation ou de la nullité. La sanction va consister dans tous les cas à faire payer le fondateur.
Le problème qui va se poser est de prouver qu’une société qui existe sur le papier est bien une fiction. Le demandeur devra apporter la preuve du caractère fictif de la société au juge est c’est plus délicat. Pour démontrer cela, on va essayer de démontrer qu’on ne rencontre en l’espèce, dans la réalité aucun des éléments caractéristiques d’une société.
Le contrat de société implique :
— Apports: On va démontrer qu’il n’y a pas eu d’apports. Souvent on pourra établir que les associés homme de paille n’ont rien apporté du tout.
— Vocation aux résultats : les prétendus associés n’ont jamais touché un sous, ce sont des associés de complaisance. Ce ne sera pas suffisant car le manipulateur de la société aura beau jeu de dire que les apports ont bien existés dans la société car il les a réalisés. Mais si on admet qu’une société est unipersonnelle, finalement le maitre de l’affaire n’en est pas à une grossièreté près. Il avance qu’il a bien fait un apport, qu’il a bien touché les bénéfices. C’est la raison pour laquelle il faut un troisième élément.
— Affectio societatis: raisonnement en deux temps :
— 1/ on démontre qu’il n’y a pas d’affectio societatis entre les prétendus associés. C’est facile, on va démontrer qu’il n’y a pas de vie sociale : assemblées générales fictives, on constate surtout que le fondateur agit toujours tout seul, ses initiatives ne sont absolument pas contrôlées par les hommes de paille, il signe les contrats, effectue les paiements, les autres n’interviennent jamais. Pas de volonté de collaborer sur un pied d’égalité. Pas de vie sociale.
— 2/Il faut démonter alors que ce fondateur n’a pas l’affectio societatis d’une société unipersonnelle dans la mesure où on admet les sociétés unipersonnelles, le fondateur pourrait répondre qu’il y a quand même une société unipersonnelle. Il faut démontrer qu’il n’a jamais cloisonné le patrimoine de la société et le sien propre. Il a puisé dans le patrimoine de la société, a avancé de l’argent. Si on arrive à faire la démonstration de cette absence d’autonomie patrimoniale, d’un aller-retour perpétuel entre les deux patrimoines, on a démontré le caractère fictif de la société. D’où l’importance de l’affectio societatis.
B – Une société créée de fait
Des personnes se comportent tous les jours comme des associés mais n’ont fait aucune démarche formelle pour créer une société. Les associés ont un comportement inconscient d’agir en société, sans la formaliser. C’est le cas par exemple d’un concubin et d’une concubine qui exploitent ensemble un fonds de commerce en fonctionnant comme des partenaires. Comment le contentieux va-t- il surgir ?
— Contentieux de la séparation : les deux « associés » se séparent. Le propriétaire du fonds prend tout. Bonnet de liquidation partagé si on prouve l’existence d’une société créée de fait.
— Contentieux de l’insolvabilité : les créanciers se rendent compte que l’intéressé est un solvable donc ils veulent démontrer qu’ils ont traité avec un associé de fait. Article 1872-1 du Code Civil : les associés en participation répondent solidairement des dettes d’une société commerciale.
Comment convaincre le juge qu’on est en présence d’une société créée de fait ?
Il faut prouver que dans les rapports entre les personnes, il y a les 3 éléments:
— Apports : Par exemple, des concubins qui exploitent ensemble depuis 20 ans. Souvent, on constate qu’ils ont fait des apports en nature et en numéraire. L’un a apporté le fonds de commerce, l’autre de l’argent. Le souci est que bien souvent, il y aura aussi un apport en industrie, car chacun des 2 partenaires a consacré sa vie professionnelle à l’affaire, 20 ans à travailler derrière le comptoir d’un bar par exemple. Aucun d’eux n’avait une activité salariée par ailleurs. Mais s’il n’y a que cela, ce n’est pas suffisant pour prouver qu’une société existait.
— Vocation au résultat : elle se manifeste par le partage des bénéfices ou la contribution aux pertes, la vocation de chacun des partenaires à participer aux résultats. A un moment donné, l’affaire a rapporté beaucoup d’argent, et la concubine non propriétaire a utilisé cette somme pour rénover une maison qui lui appartient en propre. Ils peuvent aussi avoir participé aux pertes : par ex, celui des associés qui n’est pas exploitant officiel s’est porté caution pour son partenaire. Ce sont des situations idéales. Bien souvent, on aura le sentiment qu’on est présence d’une société créée de fait mais il n’y aura pas ces flux financiers parfaitement identifiés qui permettent d’affirmer qu’il y a une participation aux pertes, apports…. On va dire qu’il y a eu au moins un apport en industrie. Mais cet argument ne vaut pas grand chose juridiquement, elle était juste salariée. Elle a fourni une prestation de travail. On va démontrer qu’elle a participé aux bénéfices, c’est-à-dire qu’elle a récupéré un peu d’argent. On peut aussi considérer qu’il s’agit d’un salaire, donc ça ne prouve pas qu’il y ait associé créée de fait.
— Affectio societatis : c’est ce qui va faire la différence. On va s’attacher à démontrer que ces 2 personnes se sont comportées comme 2 associés d’un point de vue psychologique. C’était 2 partenaires qui œuvraient dans un intérêt commun sur un pied d’égalité, et non avec un rapport de subordination caractéristique d’un contrat de travail. Si la personne était subordonnée, pas de société. Il y a un faisceau d’indices pour découvrir la société qui montre qu’on est en présence de partenaires qui collaborent à une œuvre commune, des choses que ne ferait pas un salarié:
– Le partenaire non propriétaire du fonds aura un rôle très important, par ex il a embauché les salariés
– Traité avec les banquiers
– Avancé de l’argent
– Donné son cautionnement
– Procuration sur le compte bancaire
– Signé des abonnements.
L’affectio societatis est donc un critère révélateur pour la société fictive et la société crée de fait.