Les modèles économiques : l’analyse du vote en termes stratégiques.
L’économie fournit des instruments, des modèles théoriques pour analyser le phénomène les phénomènes électoraux.
Certains économistes se sont ainsi employés à transposer leurs outils et leurs modèles explicatifs à la vie politique. Cela s’est fait à partir des années 1950 aux Etats-Unis.
Depuis, l’analyse économique de la vie politique a rencontré un très grand succès surtout dans le domaine des analyses électorales.
On estime aujourd’hui que dans les grandes revues de sciences politiques américaines concernant les élections, la moitié des articles repose sur ces mouvances de l’analyse du vote.
C’est donc une interprétation dominante. Cette étude est relayée par les médias, c’est donc une source d’influence importante pour les électeurs.
L’usage de ces modèles économiques inspire plus particulièrement l’une des deux grandes tendances qui domine actuellement l’étude électorale : celle qui analyse de vote en termes stratégiques.
A) La théorie de l’électeur rationnel
Tout un courant de la sociologie considère que l’électeur doit être considéré comme un stratège se comportant donc de façon rationnelle quand il vote.
Pour les tenants de l’analyse économique, le vote doit être considéré comme une transaction sur un marché. Ce marché électoral est pour eux un marché comme les autres.
D’un côté, on a les candidats qui sont en situation de concurrence et qui produisent une offre électorale. Pour se faire élire, ils promettent de produire des biens collectifs. Ces biens pourront être consommés par un certain nombre de citoyens qui en échange leur apporteront leurs suffrages.
De l’autre côté, il y a les électeurs qui font leur choix en fonction des avantages et des bénéfices économiques qu’ils peuvent retirer de l’élection. Ce sont donc des électeurs qui calculent les bénéfices économiques qu’ils peuvent espérer d’un programme. Ils calculent les coûts fiscaux liés au programme. C’est le résultat de ce calcul (différence entre le coût et les bénéfices attendus d’un programme) qui serait selon cette théorie déterminant dans le choix des électeurs.
Cette théorie appréhende donc l’électeur comme un consommateur qui le jour du vote va faire son marché politique. Ces théories envisagent qu’un consommateur peut être influencé par ses habitudes d’achat (renvoi au passé électoral de l’électeur).
Le jour de l’élection, ce qui remporte la mise, c’est la volonté d’obtenir le maximum au moindre coût.
Cette théorie marginale il y a 30 ans, est aujourd’hui dominante. Pourquoi ? Car cette théorie s’inscrit bien dans l’air du temps :
Elle paraît presque évidente car dans notre société le calcul économique est considéré comme la forme suprême de nationalité.
Cette théorie bénéficie de la fascination dans notre société pour l’économie surtout quand elle adopte une forme mathématique. Or, l’analyse économique des phénomènes électoraux se présente souvent sous la forme d’équations mathématiques.
Ex : l’abstention n’est pas un comportement qui s’avoue facilement. L’abstention va varier en fonction des conjonctures. Par exemple, le 21 avril 2002, quand Le Pen passe au 2nd tour, les gens étaient réticents à avouer leur abstention. Ainsi, les études mathématiques (sondage) ne permettent pas de connaître à l’avance le vrai taux d’abstention.
Ex : en Espagne, on déclare trois fois moins abstention qu’il n’y en a en réalité : les résultats par sondage n’ont aucun intérêt concernant l’abstention. Il faudrait laisser le sondage et aller sur le terrain.
Pourquoi une telle fascination pour l’économie ? Car ce type d’étude parait plus solide : c’est mathématique, donc rationnel. Cela augmente la force de persuasion alors qu’en réalité il s’agit le plus souvent de chiffres bricolés.
Les défenseurs de la théorie de l’électeur rationnel prétendent qu’elle est la plus efficace pour expliquer les nouveaux comportements électoraux. En particulier pour expliquer la « volatilité électorale » c’est-à-dire, les déplacements de voix que l’on observe d’une élection à l’autre. Cette volatilité apparaît déterminante pour les résultats des élections puisque ce sont ces déplacements de voies de voix de la gauche vers la droite (et inversement) qui provoquerait l’alternance au pouvoir et donc les changements politiques.
Exemple d’électorat volatil : le FN.
Patrick Lehingue (fac d’Amiens) estime que 5 % des suffrages du FN est permanent et que depuis 1984, 1 électeur français sur 4 aurait déjà voté pour le FN. Il existe une circulation très forte des voix, une certaine volatilité car l’électorat du FN dispose de peu de diplômes (cela joue beaucoup sur la volatilité). Ce sont ces électeurs qui changent souvent de vote qui font le vote. C’est pour cette raison que les hommes politiques, les médias… y sont très attentifs. Cela permet de prévoir les élections.
Cette théorie de l’électeur rationnel serait la plus adaptée aux sociétés modernes car ce sont des sociétés où les électeurs (surtout les jeunes, donc les plus instruits) ne seraient plus comme leurs ancêtres fidèles à un comportement politique. Ils seraient au contraire moins disciplinés, moins prêts à suivre les consignes partisanes. Ils seraient moins dans l’identification aux partis que les générations précédentes. Ils seraient donc plus volatiles. Ils se déterminent plus qu’avant en fonction du bilan des gouvernements et des programmes électoraux.
B) Ses limites
La théorie prétend mieux rendre compte de la volatilité électorale. Or le problème c’est qu’aujourd’hui, ce qui caractérise l’électorat, c’est sa forte stabilité.
Ex : 70 % des électeurs français votent dans le même parti d’une élection à l’autre.
C’est sans doute d’abord la stabilité qu’il faut expliquer avant la volatilité. La stabilité est plus importante si on regarde les camps (gauche droite) plutôt que les partis (PS, verts…).
En fonction d’où l’on se place, la volatilité sera plus ou moins importante.
La théorie pointe donc du doigt un comportement qui ne représente pas la majorité des comportements électoraux.
Autre limite plus problématique : les électeurs qui changent de préférence le plus facilement à chaque élection sont les électeurs issus des couches les plus défavorisés, ce sont ceux qui sont les moins instruits et ceux qui s’intéressent le moins à la politique. Ce sont ceux qui sont les moins bien informés sur la campagne électorale.
Or cette description de l’électeur va à l’encontre de la définition de l’électeur relationnel qui doit être informé et connaître toute l’offre politique.
Ces électeurs volatiles vont voter un peu au hasard.
Ex : Bayrou en 2002 gifle un jeune dans une cité. Pour certains cette gifle a été déterminante dans le choix du candidat.
Un sociologue américain a écrit Bowling Alone il y montre que le fait d’avoir fait des études, ne va pas forcément de pair avec le fait de s’intéresser à la campagne. Ce n’est pas prédictif d’un comportement électoral ou politique.
La théorie de l’électeur rationnel n’explique que difficilement le fait que la volatilité soit mise en œuvre par ceux qui sont le moins aptes à faire des choix.
La théorie de l’électeur rationnel semble en partie invalidée par ce que l’on observe dans la réalité.
Dans les milieux très politisés, favorisés, on suit la campagne électorale. Mais seuls cinq à 10 % des électeurs sont issus de ces milieux.
Ces électeurs éclairés, instruits, bien formés sur la campagne concernent une minorité des électeurs volatils.
Ex : Bayrou touche ceux qui sont très diplômés, intéressés par la campagne
Le problème, c’est que la majorité des électeurs volatils vienne des milieux défavorisés, peu instruits.
La théorie de l’électeur rationnel semble rendre compte du comportement général des électeurs, or, ce n’est pas le cas. Il faudra se servir d’autres modèles pour rendre compte de la réalité
Si les électeurs se comportaient vraiment comme le prétend la théorie de l’électeur rationnel (uniquement dictés par les enjeux économiques) alors ils ne devraient pas voter.
Pour voter selon un calcul coût/ bénéfice il faut connaître parfaitement les programmes des candidats et être capable de les traduire en termes d’avantages personnels, ce qui est impossible. Pourquoi ? Car l’offre politique est souvent contradictoire et qu’un même parti pour augmenter ses chances de succès peut à la fois promettre de baisser l’impôt et d’augmenter les dépenses publiques (ex : en matière de santé, éducation…).
De plus, il est très difficile d’anticiper les effets d’une politique économique. Les économistes eux-mêmes ne sont jamais d’accord sur ce sujet.
Comment un électeur lambda pourrait prévoir les effets d’une politique économique alors que les économistes eux-mêmes n’y parviennent pas ?
Il est quasiment impossible de connaître à l’avance les effets d’une politique économique sur sa propre existence.
Ex : en matière de fiscalité, comment connaître ses intérêts ? Est-ce rationnel de raisonner à l’échelle individuelle ?
Ex : Faut-il voter pour un candidat qui veut réduire les impôts ? À premier abord, cela semble être dans notre intérêt. Mais à long terme est-ce dans notre intérêt que les hôpitaux ferment, qu’il y ait moins d’enseignants, que le service public se détériore ?
On peut critiquer cette théorie car elle part du postulat de départ qu’il est facile de connaître ses intérêts.
L’électeur rationnel, s’il votait vraiment rationnellement, devrait ne pas voter car il ne dispose pas des informations nécessaires pour faire son choix.
De plus, en bon calculateur, il devrait voir que sa voix ne sert à rien, le poids de son vote est dérisoire. C’est le « paradoxe du votant ».
Ex : dans une circonscription électorale de 80 000 inscrits : chaque voix pèse 0,00 12 % du résultat global. Pour qu’une voie serve à départager les candidats il faudrait donc :
– soit que tous les autres électeurs s’abstiennent
– soit que le nombre de bulletins reçus par les deux candidats soit le même
Mais en réalité, cela n’arrive jamais.
Celui qui se conduirait en calculateur rationnel ne devrait pas voter, d’autant plus que voter à un coût (coût de l’information, du temps, coût physique). Le coût physique correspond au phénomène de la mal inscription : des électeurs sont parfois inscrits loin de leur nouveau domicile. Ceci explique une bonne partie de l’abstention dans notre pays. Cependant quand il y a une mobilisation très forte, les électeurs font l’effort de se déplacer (ex : deuxième tour de l’élection de 2002).
L’électeur rationnel devrait s’abstenir, or ce n’est pas le cas. La théorie de l’électeur rationnel est très éloignée de la réalité car si tous les électeurs se comportaient conformément à la théorie il y aurait très de 100 % d’abstention.
Il existe un décalage entre la théorie et la pratique. D’autant plus qu’il est prouvé que l’abstention n’est pas le résultat d’un calcul politique. C’est juste une marque d’indifférence (mais toujours minorée des très politisés qui s’abstiennent délibérément).
Ex : le 21 avril 2002, le taux d’abstention atteignait 28 % : ce n’était pas le fait un calcul stratégique, c’était juste dû à un désintérêt pour la campagne. Les électeurs qui étaient favorables à un changement politique ne savaient pas pour qui voter en 2002 car Jospin et Chirac était déjà au pouvoir (donc pas de changement).
En réalité, les pratiques électorales sont souvent en contradiction avec le modèle élaboré par les économistes du vote.
L’approche purement économique des choses n’est pas capable de rendre compte de des comportements politiques.
L’approche économique pêche en politique là où l’intérêt politique est dû à une passion pour la politique et non à un intérêt économique (ex : militantisme : on imagine mal les militants militer par intérêt).
Ces théories ne négligent l’identité politique comme facteur. S’il y a de moins en moins de gens qui votent, c’est parce qu’ils ne se retrouvent plus dans une identité politique.
Pour que ceux qui sont indifférents à la politique, il existe des formes de pressions : amis, famille, travaille … C’est un vote intermittent car la pression est plus ou moins constante contrairement à l’identité politique qui est stable.
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