L’appréciation de la nouveauté en droit des brevets

L’appréciation de la nouveauté

Le droit des brevets pose trois conditions de fond à la brevetabilité d’une invention :

  • L’invention doit être nouvelle(§ 1);
  • Elle suppose une activité inventive (§ 2) ;
  • Elle doit pouvoir faire l’objet d’une application industrielle (§ 3).

On a une jurisprudence qui est assez abondante à l’échelle de l’Europe, et l’on pourrait presque comparer les décisions de l’Office européen des brevets, qui peut se transformer – comme la CJUE – en juridiction judiciaire, aux décisions de la CJUE. Sur la base de cette jurisprudence, il y a des directives qui sont rendues, et qui sont très structurées, ce qui permet d’avoir une connaissance des conditions de brevetabilité.

L’invention doit être nouvelle : L’article L. 611-11, alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle dispose qu’«Une invention est considérée comme nouvelle si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique». L’alinéa 2 ajoute que «L’état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage, ou tout autre moyen».

La nouveauté d’une invention est déterminée sur la base d’une comparaison entre l’objet pour lequel une protection est demandée, et ce qui constitue l’état de la technique.

Comment s’apprécie la nouveauté

Il s’agit en fait ici de préciser la manière dont l’examinateur procède pour déterminer si l’invention est ou non nouvelle. Le Code de la propriété intellectuelle invite à considérer que la nouveauté est détruite si l’invention se trouve telle qu’elle dans l’état de la technique. Il faut donc que l’invention soit comprise dans l’état de la technique.

De fait, le législateur a abandonné la théorie des équivalents pour apprécier la nouveauté (1), ce qui implique de définir les caractéristiques désormais retenues pour concrétiser la condition de nouveauté (2).

  1. L’abandon de la théorie des équivalents

Jusqu’en 1968, la pratique française conduisait à considérer – selon cette théorie des équivalents – que les antériorités ne résultaient pas seulement du constat de l’existence d’une invention identique dans l’état de la technique, mais de l’existence d’équivalent, c’est-à-dire d’invention présentant des caractéristiques techniques qui diffèrent par leur nature, mais qui remplissent la même fonction, pour atteindre le même but.

Exemple : on pouvait considérer qu’un couteau en acier était l’équivalent d’un couteau en céramique, et donc le couteau en céramique n’innovait pas, puisque par équivalent on arrivait au même résultat, à savoir une lame.

La Réforme de 1968 signe l’abandon de cette théorie, et conduit à considérer que la nouveauté d’une invention n’est détruite que si l’on trouve dans l’état de la technique un objet identique à celui revendiqué dans la demande de brevet. On dit alors que seules comptent les antériorités de toutes pièces (elles sont antérieures dans toutes les pièces constituant l’invention). Cela assouplit considérablement la condition de nouveauté.

La jurisprudence a pris un peu de distance par rapport à ce principe, puisqu’elle estime que la nouveauté n’est détruite que si l’antériorité comporte des éléments essentiels de l’invention revendiquée. Donc, on est sur une comparaison assez objective sur ce qui existait et ce que l’on apporte de nouveau.

Sur cette base, quelles sont aujourd’hui les caractéristiques dominantes de la nouveauté ?

  1. Les caractéristiques de la nouveauté

Il s’agit ici d’identifier les éléments auxquels le juge s’attache habituellement pour apprécier la nouveauté d’une invention.

  1. L’invention de produits

S’agissant en premier lieu des inventions de produits, la nouveauté de l’invention résultera d’une différence de constitution, de composition, ou de structure par rapport au produit connu.

Exemple : une plante est revendiquée. L’examen va porter sur des caractères morphologiques, physiologiques, ou écologiques de la plante.

En pratique, les instances chargées de la délivrance du brevet procèdent à une recherche documentaire afin de découvrir s’il existe dans l’état de la technique une référence à un produit semblable, produisant le même effet technique que le produit revendiqué. Si un produit similaire est trouvé, la demande sera rejetée. Il incombe au demandeur d’établir la preuve que son produit se distingue de l’état de la technique : il faut qu’on marque soi-même en quoi consiste la différence.

  1. L’invention de procédés ou de moyens

S’agissant de l’invention de procédés(on parle d’invention de moyens), il faudra généralement – pour que la nouveauté soit caractérisée – une modification de la structure, ou du déroulement du procédé. On peut avoir des étapes connues, mais si derrière on met en œuvre une technique innovante, on pourra être éligible au stade de nouveauté.

De ce point de vue-là, on a un arrêt portant sur un brevet qui porte sur un dispositif de reliage de câbles, et qui est utilisé comme tire-veine (dans le domaine chirurgical, cela permet d’extraire des veines nécrosées). Ici, on a caractérisé la nouveauté notamment par le fait que le procédé concernait un domaine d’activité spécifique – le domaine médical –et il y avait une antériorité qui concernait également l’aboutage de deux câbles par vissage, mais qui conduisait en fait à faire tourner les câbles lors de l’assemblage. Selon le second procédé breveté – qui était attaqué en l’occurrence – le dispositif d’aboutage permettait de tourner indépendamment les câbles, et donc de faire tourner que le système d’aboutage sans faire bouger les câbles. Un autre avantage était qu’il ne comportait aucun profil traumatisant pour le corps. Cela permettait donc d’abouter également des drains, avec un usage médical connu (pour évacuer le pus, par exemple). De ces constatations, la Cour d’appel a pu déduire la nouveauté du dispositif d’aboutage.

En troisième lieu, il conviendra d’apprécier l’invention d’applications.

  1. L’invention d’applications

Elle consiste en l’utilisation de moyens connus en vue d’obtenir un résultat qui lui-même peut être connu en tant que tel. L’appréciation à ce moment-là va porter sur le rapport entre le moyen qui est utilisé et le résultat. On trouve certaines illustrations en matière pharmaceutique. En effet, on peut considérer globalement que les molécules de base ont été identifiées depuis longtemps par les chercheurs et en les combinant, on arrive à un résultat nouveau ou connu mais pas par ce moyen-là.

Ce qui caractérise la nouveauté, c’est le rapport nouveau entre le moyen et le résultat. Le résultat sera un effet thérapeutique différent. Dans cette catégorie, on trouve notamment les inventions de combinaisons, c’est-à-dire qu’en combinant des moyens connus, on trouve un résultat connu, mais pas par ces moyens-là.

Dans le domaine de la pétrochimie, les industriels travaillent au niveau des nanotechnologies. Grâce à elles, on fabrique du carbone : cela permet de produire des matières ultralégères et ultrarésistantes. A la base de cette matière, il y a des nanotubes de carbone. Pendant longtemps, on a compris que l’échelle nano-scopique existait en l’observant, mais on était incapable de comprendre comment cela se formait et de quoi il était composé. Puis, il a fallu fabriquer des nanomatières dans tous les domaines. On est capable de fabriquer des nanotubes de carbone en partant d’une matière première que l’on connaît, l’éthanol. L’invention est de savoir comment on transforme de l’éthanol en nanotubes de carbone.

  1. La question spécifique de la seconde application thérapeutique

L’article L.611-11 du Code de la propriété intellectuelleindique que les dispositions relatives à la condition de nouveauté n’excluent pas la brevetabilité pour la mise en œuvre d’une méthode de traitement thérapeutique ou de diagnostic d’une substance ou d’une composition exposée dans l’état de la technique, à condition que son utilisation pour l’une de ces méthodes ne soit pas contenue dans l’état de la technique.

La jurisprudence française tire une conséquence assez rigoureuse. Elle estime en effet que la règle conduit à exclure du champ de la brevetabilité une nouvelle application thérapeutique d’un produit qui est déjà connu.

Exemple : est breveté un médicament ayant pour effet de lutter contre l’hypertension. Or il s’avère qu’avec une posologie légèrement différente, il permet de perdre du poids.

Est-ce que cela peut justifier un nouveau brevet ?

Pour la jurisprudence française, il ne peut pas y avoir de brevet sur cette seconde application thérapeutique.

Pour certains, cette interprétation est logique parce qu’elle va de soi. Une telle invention n’est pas nouvelle. On peut considérer que le défaut de nouveauté provient de ce que l’utilisation nouvelle d’un médicament révèlera tout au plus des propriétés que ce médicament comportait de toute façon. On peut toutefois considérer finalement que les dispositions de l’article L.611-11 du Code de la propriété intellectuellene constituent qu’une exception au principe de brevetabilité, et qu’il est peut-être excessif de nier tout caractère de nouveauté dans ce cas de figure. En effet, la nouveauté peut résulter par exemple d’un dosage différent, d’une administration médicamenteuse selon une procédure différente ou même de la prescription du médicament dans un ensemble spécifique.

A l’échelle de l’Europe, la jurisprudence est plus nuancée, et certaines décisions admettent la brevetabilité de la seconde application thérapeutique d’une substance connue. Cela peut avoir une incidence sur la stratégie de dépôt.