L’identification de l’auteur de la demande de brevet
Pour obtenir un brevet, la demande doit satisfaire à certaines modalités. C’est le respect de ces modalités qui conduira à un examen de la demande, et éventuellement à la publication et à la délivrance du brevet.
La demande de brevet peut être déposée auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) à Paris ou dans l’un de ses centres régionaux. Il est possible également de la déposer devant l’Office européen des brevets (OEB)en visant explicitement la France, ou encore auprès de l’Organisme mondial de la propriété intellectuelle (OMPI) si la demande est internationale.
Dans les modalités de la demande du brevet, il y a deux aspects importants :
- Propriété industrielle
- La propriété industrielle : définition, législation applicable…
- Le brevet d’invention : définition, condition de brevetabilité, durée
- N’est pas brevetable l’invention contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs
- La non brevetabilité des méthodes chirurgicales, thérapeutiques, de diagnostic
- N’est pas brevetable : corps humain, variété végétale, race animale…
- L’appréciation de la nouveauté en droit des brevets
- · L’identification de l’auteur de la demande (étudié dans ce chapitre) ;
- · Les modalités de présentation de la demande (étudié dans un autre chapitre).
Le dépôt peut être fait personnellement par le demandeur, ou par un mandataire qui doit avoir son domicile, son siège social ou un établissement en France. Le mandataire qui est choisi doit avoir la qualité de conseil en propriété industrielle. Par exception, la représentation peut être confiée soit à un avocat, soit à une entité publique ou privée à laquelle le demandeur est contractuellement lié, soit à une organisation professionnelle spécialisée.
En pratique, dans la grande majorité des cas, le déposant n’est pas l’inventeur. Cela s’explique par le fait qu’une très grande partie des inventions brevetées sont mises au point par des salariés. Dans certains cas, l’invention sera même réalisée par un stagiaire. Dans ces hypothèses très nombreuses, se pose la question de savoir quels sont les droits des employeurs ou du maître de stage sur les inventions brevetables de leur salarié ou stagiaire.
- Les inventions de salariés
Le principe est énoncé par l’article L.611-6 du Code de la propriété intellectuelleselon lequel : « le droit au brevet appartient à l’inventeur ou à son ayant-cause ». Immédiatement, le législateur, à l’article L.611-7 du Code de la propriété intellectuelle,pose un régime particulier pour régler le sort des inventions de salariés.
Cet article distingue deux catégories d’inventions, qui obéiront à des régimes distincts :
- Les inventions de mission (1) ;
- Les inventions hors mission (2).
- Les inventions de mission
Les inventions de mission sont des inventions réalisées par le salarié dans l’exécution soit d’un contrat de travail comportant une mission inventive, soitdans le cadre de recherches ou d’études qui lui sont explicitement confiées. Il s’agira, selon le cas, d’inventions de mission permanente (Exemple : le personnel affecté à un service de recherche et de développement), ou bien d’inventions de missions occasionnelles (Exemple :une activité est confiée à un salarié de façon ponctuelle pour développer un produit déterminé). Dans tous les cas, il faut qu’il y ait un rapport effectif entre la mission confiée au salarié et les fonctions qu’il exerce effectivement
Les inventions de mission appartiennent de facto à l’employeur. C’est une affectation qui est automatique, qui n’est pas à revendiquer et qui n’est subordonnée à aucune condition. Dans cette hypothèse, le salarié ne dispose d’aucun droit sur l’invention qu’il a mise au point. La propriété de cette invention lui échappe alors totalement. Néanmoins, le Code de la propriété intellectuelle prévoit qu’en contrepartie de l’invention qu’il a réalisée, le salarié peut prétendre à une « rémunération supplémentaire ». Les modalités de cette rémunération peuvent être définies par une convention collective ou par un accord d’entreprise. Dans l’hypothèse où la convention collective ou l’accord d’entreprise ne prévoient rien, il est possible d’envisager les modalités de cette rémunération au sein du contrat individuel de travail. Cela signifie qu’il faut anticiper cette question au moment de l’embauche ou par voie d’avenant. Si cette précaution n’a pas été prise, les parties sont invitées à se mettre d’accord sur la détermination du montant d’une rémunération supplémentaire au profit du salarié. A défaut d’accord, les parties peuvent saisir la Commission nationale des inventions de salariés (CNIS), qui est instituée spécialement pour régler ces questions et qui proposera un montant aux parties. Si ce montant ne satisfait pas l’une ou chacune des parties, ces dernières peuvent saisir le Tribunal de grande instance qui fixera le montant.
Le Code de la propriété intellectuelle ne fixe aucun critère permettant d’évaluer le montant de la rémunération supplémentaire. Or, les modalités d’évaluation peuvent être assez variables. On pourrait imaginer de fixer une rémunération qui tienne compte des potentialités économiques de l’invention. On pourrait aussi se limiter à une interprétation littérale du texte qui fait référence à une « rémunération supplémentaire ». Cela signifie que c’est un plus par rapport à la rémunération perçue par le salarié. La rémunération supplémentaire serait une forme de prime correspondant à une partie de la rémunération annuelle. Le législateur n’a rien prévu, et il faut donc être vigilant. Les variations peuvent être importantes quand on va devant le juge.
Exemple :Cour de cassation, 21 novembre 2000 : la Haute juridiction a approuvé les juges du fond d’avoir alloué à l’inventeur salarié une rémunération supplémentaire de 4 millions de francs. Ce montant est énorme, car l’on est sur le contentieux d’une société dans un domaine pharmaceutique où il y avait eu des retombées économiques (test de diagnostic du cancer de l’utérus, 1,5% du chiffre d’affaires réalisé grâce à l’exploitation de ce produit). La Cour de cassation approuve l’idée que l’on puisse tenir compte des retombées économiques de l’exploitation de l’invention. Pour autant, ce n’est pas le sens de la majorité des décisions rendues dans ce domaine où les sommes sont plutôt modestes. Tout est prévu en amont par des accords d’entreprise. Ce sont alors des primes à l’unité par invention réalisée. Cela tourne autour de 500€ pour une première invention, 1000€ pour une seconde invention. En fin d’année, il y a une cérémonie avec remise officielle du prix. Cela participe d’une reconnaissance hiérarchique du travail organisé.
Dans le secteur public, il y a un Décret du 26 septembre 2005qui prévoit très précisément les modalités de calcul de la rémunération supplémentaire. L’inventeur salarié peut prétendre à une prime d’intéressement calculée pour chaque invention, sur une base constituée du produit hors taxe des revenus perçus chaque année au titre de l’invention par la personne publique, après déduction de la totalité des frais directs supportés par celle-ci pendant l’année en cours et pendant les années antérieures, si elles n’ont pas pu être totalement amorties faute de revenu suffisant, et affectée d’un coefficient représentant la contribution à l’invention de l’agent concerné.
La prime due à chaque agent correspond, charges comprises, à 50% de cette base dans la limite du traitement brut annuel, et au-delà de ce montant, à 25% de cette base. Tant que les frais ne sont pas amortis, l’inventeur n’a le droit à rien. En fonction de la contribution de l’inventeur, on part d’une portion de la base (Exemple : 2/3). Ensuite, l’inventeur a le droit à 50% de cette somme, dans la limite du traitement brut annuel et,au-delà, à 25% de la base.
- Les inventions hors mission
Au sein des inventions hors mission, on distingue deux sous-catégories d’inventions :
- Les inventions hors mission attribuables(a) ;
- Les inventions hors mission non-attribuables (b).
- Les inventions hors mission attribuables
Les inventions hors mission attribuables correspondent à différents cas de figures prévus par le Code de la propriété intellectuelle, à savoir :
- Les inventions qui sont faites dans le cours de l’exécution de la mission ;
- Les inventions effectuées dans le domaine des activités de l’entreprise ;
- Les inventions faites par la connaissance ou l’utilisation de techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise ou encore de données procurées par cette dernière.
Avec cette catégorie, on se situe en périphérie de la mission du salarié. L’invention n’est pas le résultat d’une commande de l’entreprise mais pour autant elle a des liens avec l’activité de l’entreprise.
La jurisprudence se montre relativement favorable au salarié quand elle doit trancher un désaccord touchant la qualification de l’invention. Elle a donc considéré que l’invention d’un employé peut être qualifiée de hors mission attribuable malgré la clause du contrat de travail lui interdisant d’utiliser, hors service, les moyens et les connaissances de l’entreprise.
Le salarié et l’employeur peuvent trouver un accord en-dehors des prescriptions légales par lequel l’employeur renoncerait au droit d’attribution que fait naître la qualification d’invention de mission. En effet, en principe, et selon les prescriptions légales, l’employeur a, sur une invention hors mission attribuable, un droit d’attribution. Cela signifie que l’employeur a la faculté de se prévaloir du droit de brevet sur cette invention.
L’effet attributif n’est pas automatique et il peut être exercé selon des modalités variables. L’employeur peut demander une attribution complète du brevet ou seulement d’une fraction du droit de propriété (copropriété) ou alors d’un simple droit de jouissance par le biais d’une licence d’exploitation.
La loi prévoit au profit du salarié une contrepartie financière appelée un juste prix. C’est une contrepartie qui, comme son nom l’indique, correspond à un équivalent de l’apport du salarié. Le législateur fournit des critères propres à faciliter le calcul de cette contrepartie. Il invite les parties à tenir compte d’une part de la part contributive du salarié et de l’employeur dans la création de l’invention, etd’autre part, des retombées économiques liées à l’exploitation de l’invention. Sur ces bases, les parties doivent trouver un accord. A défaut d’accord, elles peuvent saisir la Commission Nationale de Inventions de Salariés (CNIS). Si la proposition faite par la CNIS ne les met pas d’accord, il faudra saisir le Tribunal de grande instance.
Exemple :le Post-it© est le résultat d’une invention hors mission attribuable appartenant à l’entreprise 3M. Deux salariés ont eu pour mission de fabriquer une colle molle très résistante. Ce produit est un échec. Ils se sont aperçus que cette colle pouvait se coller et se décoller sans altérer le papier. Le brevet a duré 20 ans et est tombé dans le domaine public en 2000. Cette invention est hors mission, puisque ce n’est pas une commande de l’entreprise.
- Les inventions hors mission non-attribuables
Les inventions hors missions non attribuables sonttoutes les inventions dont l’employeur ne peut prouver qu’elles entrent dans l’une ou l’autre des deux catégories. Dans cette hypothèse, l’inventeur conserve la pleine propriété de l’invention qu’il a mise au point. Il procèdera au dépôt du brevet et pourra l’exploiter librement.
Il y a peu de contentieux qui mettent en jeu cette dernière qualification. L’essentiel du contentieux porte sur la distinction entre l’invention de mission et l’invention hors mission attribuable.
L’intérêt de l’inventeur n’est pas toujours d’aller vers une qualification hors mission attribuable. En effet, on ne peut pas être systématiquement certain de l’exploitation commerciale et des retombées économiques qui résulteront de l’invention hors mission.
Comment fixer le juste prix, la contrepartie financière ?
Il s’agit alors de partager entre les deux le bénéfice réalisé par l’entreprise. L’idée serait alors de dégager un pourcentage du chiffre d’affaires futur soit sur la durée de vie du brevet, soit sur la durée de vie de la technologie. Chaque année, l’inventeur a le droit à un pourcentage (3% à 5%). On part alors sur un versement futur. C’est une forme d’intéressement du salarié à l’exploitation commerciale réelle de l’entreprise. En plus, on peut prévoir une somme forfaitaire versée une seule fois lors du dépôt du brevet.
- Les inventions réalisées par les stagiaires
Les stagiaires au sein d’une entreprise privée ne sont pas des salariés de cette entreprise. De la même manière, les stagiaires qui accomplissent un stage dans une entreprise publique ne sont pas des agents de la fonction publique. Par conséquent, le régime juridique applicable aux salariés ou aux fonctionnaires ne saurait s’appliquer aux stagiaires.
En ce domaine, le principe est que les inventions réalisées par les stagiaires leurs appartiennent. Ils peuvent donc revendiquer le droit de propriété industrielle découlant du brevet,et ce même si l’invention a été réalisée au cours du stage et sur les instructions du maître de stage.
Il est important de signer avec les stagiaires une convention de stage sur laquelle on inclut une clause réglant le sort des inventions réalisées par le stagiaire. En pratique, les conventions de stage incluent des clauses par lesquelles le stagiaire renonce par avance à sa qualité de propriétaire des inventions qu’il crée et qu’il cède ses droits à l’organisme dans lequel il effectue son stage. On a ici une clause par laquelle le stagiaire renonce à un droit qu’il n’a pas encore acquis, et cela n’est pas possible selon le droit des obligations.