L’autorité et la supériorité de la Constitution

L’autorité et la supériorité de la Constitution

La hiérarchie des normes, théorisée par Kelsen, place la Constitution au sommet, au-dessus des lois et actes administratifs. Elle assure l’autorité suprême de la Constitution grâce au contrôle de conformité. En France, malgré des réticences historiques liées à la démocratie, le contrôle constitutionnel a émergé en 1958 et s’est concrétisé en 1971. Il garantit la légalité des lois tout en posant des défis démocratiques et juridiques.

A- Théorie de la hiérarchie des normes

La théorie de la hiérarchie des normes élaborée par Hans Kelsen reste un pilier fondamental du droit moderne. Elle est représentée sous la forme d’une pyramide qui illustre la relation entre les différentes normes juridiques dans un ordre juridique donné. En France, cette hiérarchie a évolué pour intégrer des éléments liés à la constitutionnalité, au droit international, et au droit européen. Voici une présentation actualisée :

La pyramide des normes en France

  1. Constitution au sommet La Constitution française (1958) et le bloc de constitutionnalité occupent le sommet de la pyramide. Ce bloc inclut :

    • La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) ;
    • Le Préambule de la Constitution de 1946 ;
    • La Charte de l’environnement (2004) ;
    • Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR).

    La Constitution fixe les règles fondamentales du fonctionnement de l’État et encadre la production des autres normes juridiques. En France, elle est considérée comme supérieure à toutes les autres normes internes.

  2. Les lois ordinaires et organiques

    • Les lois organiques, qui précisent les modalités d’application de la Constitution (par exemple, sur le fonctionnement des institutions).
    • Les lois ordinaires, votées par le Parlement, qui doivent respecter les règles fixées par la Constitution et les normes internationales.

    En France, les lois organiques bénéficient d’un contrôle obligatoire de constitutionnalité avant leur promulgation, ce qui les distingue des lois ordinaires.

  3. Les actes réglementaires et administratifs Les actes administratifs (décrets, arrêtés, circulaires) sont au bas de la pyramide. Ils détaillent et mettent en œuvre les dispositions prévues par les lois. Ces actes doivent impérativement respecter les lois, sous peine d’être annulés par le juge administratif.

Le rôle du droit international et européen dans la hiérarchie

1. Droit international et traités

  • En vertu de l’article 55 de la Constitution française, les traités internationaux régulièrement ratifiés ont une valeur supérieure aux lois, mais inférieure à la Constitution.
  • Exemple : La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ou les traités de l’ONU.
  • En cas de conflit entre une loi et un traité, les juridictions françaises (notamment le Conseil d’État et la Cour de cassation) écartent la loi nationale contraire.

2. Droit de l’Union européenne

  • Le droit de l’Union européenne (traités fondateurs, règlements, directives) bénéficie d’une primauté renforcée sur le droit national, y compris sur les lois françaises.
  • Cette supériorité a été reconnue par la jurisprudence de la CJUE et acceptée par la France, bien que la Constitution reste au sommet.
  • Exemples récents : La mise en conformité du droit français avec le règlement général sur la protection des données (RGPD).

Les contrôles de conformité

  1. Contrôle des actes administratifs

    • Les actes administratifs doivent respecter les lois. Le contrôle est assuré par le juge administratif, notamment le Conseil d’État.
    • Si un acte est jugé illégal, il est annulé.
  2. Contrôle des lois par rapport à la Constitution

    • Le Conseil constitutionnel contrôle la conformité des lois à la Constitution. Ce contrôle peut être exercé :
      • A priori, avant la promulgation de la loi (article 61) ;
      • A posteriori, grâce à la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) introduite en 2008 (article 61-1).
  3. Contrôle des lois par rapport aux traités

    • Les juges ordinaires (administratifs et judiciaires) vérifient la conformité des lois aux traités internationaux. Une loi incompatible avec un traité est écartée, mais pas annulée.

Problèmes et débats actuels

1. Constitutionnalité / primauté européenne

  • Les débats récents autour des décisions de la Cour constitutionnelle allemande (2020) et des tribunaux polonais soulignent les tensions entre la souveraineté constitutionnelle nationale et la primauté du droit européen.
  • En France, bien que le Conseil constitutionnel ait confirmé la suprématie de la Constitution, il accepte le principe de compatibilité avec les engagements européens.

2. Révision constitutionnelle et modernisation

  • La question du vote des étrangers aux élections locales ou du mariage pour tous a parfois nécessité des révisions ou des ajustements pour respecter la Constitution tout en intégrant les évolutions sociétales.

3. Droit international et engagements globaux

  • Des engagements internationaux sur des questions environnementales ou humanitaires, comme l’accord de Paris sur le climat, suscitent des interrogations quant à leur application effective au niveau national

B- Le contrôle de constitutionnalité

1. Les auteurs de la violation de la Constitution

a. L’exécutif
L’exécutif peut violer la Constitution par divers actes, souvent sous la forme d’actes administratifs non conformes.

  • Exemple : Une nomination effectuée par le Premier ministre dans une compétence réservée au Président de la République.
    Ces violations sont généralement corrigées par voie judiciaire ou politique. Toutefois, si un membre de l’exécutif enfreint délibérément ses obligations constitutionnelles, la situation peut devenir grave, pouvant aboutir à des sanctions spécifiques, comme la destitution du Président de la République prévue par l’article 68 de la Constitution française.

Par ailleurs, lorsqu’un membre de l’exécutif viole délibérément le principe de séparation des pouvoirs, cela constitue une atteinte grave à l’équilibre institutionnel. La résolution de tels abus repose souvent sur des mécanismes politiques, bien qu’ils puissent également déboucher sur des sanctions légales.

b. Le législatif
Les violations constitutionnelles par le législatif surviennent dans plusieurs situations :

  1. Violation procédurale : Par exemple, une loi adoptée sans respecter les étapes législatives imposées par la Constitution.
  2. Violation substantielle : Une loi contenant des dispositions qui contredisent directement les principes constitutionnels.

Dans ces cas, le contrôle de constitutionnalité est essentiel pour préserver la hiérarchie des normes. Par ailleurs, des blocages institutionnels, tels que le refus systématique de l’Assemblée nationale de voter les propositions de l’exécutif, peuvent également soulever des enjeux constitutionnels. Ces situations peuvent être résolues en France par la dissolution de l’Assemblée nationale, prévue par l’article 12 de la Constitution.

2. Les objections au contrôle de constitutionnalité

  1. La loi, expression de la volonté générale
    Une objection courante repose sur la conception de la loi comme expression directe de la volonté générale. Contrôler la loi reviendrait à contester la décision des citoyens ou de leurs représentants, et donc à nier le principe démocratique.

Réponse : Cette critique néglige le fait que la Constitution elle-même représente également la volonté générale, mais à un niveau supérieur, puisqu’elle fixe les règles fondamentales du jeu démocratique. Le contrôle de constitutionnalité est donc une garantie que les lois respectent ces règles.

  1. La question de l’organe chargé du contrôle
    L’idée selon laquelle le contrôle de constitutionnalité devrait être exercé par ceux qui adoptent les lois (les parlementaires) est problématique. En effet, cela créerait un conflit d’intérêts, car les législateurs ne peuvent être à la fois auteurs et juges de leurs propres textes.

La critique vise également le fait qu’un organe non élu, tel qu’un Conseil constitutionnel, pourrait avoir le pouvoir de censurer des lois votées par des représentants démocratiquement élus, ce qui pourrait être perçu comme une atteinte à la souveraineté populaire.

Réponse : Un organe indépendant, qu’il soit composé de magistrats ou de personnalités qualifiées, garantit l’impartialité du contrôle et empêche que des lois inconstitutionnelles puissent s’appliquer, renforçant ainsi l’État de droit.

 

C- L’exemple de la France

En France, le contrôle de constitutionnalité, bien qu’institué en 1958, n’a véritablement été appliqué qu’en 1971, avec la célèbre décision « Liberté d’association » du Conseil constitutionnel. Cette lente mise en œuvre reflète une tradition juridique et politique française marquée par une certaine méfiance à l’égard des juges et une vision idéalisée de la loi.

Une conception mythique de la loi

Depuis la Révolution française de 1789, la loi est perçue comme l’expression de la volonté générale, incarnant la souveraineté populaire. Selon cette vision, la loi ne peut pas être mauvaise ou injuste, car elle est le produit direct de la démocratie. Par ailleurs, les juges, héritiers des parlements de l’Ancien Régime souvent perçus comme des contre-pouvoirs conservateurs et autoritaires, ont longtemps été considérés avec suspicion.

De ce fait :

  1. Les juges n’ont été reconnus que comme une autorité, et non un pouvoir à part entière.
  2. Leur rôle était strictement limité à l’application de la loi, sans possibilité d’interprétation qui pourrait empiéter sur les prérogatives du législateur.
  3. Toute tentative de contrôle juridictionnel de la loi a été considérée comme une atteinte à la souveraineté du peuple.

Trois tentatives infructueuses de contrôle avant 1958

1. Le projet de Sieyès sous la Révolution française
Emmanuel-Joseph Sieyès, en proposant l’idée d’un jury constitutionnaire, a esquissé une première ébauche de contrôle de constitutionnalité. Selon lui, la Constitution, tout comme la loi, représente la volonté générale, mais en tant que norme supérieure, elle doit primer sur la loi.

Toutefois, cette idée a été rejetée : permettre à un organe spécifique de censurer les lois aurait été perçu comme un contrôle du peuple par le peuple, ce qui paraissait inconcevable dans le contexte révolutionnaire.

2. Le « Sénat conservateur » sous la Constitution de l’an VIII (1799)
La Constitution de l’an VIII (régime napoléonien) prévoyait un mécanisme de contrôle confié à un organe politique : le Sénat conservateur.

  • Sa mission : veiller à la conformité des lois avec la Constitution.
  • Ses limites : il ne pouvait intervenir que sur saisine du gouvernement ou du Tribunat.

Ce dispositif, bien que symbolique, s’est avéré inefficace. Le Sénat, dominé par le pouvoir exécutif, n’a jamais exercé un contrôle réel, se contentant d’être un outil politique au service du régime.

3. Le comité constitutionnel sous la IVème République (1946)
Après la Seconde Guerre mondiale, la nécessité de contrôler les lois s’est renforcée, notamment en raison des dérives législatives qui avaient permis la montée des régimes autoritaires. La Constitution de 1946 instaurait un comité constitutionnel.

  • Composition : des membres élus par les chambres parlementaires, le président de la République et les présidents des deux assemblées (Assemblée nationale et Conseil de la République).
  • Mission : examiner les lois pour signaler les éventuelles violations de la Constitution.

Cependant, ce comité n’avait pas le pouvoir d’annuler une loi inconstitutionnelle. Il ne pouvait qu’alerter les parlementaires pour qu’ils révisent le texte ou, au besoin, la Constitution elle-même. Ce mécanisme n’a jamais été pleinement fonctionnel, en partie à cause de la souplesse excessive des procédures de révision constitutionnelle sous la IVème République.

Une véritable révolution : le Conseil constitutionnel de 1958

Avec la Constitution de la Vème République, un véritable organe de contrôle de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel, a été créé. À l’origine, il était conçu comme un moyen de limiter les excès du législateur, hérités des instabilités des IIIème et IVème Républiques. Son rôle initial était modeste, et son contrôle restait limité à un examen a priori sur saisine restreinte.

Toutefois, la décision de 1971 a marqué un tournant en étendant la portée du contrôle, notamment par l’intégration du bloc de constitutionnalité, comprenant des principes fondamentaux comme ceux énoncés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Depuis, le Conseil constitutionnel est devenu un acteur essentiel de l’État de droit, bien qu’il continue d’évoluer pour répondre aux exigences d’un contrôle adapté aux démocraties modernes, notamment avec l’introduction de la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en 2008.

Isa Germain

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