L’échec du parlementarisme rationalisé en France sous la IVème République
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe se reconstruit et les anciens belligérants redéfinissent leurs régimes politiques. En France, la Constitution de 1946 inaugure la IVe République, tandis qu’en Allemagne, les lois fondamentales de 1949 établissent la République fédérale d’Allemagne (RFA). Ces deux systèmes reposent sur des principes communs :
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- Stabilité gouvernementale et majorité parlementaire : Les deux régimes se construisent sur la reconnaissance de l’importance d’une majorité parlementaire pour garantir un gouvernement stable, en rejetant les faiblesses des régimes précédents. En France, cela signifie un rejet de l’instabilité de la IIIe République, tandis qu’en Allemagne, il s’agit de tourner la page de la République de Weimar.
- Parlementarisme rationalisé : Inspirés par une même volonté de stabiliser l’exécutif, les deux pays adoptent des mécanismes constitutionnels visant à réduire l’instabilité ministérielle. En Allemagne, le parlementarisme rationalisé assure une longévité institutionnelle, tandis qu’en France, malgré les mêmes outils juridiques, la IVe République échoue à atteindre cet objectif.
- La difficile modernisation constitutionnelle en France
Sous la IIIe République, la question de la réforme de l’État devient centrale. L’instabilité ministérielle, le multipartisme, et un légicentrisme excessif rendent l’État vulnérable dans un contexte de guerres et de crises. Ce contexte, perçu comme un frein à l’efficacité gouvernementale, conduit progressivement à la conviction qu’un exécutif fort et stable est essentiel.
La réaction au régime parlementaire absolu se traduit d’abord sous le régime de Vichy, avec une centralisation autoritaire de l’exécutif. La loi du 10 juillet 1940 accorde ainsi au maréchal Pétain les pleins pouvoirs constituants, suspendant le régime républicain. En réaction, la IVe République s’établit en opposition à cet autoritarisme, tout en restant attachée à l’idéal parlementaire.
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En 1945, un référendum est organisé pour déterminer si les Français souhaitent revenir à la IIIe République ou établir un nouveau régime. Par ce premier référendum, ils refusent le retour à la IIIe République, enclenchant un processus constituant qui aboutira à l’adoption de la Constitution de 1946. La IVe République est alors perçue comme une tentative de modernisation institutionnelle, cherchant à renforcer l’exécutif tout en conservant les bases du régime parlementaire. Cependant, elle reste marquée par l’héritage de la tradition parlementaire française.
- Les causes de l’échec
Sous la IVe République, le parlementarisme rationalisé dégénère en régime d’assemblée. Ce système politique, conçu pour réduire l’instabilité gouvernementale, ne parvient pas à s’adapter aux réalités politiques françaises. Le régime est miné par des solutions essentiellement juridiques, tandis que les réalités politiques sont négligées. Les fondateurs de la IVe République n’ont pas pris en compte les constantes de la vie politique française, ce qui explique en partie l’échec de ce parlementarisme rationalisé.
A. Le constat de l’échec : du régime parlementaire au régime d’assemblée
L’échec de la IVe République révèle la transformation d’un régime parlementaire rationalisé en un régime d’assemblée inefficace. Ce constat repose sur deux éléments : un modèle théorique de parlementarisme rationalisé et la réalité de pratiques institutionnelles qui ont failli.
1. Le modèle théorique d’un régime parlementaire rationalisé
La Constitution de 1946 instaure un modèle proche de celui de la IIIe République. Inspiré du parlementarisme britannique, il repose sur un exécutif bicéphale, où le chef de l’État est secondé par un président du Conseil, responsable devant le parlement.
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Structure institutionnelle : L’Assemblée nationale remplace la Chambre des députés, et le Conseil de la République se substitue au Sénat. Le président du Conseil, institutionnalisé, devient la figure centrale de l’exécutif.
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Mécanismes de rationalisation : La Constitution de 1946 introduit des procédures visant à stabiliser le régime, notamment à travers la motion de censure et la question de confiance, qui remplacent l’interpellation parlementaire de la IIIe République. Ces procédures visent à empêcher les crises gouvernementales soudaines.
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Limites des mécanismes juridiques : La rationalisation des techniques parlementaires est avant tout un artifice destiné à compenser l’absence de majorité parlementaire stable. Contrairement au Royaume-Uni, où une majorité claire émerge grâce au bipartisme, la France utilise ces mécanismes dans un contexte multipartite, rendant difficile toute stabilisation réelle.
2. La pratique d’un régime d’assemblée inefficace
Malgré les efforts de rationalisation, la IVe République échoue à garantir un gouvernement stable et efficace.
- Instabilité ministérielle : La durée de vie moyenne d’un gouvernement sous la IVe République est de sept mois, avec 21 cabinets différents entre 1947 et 1958. Les fréquentes motions de censure et changements de majorité engendrent une vacance du pouvoir totale de 256 jours.
- Impuissance face à la guerre d’Algérie : L’incapacité du régime à gérer efficacement le conflit algérien illustre ses faiblesses. L’insurrection du 1er novembre 1954 conduit le ministre de l’Intérieur François Mitterrand à déclarer : « L’Algérie, c’est la France ! ». Cependant, les divisions au sein de l’Assemblée nationale empêchent toute réponse cohérente.
- Politiques contradictoires et divisions politiques : Les gouvernements successifs alternent entre des approches libérales et répressives en Algérie, oscillant entre propositions de cessez-le-feu et d’intensification des opérations militaires. En 1956, Guy Mollet obtient les pouvoirs spéciaux, mais les négociations s’avèrent infructueuses en raison du dialogue de sourds entre le gouvernement français et le FLN.
- Internationalisation de la crise : L’incident de Sakiet-Sidi-Youssef, en février 1958, marque une escalade du conflit, avec la mort de 69 personnes dans un bombardement du village tunisien. La réaction internationale, notamment aux Nations Unies, montre que la France ne contrôle plus la situation.
En conclusion : L’échec de la IVe République est le résultat de la juxtaposition de techniques de parlementarisme rationalisé dans un contexte politique fragmenté et sans majorité claire. Ce régime, conçu pour renforcer l’autorité de l’exécutif, sombre dans l’inefficacité, miné par des divisions internes et l’incapacité à gérer des crises de grande ampleur comme la guerre d’Algérie.
B. Les conséquences de l’échec : l’agonie progressive de la IVe République
La période d’avril à mai 1958 est marquée par une crise politique profonde et une vacance du pouvoir qui accentue les tensions en France et en Algérie, préfigurant l’effondrement de la IVe République.
1. La vacance du pouvoir (de la fin avril à la crise du 13 mai 1958)
Contexte politique
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15 avril 1958 : Le gouvernement de Félix Gaillard est renversé par une motion de censure votée par une alliance paradoxale entre la gauche et la droite de l’Assemblée nationale, mais sans majorité alternative capable de gouverner. Cet épisode illustre l’instabilité chronique de la IVe République, marquée par l’absence d’un soutien majoritaire stable.
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Retour au centre : Après une impasse de 11 jours, René Pleven, ancien ministre sous le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), est chargé de former un gouvernement le 26 avril 1958.
Tensions croissantes en Algérie et à Paris
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Crise en Algérie : Alors que l’instabilité politique se poursuit en métropole, la situation se détériore en Algérie, un territoire en pleine guerre pour l’indépendance.
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Refus de la SFIO (2 mai 1958) : La SFIO, parti socialiste, refuse de participer au gouvernement de Pleven. Guy Mollet, ancien président du Conseil, déclare que le parti n’a « plus aucune place dans aucun gouvernement ».
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Échec de Pleven (8 mai 1958) : Pleven parvient à former un gouvernement le 8 mai, incluant le dissident radical M. Morice, soutenant l’Algérie française. Ce choix entraîne le retrait de Pleven, les radicaux officiels s’opposant à sa présence au sein du gouvernement.
Investiture de Pierre Pflimlin et la crise du 13 mai 1958
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Appel à Pierre Pflimlin : En l’absence de gouvernement stable, le président René Coty se tourne vers Pierre Pflimlin, président du MRP, reconnu pour son autorité et sa politique modérée en Algérie. Il est présenté à l’Assemblée nationale pour investiture le 13 mai 1958, alors qu’un mois de vacance gouvernementale a laissé place aux rumeurs de complots à Paris et à Alger.
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13 mai 1958 : La séance d’investiture de Pflimlin est interrompue par des nouvelles d’Alger, où les forces militaires prennent le contrôle du siège du gouvernement général, marquant une tentative de renversement de l’autorité légale. L’Assemblée, sous la pression de la crise, finit par voter l’investiture de Pflimlin pour éviter un vide politique en métropole.
Trois pouvoirs en tension
Au soir du 13 mai, trois pouvoirs s’opposent :
- Le pouvoir légal à Paris : Celui du gouvernement Pflimlin, investi par l’Assemblée nationale ;
- Le pouvoir militaire à Alger : Les forces armées d’Alger contestent l’autorité du gouvernement de Paris ;
- Le pouvoir moral de De Gaulle : Resté en retrait, le général De Gaulle incarne une figure de stabilité et d’autorité pour une opinion publique de plus en plus favorable à son retour.
Cette crise de mai 1958 voit ainsi émerger une convergence entre l’opinion publique et la figure de De Gaulle, dont le retour sera bientôt au centre des événements, conduisant à la fin de la IVe République et à l’instauration de la Ve République.
2. La seconde quinzaine de mai 1958 : la crise politique qui mène à la fin de la IVème République
La période de mai 1958 est marquée par une profonde crise politique et institutionnelle en France, déclenchée par la situation en Algérie et l’instabilité gouvernementale sous la IVe République. Cette crise aboutira au retour du général de Gaulle et au processus de révision constitutionnelle qui mettra fin à la IVe République.
a) Du 14 au 24 mai 1958 : Un climat insurrectionnel
- Gouvernement Pflimlin : Le 15 mai, alors que le gouvernement de Pierre Pflimlin cherche à stabiliser la situation, le général de Gaulle publie un communiqué affirmant : « qu’il [le peuple] sache que je me tiens prêt à assumer les pouvoirs de la République. » Cette déclaration suscite une vague de spéculations et d’inquiétude quant à un possible coup d’État militaire.
- Actions militaires et intoxication médiatique : En Corse, le 24 mai, une opération militaire est menée dans un contexte où des rumeurs de complots et une campagne de désinformation circulent, rappelant les méthodes de la Résistance.
- Ralliement politique : Le même jour, Guy Mollet, vice-président du Conseil, soutient publiquement le retour de De Gaulle, montrant l’étendue du ralliement à la cause du général dans un climat de quasi-insurrection.
b) Du 24 au 29 mai 1958 : La menace de guerre civile
- Perte de contrôle de l’autorité centrale : Alors que le gouvernement Pflimlin continue officiellement d’exercer le pouvoir à Paris, l’autorité du ministre de l’Intérieur et du ministre de l’Armée s’effondre, ainsi que celle du ministre de l’Algérie, qui ne peut plus se rendre en Algérie.
- Rencontre Pflimlin-De Gaulle : Conscient de l’impasse, Pierre Pflimlin rencontre secrètement De Gaulle à Saint-Cloud dans la nuit du 26 au 27 mai. Le lendemain, De Gaulle publie un communiqué incitant les militaires à suspendre toute opération et conduisant Pflimlin à démissionner le 28 mai.
c) Du 29 mai au 3 juin 1958 : De Gaulle à la tête du gouvernement
- Consultations avec les présidents des Assemblées : Après la démission de Pflimlin, le président René Coty déclare aux parlementaires que si le général De Gaulle n’est pas investi, il rendra son mandat, menaçant ainsi de laisser la présidence vacante.
- Investiture de De Gaulle : Le 1er juin, De Gaulle obtient la confiance de l’Assemblée nationale avec 329 voix pour et 224 contre.
- Demandes législatives de De Gaulle : Dès le 3 juin, De Gaulle propose trois textes législatifs pour obtenir :
- Les pleins pouvoirs en Algérie,
- Des pouvoirs législatifs pour six mois afin de gouverner par ordonnance,
- Le pouvoir de réviser la Constitution, afin de mettre fin à l’instabilité politique par une réforme profonde des institutions.
En conclusion : Le 3 juin 1958, la IVe République subsiste juridiquement, mais le processus de révision constitutionnelle marque politiquement sa fin. Le général De Gaulle prend la tête d’un gouvernement avec un mandat clair pour établir de nouvelles institutions, ouvrant la voie à la Ve République. Cette crise politique de mai 1958 montre les limites des structures de la IVe République, incapables de contenir une crise politique et militaire d’une telle ampleur.