L’ÉTAT FÉDÉRAL

L’État fédéral constitue une des principales formes d’État composé, caractérisée par une répartition des compétences entre un État central (l’État fédéral) et des États fédérés. Ces derniers, bien qu’autonomes dans plusieurs domaines, acceptent de déléguer une partie de leur souveraineté à l’État fédéral. Cela permet une gouvernance partagée tout en respectant les spécificités locales.

 

I) L’ORGANISATION DE L’ÉTAT FÉDÉRAL

La structure de l’État fédéral repose sur une articulation entre deux niveaux étatiques :

  • L’État fédéral, aussi appelé « super-État », qui exerce son autorité sur l’ensemble des citoyens de la fédération.
  • Les États fédérés, qui disposent d’un pouvoir autonome et immédiat sur leurs populations respectives.

Cette coexistence est régie par trois principes fondamentaux, identifiés par le juriste Georges Scelle : superposition, autonomie et participation.

  • Le principe de superposition : La superposition signifie qu’il existe deux systèmes juridiques distincts mais imbriqués dans un État fédéral : Le droit fédéral, applicable sur tout le territoire de la fédération. Les droits des États fédérés, qui s’appliquent uniquement dans leurs limites territoriales respectives.
  • Le principe d’autonomie :  L’autonomie distingue l’État fédéral de l’État unitaire décentralisé. Chaque État fédéré conserve un large degré d’indépendance dans l’exercice de ses compétences.
  • Le principe de participation : La participation garantit que les États fédérés jouent un rôle actif dans la gouvernance fédérale. Ils participent aux décisions nationales par le biais de leurs représentants dans une chambre haute (exemple : le Sénat aux États-Unis, le Bundesrat en Allemagne)

 

A) Le principe de superposition

Deux systèmes juridiques simultanés

Dans une fédération, deux ordres juridiques coexistent et s’appliquent directement aux citoyens :

  • L’ordre fédéral, qui établit les lois applicables à l’ensemble du territoire fédéral.
  • L’ordre des États fédérés, qui régit les matières relevant de leur compétence locale.

Cette superposition est unique au fédéralisme et garantit que les citoyens et les entités locales respectent les normes édictées par les deux niveaux. Par exemple :

  • Aux États-Unis, les citoyens obéissent à la fois aux lois fédérales (par exemple, celles sur les droits civiques) et aux lois locales (comme celles concernant le mariage ou le droit pénal).

Primauté de l’État fédéral

Le principe de superposition consacre la primauté de l’ordre fédéral :

  • Les lois fédérales ont une applicabilité directe, sans besoin d’intermédiaire.
  • En cas de conflit entre une norme fédérale et une norme locale, la loi fédérale prévaut (principe de suprématie).

Exemple :

  • Aux États-Unis, la Cour suprême a imposé l’application des droits civiques dans les États sudistes réfractaires, même si leurs lois locales permettaient la ségrégation.
  • En Allemagne, la Cour constitutionnelle garantit que les lois des Länder respectent la Constitution fédérale.

Une souveraineté internationale centralisée

Dans une fédération, seul l’État fédéral est souverain sur la scène internationale.

  • Il gère la diplomatie, la défense, et la conclusion des traités.
  • Les États fédérés ne peuvent pas agir sur ces sujets, sauf dans des cas spécifiques.

Exemples particuliers :

  • Le Québec, au Canada, dispose d’une délégation internationale pour défendre ses intérêts culturels et linguistiques.
  • Pendant l’époque soviétique, l’Ukraine et la Biélorussie siégeaient à l’ONU en plus de l’Union soviétique, une exception historique justifiée par des accords internationaux.

 

B) Le principe d’autonomie

Une distinction avec l’État unitaire

L’autonomie est le principe fondamental qui distingue un État fédéral d’un État unitaire décentralisé.
Dans une fédération, les États fédérés disposent de compétences exclusives, définies par une répartition claire. L’État fédéral ne peut intervenir dans ces domaines.

Répartition des compétences

La répartition des compétences varie en fonction des fédérations, mais elle repose généralement sur deux approches :

  1. Compétences exclusives de l’État fédéral :

    • Défense, affaires étrangères, monnaie, commerce international.
    • Exemple : La gestion de l’armée relève exclusivement du gouvernement fédéral américain.
  2. Compétences exclusives des États fédérés :

    • Droit civil, droit pénal, éducation, police locale.
    • Exemple : Aux États-Unis, chaque État détermine ses lois sur la peine de mort, le mariage, ou encore l’avortement.
  3. Compétences partagées :

    • Dans certains systèmes comme en Allemagne, certains domaines (ex. : la fiscalité) sont gérés conjointement par l’État fédéral et les Länder.
    • Cela peut engendrer des conflits, mais aussi une collaboration renforcée.

Capacité d’auto-organisation

Chaque État fédéré possède sa propre Constitution, qui fixe ses institutions politiques et ses modes de fonctionnement :

  • Exemple : Aux États-Unis, les gouverneurs sont élus au suffrage universel, et les législatures locales peuvent être monocamérales ou bicamérales, selon les choix des États.
  • En Allemagne, chaque Land a son propre Parlement et son propre Premier ministre (Ministerpräsident).

Variabilité entre les fédérations

La répartition des compétences dépend également de l’histoire de la fédération :

  • Dans les fédérations formées par agrégation (ex. : États-Unis, Suisse), les compétences fédérales sont limitées à celles que les États fédérés ont accepté de déléguer.
  • Dans les fédérations formées par dissociation (ex. : Belgique), l’État fédéral conserve une compétence générale, et les entités fédérées ont des compétences spécifiques.

 

C) Le principe de participation

Représentation des États fédérés au niveau fédéral

Les États fédérés participent activement aux décisions de l’État fédéral par le biais de leurs représentants :

  1. Une chambre parlementaire dédiée :

    • Dans une fédération, les États fédérés sont représentés dans une chambre haute du Parlement.
    • Exemples : Le Sénat aux États-Unis, le Bundesrat en Allemagne.
  2. Rôle des représentants :

    • Ils participent à l’élaboration des lois fédérales.
    • Ils peuvent bloquer des initiatives fédérales si elles empiètent sur les compétences des États fédérés.

Participation à l’élection des institutions fédérales

Les États fédérés jouent un rôle dans l’élection des dirigeants fédéraux :

  • Aux États-Unis, le Président est élu par un système de grands électeurs désignés par les États.
  • En Allemagne, le Bundespräsident (Président fédéral) est élu par une assemblée composée de membres du Bundestag et des Länder.

Révision de la Constitution fédérale

La Constitution fédérale est la charte commune des États fédérés. Sa révision implique leur participation active :

  • Les amendements doivent souvent être approuvés par une majorité qualifiée des États fédérés.
  • Exemple : Aux États-Unis, une révision constitutionnelle nécessite l’accord des trois quarts des législatures des États.

Un équilibre entre unité et diversité

La participation des États fédérés garantit que l’État fédéral ne fonctionne pas de manière unilatérale. Elle permet également de préserver l’identité culturelle et politique des entités fédérées dans des fédérations multinationales comme :

  • La Suisse (avec ses cantons et ses langues nationales).
  • La Belgique (où les Régions et Communautés linguistiques participent à la gestion fédérale).

 

II) LES PARTICULARITÉS CONSTITUTIONNELLES

La structure constitutionnelle des États fédéraux présente des spécificités, notamment en ce qui concerne la coexistence des pouvoirs constituants, l’existence d’un organe de régulation (la Cour suprême) et la participation des États fédérés.

  • Le double pouvoir constituant :  Dans un État fédéral, il existe deux niveaux de pouvoir constituant : Le pouvoir constituant de l’État fédéral, qui établit et modifie la Constitution fédérale. Le pouvoir constituant des États fédérés, qui leur permet d’adopter ou de réviser leurs propres Constitutions.
  • Le rôle de la Cour suprême :  Dans un État fédéral, un organe juridictionnel suprême est essentiel pour régler les conflits entre l’État fédéral et les États fédérés, notamment sur la répartition des compétences. et pour garantir que les lois adoptées par les États fédérés respectent la Constitution fédérale.
  • Une représentation spécifique des États fédérés :  Les États fédérés participent au pouvoir législatif par le biais d’une chambre haute représentant leurs intérêts.

 

A) Le double pouvoir constituant

1. Double pouvoir constituant dans l’État fédéral

Un État fédéral repose sur deux niveaux de pouvoir constituant, chacun ayant des compétences spécifiques :

  • Le pouvoir constituant fédéral, qui établit et modifie la constitution fédérale, fondement de l’organisation et des compétences de l’ensemble de la fédération.
  • Le pouvoir constituant des États membres, qui leur permet de se doter d’une constitution propre, tout en respectant le cadre général fixé par la constitution fédérale.

2. Le pouvoir constituant fédéral : processus complexe et inclusif

Le processus de révision de la constitution fédérale est souvent conçu pour garantir l’adhésion conjointe des citoyens et des États fédérés, assurant un équilibre entre les intérêts locaux et nationaux :

  • Aux États-Unis :
    • Un amendement constitutionnel doit être voté à une majorité des deux tiers dans chacune des deux chambres fédérales (la Chambre des représentants et le Sénat).
    • Le texte doit ensuite être ratifié par les trois quarts des législatures des États fédérés.
    • Ce processus exigeant explique le faible nombre d’amendements à la Constitution américaine (27 depuis 1789). Par exemple, le 27ᵉ amendement, initialement proposé en 1789, n’a été ratifié qu’en 1992.
  • En Suisse :
    • Toute révision constitutionnelle doit être validée par les assemblées fédérales, puis soumise à un référendum.
    • Une double majorité est nécessaire : celle des citoyens suisses et celle des cantons. Ce système assure que les modifications reflètent à la fois la volonté populaire et l’équilibre entre les cantons.

3. Le pouvoir constituant des États fédérés

Chaque État fédéré dispose d’un pouvoir constituant autonome, ce qui lui permet d’élaborer sa propre constitution :

  • Exemple aux États-Unis :
    • Les gouverneurs sont élus au suffrage universel.
    • Les assemblées législatives peuvent être monocamérales ou bicamérales.
    • Les lois sur le mariage, le divorce, les jeux d’argent ou la peine de mort varient considérablement entre les États.

4. Différence avec un État unitaire décentralisé

Dans un État unitaire décentralisé, seul l’État central exerce le pouvoir constituant et définit les compétences des entités décentralisées. En revanche, dans un État fédéral, chaque niveau dispose de son propre pouvoir constituant, ce qui confère une autonomie juridique bien plus importante aux États membres.

 

B) La nécessité d’une Cour suprême

1. Rôle central dans l’État fédéral

Dans une fédération, la coexistence de deux ordres juridiques (fédéral et fédéré) rend indispensable la création d’un organe judiciaire suprême chargé de :

  • Garantir le respect du partage des compétences entre l’État fédéral et les États membres.
  • Vérifier la conformité des lois locales avec la Constitution fédérale, pour éviter toute contradiction avec les normes communes.

2. Arbitrage des compétences

La Cour suprême intervient pour résoudre les conflits liés à la répartition des compétences :

  • Exemple aux États-Unis :
    • La Cour suprême a souvent dû arbitrer des litiges concernant le commerce interétatique, domaine où les compétences fédérales et fédérées se chevauchent.
    • En 1824, l’affaire Gibbons v. Ogden a affirmé la primauté de l’État fédéral sur le commerce interétatique, clarifiant ainsi le rôle des États.

3. Préservation de l’unité fédérale

La Cour suprême veille à ce que les lois adoptées par les États fédérés respectent les principes fondamentaux inscrits dans la Constitution fédérale :

  • Exemple historique :
    • Dans l’arrêt Brown v. Board of Education (1954), la Cour suprême a invalidé les lois des États du Sud imposant la ségrégation raciale, en les déclarant contraires à la Constitution fédérale.

4. Indépendance renforcée

Pour remplir efficacement ses missions, la Cour suprême doit être indépendante :

  • Exemple en Allemagne : La Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) arbitre les conflits entre le gouvernement fédéral et les Länder, tout en garantissant la conformité des lois à la Loi fondamentale.
  • Aux États-Unis, la Cour suprême est une instance clé pour interpréter la Constitution et trancher les litiges fédéraux.

 

C) La nécessité d’une seconde chambre

Dans un État fédéral, le bicamérisme (deux chambres) est souvent considéré comme une nécessité structurelle. Il reflète la dualité caractéristique de ce type d’État, combinant la souveraineté nationale et l’autonomie des États fédérés. Toutefois, la mise en œuvre de ce principe varie selon les systèmes politiques, laissant place à des exceptions comme celle du Canada. Voici une analyse approfondie de cette structure, en examinant ses fondements, ses modalités de représentation et ses variantes.

1. Les raisons du bicamérisme dans un État fédéral

Représentation des citoyens

Un État démocratique repose sur le principe fondamental de la représentation populaire. Chaque citoyen doit pouvoir participer à la prise de décision par l’intermédiaire de représentants élus. Cette représentation est généralement assurée par une chambre basse, souvent appelée chambre des représentants ou assemblée nationale, où les sièges sont répartis proportionnellement à la population.

  • Exemple aux États-Unis : La Chambre des représentants compte un élu par tranche de 400 000 habitants environ. Cette répartition reflète les disparités démographiques entre les États, assurant une représentation égalitaire des citoyens.

Représentation des États fédérés

Outre les citoyens, les États membres de la fédération doivent également être représentés en tant qu’entités politiques autonomes. Cela est essentiel pour garantir leur participation au processus législatif et pour protéger leurs intérêts spécifiques dans le cadre fédéral. Cette fonction est assurée par une chambre haute, souvent appelée Sénat ou chambre des États.

  • Exemple aux États-Unis : Chaque État dispose de deux sénateurs, indépendamment de sa population, assurant une égalité parfaite entre les États au Sénat.

2. Les modalités de représentation dans la chambre haute

Représentation égalitaire

La représentation égalitaire attribue à chaque État un nombre fixe de représentants, quels que soient sa taille ou sa population. Cette solution met l’accent sur l’équité entre les États en tant qu’entités politiques.

  • Exemple aux États-Unis : Chaque État, du plus peuplé comme la Californie au moins peuplé comme le Wyoming, dispose de deux sénateurs. Ce système renforce l’équilibre fédéral mais peut désavantager les citoyens des États les plus peuplés, leur vote ayant moins de poids au Sénat.

Représentation inégalitaire

Dans ce modèle, le nombre de représentants est proportionnel à la population ou à d’autres critères spécifiques des États.

  • Exemple historique : En Union soviétique, les républiques fédérées disposaient d’une représentation inégalitaire au Soviet suprême, basée sur leur population et leur contribution au système soviétique.

3. Les modes de désignation des membres de la chambre haute

Les membres de la chambre des États peuvent être désignés selon plusieurs modalités, reflétant les spécificités des systèmes fédéraux :

Suffrage universel direct

Dans la majorité des fédérations modernes, les sénateurs ou membres de la chambre haute sont élus directement par les citoyens des États membres.

  • Exemple aux États-Unis : Depuis le 17ᵉ amendement (1913), les sénateurs sont élus au suffrage universel direct, renforçant ainsi leur légitimité démocratique.

Élection indirecte ou désignation par les assemblées locales

Dans certains États, les représentants des États fédérés sont élus par leurs parlements locaux ou désignés par leurs gouvernements.

  • Exemple en Suisse : Les membres du Conseil des États (chambre haute) sont désignés selon les modalités fixées par chaque canton, ce qui peut inclure une élection indirecte.

Représentation des gouvernements des États

Dans des cas particuliers, les membres de la chambre haute sont des délégués des gouvernements des États fédérés, représentant directement l’exécutif local.

  • Exemple en Allemagne : Le Bundesrat est composé de membres des gouvernements des Länder, reflétant les majorités politiques locales.

4. Exception au bicamérisme : le cas du Canada

Le Canada constitue une exception notable au principe du bicamérisme représentatif dans les États fédéraux. Bien que le pays dispose d’un Sénat, celui-ci se distingue par plusieurs caractéristiques atypiques :

  • Nomination des membres : Les sénateurs sont nommés par le gouverneur général, sur recommandation du Premier ministre, et non élus.
  • Rôle limité : Le Sénat a des pouvoirs législatifs très restreints et joue principalement un rôle consultatif et honorifique, à l’instar de la Chambre des lords britannique.

Cette situation illustre que le bicamérisme n’est pas une condition absolue, même dans un État fédéral, bien qu’il reste majoritairement adopté.

5. Avantages et limites du bicamérisme dans un État fédéral

Avantages :

  • Équilibre entre citoyens et États : Le bicamérisme garantit une représentation duale, évitant que les petits États soient marginalisés par les plus grands.
  • Stabilité institutionnelle : En représentant les États fédérés, la chambre haute joue un rôle modérateur et préserve l’unité fédérale.

Limites :

  • Complexité institutionnelle : La coexistence de deux chambres peut ralentir le processus législatif.
  • Tensions entre représentation égalitaire et démocratique : La surreprésentation des petits États dans la chambre haute peut être perçue comme une atteinte à l’égalité démocratique.
Isa Germain

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