L’éviction de la loi étrangère (fraude à la loi, ordre public international)

L’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE. 

 Cela suppose que la loi a été désignée, qu’elle s’applique , son contenu a été prouvée. La règle de conflit a joué normalement et a joué son rôle de répartition et de désignation de la loi. 

 Mais il se peut  que l’application de loi étrangère désignée va parfois être écartée, ce qui va empêcher l’aboutissement normal du mécanisme conflictuel. Ici il s’agit de 2 mécanismes qui vont conduire à évincer la loi étrangère pour lui substituer la loi du for. Et par l’expression « éviction » on veut souligner par là le caractère exceptionnel de ces 2 mécanismes car on écarte une loi qui est en principe applicable. Ces mécanismes s’écartent du renvoi où la loi étrangère ne se veut pas applicable dans ce cas. 

 

Section 1 : L’ordre public international. 

 La désignation et l’application d’une loi étrangère , c’est ce qu’un auteur allemand appelle un « véritable saut dans l’inconnu ». Le « saut » comporte certains risques qui vont se révéler lorsque l’application du droit étranger notamment heurte certaines conceptions fondamentales du droit français. Or , il est vrai que la loi étrangère adopte parfois une solution choquante pour nous à tel point qu’il nous paraît difficile d’appliquer cette solution. Le Droit International Privé il est vrai accepte des solutions différentes mais il y a des limites. Donc la chose va se présenter en 3 étapes : Le juge va désigner la loi compétente , il constate ensuite que la solution est choquante et il va évincer l’application de cette loi au profit de la loi du for.  

 

Ce jeu d’exception d’ordre public remplit 3 fonctions :  

  •    D’abord il permet d’écarter les lois étrangères contraires au droit naturel ( par exemple une loi étrangère qui opèrerait une discrimination raciale, sexuelle). 
  •  Ensuite , assurer la défense de certains de nos principes qui sans être universels comme le droit naturel, constituent les fondements politiques, sociaux de la société française.(il s’agit par exemple du principe de monogamie, de laïcité) 
  •  Enfin, assurer la sauvegarde de certaines politiques législatives. 

 

Il fait dire que l’éviction de la loi étrangère doit demeurer exceptionnelle (c’est pourquoi on parle d’exception d’ordre public).

 

A/ Conditions d’application de l’exception d’ordre public. 

  Il y en a 3 donc le juge doit porter son examen dans 3 directions. 

 

 1) La considération de la loi étrangère   

  Cette 1ere condition signifie qu’il faut partir de la loi étrangère et non pas de la loi du for ou décider que cette loi du for s’applique au nom de l’ordre public. Cette précision est important car permet de faire la différence entre le jeu de l’ordre public et les mécanismes de lois de police. Les lois de police s’appliquent de façon immédiate sans faire jouer la règle de conflit et on dit que les lois de police énoncent la règle de conflit elle-même ( car elles ne passent pas par le raisonnement conflictuel). 

 Donc le raisonnement est complètement différent puisque lorsqu’on fait jouer l’ordre public , on a déjà mis en œuvre la règle de conflit de lois ( on ne l’a pas écartée) et ce n’est qu’une fois désignée (la loi étrangère) que l’on s’aperçoit qu’elle est choquante, à ce moment là on fait jouer l’ordre public. Donc l’exception d’ordre public intervient beaucoup plus tard que dans les lois de police. 

 Enfin , il y a une distinction car certaines décisions ont entretenu la confusion en utilisant l’expression de « lois d’ordre public » pour désigner des lois de police. 

 Les 2 mécanismes n’ont pas non plus le même fondement : la loi de police ne prend en considération que la loi française alors que le jeu de l’ordre public est beaucoup plus respectueux de la diversité car on a laissé à la loi étrangère une chance de s’appliquer. 

 

2) La considération des circonstances concrètes de l’application de la loi étrangère 

  Cela signifie que ce n’est pas la loi étrangère en elle-même c’est à dire abstraitement qui est choquante, mais c’est son application concrète au litige  qui va être considérée comme choquante. 

 Par exemple, la répudiation ou la polygamie : ceci ne va pas nécessairement choquer car beaucoup de droits , s’ils permettent la répudiation , donne des garanties à l’épouse et par exemple lui attribue l’équivalent de la pension alimentaire. 

 Ex : L’affaire « Patino »  concerne un divorce et la loi normalement compétente était la loi bolivienne qui ne connaissait le divorce comme mode de relâchement du lien conjugal mais elle posait comme condition que la loi du lieu de célébration du mariage admette aussi le divorce. 

 Donc apparemment rien de choquant. Mais l’application de la loi bolivienne conduisait  à interroger la loi du lieu de célébration , en l’occurrence la loi espagnole or cette loi interdisait le divorce . Du coup , l’application de la loi bolivienne conduisait en l’espèce à empêcher tout relâchement du lien conjugal. Dans ce cas alors, cela est choquant. 

 

3) La référence à l’ordre juridique du for. 

  On parle à ce propos de la conception française de l’ordre public international pour montrer que le point  de référence c’est la loi du for. C’est donc un ordre public qui n’est pas véritablement international. 

 Il n’empêche qu’il faut distinguer l’ordre public interne de l’ordre public international. Dans l’ordre interne les lois d’ordre public sont impératives et donc s’imposent ( donc ne supportent pas de conventions contraires). Par analogie on pourrait dire qu’en Droit International privé , l’ordre public consisterait à ne pas supporter de loi étrangère différente du droit français. Or on s’aperçoit que les lois d’ordre public en droit interne par exemple en droit des personnes , n’empêche pas en Droit International privé l’application de lois étrangères différentes. Donc pas de correspondance entre ordre public interne  et ordre public international et dans la plupart des cas , l’application d’une loi étrangère ne porte pas atteinte à l’ordre public interne. Parfois , l’ordre juridique de référence peut être international  mais en même temps ce n’est pas là non plus véritablement international , dans la mesure où les principes ont été intégrés à l’odre juridique français. Notamment les principes contenus dans la Convention européenne des droits de l’homme car ces 10 dernières années, la cour de cassation a  assez souvent fait référence à cette convention pour décider qu’une loi étrangère est contraire à l’ordre public international. 

 Enfin, l’ordre juridique de référence ne peut pas être un droit étranger car cela pourrait conduire à l’éviction de la loi du for. 

 

B/ La relativité de l’ordre public. 

  1)   La relativité temporelle. 

   Elle est encore exprimée sous le principe de « l’actualité de l’ordre public ». cela signifie que la conception de l’ordre public va varier selon les époques. On a souvent parlé d’ordre public « caoutchouc » ou « chewing-gum »  pour illustrer ce caractère variable de l’ordre public. 

 On va donc apprécier la contrariété de la loi étrangère à l’ordre public au moment au moment où le juge statue.  Donc le juge va statuer à un moment donné par rapport à ses conceptions actuelles. 

 

2) La relativité temporelle et spatiale de l’ordre public : effet atténué de l’ordre public. 

             Cet effet atténué consiste à dire que l’ordre public peut ne pas s’opposer à l’effet en France de situations créées à l’étranger alors qu’il s’opposerait  à la création de ces situations  en France. 

 Donc non seulement il y a le facteur temps qui joue, mais en plus on va faire la différence dans les cas où la situation a déjà été créée dans le passé et la situation qui va être créée , et on va distinguer selon le lieu de création de la situation. 

Et cet effet atténué est consacré par l’arrêt RIVIERE de 1953 dans l’un de ses attendus :  

 «  la réaction à  l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public n’est pas la même suivant qu’elle met obstacle à l’acquisition d’un droit en France ou suivant qu’il s’agit de laisser produire en France les effets d’un droit acquis, sans fraude , à l’étranger et en conformité de la loi ayant compétence en vertu du Droit International privé français. » 

 Il s’agit d’un droit acquis sans fraude (1ere condition) , à l’étranger (2e condition) et en conformité par rapport à la loi applicable selon le droit français ( 3e condition). 

 Dans cet arrêt RIVIERE : femme russe émigrée en France qui avait  épousé un autre Russe et ils vont s’installer en équateur. Ils font prononcer leur divorce par consentement mutuel . Chacun se remarie de son côté et l’ex-épouse avec M. Rivière et peu de temps après elle assigne ce-dernier en divorce devant les juridictions françaises. Pour échapper à une pension alimentaire, M.Rivière prétend que le premier divorce ne peut pas être reconnu en France : parce qu’ils avaient divorcé par consentement mutuel alors que le droit français ne connaissait à l’époque que le divorce pour faute. En l’occurrence, la règle de conflit désignait la loi équatorienne qui autorisait le type de divorce par consentement mutuel et M.Rivière veut montrer que la loi équatorienne est contraire à l’ordre public français.  

 La cour de cassation a donc répondu (cf supra). 

             Cet effet atténué , on en trouve des applications par  exemple en matière de polygamie : on ne pourrait célébrer en France un mariage polygamique , en revanche on ne s’oppose pas à la reconnaissance en France de certains effets d’un mariage polygamique célébré à l’étranger . 

 Ou encore en matière de répudiation. 

 La cour de cassation a déjà accepté par exemple que la 2eme épouse obtienne une pension alimentaire (lorsque le mariage polygamique est interdit en France). 

 

 3)   Relativité personnelle : la proximité de la situation avec le for (= l’ordre public de proximité ou Inlandbeziehung). 

    Jusqu’ici comme on l’a vu , on n’avait que le facteur espace et temps , or cette appréciation espace-temps a perdu aujourd’hui de sa pertinence , du fait qu’il est facile de se déplacer . 

 De ce fait , il est facile pour des immigrés en France de retourner un week-end dans leur pays pour répudier leur femme par exemple . Donc les facteurs temporel et spatial ne suffisent plus à attester de l’éloignement de la situation avec le for. L’ordre public atténué reposait sur l’éloignement de la situation avec le for. Aujourd’hui il y a des situations qui ont l ‘apparence de l’éloignement alors qu’elles ne sont pas du tout éloignées du for. Et cette proximité avec le for s’apprécie en fonction de considérations personnelles et depuis que l’on a découvert cet ordre public de proximité , 2 critères permettent d’apprécier cette proximité :  

 soit la nationalité française de l’une des parties , soit sa résidence en France. 

 Donc par ces critères une personne va présenter une attache forte à la France , ce qui va constituer une limite à l’effet atténué de l’ordre public. 

 Pour la première fois abordé : 1er avril 1981 , de itturalde de pedro : divorce qui opposait une femme française à son mari espagnol et l’application de l’article 310 code civ. conduisait à l’application de la loi espagnole qui à l’époque encore interdisait le divorce. Donc on se retrouve dans l’hypothèse où une femme française est empêchée de divorcer alors qu’elle habite en France et que le droit fançais est devenu plus libéral en matière de divorce. Ici la cour de cassation a estimé que la conception française actuelle de l’ordre public international , impose la faculté pour une Française domiciliée en France de demander le divorce. Donc elle a écarté la loi espagnole. La nouveauté est cette référence à une Française domiciliée en France. 

 Un arrêt du 10 février 1993 a estimé qu’un enfant français ou résidant habituellement en France doit pouvoir établir sa filiation . 

 Ensuite , en matière de polygamie : 6 juillet 1988, Baaziz : polygamie passive lorsqu’une personne dont le droit national  est un droit monogame et qui se marie avec un Marocain célibataire en France . Quelques  années  plus tard le mari va au Maroc et en profite pour se marier avec une Marocaine . Ici on a estimé que le mariage polygamique qui était pourtant valable en vertu de l’effet atténué de l’ordre public, ne pouvait pas produire d’effets à l’encontre d’une Française . C’est alors une illustration de l’ordre public de proximité. 

 

 C/ Les effets de l’ordre public. 

  1)    Effet général ( effet plein ) : substitution de la loi française à la loi étrangère compétente 

  Cela signifie que l’on va remplacer la loi étrangère compétente par la loi française. 

 La 1ere conséquence est l’éviction de la loi étrangère . On dit à ce moment là que l’ordre public joue dans son effet plein. Cette éviction va être menée jusqu’au bout et on va tirer toutes les conséquences de cette éviction . Tout d’abord ce n’est pas forcément tout le droit étranger que l’on écarte mais seulement la disposition choquante. 

 Ensuite , au-delà de ce fait que l’on  n’écarte  que les dispositions choquantes, si l’éviction entraîne des conséquences logiques de la solution concrète on va tirer ces conséquences . 

 Ex : dans l’affaire PATINO. 

 

 2)    Effet atténué ( cf supra)  

 

 3)    Effet réflexe. 

  On a vu qu’on ne tient pas compte de l’ordre public étranger, l’exception est l’ordre public réflexe = C’est lorsqu’il y a concordance entre l’ordre public étranger et le notre, et où il s’agit de reconnaître en France la décision d’un juge étranger et on suppose que ce juge étranger a écarté la loi étrangère applicable comme étant contraire à l’ordre public . Et s’il y a assimilation , on va accepter cette situation , de reconnaître la décision. 

 Ex : 2 Polonais de religions différentes s’étaient mariés en Belgique alors que leur loi nationale interdisait le mariage de 2 personnes de religions différentes. Les autorités belges ont écarté la loi polonaise comme contraire à l’ordre public car estiment que la loi est discriminatoire.  

  Section 2 : la fraude à la loi. 

              Ici ce n’est pas un cas où la loi est choquante, donc fondement différent.

  Un exemple célèbre : 18 mars 1978, Princesse de Bauffremont.

  Il s’agissait des époux de Bauffremont qui étaient mariés à une époque où le divorce était interdit en France. Et cela ne convenait pas à la princesse de Bauffremont, et elle s’est rendue en Allemagne où elle a pu obtenir allemande et elle a donc pu obtenir le divorce. Une fois le divorce obtenu elle en profite pour épouser un autre prince  et le prince de Bauffremont , mécontent , intente une action pour faire annuler la nationalisation de la princesse et annuler le second mariage. Les tribunaux ont accueilli cette demande de fraude à la loi car ils ont estimé qu’il y avait eu manipulation du facteur de rattachement pour que la princesse puisse divorcer.

             A/ Constitution de la fraude. 

  La fraude, c’est l’utilisation volontaire d’une règle de conflit dans le but d’échapper à l’application d’une loi. 3 éléments sont nécessaires :

  •     Un élément matériel qui est en fait le moyen de la fraude. Ce moyen consiste à se placer sous l’empire de la loi étrangère qui permet ce que la loi française ne permet pas. Et on peut se placer sous l’empire de la loi étrangère par exemple, en modifiant l’élément de rattachement.
  •     Un élément légal : c’est l’impératif auquel on veut échapper. Et cet élément existe puisque la personne veut se soustraire soit à l’obligation, soit à une interdiction de la loi initialement compétente. Ex : échapper à l’interdiction du divorce.
  •     L’élément intentionnel : la volonté de se servir du droit dans un seul but (but exclusif). Par exemple, le fait de changer de nationalité dans le seul but d’échapper à la loi française interdisant le divorce.

 

            B/ Sanction de la fraude. 

  La sanction traditionnelle de la fraude, c’est l’inopposabilité de la situation (pas la nullité).

 

 Depuis quelques années en matière de mariage, l’article 190-1 code civ. dit que le mariage célébré en fraude à la loi peut être annulé sous certaines conditions . Donc ici la sanction c’est bien la nullité. Le but était de lutter contre les « mariages blancs ».

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