L’évolution du fondement de la responsabilité civile

L’ARTICULATION DES DIFFÉRENTS FONDEMENTS DE LA RESPONSABILITÉ

  • 1 – La typologie des mécanismes évolutifs du droit

A – Le changement « linéaire »

Il a lieu par petites touches successives, il se fait en douceur et est parfois étalé sur un temps long sans véritable conscience du changement d’ensemble.

B – Le changement par exception

Il permet de garder le principe intact et de faire évoluer le droit par dérogation à ce principe, exemple: pendant longtemps le principe était celui d’une responsabilité pour faute et les cas de responsabilité sans faute étaient des exceptions. L’inconvénient de ce type de changement est que lorsque les exceptions se multiplient trop, le maintien du principe devient artificiel.

C – Le changement pendulaire ou par réaction

Il fait basculer d’un pôle à un pôle inverse. La résistance du premier pôle et le risque du retour du balancier sont les dangers de ce changement.

D – Le changement par expansion

L’avantage de ce type de changement est que les acquis sont conservés et en même temps l’évolution du droit a lieu. Le fondement de la faute conserve son domaine et son champ d’application mais on expanse progressivement les fondements en admettant le risque.

E – Le changement de paradigme (Thomas Kuhn)

Il s’agit de changer de cadre de référence. En effet, il arrive un moment dans l’histoire où le cadre de référence ne correspond plus à certaines découvertes (des anomalies), ces anomalies sont au début marginalisées. Lorsqu’elles se multiplient, certains chercheurs vont chercher un nouveau paradigme. Ce nouveau paradigme peut remplacer l’ancien ou l’expanser. Souvent ce n’est qu’après coup que l’on peut qualifier un changement de paradigme.

  • 2 – L’évolution des fondements du droit de la responsabilité

L’évolution du droit de la responsabilité peut se comprendre par changement de paradigmes successifs. Il ne s’agit donc pas de changements radicaux mais de changements englobant non exclusifs de ce qu’il précède. Le changement se produit lorsque le fondement dominant ou paradigme dominant révèle ses limites, ses insuffisances face à l’apparition de nouveaux risques. Dans ce cas, la théorie général de la responsabilité et le droit positif vont alors tenter de s’ajuster aux nouveaux besoins de la société.

1 – En 1804, le fondement mis en avant par les codificateurs est la faute, les quelques cas de responsabilité où la faute est présumée sont exceptionnels par rapport au paradigme dominant. Au fil du XIX siècle, le fondement de la faute s’avère insuffisant car l’exigence d’une faute prouvée aboutie à des solutions injustes dans certains cas où la victime est laissée sans réparation.

2 – Apparition du fondement du risque. Le point de rupture et d’innovation réside dans le fait que la responsabilité fondée sur le risque est une responsabilité sans faute.

3 – Au milieu du XX siècle le fondement de la garantie est proposée par Starck, le point de rupture et d’innovation avec ce qu’il précède réside sur la focalisation de la victime alors que les deux fondements précédents mettent l’accent sur l’auteur. L’avènement des fondements du risque et de la garantie couplé avec le développement de l’assurance souligne un autre point de rupture: le passage de la sphère individuelle à la sphère sociale.

4 – Réfléchir à un nouveau fondement pour la responsabilité c’est tenir compte du tournant majeur dans lequel nous sommes qui se caractérise par 3 points de rupture. Dans le temps: jusqu’alors, la responsabilité juridique s’attachait exclusivement au dommage déjà produit et était donc tournée vers le passé. La réflexion des philosophes nous conduit à nous tourner vers l’avenir et à envisager un caractère prospectif. La responsabilité pourrait devenir aussi un instrument d’évitement des dommages graves et irréversibles. Dans l’espace: nous sommes aujourd’hui confrontés à des risques susceptibles de traverser les frontières, nous allons avoir besoin de penser les risques en termes planétaires. Dans la relation humaine: les précédents fondements de la responsabilité civile étaient conçus pour des contentieux interpersonnels ou encore collectifs entre des acteurs vivants et au présent. Le nouveau fondement à découvrir relit les générations actuelles avec les générations futures, c’est à dire les générations nées et à naitre.