L’exécution du contrat de transport

L’exécution du contrat de transport

Le contrat de transport est un contrat tripartite mais même lorsqu’il avait un caractère purement synallagmatique, il faisait naître des droits et obligations à la charge de l’expéditeur et du transporteur mais aussi à la charge du destinataire. Ces obligations essentielles sont: l’acheminement de l’envoi et le paiement du prix, le tout pour préserver les droits du destinataire à la livraison. D’ailleurs, les plus gros développements concernent l’acheminement de l’envoi.

A) L’acheminement de l’envoi

Il s’agit de l’obligation principale du transporteur qu’il doit assumer du lieu de départ au lieu de destination. Cela suppose différentes phases:

1) La présentation de la marchandise par l’expéditeur

Il s’agit de la première phase, elle déclenche le transport car en l’absence de présentation il ne peut y avoir de transport. Ainsi, le lieu de présentation est le critère de rattachement en droit interne et international.

L’expéditeur est tenu de fournir certains renseignements pour que le transporteur puisse exécuter le contrat. Il doit préciser la nature de la marchandise car cela peut influer sur le type de véhicule (ex: camion citerne). Il doit l’informer sur la valeur de l’objet transporté surtout s’il est précieux, cela est important car en cas de vol il y aura soit faute lourde soit absence totale de responsabilité du transporteur.

Le premier acte matériel est la remise de la marchandise au transporteur. La remise conditionne le contrat de transport, les juges estiment que la non-présentation est une rupture unilatérale du contrat de transport entraînant indemnisation sauf force majeure. D’ailleurs, les contrats types contiennent souvent des clauses pénales pour fixer forfaitairement le montant du préjudice subi en cas de non présentation.

La présentation de la marchandise signifie que l’envoi doit être immédiatement disponible pour le chargement, l’expéditeur n’est pas tenu d’emballer les marchandises car cet emballage n’est imposé que lorsque la nature de la marchandise l’exige. Les tribunaux estiment en effet que l’emballage généralement importe peu puisque ce qui est fondamental est uniquement le fait que la marchandise parvienne en bon état à destination. Lorsque l’emballage est nécessaire, l’expéditeur peut faire appel à un emballeur professionnel mais il s’agira d’un contrat indépendant du contrat de transport.

Les palettes et les conteneurs sont des emballages et ne peuvent donc pas être considérés comme prêtés, loués ou consignés. Lorsqu’ils font l’objet de restitution, ils constitueront un nouveau contrat de transport moyennant rémunération (ex: d’où les tas de palette dans les cours des transporteurs !).

L’expéditeur doit, s’il y a des colis, étiqueter chaque colis, l’étiquette indiquant la nature de la marchandise, le lieu de livraison, l’expéditeur et le destinataire, ceci pour faciliter l’indentification en cas de perte et aussi pour permettre le groupage des contrats de transport.

L’expéditeur doit donc globalement mettre la marchandise en l’état d’être transportée. Il s’agit du corolaire de l’obligation du transporteur de fournir un véhicule adapté.

Présenter la marchandise pour l’expéditeur signifie aussi charger le véhicule, les textes sont clairs: l’expéditeur est tenu de procéder lui-même au chargement même si celui-ci est supérieur à 3 tonnes, juridiquement ce n’est donc pas au conducteur du véhicule de charger et de décharger (s’il le fait quand même et se blesse il ne s’agit donc pas d’un accident de travail). Le transporteur doit seulement présenter le véhicule à l’opération de chargement et n’est même pas tenu d’un devoir de conseil. L’expéditeur peut demander à une entreprise spécialisée en manutention d’effectuer le chargement mais il s’agira d’un contrat indépendant du contrat de transport. D’ailleurs, Cour de cassation 1981 a estimé que la prescription d’un an valable pour le contrat de transport n’est pas applicable au contrat de manutention.

Le chargement doit être effectué dans le délai convenu ou fixé dans le contrat type applicable. Si rien n’est prévu, il s’agit d’un délai raisonnable. Le délai court à compter de la mise à disposition du véhicule. D’ailleurs, l’heure de mise à disposition et l’heure de fin de chargement doivent être reportées sur le bulletin de transport. Ce sera un des éléments pris en compte pour vérifier le prix demandé par rapport au coût global du transport.

L’expéditeur sera responsable des dommages causés à la marchandise lors du chargement puisque l’obligation de charger ne pèse pas sur le transporteur. De même, il sera responsable du dommage survenu en cours de transport mais dû à un défaut du chargement effectué. Si c’est le cas, le transporteur aura 1 an (à compter de la livraison ?) pour agir contre l’expéditeur (qui l’a assigné pour dommage survenu lors du transport). Si le transporteur est blessé à l’occasion du chargement, la responsabilité civile classique s’applique: 30 ans pour agir, l’expéditeur ne pourra opposer le délai d’1 an.

Il arrive qu’un expéditeur doive indemniser un autre expéditeur: en cas de groupage, lorsque le colis d’un expéditeur endommage ou contamine celui d’un autre qui voyageait dans le même véhicule.

2) Les obligations du transporteur quant à l’acheminement

L’obligation essentielle du transporteur est d’acheminer la marchandise à destination, en bon état et à la date prévue. Il est donc garant de la marchandise et de la prise en charge à la livraison. Le transporteur doit donc mettre à la disposition de l’expéditeur un moyen de transport approprié au lieu et à la date convenue.

Si le transporteur ne se présente pas, l’expéditeur doit attendre 2 heures et ensuite peut rechercher un autre transporteur (le délai correspondant au délai de carence laissé au transporteur), il ne s’agit pas d’heures supplémentaires. L’expéditeur pourra assigner le transporteur défaillant pour obtenir des dommages et intérêts.

NB: Si le transporteur prévient de son retard dans les 2 heures, l’expéditeur doit attendre jusqu’à l’heure d’arrivée prévue. Le transporteur qui arrive à destination alors que le destinataire n’est pas là interrogera l’expéditeur qui lui demandera soit de laisser la marchandise, soit de la ramener (il y aura alors un nouveau contrat de transport) soit d’attendre sur place (avec indemnisation).

Le transporteur est tenu de bâcher le véhicule une fois le chargement effectué par l’expéditeur et il doit aussi s’assurer de la sécurité du transport. Le transporteur n’a pas à vérifier le chargement de la marchandise dans le camion mais il doit tout de même vérifier si le chargement ne porte pas atteinte à la sécurité routière (sinon sanction pénale de mise en danger d’autrui). Cour de cassation Crim estime en effet qu’est entièrement responsable le transporteur qui n’émet aucune réserve lors du chargement. Le transporteur a donc tout intérêt à émettre des réserves sur la sécurité du transport quitte à refuser le transport sur ces réserves ne sont pas acceptées par l’expéditeur.

Pour le transporteur, la prise en charge est un acte juridique mais ce n’est qu’un acte d’exécution du contrat qui deviendra le point de départ de la présomption de responsabilité pesant sur le transporteur. Le transporteur ne devient donc responsable qu’à partir de la fin de la prise en charge de la marchandise puisque l’embarquement est de la responsabilité de l’expéditeur. ex: affaire dans laquelle l’expéditeur a été condamné car les produits pyrotechniques avaient explosé sur le quai d’embarquement avant la prise en charge effective et totale de la marchandise.

Le déplacement de la marchandise est l’obligation essentielle du transporteur, il a toute liberté pour choisir l’itinéraire et en cas de contentieux sera seulement vérifié s’il a choisi le chemin le plus direct ou le plus praticable. Les textes (Code de commerce, et Code Civil) prévoient que le document de transport doit fixer le délai: doit être indiquée une estimation de la durée du transport. Aucune sanction n’est prévue en cas d’omission. En l’absence de précision, il faudra donc se référer au délai prévu dans les contrats types et l’usage veut que l’on retienne 400 km par jour ouvrable.

Il arrive qu’en cours de transport l’expéditeur demande au transporteur quelques modifications. C’est interdit pour les contrats synallagmatiques mais le contrat de transport étant un contrat de louage, Article1779 précise que le maître de l’ouvrage peut modifier ou arrêter l’ouvrage à la seule condition d’indemniser l’entrepreneur de ses frais. L’expéditeur peut donc en cours de trajet modifier le lieu de livraison ou demander au transporteur de faire un détour pour récupérer une marchandise destinée au même destinataire. Le transporteur a le droit de refuser pour ne pas contrevenir aux règles de circulation ou de temps de conduite. Tous ces éléments vont être pris en compte lorsqu’un transport est à l’origine d’un accident ayant entraîné la mort ou des blessures involontaires. D’ailleurs, la première application des dispositions sur la mise en danger d’autrui concerne les transports routiers.

3) La livraison de la marchandise

Le destinataire est le créancier de l’obligation d’acheminement de la marchandise. C’est pourquoi il a le droit de réclamer au transporteur l’exécution de son obligation de livraison. Néanmoins, le terme de « livraison » ne recouvre pas la même notion qu’en matière de vente.

  • a) La notion de livraison

L’arrivée de la marchandise à destination vaut livraison en matière de transport, elle vaut en effet exécution du contrat. Il se peut que la livraison coïncide avec la remise de la marchandise au destinataire. En d’autres termes, faut-il une remise juridique (i.e. au lieu convenu) ou une remise effective (i.e. déchargement effectué) ? En pratique, ces deux types de livraison coïncident au lieu où se trouve le destinataire mais la livraison peut durer un certain temps or certains délais courent à compter de la livraison, notamment, le destinataire a 3 jours pour contester en cas d’avarie et donc le délai pour agir ne sera pas le même selon que l’on se réfère à la livraison matérielle ou à la livraison juridique. De même cela influera sur la prescription en matière de responsabilité. La question s’est posée en jurisprudence car les parties agissent souvent tardivement.

Les deux conceptions ont été mélangées en jurisprudence dans l’intérêt d’une des parties (pas forcément le destinataire). D’après la Cour de cassation, la livraison en matière de transport est l’opération par laquelle le transporteur remet la marchandise à l’ayant-droit qui l’accepte (Cass 17 nov. 1992). Pour qu’il y ait livraison, il faut 3 conditions:

  • – une acceptation manifeste de la marchandise par le destinataire
  • – le destinataire doit avoir eu la possibilité de vérifier la marchandise
  • – le destinataire doit avoir eu la possibilité de prendre matériellement possession de la marchandise

Ainsi, en matière de transport la livraison implique le déchargement total du véhicule et que le destinataire ait pris possession de la marchandise après en avoir vérifié les qualités. La livraison juridique ne suffit donc pas. En pratique, le destinataire n’est pas forcément l’acheteur.

  • b) La réalisation de la livraison

Le transporteur doit présenter la marchandise au lieu et à la date convenus et il doit la remettre au véritable destinataire qui devra signer le bon de livraison. Le transporteur a l’obligation de vérifier l’identité de la personne se présentant comme destinataire ou le cas échéant son mandat, à défaut il engage sa responsabilité (et n’aura plus qu’à faire une action en répétition de l’indu, en revendication ou en responsabilité civile 1382). Au déchargement, le transporteur va remettre un récépicé au destinataire afin que celui-ci puisse vérifier la conformer de la marchandise et puisse effectuer d’éventuelles réserves. Ce document lui permettra aussi de prouver la livraison.

  • c) Les empêchements à la livraison

Il y a empêchement à la livraison lorsque la marchandise arrivée à destination ne peut pas être remise au destinataire désigné (à ne pas confondre avec l’empêchement au transport) i.e. la livraison matérielle est impossible alors que la livraison juridique est réalisée. Il y a empêchement lorsque le transporteur arrive devant un établissement destinataire fermé ou n’a pas été attendu. Le transporteur se réfèrera donc à l’expéditeur.

Il y a aussi empêchement lorsque le destinataire refuse la marchandise: le laissé pour compte. Lorsque le transporteur se heurte à un tel empêchement, il demeure responsable des marchandises laissées sous sa garde, s’il décharge malgré le refus, il commet une faute lourde. Le transporteur ne peut pas non plus rapatrier d’autorité la marchandise chez l’expéditeur. Le transporteur doit recevoir les ordres de l’expéditeur après lui avoir envoyé un délai de souffrance, il doit veiller à la conservation de la marchandise (aux frais du destinataire ou de l’expéditeur selon le contrat). Le transporteur peut aussi, s’il n’en est pas propriétaire, remettre la marchandise à l’administration des domaines pour que celle-ci procèdent à leur mise aux enchères.

B) Le paiement du prix du transport

Le paiement du prix du transport est l’obligation principale pesant sur le client du transporteur.

1) Les modalités de paiement

Traditionnellement, les frais de transport sont payables au comptant. Ce paiement comptant est effectué par l’expéditeur pour les envois en port payé et par le destinataire pour les envois en port dû. La majorité des transports intervient en port payé et le prix est donc acquitté au départ par le donneur d’ordre conformément aux énonciations du titre de transport. Si l’expéditeur a sollicité un mandataire, celui-ci devra bien le faire préciser sur le contrat de transport s’il ne veut pas être inquiété. S’il n’y a aucune précision, il sera en effet redevable des sommes (Cour de cassation, chambre Com 13 mars 1990).

En général, aucune garantie de paiement n’est insérée dans le contrat car les garanties légales sont souvent suffisantes pour le transporteur. Celui-ci peut en effet se référer au privilège spécial que lui reconnaît le Code Civil en raison du déplacement de la marchandise. Ce privilège va garantir tous les frais occasionnés par ce déplacement. Néanmoins, il faut que les marchandises soient détenues par le transporteur alors qu’elles ne sont pas payées car Cour de cassation 1er juill. 1924 qui interdit au transporteur de retenir des marchandises pour obtenir le paiement d’opérations antérieures terminées. Il y a donc un privilège par opération de transport.

Le privilège du voiturier est donc moins étendu que celui du commissionnaire qui lui peut refuser un nouveau transport s’il n’a pas été payé des précédents. En fait cela ne gène pas le transporteur pour des raisons commerciales et surtout ce privilège s’accompagnant d’un droit de rétention, le moyen de pression devient très efficace puisqu’il est opposable à tous (propriétaire ou non de la marchandise).

Les contrats-types prévoient que le prix du transport peut être acquitté jusqu’à la réception de la facture mais tout retard entraîne immédiatement des intérêts légaux.

2) Les incidents de transport et de paiement du prix

Le contrat est synallagmatique i.e. la non-exécution d’une obligation par l’une des parties permet à l’autre de ne pas s’exécuter. En matière de transport, cela se traduit surtout au stade du paiement lorsqu’un incident a affecté le déplacement (marchandise ou emballage abimé ou retard).

Selon la théorie classique des risques, il y a inexécution lorsque la marchandise est perdue en route, si le transporteur ne livre pas le destinataire, le paiement n’a plus de cause. La jurisprudence a étendu la solution aux avaries i.e. aux pertes partielles mais dans ce cas, il faut que l’avarie soit importante et que seule une petite partie de la marchandise a pu être vendue.

Il arrive aussi que le transporteur soit obligé de modifier son itinéraire ce qui entraine des faits supplémentaires. Là encore, il y aura réajustement si la modification est due au donneur d’ordre et non au transporteur. Finalement, la situation est relativement simple: lorsque toute la marchandise est perdue, pas de paiement, lorsque perdue partiellement ou lorsque frais supplémentaires, le prix sera révisé. Dans tous les cas, le juge devra intervenir, il va notamment se référer au Code Civil Article1290 et 1291 qui permettent la compensation (légale) entre le prix du transport et les dommages et intérêts demandés si les dettes invoquées sont certaines, liquides et exigibles.