Les Échecs français à instaurer la Séparation stricte des pouvoirs
La France a échoué à instaurer une séparation stricte des pouvoirs, de la Constitution de 1791 au Directoire et à la Seconde République. Les conflits entre exécutif et législatif, ainsi qu’un législatif dominant, ont conduit à des régimes instables. Les Républiques successives ont cherché un équilibre, la Cinquième République marquant une rupture avec un renforcement notable de l’exécutif, sans parvenir à une séparation stricte.
Évolution des tentatives françaises de séparation des pouvoirs
Période/Constitution | Organisation des Pouvoirs | Échecs et Raisons |
1791 (Monarchie Constitutionnelle) | Législatif dominant (Assemblée nationale législative). Roi limité à un rôle symbolique avec droit de veto suspensif. | Conflits roi/Assemblée, révolution, et veto royal créant des tensions. La monarchie est abolie en 1792. |
1795 (Directoire) | Pouvoir législatif bicaméral, exécutif faible avec un Directoire collégial. | Fragmentation et absence de collaboration entre pouvoirs. Instabilité politique avec coups d’État successifs. |
1848 (Seconde République) | Assemblée législative unique, président de la République élu au suffrage universel mais limité. | Tensions croissantes entre président et Assemblée. Coup d’État de Louis-Napoléon en 1851. |
Troisième République (1870-1940) | Parlement dominant, exécutif limité. | Manque de séparation stricte. Gouvernement instable, faible exécutif subordonné au Parlement. |
Quatrième République (1946-1958) | Régime parlementaire où l’Assemblée nationale domine l’exécutif. | Instabilité chronique, fréquents renversements de gouvernements. |
Cinquième République (1958 – présent) | Régime présidentiel-parlementaire. Président renforcé, Parlement encadré, Conseil constitutionnel garantissant le respect de la Constitution. | Pas de séparation stricte. Prééminence de l’exécutif en période de majorité présidentielle, équilibre en cohabitation. |
La France a essayé par trois fois d’instaurer la séparation stricte des pouvoir, en 1791,1795 et 1848 ce qui à chaque fois ce solda par un échec
I) La Constitution de 1791
Après la Révolution française de 1789, Louis XVI reste sur le trône, mais son rôle évolue profondément. Il devient roi des Français, et son autorité ne provient plus de Dieu mais de la nation. Dès juin 1789, l’Assemblée nationale constituante décide de rédiger une constitution, qui voit le jour le 3 septembre 1791. C’est la première constitution française, marquant le passage à une monarchie constitutionnelle.
A) L’aménagement des pouvoirs publics
L’Assemblée nationale législative
- L’Assemblée nationale législative est unique (unicamérale), composée de 745 membres.
- Les députés sont élus au suffrage censitaire indirect : seuls les citoyens actifs, payant un impôt équivalent à trois jours de travail, participent au processus électoral.
- Les citoyens actifs élisent des grands électeurs dans des assemblées primaires, qui désignent ensuite les députés pour un mandat de deux ans.
- L’Assemblée nationale législative est permanente, sans sessions, et ne peut pas être dissoute.
- Ses compétences principales :
- Voter les lois.
- Adopter le budget.
- Juger les ministres en cas d’infractions pénales.
Le rôle du roi
- Hérédité monarchique conservée : la personne du roi est déclarée inviolable et sacrée.
- Pouvoirs théoriques :
- Chef de l’administration et des armées.
- Responsable des relations étrangères.
- Droit de veto suspensif : il peut temporairement bloquer un texte législatif.
- Limites du pouvoir royal :
- Aucun pouvoir de dissolution.
- Aucun droit d’initiative législative.
- Ses décisions doivent être contresignées par les ministres, qui en assument la responsabilité.
- Ce système réduit considérablement son rôle à une figure symbolique.
B) La chute de la Constitution de 1791 et l’abolition de la monarchie
La Constitution de 1791 s’effondre rapidement pour plusieurs raisons :
Liste des autres articles :
- Conflits entre le roi et l’Assemblée nationale :
- L’Assemblée s’oppose aux nominations royales et met en accusation des ministres proches de Louis XVI.
- Le veto royal exacerbe les tensions.
- Contexte révolutionnaire :
- Guerre déclarée aux monarchies européennes (Autriche, notamment).
- Le roi est accusé de trahison pour ses contacts avec l’étranger.
- Ces tensions aboutissent à l’abolition de la monarchie, l’arrestation de Louis XVI, et son exécution en janvier 1793. La République est proclamée en septembre 1792.
C) La Constitution de l’An III (Directoire) : une tentative de stabilisation
Après la période de la Terreur (1793-1794), marquée par une concentration extrême des pouvoirs et des purges politiques, une nouvelle constitution est adoptée le 22 août 1795 (5 fructidor An III). Elle instaure un régime connu sous le nom de Directoire (1795-1799).
Un régime de séparation stricte des pouvoirs
Le pouvoir législatif
- Divisé en deux chambres :
- Conseil des Cinq-Cents : propose les lois.
- Conseil des Anciens : examine et peut approuver ou rejeter les propositions.
- Les membres des deux chambres sont élus au suffrage censitaire indirect.
- Le Conseil des Anciens dispose d’un droit de veto sur les lois proposées.
Le pouvoir exécutif
- Confié à un Directoire, un organe collégial composé de cinq membres.
- Les membres sont nommés par le Conseil des Anciens sur proposition des Cinq-Cents.
- Un des directeurs est remplacé chaque année pour éviter une concentration durable du pouvoir.
- Le Directoire nomme les ministres, mais ceux-ci ne participent pas directement à la politique.
- Limites importantes du pouvoir exécutif :
- Aucun droit de dissolution.
- Pas d’accès direct aux sessions des Conseils.
- Pas d’initiative législative ni de veto.
- Cette fragmentation rend l’exécutif faible et dépendant du législatif.
Les faiblesses de la Constitution de l’An III
- Absence de mécanismes de coopération entre les pouvoirs exécutif et législatif.
- Fragmentation interne au sein du Directoire, affaiblissant davantage l’exécutif.
- Instabilité politique : entre 1795 et 1799, le régime connaît pas moins de cinq coups d’État, marquant son incapacité à stabiliser la République.
D) La fin du Directoire et l’arrivée de Napoléon
En novembre 1799 (18 Brumaire An VIII), le général Napoléon Bonaparte met fin au Directoire par un coup d’État. Il instaure le Consulat, marquant le début de son ascension vers le pouvoir absolu, qui culminera avec la proclamation de l’Empire en 1804.
Le Directoire, malgré ses tentatives, échoue à instaurer un équilibre politique durable et à répondre aux attentes révolutionnaires.
II) La Constitution de 1848 et La Seconde Empire
Après la chute de la monarchie de Juillet en février 1848, une nouvelle constitution républicaine est adoptée le 4 novembre 1848. Elle instaure la Seconde République et repose sur le principe de la séparation stricte des pouvoirs.
A) Organisation des pouvoirs
Le pouvoir législatif
- Une Assemblée nationale unique, composée de 750 membres, élus pour trois ans au suffrage universel direct (masculin, à l’époque).
- L’Assemblée détient le monopole du pouvoir législatif : elle vote les lois et le budget.
- Elle ne peut pas être dissoute par le président, ce qui renforce son indépendance.
Le pouvoir exécutif
- L’exécutif est confié à un président de la République, élu pour quatre ans au suffrage universel direct.
- Son mandat est unique et non renouvelable.
- Le président dispose de pouvoirs importants :
- Il nomme et révoque les ministres.
- Il représente l’État à l’international.
- Cependant, ses prérogatives sont limitées :
- Il ne peut pas dissoudre l’Assemblée nationale.
- Il ne possède pas de droit de veto pour bloquer les lois.
- Il n’est pas chef des armées.
Le premier président élu sous cette Constitution est Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier. Son élection reflète une forte aspiration du peuple à la sécurité et à la stabilité, et Bonaparte incarne symboliquement ces attentes.
B) Le fonctionnement du régime
Le régime instauré par la Constitution de 1848 repose sur une séparation stricte des pouvoirs, mais cette rigidité contribue à des tensions croissantes entre les branches législative et exécutive.
Les débuts prometteurs
- Au départ, Louis-Napoléon Bonaparte coopère avec l’Assemblée législative en nommant des ministres qui bénéficient de son soutien.
- Cependant, des dysfonctionnements apparaissent rapidement :
- Les ministres commencent à se réunir sans le président, ce qui engendre des tensions.
- Louis-Napoléon, se sentant écarté, devient méfiant envers l’Assemblée et cherche à renforcer son autorité.
Les tensions entre les pouvoirs
- En 1849, l’Assemblée législative adopte des mesures visant à restreindre les libertés individuelles, ce qui provoque un mécontentement populaire.
- En 1850, elle vote une loi qui réduit le droit de vote, en imposant des conditions de résidence strictes. Cette décision, impopulaire, affaiblit la légitimité de l’Assemblée.
- Louis-Napoléon exploite cette situation pour critiquer publiquement l’Assemblée et gagner la faveur populaire.
Le coup d’État du 2 décembre 1851
- Frustré par les limitations imposées par la Constitution, Louis-Napoléon Bonaparte tente une révision constitutionnelle pour prolonger son mandat, mais l’Assemblée s’y oppose.
- Profitant de l’impopularité de l’Assemblée et de sa propre popularité, il organise un coup d’État le 2 décembre 1851 :
- Il dissout l’Assemblée nationale, bien que cela lui soit interdit.
- Il rétablit le suffrage universel pour obtenir le soutien populaire.
- Ce coup de force marque la fin de la Seconde République.
C) L’échec de la Constitution de 1848
La Constitution de 1848 échoue à garantir la stabilité institutionnelle en raison de tensions structurelles :
- La séparation stricte des pouvoirs empêche toute coopération entre l’exécutif et le législatif.
- L’Assemblée législative cherche à concentrer le pouvoir entre ses mains, au détriment du président.
- L’absence de moyens pour résoudre les conflits entre les pouvoirs (absence de dissolution ou de mécanismes de collaboration) aggrave les blocages institutionnels.
Le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte débouche sur la fondation du Second Empire en 1852. Ce régime met fin à l’expérience républicaine et inaugure une période de pouvoir autoritaire sous l’égide de Napoléon III.
III) Les Républiques successives : Évolution vers un équilibre plutôt qu’une séparation stricte
Depuis l’échec de la Seconde République en 1852, la France a traversé plusieurs républiques qui ont adopté des Constitutions successives. Chaque Constitution a tenté, avec plus ou moins de succès, d’organiser les relations entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Nous allons examiner les principales Constitutions des Républiques françaises en analysant si elles respectaient ou non le principe de séparation stricte des pouvoirs.
- Troisième République : Forte domination du législatif, absence de séparation stricte.
- Quatrième République : Exacerbation des défauts parlementaires, toujours pas de séparation stricte.
- Cinquième République : Une séparation des pouvoirs plus équilibrée, mais pas stricte, avec une tendance à renforcer l’exécutif.
La France a évolué d’un système marqué par la domination du législatif vers un modèle plus équilibré, bien qu’aucun régime n’ait véritablement adopté une séparation stricte des pouvoirs.
La Troisième République (1870-1940) et la séparation des pouvoirs
Organisation des pouvoirs
La Constitution de 1875, qui établit la Troisième République, repose sur trois lois constitutionnelles adoptées en 1875. Elle organise un régime parlementaire où les pouvoirs sont théoriquement séparés mais largement déséquilibrés en pratique.
- Le législatif : Le Parlement est bicaméral, composé de la Chambre des députés et du Sénat. Il dispose de prérogatives étendues, notamment le vote des lois et le contrôle du gouvernement par des moyens tels que la question de confiance et la motion de censure.
- L’exécutif : Le président de la République est élu par le Parlement (Chambre des députés et Sénat réunis en Congrès). Ses pouvoirs sont limités : il nomme le chef du gouvernement (président du Conseil) et peut dissoudre la Chambre des députés, mais cette décision nécessite l’accord du Sénat. Le président du Conseil, responsable devant le Parlement, détient l’essentiel des prérogatives exécutives.
- Le judiciaire : Bien que théoriquement indépendant, le pouvoir judiciaire reste soumis à une forte influence de l’exécutif, notamment par le biais des nominations.
Analyse de la séparation des pouvoirs
- Pas de séparation stricte des pouvoirs : Le régime parlementaire de la Troisième République est caractérisé par une domination écrasante du législatif sur l’exécutif. Le président de la République est largement une figure symbolique, et le gouvernement est subordonné au Parlement. Les mécanismes de contrepoids sont insuffisants pour garantir un équilibre.
La Quatrième République (1946-1958) et la séparation des pouvoirs
Organisation des pouvoirs
La Constitution de 1946, adoptée après la Seconde Guerre mondiale, institue un régime parlementaire dans un contexte de reconstruction nationale.
- Le législatif : Le Parlement conserve un rôle central, avec une Assemblée nationale élue au suffrage universel direct et un Conseil de la République (équivalent du Sénat) au rôle consultatif. L’Assemblée nationale dispose d’un pouvoir étendu, notamment celui de censurer le gouvernement.
- L’exécutif : Le président de la République, élu par le Parlement, dispose de pouvoirs limités. Le président du Conseil (équivalent du Premier ministre) est responsable devant l’Assemblée nationale, qui peut le renverser par un vote de défiance.
- Le judiciaire : Comme sous la Troisième République, le pouvoir judiciaire reste largement dépendant de l’exécutif en ce qui concerne les nominations et le fonctionnement.
Analyse de la séparation des pouvoirs
- Pas de séparation stricte des pouvoirs : La Quatrième République exacerbe les déséquilibres du régime parlementaire. L’Assemblée nationale domine totalement l’exécutif, entraînant une instabilité chronique avec de fréquents renversements de gouvernement. Cette instabilité contribue à la chute du régime en 1958.
La Cinquième République (1958 – aujourd’hui) et la séparation des pouvoirs
Organisation des pouvoirs
La Constitution de 1958, rédigée sous l’impulsion du général de Gaulle, établit un régime présidentiel-parlementaire, visant à corriger les défauts des républiques précédentes en renforçant l’exécutif.
- Le législatif : Le Parlement est bicaméral, composé de l’Assemblée nationale et du Sénat. Bien que le Parlement conserve ses prérogatives, comme le vote des lois et le contrôle du gouvernement, ces pouvoirs sont encadrés pour éviter la domination sur l’exécutif. Par exemple, la dissolution de l’Assemblée nationale est une prérogative exclusive du président de la République.
- L’exécutif : Le président de la République, élu au suffrage universel direct depuis 1962, dispose de pouvoirs importants : il nomme le Premier ministre, peut dissoudre l’Assemblée nationale et gouverner par ordonnances dans certaines conditions. Le Premier ministre, responsable devant le Parlement, assure la gestion quotidienne du gouvernement.
- Le judiciaire : La Cinquième République renforce l’indépendance du pouvoir judiciaire, notamment avec la création du Conseil constitutionnel, chargé de veiller au respect de la Constitution.
Analyse de la séparation des pouvoirs
- Pas une séparation stricte des pouvoirs, mais un équilibre recherché : La Cinquième République établit un équilibre plus efficace entre les pouvoirs. Cependant, en période de « majorité présidentielle » (quand le président et le Parlement appartiennent à la même majorité), l’exécutif tend à dominer. En revanche, en cas de « cohabitation », le Premier ministre et le Parlement jouent un rôle plus prépondérant.