L’histoire des constitutions après la Révolution

L’histoire des mouvements constitutionnels après la Révolution

   Du 27 juin 1789, jour où les états généraux se proclament assemblée nationale constituante, au 4 octobre 1958, jour où la V° République a été adoptée, 16 Constitutions vont régir la France ; face à ce constat, on en déduit que la durée moyenne de vie d’une Constitution est de 11 ans.

Ici nous étudions la période juste après la Révolution : De 1789 à l’An X, la France révolutionnaire forge la base du droit public moderne. La Constitution de 1791 établit une monarchie constitutionnelle avec souveraineté nationale, mais les dérives du Comité de salut public mènent à la réaction thermidorienne et à la Constitution de 1795, instaurant un Directoire fragile. En 1799, le coup d’État de Bonaparte marque le début d’un régime autoritaire, évoluant du Consulat à l’Empire.

Analyse des Constitutions révolutionnaires (1789–An X)

Période et Constitution Caractéristiques Conséquences
Constitution de 1791 Monarchie constitutionnelle avec souveraineté nationale. Assemblée législative dominante et droit de veto royal limité. Fragilité due aux tensions entre monarchie et démocratie. Chute avec l’abolition de la monarchie en 1792.
Constitution de 1793 (non appliquée) Déclaration d’une souveraineté populaire directe. Suffrage universel et pouvoirs concentrés dans une Assemblée unique. Jamais mise en œuvre. Devient le symbole de l’ultra-démocratie, rejetée par les Thermidoriens.
Constitution de 1795 Directoire bicaméral, suffrage censitaire et séparation stricte des pouvoirs. Régime instable, paralysé par l’absence de coopération entre exécutif et législatif.
Constitution de l’An VIII (1799) Instauration du Consulat. Exécutif fort et éclatement du pouvoir législatif en organes subordonnés. Coup d’État de Bonaparte, marquant le début de l’autoritarisme sous une apparence républicaine.
Constitutions des Ans X et XII Consulat à vie (1802) suivi de l’Empire (1804). Concentration totale des pouvoirs autour de Napoléon. Établissement d’un césarisme autoritaire, détournant la souveraineté populaire pour légitimer le pouvoir.

A) Instabilité constitutionnelle après la Révolution française

L’histoire constitutionnelle française est marquée par une profonde instabilité, caractérisée par des changements fréquents de régimes et une succession de Constitutions. Depuis la Révolution française, le pays a traversé des phases de bouleversements institutionnels, souvent accompagnées de régimes provisoires sans cadre constitutionnel établi. Cette situation a conduit à des interprétations contrastées :

  • Approche pessimiste : l’instabilité est vue comme un chaos.
  • Approche optimiste : ces bouleversements sont considérés comme des expérimentations ayant permis une évolution progressive.

Cette perspective expérimentale a été théorisée par Maurice Hauriou, qui propose une lecture cyclique des mouvements constitutionnels en France.

A) La théorie des cycles constitutionnels de Hauriou

Les deux cycles identifiés (1789-1875)

Hauriou distingue deux grands cycles constitutionnels dans l’histoire de France avant la stabilisation de 1875 avec la IIIᵉ République :

  1. De 1789 à 1848, correspondant aux révolutions, à la Restauration monarchique et à la monarchie de Juillet.
  2. De 1848 à 1875, marqué par l’alternance entre la IIᵉ République, le Second Empire et la chute de ce dernier, aboutissant à la IIIᵉ République.

Les trois phases de chaque cycle

Chaque cycle suit un schéma en trois mouvements :

  1. Confiscation du pouvoir par le législatif

    • Cette phase est marquée par un gouvernement d’assemblée, où le pouvoir est concentré dans les mains du législatif.
    • Exemples :
      • La Convention nationale (1792-1795) et la domination des assemblées sous la Révolution.
      • La tentative d’Assemblée unique sous la IIᵉ République (1848-1851).
  2. Dictature d’un homme

    • Réaction à la paralysie et aux excès des gouvernements d’assemblée.
    • Un homme fort émerge pour centraliser le pouvoir et rétablir l’ordre.
    • Exemples :
      • Napoléon Bonaparte (Consulat, Premier Empire).
      • Napoléon III (coup d’État de 1851, Second Empire).
  3. Régime parlementaire

    • Une tentative d’équilibre entre le législatif et l’exécutif, cherchant à éviter les excès des deux premières phases.
    • Exemples :
      • Monarchie parlementaire sous la Restauration (1814-1830) et la monarchie de Juillet (1830-1848).
      • La IIIᵉ République, amorcée en 1875.

B) Les particularités du parlementarisme français

Un modèle différent du parlementarisme britannique

La France a tenté d’instaurer un régime parlementaire équilibré, mais sans parvenir à imiter l’efficacité du modèle britannique :

  • L’héritage révolutionnaire : En France, la souveraineté populaire et la méfiance envers l’exécutif, issues de la Révolution, ont renforcé la prédominance du législatif, rendant difficile l’équilibre des pouvoirs.
  • Un exécutif fragilisé : Contrairement au Premier ministre britannique, le chef de l’exécutif en France a souvent été dépendant du législatif, rendant le gouvernement instable.
  • Crises fréquentes : Les querelles entre le législatif et l’exécutif, ainsi que l’absence de majorité stable, ont conduit à des crises institutionnelles récurrentes.

Des expériences marquées par des tentatives de rééquilibrage

Le parlementarisme français a tenté à plusieurs reprises de rééquilibrer les pouvoirs :

  • Sous la monarchie de Juillet (1830-1848), on voit les prémices d’un régime parlementaire, bien que le roi garde une forte influence.
  • La IIIᵉ République (à partir de 1875) institue un régime parlementaire plus solide, mais reste marquée par une instabilité ministérielle.

C) Les conséquences de l’instabilité constitutionnelle

La période révolutionnaire : une phase de fondation

La Révolution française (1789-1799) marque une phase de fondation constitutionnelle en France :

  • Plusieurs modèles sont expérimentés (monarchie constitutionnelle en 1791, République montagnarde en 1793, Directoire en 1795).
  • Ces expériences posent les bases de principes essentiels, tels que la souveraineté nationale, la séparation des pouvoirs et les droits fondamentaux.

Les Constitutions post-révolutionnaires : entre imitation et rejet

Les régimes ultérieurs se définissent souvent par rapport aux modèles révolutionnaires :

  • Imitation : La IIᵉ République (1848) s’inspire des idéaux révolutionnaires, en instaurant le suffrage universel et en affirmant des droits sociaux.
  • Rejet : Les chartes monarchistes (1814, 1830) tentent de concilier monarchie et principes révolutionnaires tout en limitant les excès démocratiques.

D) Vers une stabilisation constitutionnelle : la synthèse de 1875

La IIIᵉ République marque la fin de cette longue période d’instabilité constitutionnelle :

  1. Institutionnalisation des principes républicains

    • La IIIᵉ République reprend des éléments des expériences antérieures, notamment la séparation des pouvoirs et le rôle du parlement.
    • Les principes révolutionnaires, tels que la souveraineté nationale et les droits fondamentaux, sont intégrés dans le patrimoine constitutionnel.
  2. Stabilité relative

    • Bien que marquée par une instabilité ministérielle chronique, la IIIᵉ République assure une durée exceptionnelle (1875-1940) et une consolidation des institutions démocratiques.

E) Limites de la théorie des cycles constitutionnels

Si la théorie des cycles de Hauriou éclaire les évolutions constitutionnelles de 1789 à 1875, elle ne s’applique pas de manière rigoureuse aux périodes ultérieures :

  • Les régimes de crise (Vichy, GPRF) et la IVᵉ République (1946-1958) ne suivent pas strictement ce schéma.
  • La Vᵉ République, instaurée en 1958, introduit un équilibre inédit entre exécutif et législatif, rompant avec les cycles antérieurs.


B)    Le laboratoire révolutionnaire (1789 – An X)


Les Constitutions de cette époque vont composer la grammaire du droit public français. Mais, ce droit constitutionnel révolutionnaire n’est pas un Droit homogène : c’est le reflet des convulsions politiques du moment. La Constitution de 1791 pose la matrice démocratique et libérale du régime français.
Mais, très vite, le régime va dériver, avec la période du comité de salut public, qui va entraîner une réaction, qu’est la Constitution de 1795, qui met en place le Directoire. Ce Directoire va s’effacer pour laisser place à la dictature de Napoléon, avec le Consulat, puis l’Empire : c’est l’expérience autoritaire du césarisme.



1 – La Constitution de 1791 ou la matrice démo-libérale et un compromis ambigu

La Constitution de 1791 marque une rupture fondamentale avec l’Ancien Régime et tente d’établir un équilibre entre les idéaux révolutionnaires et les vestiges de la monarchie. C’est un texte pivot qui inaugure un régime de monarchie constitutionnelle, plaçant la souveraineté nationale au centre de l’ordre juridique tout en maintenant la figure royale comme symbole institutionnel.

A) Les apports essentiels de la Constitution de 1791

La Déclaration des Droits de l’Homme comme préambule

La Constitution s’ouvre sur la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, affirmant des principes fondamentaux tels que :

  • L’égalité devant la loi,
  • La liberté individuelle,
  • La propriété comme droit inviolable et sacré.

Ce préambule universaliste fixe les bases de l’État de droit et symbolise la transition vers un ordre politique fondé sur des droits naturels et imprescriptibles.

La souveraineté nationale : un transfert de légitimité

L’article 1er du titre III de la Constitution consacre la souveraineté nationale :

« La souveraineté appartient à la nation. Aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut s’en attribuer l’exercice. »

Cela représente un basculement majeur :

  • Le roi cesse d’être une autorité souveraine pour devenir une autorité constituée, subordonnée à la Constitution.
  • La nation, et non plus le roi, devient la source du pouvoir, marquant une rupture avec le droit divin.

Une monarchie constitutionnalisée

La monarchie est conservée mais entièrement redéfinie :

  • Elle n’existe plus que par la Constitution et ne peut s’imposer à celle-ci.
  • Le roi exerce des fonctions limitées, telles que le droit de veto législatif (suspensif et non absolu) et la nomination des ministres.
  • Il est exclu des décisions constitutionnelles, ce qui illustre son rôle subordonné au pouvoir constituant.

B) Une Assemblée législative dominante

Les prérogatives de l’Assemblée législative

La Constitution de 1791 accorde une place centrale à l’Assemblée législative, instituant un régime monocaméral avec des pouvoirs étendus :

  • Initiative et vote des lois,
  • Contrôle de l’exécutif,
  • Fixation des sessions électorales et organisation de l’État.

L’Assemblée est conçue pour être un contrepoids au roi, avec des caractéristiques distinctes des régimes parlementaires classiques :

  • Pas de dissolution possible par le roi.
  • Une mandature courte (deux ans) pour garantir la légitimité populaire.
  • Une assemblée permanente, sans limitation de sessions.

Opposition au modèle britannique

Le fonctionnement de l’Assemblée contraste fortement avec le régime parlementaire anglais :

  • Monocaméralisme au lieu du bicamérisme britannique (Chambre des Communes et Chambre des Lords).
  • Une absence de mécanismes de dissolution ou de limitation des sessions.

Cette prédominance de l’Assemblée législative reflète une méfiance envers l’exécutif, jugé historiquement responsable des abus de pouvoir.

C) Les limites et contradictions de la Constitution de 1791

Un compromis ambigu entre monarchie et démocratie

Bien que la Constitution tente de concilier monarchie et souveraineté populaire, ce compromis reste fragile et source de conflits :

  • Le droit de veto accordé au roi est contesté par les parlementaires, qui refusent son utilisation, bien qu’il soit inscrit dans le texte constitutionnel.
  • La centralisation du pouvoir législatif dans une seule assemblée entraîne une dérive vers une domination parlementaire, au détriment d’un véritable équilibre des pouvoirs.

Une monarchie affaiblie

Le roi, désormais subordonné à la nation, se retrouve dans une position paradoxale :

  • Il est privé de sa souveraineté tout en restant le chef de l’exécutif.
  • Ses tentatives de s’opposer aux décisions de l’Assemblée, notamment par l’utilisation répétée du veto, aggravent les tensions politiques, culminant avec sa fuite à Varennes (juin 1791).

Le déséquilibre institutionnel

La concentration des pouvoirs dans l’Assemblée législative finit par créer un nouveau déséquilibre :

  • Le pouvoir exécutif, incarné par le roi et ses ministres, est marginalisé.
  • L’absence de contrôle externe sur l’Assemblée entraîne une tendance à la dictature du législatif, qui se manifeste de manière exacerbée sous la Convention nationale.

D) La chute du régime et les conséquences constitutionnelles

La dissolution de l’Assemblée législative

Les tensions entre l’Assemblée et le roi culminent avec l’abolition de la monarchie en août 1792 et l’exécution de Louis XVI en janvier 1793. Ces événements marquent la fin de la Constitution de 1791, remplacée par un régime provisoire dominé par la Convention nationale.

La dictature législative et la réaction thermidorienne

Sous la Convention, le pouvoir est rapidement confisqué par le Comité de salut public, dirigé par Robespierre. Ce régime, fondé sur une dictature législative, s’accompagne de la Terreur, jusqu’à la chute de Robespierre en juillet 1794.

En réaction, les Thermidoriens adoptent la Constitution de 1795 (Directoire), qui rétablit un équilibre plus marqué entre les pouvoirs, tout en rejetant les excès révolutionnaires.

E) Une matrice pour les régimes ultérieurs

La Constitution de 1791 laisse un héritage ambivalent, à la fois expérimental et fondateur :

  1. Fondation d’un régime démo-libéral

    • La subordination du roi à la loi et l’affirmation de la souveraineté nationale sont des acquis majeurs.
    • Le régime représentatif devient la norme, même s’il reste limité par le suffrage censitaire.
  2. Un modèle imparfait mais novateur

    • Le déséquilibre institutionnel, marqué par la prédominance du législatif, préfigure les écueils des régimes monocaméraux.
    • Les tensions entre monarchie et démocratie aboutissent à un rejet de la conciliation entre les deux légitimités.
  3. Influence sur les Constitutions ultérieures

    • Les expériences de 1791 inspirent les modèles républicains qui émergent après 1848, notamment en termes de souveraineté nationale et de droits fondamentaux.
    • Elles offrent également des leçons sur la nécessité d’un véritable équilibre entre les pouvoirs, qui sera recherché dans les régimes parlementaires postérieurs.

Conclusion : La Constitution de 1791, bien qu’éphémère, constitue une matrice démo-libérale pour l’histoire constitutionnelle française. Elle marque une étape clé dans l’émancipation de la souveraineté nationale et l’établissement des droits fondamentaux, tout en révélant les limites d’un compromis fragile entre monarchie et révolution.



2 – La réaction de la Constitution de 1795 (5 fructidor An III) ; une réaction thermidorienne

La Constitution de 1795, appelée aussi Constitution thermidorienne, est rédigée dans un contexte de réaction face aux excès de la période montagnarde et de la Terreur. Ce texte, adopté après la chute de Robespierre en 1794, reflète une volonté de modération et de compromis. Les Thermidoriens cherchent à éviter les débordements de l’ultra-démocratie et à contrer la domination législative, tout en instaurant des institutions qui limitent la concentration du pouvoir.

A) Une double réaction : contre l’ultra-démocratie et la dictature d’assemblée

Contre l’ultra-démocratie

La Constitution de 1795 rejette les principes de la Constitution de 1793, notamment le suffrage universel direct et l’omnipotence populaire. Elle instaure des mécanismes visant à filtrer et à encadrer la participation politique :

  1. Le suffrage à deux degrés

    • Les citoyens désignent des grands électeurs, qui élisent ensuite les parlementaires.
    • Ce système vise à créer une élite politique et à réduire l’influence directe du peuple sur les institutions.
  2. Le suffrage censitaire

    • Seuls les citoyens ayant un revenu suffisant peuvent participer aux élections primaires.
    • Ce critère exclut une grande partie de la population, notamment les classes populaires, réduisant ainsi les risques de mouvements révolutionnaires.

Ces dispositions traduisent une méfiance envers la démocratie directe et visent à stabiliser le régime en limitant l’influence des masses.

Contre la dictature d’assemblée

La Constitution de 1795 s’oppose à la concentration des pouvoirs dans une seule assemblée, caractéristique de la Convention nationale et des régimes révolutionnaires précédents. Elle instaure un bicamérisme, destiné à équilibrer les pouvoirs législatifs :

  1. Le Conseil des 500

    • Cette chambre basse propose et discute les projets de loi.
    • Elle incarne l’initiative législative mais reste limitée dans ses prérogatives.
  2. Le Conseil des Anciens

    • Composée de membres plus âgés et supposés plus sages, cette chambre haute dispose uniquement d’un droit de veto sur les lois proposées par le Conseil des 500.
    • Cette structure vise à freiner les éventuels excès législatifs et à instaurer une forme de stabilité.

La procédure législative ainsi conçue établit une séparation stricte des pouvoirs au sein même du législatif, reflétant une volonté de limiter les abus tout en évitant la centralisation.

B) Un exécutif collégial : le Directoire

Structure et fonctionnement

La méfiance envers le pouvoir exécutif, exacerbé sous la monarchie puis sous Robespierre, conduit à l’instauration d’un exécutif collégial :

  1. Le Directoire

    • Composé de cinq membres, il est élu par le législatif (Conseil des Anciens et Conseil des 500).
    • Les directeurs sont partiellement renouvelés chaque année pour éviter toute concentration durable de pouvoir.
  2. Présidence tournante

    • La présidence du Directoire change tous les trois mois, renforçant l’idée de collégialité et réduisant les risques d’autorité individuelle.

Ces mécanismes expriment une méfiance persistante à l’égard de l’exécutif, considéré comme une menace potentielle pour la liberté.

Une subordination excessive à l’Assemblée

L’article 132 de la Constitution de 1795 affirme la subordination de l’exécutif au législatif :

« Le pouvoir exécutif est délégué à un Directoire nommé par le corps législatif. »

Cela réduit considérablement l’autonomie de l’exécutif, rendant le Directoire dépendant des décisions des assemblées. L’exécutif devient un simple instrument, incapable de mener une politique indépendante.

C) Une séparation absolue des pouvoirs : une erreur fondamentale

La Constitution de 1795 pousse à l’extrême le principe de séparation des pouvoirs, au point de créer une absence totale de moyens de collaboration entre les branches exécutive et législative.

  • Le Directoire et les assemblées fonctionnent comme des entités cloisonnées, sans mécanismes pour résoudre les conflits institutionnels.
  • Cette séparation rigide rend le régime fragile et peu fonctionnel, créant une situation où les tensions ne peuvent être arbitrées.

D) Les conséquences : une Constitution vouée à l’échec

L’instabilité et l’impuissance institutionnelle

La rigidité de la Constitution de 1795 engendre des crises institutionnelles récurrentes :

  • Absence de moyens de coopération : les conflits entre l’exécutif et le législatif restent sans solution constitutionnelle.
  • Faiblesse de l’exécutif : le Directoire, trop dépendant du législatif, est incapable de gouverner efficacement.

Dans ce contexte, les coups d’État deviennent le seul moyen de surmonter les blocages. Entre 1795 et 1799, plusieurs crises majeures affaiblissent le régime, créant un climat de méfiance et d’instabilité.

Le coup d’État du 18 brumaire (9 novembre 1799)

Face à l’inefficacité du système, le général Napoléon Bonaparte organise le coup d’État du 18 brumaire An VIII, mettant fin au Directoire.

  • Napoléon établit un nouveau régime, le Consulat, marqué par un renforcement de l’exécutif et une concentration des pouvoirs.
  • Ce coup d’État illustre la fragilité des régimes fondés sur une séparation rigide des pouvoirs et marque le début d’une période autoritaire sous le contrôle de Bonaparte.

E) Bilan de la Constitution de 1795

Un texte réactif mais imparfait

La Constitution thermidorienne exprime une double réaction :

  1. Rejet des excès révolutionnaires (ultra-démocratie et dictature d’assemblée).
  2. Recherche de stabilité par une séparation stricte des pouvoirs.

Cependant, ces mesures vont trop loin, créant un régime paralysé par l’absence de mécanismes de coopération entre les pouvoirs. Cette séparation absolue des pouvoirs, mal interprétée, rend le régime instable et inefficace.

Une étape clé dans l’histoire constitutionnelle française

Malgré son échec, la Constitution de 1795 marque une étape importante :

  • Elle initie des réflexions sur le bicamérisme et l’équilibre entre exécutif et législatif.
  • Elle met en lumière les dangers d’une séparation rigide des pouvoirs, une leçon prise en compte dans les régimes ultérieurs, notamment sous la IIIᵉ République.

L’expérience thermidorienne, bien qu’éphémère, prépare le terrain pour une refonte des institutions sous Napoléon, qui privilégiera un autoritarisme encadré plutôt qu’une séparation stricte des pouvoirs.



3 – L’expérience autoritaire du césarisme napoléonien : de l’An VIII à l’Empire


L’œuvre constitutionnelle de Napoléon Bonaparte est marquée par une continuité malgré les transformations de forme qu’elle subit entre le Consulat et l’Empire. Les Constitutions de l’An VIII, de l’An X et de l’An XII visent à rétablir un pouvoir exécutif fort, tout en intégrant certains principes révolutionnaires. Napoléon parvient ainsi à clore la Révolution française sur le plan institutionnel, au prix d’une centralisation autoritaire et d’un détournement de la souveraineté populaire.

A) Les trois Constitutions napoléoniennes : des étapes vers un pouvoir personnel

La Constitution de l’An VIII (15 décembre 1799) : le Consulat collégial

Adoptée après le coup d’État du 18 Brumaire (9 novembre 1799), cette Constitution met en place un Consulat collégial. Officiellement, le pouvoir exécutif est partagé entre trois consuls, mais Napoléon Bonaparte, premier consul, concentre l’essentiel des prérogatives.

Caractéristiques principales :

  1. Renforcement de l’exécutif

    • Le premier consul détient le monopole de l’initiative législative et contrôle l’administration.
    • Les deux autres consuls n’ont qu’un rôle consultatif.
  2. Un pouvoir législatif éclaté

    • Le Corps législatif vote les lois mais ne peut en débattre.
    • Le Tribunat débat des lois mais ne les vote pas.
    • Le Sénat conservateur exerce un contrôle constitutionnel et valide les actes du gouvernement.

Ce système crée une séparation rigide des pouvoirs, tout en subordonnant les organes législatifs au pouvoir exécutif.

La Constitution de l’An X (4 août 1802) : le Consulat à vie

Face à son succès militaire et à l’affermissement de son pouvoir, Napoléon devient consul à vie, consolidant son autorité :

  • Le Sénat, fidèle à Bonaparte, propose cette modification, qui est adoptée par plébiscite.
  • Napoléon concentre encore davantage de pouvoirs, notamment la possibilité de nommer son successeur.

Cette évolution marque une rupture avec les principes révolutionnaires, notamment le refus de toute hérédité ou concentration excessive du pouvoir.

La Constitution de l’An XII (18 mai 1804) : l’Empire

Avec cette Constitution, Bonaparte devient empereur des Français, consacrant le passage à un régime monarchique d’apparence démocratique.

Caractéristiques principales :

  1. Hérédité dynastique

    • Napoléon est proclamé empereur par le Sénat, et sa dignité devient héréditaire.
    • Ce retour à l’hérédité marque une rupture symbolique avec les principes de 1789.
  2. Renforcement de l’autorité impériale

    • L’empereur concentre l’intégralité de l’exécutif et conserve le monopole de l’initiative législative.
    • Les assemblées (Corps législatif, Sénat conservateur) deviennent des instruments de légitimation.

B) La démocratie plébiscitaire : un détournement de la souveraineté populaire

Le rôle central du plébiscite

Napoléon légitime ses transformations constitutionnelles par des plébiscites, présentés comme l’expression de la souveraineté populaire. Cependant, cette démocratie plébiscitaire repose sur deux mécanismes qui en limitent la portée :

  1. Adhésion sans choix

    • Le peuple est consulté sur des textes constitutionnels sans alternative réelle.
    • Les résultats sont souvent manipulés, reflétant plus un soutien forcé qu’une véritable délibération.
  2. Absence de libertés locales

    • Le contrôle étroit des institutions et de la presse empêche toute opposition réelle.

Un pouvoir centralisé et personnifié

Napoléon détourne l’idée de souveraineté populaire pour la subordonner à sa personne :

« Le peuple français nomme et le Sénat proclame Napoléon Bonaparte, premier consul à vie. »
Ce processus marque une appropriation de la confiance populaire, où le peuple est réduit à valider les décisions du chef.

C) La concentration des pouvoirs : la dictature de l’exécutif

L’affaiblissement des autres pouvoirs

Sous Napoléon, les autres branches du pouvoir sont largement subordonnées :

  • Le Sénat conservateur : bien qu’il dispose du pouvoir constituant et du contrôle constitutionnel, il agit comme un organe docile, validant les décisions de l’empereur.
  • Le Corps législatif : réduit à un rôle de figuration, il vote les lois sans en débattre.
  • Le Tribunat : ses débats deviennent inutiles et il est supprimé en 1807.

Un exécutif tout-puissant

La réalité du pouvoir repose sur une dictature de l’exécutif, où Napoléon concentre l’administration, l’armée et la diplomatie :

  • Il est le garant de l’unité nationale, mais aussi le principal acteur de toutes les décisions stratégiques.
  • Cette centralisation lui permet d’imposer une stabilité, au détriment des contre-pouvoirs.

D) Le rôle paradoxal du Sénat conservateur

Le Sénat conservateur, conçu comme un organe de régulation, joue un rôle ambivalent :

  1. Un instrument du pouvoir

    • Napoléon utilise le Sénat pour modifier la Constitution et nommer les membres des autres assemblées.
    • Loin d’être un contrepoids, il devient un outil de légitimation.
  2. Un acteur de la chute de Napoléon

    • Lorsque le régime s’affaiblit, le Sénat prend ses distances.
    • Le 3 avril 1814, il proclame la déchéance de Napoléon, marquant la fin de l’Empire.

E) Un héritage constitutionnel durable

Une rupture avec les idéaux révolutionnaires

Si Napoléon maintient l’idée de souveraineté populaire, il la détourne au profit d’un régime autoritaire. Les principes de représentation démocratique sont sacrifiés sur l’autel de la stabilité et de l’efficacité.

Une matrice pour les régimes ultérieurs

Malgré ses dérives autoritaires, le césarisme napoléonien laisse un héritage constitutionnel qui influencera les régimes postérieurs :

  • Le plébiscite devient un outil récurrent de légitimation politique en France.
  • La centralisation du pouvoir exécutif inspire la structuration de régimes autoritaires ou présidentiels.

Conclusion : L’expérience constitutionnelle de Napoléon Bonaparte incarne une tentative de stabilisation autoritaire après les tumultes révolutionnaires. Si elle réussit à mettre fin au chaos institutionnel de la période précédente, elle le fait au prix d’un abandon des idéaux révolutionnaires de séparation des pouvoirs et de démocratie délibérative. Cette période, qualifiée de césarisme démocratique, devient un modèle ambigu pour les Constitutions ultérieures, oscillant entre démocratie plébiscitaire et concentration autoritaire des pouvoirs.

 

Isa Germain

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