L’IDENTIFICATION DU CONTRAT ADMINISTRATIF
Le contrat administratif est un contrat qui doit être conclu par une personne publique ou privée et pour l’exécution du service public. L’un des principaux problèmes du contrat administratif résulte de son identification et on peut distinguer deux ordres de problèmes. D’une part, on a les éléments constitutifs d’un contrat et d’autre part les critères de distinction entre un acte contractuel et un acte unilatéral.
Section 1- Les éléments constitutifs d’un contrat
Le premier intérêt tient du fait que la qualification d’un acte contractuel entraine des effets juridiques car l’acte est soumis à certains principes généraux qui peuvent être propres à tout contrat (force obligatoire du contrat, effet relatif du contrat, responsabilité contractuelle prédominante,) ou qui peuvent être propres au droit administratif (place de l’intérêt général, recours de pleine juridiction).
En dépit de cet intérêt, la qualification reste difficile car elle suppose une définition claire du contrat en tant que publiciste mais ce n’est pas le cas. La doctrine publiciste s’est peu interrogée sur la notion car le droit des contrats s’est forgé à partir de contrats spécifiques nommés et pendant longtemps les enjeux du régime juridique étaient plus importants que la définition de l’acte.
P1- La diversité des approches quant aux éléments constitutifs d’un contrat
La théorie du contrat administratif a fait l’objet d’une étude approfondie de trois auteurs : Léon Duguit, Gaston Jèze et George Péquignot. Pour l’essentiel, ces doctrines partent de la définition privatiste du contrat du fait de l’enseignement juridique car on dit que c’est un accord de volontés en vue de produire des obligations et des effets. C’est une définition qui met en avant l’essence de tout contrat. Pour le reste, ces auteurs sont différents dans leur approche de ce que serait l’essence d’un contrat.
Pour Duguit, est contrat quelque soit son environnement mais pour lui le problème principal est d’avoir une définition satisfaisante du contrat. Pour lui, ces éléments constitutifs permettent de définir le contrat comme accord intervenant entre deux personnes ayant pour objet de faire naitre une obligation à la charge de l’une qui devient débitrice au profit de l’autre qui devient créancière. Quant au fond, il n’y a pas de différences entre le contrat privé et le contrat public car le contrat a toujours les mêmes effets selon Duguit. Mais il précise que, certes la notion de contrat est unitaire, mais le régime des contrats connaît une différence de taille. Le régime des contrats administratifs est singulier, cela étant justifié par le service public selon lui. Cette idée de place du service public sera reprit par Jèze qui est fidèle à Duguit.
Péquignot contraste avec cette vision unitaire de la notion de contrat car selon lui le contrat administratif ne s’interprète pas par ce qui a été objectivement voulu par les parties mais par ce qui a été objectivement nécessité par les réalités du service. Il introduit donc la notion de service public dans le contrat et plus seulement dans le régime. Cf. Revue trimestrielle de droit civil. 1993. Page 239. La notion de contrat administratif, acte unilatéral à contenu contractuel ou contrat civil de l’administration. Sinkondo.
La présentation de Charles Eismein insiste sur la différence entre l’acte unilatéral et l’acte plurilatéral en disant que le contrat est un espèce du genre d’acte plurilatéral car pour lui, celui-ci créé des normes régissant les rapports mutuels de leurs auteurs alors que les actes unilatéraux ne créés pas de normes destinées à régir les rapports de leurs auteurs mais à régir la situation de leurs auteurs. Pour lui, le contrat est un acte de volonté car tout acte juridique qui a plusieurs auteurs repose par nature sur des volontés mais il peut être un acte unilatéral. Aussi, il estime que le contrat ne réside pas d’avantage dans un acte de volonté qui créé ou supprime des rapports d’obligations et de droit car il en va de quantité d’actes à plusieurs, notamment le décret. Enfin, il dit que les coauteurs d’un contrat créent des normes qui sont faites pour eux mêmes, en même temps qu’ils sont créateurs de normes ils en sont les sujets. C’est le véritable critère selon Eismein.
P2- Un accord de volonté
La notion de volonté est complexe en droit. Elle est certes connue du droit privé puisque par hypothèse les relations entre égaux reposent sur l’autonomie de chaque volonté et la capacité de chaque sujet de droit à s’engager juridiquement. Or, cette conception subjective de la volonté est très controversée en droit public au sens où une personne publique n’a pas de volonté dans ce sens subjectif. Elle exerce une compétence qui est plutôt une objectivité car elle est définie ou de moins dégagée par des critères. Mais, cela n’empêche pas le pouvoir d’appréciation qui n’est pas négligeable. Par ailleurs, les volontés doivent s’accorder et, de ce point de vue, le lien suppose un consentement réciproque qui peut s’exprimer de plusieurs façons.
Cela a posé des problèmes en jurisprudence. Par exemple, deux syndicats de commune s’associent pour le financement d’un projet commun et la garantie des emprunts. Deux délibérations avaient des buts différents et donc on s’est demandé dans quelle mesure il y avait contrat. Le juge administratif y a décelé un contrat en raison d’un accord de volonté eu égard à la volonté exprimée par les deux communes de se lier par des obligations réciproques : Conseil d’Etat. 20 mars 1990. Commune de Saint-Céré. Autre exemple, a été mise en cause la modification d’un ancien contrat par deux délibérations distinctes mais le juge a estimé que ces deux délibérations échangées entre les deux parties et agréés réciproquement doivent être regardés comme définissant leurs nouvelles obligations contractuelles : Conseil d’Etat. 5 octobre 2005. Commune de Maurepas.
Cela pose la question de savoir si la personne morale peut conclure un contrat avec elle même. Le principe est l’unité de la personne morale et donc le juge sanctionne un contrat passé entre l’Etat et par exemple une poudrerie nationale dès lors que cette poudrerie n’a pas de personnalité distincte de l’Etat : avis de 1958. Cependant, la loi peut en disposer autrement, notamment pour les contrats entre l’Etat et une Autorité administrative indépendante. Parfois, on a une personne morale distincte mais dans le fonctionnement réel il n’y a pas d’autonomie et donc il s’agit d’une fiction car il s’agit d’une seule personne morale. Pour les associations transparentes, il y a un exemple en 2007 à propos d’un contrat entre une association et une entreprise privée conférant à cette dernière une mission de contrôle et de sécurité pour la patrimoine d’une commune. Le problème était celui de la qualification du contrat car l’association était liée à la commune. Le juge a donné une définition de l’association transparente : « lorsqu’une personne privée est crée à l’initiative d’une personne publique qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement et qui lui procure l’essentiel de ses ressources, cette personne privée doit être regardée comme transparente et les contrats qu’elle conclue pour l’exécution de la mission de service public qui lui est confié sont des contrats administratifs». Chambre criminelle. 7 novembre 2012 : la Cour de cassation s’est déclarée compétente pour qualifier une personne transparente et en déterminer les conséquences pénales. N’est pas transparente une association crée à l’initiative de plusieurs collectivités territoriales qui rassemble plus de 300 personnes publiques qui lui procurent ensemble l’essentiel de ses ressources par leur cotisations destinées à couvrir ses dépenses de fonctionnement mais en l’espèce aucun membre de l’association qui regroupe également des personnes privées n’en contrôle ou conjointement avec d’autres personnes publiques l’organisation et le fonctionnement de l’association ni le lui procure l’essentiel de ses ressources : Tribunal des conflits. 2 avril 2012. Société Atexo.
P3- Un accord de volonté qui engendre des effets de droit entre les parties
Le contrat est censé engendrer des effets juridiques caractérisés par un effet relatif. Cela doit permettre d’engager les comportements de type moral extra contractuel ou para contractuel, les protocoles d’accord, les engagements intra contractuels dans le sens où certaines stipulations d’un contrat peuvent pour le juge n’avoir aucune portée juridique. Le respect de ces clauses sera tributaire de la seule volonté des parties dans ce cas. Le renouveau des principes contractuels pourrait donner une nouvelle vigueur à ce genre de stipulations. On a eu notamment des interrogations sur les contrats cadres ou sur les anciens contrats de plan (contrats de projet Etat-région).
Le problème est que le juge a rarement statué sur la difficulté juridique elle même. Souvent, il a été saisi par des tiers à ce contrat et il a tranché le litige par la notion d’intérêt à agir du tiers pour contester le contrat. Dans le cas inverse, il n’a pas toujours suivi la même jurisprudence. Par exemple, le juge administratif a considéré que d’après la loi du 29 juillet 1982 instaurant les contrats de plan, ces actes sont bien des contrats et la méconnaissance des stipulations de ce contrat est susceptible d’engager la responsabilité d’une partie vis-à-vis de ce cocontractant : Conseil d’Etat. Ass. 8 janvier 1988. Synchroton. Moins de 10 ans plus tard, le Conseil d’Etat affirme qu’il ressort de la loi qu’un contrat de plan Etat-région n’emporte par lui même aucune conséquence directe quant à la réalisation des actions qu’il prévoit : Conseil d’Etat. 25 octobre 1996. Association Estuaire écologie. Aussi, concernant un contrat de plan entre la Poste et l’Etat, le juge estime que ce dernier a une portée purement contractuelle et les tiers peuvent poursuivre l’annulation des contrats qui en sont détachables, au nombre desquels la décision de le signer mais le juge précise d’emblée que la recevabilité d’un tel recours est toutefois subordonné à la condition que les stipulations du contrat de plan mis en cause soient de nature à laisse le requérant dans ses intérêts de façon directe et certaine : Conseil d’Etat. Section. 19 novembre 1999. Fédération Syndicale Force Ouvrière des Postes et des Télécommunications. En résumé, il semble que la jurisprudence soit sensible à la texture des actes juridiques en cause. Si l’acte dans sa rédaction même laisse penser que de véritables engagements ont été pris, il sera considéré comme étant un véritable contrat. Si le contenu de l’acte est considéré par le juge comme trop vague, il n’y aura pas contrat. Dernier élément d’ambiguïté, un contrat programmatique suppose par définition la conclusion ultérieure de contrats pour mettre en œuvre le programme en question et le juge administratif est sensible à cette question car les contrats mettant en œuvre le programme n’existent que parce qu’existe le contrat de programme et donc dans cette hypothèse, le juge fait une différence entre le contrat initial et le contrat de mise en œuvre, notamment pour le projet d’agglomération qui donne lieu à des contrats d’agglomérations pour la mise en œuvre. Si le projet d’agglomération qui ne fixe que des orientations et prévoit leur concrétisation par des conventions ultérieures constitue une simple déclaration sans portée juridique, en revanche, les contrats particuliers que constituent les contrats d’agglomérations conclus pour la mise en œuvre du projet présentent le caractère de contrat susceptible de mettre en jeu la responsabilité contractuelle des contractants : CAA de Bordeaux. 16 juillet 2013.
Concernant les effets de droit entre les parties, l’effet relatif du contrat est particulier en droit administratif car celui ci a longtemps été réticent à l’idée de subjectivité. Duguit identifie trois types d’actes : acte-subjectif qui créé une situation juridique individuelle et subjective du type relation créditeur-créancier ; acte-règle crée des situations juridique générales et impersonnelles ; acte-condition qui attribue individuellement à un sujet de droit le bénéfice d’une situation générale et impersonnelle. Pour Duguit, seul l’acte-subjectif pouvait être contrat, chose logique au regard de sa définition du contrat. Or, le droit positif démontre le contraire car on pout avoir l’adoption d’actes-règles comme les conventions collectives singées par les syndicats, employeurs et administration mais aussi des actes-condition comme les contrats d’agents publics : Conseil d’Etat. Section. 30 octobre 1998. Ville de Lisieux : les contrats par lesquels les agents publics non titulaires sont recrutés sont au nombre des actes dont l’annulation peut être demandée au juge administratif par un tiers y ayant un intérêt suffisant.
Section 2- La distinction du contrat et de l’acte unilatéral
Il y a des situations dans lesquelles la frontière entre le contrat et l’acte unilatéral est floue pour une série des raisons. La qualification d’un acte peut ne pas correspondre à la réalité juridique de cet acte, en particulier lorsque la qualification est faite pas les parties. Dans cette hypothèse, le juge annule l’acte ou, si possible, le requalifie. Le problème est particulier lorsque le législateur qualifie lui même un acte comme étant contractuel et qui peut opérer cette distinction sans qu’elle corresponde à la réalité de l’acte. Dans ce cas, le juge ne peut requalifier, sous réserve d’une inconventionalité ou d’une inconstitutionnalité de la loi, mais il peut ne pas tirer toutes les conséquences de la qualification législative, notamment de l’effet relatif du contrat. Le fait sur est que la distinction entre contrat et acte unilatéral est parfois faite par le droit applicable. Certaines modalités de gestion de service public imposent un contrat : Conseil d’Etat. Section. 6 avril 2007. Commune de Provence.
P1- L’acte unilatéral négocié
La solution a été très claire : ce n’est pas parce que l’acte fait l’objet d’une négociation qu’il perd sa qualité d’acte unilatéral. Le juge n’hésite pas à requalifier un contrat en d’accord négocié lorsque son enveloppe contractuelle masque en réalité un aspect réglementaire. Le juge a pu requalifier un acte de politique contractuelle qui intervenait dans un domaine réservé au pouvoir de réglementation unilatéral. Cet acte avait peut être été pris en accord avec les organismes professionnels concernés mais cet acte relatif à la police des prix n’en est pas moins un acte exclusivement unilatéral : Conseil d’Etat. Section. 22 mars 1976. Syndicat national du commerce en gros pour les équipements de véhicules.
P2- La convention ayant des effets réglementaires…
A- …Par une approbation
C’est l’hypothèse où une convention fait ensuite l’objet d’une approbation par acte réglementaire. C’est le cas des conventions médicales qui résultant d’un processus de concertation entre les pouvoirs publics et les ordres professionnels qui peut déboucher sur des conventions tarifaires qui sont des contrats administratifs mais ils n’ont pas d’effet pour les tiers, temps qu’ils ne sont pas approuvés par un arrêté ministériel. Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser les effets de cette approbation par acte réglementaire. Le juge s’appuie sur la convention nationale approuvée par arrêté ministériel car selon lui du fait de d’intervention de l’arrêté interministériel, les dispositions de la convention produisent des effets juridiques s’attachant à un acte réglementaire : Conseil d’Etat. Section. 18 février 1977. Hervouet.
L’intérêt de cette mutation est que les tiers à la convention peuvent en contester le contenu par un REP contre l’acte d’approbation en s’appuyant sur les dispositions contractuelles.
B- … En raison de son objet
C’est l’hypothèse d’un acte portant sur l’organisation du service public car cette matière est nécessairement d’ordre réglementaire. Dans ce cas, les stipulations dont l’objet est l’organisation du service public sont requalifiées par le juge en disant que ces stipulations ont un caractère réglementaire (ex : Conseil d’Etat. Section. 18 mars 1977. Chambre de commerce de la Rochelle).
P3- Le contrat à clause mixte
Les contrats à effet totalement réglementaire ne sont pas fréquents mais il arrive que des contrats soient mixtes et donc ils ont à la fois des stipulations contractuelles et des dispositions unilatérales. L’un des principaux enjeux est le contentieux. Le cas le plus typique du contrat mixte est celui relatif au service public. La nature contractuelle ne fait pas de doute car l’autorité administrative s’engage dans une relation contractuelle avec un tiers mais il y a toujours aussi des dispositions rédigées unilatéralement par l’administration et relatives à l’organisation des services publics, c’est souvent ce qu’on appelle le règlement du service public prenant la forme de cahier des charges.
Ces clauses sont considérées comme étant un double nature : elles sont contractuelles pour le contractant car il devra les respecter mais elles sont aussi de nature règlementaire pour les tiers qui pourront s’en prévaloir. Cette jurisprudence a été relative longue et ancienne. Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a admit le REP d’un tiers pour un acte détachable du contrat (Conseil d’Etat. Martin. 4 août 1905 : contre la décision de conclure un contrat en l’espèce). Dans un deuxième temps, il a admit le REP contre une décision d’exécution d’un contrat en raison du caractère détachable de cet acte (Conseil d’Etat. 21 décembre 1906. Croix de Seguey-Tivoli). Cette jurisprudence concerne tous les actes administratifs détachables d’un contrat qu’ils précèdent la passation du contrat ou qui concernent son exécution. En revanche, le recours contre un acte détachable et préalable au contrat n’est plus possible pour le concurrent évincé car le Conseil d’Etat a ouvert le recours de plein contentieux contre le contrat lui-même pour ce concurrent évincé : Conseil d’Etat. 16 juillet 2007. Société Tropic Travaux Signalisation.
Un des enjeux sur la recevabilité des recours contre les actes détachables est le fait que l’annulation de l’acte détachable n’entraine pas de conséquences sur le contrat. Désormais, depuis les années 1990, le Conseil d’Etat a assouplit sa jurisprudence dans un souci de réalisme en reconnaissant que l’annulation d’un acte détachable n’est pas toujours platonique et doit donc entrainer des conséquences sur le contrat lui même. Cela a même tendance à devenir le principe. Le Conseil d’Etat a posé la dernière pierre de l’édifice en acceptant le REP contre les actes réglementaires d’un contrat dans la mesure où ils s’imposent aux tiers : Conseil d’Etat. Ass. 10 juillet 1996. Cayzeele. C’est donc la première incursion directe dans le contrat.