L’indisponibilité du corps humain

Droits du corps humain : L’indisponibilité du corps humain

Les fabuleux progrès de la médecine ont bouleversé les données. C’est ainsi que dès 1952 a été reconnu la licéité du don du sang, et en 1976 le don d’organes. Une étape importante a été franchie avec la loi du 20 décembre 19882 autorisant ouvertement les expérimentations sur le corps humain. Après plusieurs années de réflexions et de nombreux débats, deux lois importantes ont complété le dispositif : il s’agit des lois du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, intégrée dans le Code civil et du 29 juillet 1994 relative aux principes généraux applicables au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, intégrée dans le Code de la santé publique. Ces deux lois constituaient un ensemble, et sont le plus souvent dénommées « lois bioéthiques ». Ces lois devaient faire l’objet d’une révision au bout de cinq ans. Il a fallu attendre en réalité près de dix ans : la loi du 6 août 2004 n’a pratiquement pas changé les textes du Code civil ; en revanche elle apporte des modifications substantielles au Code de la santé publique.

Selon l’article 16 « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de la vie ». Il s’agit là d’une déclaration de principe, à portée limitée, puisque les textes suivants et ceux intégrés dans le Code de la santé publique apportent des limitations importantes.

L’article 16 pose expressément l’interdiction de l’atteinte à la dignité de la personne humaine. Ce principe très général a été également affirmé par le Conseil constitutionnel : la sauvegarde de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle. D’autres textes y font aussi référence. A lui seul, ce principe fondamental suffit à fonder l’ensemble de la législation bioéthique. On peut aussi y rattacher diverses atteintes spécifiques ; fait d’abuser de la vulnérabilité d’une personne, conditions de travail, protections diverses contre la dégradation, voire l’humiliation, etc

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§ 1 – Le principe d’indisponibilité

Le corps humain n’est pas une chose. C’est pourquoi il est hors du commerce, indisponible selon l’article 1128, il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet de conventions. En principe, il est exclu de faire des conventions sur le corps ou ses éléments et produits.

Il est interdit de vendre un organe, un bout de peau, et, à plus forte raison, des gamètes ou un embryon… Ce principe a pu être mis en avant par la Cour de cassation pour déclarer illicite le recours aux « mères porteuses ». La solution figure aujourd’hui à l’article 16-7 : « toute convention partant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ».

Il n’existe pas de droit « à » l’enfant. En aucun cas, un enfant ne peut être traité comme un bien dans le commerce. Aucune convention ne peut être conclue relativement au corps d’un enfant à naître ou déjà né.

En ce sens, il est certain que le principe d’indisponibilité est une règle fondamentale du droit privé.

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1 on songe spécialement au cas où le fœtus a été blessé à la suite d’une intervention volontaire de grossesse non réussie

2 L’application, aux instances en cours le 7 mars 2002, des dispositions de cette loi qui écartent la réparation du « préjudice de vie » aux conditions favorables établies par la jurisprudence Perruche, ont valu à la France des constats de violation de la Convention européenne des droits de l’homme (Cour EDH, 6 oct. 2005). La Cour de Cassation comme le Conseil d’État se sont inclinés. Reste à savoir si la loi « anti-Perruche » elle-même sera un jour censurée.

Si le corps humain est indisponible, doit-il aussi en être de même pour ses produits et éléments ? C’est ce que semble suggérer le législateur, mais de manière ambiguë : les conventions sont possibles ; ce qui est interdit c’est de conférer une valeur patrimoniale aux éléments ou produits.

Le principe d’indisponibilité a toujours connu des limites. Certaines résultent d’une situation de fait : ainsi, la prostitution est une convention valable ; les sportifs sont rémunérés pour leur force physique… Nul n’est d’ailleurs intéressé à remettre en cause la validité de telles conventions.

Par ailleurs, il est apparu de plus en plus utile de consacrer l’évolution des sciences biomédicales, et de valider l’utilisation des éléments et produits du corps humain, notamment pour favoriser le développement de l’assistance médicale à la procréation et la transplantation d’organes : la loi intégrée au Code de la santé publique autorise et réglemente l’utilisation des produits et éléments du corps humain, qui sont en réalité traités comme des biens susceptibles de faire l’objet de conventions.

Mais ceci a été fait de manière indirecte : les contrats entre deux personnes présentes et qui se connaissent restent globalement interdits4.

Seuls les « dons » sont autorisés : une personne fait un don, une autre personne le reçoit. L’« anonymat » protège et le donneur et le receveur. Ce mécanisme original explique qu’un ensemble de principes de même nature puissent être dégagés. On rapprochera du don les expérimentations sur le corps, qui obéissent globalement aux mêmes règles.

Si la loi déclare qu’elle assure la primauté de la personne et interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci, force est de reconnaître qu’elle-même admet bien des entorses à cette règle. A été légalisée la pratique de la procréation médicalement assistée, ce qui implique la validation de la technique de la congélation d’embryons. A été élargie la possibilité de dons d’organes, et ouvertes définitivement les possibilités d’expérimentations sur le corps humain, y compris des personnes saines, ce d’ailleurs dès 19885. Ces atteintes sont souvent dissimulées à travers des textes épars figurant dans le Code de la santé publique. Il faut donc s’efforcer de trouver des principes les régissant, de façon à encadrer les pratiques médicales, et à limiter les revendications excessives.

§ 2 – Les principes régissant les actes autorisés

I – La protection de celui qui subit une atteinte à l’intégrité de son corps

La protection passe par l’exigence du consentement préalable, dont le recueil est soumis à des règles strictes, afin que l’on ait la certitude qu’il a été donné de manière libre et éclairé. En amont, le médecin est tenu de donner au patient toute information sur les risques, mêmes exceptionnels, encourus lors d’un traitement ou d’une intervention.

Celui qui envisage de faire un don d’organe, de cellules, etc. dispose d’une possibilité de révocation unilatérale.

L’obligation de soins imposée aux médecins les conduit parfois à transgresser ce principe. Le médecin doit en principe recueillir le consentement, sauf cas d’urgence. Cette obligation imposée au médecin entre en conflit avec le principe du respect de la volonté du patient lorsque, pour des raisons de principes, notamment religieux, celui-ci refuse des soins. Ainsi en est-il des témoins de Jéhovah qui refusent des transfusions sanguines. La jurisprudence avait décidé que n’est pas responsable le médecin qui procède à un tel acte en cas d’urgence pour sauver un malade. Aujourd’hui, la loi du 22 avril 2005 autorise toute personne à refuser un traitement médical ; il n’est pas évident que la solution soit maintenue.

Selon l’article L. 1121-2 du Code de la santé publique, « aucune recherche biomédicale ne peut être effectuée sur l’être humain si elle ne se fonde sur le dernier état des connaissances scientifiques et sur une expérience préclinique suffisante ; si le risque prévisible encouru par les personnes qui se prêtent à la recherche est hors de proportion avec le bénéfice escompté pour ces personnes ou l’intérêt de cette recherche ; si elle ne vise pas à étendre la connaissance scientifique de l’être humain et les moyens d’améliorer sa condition ».

Le principe de proportionnalité entre les risques encourus par le patient et le bénéfice escompté pour la personne est un principe essentiel en matière de recherches biomédicales, dans lesquelles il convient de veiller à éviter tout débordement. Il est spécialement difficile à respecter lorsque sont testés de nouveaux médicaments sur des personnes saines. Il vaut aussi, de manière plus générale, pour tous les actes médicaux, le Code de déontologie l’ayant consacré depuis longtemps. Relevons que pour couvrir les actes qui ne sont pas destinés à tenter de guérir un malade, mais à tester de nouvelles techniques ou médicaments, la loi vise le bénéfice « pour la personne » ou « pour la recherche ». C’est admettre très officiellement l’atteinte à l’intégrité du corps sans nécessité pour la personne elle-même, dans l’intérêt de la science.

Tout acte médical doit être effectué dans des conditions de sécurité sanitaire renforcée. Par exemple, le Code de la santé publique réglemente les lieux où ces actes peuvent être effectués, renforce les contrôles en cas d’utilisation du sang, etc.

Toutes les personnes ne sont pas autorisées à faire don de leurs éléments, produits du corps… Les majeurs protégés, les mineurs, les personnes incarcérées, les femmes enceintes font tous l’objet de dispositions particulières. Parfois, les actes sont purement et simplement interdits. La loi est particulièrement vigilante en matière d’expérimentation biomédicale, domaine dans lequel les risques d’abus d’influence ou d’autorité sont spécialement aggravés.

II – Le principe de secret de l’identité

Le principe même du don implique que l’on ne puisse faire un rapprochement entre le donneur et le receveur, et par là les identifier. Ceci explique la disposition de l’article 16-8 : « aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur ni le receveur celle du donneur ».

On dit souvent que le don est anonyme. En fait, il s’agit plus d’un secret d’identité qui est imposé. La preuve en est que donneur et receveur sont parfaitement identifiés, connus par les services médicaux. Ce que l’on ne veut pas, c’est que donneur et receveur aient la possibilité respective de se connaître… C’est pourquoi l’article 16-8 reconnaît aux médecins du donneur et du receveur et à eux seuls la possibilité d’avoir accès aux informations permettant l’identification de ceux-ci.

Le principe est spécialement utilisé dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation : c’est parce que l’on a imposé le secret de l’identité des deux parties que tout peut se passer comme si l’enfant né par insémination artificielle était l’enfant biologique du couple.

III – La non-patrimonialité du corps et la gratuité des actes

La non-patrimonialité signifie qu’aucune valeur pécuniaire ne peut être conférée au corps lui-même, à ses éléments ou produits. L’article 16-5 proclame le principe. « Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles. » Dans la même lignée, l’article 16-6 interdit qu’une rémunération soit allouée à celui qui se prête à une expérimentation sur sa personne, au prélèvement d’éléments de son corps ou à la collecte de produits de celui-ci.

Différents textes du Code de la santé publique rappellent le principe. Ainsi celui qui se prête à des expérimentations avec bénéfice thérapeutique direct ne peut obtenir de rémunération ; le don de sang ou de plaquettes sanguines, le don d’organe, le don de sperme et le don d’embryon sont nécessairement gratuits. Ce principe a pu être discuté, notamment après l’affaire du sang contaminé, car il donne l’illusion de la sécurité et de l’impossibilité de tout trafic.

En corollaire, est généralement interdite la publicité en faveur d’un don.

Le principe a été légèrement modéré en cas d’expérimentation sans bénéfice thérapeutique direct pour la personne : une « indemnité » peut être allouée. Un montant annuel à ne pas dépasser est fixé par les textes, afin d’éviter que des personnes nécessiteuses ne deviennent des professionnels du don.

Le principe de non-patrimonialité a une portée qui reste limitée : une fois le produit ou l’élément du corps prélevé, rien n’empêche qu’il rentre dans le commerce. Il en est ainsi pour le sang. Pour le sperme et la transplantation d’organe, les solutions sont plus subtiles, pas « d’achat » officiel, mais remboursement par la sécurité sociale des « frais ».

Dans le souci d’éviter la commercialisation du génome humain, la loi de 1994 avait interdit la brevetabilité des séquences génétiques. Une directive européenne du 6 juin 1998 a mis à mal notre position. Après avoir largement dépassé les délais de transposition et sans avoir convaincu le reste de l’Europe de la qualité de sa position, la France a du se plier. Sont désormais brevetables les inventions constituant l’application technique d’une fonction d’un élément du corps humain