L’intérêt à agir de la victime

L’intérêt à agir de la victime, une conditions de l’action en justice

Qu’est ce que l’action civile? Son but est la réparation du dommage causé par l’infraction. L’action civile ne peut être menée que si certaines conditions sont remplies.
Nous étudierons plus particulièrement la condition liée à l’intérêt à agir.

  • L’action en réparation d’un dommage doit tout d’abord résulter d’une infraction à la loi pénale, ce qui a pour effet de confronter deux parties distinctes.
  • Un dommage direct et personnel : Celui qui demande réparation doit être directement et personnellement touchée par le préjudice.
  • La capacité à agir de la victime : La capacité s’apprécie au moment de l’introduction de l’action et non à la date de la commission de l’infraction. La procédure pénale va, ici aussi, faire application des règles du droit civil et notamment du droit des incapacités. Par exemple, si la victime est un mineur, ses représentants légaux le représenteront. S’agissant des incapables protégés, on fera application des règles de droit des incapacités tel qu’elles existent dans le Code civil. Que se passe-t-il si les parents du mineur sont à l’origine de l’infraction ? Il est possible pour éviter un conflit d’intérêt, de désigner un représentant spécifique de la victime en désignant un administrateur ad hoc.
  • L’intérêt à agir. Cette victime, qui a personnellement souffert du dommage, peut exercer l’action civile, qui est une action en réparation. Cette action est nécessairement sous-tendue par un intérêt. « L’intérêt est la mesure de l’action ». Cela pose la question de savoir quel est l’intérêt dont la victime se prévaut lorsqu’elle prétend agir devant une juridiction répressive. Cela pose le fondement de l’action civile et son objet. Cette dernière condition est étudiée ci-dessous :

Section 1 : Le fondement de l’action civile

L’article 2 du Code de Procédure Pénale définit l’action civile comme une action en réparation du dommage directement causé par l’infraction. Il s’agit donc d’une action en responsabilité civile. Plus précisément, lorsque la victime exerce l’action civile, elle veut voir mise en jeu la responsabilité civile de l’auteur de l’infraction, à son égard. Il s’agit d’une action en responsabilité délictuelle et non pas contractuelle, selon le droit civil.

Il s’agit ici uniquement d’un fait juridique entrainant une responsabilité de nature délictuelle. S’agissant des textes qui fondent l’action civile, il s’agit des articles 1382 et 1383 du Code civil. Le premier est l’article qui permet d’engager la responsabilité civile d’une faute civile intentionnelle alors que l’autre permet d’engager la responsabilité civile d’une faute d’imprudence.

Lorsque la victime d’une infraction exerce l’action civile, elle se base sur l’un de ces deux articles. Il en résulte que, le fondement de l’action civile étant celui-là, la victime de l’infraction ne peut se prévaloir des règles d’une autre responsabilité comme la responsabilité contractuelle ou civile détachée de la faute. On a en effet plusieurs régimes de la responsabilité civile. On trouve la responsabilité pour faute, du fait des choses etc.

La victime ne peut-elle pas exercer au pénal des actions de nature civile ? Ne peut-elle pas exercer les actions « à fins civiles » ? C’est un exemple déjà pris : si l’on parle de coups et blessures intentionnelles envers une femme, par son mari, elle peut demander réparation des violences devant la juridiction pénale, sur le fondement de l’article 1382. Elle ne peut néanmoins pas exercer devant la juridiction civile, une action « à fin civile » comme le divorce.

Parfois, il arrive que l’action civile ait une assise plus étendue que 1382 et 1383. Cette extension peut être donnée par la jurisprudence. Il existe un texte propre à l’hypothèse des accidents de la circulation par une loi de 1985 engageant la responsabilité civile du conducteur d’un véhicule impliqué dans un accident, la fondant autrement que sur la faute. La jurisprudence aurait du estimer que le juge répressif ne pouvait pas connaître de la réparation de ce cas, car il n’y a pas de faute dans cette loi. La chambre criminelle a admis que la victime d’un accident de la circulation puisse exercer une action civile devant le juge répressif en invoquant les principes de la loi de 1985 alors que cette loi est détachée de la faute.

L’élargissement de l’action civile peut résulter d’une initiative du législateur. Par exemple, il a parfois consacré lui -même la compétence du tribunal répressif pour allouer une réparation alors même qu’il n’y a pas de responsabilité pénale. Autrement dit, avec une décision de relaxe ou d’acquittement, l’action civile devrait disparaître, mais le législateur peut maintenir la compétence pour statuer sur l’action civile.

La loi peut aussi accepter que le tribunal répressif soit saisi pour des demandes d’actions à fins civiles, qui ne sont pas des actions en réparation. Ainsi, il existe des infractions en matière de chèques. Le tribunal correctionnel ne devrait être compétent que pour allouer réparation au préjudice subi par la victime. Le Code monétaire et financier peut ordonner à l’auteur de l’infraction de payer la créance à l’origine de l’émission du chèque délictueux. Cela n’est pas la réparation d’un dommage, mais le législateur en a décidé ainsi.

Dès que l’on connaît le fondement de l’action civile, on comprend mieux l’objet de la demande formée par la victime.

Section 2 : L’objet de la demande

Cet objet est facile à déterminer. Puisque l’action civile est une demande civile de réparation d’un dommage subi, elle a pour objet d’accorder la réparation du préjudice subi par la victime, conformément à l’article 2 du Code de Procédure Pénale.

De cette solution naturelle, la jurisprudence a admis qu’il fallait s’éloigner. Elle a accepté la recevabilité d’une demande de la victime, demande dont il est avéré qu’elle ne pourra lui procurer réparation. La question est alors de savoir pourquoi la victime qui ne peut obtenir réparation, est présente. Elle veut participer à l’accusation. C’est un autre objet possible de l’action civile : participer à l’accusation.

  • 1. La réparation

C’est l’objet naturel de l’action civile. Puisqu’il s’agit d’une action en réparation civile, elle a pour objet de donner à la victime réparation du dommage causé par l’infraction. On exigera alors simplement que le dommage présente les caractères requis en droit civil : un dommage certain, direct et personnel. La partie civile ne peut ainsi pas obtenir réparation du préjudice fiscal causé par l’infraction, puisque le fisc a une logique différente. Il s’agit en effet d’une répercussion trop indirecte.

Le juge répressif est compétent pour indemniser tous les préjudices résultant des faits objets de la poursuite. Il s’agit de l’article 3 du Code de Procédure PénaleL’action civile peut être exercée en même temps que l’action publique et devant la même juridiction. Elle sera recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objets de la poursuite »).

Il faut s’attarder quelques instants avec cet article 3 pour comprendre son articulation avec l’article 2 c’est un raisonnement à double détente.

On se pose ainsi la question de la qualité. La personne a-t-elle la qualité de victime ? Cela dépend de l’article 2. Si elle n’a pas la qualité, elle est irrecevable devant le juge répressif. Si elle l’a, se pose la question de savoir de quel type de préjudice elle peut obtenir réparation.


  • Cette deuxième question est alors de savoir de quel type de préjudice elle peut obtenir réparation. Ceci est une question seconde. C’est là qu’intervient l’article 3 : elle peut obtenir réparation de tous les chefs de préjudices « corporels, matériels ou moraux ».

Supposons des blessures par imprudence : qui a la qualité pour agir ? Celui qui a personnellement souffert du dommage : le blessé. Ce blessé, de quel type va-t-il obtenir réparation ? De tous les préjudices dont il a souffert : un préjudice corporel, matériel correspondant aux salaires perdus. Il ne faut pas considérer que si l’infraction est une atteinte à l’intégrité physique, il n’y aurait que préjudice corporel

En procédure civile, on exige souvent de la victime qu’elle se prévale d’une atteinte à un intérêt légitime. Cela permet au juge civil de refuser l’indemnisation à des gens qu’il estimerait ne pas être dans une situation légitime. C’est une jurisprudence qui voyait des chambres civiles refuser l’indemnisation à une concubine car sa position n’était pas légitime.

La chambre criminelle a toujours eu une position originale concernant l’intérêt légitime. C’est là encore, une position « politique ». Si l’on dit en effet que l’on va avoir de la légitimité de l’intérêt, une conception étroite, le nombre de ceux qui vont pouvoir déclencher des poursuites va être réduit.

  • 2. La participation à l’accusation

Si l’on faisait application stricte de l’article 2 du Code de Procédure Pénale le raisonnement à effectuer serait le suivant : puisque l’action civile vise à obtenir réparation, si la victime ne peut pas obtenir réparation, elle ne devrait pas pouvoir avoir accès au prétoire pénal. En effet, elle n’a aucun intérêt à agir. Qui n’a pas d’intérêt n’a pas d’action.

Cela est un bon raisonnement, mais la jurisprudence s’en fout. Elle permet en effet à une victime qui ne pourra pas obtenir réparation, d’être présente devant le juge répressif. Il faut alors croire que cette présence correspond à un intérêt suffisant, qui n’est donc pas d’obtenir réparation. En sa qualité de victime soigneusement contrôlée, elle a intérêt à l’accusation. Plus précisément, elle a intérêt à déclencher l’action publique, ou à s’y joindre si elle est déjà déclenchée . La Cour de cassation a ainsi affirmé qu’une victime pouvait être présente devant une juridiction répressive dans le seul souci de « corroborer l’action publique ». Pour décrire ce phénomène d’une victime présente devant le juge répressif alors qu’elle sait qu’elle ne pourra obtenir réparation, on parle de la « dissociation de l’action civile », c’est-à-dire qu’elle se dissocie de son objet habituel qu’est la réparation.

Cette dissociation peut se produire dans des hypothèses différentes :

  • On trouve celle où, de toute façon, la victime ne peut obtenir réparation du tribunal répressif. Elle ne peut pas en obtenir réparation car ce tribunal répressif est incompétent pour la lui allouer. L’auteur de cette infraction serait un fonctionnaire en sorte que l’ordre de juridiction compétent pour réparer les fautes de ce fonctionnaire est le tribunal administratif. Cela concerne une faute « non détachable de la fonction ». La réparation des dommage causés en ce cas relèvent exclusivement de la compétence des juridictions administratives. Idem pour les accidents du travail : le prétoire pénal est incompétent pour allouer la réparation – juridictions de sécurité sociale.

  • Il peut aussi arriver que la victime ne veuille pas demander la réparation. La chambre criminelle considère cela possible, car la victime peut, par cette qualité, se constituer partie civile.

  • On trouve un troisième cas plus délicat, qui est celui où la victime prétend agir devant le tribunal répressif alors que le dommage subi a déjà été réparé.

Par exemple, cette victime a pu obtenir indemnisation de l’infraction, par son assureur. Il n’y a ainsi plus de préjudice lorsqu’elle se présente devant le tribunal répressif. La Cour de cassation estime que la victime doit pouvoir agir devant la juridiction répressive. On franchit donc un pallier supplémentaire. Dans les hypothèses précédentes, il restait le principe d’un droit à réparation ; ici le principe a purement et simplement disparu, le dommage ayant été déjà indemnisé.

Ce phénomène de dissociation de l’action civile est important. En effet, si la partie civile ne peut obtenir réparation, ce phénomène de dissociation ne lui ferme pas, pour autant, la porte du tribunal pénal. Comment expliquer pourtant cette dissociation de l’action civile ? Cette action civile aurait une double nature. Elle aurait une nature réparatrice et aussi une nature répressive, la victime voulant participer à l’accusation.

Il faut comprendre, quelle que soit l’explication du phénomène, que l’on est en présence d’une solution jurisprudentielle capitale. C’est une solution, politiquement, d’une extrême importance. En effet, cela évite que certaines personnes bénéficient d’une immunité de fait, certaines qu’elles seraient de pouvoir commettre une infraction sans être poursuivie.

Voici une infraction commise par un fonctionnaire dans le cadre d’une campagne électorale. On a donc des candidats, dont un qui n’appartient pas à la majorité, qui envoie des tracts par la poste. Le préfet l’apprend et ordonne au receveur des postes de ne pas distribuer les tracts. Le candidat dont les tracts ont été retenus invoque l’infraction pénale, et va poursuivre le préfet et le receveur des postes. Peut-on poursuivre en sachant que l’on ne pourra obtenir réparation, car il y a non détachabilité des fonctions ? Le candidat se constitue partie civile, mais la juridiction pénale lui refuse de se constituer partie civile. Le seul pouvant déclencher l’action publique dans ce cas serait ainsi le ministère public, qui devrait poursuivre le préfet ayant certainement agi sur ordre du ministre. Si l’on entérine cette solution, il y aura absence de poursuites. Le ministère public ne le fera pas pour des raisons politiques, étant sous le contrôle hiérarchique du ministère de la justice. Ceci signifierait la fin de l’État de droit et que certaines personnes pourraient commettre des infractions en sachant que le parquet ne poursuivrait pas les poursuites.

Dans cette affaire en 1953, la chambre criminelle a sauvé l’État républicain en disant que la victime, malgré le fait qu’elle ne puisse pas obtenir réparation, peut se constituer partie civile et déclencher les poursuites. Il n’y a donc pas monopole du parquet dans le déclenchement de telles poursuites.

Si l’on définit l’action civile comme une réparation, il peut y avoir des cas où il n’y a pas de réparation. Certains auteurs ont dit qu’il y aurait « constitution de partie civile sans action civile ».