L’opinion publique
La démocratie est en théorie le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple (Lincoln). L’opinion publique joue donc un rôle essentiel dans le jeu démocratique. En effet, le peuple est la source de légitimité de tout pouvoir. Son opinion doit être respectée et guider l’action publique. Une politique démocratique est donc une politique qui correspond à la volonté populaire. Elle est donc conforme à l’opinion publique c’est-à-dire à l’opinion du peuple souverain.
Définition de l’opinion publique :l’ensemble des convictions et des valeurs plus ou moins partagées, des jugements, des préjugés et des croyances de la population d’une société donnée. La définition de l’opinion publique a évolué au cours de l’Histoire. Certains l’ont louée, comme les Lumières, d’autres l’ont jugée versatile et subversive, comme John Locke ou avant lui Platon. La démocratie lui donnera toute sa légitimité, par le suffrage universel direct.
Ainsi, les sondages s’imposeront comme l’outil adéquat pour mesurer l’opinion publique. Inventé aux États-Unis, c’est le journaliste et statisticien George Gallup qui transposera ce procédé commercial à la politique, lors de l’élection présidentielle de 1936. Le psychosociologue Jean Stoezel l’implantera en France en créant l’Ifop, en 1938. L’opinion publique passe alors du statut d’idéal politiquement instable à celui de notion scientifiquement établie, notamment par l’expression en pourcentage. Plusieurs sociologues, comme Paul F. Lazarsfeld, iront dans ce sens.
En démocratie, c’est l’opinion publique qui constitue le principe de légitimation par excellence. Une politique répondant aux attentes de l’opinion publique étant une politique légitime et inversement : une politique condamnée par l’opinion publique risque fortement d’apparaître comme illégitime.
Contenu de l’enjeu de l’opinion publique, de nombreuses questions se posent. L’opinion publique existe-t-elle vraiment ? Est-elle une construction artificielle ou un artefact social ?
Un artefact est le produit de la méthode d’enquête. C’est quelque chose qu’on croit être le réel mais qui est en fait une réaction liée à l’enquête.
L’artefact est le risque majeur de toutes les études de science sociale.
Ex : Quand on suit un candidat de très prés, il y a beaucoup de chances pour que le comportement de ce candidat soit différent du fait de notre présence. L’attitude du candidat est liée à notre présence.
Comment fait-on pour connaître l’opinion publique si elle existe ? Comment sait-on ce que veut l’opinion ? Qui est habilité à traduire cette volonté, donc de dire l’opinion ? Qui a le pouvoir de faire parler l’opinion ?
Pendant longtemps, ce sont les élus de la nation (les parlementaires) qui détenaient le monopole de l’expression de l’opinion publique. Seuls les députés (car ils sont élues au suffrage universel par le peuple) pouvaient prétendre parler au nom du peuple.
La presse à chercher à concurrencer les parlementaires, à se faire le porte-parole de l’opinion publique.
Les journaux ont cherché à se faire reconnaître comme des acteurs légitimes dans la compétition pour l’expression de l’opinion publique.
La manifestation de rue (naissance dans le milieu du XIXe siècle) est un répertoire politique organisé, conventionnel (contrairement aux émeutes).
Enfin, certaines organisations et partis politiques incarnent l’opinion publique à travers certaines manifestations qu’ils encadrent.
On peut dire que jusqu’au début des années 1960, il n’y avait pas en France une définition et un mode d’expression universellement reconnu de l’opinion publique mais un ensemble de définitions et de vastes expressions concurrentielles.
A la fin des années 1960, tout change car les instituts de sondage qui jouaient avant un rôle marginal s’imposent comme les seuls habilités à dire ce qu’est l’opinion publique. Une nouvelle croyance collective s’impose dans les années 1970: les sondages seraient une technique scientifique qui permettrait de faire parler le peuple, sans intermédiaire, sans passer par la presse, les élus, ou les partis politiques.
La technique des sondages n’a pas été inventée à cette époque. Elle fut inventée aux USA en 1935 par George Horace Gallup. Il parvient à démontrer l’efficacité de cette technique lors de la réélection du président Roosevelt en 1936. En effet une revue américaine célèbre annonçait la défaite de Roosevelt sur la base d’une consultation organisée auprès de citoyens américains (environ 2 500 000 citoyens). Gallup, sur la base d’un échantillon de 5000 citoyens seulement prévoit la réélection de Roosevelt. C’est à ce moment que commence la fascination pour les sondages.
En France, il faudra attendre 30 ans pour que les sondages s’instaurent dans la vie politique. Le premier institut de sondage l’IFOP créée en 1938 reste dans l’ombre pendant longtemps. Après la deuxième guerre mondiale, c’est le début de la reconnaissance des sondages notamment parce que l’on parvient grâce aux sondages à pronostiquer le résultat du référendum pour la création d’une assemblée constituante. Dès le début de leur reconnaissance, les sondages restent pourtant dans des secteurs marginaux. Ce n’est que 20 ans plus tard que les sondages s’imposeront véritablement dans le monde politique.
Ex : René Pleben commande secrètement dans les années 1950 un sondage sur la CED (communauté européenne de défense). Le secret est rompu et un scandale éclate dans la vie publique car la politique doit se faire qu’au Parlement. On retire au peuple la capacité de se prononcer sur les questions politiques. Sous toute la 4ème République les sondages sont tenus à l’écart. Les parlementaires ont le monopole de l’expression de l’opinion publique.
Le général de Gaulle est favorable à la diffusion des sondages qui lui donne une connaissance directe de l’opinion publique.
A partir de 1965 : les sondages connaissent un engouement dans la vie politique française. Lors de la première élection du président de république au suffrage universel direct, on assiste à une multiplication des sondages, qui sont commentés dans la presse.
France Soir, la veille de l’élection prévoit 43% des suffrages. Ce sera à peu près le résultat obtenu par le Général de Gaulle qui se retrouve en ballottage politique.
Au cours de cette période sont institués les différents instituts de sondage : SOFRES 1962, BVA 1970, IPSOS 1975, L. Harris 1977, CSA 1983.
C’est donc sur leur capacité à prévoir les élections que les instituts de sondage ont établi leur légitimité car c’est le seul moyen dont on dispose pour vérifier la validité des sondages. Cela explique pourquoi les instituts accordent une telle importance aux élections. Les sondages sur les élections permettent de légitimer les autres sondages (et inversement).
Exemple : pour les élections de 2002, tous les instituts (presque) se sont trompés. Même si globalement, ils ne se trompent pas trop.
Une certaine volatilité électorale se développe depuis 2002 ce qui rend le travail des sondeurs de plus en plus compliqué. De plus, beaucoup d’électeurs décident le jour même des élections pour qui ils vont voter.
Quelle est la force les sondages ?
Si l’on croit que les sondages permettent d’établir ce que pense et veut l’opinion alors il est assez logique de voir dans les sondages un facteur de renforcement de notre démocratie.
Ces sondages permettent de réaliser le vieux rêve de la démocratie directe : celui où la volonté des citoyens peut être connue à tout moment et donc peut être pris en compte à tout moment par le gouvernement.
C’est cette conception que défendent les partisans des sondages (dans les milieux de l’analyse électorale).
Exemple : Jérôme Jaffré…
Tous les journalistes croient en la capacité des sondages à prédire la vie politique. Cette croyance arrange les journalistes car grâce aux sondages ils ont acquis une place importante dans la vie politique.
Selon la plupart des politistes, sondeurs, journalistes, les sondages constituent des éléments de démocratisation de la société. Les sondages mettent au centre du jeu politique l’opinion et la volonté des citoyens. Les sondages permettraient aux citoyens d’intervenir dans la sélection des gouvernant, dans le contrôle du pouvoir, à imposer le respect de l’opposition.
– La sélection des gouvernants :
Les candidats aux élections sont désormais et toujours plus choisis en fonction de leur côte de popularité qui est établie par les sondages. Ce ne sont plus seulement les partis qui choisissent les futurs gouvernants mais ce sont les électeurs qui par leur préférence contribuent à exclure certains candidats de la vie politique.
Ex : la candidature de Ségolène Royal : sa candidature a été portée par les sondages. En effet, elle n’était pas soutenue sur le plan interne ce qui a conduit à l’ouverture du parti socialiste et de nouveaux citoyens sont venus la soutenir.
Si on considère que les sondages exprimés étaient vraiment l’opinion des Français alors la candidature sera plus légitime. Les sondages sont alors un élément de démocratisation.
Les sondages sont un moyen pour les Français d’imposer leur opinion, les partis politiques n’ont plus le monopole du choix du candidat. Cette évolution reste récente.
De la même façon, en éclairant les électeurs sur les rapports de forces entre les différents candidats, les sondages permettraient de mieux mesurer les effets de leur choix et donc de voter de façon plus utile et efficace.
Ex : la candidature de Bayrou fut le produit des sondages.
Les instituts de sondage ont refusé les pressions exercées par les deux grands partis sur la question du second tour. C’est dans ce contexte que les sondages ont introduit Bayrou. Il apparaissait comme le gagnant du second tour dans tous les cas alors qu’avant la question sur le second tour on disait qu’il ne gagnerait pas au premier tour. Les gens veulent voter pour Bayrou pour écarter Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Ils votent utile.
La connaissance de l’opinion publique et les cotes de popularité des candidats permettent voire autorisent les électeurs à voter utile.
Depuis le 19 mars dernier, les candidats ont le même temps d’antenne à la télévision. Ce qui est favorable aux petits candidats. C’est un risque pour les trois grands candidats de dispersion des voix.
– Le contrôle des gouvernants :
Les sondages permettent de faire connaître à tout moment les attentes et les réactions des citoyens (surtout en dehors des périodes électorales).
Les sondages permettent en quelque sorte d’organiser en permanence de multiples référendums sur de nombreuses questions (pour ou contre l’euro, pour ou contre l’ouverture des frontières…).
Cela oblige les gouvernants à prendre en compte la volonté populaire car ils peuvent difficilement mener des politiques majoritairement contraires à l’opinion publique.
Ainsi, les sondages permettent en quelque sorte un contrôle démocratique du pouvoir.
– Le respect de l’opposition :
Les sondages rappelleraient en permanence à la majorité qu’il existe une opposition, que l’ensemble des citoyens n’est pas d’accord avec les décisions adoptées.
Le sondage est comme un contre-pouvoir.
Dans cette perspective, les sondages sont bien un instrument efficace pour la réalisation d’une véritable démocratie d’opinion c’est-à-dire une démocratie dans laquelle l’opinion publique est au centre car elle inspire les politiques qui sont menées.
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