La conformité du contrat à l’ordre public
L’ordre public est une conception de la vie en société caractérisée par la paix sociale, l’ordre, la sécurité publique, la tranquillité et la morale. Une disposition d’ordre public est une règle de droit impérative qui s’impose dans les rapports sociaux afin de préserver la sécurité, la tranquillité, la paix… au sein de la société. L’article 6 du Code civil dispose qu’ « on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ».
&1. Considérations générales sur la notion d’ordre public et de bonnes mœurs.
La notion d’ordre public est très difficile à saisir, elle ne se laisse pas enfermer dans une définition ni dans une énumération. De manière générale, l’ordre public répond au besoin de régler un possible conflit entre deux types de règles : d’un côté les règles essentielles qui protègent les intérêts généraux de la société, de l’autre côté des règles secondaires concernant d’autres intérêts.
En droit international privé, l’ordre public est une notion particulière, il s’agit d’une notion particulariste d’un Etat, qui a pour effet d’éliminer toute règle de droit étranger qui entraînerait une situation contraire aux droits fondamentaux du droit national. La règle de conflit détermine la règle de droit interne applicable qui ne doit pas heurter l’ordre public.
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Appliquée au droit interne, le conflit qui peut surgir est un conflit entre la règle de droit elle-même (la loi) et les règles posées par les particuliers dans leurs conventions. Au terme de l’article 1134 du Code civil, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».
A la notion d’ordre public correspond la prééminence donnée à certaines règles légales, celles qui protègent les intérêts généraux de la société, sur les règles conventionnelles posées par les particuliers qui ont pour objet de satisfaire des intérêts particuliers, dans la mesure où les premières, imposées aux particuliers, sont considérées comme essentielles à l’organisation de la société. Il s’agit d’un procédé par lequel l’Etat se donne les moyens d’écarter les conventions particulières qui porteraient atteinte à ses intérêts essentiels.
- 1) Flexibilité de la notion d’ordre public.
L’article 6 du Code civil (on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs) vise les lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs. Une acception très étroite du terme loi n’a jamais été retenue par la pratique juridique à deux égards : cet article vise aussi bien les textes réglementaires que les lois au sens strict ; le rôle du juge est capital, essentiel.
Il arrive que la loi se déclare expressément d’ordre public (prescription à peine de nullité, toute clause contraire est réputée non écrite), on parle ici d’ordre public législatif ou textuel ; même dans ce cas, il appartient au juge de déterminer si la convention heurte ou non l’ordre public. De plus, lorsqu’elle édicte une nullité, la loi ne précise pas si la nullité est d’ordre public ou si elle est établie pour protéger des intérêts particuliers, il appartient au juge de déterminer le caractère de la nullité : l’article 1599 du Code civil dispose que « la vente de la chose d’autrui est nulle: elle peut donner lieu à des dommages-intérêts lorsque l’acheteur a ignoré que la chose fût à autrui », la jurisprudence a décidé que cette nullité est simplement relative.
La loi est souvent muette sur le caractère d’ordre public ou non de ses dispositions, dans cette hypothèse il appartient au juge d’apprécier si le texte est d’ordre public ou non, c’est-à-dire si les intérêts essentiels de la société sont impliqués ou non par ces dispositions : on parle d’ordre public virtuel (Carbonnier).
Pour la jurisprudence, une convention ne dérogeant à aucun texte précis peut néanmoins être contraire à l’ordre public si l’objet de la convention est en contradiction avec les principes fondamentaux de notre droit, ou avec notre organisation sociale. « Le contrat litigieux a pour objet l’exploitation des malades par une publicité intense et impressionnant le public » (Civ., 4 décembre 1929, Sirey 1931 I p49). Le contrat est nul même en l’absence de prohibition expresse de la loi.
La détermination de l’ordre public est alors exclusivement judiciaire, le juge devra procéder à cette détermination de l’ordre public non pas en fonction de ses convictions personnelles mais à partir de l’ensemble des textes en vigueur au moment où il statue, il se réfère à l’esprit de la loi. C’est une question de droit, par conséquent elle est soumise au contrôle de la Cour de cassation.
- 2) Le caractère évolutif de la notion d’ordre public.
La notion d’ordre public est d’autant plus difficile à saisir que l’ordre public est le reflet juridique à un moment donné d’une société en perpétuelle mutation. Le domaine de l’ordre public évolue en fonction de la conception politique, économique, sociale, qui imprègne l’esprit de la loi, en fonction de l’époque.
Le domaine de l’ordre public est resté très peu étendu pendant la première moitié du XIXe siècle et recouvrait l’organisation politique de l’Etat, l’état et la capacité des personnes, la dévolution successorale et la réserve héréditaire, l’intégrité de la personne humaine et sa liberté. En matière contractuelle, il n’y avait que les contrats à caractère immoral : le courtage matrimonial, les conventions entre concubins.
La liberté contractuelle était très grande dans le domaine patrimonial, seules encouraient la nullité les conventions constituant une entorse à la liberté commerciale puis à la liberté du travail. L’ordre public est essentiellement judiciaire à cette époque, les textes déclarés d’ordre public sont peu nombreux. Cet ordre public est d’inspiration conservatrice.
Le domaine de l’ordre public a été étendu à partir de la fin du XIXe siècle, il y a eu réduction corrélative de la liberté contractuelle sous l’influence des doctrines sociales. Nombre de contrats, dont la détermination du contenu jadis était l’œuvre exclusive des parties, voire d’une seule, font aujourd’hui l’objet d’une réglementation impérative. L’ordre public est aujourd’hui principalement législatif, il n’est plus du tout un ordre public d’inspiration conservatrice mais sociale.
&2. Les différents « types » d’ordre public.
L’ordre public s’oriente vers l’ordre public économique et l’ordre public politique. Cette distinction est assez récente. « Il s’agit d’une distinction entre deux couches historiques de l’ordre public » (Carbonnier). L’extension du domaine de l’ordre public en général découle surtout de l’extension du domaine de l’ordre public économique.
1°/ L’ordre public politique : l’ordre public classique.
Le terme politique doit être pris dans une acception large, il désigne les institutions essentielles de la société, indirectement les principes de civilisation, pour préserver la société des initiatives de particuliers dans des contrats. Cet ordre public politique est essentiellement judiciaire, il est par ailleurs négatif en ce qu’il se traduit plutôt par des interdictions ; il est plutôt conservateur car il a pour objet la défense de l’Etat, de la famille, le respect de certaines valeurs morales.
- a) La défense de l’Etat.
Tout ce qui touche à l’organisation de l’Etat et des services publics relève en principe de l’ordre public, d’où la nullité fondée sur l’illicéité de l’objet du contrat, des conventions dérogeant aux lois de droit public : lois constitutionnelles (nullité de la convention tendant à influencer le vote d’un électeur, de la vente par un électeur de son droit de vote), fiscales (nullité de la convention tendant à dissimuler une partie du prix de vente d’un immeuble pour payer moins de droits de mutation : article 1840 CGI), administratives (nullité de la convention par laquelle un fonctionnaire s’engage à accomplir un acte même régulier relevant de ses fonctions), pénales (nullité du contrat d’assurance garantissant aux automobilistes le paiement des amendes).
Les lois de procédure civile ne sont pas toutes des lois d’ordre public : les parties peuvent déroger aux règles de compétence territoriales si elles sont commerçantes (article 48 du CP) ; il est possible de soumettre le litige à l’arbitrage, de le faire échapper à la compétence des juridictions étatiques en le faisant juger par un juge privé (toutefois des catégories d’établissements publics à caractère industriel et commercial peuvent être autorisées par décret à compromettre : article 2060 du Code civil).
- b) La défense de la famille.
Les lois concernant la structure de la famille sont impératives en général, surtout pour celles qui gouvernent les rapports personnels entre les membres de la famille : nullité du contrat de fiançailles, le consentement au mariage doit rester libre jusqu’à sa célébration ; nullité de la convention qui déroge aux droits et devoirs qui résultent du mariage pour les époux, aux règles de l’autorité parentale, à l’administration légale, à la tutelle.
Les conventions de mère porteuses sont nulles (Ass. Plén., 1991). Jusqu’en 1975, il y a une interdiction du divorce par consentement mutuel.
Dans l’organisation patrimoniale de la famille, il y a place dans une certaine mesure pour des conventions privées : en matière de régime matrimonial, la communauté réduite aux acquêts est le régime légal mais il est possible au notaire de recevoir un contrat de mariage prévoyant un régime matrimonial différent. Le testament peut venir modifier les règles légales de dévolution des biens après le décès de son auteur. Mais même dans ce domaine de l’organisation patrimoniale de la famille, l’ordre public reparaît souvent : le testament ne peut en aucun cas affecter la réserve héréditaire.
2°/ L’ordre public économique.
Il est apparu à l’époque moderne. Le code civil n’ignorait pas totalement un ordre public d’aspect économique, mais celui-ci était d’inspiration libérale et n’avait comme finalité que d’assurer le respect des principes même du libéralisme.
Dans le droit civil moderne, l’ordre public économique est de source essentiellement législative, c’est un ordre public novateur, et positif en ce sens que le législateur impose des sujétions aux contractants. C’est un ordre public interventionniste dont la finalité est d’intervenir dans les rapports pécuniaires entre les particuliers, c’est-à-dire dans l’échange des richesses et des services, en réglementant de façon impérative de très nombreux contrats.
- a) L’ordre public économique de protection.
Il s’agit de rendre les échanges plus équitables, l’ordre public économique tend à protéger le contractant le plus faible ; son importance est de plus en plus grande dans le domaine du contrat d’adhésion : contrat de transport, d’assurance, de travail (la liberté contractuelle est devenue une exception), baux ruraux depuis très longtemps, baux commerciaux en partie, baux à usage d’habitation et mixtes. De manière beaucoup plus large, la législation protectrice du consommateur se traduit par de nouvelles dispositions impératives de plus en plus nombreuses, qui touchent des contrats de plus en plus nombreux.
- b) L’ordre public de direction.
Sa finalité est différente, il s’agit d’ordonner l’échange des richesses et des services en fonction de l’intérêt général. L’ordre public de direction, instrument d’un dirigisme économique, a pour objet de permettre aux pouvoirs publics d’atteindre certains objectifs économiques, d’éliminer des contrats privés tout ce qui pourrait contrarier ces objectifs économiques.
Il est illustré par la législation sur les prix fixée au lendemain de la Seconde guerre mondiale (ordonnance de 1945), par la législation sur les clauses d’échelle mobile (indexation) issue de l’ordonnance du 30 juin 1958. L’ordre public monétaire est à rattacher à cet ordre public de direction (caractère illicite des clauses d’indexation sur l’or). Il est sans aucun doute en recul aujourd’hui en raison du regain de faveur que connaît l’économie de marché. Etaient illicites les conventions conclues en violation du contrôle des changes.