L’organisation gouvernementale : hiérarchie, coordination et solidarité
Dans le cadre de la Cinquième République, le gouvernement français occupe une place centrale, agissant comme un lien entre le président de la République, les assemblées parlementaires et l’administration. Ce modèle, bien qu’inspiré des régimes parlementaires classiques, présente des spécificités propres qui reflètent la singularité de la Constitution de 1958.
Le président de la République nomme le Premier ministre, un choix qui doit être en adéquation avec la majorité parlementaire à l’Assemblée nationale. Ensuite, sur proposition de ce dernier, il nomme les autres membres du gouvernement, formant ainsi une équipe exécutive : Premier ministre et ministres.
Le gouvernement remplit deux fonctions majeures :
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Rôle politique :
- Déterminer et conduire la politique nationale (article 20 de la Constitution).
- Élaborer les projets de loi soumis au Parlement.
- Exercer le pouvoir réglementaire sur les matières qui ne relèvent pas de la loi, ainsi que prendre les décrets d’application nécessaires à l’exécution des lois.
- Être responsable politiquement devant l’Assemblée nationale : un vote de défiance ou une motion de censure entraîne sa démission.
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Rôle administratif :
- Chaque ministre dirige un ministère et supervise les fonctionnaires qui y travaillent.
- Les ministres peuvent prendre des arrêtés ministériels pour réglementer leur secteur, dans le respect des lois et des orientations décidées en Conseil des ministres.
- Les ministères clés, comme ceux des Finances, de l’Intérieur, de la Justice ou de l’Éducation nationale, jouent un rôle stratégique dans la mise en œuvre des politiques publiques.
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- Les pouvoirs du Gouvernement et du Premier Ministre
- Le statut et la responsabilité des ministres
- L’organisation du gouvernement
I) Le gouvernement, un collège solidaire
a) La place du gouvernement
Le gouvernement est un organe collégial dirigé par le Premier ministre et composé de ministres. Contrairement au président de la République, qui incarne la clef de voûte des institutions (article 5 de la Constitution), le gouvernement gère au quotidien les affaires de l’État et prépare les décisions nécessaires à la mise en œuvre des politiques publiques.
Le rôle distinct du président et du gouvernement :
- Le président ne dispose pas des moyens juridiques ou administratifs pour gérer directement les affaires courantes de l’État.
- Il a besoin du gouvernement pour exécuter le programme politique pour lequel il a été élu.
Cependant, lors des périodes de cohabitation, le président est limité à ses fonctions constitutionnelles d’arbitre (article 5), tandis que le Premier ministre s’impose comme le chef de la majorité parlementaire.
Exemple :Sous la présidence de François Mitterrand (1986-1988) et celle de Jacques Chirac (1997-2002), les périodes de cohabitation ont illustré ce retour du président à un rôle constitutionnel restreint, laissant le Premier ministre diriger l’exécutif.
b) Les principes directeurs
Deux principes structurent l’organisation et le fonctionnement du gouvernement :
Solidarité gouvernementale
- Le gouvernement est collectivement responsable devant l’Assemblée nationale.
- Si une motion de censure est votée, l’ensemble du gouvernement doit démissionner, y compris les ministres qui n’étaient pas directement concernés par la critique.
Comparaison internationale :
- Contrairement au système américain, où les ministres (ou secrétaires) sont responsables uniquement devant le président et non devant le Congrès, le régime parlementaire français impose une responsabilité collective devant une assemblée élue.
Collégialité
- Le départ du Premier ministre, qu’il soit volontaire ou forcé, entraîne la chute du gouvernement tout entier, car ce dernier fonctionne comme un collège uni.
- Cette collégialité exige une coordination interministérielle renforcée et des mécanismes d’arbitrage, souvent assumés par le Premier ministre.
L’organisation flexible du gouvernement :
- La Constitution de 1958 ne fixe pas la structure du gouvernement, à l’exception du Premier ministre et du ministre de la Justice (garde des Sceaux).
- Le nombre et les attributions des ministres sont déterminés par le président de la République et le Premier ministre, en fonction des priorités politiques et des besoins administratifs.
Évolutions récentes :
- Lors des gouvernements sous Emmanuel Macron (depuis 2017), des ministères ont été fusionnés ou spécialisés pour répondre à des enjeux contemporains, comme la Transition écologique ou la Transformation numérique.
- La nomination de ministres issus de sensibilités politiques variées reflète une volonté de tactiques politique qui vise à rassembler au-delà des clivages partisans, tout en respectant le principe de solidarité gouvernementale.
II) La hiérarchie gouvernementale
La hiérarchie gouvernementale en France repose sur une organisation différenciée des membres du gouvernement, avec des fonctions et des rôles variables selon leur rang et leur portefeuille. À l’exception du Premier ministre, dont la place est définie par la Constitution, cette hiérarchie est largement déterminée par des décisions discrétionnaires du président de la République et du Premier ministre, notamment par le décret de nomination qui fixe l’ordre protocolaire.
1) Le Premier ministre
Selon l’article 21 de la Constitution, le Premier ministre est le chef du gouvernement et dirige son action. À ce titre, il dispose de plusieurs prérogatives :
- Proposer au président de la République la nomination ou la révocation des ministres.
- Exercer un pouvoir d’arbitrage en cas de désaccord entre les membres du gouvernement.
- Trancher sur les différends entre ministres et veiller à la cohérence des politiques publiques.
- Présider des conseils ou comités en vertu de l’article 15 de la Constitution.
Cependant, cette prééminence théorique du Premier ministre peut être limitée par la logique présidentialiste du régime de la 5ème République. Certains ministres, notamment ceux disposant de portefeuilles stratégiques (comme les ministres de la Défense, de l’Intérieur ou des Affaires étrangères), entretiennent souvent une relation directe et privilégiée avec le président, réduisant parfois l’autorité du Premier ministre.
En cas d’absence ou d’empêchement temporaire du président, le Premier ministre peut exceptionnellement le suppléer pour présider un conseil des ministres, mais cela nécessite une délégation expresse du président et se limite à un ordre du jour précis.
Exemple :
- Pendant la crise du COVID-19, le Premier ministre a exercé un rôle central dans la coordination des politiques publiques, bien que les décisions stratégiques majeures aient souvent été prises lors des conseils restreints présidés par le chef de l’État.
- Le rééquilibrage des pouvoirs entre le président et le Premier ministre est un sujet récurrent, particulièrement en période de cohabitation (2024 , période de cohabitation entre Emmanuel Macron et le premier ministre Michel Barnier).
2) Les ministres d’État
Le titre de ministre d’État est principalement honorifique, sans pouvoirs supplémentaires par rapport à un ministre classique. Ce titre vise à :
- Valoriser une personnalité politique éminente ou reconnue pour ses mérites.
- Représenter une sensibilité politique spécifique au sein du gouvernement.
- Marquer une reconnaissance protocolaire sans que cela modifie leurs attributions opérationnelles.
Exemple récent : En 2017, Nicolas Hulot a été nommé ministre d’État chargé de la Transition écologique, l’objectif est de montrer l’importance symbolique accordée à l’écologie dans le gouvernement d’Édouard Philippe.
3) Les ministres
Les ministres sont des membres permanents du conseil des ministres et assurent la gestion d’un département ministériel.
- Ils exercent une autorité sur leur ministère et sont les acteurs principaux des politiques publiques dans leur domaine.
- Certains ministères stratégiques (Justice, Intérieur, Défense, Économie et Finances) jouent un rôle clé et bénéficient d’une influence particulière.
- Parmi ces ministères, celui de l’Économie et des Finances se distingue par son poids spécifique, étant au centre des décisions budgétaires et économiques.
Exemple : Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances depuis 2017, a joué un rôle de premier plan dans la gestion des mesures de relance économique post-COVID-19 et dans la mise en œuvre de réformes majeures, comme celle des retraites.
4) Les ministres délégués
Les ministres délégués sont placés sous la tutelle directe d’un ministre ou du Premier ministre, avec un champ d’action plus spécialisé :
- Ils agissent par délégation et doivent respecter les instructions du ministre de tutelle.
- Ils disposent néanmoins d’une autorité pleine et entière sur leurs services.
- Ils participent au conseil des ministres avec les mêmes droits que les ministres, bien qu’ils aient une autonomie réduite.
Exemple récent :
- En 2020, Gabriel Attal, nommé ministre délégué chargé des Comptes publics, a été un acteur clé dans la supervision de la gestion budgétaire du plan de relance post-pandémie.
5) Les secrétaires d’État
Les secrétaires d’État occupent une position subalterne dans la hiérarchie gouvernementale :
- Ils sont placés sous l’autorité d’un ministre ou du Premier ministre.
- Leur rôle est généralement spécialisé et se limite à des domaines bien définis.
- Ils participent au conseil des ministres uniquement pour les sujets relevant de leurs attributions.
- Ils ne peuvent pas signer seuls les décrets ; leur signature doit être accompagnée de celle du ministre de tutelle.
Malgré leur position modeste, les secrétaires d’État jouent un rôle essentiel pour des personnalités politiques en début de carrière, leur permettant d’acquérir une expérience gouvernementale.
Exemple :
- Sarah El Haïry, nommée secrétaire d’État chargée de la Jeunesse en 2022, a participé à la mise en place de politiques en faveur des jeunes, comme l’amélioration du service national universel (SNU).
- Depuis les années 2000, on observe une tendance à accroître la participation des secrétaires d’État aux conseils des ministres
III) La coordination gouvernementale
La coordination de l’action gouvernementale repose sur diverses instances, qui assurent une harmonisation des décisions au sein du pouvoir exécutif. Ces formations gouvernementales, bien que définies dans des cadres institutionnels variés, ont évolué au fil des décennies pour répondre aux exigences politiques et aux enjeux contemporains.
1) Le conseil des ministres
Le conseil des ministres est la formation la plus solennelle du pouvoir exécutif, incarnant symboliquement l’unité politique du gouvernement. Présidé par le président de la République, il siège habituellement le mercredi matin au Palais de l’Élysée.
- L’ordre du jour est préparé par le Premier ministre, mais il est validé par le président de la République, soulignant ainsi le rôle prépondérant du chef de l’État.
- Le conseil des ministres est un passage obligatoire pour l’examen des textes majeurs, tels que :
- Les projets de loi.
- Les ordonnances, en vertu de l’article 38 de la Constitution.
- Les décrets réglementaires importants.
- Les nominations aux plus hauts postes de l’administration.
Cependant, le conseil des ministres n’est généralement pas un lieu de débat. Il se limite souvent à un rôle de validation formelle, les arbitrages ayant été réalisés en amont dans d’autres cadres.
Exemple récent :
- En 2023, le conseil des ministres a validé les textes de réforme des retraites, un projet controversé qui a fait l’objet de discussions intenses en amont.
- Lors de crises comme la pandémie de COVID-19, ces réunions ont permis de formaliser des décisions urgentes, comme les décrets sanitaires ou les mesures économiques exceptionnelles.
2) Les autres formations de gouvernement
Pour traiter des sujets spécifiques et approfondir la coordination entre ministères, d’autres structures complémentaires sont mobilisées.
a) Les conseils restreints
- Ces conseils regroupent un nombre limité de ministres, en fonction des problématiques abordées (par exemple, sécurité, économie, ou santé).
- Ils sont présidés par le président de la République.
- En général, ces conseils se réunissent à un rythme variable, mais leur fréquence augmente en cas de crises majeures.
Exemple : Pendant la gestion des émeutes urbaines de 2023, des conseils restreints ont permis de coordonner les actions des ministères de l’Intérieur, de la Justice et des Armées sous la direction du président.
b) Les comités interministériels
- Placés sous l’autorité du Premier ministre, ces comités réunissent les ministres directement concernés par une question transversale.
- Ils permettent de coordonner les politiques publiques et d’assurer une cohérence entre ministères.
- C’est au sein de ces comités que le Premier ministre arbitre les différends entre ministères.
Exemple : Le comité interministériel pour la transition écologique, réuni en 2022, a élaboré des arbitrages importants sur la planification énergétique, avec un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030.
c) Les conseils de cabinet
- Ces conseils, bien que non prévus par la Constitution, sont une tradition parlementaire. Ils réunissent les ministres sous la présidence du Premier ministre.
- Historiquement tombés en désuétude après 1958, ils ont retrouvé leur importance lors des périodes de cohabitation, où le président et le Premier ministre appartiennent à des majorités politiques opposées.
- Ces conseils permettent au gouvernement de fonctionner de manière autonome par rapport à l’influence directe du président de la République.
En 1997-2002, lors de la cohabitation entre Jacques Chirac et Lionel Jospin, et en 2024/2025 lors de la cohabitation Macron et le Gouvernement du Premier Ministre Michel Barnier, les conseils de cabinet ont joué un rôle important pour structurer l’action gouvernementale sans interférence excessive du président.