L’ouverture de l’enquête de flagrance
L’enquête de flagrance, dans sa conception traditionnelle, a toujours été soulignée car elle confère de grands pouvoirs à la police judiciaire. Ces pouvoirs, étant très forts, ils sont dangereux pour les libertés individuelles. Cela rend essentiel de savoir à quelle condition une procédure peut être ouverte.
L’officier de police judiciaire ne peut pas ouvrir une enquête de flagrance comme il l’entend. Il ne le peut qu’en respectant les conditions posées par la loi ; conditions de deux types : il faut qu’il existe une infraction présentant un caractère particulier : qu’elle soit flagrante. La flagrance de l’infraction dépend des circonstances dans lesquelles elle a été constatée. Il faut que l’infraction soit flagrante, et qu’elle ait eu une gravité minimale.
- Cours de Procédure Pénale
- La fonction de juridiction d’appel de la chambre de l’instruction
- Le contrôle de la légalité des actes d’instruction
- Le référé-détention et le référé-liberté
- La détention provisoire : condition, durée, procédure
- Les décisions sur la liberté du mis en examen
- La fin de l’instruction : ordonnance de non-lieu, de renvoi…
Section 1 : Une infraction flagrante
Cette flagrance se découvre à l’article 53 du Code de Procédure Pénale. La lecture de cet article laisse déconcerté car il n’est pas rédigé sur le « modèle français ». En effet, le droit français aime les définitions générales et abstraites. Ici, l’article 53 ne contient pas de définition de l’infraction flagrante : il énumère les cas dans lesquels l’infraction est flagrante. Cela soulève un problème : la définition serait diablement utile.
On peut donner cette définition de flagrance par l’article 53, et sur la question de savoir s’il n’y a pas de définition générale.
- 1. Les cas de flagrance
La forme inhabituelle de l’article 53 s’explique par une tradition. Il recueille les cas de flagrance du Code de l’instruction criminelle qui contenait une énumération tirant son origine du droit romain.
- Il y a flagrance lorsque l’infraction se commet actuellement. Autrement dit, en se promenant dans la rue, on assiste à une scène d’assassinat.
- On a aussi le cas où l’infraction vient de se commettre : on voit ainsi une personne qui tombe dans nos bras, en train de mourir, un poignard dans le dos.
- On a aussi l’hypothèse où, dans un temps très voisin de l’action, la personne est poursuivie par la clameur publique. Autrement dit, en se promenant, des personnes hurlent « À L’ASSASSIN ! »
- Le quatrième cas désigne celui où, dans un temps voisin de l’infraction, une personne est trouvée en possession d’objet ou a des traces d’indices qui laissent penser qu’elle a participé à l’infraction. Par exemple, les policiers effectuent un contrôle banal sur un véhicule, et aperçoivent des bijoux en vrac sur le siège arrière.
Ce sont les quatre cas de flagrance de l’article 53. Il faut alors tenter de dégager une notion de flagrance.
- 2. La notion de flagrance
L’énumération est ancienne, et on aurait pu espérer élaborer une notion qui fasse l’unanimité. Pourtant, il y a encore des débats sur cette notion. Il faut alors exposer cette notion, pour vérifier la façon dont la jurisprudence en fait ou non application.
- L’exposé de la notion
Selon l’énumération de l’article 53, on voit que par-delà la diversité des quatre cas de flagrance, on trouve des constantes de l’un à l’autre, des composantes que l’on retrouve toujours. On a une composante temporelle et une composante matérielle . Chacune de ces deux composantes, unissant leurs efforts pour que l’existence de l’infraction apparaisse comme une évidence. L’infraction flagrante, dans les quatre cas de l’article 53, est une infraction évidente, manifeste.
1) La composante temporelle
La composante temporelle apparaît clairement pour chacun des quatre cas. Il y a flagrance car, au moment où l’infraction est constatée, elle est en train de se commettre, ou a été commise il y a très peu de temps. Le Code d’instruction criminelle disait « dans un temps voisin de l’action », alors que le Code de Procédure Pénale dit « dans un temps très voisin de l’action ». Le laps de temps doit ainsi être le plus court possible. Comment expliquer cette référence à cette composante temporelle ? Plus le temps s’écoule entre le moment où l’infraction est commise et le moment où l’on la constate, plus le risque de commettre des erreurs est grand.
Quand la situation est encore fraîche, les risques d’erreur sont minimes. Puisqu’il y a peu de risques d’erreur, on peut donner des pouvoirs importants aux policiers. Cela pose la question de l’appréciation de la durée. Pour l’infraction qui se commet actuellement, il n’y a pas d’appréciation, mais pour celle dans un temps très voisin, les indications du Code de Procédure Pénale sont relativement vagues.
On a simplement des directives sur lesquelles tout le monde s’accorde. On pense que pour l’infraction qui vient de se commettre, il n’y a eu tout au plus que 24h d’écoulées. Le temps très voisin de l’action signifie 48h. Ce ne sont que des indications puisque la Cour de cassation a jugé que l’appréciation de cette composante temporelle était une question de fait abandonnée au pouvoir souverain des juges du fond.
2) La composante matérielle
c résulte de ces cas de flagrance que l’infraction flagrante, indépendamment du laps de temps, frappe les sens. L’étymologie est alors éclairante : Flagrare signifie Brûler.
Elle s’adresse ainsi aux sens qui l’ont constaté directement, l’ont vu directement ou indirectement ou par « l’ouïe » ou parce qu’ils ont découvert des traces ou des objets qui laissent penser qu’elle a été commise. Cette infraction est alors évidente, on n’a pas de doute sur sa réalité. Il est alors normal de confier des pouvoirs importants à la police, qui ne risque pas de les utiliser par erreur.
C’est en effet à cela que se ramène l’originalité de l’infraction flagrante et donc de l’enquête du même nom. Les deux composantes que l’on vient de voir doivent être réunies, car elles sont cumulatives. En effet, il faut la réunion des deux pour que l’infraction soit certaine, pour qu’elle brûle. Cela signifie, contrairement à l’enquête préliminaire, que parce que l’infraction est flagrante, on peut ouvrir une enquête de flagrance. Autrement dit, le point de départ de l’enquête est la constatation de l’infraction. L’infraction flagrante est déjà constatée, parce qu’elle est évidente et manifeste.
L’objectif de l’enquête de flagrance est alors modeste. Il ne s’agit pas de dire que l’infraction a été commise, car cela est déjà constaté. Il s’agit uniquement de réunir les preuves de l’infraction avant qu’elles ne disparaissent. Des pouvoirs policiers peuvent alors être importants car l’infraction est certaine et car l’objectif est peu ambitieux.
Il résulte de ce constat que si l’infraction est clandestine, occulte, qui ne se voit pas, qui ne frappe pas les sens, elle ne peut pas être flagrante. Il faut en effet, pour qu’il y ait flagrance, la réunion de la composante temporelle et matérielle. Supposons une infraction clandestine qui ne se voit pas mais se déroule actuellement. Il y a la composante temporelle, mais pas celle matérielle. Elle n’est donc pas flagrante, donc pas d’enquête. Car en cas d’infraction actuelle mais occulte, si on ouvre une telle enquête et qu’à son occasion on a recours à une perquisition pour faire apparaître l’infraction, il y a détournement de procédure : on se sert de la procédure pour révéler que l’enquête était flagrance. Les pouvoirs conférés seraient alors injustifiés.
L’important est de voir si la jurisprudence distingue bien deux composantes et si elle exige, pour qu’il y ait flagrance, la réunion des deux
- Application par la jurisprudence
La jurisprudence, à juste titre dans ce débat doctrinal, a soutenu que la flagrance exige la réunion des deux composantes. Elle considère ainsi que, même si une infraction se commet actuellement, mais de manière clandestine, elle n’est pas flagrante. Le premier cas de flagrance pour elle, suppose la composante temporelle, mais aussi la composante matérielle.
Elle a pris parti à travers l’affaire Isnard en 1953, qui a fixé la jurisprudence jusqu’à nos jours. Isnard est un individu qui prend des paris clandestins sur des courses de chevaux. Il est très connu des policiers car c’est un multirécidiviste. Un jour, des policiers appartenant
- la brigade des jeux le voient sur un champ de course et l’observent. Ils le voient régulièrement approché par des parieurs, et il semble qu’il encaisse des paris. L’un des policiers l’approche et l’interpelle. Ils le fouillent et découvrent des fiches de paris clandestins. Ils triomphent en disant que l’enquête de flagrance est ouverte. Il est cité et poursuivi. L’avocat d’Isnard plaide la nullité de toute la procédure, en disant qu’il n’y a pas de flagrance car la composante matérielle manque, et ce était appelé flagrance avait servi pour faire apparaître l’infraction et la constater. La Cour de cassation a alors donné raison
- l’avocat d’Isnard, car même si les paris clandestins étaient en train de se commettre, les policiers n’ont rien vu. « Il n’y avait aucun indice apparent d’un comportement délictueux ».
La Cour de cassation a, par la suite, assoupli son exigence initiale. Par exemple, elle a admis qu’il y a flagrance dans l’hypothèse où, une personne se prétendant victime de l’infraction, vient la dénoncer au commissariat de police. Cette dénonciation a été considérée comme une hypothèse de flagrance. Il y a bien la composante temporelle, mais pas réellement matérielle, à moins que la dénonciation de la victime soit une extension de la clameur publique.
La Cour de cassation a aussi confondu la flagrance avec les déclarations d’un co-auteur, qui est pourtant suspect. Il n’est pas évident que celle-ci rende l’infraction manifeste, évidente, mais la cour l’a admis. De même, lorsque la dénonciation émane d’un tiers, il y a une conception trop élargie de la clameur publique.
La jurisprudence admet aussi de valider une enquête de flagrance alors même qu’il finit par être établi que l’infraction, contrairement à ce que l’on pensait, n’était pas flagrante. La jurisprudence a fait application de la théorie de l’apparence. Elle considère que, lorsqu’une enquête de flagrance a été ouverte en raison d’une infraction apparemment flagrante, l’enquête est régulière quand bien même cette apparence était trompeuse. Elle est tout de même légitime.
Section 2 : La gravité de l’infraction
Ce qui fait la flagrance, c’est la manière dont l’infraction a été constatée. Toute infraction peut être flagrante : une contravention, un délit ou un crime. Chacune de ces infractions peut être constatée dans les circonstances de la flagrance.
L’enquête de flagrance s’accompagnant de pouvoirs policiers étendus, il a fallu limiter cette enquête à des infractions particulièrement graves. Le législateur a alors limité le domaine de la flagrance aux infractions de flagrant crime ou de flagrant délit à condition que ce délit soit puni d’une peine d’emprisonnement. Ainsi, un délit puni d’une simple amende, ou une contravention ne peuvent pas justifier l’ouverture d’une enquête de flagrance.
Là encore, s’agissant de la gravité de l’infraction, la jurisprudence fait application de la théorie de l’apparence. On peut penser que l’infraction est grave, mais elle ne l’est en fait pas. L’apparence de gravité est suffisante, l’enquête est validée.