La cause étrangère : Arrêt de la Chambre mixte de la Cour de Cassation du 4 décembre 1981
Parfois, la cause étrangère est un mode d’exonération totale de la responsabilité, car elle prouve que le défendeur n’est pas, en réalité, responsable du dommage. Selon l’arrêt du 4 décembre 1991, ne constitue pas une cause extérieure à l’entreprise le fait que les membres de l’équipage d’un navire, en conflit avec l’armateur, se soient rendus maître du bâtiment. (Cass. ch. mixte, 4 décembre 1981, Bull civ, n°8, R., p. 40)
Descriptif:
Les composantes du principe de la garde d’une chose. Interprétation des principes de la force majeure et du fait d’un tiers, exonératoires de responsabilité.
L’arrêt rendu le 4 décembre 1981 par la chambre mixte de la cour de cassation soulève le problème de la responsabilité du fait des choses et plus particulièrement le problème de la garde des choses ainsi que le problème de la cause étrangère exonératoire de responsabilité.
A la suite d’un conflit survenu entre l’armateur d’un paquebot et ses marins ceux-ci décident d’enjoindre le capitaine du paquebot de mouiller le navire dans l’axe du chenal d’un grand port maritime en signe de protestation.
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Une compagnie de raffinage par suite à cette action demande réparation du préjudice par elle subit du fait de son incapacité d’accéder au port et le détournement de ces navires vers un autre port.
La cour d’appel de Paris par un arrêt confirmatif du 23 avril 1979 a retenu la responsabilité de l’armateur du paquebot en sa qualité de gardien et a écarté la cause d’exonération de responsabilité tirée du fait d’un tiers ou de la force majeure.
L’armateur a donc formé un pourvoi en cassation aux motifs que la cour d’appel aurait statué sur des motifs contradictoires et inopérants et aurait entaché sa décision d’un défaut de base légale en ce qui concerne la garde du paquebot et enfin elle aurait écarté l’existence de la force majeure et le fait d’un tiers par des motifs erronés et inopérants.
Le problème qui se pose est de savoir si l’armateur est bien le gardien du paquebot ? Et si c’est le cas s’il peut bénéficier de l’exonération de responsabilité tirée du fait d’un tiers ou de la force majeure ?
La cour de cassation le 4 décembre 1981 rejette le pourvoi de l’armateur du paquebot aux motifs que celui-ci n’apportait pas la preuve du fait d’un tiers ou d’un événement de force majeure et que dès lors l’armateur ne s’exonérait pas de la responsabilité qu’il encourait en sa qualité de gardien.
Nous verrons tout d’abord que le principe de garde de la chose est réaffirmé dans toutes ses composantes et nous verrons ensuite que la cour de cassation applique strictement les principes de la force majeure et du fait d’un tiers (formant la cause étrangère), principes exonératoire de responsabilité.
I) Les composantes du principe de la garde d’une chose
Nous verrons tout d’abord que cette garde se caractérise par le contrôle, l’usage et la direction de la chose (A)et nous finirons par voir que la cour de cassation écarte certaines hypothèses (B).
A) Les composantes de la garde de la chose :
La responsabilité est attachée à la garde des choses et pas aux choses elle-même. C’est pourquoi il est intéressant de savoir qui est le gardien d’une chose et par la- même savoir qui est responsable des dommages causés par cette chose. La garde de la chose nécessite pour être caractérisée trois éléments : Le contrôle de la chose, son usage et sa direction. Le premier moyen de l’armateur est de dire qu’au moment du préjudice il ne se trouvait pas être le gardien de la chose car l’équipage se serait rendu maître du navire. Afin d’écarter ce premier moyen la cour constate que le commandant et ses officiers étaient lors du préjudice tous libre de leur personne et qu’ils n’avaient pas cessé de diriger les manœuvres du navire. De plus la cour relève que l’armateur n’avait pas cessé le contact avec eux, ce qui pousse la cour à constater que l’armateur réunissait toujours les caractères de la garde c’est-à-dire qu’il avait le contrôle, l’usage et la direction du navire et qu’il n’apportait pas la preuve contraire. La cour dans cet arrêt réaffirme l’importance des composantes de la garde de la chose.
B) Exclusion de l’argument de la garde cumulative :
L’armateur afin de prouver qu’il n’était pas gardien de la chose invoque le fait que la garde n’étant pas cumulative et que la grève lorsqu’elle s’accompagne du détournement de l’outil de travail exclu le maintien du contrat de travail ainsi que du lien de préposition et donc que la cour d’appel n’aurait pas pu déclarer que les auteurs de ces agissements délictueux agissaient sous le couvert du lien de préposition exclusif de leur qualité de gardien. A ces arguments la cour répond que l’armateur n’apporte pas la preuve qu’au moment de la réalisation du dommage il ne se trouvait pas dans la position du gardien du paquebot car il était en contact avec le navire et que le commandant avait contrôlé dans le cadre de ses fonctions habituelles, les manœuvres du navire et donc que l’armateur pendant les événements qui ont causé le dommage était toujours gardien de la chose. La cour écarte donc cet argument inopérant dans ce cas particulier.
II) Interprétation des principes de la force majeure et du fait d’un tiers, principes exonératoires de responsabilité.
Nous verrons tout d’abord quel est le contenu de ces principes et nous verrons ensuite quelle application en fait la cour de cassation.
A) Contenu du principe de la force majeure et du principe du fait d’un tiers :
La jurisprudence a posé que la seule preuve d’un comportement normal ne suffisait pas à exonérer le gardien de la chose de sa faute. Il faut qu’il établisse l’existence d’une cause étrangère c’est-à-dire l’existence d’un fait positif caractérisé s’il veut échapper à sa responsabilité. La force majeure et le fait d’un tiers font partis des causes étrangères qui permettent au gardien de s’exonérer de sa faute. Celles-ci présentent plusieurs caractères nécessaires si on veut les invoquer. Tout d’abord elles présentent un caractère d’extériorité. C’est-à-dire qu’il faut que la perturbation ou le fait du tiers soit d’origine externe. De plus il faut que l’événement ou le fait du tiers ait été normalement imprévisible. C’est-à-dire que si l’armateur était au courant de ce qu’il allait se passer, il ne pourra pas invoquer ces principes. Et enfin ces principes nécessitent le fait d’être insurmontable. Ce qui signifie que le gardien devait-être dans l’impossibilité d’éviter le dommage.
B) Application des principes par la cour de cassation à l’espèce :
L’armateur invoque le fait que de par les propres constatations de la cour d’appel (à savoir que le dommage résultait de l’accomplissement d’actes délictueux par les membres de l’équipage qui s’étaient emparés du navire à des fins personnelles et dommageables) le fait du tiers se trouvait caractérisé. Mais la cour constate qu’au vu de l’expertise, l’armateur était prévenu que des représailles seraient menées contre sa décision de désarmer le paquebot par ses préposés, et donc que l’un des éléments du fait du tiers est manquant : le fait du tiers n’est pas extérieur à la compagnie de l’armateur. De plus la cour relève que l’équipage a laissé monter des délégués syndicaux extérieur à l’équipage alors qu’il était au courant de l’imminence des mesures de représailles de l’équipage et donc, cela vient enlever à la force majeure son imprévisibilité et son insurmontabilité ; car l’armateur n’a pas utilisé toutes les voies de droit à sa portée afin de faire cesser cette mutinerie.
On voit donc dans cet arrêt avec quelle exactitude la cour de cassation entend appliquer les caractères composant les causes étrangères afin de responsabiliser les gardiens de chose, en l’occurrence le gardien d’un paquebot qui de par son ampleur peut causer d’énormes dégâts ou préjudices.
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